Monsieur le président et membres du comité, je m'appelle Arne Mooers et je suis professeur de biodiversité à l'Université Simon Fraser. Je suis également le président du Comité de la biodiversité et de la conservation de la Société canadienne d'écologie et d'évolution, une société savante qui compte environ 1 000 membres.
J'ai l'honneur de comparaître devant vous à titre personnel parce que j'ai un solide intérêt professionnel pour la bonne gestion de la biodiversité du Canada. J'ai déjà eu cet honneur en 2009, je crois, dans le contexte d'un rapport que nous avons rédigé à l'occasion de l'examen qui a eu lieu six ans après l'adoption de la LEP, la loi pertinente que je connais le mieux.
La plupart des questions qui encadrent votre étude de la conservation des habitats au Canada n'ayant pas un caractère vraiment scientifique, je ne pourrais pas beaucoup vous aider à cet égard. Par exemple, je n'ai absolument rien à dire à propos des questions a), c) ou d) et je vous demanderais donc de bien vouloir ne pas m'interroger à leur sujet.
Étant donné que M. Doug Chorney, de Keystone Agricultural Producers, est avec moi, je voudrais vous donner un exemple récent des raisons pour lesquelles nous sommes ici ce matin. Je veux parler d'une étude qui a été publiée, il y a moins d'un mois, dans un des deux plus grands journaux scientifiques au monde, Science, par un groupe de 50 chercheurs internationaux, dont certains du Canada. Cette étude présente la preuve très étonnante, du moins à mes yeux, que la pollinisation des cultures dans le monde est la meilleure là où il y a le plus d'espèces de pollinisateurs sauvages et où ces derniers sont les seuls pollinisateurs. Elle est encore meilleure lorsqu'on fait venir des abeilles mellifères pour compléter la pollinisation.
Cela laisse clairement entendre que les habitats qui entourent les terres agricoles et les divers pollinisateurs qui y vivent apportent des avantages économiques directs à la population humaine et qu'il n'est pas facile de les remplacer.
J'ajouterais que dans le même numéro de ce journal, il est question de la mauvaise utilisation qui est faite de la science pour prendre des décisions en matière de conservation, ce dont nous pourrons peut-être discuter davantage, et de la trajectoire générale de l'exploitation sélective des forêts. Les données sur ces enjeux importants s'accumulent de jour en jour.
Pour ce qui est des questions soulevées ici, ma thèse est la suivante: la protection des habitats est une condition sine qua non et est absolument essentielle pour assurer une gestion efficace de la biodiversité. Néanmoins, l'efficacité de cette gestion ne peut pas se mesurer uniquement en fonction de l'importance de la protection des habitats. On ne peut pas mesurer le succès en fonction du nombre d'acres de forêt réservés pour l'exploitation sélective ou le nombre d'acres réservés pour des parcs nationaux.
Idéalement, la gestion de la biodiversité pourrait être surveillée grâce à des intégrateurs à haut niveau des effets de la biodiversité sur l'environnement, c'est-à-dire sur la productivité, l'instabilité du sol, la séquestration du carbone et la production nette et stable de choses qui nous plaisent ou dont nous avons besoin telles que la faune et la flore, les animaux que nous pouvons chasser et pêcher, etc. Nous pourrions voir ensuite comment différents régimes de gestion se répercutent sur ces valeurs, y compris ceux qui portent sur les habitats.
Il y a des théories au sujet de la quantité d'habitats qu'il faut préserver pour garder intacts les éléments requis de la biodiversité et ce qui se passe lorsqu'une trop grande partie de l'habitat disparaît, mais ces théories sont précisément le genre de choses dont les décideurs politiques pourraient faire un mauvais usage. Même si un grand nombre de mes collègues et moi-même voyons les avantages théoriques d'une gestion de la biodiversité basée sur l'écosystème, nous ne pouvons pas préconiser cette approche pour le moment.
Un rapport important qu'Environnement Canada a préparé récemment pour répondre à nos obligations en vertu de la Convention sur la diversité biologique, qui s'intitulait Biodiversité canadienne: état et tendances des écosystèmes en 2010 souligne la médiocrité de notre base de données au niveau des tendances des écosystèmes. Une des 22 principales conclusions était qu'il n'y avait pas suffisamment de recherche sur les écosystèmes pour pouvoir faire des évaluations au niveau politique et que ce manque de données avait nui à l'élaboration du rapport. Les auteurs en disent un peu plus à ce sujet. Ils ont manqué de données sur des choses aussi simples et aussi importantes pour le Canada que les changements dans l'étendue des habitats côtiers et les changements dans les zones humides. Ce rapport important n'a même pas pu proposer quoi que ce soit au sujet d'aspects importants de la fonction de l'écosystème comme la pollinisation. C'était tout simplement à cause d'un manque de données. Nous ne pouvons donc pas — et je veux parler des Canadiens, du Canada — mesurer l'état et les perspectives d'avenir des écosystèmes.
