:
Oui. Permettez-moi de vous remercier, chers collègues et monsieur le président.
Je suis ravi d'être ici avec Laurie Wright pour vous parler des dispositions déclaratoires ajoutées à la Loi sur la Cour suprême par la section 19 de la partie 3 du projet de loi C-4, Loi no 2 sur le plan d'action économique de 2013.
Chers collègues, nous avons introduit ces dispositions déclaratoires pour préciser les critères fondamentaux qui encadrent la nomination des juges de la Cour suprême et pour veiller à ce qu'ils soient les mêmes quelle que soit la province ou la région d'origine du candidat. Nous souhaitons également qu'un gouvernement futur puisse continuer à choisir ses juges parmi les rangs des juristes les plus talentueux et les plus expérimentés qui siègent à l'heure actuelle dans les cours fédérales du Canada et pour qu'ils puissent combler les postes vacants du plus haut tribunal du pays, la Cour suprême du Canada.
[Français]
Monsieur le président, chers collègues, j'espère également que l'examen de ces dispositions par le Parlement aidera le public à mieux comprendre le rôle de nos tribunaux fédéraux et dissipera tout doute quant à l'admissibilité de leurs juges à siéger à la Cour suprême du Canada, y compris en tant que membres de la cour provenant du Québec.
[Traduction]
Chers collègues, le gouvernement estime que la possibilité que les juges des cours fédérales puissent combler les postes vacants de la Cour suprême ne devrait pas être douteuse. Cette possibilité est confirmée par l'opinion juridique préparée par un ancien juge respecté de la Cour suprême, Ian Binnie, qui est lui-même appuyé par son ancienne collègue, l'honorable Louise Charron, ainsi que par un constitutionnaliste de renom, M. Peter Hogg.
Malgré tout, comme vous le savez certainement, monsieur le président, et chers collègues, malgré le poids de l'opinion de ces experts juridiques, certains continuent à mettre en doute la possibilité que des juges de la Cour fédérale puissent être nommés à la Cour suprême, en particulier en qualité de membres de la Cour représentant le Québec. Le gouvernement a décidé d'agir sur deux fronts pour résoudre le plus rapidement possible cette question essentielle.
Comme vous le savez, la question a été renvoyée à la Cour suprême du Canada pour qu'elle confirme, premièrement, le sens de la loi et deuxièmement, le pouvoir du Parlement d'adopter une disposition législative qui exige que la personne concernée soit ou ait été avocat pendant au moins 10 ans et membre du barreau d'une province pour pouvoir être nommée juge de la Cour suprême du Canada ou celui d'adopter les dispositions déclaratoires que vous examinez aujourd'hui.
Sur un autre front, celui de la Loi no 2 sur le plan d'action économique de 2013, nous avons pensé que cette loi offrait le moyen le plus rapide et le plus efficace d'introduire des dispositions déclaratoires et de veiller à ce qu'elles soient adoptées à temps pour être sûrs que les juges des cours fédérales puissent être choisis dans le cadre du processus consistant à combler les postes de la Cour suprême qui vont prochainement devenir vacants, situation qui va survenir en avril prochain.
Ces dispositions déclaratoires précisent — sans apporter de modifications substantielles au droit existant — que les personnes qui ont été membres pendant au moins 10 ans d'un barreau au Canada, y compris du Barreau du Québec, au cours de leur carrière, peuvent être nommées à la Cour suprême du Canada.
C'est une formulation très simple.
Monsieur le président, j'aimerais m'arrêter là pour un moment et souligner un aspect qui peut sembler un peu technique, mais qui revêt une importance essentielle pour l'étude des articles 471 et 472 du projet de loi qu'effectue le comité. Les dispositions introduites par ces articles diffèrent sur le plan de la qualité et par conséquent, sur celui de leurs effets des modifications législatives que le Parlement ou un comité comme le vôtre est généralement chargé d'examiner ou d'étudier. Ces dispositions sont de nature déclaratoire et à ce titre, elles ne modifient pas la Loi sur la Cour suprême comme le ferait une modification législative habituelle.
Normalement, les modifications législatives ont pour but d'édicter de nouvelles dispositions ou de modifier les dispositions existantes pour entraîner un résultat différent sur le fond de celui qu'auraient eu les dispositions qu'elles remplacent ou modifient. Les dispositions déclaratoires proposées ont, de par leur nature, pour but de préciser l'interprétation correcte de la loi, depuis l'époque où elle est entrée en vigueur.
Pour l'essentiel, c'est une formulation qui renforce le sens de cette loi de façon à en faciliter la compréhension.
