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Honorables députés, dignitaires de la justice et des droits de la personne, merci de nous inviter à nous exprimer au sujet de ce projet de loi des plus importants qui infléchira l'avenir d'un grand nombre de mes amies, de leurs enfants et d'innombrables femmes et enfants emprisonnés dans la prostitution.
L'exploitation sexuelle représente une vraie crise sur le plan des droits de la personne pour les femmes et les filles, et ses séquelles se font sentir partout au Canada. La victime est touchée la première, suivie de sa communauté, puis du pays tout entier. La prostitution et la traite privent les femmes de leur liberté et de leurs droits de citoyennes. Les femmes considérées comme des marchandises sont condamnées à être des citoyennes de deuxième classe. Or, aucun pays ne peut être réellement démocratique si ses citoyens sont traités comme des marchandises, aucune réelle démocratie n'est digne de ce nom lorsque les femmes jetées dans ce milieu par l'oppression ou par la force sont criminalisées.
Je m'appelle Casandra Diamond. Je suis directrice d'une organisation communautaire appelée BridgeNorth, un programme de Grace Church Newmarket qui aide les femmes victimes de traite et prostituées à comprendre leur valeur et à retrouver leur dignité en leur offrant du mentorat et la possibilité de mener une vie saine, équilibrée et bien remplie.
Étant moi-même survivante du commerce du sexe, je parle au nom de centaines de femmes qui n'ont pas pu comparaître aujourd'hui. C'est leur point de vue que je vous présente.
Le projet de loi est encourageant, son préambule constituant un excellent cadre et offrant la perspective nécessaire pour remplacer les lois jugées anticonstitutionnelles par la Cour suprême. Ce fut un baume sur mon coeur que de lire:
Attendu que le Parlement du Canada a de graves préoccupations concernant l'exploitation inhérente à la prostitution et les risques de violence...;
Attendu que le Parlement du Canada reconnaît les dommages sociaux causés par la chosification du corps humain et la marchandisation des activités sexuelles;
Attendu qu'il importe de protéger la dignité humaine et l'égalité de tous les Canadiens et Canadiennes en décourageant cette pratique qui a des conséquences négatives en particulier chez les femmes et les enfants;
Attendu qu'il importe de dénoncer et d'interdire l'achat de services sexuels parce qu'il contribue à créer une demande de prostitution;...
C'est vraiment le traitement à appliquer pour une saine citoyenneté.
Dans le préambule, le gouvernement du Canada signale clairement aux Canadiens qu'il veut créer des communautés plus sûres pour les femmes et les enfants et qu'il reconnaît que la prostitution, phénomène foncièrement violent et dangereux, bafoue les droits humains de tous.
Ayant travaillé pendant une décennie à plusieurs titres dans l'industrie du sexe, je suis bien placée pour savoir que la prostitution est foncièrement dangereuse, qu'elle se pratique à l'intérieur ou à l'extérieur. En fait, le travail à l'intérieur réduit encore davantage les choix des femmes: alors que leurs consoeurs qui travaillent à l'extérieur peuvent voir et jauger le client en parlant avec lui avant de prendre leur décision, les femmes qui travaillent à l'intérieur défilent devant les clients; c'est le client qui décide et les femmes ne peuvent qu'acquiescer. Le travail à l'intérieur renforce l'autorité des proxénètes et rend très difficile toute tentative de demande d'aide.
Cacher la prostitution derrière des portes closes est mieux accepté socialement, car la société peut oublier le fait terrible que la prostitution détruit des vies; cela permet d'idéaliser la prostitution et de fermer les yeux sur le traitement dégradant et déshumanisant des femmes par les criminels qui en tirent profit. Chaque regard détourné conforte le pouvoir de coercition de l'industrie sur les femmes, qui deviennent des proies faciles pour des organisations qui gouvernent la vie des femmes lorsqu'elles ne les tuent pas. Il n'y a tout simplement pas de milieu sûr pour la prostitution.
La prostitution au Canada est aujourd'hui dominée par des criminels, des mafias et des gangs qui régissent l'économie souterraine d'ampleur internationale centrée sur le trafic de drogues et la traite des personnes. En 10 ans de prostitution, je n'ai jamais pu éviter de travailler pour une mafia ou un gang.
Des groupes très bien organisés ont infiltré les structures sociales de base comme les agences gouvernementales de réglementation et les forces policières, où ils ont tissé des liens et exercent une influence. Du fait de ces structures de pouvoir occultes, les femmes et les filles prostituées demeurent extrêmement vulnérables à la violence et à l'exploitation.
La décriminalisation de la prostitution n'est pas une solution, car elle ne retirera pas ce commerce mondial très lucratif des mains des réseaux criminels organisés. En fait, comme la plupart de ces réseaux sont déjà bien établis au Canada, la décriminalisation leur facilitera les choses, et leur permettra de consolider leur emprise sur le commerce de femmes. En adoptant et en faisant respecter le projet de loi, et en l'amendant pour décriminaliser les femmes prostituées, le Canada évitera de se convertir en destination de choix pour le crime organisé et le tourisme sexuel.
Si l'on veut faire cesser cette exploitation, il faut que le projet de loi reconnaisse ces phénomènes et le fait que criminaliser les prostituées, c'est les victimiser en double.
D'aucuns pensent que la prostitution est un boulot comme un autre. Ils ont tort. Les emplois légitimes sont encadrés par des lois qui interdisent le harcèlement et la discrimination sexuels, ou l'embauche fondée sur la taille de la poitrine, la couleur des cheveux ou le poids. Nos lois du travail imposent des normes nous protégeant de telles pratiques, car elles sont discriminatoires, malsaines et contraires aux valeurs de notre société. Dans un emploi légitime, je ne suis pas obligée de m'exposer sciemment à de multiples infections transmises sexuellement, à des maladies mortelles ou à la violence.
D'autres plaident la réduction des dommages. Ce concept laisse croire que tout dommage est mineur et qu'il peut facilement être réduit ou enrayé. Mais minimiser les dommages, ce n'est pas les éliminer et c'est l'élimination qui devrait être notre objectif ultime. Les statistiques sont irrécusables: le stress post-traumatique, la dissociation et la dépression sont endémiques chez les femmes prostituées. Cela serait considéré comme inacceptable dans n'importe quel autre emploi. C'est pourquoi nous ne devons pas réduire les dommages; nous devons les abolir.
Je suis encouragée de voir que le projet de loi aborde ces deux problèmes et qu'il est assorti de fonds pour financer des programmes de sortie du milieu de la prostitution ainsi que des refuges pour les femmes qui sont violentées ou qui ont besoin de soins médicaux comme conséquence de leur travail. Le montant de l'enveloppe, 20 millions de dollars, illustre bien l'importance qu'accorde ce gouvernement à la question, et je lui en suis reconnaissante; encore faut-il maintenir ce financement pour atteindre l'objectif visé par le projet de loi.
Le projet de loi nous permet de dénoncer la prostitution pour ce qu'elle est: une manifestation extrême de l'exploitation et de la violence faite aux femmes. En décriminalisant les prostituées, c'est-à-dire celles qui sont poussées dans la prostitution par désespoir ou qui sont directement victimes de traite et d'esclavage sexuel, on reconnaît que les femmes engagées dans cette industrie n'y sont pas par choix et qu'elles ne s'y livrent pas par esprit criminel.
Par contre, en criminalisant les fournisseurs de services de prostitution qui exploitent les prostituées à des fins lucratives, on reconnaît et on valide les torts causés à celles-ci. Pour que les choses soient bien claires, bon nombre des femmes se retrouvant au coeur de cette hiérarchie de pouvoirs sont elles-mêmes victimes de coercition et ne devraient pas être assimilées à ces groupes criminalisés. En criminalisant les clients, la loi reconnaît que les hommes qui sollicitent ce genre de services font volontairement (quoique parfois sans le savoir) affaire avec le crime organisé et encouragent l'esclavage sexuel. Des lois claires comme celle-ci, assorties d'un engagement social de faire respecter ces lois, donneront de l'espoir aux femmes qui sont actuellement prisonnières du milieu. C'est pour cela que j'appuie le projet de loi .