Ma première recommandation est que le gouvernement actuel du Canada et ses successeurs accordent une grande importance politique à la surveillance de tous les écosystèmes. Comme l'énonçait le rapport de 2012 de votre comité, « la nature fait partie de l'image de marque du Canada ». Nous ferions donc mieux de savoir ce qui se passe.
Néanmoins, nous pouvons déjà mesurer les indicateurs évidents d'une bonne gestion de la biodiversité. Ces indicateurs sont notamment la situation actuelle et la tendance des espèces qui la constituent. Dans la majorité des cas, sur terre, la dégradation de l'habitat est la principale cause des menaces qui pèsent contre les espèces. On considère qu'environ 80 p. 100 des espèces sont en péril au Canada. Je m'attends à ce que d'autres témoins, peut-être Mme Barrett, de Halton, en fassent la démonstration.
Si nous constatons qu'il y a des espèces menacées dans le paysage, cela signifie, la plupart du temps, que leur habitat est menacé. Si nous pouvons gérer les habitats afin que les espèces ne risquent pas de disparaître, nous allons probablement le faire de façon judicieuse. Le lien entre l'intégrité d'un écosystème, les services qu'il rend et le sort des espèces qui produisent cet écosystème est la principale raison pour laquelle un grand nombre de mes collègues et moi-même appuyons la mise en oeuvre complète de la LEP et de la législation complémentaire sur les espèces en péril au niveau des provinces et des territoires.
La plupart de mes collègues et moi-même ne voyons pas d'autre solution pour le moment.
Même si ce n'est peut-être pas ce que vous souhaitez entendre, nous sommes nombreux à croire, dans le milieu universitaire de la conservation, que la mise en oeuvre d'une législation énergique à l'égard des espèces en péril est peut-être la meilleure chose que le gouvernement fédéral puisse faire, à moyen terme, pour améliorer les efforts de conservation des habitats au Canada, dans le contexte actuel.
Merci beaucoup, monsieur le président et membres du comité.
Je m'appelle Kim Barrett et je suis l'écologiste terrestre principale de Conservation Halton depuis 10 ans. Avant cela, j'étais biologiste des espèces à risque au ministère des Ressources naturelles de l'Ontario.
Conservation Halton est l'une des 36 sociétés d'aménagement de l'Ontario. Les sociétés d'aménagement sont des organismes communautaires locaux qui offrent des services et des programmes visant la protection et la gestion des ressources naturelles en partenariat avec le gouvernement, les propriétaires fonciers et d'autres organismes.
Les sociétés d'aménagement sont propres à l'Ontario. Elles se divisent le territoire en fonction des bassins hydrographiques et favorisent l'adoption d'une approche intégrée et adaptée à ceux-ci afin d'établir un équilibre entre les besoins des habitants, les besoins environnementaux et les besoins économiques.
Pour répondre à vos questions précises, la première portait sur les types d'intervenants qui contribuent à la conservation des habitats. En définitive, les intervenants qui contribuent à la conservation des habitats sont les propriétaires fonciers, c'est-à-dire les personnes, les organismes et les sociétés à qui appartient la terre. Bien que les actions des propriétaires puissent être guidées et appuyées par différents intermédiaires, il est très difficile de les forcer à améliorer la qualité ou la quantité des habitats contre leur gré.
Heureusement, les intermédiaires sont composés d'une multitude d'organismes diversifiés allant d'organismes nationaux comme Conservation de la nature Canada et Canard Illimités Canada à des clubs naturalistes locaux et des associations de quartier.
Les sociétés d'aménagement de l'Ontario contribuent considérablement à l'effort de conservation des habitats de nombreuses façons. Premièrement, nous possédons, surveillons et gérons collectivement près de 146 000 hectares de terre qui fournissent un habitat à de nombreuses espèces. Deuxièmement, nous offrons des programmes de gestion pour informer et aider les propriétaires fonciers et les guider tout au long des activités de restauration effectuées sur leur propriété. Troisièmement, nous offrons des programmes de plein air éducatifs à près d'un demi-million d'enfants chaque année.
