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La 26
e séance du Comité permanent de la justice et des droits de la personne est ouverte. L'ordre du jour indique que nous discuterons aujourd'hui du projet de loi . Nous accueillons un certain nombre de témoins.
Mesdames et messieurs, avant que nous commencions, je vais régler quelques questions administratives. Tout d'abord, voici où en sont les choses concernant les témoins que nous avons invités à comparaître, en fonction des suggestions de tous les partis. Des témoins comparaîtront aujourd'hui et jeudi, ainsi que mardi et jeudi prochains. Par la suite, j'ai réservé les deux réunions de la semaine subséquente pour l'étude article par article, car je présume que quelques amendements seront proposés et que nous en discuterons. Il se peut que les choses se déroulent plus rapidement, mais nous avons prévu deux séances. L'étude article par article commencera le 10 juin.
Évidemment, nous pouvons présenter des motions comme bon nous semble, mais j'aimerais vraiment que vous présentiez vos amendements d'ici le vendredi 6 juin, soit la semaine précédant l'étude article par article du 10 juin, de sorte qu'on puisse les faire traduire et les fournir aux membres du comité. Ce serait utile.
Je veux vous dire que Facebook figure sur un certain nombre de listes de témoins potentiels. Des représentants du réseau nous ont indiqué que Facebook n'était pas vraiment emballé par l'idée de venir témoigner. Nous avons essayé de fixer une date, mais c'est toujours déplacé, etc. Ils voulaient être représentés par une association de fournisseurs d'accès Internet, ce qui est correct. Tous les partis souhaitent que Facebook comparaisse, mais je ne pense pas que des représentants viendront ici. Je crois que le témoignage se fera par vidéoconférence, mais au moins, il aura lieu.
Je suis donc disposé à recevoir une motion visant à inviter Facebook de nouveau pour que ces gens comprennent que le comité souhaite vraiment qu'ils témoignent.
Monsieur Dechert.
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Je vous remercie beaucoup de m'accueillir. C'est pour moi un honneur d'être ici. J'ai passé les dernières semaines à lire sur ce qu'a fait le comité. Je dois dire qu'en tant que citoyen, je suis rassuré de voir que le comité traite le dossier comme une question politique et non pas comme une question partisane.
Il est parfois banal de dire que tout est une question de politique, car c'est le cas, et le processus implique des concessions de part et d'autre et des échanges, ce qui mène à un résultat servant les intérêts de chacun. La partisanerie, c'est une autre affaire lorsque l'objectif est différent. Dans la mesure où les documents, les transcriptions, indiquent que le comité examine les choses sur le plan politique et non partisan, je pense que c'est tout à l'honneur des gens qui sont ici.
Brièvement, pour commencer, je présume que malheureusement, on me connaît surtout comme une victime de l'un des pédophiles les plus connus au Canada, Graham James. J'ai côtoyé Graham pendant environ trois ans et demi, et je me suis présenté devant la justice en tant que victime lorsque j'ai décidé de divulguer ce que j'ai vécu. J'ai senti la tension qu'il y a dans cette salle, car je suis également avocat. J'ai fait mes études à Princeton et à la Faculté de droit de l'Université de Toronto. J'ai commencé ma carrière juridique en tant qu'avocat de société de Torys. J'ai agi à titre d'avocat général pour plusieurs entreprises. J'y reviendrai plus tard, lorsque nous parlerons des motifs pour lesquels une entreprise et un service juridique auraient peut-être à fournir de l'information de façon volontaire.
Je dirai seulement qu'il a été intéressant de faire des études de droit en tant que victime. Parfois, nous nous perdons dans de grandes théories et des arguments très intellectuels lorsqu'il s'agit d'analyser ce qui peut ou ne peut pas fonctionner dans une mesure législative. C'est le processus normal. On détermine si la mesure portera atteinte aux droits de quelqu'un d'autre. Il y a toujours un jeu d'équilibre.
Je ne suis pas d'avis qu'il faut enfermer tous les délinquants à perpétuité, mais d'entrée de jeu, je veux féliciter le gouvernement actuel et le comité pour les mesures qu'ils semblent prendre pour présenter une mesure législative telle que le projet de loi .
Je vais faire preuve d'une totale transparence: je suis un libéral. J'ai été membre exécutif au Manitoba lorsque je travaillais avec Canwest. J'ai été le rédacteur de discours de David Matas, l'un des principaux avocats canadiens spécialisés dans les droits de l'homme. Je me considère chanceux d'avoir servi le Parti libéral et David Matas, ce qui peut vous faire paraître surprenantes certaines des observations que je vais faire aujourd'hui, car je vis cette tension — et vous le constatez probablement me voyant me balancer d'avant en arrière sur ma chaise — entre le point de vue théorique sur la préservation des droits individuels et la protection de la vie privée, d'une part, et le fait qu'il y a des monstres dans nos villes, d'autre part. Lorsque nous rédigeons des mesures législatives ou que nous en examinons, nous ne tenons pas souvent compte du fait qu'il y a des monstres parmi nous. J'ai vu le diable de mes yeux, et heureusement, je m'en suis sorti.
Je peux dire que parfois, à mon avis, notre société fait une erreur en s'assurant que les droits de l'individu ne soient pas suffisamment protégés. J'aime examiner les choses dans un angle que je présume contraire au point de vue de certaines personnes qui prendront la parole après moi. Je pense qu'en tant que membre de la société, nous avons les ressources qu'il faut pour surveiller les comportements et faire en sorte que les gens qui nous protègent agissent dans notre intérêt en tout temps, et que si nous découvrons que la police ou l'État vont trop loin, nous prendrons des mesures pour modifier les immenses pouvoirs de l'État.
Je ne crois pas que quiconque devrait avoir peur de légiférer et d'adopter des mesures adéquates pour protéger les enfants, nous protéger ou aider les policiers à créer une meilleure société pour nous tous. Si nous faisons une erreur, nous pouvons toujours la corriger. Nous n'avons pas à reculer chaque fois pour rejeter toute hypothèse ou théorie.
Nous vivons à une époque de changements technologiques. Nous examinons le problème de la cyberintimidation dans le cadre du projet de loi, mais nous ne parlons pas seulement de la cyberintimidation. Nous avons devant nous un certain nombre de modifications visant à actualiser le Code criminel.
De plus, en lisant la transcription, je crois comprendre que dans la mesure où les chefs de police ont eu des problèmes liés aux moyens dont ils disposent, ils l'ont clairement fait comprendre au comité au début du mois.
Dans la mesure où des victimes se réjouissent des nouvelles mesures législatives visant à protéger d'autres personnes contre les actes qu'elles ont subis, d'après les transcriptions que j'ai lues, certaines sont venues témoigner plus tôt au cours du mois. J'ai trouvé la mère d'Amanda Todd courageuse de dire qu'elle ne voulait pas qu'on utilise le cas d'Amanda comme une excuse pour empiéter sur les droits à la vie privée ou pour en retirer. Toutefois, en même temps, elle a recommandé que les policiers aient recours à des moyens plus rigoureux. On ne peut pas le dire plus clairement; il y a une dynamique délicate: la balance finit par pencher d'un côté ou de l'autre.