Je rêve de vivre dans une société canadienne qui croit en l'égalité des sexes et la met en pratique. Lorsque nous aurons réalisé ce rêve, les femmes et les filles ne pourront plus être achetées et vendues par les hommes. Je voudrais vivre dans un pays qui protège tous ses citoyens et dont les valeurs donnent naissance à des lois qui se consacrent à la sécurité, l'égalité et la valeur des personnes par-dessus tout sans égard à leur classe sociale, sexe, race ou condition économique. Je souhaite vivre dans un pays qui interdit la vente de ses citoyens comme si c'était des marchandises; c'est pour cela que je suis ici aujourd'hui.
Je crois que le projet de loi , amendé pour décriminaliser les prostituées, nous rapprochera de ce pays. Je vous exhorte à faire tout en votre pouvoir pour réaliser ce rêve pour nous toutes.
Merci.
Je m'appelle Emily Symons. Je suis présidente de POWER, l'acronyme anglais pour Prostitués-es d'Ottawa-Gatineau travaillent, éduquent et résistent. Notre organisation a été fondée en 2008 par des travailleurs et travailleuses du sexe qui voulaient défendre les droits de la personne et les droits du travail dans l'industrie. Nous rêvons d'un monde où chacun pourra choisir librement de se livrer à la prostitution en sachant qu'il pourra le faire en toute sécurité et dans la dignité. Nous ne recevons aucun financement et tous nos membres sont bénévoles. Nous regroupons des travailleurs et travailleuses de tous les secteurs de l'industrie: escortes, massages érotiques, prostitution de rue, danse érotique et services via webcam.
Je suis ici aujourd'hui pour vous présenter le point de vue expert de nos membres concernant les répercussions du projet de loi sur la sécurité des travailleurs et travailleuses du sexe. Je crois que toutes les personnes ici présentes ont à coeur la sécurité et le bien-être des prostituées. Celles-ci sont les expertes en la matière et sont mieux placées que quiconque pour savoir quels seront les impacts de ces dispositions législatives sur leur travail et leur sécurité. Les prostituées encore actives sont celles qui ressentiront directement les conséquences de toute nouvelle loi adoptée. Pour cette raison, il faut prêter une oreille attentive à leur point de vue fondé sur l'expérience.
La décision de la juge Himel et celle rendue par la Cour suprême du Canada précisent explicitement les dangers associés à la criminalisation de la prostitution de rue et des tiers impliqués. Dans ce contexte, mes propos vont porter sur les deux articles du projet de loi qui criminalisent l'achat de services sexuels et la publicité. J'aimerais vous expliquer comment ces dispositions vont contribuer à accroître la violence à l'endroit des travailleuses du sexe.
Je vais d'abord traiter de la criminalisation de l'achat de services sexuels dans la rue. Si ce projet de loi est adopté, il perpétuera les torts que nous constatons actuellement avec la disposition interdisant la communication à des fins de prostitution. Les prostituées qui travaillent dans les rues d'Ottawa nous indiquent que la criminalisation de l'achat de services sexuels les expose davantage à la violence.
On pense souvent à tort que les travailleuses et les travailleurs du sexe ne peuvent pas s'exprimer eux-mêmes et doivent compter sur quelqu'un d'autre pour parler en leur nom. En fait, ces gens-là peuvent bel et bien s'exprimer et ne manquent pas l'occasion de le faire. Le problème, c'est qu'on ne les écoute pas.
En mars 2014, POWER a aidé les clientes du programme Oasis d'Ottawa à participer à la consultation gouvernementale en ligne. C'est l'un des centres de services avec lesquels POWER collabore. Douze femmes qui travaillent actuellement comme prostituées de rue ont participé à la consultation. Leurs réponses sont affichées telles quelles sur notre site Web à l'adresse powerottawa.ca. Une grande partie de mes propos d'aujourd'hui sont inspirés de l'expérience de ces femmes.
La criminalisation des clients n'a rien de nouveau. De fait, la police d'Ottawa applique depuis quelques années la disposition portant sur la communication à l'encontre des clients, et non des travailleurs du sexe. Nous en connaissons donc déjà les répercussions sur les prostituées qui travaillent dans la rue.
Les prostituées de rue nous ont notamment indiqué que la criminalisation de leurs clients les oblige à abréger les négociations. Pour une prostituée qui travaille dans la rue, il est primordial de prendre le temps de jauger le client avant de monter dans son véhicule. Elle peut notamment sentir son haleine pour voir s'il a consommé de l'alcool, vérifier du regard l'intérieur du véhicule et s'assurer qu'il ne figure pas sur la liste des clients non recommandables. Lorsque les clients craignent d'être criminalisés ou que la police rôde aux alentours, il devient très difficile pour les travailleuses du sexe de bien filtrer leurs clients. En outre, les clients craignant la criminalisation vont éviter les secteurs bien éclairés et très fréquentés lorsqu'ils souhaitent aborder une prostituée. Pour que les travailleuses du sexe puissent avoir accès à leurs clients, elles doivent donc se résigner à les attendre dans des secteurs mal éclairés et peu fréquentés. Le risque de violence s'accroît en conséquence.
Les prostituées de rue travaillent en groupe ou en paire pour se protéger les unes les autres. Elles peuvent ainsi exercer une surveillance et prendre en note les numéros de plaque d'immatriculation. Lorsque les clients craignent d'être criminalisés, ils ne s'approchent pas des prostituées travaillant en groupe ou en paire. Ils se tournent vers celles qui sont seules.
La criminalisation des clients cause donc essentiellement les mêmes torts que la disposition interdisant la communication à des fins de prostitution. Elle fait en sorte que les prostituées ne prennent pas le temps de bien filtrer leurs clients, qu'elles ne peuvent pas travailler dans les secteurs bien éclairés et très fréquentés, et qu'elles doivent travailler seules.
Nous constatons de plus que la criminalisation des clients a pour effet de faire perdre aux prostituées bon nombre de leurs clients réguliers. Ceux qui veulent faire monter une prostituée peuvent ainsi se déplacer dans un autre secteur de la ville où la surveillance policière est moins soutenue. Ils peuvent également faire appel à celles qui travaillent à l'intérieur. Lorsque le nombre de clients ne cesse de baisser, il devient de plus en plus difficile pour les prostituées de leur dire non. Il est pourtant essentiel qu'une prostituée puisse dire non à un client en sachant qu'il y en aura probablement un autre qui suivra sous peu. Lorsque le bassin de clients potentiels diminue, il devient plus difficile pour ces travailleuses qui ont des factures à payer de dire non à l'un d'entre eux.
Règle générale, une prostituée va rester dans la rue tant qu'elle n'a pas amassé l'argent dont elle a besoin. Elle se fixe ainsi un certain montant pour payer son loyer ou faire son marché de la semaine et lorsque la police s'emploie à appréhender des clients, la prostituée doit rester dans la rue beaucoup plus longtemps pour atteindre le revenu visé. Elle court ainsi un risque accru de tomber sur un prédateur, sans compter le fait que les résidants locaux pourront être davantage offusqués par sa présence prolongée.
Je vais maintenant traiter de la criminalisation de l'achat de services sexuels à l'intérieur. Cela aura pour effet de miner encore davantage la capacité des travailleuses du sexe d'assurer leur propre protection. Les prostituées travaillant seules et les agences qui les emploient ont pour principal outil de protection la cueillette de renseignements personnels auprès du client, généralement sous la forme d'un numéro de téléphone. C'est pour cette raison que l'on peut voir fréquemment sur les sites de promotion en ligne de services sexuels les mentions « pas de téléphone public » et « pas de blocage d'appels ». Les prostituées doivent en effet obtenir certains renseignements personnels de leurs clients pour pouvoir les transmettre à la police si jamais il arrive quelque chose. La prostituée ne voudra pas nécessairement appeler la police, mais il s'agit tout de même d'un élément dissuasif pour le client qu'il sait qu'elle pourra donner son numéro de téléphone à la police s'il commet un acte criminel.