J'ajouterais à cela que de nombreuses sociétés d'aménagement ont conclu des ententes avec les municipalités de leur territoire afin d'évaluer les répercussions des projets d'aménagement sur les caractéristiques et les fonctions du patrimoine naturel. Nos représentants participent à des équipes de rétablissement des espèces et à diverses recherches. Puisque notre mandat concerne les écosystèmes terrestres et aquatiques, nous avons adopté une approche de conservation des habitats globaliste et axée sur les écosystèmes, que peu d'organismes choisissent.
Bien que le territoire géré par les sociétés d'aménagement ne représente que 10 p. 100 de l'Ontario, cette superficie contient plus de 90 p. 100 de la population de la province. Par conséquent, notre contribution à la conservation des habitats dans ce territoire problématique est beaucoup plus importante que notre portée géographique.
Votre question suivante portait sur la disponibilité, les sources et la diffusion de savoirs et de compétences du domaine public en matière de conservation des habitats. De nombreux groupes spécialisés dans la conservation des habitats offrent des ressources, surtout en ligne. Par exemple, l'Ontario Invasive Plant Council a publié des lignes directrices sur le contrôle d'un certain nombre d'espèces de plantes envahissantes.
Les stratégies et plans d'action de rétablissement des espèces en péril en place suggèrent des mesures adoptées pour améliorer l'état des habitats pour une espèce donnée.
De nombreux organismes environnementaux régionaux, comme les sociétés d'aménagement et la Carolinian Canada Coalition, offrent des ateliers d'orientation aux propriétaires fonciers locaux sur les différents aspects de la conservation des habitats.
La grande partie de l'information sur laquelle sont fondées les mesures de conservation sur le terrain se transmet de bouche à oreille et provient de l'expérience directe des autres intervenants. Les naturalistes de longue date sont de fins observateurs et possèdent de grandes connaissances dont la pertinence et l'application pratique surpassent souvent celles des études publiées.
Il existe un écart entre la littérature spécialisée et les pratiques de conservation des habitats, et l'information met souvent du temps à se transmettre. La plupart des organismes de conservation n'ont pas les ressources nécessaires pour accéder à la littérature et, en réalité, celle-ci ne contient peut-être pas les réponses aux questions que se posent les intervenants. Il est très difficile et coûteux d'effectuer des recherches sur la conservation des habitats à l'échelle du territoire et sur une période appropriée du point de vue de l'écologie, plus particulièrement dans le cas d'espèces ayant une grande espérance de vie, comme les tortues et certaines espèces d'oiseau.
Il y aurait lieu que les scientifiques du gouvernement fédéral comblent l'absence d'études à long terme axées sur les écosystèmes, qui étaient auparavant menées dans la Région des lacs expérimentaux.
Dans mon mémoire, je parle d'un rapport d'Environnement Canada intitulé Quand l'habitat est-il suffisant? Une autre initiative que je voudrais mentionner brièvement est le Réseau d'évaluation et de surveillance écologiques ou RESE qu'Environnement Canada a coordonné de 1994 à 2010. Ce programme a joué un rôle de premier plan pour coordonner les efforts de surveillance environnementale dans l'ensemble du pays et a facilité l'échange de données grâce à des protocoles normalisés et une surveillance scientifique exercée par les citoyens. Il est regrettable que ce programme ait perdu son financement, car il est difficile de prendre des décisions au sujet de l'efficacité de la conservation des habitats sans surveiller les résultats de nos efforts.
Vous avez demandé quels étaient les groupes de conservation des habitats les plus efficaces et les mesures qu'ils prenaient. Les groupes de conservation des habitats les plus efficaces sont ceux qui jouissent d'un grand soutien de la communauté et ceux qui mènent de vastes consultations auprès des personnes et organismes concernés pour obtenir le soutien de nombreuses sources.
Pour citer un exemple local, le Cootes to Escarpment Ecopark System, situé à Hamilton et à Burlington, est le fruit d'une collaboration entre dix organismes gouvernementaux et non gouvernementaux qui se sont donné pour objectif de protéger, de rétablir et de relier plus de 2 000 hectares de terres naturelles situées à l'ouest du lac Ontario. L'initiative a été créée de manière à coordonner les activités de gestion déployées dans un certain nombre de secteurs protégés appartenant à différents organismes, notamment le Conservation Halton, la société d'aménagement de Hamilton, les Royal Botanical Gardens et le Bruce Trail Conservancy. Ce secteur est un point névralgique au chapitre de la biodiversité et on y trouve près du quart de la flore indigène du Canada et 50 espèces en péril. L'Ecopark System est un réseau coordonné d'habitats qui tient compte tant de l'activité humaine que de la faune.