En tant que victime, ce qui compte pour moi, c'est que la police ait tous les moyens à sa disposition pour bien nous protéger. En tant qu'avocat, ma préoccupation, c'est que les droits à la vie privée et les droits individuels ne soient pas bafoués. D'après ce que j'en ai lu, à part quelques petites modifications qu'il faudrait lui apporter, le projet de loi constitue un très bon pas dans la bonne direction. Dans la mesure où les questions que vous avez posées aux chefs de police vous ont aidé à vous donner de meilleurs outils et vous ont indiqué comment façonner la mesure législative, je pense que vous êtes sur la bonne voie.
En lisant la transcription, j'ai trouvé intéressant que David Fraser comparaisse. C'est l'un des principaux avocats qui exerce dans le domaine du droit de la protection de la vie privée. J'exagérerais beaucoup si je disais que j'approuve tout ce qu'il a dit, mais c'est un homme brillant et il vous a donné un excellent témoignage à prendre en considération.
Cependant, ce que j'ai trouvé très fascinant, c'est de passer du témoignage théorique de David aux exemples pratiques de M. . On a pu voir à quel point la théorie ne cadrait pas vraiment avec ce qui se passe en réalité. À un moment donné, en examinant ce qui semble être l'un des aspects les plus controversés du projet de loi — donner l'information sur demande alors qu'autrement, on ne nous empêche pas de le faire —, M. a donné l'exemple d'un fournisseur de services qui fait face à une situation d'urgence et qui n'a pas le temps d'obtenir un mandat. L'avocat lui a répondu « j'ose espérer que le fournisseur de services prendrait la bonne décision ».
Malheureusement, le fait est qu'en tant qu'avocat de société qui dirige un groupe juridique, on peut espérer tant qu'on veut, mais le service juridique interne dira que c'est impossible à moins qu'il soit clair qu'on puisse faire cela.
Donc, ce qui est intéressant concernant cette disposition, que vous semblez avoir étudiée longuement — bien que j'y porte mon attention au début —, c'est que son contenu semble être une refonte de ce qui existe déjà dans la common law. Pourquoi faut-il inclure cela? C'est du bonbon pour un avocat de dire que si c'est déjà dans la loi, on n'a pas besoin que ce soit dans une mesure. Eh bien, de toute évidence, il y a un problème, car il faut rappeler aux gens leurs droits et la capacité qu'ils ont de faire la bonne chose au bon moment.
Le libellé actuel de la disposition sert simplement à rappeler aux avocats de société comme moi qu'on a la capacité de faire la bonne chose, et que si l'on fait la bonne chose, il n'y aura pas de répercussions.
Je pense qu'il y aurait lieu d'apporter une légère modification. Plus précisément — et je ne veux pas prendre trop de temps —, il y a l'idée de « ce n'est pas interdit ». La disposition est formulée de manière à ce qu'on puisse communiquer des renseignements qu'il n'est pas interdit de fournir autrement. Si vous changiez l'idée de « ce n'est pas interdit par la loi » — par « la loi autorise » —, ce serait seulement une petite modification.
Par contre, je pense que vous avez devant vous une série de propositions de mesures qui donnent aux policiers la possibilité de faire ce qui s'impose dans notre société. Ils ont besoin d'outils. Ils ont clairement demandé qu'on leur donne les outils qu'il faut. Les victimes se sont faites entendre, et au fur et à mesure que vous essayerez d'établir un juste équilibre entre les droits, l'accès et les outils, tout le monde sera offensé.
J'espère donc que vous continuerez d'aller de l'avant et que vous ferez ce qu'il faut faire: nous offenser tous, mais aussi vous assurer qu'il n'y a pas de crimes à l'avenir.
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Merci. C'est toujours un plaisir d'être ici.
Comme vous le savez sans doute, la Criminal Lawyers' Association est une organisation sans but lucratif qui rassemble plus de 1 100 avocats de la défense de partout au Canada. L'un de nos objectifs est d'éduquer non seulement nos membres, mais également le public sur le droit pénal et constitutionnel. La CLA est fréquemment consultée et invitée par divers comités parlementaires à exprimer ses points de vue sur des projets de loi dans le domaine. La CLA favorise les projets de loi justes, modestes, constitutionnels et fondés sur des preuves.
Disons-le sans détour, la CLA est tout simplement dans l'impossibilité d'appuyer le . En bref, le projet de loi C-13 est non seulement trop général, mais il est probablement aussi inconstitutionnel.
Le prétend s'attaquer à la cyberintimidation en arrêtant la diffusion d'images intimes publiées sans le consentement du sujet. La grande tragédie du projet de loi C-13, c'est que ces dispositions sont nécessaires, louables et qu'elles répondent à un besoin, mais en réalité, cet aspect ne représente qu'une petite partie du projet de loi. Au final, le projet de loi C-13 sacrifie la protection de la vie privée au profit de pouvoirs policiers élargis et de normes de divulgation trop laxistes.
Le , tout comme le et le , s'inscrit dans la lignée d'une érosion dangereuse et inconstitutionnelle, selon nous, de la protection de la vie privée.
Permettez-moi de vous parler un peu des dispositions sur la cyberintimidation. Elles sont importantes, louables et essentielles; elles sont indéniablement nécessaires dans le monde moderne. Dans l'ensemble, nous ne nous opposons pas au petit pourcentage des dispositions du projet de loi qui régissent la question.
Cela dit, il convient d'ajouter que ces dispositions sont probablement trop générales en tant que telles, puisque le critère utilisé pour juger de l'intention coupable est « l'insouciance ». Le critère de l'insouciance va probablement trop loin, en ce sens qu'il pourrait rendre responsables des personnes qui ne connaissaient pas ou n'auraient pas pu établir les circonstances liées aux images visées par cette disposition. Ainsi, le problème des dispositions sur la cyberintimidation n'en est pas tant l'objectif que l'application, sous ce petit angle précis.
L'objectif du projet de loi est de punir les personnes qui transmettent des photos intimes qui leur ont été envoyées, alors que la personne qui a pris ces images s'attendait à ce qu'elles demeurent privées. On peut s'attendre à ce qu'il reçoive un vaste appui du public, comme il se doit, mais la portée de ces dispositions pourrait être trop vaste, puisqu'elle élargit le concept de l'intention. En fondant le seuil de l'intention coupable sur « l'insouciance », pour cette infraction, ces dispositions pourraient s'appliquer non seulement à la première personne qui a reçu l'image, mais aux autres, à celles qui l'ont reçue par la suite et qui ne connaissent peut-être rien des circonstances entourant la prise de l'image.
Don Stuart, un éminent expert du droit criminel, nous invite à la prudence. Comme il le souligne dans la cinquième édition de Canadian Criminal Law, il y un risque que la norme d'insouciance ouvre la porte à une conception beaucoup plus vaste de la faute qu'on pourrait le souhaiter, et il serait plus nuancé de définir l'insouciance comme la méconnaissance du risque et de sa probabilité.