[Français]
La Cour suprême du Canada a récemment expliqué l'impact des dispositions déclaratoires dans son arrêt de 2013 dans l'affaire Régie des rentes du Québec c. Canada Bread Company Ltd. La cour a déclaré ce qui suit:
L’interprétation imposée par une disposition déclaratoire remonte dans le temps jusqu’à la date d’entrée en vigueur du texte de loi qu’elle interprète, faisant en sorte que ce texte de loi est réputé avoir toujours inclus cette disposition. Cette interprétation est donc considérée comme ayant toujours été la loi [...]
[Traduction]
Conformément au but d'une disposition déclaratoire, les articles 471 et 472 du projet de loi confirment l'exigence fondamentale que les juges doivent respecter pour être nommés à la Cour suprême du Canada. Ces dispositions précisent que, selon leur formulation actuelle, ces articles autorisent en fait les juges de la Cour fédérale à combler les postes vacants des juges qui représentent le Québec à la Cour suprême du Canada, pourvu qu'au cours de leur carrière juridique, ils aient été membres du Barreau du Québec pendant au moins 10 ans. De cette façon, les membres anciens et actuels du Barreau du Québec seront traités de la même façon que les membres anciens et actuels de n'importe quelle autre province. Le but est donc d'assurer l'uniformité et l'égalité de tous les barreaux provinciaux.
Je devrais sans doute expliquer, monsieur le président, que la formulation de ces dispositions a évolué très légèrement au cours du siècle précédent dans le cadre de la révision et de la codification des lois dont font l'objet toutes les lois fédérales. Cependant, aucun changement substantiel ne leur a été apporté. Nous parlons ici de changements apportés après un temps considérable à des fins de clarification.
Les textes législatifs successifs qui ont donné ce pouvoir au Parlement ont précisé que les changements apportés au cours de ces opérations de révision n'avaient pas pour but d'apporter des changements de fond. La règle reflète un important principe. Compte tenu du rôle que joue le Parlement dans l'édiction des lois du Canada, il ne conviendrait pas que de simples mesures d'ordre administratif aient pour effet de modifier le droit.
Ce principe se retrouve dans les règles d'interprétation législative bien établies selon lesquelles les opérations habituelles de codification et de révision des lois n'entraînent pas de modifications législatives substantielles.
C'est ce dont nous parlons ici aujourd'hui. Il ne s'agit pas d'une modification substantielle, mais d'une déclaration qui a pour but de préciser le droit en vigueur.
[Français]
Monsieur le président, je tiens également à souligner que la nomination de juges des cours fédérales à la Cour suprême du Canada n'a rien de nouveau. M. le juge Marshall Rothstein, un membre actuel de la cour, était membre du Barreau du Manitoba avant d'être nommé à la Cour fédérale du Canada, à la Cour d'appel fédérale et, finalement, à la Cour suprême du Canada en 2006. Avant lui, les juges Frank Iacobucci et Gerald Eric Le Dain, tous deux membres du Barreau de l'Ontario, ont suivi le même parcours jusqu'à la Cour suprême.
[Traduction]
Personne ne devrait être surpris d'apprendre que dans le passé, des juges de la Cour fédérale aient été choisis pour pourvoir des postes vacants à la Cour suprême. Ce n'est pas une chose sans précédent.
L'expérience acquise à la Cour fédérale a plutôt pour effet de renforcer que celui d'affaiblir la vocation d'un avocat d'expérience à siéger à la Cour suprême du Canada. Je le mentionne parce que la Cour suprême entend régulièrement des appels des décisions des cours fédérales. Pour la seule année 2012, la Cour suprême a entendu 10 appels des décisions de la Cour d'appel fédérale, contre 15 de la Cour d'appel du Québec, une juridiction comprenant beaucoup plus de juges.
Comme je l'ai mentionné au départ, monsieur le président, il a été affirmé en particulier que les juges de la Cour fédérale ne devraient pas être nommés à la Cour suprême, compte tenu de l'exigence prévue à l'article 6 de la Loi sur la Cour suprême selon laquelle trois des neuf juges de la Cour suprême doivent être nommés parmi les avocats du Québec.
L'argument est que, étant donné que le Québec est une province de droit civil où s'applique le Code civil du Québec, seules les personnes qui pratiquent le droit au Québec au moment de leur nomination ou qui siègent à la Cour supérieure du Québec possèdent les qualités nécessaires. Monsieur le président, il est facile de démontrer que cet argument n'est pas fondé, notamment parce qu'il reflète une incompréhension fondamentale de la nature du travail qu'effectuent les juridictions fédérales.
Je m'explique. Les juges de la Cour fédérale entendent des affaires qui touchent des domaines du droit très vastes et très divers et, avec le principe du bijuridisme, ils sont appelés à appliquer régulièrement le droit fédéral conformément aux règles et principes juridiques en vigueur dans la province d'origine de l'affaire.