Nous constatons que les clients qui craignent d'être criminalisés refusent de fournir ces renseignements aux fins du filtrage. Il est donc très difficile pour les prostituées travaillant à l'intérieur de le faire en toute sécurité.
Lorsque les clients sont criminalisés, les prostituées hésitent à appeler la police. L'offre de services sexuels est la source de revenus qui leur permet de subvenir à leurs besoins. Les prostituées ne veulent donc pas que la police vienne arrêter leurs bons clients et les priver ainsi de leurs revenus. Les prostituées préfèrent donc ne pas appeler la police lorsqu'elles sont victimes d'une attaque pour éviter que leur lieu de travail ne soit ciblé comme endroit dangereux.
Les clients sont souvent les premiers à se rendre compte d'une situation d'exploitation. Ainsi, il y a eu ici même à Ottawa un cas où de jeunes mineures étaient contraintes à se prostituer. C'est grâce à un client que les forces de l'ordre ont pu être alertées et que l'une d'elles a pu rentrer chez ses parents.
Si un client a peur d'être criminalisé, il ne va pas signaler ces cas d'exploitation à la police de crainte d'être appréhendé lui-même.
Je vais maintenant parler de la criminalisation de la publicité.
Compte tenu de cette criminalisation et de celle des clients, les travailleurs et travailleuses du sexe devront recourir à une publicité codifiée. Vous pourrez donc lire des choses comme: « Il vous en coûtera 100 $ pour une fin heureuse » ou « Ce sera 200 roses pour ma compagnie pendant une heure », sans que l'on mentionne explicitement les services sexuels offerts. Il ne sera ainsi plus possible pour les prostituées d'indiquer leurs restrictions — à savoir les actes sexuels auxquels elles ne veulent pas se livrer — et leurs exigences en matière de pratiques sexuelles sécuritaires. Si vous allez voir sur Internet les publicités des prostituées qui travaillent à l'intérieur, vous verrez toute une série de sigles. Ceux-ci représentent les actes sexuels auxquels la prostituée est disposée à se livrer, ceux qu'elle refuse de poser et ses exigences quant à la sécurité des pratiques sexuelles.
Lorsque les prostituées doivent ainsi utiliser des codes pour promouvoir leurs services et sont privées de la possibilité de discuter des pratiques sexuelles sécuritaires qu'elles préconisent ou des actes sexuels auxquels elles ne veulent pas se livrer, il y a risque de malentendu avec le client qui se présente en pensant obtenir des services qui ne sont pas offerts, ce qui peut devenir une expérience à très haut risque.
Nous savons que le travail à l'intérieur est celui qui est le plus sécuritaire pour une prostituée. La violence y est beaucoup moins fréquente que dans la rue. La criminalisation de la publicité entrave considérablement la capacité des prostituées de travailler à l'intérieur.
Des sites de promotion comme cerb.ca sont bien davantage que des tribunes publicitaires. On y trouve un espace réservé aux travailleurs du sexe où ils peuvent échanger entre eux sur leur propre babillard. Ils peuvent y fournir des références au sujet des bons clients et aussi y afficher leurs listes de clients non recommandables. On trouve d'ailleurs une liste assez bien fournie de ces mauvais clients sur cerb.ca, un site qui est sans doute le principal outil de promotion pour les travailleuses et les travailleurs du sexe à Ottawa. Il est beaucoup question actuellement dans le milieu de la prostitution à Ottawa des mesures qui devront être prises lorsque la liste des clients non recommandables établie sur cinq ans ne sera plus accessible.
Beaucoup de gens soutiennent que les dispositions touchant la publicité ne cibleront pas les prostituées, car chacun pourra faire la promotion de ses propres services sexuels sans commettre une infraction criminelle. Dans les faits, cette loi aura toutefois bel et bien pour effet de criminaliser les travailleurs du sexe. Il est ainsi assez fréquent que les prostituées proposent des duos, soit deux femmes pour un même client. Si vous visitez les sites personnels des prostituées, vous y verrez souvent des liens vers les sites de leurs camarades, d'autres prostituées avec lesquelles elles mettent en commun des références. Elles peuvent ainsi appeler une amie pour lui demander si elle a déjà rencontré un certain Bob et s'il s'agit d'un bon client.
Il n'est pas rare également que des prostituées effectuent des tâches administratives pour des collègues en échange d'une rémunération. Il peut notamment s'agir de la location d'un emplacement pour recevoir les clients ou de l'embauche d'un agent de promotion.
D'après ce que je puis comprendre, ce projet de loi aura pour effet de criminaliser les prostituées qui font la promotion de services en duo, celles qui font de la publicité pour leurs camarades et celles qui accomplissent des tâches administratives pour leurs collègues. Ce sont là autant de façons de faire qui facilitent le travail en collaboration. Il est plus sûr de travailler en collaboration. Il est plus sûr d'offrir des duos de pair avec une autre prostituée. Il est plus sûr de partager le même espace de travail. Il est plus sûr de pouvoir échanger de l'information sur les mauvais clients et fournir des références sur les bons. Si ce projet de loi est adopté, il ne sera plus possible pour une prostituée de travailler en collaboration.
Je vais conclure en traitant brièvement de la question du financement. Je suis consternée d'apprendre que seuls les programmes de sortie du milieu seront financés. J'en conclus que les femmes qui décident de sortir de la prostitution méritent que l'on respecte leurs droits, alors que celles qui ne souhaitent pas quitter le milieu ne méritent pas que l'on fasse le nécessaire pour que leurs droits soient respectés.
Il est regrettable que l'on ne finance pas les différents services visant à assurer la santé et la sécurité des travailleuses et des travailleurs du sexe. Pensons notamment à la compilation et à la diffusion de listes de clients non recommandables pour les prostituées de rue; aux services de santé offerts aux prostituées; à la Grandma's House, un endroit sous surveillance où les prostituées peuvent amener leurs clients en sachant que l'on interviendra si elles appellent à l'aide; aux travailleurs de rue; et aux fournitures pour des pratiques sexuelles sans risque.
Je dirais en guise de conclusion que toutes les dispositions proposées vont exposer davantage les prostituées à la violence et que le projet de loi est donc irrécupérable. Il faut recommencer le tout à partir du début en s'inspirant de l'expérience de la Nouvelle-Zélande. Nous devons mettre véritablement à contribution les travailleuses et les travailleurs du sexe en vue d'établir un régime juridique qui visera prioritairement leur santé, leur sécurité et leur bien-être.
Je vous remercie.
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Merci beaucoup, honorables députés et invités. Je suis ravi d'avoir l'occasion de vous présenter le point de vue d'un service de police, et plus particulièrement de celui de la ville de Calgary.
J'aimerais d'abord vous raconter quelque chose pour vous donner une meilleure idée du contexte dans lequel nous devons travailler. C'est l'histoire d'une fillette belle et intelligente, comme sa mère aimait à le dire, qui se distinguait à l'école primaire où tout le monde l'adorait. Au début du secondaire, il n'était plus aussi bien vu d'être doué à l'école et quelques années plus tard, la beauté était toujours là, mais les bonnes notes n'étaient plus au rendez-vous.
À la fin de ses études secondaires, quelqu'un lui a offert un joint dans une soirée. Cela ne s'est pas produit à Calgary, mais l'histoire s'est terminée à Calgary. Ne dit-on pas tout le temps qu'un petit joint n'a jamais fait de mal à personne. Elle ne savait toutefois pas que le joint était rempli de méthamphétamine. Elle a développé une dépendance à la méthamphétamine. Elle s'est retrouvée à travailler pour un gang de motards criminalisés dans un centre-ville de la côte Ouest où elle a été victime de sévices divers et a dû se prostituer dans la rue. Si on lui avait posé la question, elle aurait répondu qu'elle avait choisi de vivre de cette manière, que c'est ce qu'elle souhaitait faire.