Cette disposition se retrouve ailleurs dans le code; par exemple au sous-alinéa a) (ii) de l'article 229, qui porte sur le meurtre.
Il serait possible de modifier la norme de l'insouciance dans la disposition sur la cyberintimidation afin de cibler les comportements qu'on pourrait qualifier de « revanche pornographique », sans capter dans les mailles du filet les personnes qui transmettent simplement des photos sans contexte et qui ne seraient pas nécessairement aussi coupables moralement.
Si l'on conserve ces dispositions sans définir clairement l'insouciance, cet article pourrait faire l'objet d'un examen à la lumière de la Charte. Ce serait alors une question de portée trop vaste: cet article s'applique-t-il à des personnes qui ne seraient peut-être pas autant à blâmer moralement, mais à qui pourrait s'appliquer le critère d'insouciance? Comme je l'ai dit, c'est le petit problème que pose cette partie du projet de loi.
Je suis davantage préoccupé par la question de la « divulgation légitime » qu'on trouve dans le . Ce projet de loi s'annonce comme une mesure de protection des Canadiens contre la cyberintimidation et les crimes en ligne, mais il va bien au-delà de ces paramètres.
Je commencerai par vous dire, bien sûr, que les éléments les plus controversés du en ont déjà été retirés (la divulgation obligatoire et sans mandat de renseignements de base sur les abonnés). Cependant, de graves problèmes demeurent. Je vais vous en présenter deux.
Premièrement, l'obtention de ces ordonnances ne fait tout simplement pas l'objet d'une assez grande surveillance judiciaire.
La Cour suprême du Canada s'est penchée récemment sur la norme des soupçons raisonnables, qui est la norme applicable dans le contexte de ce projet de loi, dans l'affaire R. c. Chehil. Les juges ont alors statué clairement que la norme des soupçons raisonnables est bien inférieure à la norme des motifs raisonnables et probables, qui est la norme utilisée habituellement. Plus précisément, les juges de la Cour suprême ont dit que le droit de l'État de décider et de prévenir le crime commence à l'emporter sur le droit du particulier de ne pas être importuné lorsque les soupçons font place à la probabilité fondée sur la crédibilité.
Les données, soit l'objet des fouilles envisagées dans le projet de loi , contiennent beaucoup de renseignements personnels. Il serait erroné de parler ici simplement de métadonnées. Ce terme dilue l'importance et l'incidence de ces données.
Je crois comprendre qu'un éminent expert de la question, Me Michael Geist, va témoigner devant le comité plus tard cette semaine, et je crois qu'il va convenir que les métadonnées méritent un degré de protection accru. Il n'est d'ailleurs pas le seul à défendre ce point de vue. Si l'on jette un coup d'oeil aux rapports publiés en 2013 par la commissaire à l'information et à la protection de la vie privée de l'Ontario et par le Commissariat à la protection de la vie privée du Canada, ils témoignent tous deux des attentes supérieures liées aux métadonnées et des renseignements intimes qu'elles peuvent révéler. Je vous recommanderais de lire ces rapports. Il est assez renversant de voir ce qu'on peut apprendre des communications et des renseignements de base d'une personne au simple moyen d'une adresse IP ou par l'analyse d'autres métadonnées envisagées.
On s'attend généralement à ce que la confidentialité des métadonnées soit particulièrement protégée, et c'est ce qui ressort également des arrêts de la Cour suprême, qui concordent beaucoup avec le point de vue de Me Geist et des commissaires à la vie privée. Dernièrement, dans l'affaire Vu, qui portait sur des métadonnées trouvées dans un ordinateur personnel, la Cour suprême du Canada a adopté le point de vue de la Criminal Lawyers' Association, qui est intervenue dans l'affaire, selon lequel ces renseignements, les métadonnées, peuvent ordinairement nous aider à retracer la navigation cybernétique de la personne. Dans le contexte d'une enquête criminelle, cependant, elles peuvent également donner aux enquêteurs accès à des détails intimes sur les intérêts, les habitudes et les identités d'un utilisateur en fonction d'un registre créé involontairement par l'utilisateur. Bien sûr, à notre époque, on peut emmagasiner de l'information, la répertorier et établir des recoupements susceptibles de révéler toujours plus d'information.
Les observations de la Cour suprême sur la confidentialité supérieure inhérente à ce type de données sont tout simplement incompatibles avec la norme proposée des soupçons raisonnables qu'on trouve dans le projet de loi . Cette incongruité expose le projet de loi à un examen à la lumière des dispositions de la Charte et me porte à croire qu'il pourrait même y avoir lieu de conclure au non-respect de la Charte. Il n'existe tout simplement aucune raison justifiable de principe selon laquelle les nouvelles dispositions du projet de loi sur les mandats ne devraient pas se fonder sur la norme habituellement et judiciairement approuvée des motifs raisonnables et probables.
Ensuite, pour ce qui est de l'incitation à la divulgation non supervisée par appareil judiciaire, le projet de loi risque également de faire augmenter les demandes présentées à une entreprise de télécommunications afin qu'elle divulgue des renseignements sans supervision de la cour ni protection correspondante. Ici, il y aurait tout lieu de renforcer la protection de la vie privée et non de l'abandonner. Le renvoi à l'article 25 du Code criminel actuel ne constitue pas une solution. Si vous lisez attentivement l'article 25, vous verrez qu'il se fonde sur des motifs raisonnables et que les dispositions en matière d'appel ne sont absolument pas rassurantes dans ce contexte puisqu'elles n'offrent aucune protection.
Bien sûr, d'après notre interprétation des dispositions existantes du projet de loi , il élargit la portée de la divulgation. Ainsi, la demande ne devrait plus obligatoirement provenir de l'organisation qui fait appliquer la loi ou qui l'administre. On ouvre donc grande la porte à une augmentation des demandes. En effet, on observe une codification de l'immunité civile et pénale, qui ne se trouve pas à l'article 25, comme je l'ai dit, puisque l'article 25 se fonde sur la norme des motifs raisonnables, une norme totalement absente ici.
Il y a donc tout lieu de craindre que cet élargissement des pouvoirs policiers et la déresponsabilisation de la partie qui accepte de divulguer de l'information n'incitent les services policiers à multiplier leurs recherches à l'aveuglette, et bien sûr, nous avons lu dans certains rapports de l'information très préoccupante sur les pratiques actuelles à cet égard.
En effet, il aurait été préférable de nous doter de lois distinctes sur la cyberintimidation, d'une part, et sur l'accès légitime, d'autre part. Cependant, compte tenu de la formulation actuelle du projet de loi C-13, la CLA recommande que la norme pour l'octroi de mandats soit renforcée et harmonisée avec ce que la jurisprudence de la Cour suprême désigne approprié. Personne ne voudrait que des éléments de preuve soient exclus. Personne ne voudrait qu'on parte sur de fausses bases et qu'on se rende compte des années plus tard qu'une loi constitutionnellement douteuse a été adoptée, que des preuves ont été exclues et que des poursuites ont été compromises parce que nous n'avons pas fait les choses comme il faut au départ. Les dispositions sur la divulgation volontaire devraient être réexaminées du point de vue de l'équité, du respect de la vie privée et ultimement, de leur constitutionnalité.
