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Merci, monsieur le président.
Chers collègues, je suis accompagné aujourd'hui de Donald Piragoff, le sous-ministre adjoint principal au ministère de la Justice, et de Nathalie Levman, que je décrirais comme une spécialiste de cette mesure législative. Elle a joué un très grand rôle tant pour la rédaction que pour la préparation du projet de loi dont vous êtes saisis, le projet de loi .
Monsieur le président, je tiens d'abord à vous remercier et remercier les membres du comité d'avoir décidé d'entreprendre cette étude importante au cours de l'été. Je pense que cette décision et en particulier le travail qui sera accompli dans les prochains jours témoignent de la volonté du Parlement et du comité de proposer une mesure législative importante.
[Français]
Je remercie chaleureusement le comité d'avoir décidé de siéger exceptionnellement en juillet pour procéder à l'étude du projet de loi et de la réponse du gouvernement à la décision rendue par la Cour suprême du Canada dans l'affaire Bedford, dans laquelle la cour a conclu à l'inconstitutionnalité de trois infractions relatives à la prostitution. Comme vous le savez, la cour a donné aux législateurs une année pour donner suite à sa décision.
[Traduction]
Monsieur le président, chers collègues, jusqu'à maintenant, le gouvernement a utilisé à bon escient le temps qui lui est accordé. Je souligne que six mois se sont écoulés depuis que la décision a été rendue dans l'affaire Bedford. Nous avons entrepris une consultation en ligne, qui est maintenant terminée; le processus nous a permis d'obtenir plus de 31 000 réponses. Nous avons aussi tenu des discussions en table ronde pour obtenir un vaste éventail de commentaires, tant de ceux qui préconisent la légalisation et de ceux qui prônent la criminalisation complète que des personnes qui se livrent à la prostitution.
Ensuite, nous avons entrepris un processus de rédaction en tenant compte des commentaires de ces acteurs et de ceux obtenus lors de consultations menées à l'échelle fédérale, provinciale et territoriale et de consultations auprès d'autres intervenants, de la décision Bedford elle-même et de la recherche.
Le temps presse, monsieur le président. Comme vous le savez, nous sommes dans un processus législatif — auquel vous participez — et nous avons hâte d'entendre les points de vue de ceux qui comparaîtront devant le comité. Fait important, en l'absence d'une réponse législative dans l'année, la plupart des activités liées à la prostitution entre adultes seront décriminalisées.
Pour le gouvernement, ne rien faire n'a jamais été une option. Le gouvernement n'accepte pas l'idée selon laquelle la prostitution est inévitable et qu'il faut par conséquent la décriminaliser et la réglementer. Ce n'est pas notre position. Au contraire, le gouvernement est d'avis qu'un régime qui perpétue et tolère l'exploitation des personnes vulnérables par la légalisation de la prostitution ne ferait qu'aggraver les préjudices et les dangers inhérents à la prostitution.
Par conséquent, le projet de loi ne vise pas à permettre ou faciliter la prostitution. Il vise au contraire à réduire la demande de prostitution en vue de décourager quiconque de s'y livrer et d'y participer et, ultimement, de l'éliminer autant que possible.
Monsieur le président, vous savez peut-être que plusieurs autres pays — la France, la Norvège, la Suède, le Danemark et le Royaume-Uni, notamment — ont adopté des approches similaires ou les étudient activement. Nous savons aussi qu'il existe très souvent des problèmes connexes qui influencent et touchent les personnes vulnérables, comme la violence, la toxicomanie et l'exploitation. De plus, la question du trafic humain est bien entendu très souvent associée à la prostitution.
D'entrée de jeu, permettez-moi de dire clairement que le projet de loi constitue un changement fondamental: il s'agit d'une reconnaissance de la prostitution en tant que forme d'exploitation sexuelle ayant un effet préjudiciable et disproportionné sur les personnes et les groupes marginalisés. Dans le projet de loi C-36, on reconnaît que la prostitution fait beaucoup de victimes, et dans la plupart des cas, ce sont sans doute des personnes vulnérables. Les personnes qui vendent leurs propres services sexuels sont les principales victimes de la prostitution. Toutefois, la prostitution victimise aussi les gens des collectivités dans lesquelles elle a lieu, y compris les enfants qui pourraient y être exposés, et certainement la société elle-même en raison de la normalisation de l'inégalité des sexes inhérente à la prostitution ainsi que de la réduction des personnes à des objets et des marchandises.