Sa mère a essayé d'obtenir de l'aide auprès de certaines agences et on lui a dit de ne pas s'inquiéter, que sa fille rentrerait à la maison après avoir atteint le fond du baril.
Je ne crois pas qu'aucun parent ici présent accepterait une telle réponse et laisserait sa fille poursuivre une existence semblable jusqu'à ce qu'elle ait touché le fond. Il est bien triste que le service de police responsable ait réagi ainsi lorsque cette maman, cette famille, lui a demandé son aide. « Nous devons sortir notre fille de ce milieu-là. Nous savons qu'elle est toxicomane. Nous savons qu'on la manipule. Elle vient d'une bonne famille. » Le service de police responsable et les agences en place ont dit aux parents qu'ils n'avaient qu'à attendre que leur fille ait touché le fond. De notre côté, nous ne pensons pas que les gens devraient renoncer à agir et attendre une telle échéance.
Avec l'aide de quelques amis, la mère a pris des mesures exceptionnelles pour extirper sa fille de cette situation et l'emmener dans un endroit où l'on traite les toxicomanes à Calgary. Je vous dévoilerai la fin de l'histoire à l'issue de mon exposé.
Le Service de police de Calgary estime que le Canada devrait se donner comme politique publique d'abolir complètement la prostitution, et l'adoption du projet de loi est un passage obligé vers l'atteinte de cet objectif. Nous avons la ferme conviction que l'achat de services sexuels auprès d'un adulte devrait être une infraction criminelle pour les raisons que je vais maintenant vous exposer.
Les recherches révèlent que bon nombre de prostituées étaient victimes d'exploitation à l'enfance et à l'adolescence, sont actuellement victimes d'exploitation, ou sont par ailleurs vulnérables à l'exploitation en raison de leur toxicomanie, des troubles du spectre de l'alcoolisation foetale, de problèmes émotifs ou mentaux, ou de difficultés financières. La prostitution n'est donc pas simplement la fourniture de services sexuels en échange d'argent ou d'autres considérations, mais bel et bien une forme d'exploitation sexuelle.
Il faut dissuader les gens de se livrer au tourisme sexuel. Il faut réduire le nombre de prostituées et les torts qui y sont associés, diminuer la demande de services sexuels, détecter et abolir la traite de personnes, réduire les risques de violence et d'homicide, et mettre un frein à la surreprésentation des femmes autochtones et des enfants dans le milieu de la prostitution. Nous devons éliminer la marchandisation de personnes à des fins sexuelles, réduire à néant les effets néfastes pour les communautés, enrayer la discrimination sexuelle dans notre société, un élément vraiment important, et inciter les gens à cesser de croire qu'il est acceptable ou normal de solliciter les services d'une prostituée.
À la lumière des recherches effectuées et de nos connaissances pratiques du commerce sexuel, nous savons que, peu importe le régime, le modèle ou les lois en place, ceux et celles qui vendent des services sexuels s'exposent à la violence, à l'exploitation, à la dégradation et à des torts impossibles à prévenir. On retrouve au sein des travailleurs du sexe, une surreprésentation d'Autochtones, de jeunes, de malades mentaux et de toxicomanes. La seule façon de venir en aide à ceux qui sont piégés dans le commerce sexuel est de les sortir du milieu et de leur offrir du soutien.
Nous reconnaissons que tout doit être mis en oeuvre pour éviter de victimiser encore davantage ces personnes en portant des accusations criminelles à leur endroit. On devrait plutôt pouvoir appréhender les travailleurs du sexe pour les affranchir de situations d'oppression et leur donner accès à des services de counselling et de soutien. Le Canada devrait établir une stratégie nationale pour réduire, dans un premier temps, la prostitution en vue d'éventuellement l'abolir.
Les services de soutien devraient viser à améliorer le sort des prostituées au moyen d'initiatives misant sur la prévention, l'éducation, l'intervention et la sortie du milieu. Pour pouvoir contribuer à la mise en oeuvre de cette stratégie nationale, les forces de l'ordre ont besoin de l'autorité juridique nécessaire pour contrer le commerce sexuel et intervenir en vue de réduire les dommages qui en découlent, notamment pour les collectivités touchées.
Le régime judiciaire canadien ne devrait pas avoir pour effet d'empêcher une prostituée victime de traite de personnes, d'agression sexuelle ou autre, de vol ou de tout autre crime d'alerter les policiers, ou d'obtenir par ailleurs de l'aide, une intervention, de la protection ou du soutien pour quitter le milieu. À cet effet, je peux vous citer un rapport commandé par le Home Office du Royaume-Uni qui s'intitulait Shifting Sands. Voici ce que notaient les auteurs de cette comparaison des régimes de prostitution de neuf pays:
De plus, nous n'avons trouvé que peu de preuves concluantes indiquant que les différents régimes de prostitution ont un impact quelconque sur la disposition à signaler les agressions. Il apparaît plus probable que la proportion de cas signalés augmente lorsqu'on a été en mesure d'établir localement un climat de confiance entre les femmes qui vendent des services sexuels et les agences, représentants et services de l'État.
J'aimerais aussi parler des répercussions néfastes de la prostitution sur les communautés. Il faut notamment déplorer l'impression d'être moins en sécurité; une perception accrue de désordre social; des nuisances publiques comme des condoms et des aiguilles dans les parcs, les stationnements et sur les trottoirs; une augmentation du bruit et de la circulation automobile; l'exposition publique de l'activité sexuelle; les propositions sexuelles non sollicitées par les citoyens; et les problèmes de santé publique. Les interdictions prévues dans le droit pénal demeureront nécessaires pour le contrôle et la réduction de ces torts. C'est ce qui ressort de mon expérience de près de 40 années à devoir malheureusement composer avec le problème du racolage dans des lieux fréquentés par la population.
Toute personne bénéficiant financièrement de la prostitution, autrement que pour les motifs mentionnés dans le projet de loi, devrait être reconnue coupable d'une infraction criminelle. Pour donner suite aux préoccupations exprimées notamment par la Cour suprême quant à la nécessité d'éliminer ou de réduire l'exploitation des personnes et d'améliorer la sécurité des prostituées, le gouvernement canadien devrait travailler en collaboration avec les provinces, les villes et les organismes sociaux afin d'élaborer une stratégie nationale pour réduire et abolir la prostitution, et améliorer le sort des personnes touchées au moyen d'initiatives misant sur la prévention, l'éducation, l'intervention et la sortie du milieu.
Je me dois de souligner qu'un financement de 20 millions de dollars sur une période de cinq ans est nettement insuffisant. Si l'on veut voir ce que cela donne pour chaque province, disons que l'Alberta compte un peu plus de 10 % de la population canadienne. Une province comme la nôtre n'aurait donc droit qu'à 400 000 $ par année sur la période de cinq ans. Comme il faut répartir cette somme entre Edmonton au nord et Calgary au sud, sans compter les autres régions, une ville comme Calgary obtiendrait environ 125 000 $ de plus par année pour composer avec l'aspect social de cette problématique au sein de sa population de 1,25 million de personnes. C'est très loin d'être suffisant. Si l'on veut vraiment s'attaquer au problème de façon efficace, il faut se pencher sur les stratégies de sortie du milieu et leur consacrer les ressources nécessaires.
Je dois dire qu'au fil de mes 40 années au sein des services de police, il n'y a rien que j'ai mieux aimé — et c'est encore le cas aujourd'hui — que d'aller dans les écoles pour parler aux enfants. Au cours de ces 40 années, jamais un seul enfant ne m'a dit qu'il voulait devenir plus tard toxicomane, criminel ou prostitué. Ça n'est jamais arrivé.