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Merci, maître Schellenberg.
Nous espérons que notre contribution à la discussion d'aujourd'hui vous aidera à comprendre le fonctionnement des dispositions proposées, si elles entrent en vigueur, et bien sûr à comprendre également les questions qu'elles pourraient poser du point de vue de la Constitution ou de la Charte.
Nous proposons de nombreux amendements qui visent tous l'un de nos deux principaux objectifs. Le premier est de veiller à ce que seule la cyberintimidation véritablement intentionnelle soit ciblée et le deuxième, que la vie privée soit protégée lorsque des données sont saisies.
Notre mémoire écrit renferme de nombreux détails que nous n'arriverons pas à couvrir dans notre exposé. Je vais donc mettre l'accent sur nos recommandations sur la cyberintimidation, l'accès légal et la Loi sur la concurrence.
Prenons d'abord la cyberintimidation. Comme vous le savez, le projet de loi criminalise une forme particulière de cyberintimidation, c'est-à-dire la publication d'images intimes sans consentement. Or, les dispositions du code sur la pornographie juvénile interdisent déjà la diffusion de représentations sexuelles d'enfants, alors que le nouvel article 162.1 proposé dans le projet de loi criminalise la publication d'images intimes de n'importe quelle personne sans son consentement, sans se limiter aux jeunes. Selon l'ABC, cette nouvelle infraction est mieux adaptée pour lutter contre la cyberintimidation chez les jeunes que les dispositions sur la pornographie juvénile.
Nous recommandons des amendements afin de restreindre davantage cette nouvelle infraction aux situations d'intimidation vraiment intentionnelles. À l'instar de Me Spratt, nous déplorons le libellé actuel de l'article proposé 162.1, qui pourrait s'appliquer en cas de comportement insouciant. Ainsi, il pourrait à notre avis criminaliser un comportement essentiellement insouciant, et l'insouciance est caractéristique des comportements chez les jeunes. Du coup, il serait contraire à l'article 7 de la Charte de poursuivre quiconque n'avait pas connaissance de commettre une infraction criminelle ni n'en avait l'intention.
Dans notre mémoire écrit, aux pages 5 et 6 de la version française, nous donnons un exemple dans lequel un adulte diffuserait des images de manière insouciante et dont le comportement pourrait être criminalisé, même si ce n'est probablement pas le but de ce projet de loi. Comme il pourrait y avoir des situations dans lesquelles la diffusion insouciante d'images pourrait exposer une personne à une responsabilité criminelle selon le libellé actuel, nous recommandons deux modifications.
De même, nous proposons une deuxième recommandation, qui figure à la page 6 de la version française, afin d'ajouter ces mots à l'article créant l'infraction: « avec l'intention de contrarier, d'embarrasser, d'intimider ou de harceler cette personne ». Il s'agit d'une formulation qui décrit l'intention de façon plus précise. À la recommandation 4, qu'on trouve à la page 8 de la version française, nous recommandons également la modification de ce paragraphe de manière à supprimer les mots « ou sans se soucier de savoir si elle y a consenti ou non ».
Ainsi, nous éliminerions le risque de criminaliser un comportement insouciant. À notre avis, ces deux amendements assureraient que seule la diffusion d'images avec une intention malveillante puisse donner lieu à des poursuites, afin d'éviter que des jeunes soient poursuivis pour la diffusion d'images de façon essentiellement insouciante.
Je vais maintenant vous parler de nos principales recommandations sur l'accès légal. Sept des huit principaux pouvoirs d'accès légal prévus dans ce projet de loi sont liés à un mécanisme judiciaire, c'est-à-dire que sept de ces huit pouvoirs se fondent sur des ordonnances ou des mandats. La seule exception à la règle est l'ordre de préservation donné par un agent, afin d'obliger une personne à conserver des données, de lui interdire de les supprimer pendant une période donnée, mais auquel cas les données ne sont pas saisies sans autorisation judiciaire.
Le régime proposé ne permet donc pas de saisir des données sans mandat, mais l'ABC reconnaît que la question de la confidentialité des données va bien au-delà des dispositions du Code criminel sur la saisie. Comme d'autres témoins vous l'ont dit, la plus grande préoccupation ici est peut-être le risque que des organismes d'application de la loi obtiennent des données grâce à la coopération de fournisseurs de services sans le recours à l'un des huit pouvoirs prévus par le projet de loi . L'obtention de données hors du cadre du Code criminel doit être autorisée par la LPRPDE, la loi sur les documents électroniques, et d'autres lois sur la protection des renseignements personnels.
Nous estimons important de souligner que même si les dispositions du projet de loi sur l'accès légal étaient parfaites, il n'en demeurerait pas moins que la LPRPDE et les autres lois de protection des renseignements personnels doivent être appliquées plus rigoureusement. Même les dispositions les mieux rédigées du Code criminel ne pourront rien contre les arguments selon lesquels il faudrait surveiller de plus près la coopération volontaire entre les fournisseurs de services et les organismes d'application de la loi.
Compte tenu de ce contexte général, deux des recommandations de l'ABC sont plutôt générales. La recommandation 8, à la page 14 de notre mémoire, porte sur la création d'une entité unique chargée d'examiner l'effet de la saisie, de la conservation et de l'utilisation de renseignements personnels par les organismes canadiens d'application de la loi.
À la recommandation 17, page 27 de la version française de notre mémoire, nous recommandons au gouvernement fédéral d'effectuer un examen global indépendant du droit à la vie privée dans le contexte des enquêtes électroniques.
Elles peuvent sembler très générales, mais nous évoluons dans un nouveau monde. Nous sommes en pleine tempête de changements législatifs et technologiques, ne nous demandons pas pourquoi le tout nous paraît si difficile.
Nous vous recommandons de nombreux amendements pointus dans notre mémoire, compte tenu de l'état actuel du projet de loi. Nous jugeons trois de ces amendements particulièrement essentiels pour éviter toute violation de la vie privée sous le régime de l'article 8 de la Charte.
À la page 16 de la version française de notre mémoire se trouve la recommandation 9, que les agents aient le pouvoir de donner un ordre de préservation seulement dans les cas d'urgence, où ils ont des raisons de croire que les données en question pourraient être perdues ou détruites avant qu'une autorisation judiciaire ne puisse être obtenue. Elle modifie l'article 487.012, le seul pouvoir de ce type sans autorisation judiciaire.
À la recommandation 14, à la page 22 de notre mémoire en français, nous recommandons que, puisque les données de transmission peuvent révéler des renseignements biographiques d'ordre personnel, le seuil des « motifs raisonnables de croire » s'applique dans le projet d'article 487.107.
De même, à la recommandation 15, page 23 de la version française, nous recommandons que le seuil applicable au mandat pour un enregistreur de données de transmission, à l'article 492.2, soit également les « motifs raisonnables de croire ».