Le club de naturalistes de Hamilton, l'un des partenaires de l'Ecopark System est, depuis sa création en 1919, un modèle en ce qui concerne les efforts de conservation des habitats. En 1962, le club est devenu le premier organisme bénévole à acquérir de grands espaces pour en faire des sanctuaires naturels. Il possède aujourd'hui cinq sanctuaires sur plus de 300 acres et jouit du soutien de plus de 500 membres dévoués.
Votre quatrième question porte sur la définition des terres protégées. Habituellement, une terre protégée est une terre appartenant à un organisme public ou à un organisme non gouvernemental qui a pour mandat d'en assurer la conservation, par opposition aux terres privées, qui peuvent être altérées au gré de leur propriétaire. L'utilisation de servitudes de conservation peut être très efficace, mais il faut pour cela avoir le bon type de propriétaire selon le type de terre. Les servitudes n'offrent pas autant de flexibilité que la propriété, et cette réalité peut avoir des conséquences puisque l'état des espèces change avec le temps.
Il n'y a pas si longtemps, les prés et les prairies étaient considérés comme des secteurs où il fallait planter des arbres afin d'améliorer leurs avantages écologiques. Toutefois, en raison du déclin des espèces vivant dans ces milieux, comme le goglu des prés et la sturnelle des prés, et de la plus grande appréciation de l'importance des taxons inférieurs comme les papillons et les libellules, l'utilisation optimale des terres protégées ne se décline plus de la même façon.
En Ontario, le concept de création d'habitat de réserve semble percer comme solution pratique pour appuyer la conservation des habitats des espèces en péril. Il s'agit d'un système fondé sur le marché dans lequel un promoteur dont le projet entraînera l'élimination d'un habitat achète des crédits d'une banque, qui utilise ces fonds pour rétablir l'habitat dans un autre endroit. L'avantage de ce système est qu'il offre une certitude aux promoteurs tout en créant des occasions de renforcer et d'appuyer les habitats essentiels les plus susceptibles d'avoir une valeur de conservation à long terme.
Vous avez demandé comment les pratiques exemplaires de gestion et d'intendance se comparent avec les mesures normatives ou prescrites par le gouvernement. À mon avis, elles vont de pair. La majorité du travail sur le terrain s'accomplit par des efforts de gestion à l'échelle locale, mais ceux-ci sont appuyés par des mesures et des programmes gouvernementaux, plus particulièrement lorsque ces programmes comprennent des incitatifs financiers.
Par exemple, tant le gouvernement fédéral que le gouvernement de l'Ontario ont mis sur pied des programmes de financement pour les espèces en péril, une mesure qui assure un soutien indispensable aux efforts de conservation des habitats. Les pratiques de gestion exemplaires sont bonnes, mais elles ne sont généralement pas suffisantes pour mettre un frein au déclin des espèces en péril touchées par les perturbations de leur habitat. Il faut adopter des mesures gouvernementales normatives qui visent au-delà même du statu quo, en rétablissant les espèces. Par exemple, selon le paragraphe 17(2) de la Loi de 2007 sur les espèces en voie de disparition de l'Ontario, il faut démontrer qu'il existe un avantage plus que compensatoire pour l'espèce visée afin d'obtenir un permis.
Avec un bon avocat et beaucoup d'argent, il est possible de contourner les failles et les lacunes des lois environnementales, mais si le propriétaire foncier a à coeur la conservation, il prendra les bonnes décisions, peu importe ce que lui impose la loi.
Pour terminer, vous avez demandé comment le gouvernement fédéral pourrait accroître les efforts déployés en matière de conservation des habitats au Canada. Ma première suggestion est qu'il faut acquérir davantage de terres et les réserver aux fins de conservation. Il ne se créera pas de nouveaux espaces et il faut affronter l'évidence dont personne ne parle, soit la croissance démographique, plus particulièrement dans la région du Grand Toronto. La perte et la dégradation des habitats sont de loin les principales menaces qui planent sur les espèces en péril. Si l'on observe une carte, on remarque que les endroits où se trouve la plus forte concentration d'espèces en péril correspondent aux régions les plus habitées du pays et où se trouvent probablement le moins de parcs nationaux. La conservation de certaines espèces et de certains habitats pourrait ne pas être compatible avec d'autres utilisations de la terre, c'est pourquoi il est essentiel de prendre des mesures de zonage éclairées et d'effectuer des évaluations constantes des secteurs protégés pour s'assurer d'atteindre les objectifs de gestion.