J'aimerais également aborder le sujet de la traite des personnes, une industrie de 3 milliards de dollars par année à l'échelle internationale. Il ne faut pas se le cacher, si le Canada ne maintient pas le cap à ce chapitre, c'est un phénomène qui deviendra de plus en plus prévalent au pays. Nous pouvons tous pousser les hauts cris devant le kidnapping de près de 300 jeunes écolières au Nigéria, mais le fait demeure que ces fillettes seront éventuellement victimes de trafic sexuel et pourraient fort bien se retrouver au Canada, aussi bien qu'ailleurs dans le monde. C'est ce que nous avons pu constater en visitant les pays scandinaves pour étudier le modèle nordique. Les filles originaires d'Europe de l'Est et d'Afrique y sont disproportionnellement représentées.
Il y a deux autres éléments que j'aimerais faire valoir. Certains semblent croire qu'il est possible de détecter les tueurs en série. À la lumière de mes 40 ans d'expérience dans la police et de mon examen de la situation dans des régions d'Amérique du Nord où ont sévi de tels individus, comme Jeffrey Dahmer ou celui de la Green River à Washington, je peux vous assurer qu'il est impossible de reconnaître un tueur en série. On ne peut pas interroger quelqu'un et en conclure qu'il est un tueur en série. Ils font leur petite affaire sans se distinguer vraiment de vous et moi jusqu'à ce qu'on les capture.
Permettez-moi simplement de conclure la petite histoire avec laquelle j'ai débuté. La jeune fille en question a donc été ramenée à Calgary. Elle a subi une cure de désintoxication, ce qui a été loin d'être chose facile, mais elle en est maintenant à la deuxième année de ses études de médecine. Reste quand même que si ses parents n'avaient pas pris ces mesures qu'ils n'auraient normalement pas dû être forcés de prendre, cette jeune fille travaillerait aujourd'hui dans la rue et nous répondrait si on lui posait la question que c'est bien évidemment la vie qu'elle a choisie et qu'elle est là parce qu'elle le veut bien.
Je ne prétends pas que personne n'a choisi volontairement cette vie-là sans être victime de mauvais traitements ou l'avoir été par le passé. Ce n'est pas ce que je dis, mais l'expérience nous a démontré que c'est le cas de la vaste majorité d'entre elles. Nous demandons simplement le pouvoir judiciaire d'intervenir de manière à cibler le crime organisé et les clients, tout en nous servant de la loi pour soutenir et sortir de ce milieu les victimes de la prostitution, à savoir celles-là mêmes qui offrent les services sexuels.
Merci beaucoup.
Je m'appelle Robyn Maynard et je suis une travailleuse d'approche au sein de l'organisme Stella. Stella est un organisme qui a été créé en 1995 par et pour les travailleuses du sexe. Nous offrons des services aux prostituées de la région de Montréal et nous défendons leurs intérêts.
Étant donné que certaines personnes ont dit hier que les organismes qui appuient les travailleuses du sexe les incitent à demeurer dans l'industrie, j'aimerais remettre les pendules à l'heure. Je pense que ce n'est pas du tout la réalité. Nous avons une ligne d'écoute et un centre d'accueil. Nous avons des travailleurs de rue qui sont sur le terrain tous les jours et nous organisons — au moins deux fois par semaine — des rencontres avec des infirmières de différentes organisations communautaires, puisque le travail des prostituées fait souvent en sorte qu'elles sont isolées du système judiciaire et qu'elles font l'objet de nombreux préjugés. Nous travaillons directement avec les infirmières de rue pour les aider.
De plus, nous effectuons régulièrement des visites dans des agences d'escortes, des salons de massage et des bars de danseuses. Nous avons une clinique médicale et nous offrons également un programme de lutte contre la violence dans le cadre duquel nous appuyons les travailleuses du sexe qui sont victimes de violence, soit par leur conjoint ou dans le contexte de leur travail, et nous leur fournissons du soutien en fonction de leurs besoins. Cela signifie parfois témoigner contre la personne qui les a agressées. Notre aide peut prendre diverses formes, mais c'est un projet qui nous tient énormément à coeur.
En 2012-2013, nous avons reçu 500 visites à notre centre d'accueil, répondu à 5 000 appels, rencontré des milliers de travailleuses du sexe sur leur lieu de travail et aidé près de 250 d'entre elles à obtenir des soins de santé et des services juridiques et sociaux.
Nos opinions sur l'incidence des lois reposent essentiellement sur notre expérience quotidienne. Je suis une travailleuse de rue. Je travaille souvent jusqu'à minuit dans les principaux endroits où se trouvent les prostituées. Nous sommes donc témoins des effets des lois sur les travailleuses du sexe. Nous leur parlons tous les jours.
Le travail que nous accomplissons est important dans le contexte de la criminalisation, surtout parce que les travailleuses du sexe souffrent souvent d'isolement et font face à de nombreux préjugés. Elles ont peur de se dévoiler par crainte de perdre leurs enfants ou leur appartement. En raison de la criminalisation et de tout ce qu'elle peut engendrer, nous les aidons énormément à cet égard. Nous recevons de nombreux appels de femmes qui ont peur d'être arrêtées.
Notre travail consiste à réduire les torts, ce qui est extrêmement important pour nous. On parle beaucoup de l'argent qui est consacré aux programmes de sortie. Lorsque ces personnes souhaitent se sortir du milieu de la prostitution, elles doivent pouvoir recevoir l'appui nécessaire. Nous les aidons à rédiger leur CV et ce genre de choses, mais souvent, ces personnes ont seulement besoin de renseignements et d'aide juridique en ce qui concerne les services de protection de la jeunesse, simplement pour mieux comprendre les lois ou, par exemple, mieux se protéger contre l'hépatite C ou le VIH. Les travailleuses du sexe ont différents besoins et il est important pour nous de pouvoir les combler.
Bon nombre des travailleuses du sexe vont tôt ou tard quitter le milieu pour faire autre chose, mais le projet de loi leur dit: « Sortez tout de suite de l'industrie du sexe, sans quoi vous vous exposerez à davantage de risques, y compris le risque d'être arrêtées. » On n'offre pas d'autres options viables. Nos communautés viennent de divers milieux et ont différentes conditions de travail, et par conséquent, elles n'éprouvent pas les mêmes besoins. Rien de tout cela n'est traité dans le projet de loi C-36.
La Cour suprême du Canada a invalidé de nombreuses dispositions qui criminalisaient la prostitution parce qu'elles avaient pour conséquence imprévue de mettre en danger la vie des travailleuses du sexe. C'est pourquoi on les a invalidées. Cette décision a été considérée comme une victoire sur le plan des droits de la personne parce qu'elle a démontré que les travailleuses du sexe n'avaient pas à courir davantage de risques à cause des lois pénales. Au départ, ces lois avaient été adoptées afin de lutter contre les nuisances publiques. Aujourd'hui, la même situation se reproduit, et les lois vont encore plus loin. On dit qu'on veut protéger les communautés vulnérables, mais ces mêmes lois destinées à mettre fin aux nuisances publiques s'appliqueront de nouveau aux travailleuses du sexe.
Le fait de se retrouver devant un vide juridique est dangereux, et le danger est quantifiable. Nous savons que le taux de meurtres et de violence à l'égard des travailleuses du sexe est élevé au Canada. La Cour suprême a conclu que cette situation était directement liée aux lois; les lois sont donc très importantes pour la vie des travailleuses du sexe.
Les députés et les Canadiens ont le droit d'avoir leur propre opinion sur l'industrie du sexe et sa moralité, mais peu importe ce qu'on en pense, il est inacceptable d'imposer la moralité au détriment de vies humaines.
Quel est le prix à payer pour adopter ces lois visant à éradiquer l'industrie du sexe? D'énormes risques. En voulant s'attaquer à un préjudice social, on met la vie de nombreuses personnes en danger.