Permettez-moi quelques mots encore sur les données de transmission. D'après notre interprétation, elles ne seraient pas synonymes de métadonnées, que nous considérons comme les données de navigation sur le Web pouvant être trouvées dans un ordinateur personnel saisi avec un mandat de perquisition. D'après notre interprétation, les données de transmission, selon la définition contenue dans ce projet de loi, ne comprendraient pas le contenu de la communication, mais seulement son type, sa direction, la date, l'heure, la durée, le volume, le point d'envoi, la destination ou le point d'arrivée de la communication. Cette définition limitée est très importante, parce que l'interception du contenu d'une communication privée constitue actuellement une infraction criminelle aux termes de l'article 184 du Code criminel, à moins qu'elle ne découle d'une autorisation d'écoute électronique.
Le projet de loi ne peut pas prévoir la surveillance du contenu de communications privées.
Je ne voudrais pas oublier de mentionner l'article sur ce qu'on appelle l'immunité, mais malheureusement, notre groupe de travail ne l'a pas analysé en détail et n'a pas fait de recommandations écrites à cet égard. D'autres témoins vous ont parlé de la formulation de cet article. Nous ne pouvons vous recommander que d'examiner attentivement et de façon comparative l'article proposé 487.0195, soit l'article existant, qui portait auparavant le numéro 487.0114, à la lumière de l'article 25 du code. À des fins de comparaison, vous pourriez également souhaiter examiner la disposition sur l'immunité qui s'applique aux personnes qui collaborent volontairement à l'exécution d'ordonnances d'écoute électronique, qu'on trouve à l'article 188.2 du Code criminel. Vous verrez dans cet article que seules les personnes agissant en conformité avec une autorisation judiciaire ou dans le cadre d'une interception en situation d'urgence bénéficient de la pleine immunité civile. Il s'agit ici d'une option plus limitée pour l'immunité.
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Merci beaucoup. Je suis très heureux, pour la KINSA, d'être invité à témoigner devant le comité.
Très brièvement, la KINSA, la Kids' Internet Safety Alliance, est une association canadienne sans but lucratif d'envergure internationale dont la mission est de protéger et de sauver des enfants de partout dans le monde contre leur exploitation par Internet.
Mes antécédents sont à titre de conseiller juridique pour la KINSA. Avant, j'ai été membre fondateur du conseil d'administration, dont j'ai fait partie pendant un certain nombre d'années. Dans ma vie professionnelle, je suis criminaliste depuis 25 ans. J'ai été, la moitié de ce temps, avocat de la Couronne et, l'autre moitié, avocat de la défense. J'ai donc connu les deux côtés de la médaille. Actuellement, je travaille pour un cabinet.
Une partie importante de mon activité consiste à représenter les victimes de la criminalité, quand elles ont besoin d'un conseiller juridique indépendant pour voir à leurs intérêts dans les poursuites criminelles. Un troisième aspect de mon activité, qui, en fait, comporte trois facettes, consiste à représenter les agents de police pour toutes les questions de discipline et d'examen professionnels qui se présentent et pour celles de maintien de l'ordre. J'aime donc dire que j'ai touché à tous les aspects de la justice criminelle dans mes 25 années d'expérience. Comme par hasard, l'année dernière j'ai également totalisé 25 appels à la Cour suprême du Canada. Malheureusement, dans la dernière affaire, je me suis fait dé-Butt-er, pardon, débouter...
Des voix: Oh, oh!
Me David Butt: ... jeu de mots intentionnel. Les procès sur les questions constitutionnelles, ça me connaît.
Donc, comme porte-parole de la KINSA, j'apporte le point de vue pratique d'un criminaliste de première ligne et je pose la question: comment ça marche? Pour moi, en la considérant selon les deux points de vue, voici l'explication. Je pense que Greg a vraiment vu juste en disant qu'il y aura des tiraillements entre la protection de la vie privée et l'application efficace de la loi. À ce problème, on peut apporter trois réponses, deux mauvaises et une bonne. D'après moi, vous êtes tombé pile, vous avez la bonne avec ce projet de loi.
La première mauvaise réponse consiste à ne pas donner de pouvoirs à la police, par crainte d'une police puissante. Ce serait une erreur, parce que je pense que les Canadiens, à juste titre, s'attendent, et c'est une attente minimale, à ce que la police puisse mener des enquêtes sophistiquées et efficaces dans un monde numérique.
L'autre erreur consiste à ne faire aucun cas de la protection de la vie privée. Je pense que les Canadiens s'attendent à ce que, dans ses enquêtes efficaces dans le monde numérique, la police respecte, comme il se doit, la vie privée.
La bonne marche à suivre consiste à se poser la question suivante. Donnons à la police des pouvoirs véritables pour des enquêtes numériques en prévoyant aussi un contrôle judiciaire digne de ce nom pour modérer ces pouvoirs de façon indépendante. Je dirais que c'est le point idéal que réussit à toucher le projet de loi. Voici comment je mesure la réussite d'un projet de loi: permet-il à la police d'agir avec efficacité, tout en donnant à un autre pouvoir de l'État, le judiciaire, des moyens appropriés pour la surveiller? Si vous avez les deux, vous avez la bonne recette, et, dans le cas du projet de loi, je dirais que vous l'avez trouvée.
Permettez-moi de parler de quelques sujets précis qui ont été mentionnés ce matin et sur lesquels je diverge fondamentalement d'opinion.
Le critère d'insouciance d'abord. Les tribunaux d'appel ont noirci des pages et des pages de jugements pour définir l'insouciance. Au risque d'une simplification à outrance, je dirai qu'il ne s'agit pas de négligence. La négligence est de l'étourderie, un manque de réflexion sur le risque. L'insouciance connaît le risque, mais ça n'empêche pas d'agir. Comment peut-on avoir tort de dire, même à un adolescent, que, malgré le risque dont il était conscient, il a quand même distribué des images intimes inappropriées d'un tiers. C'est un critère que j'impose à mon enfant de 10 ans. S'il n'y a jamais réfléchi, d'accord. C'est pourquoi je conviens que nous ne pouvons pas avoir un critère de négligence. Mais un critère d'insouciance signifie qu'on a agi en connaissant malgré tout le risque. D'après moi, il convient dans le contexte de la distribution de ces images intimes.
Le soupçon raisonnable ensuite. Notre Cour suprême a dit, en 2004, que la police peut exercer des pouvoirs fondés sur le soupçon raisonnable. Ne croyons donc pas, à tort, que le soupçon raisonnable pose un problème sur le plan constitutionnel. Les agents de police peuvent, comme on le constate dans des arrêts comme Mann, détenir quelqu'un en raison d'un soupçon raisonnable.
Alors, si en ma qualité d'agent en uniforme je peux vous arrêter et vous détenir en raison d'un soupçon raisonnable, pourquoi ne puis-je pas demander à un juge d'autoriser la saisie de données minimales qui donneront simplement un motif suffisant d'obtenir un mandat convenable pour faire enquête? Pas une enquête complète; seulement pour mettre un pied dans la place pour ensuite obtenir un mandat. Je dis que, dans ces circonstances, le soupçon raisonnable est approprié et il est limité.