[Français]
En ce qui a trait à la demande de prostitution, la pierre angulaire de la nouvelle approche du projet de loi est de réduire cette demande en criminalisant l'achat de services sexuels. La nouvelle infraction relative à l'achat de services sexuels se fonde sur l'infraction actuelle qui interdit à quiconque d'obtenir, moyennant rétribution, les services sexuels d'une personne âgée de moins de 18 ans.
[Traduction]
En conséquence, la jurisprudence portant sur l’interprétation de cette infraction aide à définir la portée de la nouvelle infraction sur l’achat de services, tout comme la jurisprudence portant sur l’interprétation de la signification du terme « prostitution », que l’on définit comme l’échange de services sexuels moyennant rétribution. Le tribunal cherchera à déterminer s’il s’agit de services de nature sexuelle et si ces services visent la satisfaction des besoins sexuels de la personne qui les reçoit.
Monsieur le président, la jurisprudence est claire. Toutefois, cela ne comprend pas les actes liés à la production de matériel pornographique ou à la danse exotique; en fin de compte, il revient au tribunal de déterminer, en fonction des faits, si un acte précis constitue un service sexuel moyennant rétribution. Autrement dit, cette interprétation sera faite à la pièce par les tribunaux.
En guise de complément à l’infraction concernant l’achat de services sexuels, le projet de loi propose également de criminaliser la publicité de services sexuels et d’autoriser la saisie de matériel ou le retrait de la publicité pour des services sexuels. La prostitution, la vente de services sexuels, est alimentée par la demande, et la publicité contribue à cette demande. Je souligne que l’on s’éloigne d’autres modèles, ce qui fait un modèle propre au Canada.
Le projet de loi vise également à continuer de dénoncer et d'interdire l’exploitation des personnes se livrant à la prostitution par une tierce partie, ce que l’on appelle communément le proxénétisme. Cela comprend l’institutionnalisation de la prostitution par l’intermédiaire d’entreprises commerciales — les bars de danseuses, les salons de massage et les agences d’escortes — dans lesquelles la prostitution a souvent lieu. Toutes ces entreprises tirent profit de la demande créée par les acheteurs.
[Français]
Le projet de loi atteindrait ces objectifs au moyen de l'infraction visant à interdire à quiconque de bénéficier d'un avantage matériel provenant de la prostitution d'autrui, ainsi que de l'infraction de proxénétisme.
L'infraction relative à l'avantage matériel criminaliserait le fait pour quiconque de bénéficier d'un avantage matériel, notamment pécuniaire, qui provient ou a été obtenu au moyen de la perpétration de l'infraction relative à l'achat de services sexuels. Cette infraction remplacerait l'infraction de proxénétisme, qui a été jugée inconstitutionnelle dans la décision rendue dans l'affaire Bedford.
[Traduction]
Le projet de loi permettrait aux personnes qui vendent leurs propres services sexuels d’entretenir avec autrui des relations au même titre que n’importe qui d’autre. Il y a ici un lien avec les dangers inhérents à la prostitution. Pour ce faire, le projet de loi comporterait des exceptions législatives à l’infraction sur l’avantage matériel qui s’appliquerait à des relations non exploitantes, l’expression clé étant « relations non exploitantes ».
Par exemple, l’infraction sur l’avantage matériel ne s’appliquerait pas aux enfants, aux conjoints ou aux colocataires des personnes qui vendent leurs propres services sexuels; aux personnes dont les activités sont légitimes, tels que les comptables, les propriétaires, les chauffeurs de taxi, les pharmaciens ou les personnes qui travaillent pour des entreprises de sécurité; ou encore aux personnes qui offrent des biens ou des services de façon informelle, comme quelqu’un qui offre des services de garde d’enfants. Donc, ce dont il est question, ce sont des services auxquels tous les Canadiens auraient facilement accès.
Monsieur le président, cette approche est une reconnaissance que les objectifs de la dissuasion et, à terme, de l’élimination de la prostitution prendront un certain temps et que certaines personnes pourraient continuer de s’y livrer. Par conséquent, le projet de loi permettrait aux personnes qui continuent à se livrer à la prostitution de mettre en place certaines mesures de sécurité. Toutefois, le projet de loi reconnaît également les risques inhérents associés au fait de permettre l’obtention d’un avantage économique de la prostitution d’autrui ou de ne pas l’interdire, ce qui entraîne si souvent à l’adoption de pratiques abusives afin de maximiser les profits.