Pour les affaires qui viennent du Québec, cela veut dire que les juges de tribunaux, comme la Cour d'appel fédérale, interprètent couramment le Code civil du Québec pour trancher des questions qui se posent dans des domaines du droit complexes et divers, comme le droit fiscal, le droit d'auteur et la faillite. C'est la raison pour laquelle, tout comme la Loi sur la Cour suprême, la Loi sur la Cour fédérale exige qu'il y ait, parmi les juges de la Cour fédérale et de la Cour d'appel fédérale, un nombre minimum de juges qui ont été autrefois membres du Barreau du Québec. Il y en a 10 qui siègent à la Cour fédérale et cinq à la Cour d'appel fédérale. Pour l'essentiel, c'est le même genre de composition. Il est obligatoire que certains membres de la Cour fédérale et de la Cour d'appel fédérale soient originaires du Québec.
Cette exigence légale a en réalité le même but que celle de l'article 6 de la Loi sur la Cour suprême. Il s'agit de veiller à ce que ces tribunaux possèdent la capacité bijuridique nécessaire pour trancher les questions qui se posent aussi bien dans le système de droit civil que dans le système de common law, ce qui caractérise notre système d'administration de la justice. Exclure les éminents juristes québécois qui ont été nommés à la Cour fédérale pour répondre à une telle exigence en vue de leur nomination à la Cour suprême du Canada et en vue de remplir une exigence essentiellement semblable, n'aurait bien évidemment aucun sens. Cela ne pourrait, en réalité, qu'affaiblir, d'après moi, la garantie que fournit l'article 6 de la Loi sur la Cour suprême.
[Français]
En outre, l'honorable Robert Décary, ancien juge de la Cour d'appel fédérale, a observé récemment, dans l'édition de La Presse du 25 octobre 2013, qu'en suggérant que les juges des cours fédérales formés en droit civil n'ont pas le niveau d'expertise civiliste requis par l'article 6, on ne tient pas compte du caractère de plus en plus interdépendant du droit québécois, canadien et international. En parlant du Québec, il dit ceci:
[...] Son droit civil s'est inscrit dans la mouvance mondiale. Il emprunte de la common law tout comme il prête à celle-ci.
Quel avocat, au Québec, quel juge peut prétendre aujourd'hui vivre uniquement du droit civil classique? Le divorce est une loi fédérale. Notre droit administratif, notre droit criminel, notre droit pénal sont d'inspiration anglo-saxonne. Le droit commercial est un droit de plus en plus international. Les droits de la personne sont des droits mondiaux.
[Traduction]
En outre, monsieur le président, et je vais m'arrêter ici, adopter une interprétation restrictive de l'article 6 de la Loi sur la Cour suprême aurait pour effet d'empêcher non seulement les juges de la Cour fédérale, mais également de nombreux autres candidats d'être nommés à la Cour suprême du Canada. Par exemple, les juges de la Cour du Québec seraient exclus, étant donné qu'ils ne sont ni des juges de la Cour supérieure ni de la Cour d'appel, et qu'ils ne sont pas non plus actuellement des avocats. Une telle interprétation restrictive entraînerait un résultat absurde qui a été souligné par d'autres experts constitutionnels. Je crois que vous allez entendre un peu plus tard le professeur Benoît Pelletier. Voici ce qu'il a déclaré le 23 octobre au cours d'une entrevue diffusée par Radio-Canada :
[Français]
L'interprétation qui, je crois, prévaut, ou devrait prévaloir, lorsqu'on regarde la disposition selon son esprit, c'est qu'il suffit d'avoir été membre du barreau pendant 10 ans, mais on peut ne plus l'être aujourd'hui.
[Traduction]
Monsieur le président, en proposant cette mesure législative et en renvoyant parallèlement cette question à la Cour suprême du Canada, notre gouvernement défend l'admissibilité des membres des barreaux de toutes les provinces et territoires à siéger à la plus haute juridiction du pays. Les membres du Barreau du Québec devraient être, et sont selon le droit, traités de la même façon que les avocats des autres provinces et territoires du Canada.
Notre gouvernement espère que ces questions vont être résolues rapidement et définitivement pour que les juristes éminents qui siègent dans les tribunaux fédéraux du Canada continuent à pouvoir être nommés à la Cour suprême. Cela permettra ainsi à cette juridiction de poursuivre la longue tradition d'indépendance et d'excellence qui a fait l'envie tant des démocraties développées que des démocraties en développement.
Monsieur le président, je vous remercie pour votre indulgence.
Je serais bien sûr très heureux de répondre à vos questions.
:
Merci, monsieur le président.