Pour tout ce qui touche la teneur de la conversation, il faut, d'après le projet de loi, obtenir un mandat complet, fondé sur des motifs raisonnables. Si les données de transmission, comme je le lis dans le projet de loi, permettent simplement de savoir à qui s'adresser pour obtenir un mandat, je réponds que c'est parfait. Et si les spécialistes des données de transmission affirment que le problème est plus général, je m'en remets à eux.
L'autre aspect de la chose est que ceux qui se sont opposés aux données de transmission et au soupçon raisonnable n'ont pas, d'après moi, tenu compte des mécanismes de protection que, dans votre sagesse, vous avez intégrés dans le projet de loi. Par exemple, si une compagnie reçoit une ordonnance de communication fondée sur un soupçon raisonnable, elle n'est pas obligée de s'y plier. Elle peut s'adresser à un juge et lui dire qu'elle trouve que l'ordonnance ratisse trop large et que, pour cette raison, elle n'y donnera pas suite. Le juge peut en tenir compte. Le seul inconvénient est qu'on prive la police du moyen d'obtenir les données qu'elle recherche. Voilà donc un aspect essentiel qui répondra à toutes les craintes qu'on peut éprouver à cause d'une ordonnance qui ratisse trop large.
La disposition sur l'immunité. Elle fait bénéficier de l'immunité la personne qui communique des documents ou des données qu'elle est déjà en mesure de communiquer. Comme Greg l'a si bien dit, pourquoi en avons-nous même besoin? C'est un rappel à l'industrie pour favoriser la coopération. Qui décidera de ce qu'il convient de communiquer? Ce ne sera ni la police ni les entreprises. Devinez qui. Ce sera les tribunaux. Ils protègent la Constitution. Eux diront ce qu'on peut communiquer sans enfreindre la loi.
Je pense qu'on a omis jusqu'ici d'aborder un point très intéressant: Que disent les tribunaux? D'après l'affaire Ward, en Ontario, et l'affaire Spencer entendue en décembre par la Cour suprême, et dont le jugement sera probablement publié sous peu, les tribunaux disent maintenant qu'on peut seulement demander des renseignements de base sur le nom et l'adresse des abonnés. Il faut le faire dans le contexte d'une enquête précise, très limitée. Ce ne peut pas être, comme on dit, une expédition de pêche. Il faut tenir compte des règles d'utilisation acceptable du fournisseur de cette information. La plupart des sociétés qui ont un comportement responsable ont pour principe d'utilisation acceptable de ne pas laisser utiliser leurs services comme écran à une activité criminelle.
Les tribunaux tiennent donc compte de ces éléments, et ce qu'on peut demander légalement, dans un contexte criminel, est très limité. Alors, au sujet de cette disposition selon laquelle vous bénéficiez de l'immunité si vous communiquez ce qui peut être communiqué dans le respect de la loi, je ferai d'abord remarquer qu'elle est redondante; ensuite, qu'elle envoie un message rassurant de coopération; enfin, que les tribunaux ont déjà défini de manière très stricte ce principe d'immunité parce que c'est à eux qu'incombent de définir ce qu'on peut légalement communiquer. Pour toutes ces raisons, je dis que vous êtes sur la bonne voie.
Merci.
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Pour répondre à certaines remarques de M
e Butt, je pense que c'est un peu un argument d'homme de paille que de prétendre que le fait d'exiger des contrôles plus rigoureux émascule en quelque sorte la police. Je veux dire que c'est simplement faux. Bien sûr, si les circonstances l'exigent, la police n'a pas besoin de mandat pour entrer chez vous. Passons donc outre. La police peut aussi demander de conserver cette information. Elle le peut aussi.
Je pense que la principale différence réside le fait que Me Butt distingue mal la nature des renseignements à divulguer. C'est sûr que les commissaires à la protection de la vie privée et que les universitaires ne sont pas d'accord sur le type limité d'information à divulguer. La Cour suprême a adopté l'opinion que le caractère privé de cette information mérite d'être relevé.
Si vous étudiez le rapport, il ne dit pas simplement que X est la personne qui fait fonctionner tel ordinateur. Cette information peut être cataloguée, stockée, faire l'objet de recoupements — et on peut le faire d'autant mieux que la capacité augmente — mais cette information peut, par exemple, conduire à de l'information sur les sites Web visités et les messages qu'on y a laissés. Dans un cas, cela a permis — et c'est dans le rapport de la commissaire à la protection de la vie privée du Canada — une détermination fondée sur les sites Web visités, les préférences sexuelles et les affiliations politiques. Il ne s'agit pas simplement de savoir à qui vous avez parlé, mais, plutôt à qui ces interlocuteurs ont parlé et pendant combien de temps. Le fait que ce contenu n'est pas accessible ne protège pas contre les critiques.
Comme l'a dit la commissaire à l'information et à la protection de la vie privée de l'Ontario, sous certains aspects et dans de nombreux cas, les métadonnées sont en fait plus révélatrices que le contenu. C'est donc un argument d'homme de paille que de dire que cela, d'une certaine manière, émascule la police et qu'elle ne peut pas faire son travail dans le cadre constitutionnel. Tous veulent éviter — et c'est arrivé à quelques reprises, ces derniers temps — qu'on soulève des problèmes d'ordre constitutionnel, comme dans l'affaire Vu. Dans ce cas, on a exclu des éléments de preuve, au détriment des poursuites. En fin de compte, l'affaire en est restée là. Le critère supplémentaire des motifs raisonnables nécessaires découle de l'article 25. Cet article et les mécanismes de protection contre la divulgation volontaire rendent manifeste la nécessité de l'existence de motifs raisonnables. Comme on est capable de conserver les données, rien ne s'oppose, en principe, à l'application à ce type d'information d'un critère de motifs raisonnables et probables. Ainsi, la police conserve ses moyens, et la vie privée continue d'être protégée.
Nous ne voyons pas ici de disposition concernant les métadonnées issues de la navigation sur le Web. À notre connaissance, ce genre de preuves s'obtient par la saisie d'un ordinateur et son examen criminalistique, et d'autres lois auxquelles le projet de loi ne touche pas y pourvoient bien.
En ce qui concerne le critère d'insouciance, le mot « sciemment » se trouve deux fois dans la disposition constitutive de l'infraction. En droit criminel, la notion de « sciemment » englobe l'aveuglement volontaire, et c'est le critère que nous aimerions voir utiliser. L'aveuglement volontaire est le fait, pour quelqu'un, de savoir qu'il n'y a probablement pas consentement à la distribution de l'image, mais il la distribue néanmoins. C'est un critère plus rigoureux de détermination d'un non-consentement probable. « Sciemment » véhicule à lui seul la notion d'aveuglement volontaire.
En ce qui concerne la soumission raisonnable, vous avez entendu d'autres témoins dire comment le critère s'applique aux premières étapes d'une enquête, quand on s'attend moins au caractère privé des données, par exemple, dirions-nous, les données de transmission. Nous sommes totalement d'accord pour resserrer le critère de motifs raisonnables aux étapes ultérieures de l'enquête, et pour les données d'un caractère éventuellement plus privé.