Je m'arrête brièvement pour souligner que si la nature de la relation non exploitante évolue à un moment ou un autre, si quelqu’un qui aide une personne se livrant à la prostitution sans toutefois en tirer un avantage matériel — comme dans certains des exemples que je vous ai donnés — commence soudainement à être violent et à exploiter la personne se livrant à la prostitution, l’immunité pénale disparaît. Donc, cela dépend fortement de la nature de la relation.
Monsieur le président, comme je l’ai mentionné, l’approche adoptée dans le projet de loi est une reconnaissance des risques inhérents. Si une personne dont la situation correspond à l’une des exceptions législatives commençait à exploiter une personne, en ayant recours à la violence ou en abusant d’une position de confiance, par exemple, ces exceptions ne s’appliqueraient plus et elle serait sujette à des accusations en vertu de l’infraction sur l’avantage matériel. L’infraction proposée concernant le proxénétisme serait liée à la participation active dans la prostitution d’autrui, soit le fait d'entraîner une autre personne dans la prostitution, de l'inciter à s'y livrer, ou d’exercer des pressions quelconques en ce sens. Je souligne que cela concorde avec l’approche actuelle du Code criminel.
On a beaucoup parlé de la nature asymétrique de ces nouvelles infractions, à savoir que le projet de loi propose de criminaliser l’achat, mais non la vente, de services sexuels. Ce n’est pas parce que le projet de loi cautionnerait d’une façon ou d’une autre la vente de services sexuels. Ce n’est pas le cas. Le projet de loi traiterait plutôt ceux qui vendent leurs propres services sexuels comme des victimes qui ont besoin de soutien et d’aide, et non comme des personnes que l'on devrait blâmer ou punir. Encore une fois, cela tranche nettement des approches adoptées auparavant au Canada.
Par conséquent, le projet de loi soustrairait expressément de toute poursuite pénale les personnes qui reçoivent un avantage matériel de leurs propres services sexuels pour toute part qu’elles peuvent prendre dans les infractions relatives à l’achat, à l’avantage matériel, au proxénétisme ou à la publicité concernant la vente de leurs propres services sexuels, ou ce que l’on appellerait l’aspect transactionnel de la prostitution.
[Français]
À notre avis, la meilleure façon de contrer les méfaits que la prostitution cause aux personnes qui se livrent à cette pratique est de les aider à sortir de ce milieu. À cet égard, le gouvernement a annoncé qu'il offrira un financement complémentaire de 20 millions de dollars sur une période de cinq ans.
[Traduction]
Ces fonds — 20 millions de dollars — seront principalement versés aux groupes qui offriront des services de première ligne pour aider les personnes se livrant à la prostitution à en sortir. Nous avons déjà commencé l’importante tâche qu’est la détermination des groupes avec lesquels nous voudrons collaborer, monsieur le président.
En plus de la criminalisation de la communication en tout lieu en vue de l'achat de services sexuels, le projet de loi criminaliserait aussi la communication en vue de vendre des services sexuels, mais uniquement dans un endroit public où il est raisonnable de s'attendre à ce que des enfants se trouvent à cet endroit. Monsieur le président, il s’agit d’une approche que nous avons empruntée à d’autres articles du Code criminel, notamment celles qui protègent les enfants. Le Code criminel comporte déjà une définition juridique ou une interprétation sur les endroits où il est raisonnable de s'attendre à ce que des enfants s’y trouvent. Cette approche tient compte des divers intérêts en jeu, et cela n’englobe pas seulement les intérêts des principales victimes de la prostitution — les personnes qui se livrent à la prostitution —, mais aussi ceux des enfants qui peuvent être exposés à la prostitution et, de ce fait, qui sont à risque d’être entraînés dans une vie d’exploitation. Monsieur le président, on reconnaît ainsi la vulnérabilité et le manque de maturité des enfants.
Le projet de loi préciserait également que la définition d’une arme comprend les armes de contrainte, aux fins des infractions suivantes; agression armée, l’article 267 actuel; agression sexuelle armée, article 272; port d’arme en vue de commettre une infraction, article 88. Cette approche constitue une mesure de protection supplémentaire pour les personnes à risque d’être victimes de ce genre de violence, y compris celles qui vendent leurs propres services sexuels.