Prenons la Suède et la Norvège, par exemple, des pays où on a adopté ce que les gens appellent souvent le modèle nordique, qui criminalise l'achat de services sexuels. Le Conseil national de prévention du crime, le Conseil suédois pour la santé et le bien-être et le Conseil national de la police suédoise ont signalé que la prostitution n'avait pas diminué, mais qu'elle était plutôt devenue clandestine afin d'échapper à la police, et que cela avait fait en sorte d'augmenter les risques auxquels s'exposent les travailleuses du sexe.
Vous pourrez trouver plus de détails dans notre mémoire, alors je ne vais pas m'attarder là-dessus. Il convient tout de même de mentionner qu'en Norvège, la violence à l'égard des travailleuses du sexe est à la hausse. Les preuves indiquent que les prostituées qui sont sans-abri ou toxicomanes dépendent davantage de leurs clients. Ici au Canada, on voit déjà ce qui arrive lorsque nous criminalisons les travailleuses du sexe dans la rue et lorsque nous criminalisons l'achat de services sexuels.
Émilie a indiqué que la police d'Ottawa ne s'acharnait plus sur les prostituées dans les rues depuis un certain temps. On nous a dit que c'était la même chose à Vancouver. À Montréal, d'après ce que j'ai vu, il semble que ce soit également le cas. Nous avons observé une diminution du nombre d'arrestations des prostituées de rue, mais on n'a pas cessé d'arrêter les clients ni de voir des agents d'infiltration. Ce n'est pas de cette façon qu'on va mettre fin à la violence. Ce modèle a déjà été imposé et appliqué. La police a déjà eu ce pouvoir, l'a utilisé, et cela n'a pas fonctionné.
Tout d'abord, j'aimerais parler précisément de la loi qui criminalise les prostituées qui travaillent dans un lieu public où des mineurs pourraient se trouver, c'est-à-dire n'importe où. C'est assez inquiétant. Comme je le disais, les prostituées qui travaillent dans la rue ont eu en quelque sorte un répit ces derniers temps et craignent moins d'être arrêtées, d'aller en prison ou de perdre leurs enfants. J'ai parlé à beaucoup de femmes, et elles sont terrifiées à l'idée que cette loi soit adoptée et qu'elles doivent faire face à cette menace à nouveau.
Je pense que la majorité des gens sont conscients des dangers de criminaliser les prostituées de rue, mais je pense qu'on a accordé moins d'attention à la capacité de criminaliser les interactions entre les clients et les prostituées. Il a clairement été démontré que l'absence de communication met la vie des travailleuses du sexe en danger. Deux différents rapports commandés par le ministère de la Justice du Canada en 1989 et en 1994 ont révélé qu'il y avait un lien direct entre la criminalisation des négociations des travailleuses du sexe et la capacité de juger les clients. D'après ces rapports, cela n'a fait qu'entraîner des déplacements et augmenter la violence à l'égard des travailleuses du sexe.
Même quand je travaille dans la rue un jeudi soir, par exemple, où la police est extrêmement présente, les clients se tiennent à l'écart. Les travailleuses du sexe finissent par se retrouver dans des ruelles et d'autres endroits de la ville plus à l'écart, à l'abri des regards. Elles recherchent des clients, mais cela devient de plus en plus difficile. Nous savons que ce type d'isolement met leur vie en danger.
À Montréal, on ajoute beaucoup plus d'incidents violents à notre liste des mauvais clients et agresseurs après une opération policière à grande échelle. Durant les trois mois qui ont suivi la descente massive de 2001, Stella a rapporté trois fois plus d'incidents violents et cinq fois plus d'incidents impliquant une arme mortelle.
À Vancouver, où on observe le taux de violence le plus élevé à l'égard des travailleuses du sexe, la police de Vancouver cible déjà les clients. Une étude publiée dans le British Medical Journal Open ainsi que la Pivot Legal Society ont révélé que les travailleuses du sexe couraient encore beaucoup de risques puisqu'elles ne sont toujours pas en mesure de filtrer les clients ou de négocier avec eux et sont encore contraintes de travailler dans des endroits isolés.
À cause de la criminalisation des négociations entre les clients et les travailleuses du sexe, ces dernières doivent se déplacer loin des regards et, par conséquent, elles se retrouvent davantage dans des situations dangereuses. Nous devons absolument nous pencher sur ce que représente la criminalisation des clients. Si cette criminalisation se fait aux dépens de vies humaines, nous devons réévaluer cette disposition de la loi. Le juge Wally Oppal a également confirmé les préjudices causés par la criminalisation dans le rapport de la Commission sur les femmes disparues.
De plus, étant donné que les femmes de couleur, les Autochtones et les toxicomanes sont surreprésentées dans la rue, cela signifie que ces groupes seraient beaucoup plus en danger que les autres groupes de la société. Il faut également songer au fait que les personnes les plus marginalisées seront les plus touchées par ces lois.
Émilie a déjà parlé des effets néfastes du projet de loi sur les travailleuses du sexe qui travaillent à l'intérieur, mais je tiens à préciser que dans ces endroits, c'est-à-dire les salons de massage et les agences d'escorte, elles ont la capacité de négocier avec leurs clients et d'avoir des condoms sur place. Si ces endroits sont criminalisés, pour éviter de se faire prendre, étant donné que les condoms pourraient être utilisés comme preuve et ainsi de suite, les travailleuses du sexe pourraient courir davantage de risques.
Encore une fois, les travailleuses du sexe peuvent consulter la liste des mauvais clients en ligne. Il serait donc extrêmement difficile pour les escortes d'obtenir des renseignements personnels sur leurs clients.
J'ai ici une citation d'une travailleuse du sexe que nous avons interrogée dans le cadre d'un projet intitulé Stella Deboutte, dont nous n'avons pas encore publié les résultats, qui dit: « Parce que les clients ont peur et sont nerveux, je perds des clients. Si je travaille seule, c'est parce que mes clients craignent davantage d'être arrêtés lorsque nous travaillons deux par deux, là où je me sens plus en sécurité. Par conséquent, j'essaie de tenir compte de leurs craintes, et ce, au détriment de ma propre sécurité. »
À quoi ressemblerait une réforme de la loi plus favorable? Je pense que nous pouvons tous voir que ces lois pénales ne font rien de bon pour la prostitution. Elles mettent plutôt la vie des travailleuses du sexe en danger, qui s'exposent déjà à des risques depuis des décennies et qui méritent réellement quelque chose de mieux. Nous avons déjà des lois contre l'exploitation, le vol, l'extorsion, les lésions corporelles. Mais surtout, il existe déjà des dispositions criminelles précises et des dispositions dans la Loi sur l'immigration et la protection des réfugiés sur la traite de personnes. ONU Femmes a déjà indiqué que lorsqu'on ne considère pas la prostitution et la traite de personnes comme deux phénomènes distincts, on expose les travailleuses du sexes à davantage de risques et on n'aide pas les victimes du trafic d'êtres humains.
Puis-je avoir une minute supplémentaire?
:
Merci, monsieur le président. J'aimerais féliciter mes collègues du Parlement canadien, ainsi que toutes les personnes et tous les témoins présents.
Je suis membre de l'Assemblée parlementaire du Conseil de l'Europe. Le Conseil de l'Europe, pour ceux qui ne le savent pas, est plus grand que l'Union européenne. Il regroupe 47 États membres. Il englobe toute l'Europe, de la Russie au Portugal.
L'une de nos principales préoccupations est le grand nombre de victimes du trafic d'être humains. En Europe, on dénombre entre 70 000 et 140 000 personnes chaque année. La traite à des fins d'exploitation sexuelle et de prostitution est largement répandue: on estime qu'elle représente 84 % des victimes.