En vertu de ces dispositions, en ce qui concerne l'absence de connaissance, par le public, de la nature des données saisies, on obtient toutes les ordonnances de communication et tous les mandats au moyen d'une dénonciation. La dénonciation peut comporter plusieurs douzaines ou des centaines de pages. On la dépose au greffe. On suppose que le public y a accès, mais on peut exiger de la mettre sous pli cacheté pendant la durée de l'enquête. Pour ces mesures autorisées par les juges, il existe une masse énorme de documents publics, mais nous reconnaissons qu'ensuite c'est presque l'inconnu. Les gens ignorent quel est le sort de leurs données après l'enquête. Il n'existe tout simplement pas de dispositions à cette fin dans le code en vigueur ni dans les modifications.
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Merci, monsieur le président. Bienvenue aux témoins. Vous nous avez fait d'excellentes présentations.
J'ai une question pour Me Spratt.
Le 1er mai, le comité a entendu mon collègue du Parti libéral interroger le ministre de la Justice sur le paragraphe 487.0195(2). Le ministre a répondu que ce paragraphe est repris, au fond, de l'article existant, qui a été renuméroté principalement pour faire place aux nouvelles dispositions sur les ordonnances de préservation ou de communication qui sont contenues dans le projet de loi.
Il a aussi dit qu'il énonce plus clairement qu'une personne qui collabore avec la police pourrait se prévaloir de la protection qu'offre le Code criminel. Ainsi, pour ceux qui fournissent volontairement ce type d'information pour aider les autorités d'application de la loi, cette disposition reprend ce que l'article existant prévoit. Elle est là par souci de précision.
Quand mon collège a demandé au ministre s'il était d'accord pour dire que le projet de loi C-13 consacre l'immunité des compagnies de téléphone contre les poursuites en recours collectif dans les cas où elles donnent suite à des demandes de documents sans mandat, mais légales, le ministre a répondu en disant que, si la demande est légale, elles devraient être à l'abri de poursuites. Ce projet de loi ne créerait aucune nouvelle protection contre les poursuites criminelles ou civiles pour les personnes qui collaborent volontairement avec les autorités d'application de la loi. Il ne fait que clarifier les dispositions et les protections existantes.
Enfin, mon collègue a demandé au ministre de lui dire, dans des circonstances où les autorités d'application de la loi adresseraient une demande sans mandat, mais légale à une compagnie de téléphone, s'il était d'accord que la compagnie de téléphone n'aurait pas l'obligation d'informer ses abonnés qu'elle a communiqué sans mandat, quoique légalement, de l'information aux autorités policières. À cela, le ministre a répondu que c'est en réalité une situation qui est visée par la LPRPDE.
En réalité, ce pourrait aussi être une question relevant du droit contractuel, entre le particulier et le fournisseur de service, la compagnie. Cependant, la disposition confère une protection aux personnes qui collaborent volontairement avec la police dans une enquête, pourvu que cette collaboration ne soit pas par ailleurs interdite par la loi. Elle doit être faite en conformité avec l'article 25 et avec l'autre article dont vous faites état, l'article 487.
Monsieur Spratt, pouvez-vous nous dire ce que vous pensez de la réponse du ministre et nous dire si vous êtes d'accord avec ses propos?
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Je ne suis pas d'accord. Je pense que la lecture du projet de loi pourrait mener à cette conclusion.
Le ministre a dit que l'obligation d'aviser un particulier si ses renseignements personnels ont été divulgués est prévue dans la LPRPDE. Ce n'est pas le cas. Il n'y a pas d'équivoque: le sous-alinéa 7(1)c)(ii) ne requiert aucun avis au particulier.
Quand le ministre dit qu'elle doit être faite en conformité avec l'article 25, ce n'est tout simplement pas le cas, si vous regardez le libellé de l'article 25, qui exige que la personne agisse « pour des motifs raisonnables ». Il n'est pas question de simplement demander l'information — « il me faut cette information pour une enquête » —, et d'obtenir de la compagnie de téléphone qu'elle vous la donne. S'il faut des motifs raisonnables pour la protection prévue à l'article 25, il est possible de plaider cela devant un juge.
Il est faux de dire que cela fait obstacle aux enquêtes. D'après moi, dans les cas tragiques qui ont été mentionnés devant le comité, il n'aurait pas fallu de 30 à 60 jours pour obtenir l'information. Ce n'est tout simplement pas ainsi que cela fonctionne.
L'article dont parlait le ministre augmente la capacité de demander cette information. Conjugué à d'autres projets de loi, comme le , cela soulève de graves préoccupations au sujet de la protection des renseignements personnels. Cela n'est pas conforme à l'article 25, qui exige des motifs raisonnables.
En réalité, les innombrables cas dont nous entendons parler depuis des mois, au sujet de la divulgation volontaire, sont troublants, et ceci ne règle en rien le problème. Cela ne change rien à la question des avis aux personnes concernées.
Quel est le risque, si des personnes demandent cette information? Je suis sûr que vous avez tous lu des histoires de vérification des antécédents, de vérifications policières, de stockage sur disque dur et de divulgation de cette information. C'est là, le danger. Il ne suffit pas de dire que, si vous n'avez rien à cacher, vous devriez accepter de passer l'information. Quel est le préjudice? Il y a préjudice quand il y a violation de la Charte. C'est la norme. Il ne faut pas faire pencher la balance vers la victime, mais plutôt vers la Charte, qui est la loi suprême à respecter.
Protéger les renseignements personnels n'équivaut pas à se cacher. La protection des renseignements personnels, c'est le droit et la capacité d'une personne de contrôler l'information à son sujet et sa liberté de choix. Tout comme l'intérêt de nature privée que j'ai sur la transmission de ma voix par ligne téléphonique, avec la compagnie de téléphone, je devrais aussi, comme tous les citoyens, avoir des intérêts de nature privée sur d'autres données. Il est faux de dire que la loi précise clairement qu'il ne s'agit que des données de l'abonné, comme son nom. Ce n'est pas ce que cela dit. Il est question du genre de données, de la durée, de la date, de l'heure, de la taille, de l'origine, de la destination et de la fin de vos données et de celle de tous les autres.
Une fois qu'on se sera mis à ratisser aussi large, on sera bien loin de l'égalité. Rien ne paralyse la police. Ils peuvent prendre les mesures nécessaires et nous pouvons être protégés. Les policiers peuvent faire leur travail et, en même temps, nous pouvons respecter les renseignements personnels tout en respectant les normes strictes auxquelles nous avons droit en vertu de la Charte.
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Merci, monsieur le président.
Je remercie tous les témoins. C'est certainement une analyse en profondeur du projet de loi. Manifestement, par ce débat, on cherche à trouver un équilibre entre la protection du public et, bien entendu, la protection des renseignements personnels.