Mesdames et messieurs les députés, je vous remercie de me recevoir aujourd'hui.
J'aimerais d'abord mentionner que, sur le plan juridique et constitutionnel, je suis convaincu que les articles 5 et 6 de la Loi sur la Cour suprême doivent être lus en conjonction, c'est-à-dire qu'ils doivent être lus l'un par rapport à l'autre, en corrélation l'un avec l'autre. Par ailleurs, je suis convaincu qu'on doit tenir compte des deux versions, c'est-à-dire de la version anglaise et de la version française, tant de l'article 5 que de l'article 6. Évidemment, je parle ici des articles de Loi sur la Cour suprême.
Sur un plan grammatical, je note que l'article 5 parle des juges qui doivent être choisis « parmi les avocats inscrits pendant au moins dix ans au barreau d'une province ». Le mot « inscrits » peut être interprété de deux façons: soit comme signifiant les avocats inscrits en ce moment au barreau d'une province, soit comme signifiant les avocats qui ont déjà été inscrits au barreau d'une province. En soi, le mot « inscrits » tel qu'il est rédigé peut donc prendre l'un ou l'autre sens. Il peut soit signifier la situation actuelle ou la forme actuelle, soit signifier une forme passée ou une situation passée.
Par ailleurs, je note que la version française de l'article 5 utilise le mot « pendant ». On dit que les juges doivent être choisis « parmi les avocats inscrits pendant au moins dix ans au barreau d'une province ». On ne dit pas « depuis au moins dix ans ». Si on avait dit « depuis au moins dix ans », forcément, cela aurait voulu dire qu'il fallait que les avocats soient nommés parmi les membres actuels du Barreau du Québec.
Le fait qu'on utilise le mot « inscrits », qui, comme je l'ai indiqué à l'instant, peut avoir deux significations, soit l'une actuelle et l'autre passée, et qu'on utilise également le mot « pendant » révèle, à mon avis, que le législateur souhaitait que, parmi les juges choisis, il y en ait qui aient déjà été membres du barreau d'une province pendant dix ans, bien qu'ils ne le soient plus au moment de leur nomination, tout autant que le législateur souhaitait nommer des juges parmi les gens qui sont membres du barreau d'une province au moment même de leur nomination.
Lorsqu'on lit les articles 5 et 6 en conjonction et qu'on combine les deux, cela nous donne le résultat suivant, en français. Trois juges doivent être choisis parmi les juges actuels ou anciens de la Cour supérieure du Québec ou de la Cour d'appel du Québec ou parmi les avocats inscrits pendant au moins dix ans au Barreau du Québec. Cela tient compte de cette double signification que j'ai dit que le mot « inscrits » pouvait prendre et du sens que le mot « pendant » peut prendre dans le contexte grammatical qui est ici le nôtre.
En anglais, la conjonction des articles 5 et 6 de la Loi sur la Cour suprême nous donne le résultat suivant.
[Traduction]
Trois des juges sont choisis parmi les juges de la Cour d'appel ou de la Cour supérieure de la province de Québec ou parmi les avocats de celle-ci.
[Français]
Donc, lorsqu'on combine les articles 5 et 6 et qu'on essaie d'en dégager un texte unique, c'est le résultat que cela donne. C'est ce que je viens de vous lire. La version anglaise laisse beaucoup plus de flexibilité. Elle laisse entendre que quelqu'un qui a déjà été membre du Barreau du Québec pendant dix ans peut être nommé juge à la Cour suprême, bien que cette personne ne soit plus membre du Barreau au moment de sa nomination.
La première partie de mon analyse était davantage littérale ou grammaticale. En ce qui concerne l'esprit de la disposition, il me semble clair que jamais le législateur n'a pu vouloir priver la Cour suprême du talent, de la compétence et des connaissances des juges de la Cour fédérale et de la Cour d'appel fédérale, pas plus qu'il n'a pu vouloir, dans le passé, priver la Cour suprême des connaissances, du talent et de la compétence des juges de l'ancienne Cour de l'Échiquier du Canada. Il me semble que, selon l'esprit de la disposition, le législateur ne voulait pas exclure les membres de ce qui était à l'époque la Cour de l'Échiquier du Canada et qui allait devenir, par la suite, la Cour fédérale et la Cour d'appel fédérale.
Par ailleurs, je mentionnerai que selon l'esprit de la disposition, il était important qu'au moins trois juges de la Cour suprême du Canada aient eu une formation de civilistes. De là provient l'idée d'avoir des juges ayant siégé à la Cour supérieure du Québec ou à la Cour d'appel du Québec ou des membres du Barreau du Québec. On voulait qu'il y ait au moins trois juges civilistes à la Cour suprême, parce que des causes en matière civile s'y présentent parfois. À ce moment, cinq juges de la Cour suprême peuvent trancher la question, dont les trois membres civilistes. Ces derniers forment alors la majorité au banc de la cour.