Même s’il s’agit de phénomènes distincts, la traite des êtres humains et la prostitution sont étroitement liées. Par conséquent, l'Assemblée parlementaire du Conseil de l'Europe m'a nommé rapporteur pour le rapport intitulé « Prostitution, traite et esclavage moderne en Europe ». Dans ce rapport, il est question de l'esclavage moderne en Europe et de toutes ces personnes qui sont forcées de faire des choses contre leur gré.
J'aimerais vous montrer une carte de l'Europe. Comme vous pouvez le constater, on retrouve différentes façons de gérer le phénomène de la prostitution en Europe. Dans les pays en rouge, la prostitution est totalement interdite. En bleu, la prostitution est tolérée, mais certains aspects sont criminalisés. Dans les pays en vert, la prostitution est légale. Quant aux pays en rose, ils ont adopté le modèle suédois, où l'achat des services sexuels est criminalisé. Jusqu'à présent, c'est le cas de la Suède, de la Norvège et de l'Islande.
Le but de ce rapport n'était pas de porter un jugement moral, et il n'y aucune philosophie ni aucune idéologie dans ce rapport. Je me suis rendu dans certains États membres pour y mener des missions d'information et tenir des dizaines et des dizaines de rencontres avec des membres du gouvernement, des députés et des représentants d'ONG, d'organismes à l'appui des travailleurs et travailleuses du sexe, des services de police et de tous les types d'établissement qui doivent composer, d'une façon ou d'une autre, avec le phénomène de la prostitution. Nous sommes convaincus que les politiques en matière de prostitution pourraient avoir l'effet de réduire ou augmenter le niveau de trafic d'être humains. C'est pourquoi je me suis rendu tout d'abord en Suède. C'était en quelque sorte le fondement de ce rapport, c'est-à-dire étudier le modèle suédois et cerner ses forces et ses faiblesses.
Aucun modèle n'est parfait. Tous les modèles font l'objet de critiques, évidemment, mais ce sont les résultats qui comptent. Je suis allé en Allemagne, en Suisse et aux Pays-Bas, qui sont trois exemples de systèmes de prostitution légalisés. Je me suis penché sur les résultats de ces politiques sur la légalisation de la prostitution.
En 1999, la Suède a adopté la loi sur l’interdiction de l’achat de services sexuels, qui interdit et sanctionne l’achat de services sexuels mais non leur vente. La loi suédoise visait à réduire la demande afin de combattre la prostitution. L’une des pierres angulaires des politiques suédoises en matière de prostitution est qu’elles sont axées sur leur cause profonde, à savoir que, sans la demande des hommes et leur utilisation de femmes et de filles à des fins d’exploitation sexuelle, l’industrie mondiale de la prostitution ne pourrait pas prospérer et s’étendre.
La proposition visant à criminaliser l’achat de services sexuels s’appuyait sur l’idée que la prostitution est une forme de violence à l’égard des femmes et constitue un obstacle à l’égalité entre les femmes et les hommes. L’idée sous-jacente était que la distinction entre prostitution volontaire et forcée n’est pas pertinente.
Lorsque la loi sur l'achat a été adoptée en 1999, la société suédoise était très divisée. Certains partis politiques étaient pour, tandis que d'autres étaient contre. Cette loi divisait la société.
Après toutes ces années depuis 1999, on peut entre autres conclure qu'il règne maintenant un large consensus ou, au moins, que la majorité de la population soutient cette politique. J'ai parlé à tous les partis politiques au Parlement, qui sont tous unis. Il n'y a pas de division. Les résultats sont reconnus.
On critique bien sûr la lutte contre la prostitution dans la rue, en disant qu'elle se fait à notre insu et que les femmes courent un plus grand danger. Mais il y a des façons de vérifier si c'est vrai et si Internet remplace la rue.
Par exemple, Interpol intercepte bien des appels tous les jours. Les organisations criminelles ne considèrent plus la Suède comme un pays attrayant pour la traite de personnes. C'est une autre réalité.
La Suède voulait éliminer la prostitution, plutôt que la réglementer. Des sanctions administratives, comme des amendes, et des sanctions criminelles, comme l'emprisonnement, sont prévues. Mais il importe de dire que presque personne n'est envoyé en prison, parce que les sanctions restent en général des amendes. La Suède veut envoyer à la population le message sans équivoque que la prostitution est inacceptable.
Les statistiques posent des problèmes dont je vais parler, mais d'après les données disponibles, la traite de personnes a grandement diminué en Suède.
Je suis allé en Allemagne, qui a légalisé la prostitution en 2002. Bien des organisations ont dit que l'Allemagne a raté tous les principaux objectifs de son système de légalisation, parce qu'elle voulait notamment attaquer les organisations criminelles responsables de la traite et de la prostitution. C'est tout le contraire qui s'est produit.
Un autre objectif consistait à améliorer le statut des prostituées, mais le résultat est diamétralement opposé. On n'effectue plus de contrôle en matière de santé ou de sécurité des prostituées. Même la police n'a pas accès aux bordels. L'industrie a pris énormément d'ampleur.
Du point de vue des droits de la personne, nous ne devrions pas accepter certaines choses qui se déroulent en Allemagne et la façon dont les gens sont traités, les femmes en particulier. Les journaux et les médias décrivent ce qu'on appelle les partouzes et les taux fixes. J'ai recueilli beaucoup d'articles là-dessus.
C'est tout à fait inacceptable qu'un homme paie 70 ou 100 euros pour avoir des relations sexuelles avec autant de femmes qu'il le désire. À la fin, certains se plaignent que les femmes ne sont pas en bonne condition pour avoir ces relations, mais c'est compréhensible, car il n'y a ni délai ni limite. Les femmes n'ont pas de logements et vivent dans les bordels. Bien des politiciens et des ONG l'ont confirmé.
Les organisations de travailleurs du sexe affirment toutes que les prostituées ont le droit de choisir ce mode de vie. Mais le problème, c'est que ces organisations ne représentent pas la réalité de l'Europe. J'en suis convaincu, pour avoir participé à des rencontres en Suède, aux Pays-Bas, en Allemagne ou en Suisse. Je parle de l'expérience européenne.
De nos jours, la grande majorité des prostituées en Europe sont victimes de traite et se prostituent contre leur gré. Bon nombre d'entre elles se prostituent dans l'illégalité et ne sont pas représentées par les organisations de travailleurs du sexe. Le problème, c'est que ces prostituées n'ont pas voix au chapitre.
C'est très facile de le comprendre, si on regarde les publicités. Les prostituées vont de ville en ville et d'État membre en État membre. Lorsqu'on lit que de nouvelles prostituées en ville viennent de tel ou tel endroit, on comprend aisément qu'elles sont contrôlées par la mafia et les organisations criminelles. C'est exactement ce que voulaient éviter les pays qui ont légalisé la prostitution. Aux Pays-Bas, les maires d'Amsterdam, de Rotterdam et de La Haye réduisent le nombre de licences accordées dans le quartier Red Light, où les prostituées s'affichent dans les vitrines.
Selon un rapport de la police aux Pays-Bas, les organisations criminelles contrôlent 90 % du célèbre quartier Red Light d'Amsterdam. C'est tout à fait le contraire de ce que voulait le pays en légalisant la prostitution.
Mon rapport indique bien sûr...
Oui?
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Je comprends, merci. J'ai peu de temps.
On pourrait dire que vous m'avez ouvert la voie ainsi qu'aux autres témoins ici présents. Le succès du modèle suédois repose entre autres sur des mesures sociales démocrates très vigoureuses, prises en parallèle.
[Français]
Ma question s'adresse à Mme Diamond.
[Traduction]
Je suis d'accord avec vous. Le préambule revêt une grande importance et résume les dispositions qui le suivent.
C'est un début, mais je pense qu'il manque des éléments. Selon moi, le préambule révèle les fondements du projet de loi gouvernemental. Je ne sais pas si vous êtes d'accord, mais il devrait aussi faire état de la pauvreté, des conditions de logement, des besoins en soins de santé et d'autres mesures sociales. La mention de ces aspects m'aurait signalé que nous voulons régler toute la question.