Monsieur le président, chers collègues, de toute évidence, le pays a été très bouleversé par les événements tragiques qui ont eu lieu en Colombie-Britannique, par la tuerie qui y est survenue. L’utilisation d’armes, de contraintes — de la corde, du ruban adhésif à conduits, etc. — a joué un rôle important dans ces actes suspects. Nous avons donc tenté de reconnaître ce fait dans ce projet de loi, d’où la création de cette nouvelle infraction.
Le projet de loi modifierait également les infractions liées à la traite des personnes — et je félicite ma collègue de Kildonan—St. Paul de son excellent travail — et vise à assurer leur cohérence avec les infractions proposées en matière de prostitution. Il est fondé sur des articles existants du Code criminel et leurs intentions. Souvent, la traite des personnes et la prostitution sont des comportements criminels inextricablement liés. Par conséquent, les réponses pénales à ces deux activités doivent être harmonisées.
En conclusion, monsieur le président, le gouvernement reconnaît qu’il faudra du temps pour que se concrétise la vision du projet de loi , celle d’une société exempte des dommages liés à la prostitution, et que d’ici là, certaines personnes resteront sous l’emprise de la prostitution. Par conséquent, le projet de loi n’empêche pas la mise en oeuvre de certaines mesures de sécurité mises de l’avant par la Cour suprême du Canada dans l’arrêt Bedford. Cela concerne notamment la vente de services sexuels, y compris dans des lieux fixes situés à l’intérieur; les services de protection aux personnes qui vendent des services sexuels, pourvu que ce soit dans le cadre de relations ou de circonstances exemptes d’exploitation; la négociation de conditions plus sûres pour la vente de services sexuels dans les lieux publics, à l’exception des endroits où l’on peut raisonnablement s’attendre à ce que des enfants s’y trouvent. Il s’agit d’un exercice d’équilibre qui touche l’intérêt du public, la protection et l’obligation morale de protéger les enfants.
Monsieur le président, je tiens à souligner que cette approche ne vise pas à faciliter la vente de services sexuels ni à la cautionner de quelque façon que ce soit. Au contraire, ce projet de loi traite d’un enjeu de politique sociétale complexe. Au contraire, ce projet de loi traite d’un enjeu de politique sociétale complexe en tenant compte de tous les problèmes de sécurité qui y sont associés. Cela ne porte pas uniquement sur les préoccupations soulevées dans la décision Bedford, mais également d'autres préoccupations plus larges liées à la sécurité et à la société que suscite l’enjeu de la prostitution de manière plus générale: la nécessité de protéger les personnes qui se livrent à la prostitution contre la violence et l’exploitation, la nécessité de protéger les collectivités des effets préjudiciables de la prostitution, notamment l’exposition des enfants, et finalement la nécessité de protéger la société dans son ensemble contre la normalisation d'une pratique sexiste fondée sur l'exploitation. Cela porte atteinte aux valeurs que sont la dignité humaine et l’égalité.
Le gouvernement reconnaît également que la réussite de cette transformation repose sur un effort de collaboration soutenu dans l’ensemble de la société. Voilà pourquoi le gouvernement consacre des ressources pour appuyer les organismes de première ligne qui aident les personnes se livrant à la prostitution de sortir de ce milieu. Nous avons hâte de travailler avec les provinces, les territoires, les organismes d’application de la loi — beaucoup d’organismes —, les travailleurs sociaux qui sont le fer de lance de ces efforts depuis des années, et avec le comité, bien sûr.
Monsieur le président, à la suite de la décision Bedford et en raison du délai d’un an, le gouvernement avait le choix: cautionner l’exploitation des personnes vulnérables et le tort causé aux collectivités canadiennes, ou les protéger. Étant donné l’arrêt Bedford de la Cour suprême, les recherches disponibles, les consultations publiques et les obligations du gouvernement, nous avons naturellement choisi la deuxième solution. Nous croyons qu’il s’agit d’une mesure législative raisonnable et tout à fait défendable.
Je vous remercie de l’invitation. Encore une fois, je vous remercie de votre travail. C’est avec plaisir que je répondrai à vos questions. Merci beaucoup.