La Cour suprême du Canada, en sa qualité de tribunal général d'appel comme il en est fait mention à l'article 101 de la Loi constitutionnelle de 1867, entend des causes en matière civile. Il était donc forcément souhaitable qu'elle compte au moins trois juges ayant reçu une formation civiliste suffisamment solide pour lui permettre d'entendre des causes provenant du Québec en matière de droit civil. Ainsi, la cour pourrait juger ces cas sur la base de cinq juges, plutôt que sur la base de neuf juges, donnant ainsi la majorité aux trois juges ayant eu une formation civiliste.
Monsieur le président, je sais que nous disposons d'un temps limité. Par ailleurs, il y aura un échange avec les membres du comité dans un instant. Je terminerai donc en mentionnant qu'on ne peut pas non plus interpréter ces dispositions comme exigeant que seuls soient nommés à la Cour suprême des gens qui ont eu une pratique civiliste et qui ont encore une pratique civiliste. L'idée est de nommer à la Cour suprême des gens qui ont eu une formation civiliste. Par ailleurs, si nous ne nommions à la Cour suprême que des gens qui ont eu une pratique constante en matière de droit civil, nous ne pourrions nommer à la Cour suprême ni des criminalistes, ni des spécialistes en droit commercial, ni des spécialistes en droit maritime, ni même des constitutionnalistes, ce qui serait terrible.
En fait, il faut rechercher cette formation civiliste, ce rattachement au Québec pendant au moins une dizaine d'années en tant que membre du Barreau du Québec ou en tant que juge de la Cour supérieure du Québec ou de la Cour d'appel du Québec. Cependant, interpréter ces dispositions comme excluant d'une nomination à la Cour suprême les juges de la Cour fédérale ou de la Cour d'appel fédérale va, à mon avis, beaucoup trop loin.
Cela veut dire que les dispositions peuvent être interprétées, comme je viens de l'indiquer, par la Cour suprême du Canada dans le contexte du renvoi qui lui est soumis, et, à mon avis, les ajouts que le gouvernement du Canada se propose d'apporter à la Loi sur la Cour suprême ne sont pas nécessaires.
Je crois que la Cour suprême du Canada peut, sur le plan grammatical comme sur le plan téléologique, dans le sens de la finalité et de l'esprit de la disposition, interpréter les articles 5 et 6 comme permettant la nomination de juges de la Cour fédérale ou de la Cour d'appel fédérale à la Cour suprême du Canada. Ces dispositions déclaratoires ne sont donc pas nécessaires. Est-ce souhaitable à titre de mesures additionnelles de prudence? Cela pourrait faire partie de la discussion que j'aurai avec vous dans un instant.
:
Monsieur le président, mesdames et messieurs les députés, je tiens à vous remercier de m'avoir invité à témoigner devant vous aujourd'hui au sujet des articles 471 et 472 du projet de loi .
Afin de respecter le temps qui m'est alloué, je vais d'abord examiner la portée des modifications proposées pour ensuite discuter brièvement des motifs pour lesquels une modification des articles 5 et 6 de la Loi sur la Cour suprême ne peut pas être envisagée sur une base simplement législative.
Le 22 octobre dernier, le ministre de la Justice du Canada a déposé des modifications de portée déclaratoire à la Loi sur la Cour suprême. Selon ces dernières, les avocats ayant été membres d'un barreau pendant plus de 10 ans peuvent être nommés à la Cour suprême du Canada. Pour ce qui est du Québec, les avocats ayant été membres du Barreau du Québec pendant plus de 10 ans peuvent aussi être nommés à la Cour suprême. Il convient de préciser qu'il ne s'agit pas là d'une modification formelle des articles 5 et 6 de la Loi sur la Cour suprême, mais bien d'une déclaration du gouvernement du Canada qui deviendra celle du Parlement du Canada si le projet de loi est adopté, en ce qui a trait à la façon d'interpréter ces deux articles.
Comme l'explique le professeur Pierre-André Côté, il arrive à l'occasion que le législateur adopte des lois ayant une portée déclaratoire. À ce sujet, il dit ce qui suit:
La Constitution ne s’oppose pas formellement à ce que le législateur exerce, à l’occasion, le pouvoir d’interpréter ses propres lois, pouvoir normalement dévolu à l’ordre judiciaire. On qualifie de déclaratoires (ou d’interprétatives, dans la tradition du droit civil) les lois ayant pour objet « de dissiper les doutes qui existent quant à la common law ou quant au sens ou à la portée d’une loi quelconque ».