Par ailleurs, tout le monde s'entend pour dire qu'il ne faut en aucun cas criminaliser les prostituées. Étant donné que le nous a dit hier qu'il s'agit d'une partie intrinsèque du projet de loi afin de protéger les collectivités, je ne suis pas convaincue que nous pourrons l'amender.
Les gens dans la salle avec qui j'ai discuté longtemps à la fin de la séance hier m'ont dit qu'ils comptaient sur nous pour modifier le projet de loi. Nous ferons de notre mieux, mais pour tout dire, j'ai peu d'espoir si c'est une partie intrinsèque du projet de loi.
Soutenez-vous toujours le , même si nous ne pouvons pas l'amender et qu'il criminalise les prostituées et les travailleurs du sexe?
Dans mes recommandations, je dis très clairement que je suis pour le modèle suédois, qui consiste à criminaliser l'achat de services sexuels. C'est une option. Je ne souhaite pas la criminalisation de l'offre de services sexuels. Au début de mon exposé, je vous ai montré la carte de l'Europe et les pays dans lesquels c'est criminalisé. Ce sont les pays où il y a le plus de prostitution, le plus de traite. Il y a donc un peu d'hypocrisie. Dans bon nombre de pays de l'Europe orientale, la prostitution est criminalisée, mais dans chaque coin, dans chaque hôtel, des services sexuels sont offerts librement, et il n'y a aucun contrôle. Lorsqu'on criminalise les prostituées, on les place également dans une situation dangereuse.
Je crois que la meilleure approche consiste à criminaliser l'achat de services sexuels. C'était une option, une option politique, pour ma part, et cela se reflète dans la résolution. Je recommande que tous les États membres du Conseil de l'Europe, s'ils le veulent et s'ils le décident eux-mêmes, suivent le modèle suédois.
S'ils ne suivent pas le modèle suédois, j'ai bien sûr d'autres suggestions. Par exemple, on en a parlé il y a quelques minutes, et je pense que c'est une question très importante. À mon avis, dans un système légalisé, l'âge minimum d'une prostituée ne devrait pas être inférieur à 21 ans. En légalisant la prostitution pour les personnes d'un très jeune âge, on détruit l'avenir d'une fille qui, quelques années plus tard, pourrait regretter d'avoir fait ce choix. Plus elles ont du temps avant de pouvoir commencer ces activités, mieux c'est. Je crois qu'il est aussi important que si un pays opte pour la légalisation, ce qui n'est pas mon souhait, mais s'il décide de le faire... plus tard c'est, mieux c'est.
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Bonjour madame Ambler. Je suis aussi très heureux de vous voir. J'espère que vous assisterez à la prochaine séance de Strasbourg.
En ce qui concerne l'Allemagne, permettez-moi de vous dire quelque chose. En Allemagne, on estime qu'il y a environ 400 000 prostituées et un million de clients par jour. Ce sont les estimations. Bien entendu, aucune donnée ne nous prouve l'exactitude de ces chiffres, mais il y a une donnée qui est exacte: seulement 44 travailleuses du sexe sont couvertes par l'assurance sociale, ce qui veut dire qu'elles sont inscrites officiellement à l'assurance sociale.
La différence, c'est que selon la loi, elles devraient bénéficier de beaucoup d'aide en matière de soins de santé et de sécurité sociale, être traitées comme des travailleuses comme les autres. Toutefois, la réalité est complètement différente.
En Allemagne, le problème, ou l'un des problèmes, c'est que les règlements devraient être déterminés par chaque länder, de sorte que les länder de chaque municipalité s'occupe du problème de la prostitution avec une seule préoccupation, et il s'agit de déterminer où cette activité peut avoir lieu sans qu'il y ait de répercussion sociale sur la collectivité. Supposons qu'on choisit le meilleur endroit où les gens ne peuvent s'apercevoir de ce qui se passe. C'est l'un des problèmes et cela a également une incidence sur la collecte de données.
Toutefois, dans les faits, après la légalisation — et cela est tiré également de l'étude et de la recherche dont j'ai parlé il y a un moment —, la situation des travailleuses du sexe s'est détériorée, sur le plan de la qualité, de l'aide, soit sur tous les plans. C'est donc complètement l'inverse qui s'est produit, et il en résulte que 44 travailleuses du sexe sont couvertes par le système officiel de sécurité sociale en Allemagne.
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Je vous remercie de poser la question.
Pour commencer, j'aimerais simplement revenir sur la recherche dont j'ai parlé, qui vient d'être réalisée auprès des travailleurs du sexe du Downtown Eastside, et qui porte sur la décision de la police de Vancouver de mettre davantage l'accent sur les clients.
Les travailleurs du sexe ont remarqué une légère amélioration de leurs relations avec la police, ce qui est un élément positif, mais le problème majeur qui perdure, c'est qu'ils ne font toujours pas vraiment confiance à la police. Lorsqu'un agent de police passe dans le secteur, ils essayaient de l'éviter parce que sa présence fait fuir la clientèle, après quoi ils se retrouvent dans des endroits encore plus isolés, et finissent encore...
Si un travailleur du sexe monte dans la voiture d'un client et négocie avec lui, la police va tout de même l'intercepter à ce moment. Par conséquent, criminaliser l'interaction entre le travailleur du sexe et son client envenime davantage la relation avec les forces policières. Nous constatons que cette étape est en train de disparaître avec le nouveau projet de loi, soit le fait que les travailleurs du sexe ne sont pas arrêtés; il semble maintenant qu'ils le seront à nouveau, en toute impunité, et avec tous les effets dangereux qui en découleront.
C'est tout. En raison de la criminalisation des clients des travailleurs du sexe en pleine rue, ces derniers doivent encore se déplacer, ce qui, comme on l'a constaté à maintes reprises, est vraiment une des principales causes de la violence qu'ils peuvent subir dans la rue.
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Voilà une excellente occasion de clarifier toute cette question.
La Loi sur l'identification des criminels relevant du Code criminel est très précise. On prendra les empreintes digitales et des photographies de toute personne accusée d'un acte criminel, point à la ligne. En cas d'option de procédure, un individu peut être reconnu coupable d'un acte criminel punissable d'une peine pouvant aller jusqu'à 2, 5 ou 10 ans, ou bien punissable sur déclaration de culpabilité par procédure sommaire. En présence d'un délit à option de procédure, les empreintes digitales et des photographies de l'individu sont prises. Lorsque l'affaire est devant les tribunaux, le procureur de la Couronne détermine s'il souhaite procéder par voie de mise en accusation ou par déclaration sommaire de culpabilité. Quoi qu'il en soit, les empreintes digitales et les photographies ont déjà été prises.
Il y a une raison à cela. Disons que nous arrêtons aujourd'hui un individu à Calgary, puis que celui-ci se rend à Montréal. Si un homme du nom de Rick Hanson se fait arrêter à Calgary, puis qu'un Rick Hanson est arrêté à Montréal, comment peut-on savoir s'il s'agit du même individu? Je vous assure qu'ils sont nombreux à porter ce nom.
La troisième option comprend les infractions punissables uniquement sur déclaration de culpabilité par procédure sommaire. Autrement dit, les infractions passibles d'une peine maximale de six mois ou d'une amende ne relèvent pas de la Loi sur l'identification des criminels. Aucune empreinte digitale ou photographie n'est prise dans un cas semblable. Ainsi, même si une déclaration de culpabilité est enregistrée, il n'y a aucun casier judiciaire, car comment pourrait-on identifier cette personne sans empreintes digitales ni photographies? Comment savoir si la même personne est accusée? Eh bien, c'est impossible.
Ce dont vous parlez, ce sont souvent des délits à option de procédure, où le procureur de la Couronne peut choisir la déclaration sommaire de culpabilité, mais il y a tout de même prise d'empreintes et...