Tout le monde sait que sur Internet, tout se produit à la vitesse de l'éclair. Il faut donc aussi pouvoir agir rapidement. Bien entendu, obtenir l'information qu'il faut pour un mandat prend tellement de temps qu'il est souvent impossible d'obtenir l'information avant sa suppression, ce qui entrave le travail de la police.
Je suis tombé sur un article très intéressant. C'était dans le Service de nouvelles Canwest. Je n'ai pas l'habitude de lire ce genre de choses, mais c'est très évocateur. Cela remonte au 12 mars 2009, et c'est un article qui repose sur les données recueillies par Cyberaide.ca — que le gouvernement fédéral subventionne, bien entendu. Ça correspond beaucoup à ce que Me Butt fait. Je suis sûr que vous connaissez cette organisation.
Voici ce que dit l'article:
Le premier portrait statistique du Canada concernant le leurre d'enfants par Internet montre que la police perd la bataille, ne pouvant arrêter les cyberprédateurs, et que les juges risquent peu de mettre en prison les rares cyberprédateurs qui aboutissent en cour.
Statistique Canada a indiqué jeudi que deux cas sur trois ne sont jamais résolus et que la vaste majorité des cas de leurre ne sont jamais même signalés à la police.
D'après l'agence de collecte de données, même quand les suspects sont accusés et que les auteurs sont déclarés coupables, les cours risquent plus vraisemblablement de leur épargner les peines d'emprisonnement.
La première analyse de cette infraction au Code criminel créée il y a sept ans permet de conclure que le bilan de résolution de ces crimes sans frontières empire au fur et à mesure que la technologie progresse et que les enfants vivent de plus en plus leur vie en ligne, affichant de l'information personnelle, ce qui en fait des proies faciles.
Les chiffres sont les suivants: Cyberaide.ca a reçu au total 21 000 signalements relatifs à l'exploitation d'enfants en ligne, entre le moment de son lancement en 2002 et janvier 2008. Les signalements portaient dans une proportion de 90 % sur la pornographie infantile; de 8 % sur des activités de leurre d'enfants; de 1 % sur l'exploitation d'enfants par la prostitution; enfin, de 1 % sur le tourisme sexuel impliquant des enfants.
Alors, parlons de l'égalité. La balance ne devrait-elle pas pencher du côté de la police, qui essaie d'obtenir de l'information afin de protéger les enfants, et ce, par des atteintes minimes à la vie privée? Ou bien doit-elle pencher du côté de la protection des renseignements personnels des transgresseurs?
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Merci beaucoup, monsieur le président.
[Traduction]
J'aimerais remercier tous les témoins.
Avant de commencer, j'aimerais préciser que cela ne porte pas sur les policiers ou les tribunaux, mais sur l'adoption des meilleures lois possible.
Je vous remercie de vos contributions. Vous êtes tous des gens brillants, et en tant que jeune qui détient un baccalauréat de la Faculté de droit de l'Université de Montréal, j'espère que je serai aussi brillante que vous lorsque je serai grande.
Des voix: Oh, oh!
Mme Ève Péclet: J'aimerais ajouter que je me considère comme étant une jeune et que je comprends ce qui se passe actuellement dans Internet, et que je pourrais en être victime. J'ai simplement à coeur la nécessité d'adopter les meilleures lois possible pour les victimes, car j'ai connu des victimes de la cyberintimidation. Je veux adopter les meilleures lois possible pour tous les Canadiens et pour les victimes. Cela dit, merci beaucoup, et je vais commencer.
Dans le projet de loi, on parle des agents de la paix. Les agents de la paix ne comprennent pas seulement les services de police et les agents du maintien de l'ordre, mais également les fonctionnaires publics et les administrateurs de lois fédérales. D'après les témoignages des représentants de l'Association des policiers qui ont comparu lors de notre dernière réunion, il est clair que le terme agent de la paix englobe le maintien de l'ordre en général et les services policiers, et qu'il n'est pas nécessaire d'inclure les fonctionnaires publics et les administrateurs de lois fédérales.
Pourquoi donnerions-nous des pouvoirs étendus à, par exemple, des administrateurs de l'Agence du revenu du Canada? Cela signifie-t-il que ces personnes auraient accès à nos renseignements personnels pour un autre type d'infraction?
Nous parlons des agents de la paix qui souhaitent poursuivre les cyberintimidateurs en justice. Pourquoi, dans ce cas, faut-il inclure les administrateurs de lois fédérales, des fonctionnaires publics comme les maires, etc.? Pourquoi?
Ma question s'adresse à M. Butt et à M. Gilhooly. Ne pensez-vous pas que les policiers à eux seuls englobent les agents de la paix en général? Pourquoi devons-nous inclure les administrateurs de lois fédérales dans le projet de loi ?
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Je crois qu'il y a certains éléments importants dans le projet de loi . Manifestement, de nouvelles dispositions sont nécessaires pour moderniser le Code criminel et pour traiter certains des cas dont nous avons entendu parler.
Idéalement, nous pourrions diviser le projet de loi et nous pencher attentivement sur les répercussions de la partie sur l'accès légitime. Toutefois, si ce n'est pas possible, nous aimerions qu'on applique la norme appropriée en ce qui concerne les motifs raisonnables et probables qui a été approuvée par la Cour suprême dans l'affaire Vu et qui correspond au fait que les motifs raisonnables de soupçonner sont seulement appropriés lorsque le niveau de confidentialité est peu élevé.
Il n'est pas suffisant de dire qu'il pourrait être élevé ou non, et qu'on a seulement à recueillir les renseignements, et que s'il n'est pas élevé, ce n'est pas de la divulgation de renseignements — et qu'on a fait de mal à personne. Nous, en tant qu'avocats, savons tous qu'il n'y a pas de justification ex post facto, et le fait que si vous trouvez des renseignements, ou qu'ils ne sont pas intrusifs après les recherches, ne peut pas servir de justification pour les recherches. Cela revient à mettre la charrue avant les boeufs, et les tribunaux désapprouvent cette tactique.
Il serait idéal d'avoir une norme appropriée, ainsi que la divulgation aux personnes touchées, et des mesures législatives liées à la conservation, à l'utilisation et à la diffusion future de ces données. Évidemment, il serait très utile, dans le cadre du projet de loi, d'établir des liens avec certains des exemples épouvantables concernant des vérifications de dossiers de la police dont ont parlé les médias récemment.
Enfin, lorsqu'il s'agit de divulgation volontaire, cela devrait être une norme liée à l'article 25 du Code, un article utilisé par le ministre pour justifier ce qui est déjà dans le projet de loi, et c'est une norme fondée sur des motifs raisonnables. Cela signifie qu'en tant que membre d'une société de télécommunications, si quelque chose me préoccupe, je peux le remettre à la police. Mais un service de police qui souhaite obtenir des renseignements d'une société de télécommunications doit présenter des motifs raisonnables, et ne peut pas se contenter de dire: « Nous vous réglementons, veuillez donc nous remettre les renseignements. »
Je crois que ces changements seraient bénéfiques et qu'ils ne nuiraient pas aux éléments positifs et aux bonnes intentions des deux premières pages du projet de loi.