Il importe par ailleurs de préciser qu'une loi ayant une portée déclaratoire s'applique de façon rétroactive. La Cour Suprême du Canada s'est d'ailleurs prononcée récemment sur la portée des dispositions déclaratoires dans l'arrêt relatif à l'affaire Régie des rentes du Québec c. Canada Bread Company Ltd., en 2013. Le juge Wagner, qui provient du Québec, a écrit ce qui suit au nom de la majorité:
Le droit canadien reconnaît qu’il entre dans la prérogative du législateur de jouer un rôle judiciaire et de déterminer par une loi déclaratoire l’interprétation que doivent recevoir ses lois [...]
Lorsqu’il adopte une loi déclaratoire, le législateur joue le rôle d’un juge et dicte l’interprétation à donner à ses propres lois [...] Pour cette raison, les dispositions déclaratoires relèvent davantage de la jurisprudence que de la législation. Elles s’apparentent à des précédents ayant force obligatoire, telles les décisions judiciaires [...] Elles peuvent infirmer une décision judiciaire de la même façon qu’un arrêt de notre Cour prévaut sur la jurisprudence de juridictions inférieures sur un point de droit donné.
Il est tout aussi reconnu en droit que les dispositions déclaratoires ont un effet immédiat sur les affaires pendantes et qu’elles font donc exception à la règle générale du caractère prospectif de la loi. L’interprétation imposée par une disposition déclaratoire remonte dans le temps jusqu’à la date d’entrée en vigueur du texte de loi qu’elle interprète, faisant en sorte que ce texte de loi est réputé avoir toujours inclus cette disposition. Cette interprétation est donc considérée comme ayant toujours été la loi [...]
La juge en chef McLachlin, dissidente avec le juge Fish, mais pas sur cette question, dans le même arrêt, précise l'effet des dispositions déclaratoires. Elle affirme ce qui suit:
Comme mon collègue le juge Wagner, je suis d’avis que le législateur a le pouvoir d’édicter des dispositions déclaratoires de portée rétroactive et que de telles dispositions s’appliquent à toutes les affaires pendantes.
J'estime donc, avec égard pour l'opinion contraire, que le Parlement a tout à fait le droit d'adopter des dispositions déclaratoires. À cet égard, les articles 471 et 472 du projet de loi me semblent tout à fait valides.
La seconde question que j'aimerais aborder est la modification des articles 5 et 6 de la Loi sur la Cour suprême, mais surtout celle de l'article 6.
Cet article a été modifié sept fois depuis 1875, essentiellement pour des questions de forme, sauf pour la modification de 1949, laquelle augmentait à trois le nombre de juges provenant du Québec. Lors de la dernière modification, en 1985, au moment de la refonte des lois de 1985 où il s'agissait essentiellement de modifications de forme, on a ajouté les mots « Cour d'appel » en remplacement de « Cour du Banc de la Reine ». Je veux attirer votre attention sur deux tentatives de modification substantielle qui ont été tentées en 1987 et en 1992, mais sans succès.
C'est à l'occasion de l'accord du lac Meech, en 1987, qu'une modification de la Loi constitutionnelle de 1867 est proposée afin d'y enchâsser les articles 5 et 6 de la Loi sur la Cour suprême en y ajoutant une mention concernant les territoires et les tribunaux fédéraux. Le nouvel article 101B prévoyait ceci, au paragraphe (1):
Les juges sont choisis parmi les personnes qui, après avoir été admises au barreau d'une province ou d'un territoire, ont, pendant au moins dix ans au total, été juges de n'importe quel tribunal du pays ou inscrites au barreau de n'importe quelle province ou de n'importe quel territoire.
Le paragraphe (2) prévoyait ceci:
Au moins trois des juges sont choisis parmi les personnes qui, après avoir été admises au barreau du Québec, ont, pendant au moins dix ans au total, été inscrites à ce barreau ou juges d'un tribunal du Québec ou d'un tribunal créé par le Parlement du Canada.
Cette modification constitutionnelle avait l'avantage de clarifier la situation des juges des tribunaux fédéraux. Elle signifiait également que le législateur ou le constituant en matière constitutionnelle n'avait pas l'intention d'exclure les juges des territoires et des tribunaux fédéraux d'une nomination à la Cour suprême. Malheureusement, cette disposition n'est jamais entrée en vigueur, puisque l'accord du lac Meech n'a pas été dûment ratifié, dans les délais requis, par les assemblées législatives de Terre-Neuve et du Manitoba.
La même disposition a été reprise dans l'accord de Charlottetown, mais sans succès, cette fois-ci en raison du refus des Canadiens et des Québécois qui se sont exprimés par référendum en octobre 1992.
Néanmoins, ces tentatives de modification constitutionnelle nous permettent de tirer deux conclusions au sujet de l'article 6 de la Loi sur la Cour suprême.
Premièrement, il n'est pas farfelu de penser qu'il s'agit d'une disposition de nature constitutionnelle. Nous devons cependant souligner, à cet égard, que la doctrine est divisée. En effet, les professeurs Peter Hogg et Benoît Pelletier, mon collègue, estiment que la composition de la Cour suprême du Canada peut être modifiée par voie législative par le Parlement du Canada, essentiellement parce que la Loi sur la Cour suprême n'est pas mentionnée dans l'annexe à laquelle renvoie l'article 52 de la Loi constitutionnelle de 1982.
Les professeurs Brun, Tremblay et Brouillet, dans leur ouvrage Droit constitutionnel, sont plutôt d'avis que la composition de la Cour suprême, y compris sa composante civiliste, est constitutionnellement protégée. C'est aussi l'opinion du professeur Monahan et de l'avocat Warren Newman, du gouvernement du Canada, mais qui s'exprimait à titre personnel dans un article de doctrine publié il y a quelques années. Me Newman arrivait à la conclusion que la composante civiliste de la Cour suprême était protégée et qu'une modification de l'article 6 de la Loi sur la Cour suprême requérait le consentement des 10 assemblées législatives provinciales ainsi que du gouvernement du Canada.
Par conséquent, je suis d'avis qu'il est correct de conclure que des juges des cours fédérales pourraient être nommés à la Cour suprême du Canada. Cela nous semble être une interprétation correcte, que ce soit d'une façon téléologique, comme l'a exprimé mon collègue Benoît Pelletier, ou de façon large, comme on doit interpréter une disposition de nature constitutionnelle.
C'est avec plaisir que je vais répondre à vos questions à cet égard dans les prochaines minutes.
Merci.
:
Merci, mesdames et messieurs les députés.
Ma présentation couvrira essentiellement deux catégories d'enjeux. Il y a tout d'abord les enjeux de nature interprétative. Pour cet aspect, je vais examiner le sens de la loi avant l'adoption du projet de loi qui est discuté, ainsi que le sens possible de la loi après l'hypothétique adoption du projet de loi. Je vais ensuite examiner les enjeux constitutionnels qui peuvent être soulevés par cette proposition. Je couvrirai deux aspects. Le premier est la possibilité que le projet de loi discuté ici constitue une modification à ce que l'article 41 de la Loi constitutionnelle de 1982 appelle la composition de la Cour suprême. Le deuxième est la possibilité que le fait que la modification proposée à la Loi sur la Cour suprême se trouve dans un projet de loi de nature budgétaire constitue une atteinte au principe constitutionnalisé de parlementarisme démocratique reconnu par la Cour suprême dans l'affaire New Brunswick Broadcasting Co. c. Nouvelle-Écosse (Président de l'Assemblée législative).
Au cas où je manquerais de temps, je vais vous faire part de mes trois recommandations tout de suite, avant de commencer mon analyse.
Ma première recommandation est de procéder, sous réserve de mes deuxième et troisième recommandations, de manière plus expresse relativement à cette disposition afin d'énoncer plus clairement le caractère déclaratoire de ces dispositions. La raison essentielle de cette recommandation est qu'une loi ou une disposition déclaratoire est possible, mais elle ne se présume pas. Les tribunaux exigent une très grande clarté quand on a recours à une disposition déclaratoire. Il faudrait, par exemple, un énoncé du genre « ceci est une disposition déclaratoire », ou l'usage du passé et du présent dans une phrase comme « ceci a été et demeure le cas ».
Ma deuxième recommandation est la suivante. Puisqu'il est possible que les modifications proposées soient visées par l'article 41 de la Loi constitutionnelle de 1982, ce qui implique que le consentement des provinces pourrait être requis, il serait plus sage, avant de procéder, d'obtenir l'assentiment des provinces. Si la disposition n'est pas visée par l'article 41, cela ne pose aucun problème. Par contre, si elle était visée et qu'elle était inconstitutionnelle, il y aurait un risque important de voir un juge nommé à la Cour suprême en vertu de procédures inconstitutionnelles, et on ne sait pas exactement comment on pourrait procéder par la suite. On ne pourrait pas destituer un juge, car il ne s'agirait pas de mauvaise conduite.
Ma troisième recommandation est la suivante. Dans la mesure où les dispositions visées se trouvent dans le projet de loi budgétaire, il existe un risque que la Cour suprême doive se pencher sur la procédure utilisée pour adopter les dispositions déclaratoires lors du renvoi sur la nomination du juge Nadon. Puisqu'il est possible que la Cour suprême ait à se prononcer sur la validité constitutionnelle de la procédure d'inclure des dispositions disparates dans une même loi, et qu'il est possible que la Cour suprême déclare ces dispositions invalides, il serait sage d'adopter les dispositions visées dans un instrument législatif distinct.
Passons directement aux enjeux interprétatifs. Je ne consacrerai pas énormément de temps à l'article 5. Je partage l'interprétation de l'honorable juge Binnie, qui a été mon mentor et dont j'ai été le clerc en 1999. J'ai donc beaucoup de respect pour son opinion. Par ailleurs, mon opinion sur l'article 6 est différente de la sienne.
J'aimerais simplement noter un fait sur l'article 5 qui n'a pas été discuté. Il existe cette présomption en droit que le législateur ne parle pas pour ne rien dire. Comme députés, vous connaissez très bien le fondement de ce principe. Or, à la lecture de l'article 5, on pourrait penser que pour être nommé, il faut avoir été soit juge à la Cour supérieur, soit juge à la Cour d'appel, soit membre du barreau d'une province pendant 10 ans.
Il semblerait redondant de mentionner qu'il faut avoir été juge à la Cour supérieure et à la Cour d'appel, si le fait d'avoir été membre du barreau pendant 10 ans est un critère nécessaire pour être membre de la Cour supérieure et de la Cour d'appel. Or, l'exigence d'avoir été membre du barreau pendant 10 ans pour être nommé à la Cour supérieure et à la Cour fédérale apparaît uniquement en 1912, soit près de 40 ans après l'adoption de la Loi sur la Cour suprême, qui, à l'origine, prévoyait une exigence de 10 ans. Il y avait un sens tout à fait logique à cette exigence. À l'époque, lorsqu'on a adopté l'ancêtre de l'article 5, qui exigeait d'être membre du barreau depuis au moins 10 ans, vous pouviez être un juge à la Cour supérieure qui n'avait pas 10 ans d'expérience au barreau. Ce n'était donc pas redondant.
Concernant l'article 6, le nom de la rubrique est un autre élément qui est souvent passé sous silence. L'article 6 ne vise pas la représentation de juges civilistes. Le nom officiel de la disposition est « Représentation du Québec ». Il faut savoir que l'article 6 n'établit pas un nombre maximum de juges du Québec. Il vient plutôt qualifier l'article 5, c'est-à-dire que pour pouvoir être qualifié en vertu de l'article 6, intitulé « Représentation du Québec », il faut d'abord avoir été qualifié en vertu de l'article 5. Donc, ce n'est pas un maximum de trois juges de tradition civiliste. Rappelons-nous que, dans les années 2000, il y avait cinq juges à la Cour suprême qui avaient une formation civiliste. Les juges Arbour et Bastarache, tous deux des diplômés de la même promotion de l'Université de Montréal, avaient une formation de civiliste et ils n'étaient pas du Québec.
En fait, l'article 6 vise une représentation du Québec. Le critère juridique sur lequel les juges devraient se pencher pour la qualification requiert l'examen de compétences particulières. Par exemple, la personne a étudié le droit civil, mais connaît-elle suffisamment le droit civil pour se qualifier? C'est un critère très difficile à respecter. On arrive à des règles claires, fixes et objectives. La règle claire, fixe et objective qui a été adoptée ici, c'est qu'il faut être membre du Barreau du Québec, membre de la Cour supérieure de la province ou membre de la Cour d'appel du Québec.
Cela ne fait pas en sorte qu'un juge de la Cour d'appel fédérale provenant du Québec, par exemple, pourrait être nommé à la Cour suprême, sauf qu'en vertu de l'article 6, il ne pourrait pas compter comme étant un juge.
Bref, peu importe l'interprétation qu'on donnera à l'article 6, il reste un risque. Il y a une controverse, comme le ministre l'a mentionné. Par conséquent, l'adoption d'une disposition déclaratoire pourrait régler ce problème. Une disposition déclaratoire est distincte d'une disposition dite interprétative. Une disposition dite interprétative n'a qu'une force prospective, alors que la disposition déclaratoire a une force rétroactive, où il n'y a pas de présomption qu'une disposition est déclaratoire. C'est pourquoi je vous invite à clarifier l'aspect déclaratoire de la disposition.
À la période des questions, je pourrai revenir sur les enjeux touchant la possibilité du Parlement de modifier unilatéralement la Loi sur la Cour suprême en ce qui a trait à la composition de la Cour. Je serai heureux de parler plus en détail des enjeux constitutionnels qu'avait soulevés dans un degré moindre mon collègue Adam Dodek, lors de son témoignage. À mon avis, il a soulevé des problèmes constitutionnels plus graves que ce qu'il avait laissé entendre lors de sa présentation.
Je vous remercie.