Ma deuxième recommandation est d'examiner l'utilisation stratégique du concept d'habitat de réserve pour financer les projets de rétablissement et appuyer financièrement les intervenants locaux qui participent déjà activement à la protection et au rétablissement des habitats. Le fait est que les efforts de conservation des habitats, à plus forte raison dans une région où les propriétés foncières sont privées, individuelles et de taille relativement petite, doivent être déployés à l'échelle locale, un propriétaire à la fois. Nous nous butons parfois à une fatigue des propriétaires en raison du grand nombre de groupes qui les aborde pour faire valoir des intérêts quelque peu divergents. Pour obtenir la confiance de ces propriétaires, il est impératif que les intervenants de la conservation de tous les secteurs collaborent afin de livrer un message coordonné.
Ma dernière recommandation est d'améliorer la communication des renseignements scientifiques au public pour en assurer la compréhension et la transparence et promouvoir la conservation des habitats dans les principaux médias. Il est absolument essentiel d'établir des liens entre l'environnement et l'économie: l'un dépend de l'autre. En Ontario, on a déployé des efforts considérables pour faire connaître, au sein de l'économie et de la société en général, la valeur réelle des biens et services écologiques. Un virage culturel important est nécessaire pour que l'on en vienne à comprendre et à accepter le lien entre notre bien-être et celui de la nature qui nous entoure.
Je terminerais en citant le poète et naturaliste sénégalais Baba Dioum qui a dit: « En définitive, nous ne conservons que ce que nous aimons. Nous n'aimons que ce que nous comprenons. Nous ne comprenons que ce qui nous est enseigné ».
Merci.
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Merci, monsieur le président.
Bonjour aux autres témoins et aux membres du comité. C'est un plaisir d'être ici.
Je suis le président de Keystone Agricultural Producers, la plus importante organisation agricole du Manitoba. Nous représentons 7 000 familles agricoles et 19 groupes de produits de base de la province. Le Manitoba doit 5 p. 100 de son PIB à l'agriculture. Les secteurs reliés à l'agriculture sont ceux de la transformation des aliments et des boissons, de la fabrication agroalimentaire, de la transformation à valeur ajoutée et du transport.
Le Manitoba a une superficie agricole totale de 18 millions d'acres dont 12 millions sont des terres de culture. La politique de KAP est très claire en ce qui concerne les espèces en péril. KAP estime que les agriculteurs et les propriétaires fonciers devraient être entièrement dédommagés pour toutes les mesures qu'ils prennent et les pertes qu'ils subissent pour protéger les espèces en péril sur leur propriété comme l'exige la loi.
Par conséquent, qui sont les intervenants? Bien entendu, ce sont les agriculteurs, les détaillants agricoles, les marchands et fabricants de matériel agricole, les résidents des régions rurales, les districts de conservation, les écologistes et les environnementalistes, les chasseurs, les pêcheurs et les premières nations.
Qui sont les groupes d'intervenants concernés au Manitoba? Ce sont la Société protectrice du patrimoine écologique du Manitoba, l'Institut international du développement durable, Conservation de la nature Canada, Canards Illimités, Delta Waterfowl et l'Association des districts de conservation Manitoba. On doit à ces groupes la majorité des connaissances diffusées publiquement au sujet de la conservation des habitats.
Quelle est donc la situation actuelle, ici, au Manitoba? Depuis 2005, 6 462 agriculteurs du Manitoba ont établi des plans agroenvironnementaux qui couvrent plus de 8,8 millions d'acres. Le programme de plans agroenvironnementaux améliore l'utilisation des terres et prévoit aussi des incitatifs financiers et des pratiques de gestion bénéfiques visant à atteindre les objectifs environnementaux.
De plus, au cours de l'année écoulée, nous avons commencé à mettre sur pied le programme 4R Manitoba. Keystone Agricultural Producers, l'Institut canadien des engrais et le gouvernement du Manitoba sont signataires d'un protocole d'entente pour la mise en oeuvre du programme 4R de gérance des nutriments non seulement pour les producteurs de bétail, mais également pour les producteurs de grandes cultures qui utilisent des engrais synthétiques. Le but visé est de protéger les cours d'eau et les écosystèmes du Manitoba contre les ruissellements de nutriments.
En 2006, KAP a conclu un partenariat avec Delta Waterfowl pour offrir le programme ALUS aux producteurs de la province. Dans le cadre de ce programme, les agriculteurs ont obtenu des paiements pour protéger les terres de conservation. Cela leur a permis de fournir divers services environnementaux notamment à l'égard de l'habitat de la faune et des pollinisateurs, de l'amélioration de la qualité de l'eau, de l'amélioration de la qualité de l'air et de la séquestration du carbone. Le succès du programme peut se constater en Alberta, en Ontario, dans l'Île-du-Prince-Édouard et, plus récemment, en Saskatchewan.
Pour l'agriculture et la conservation de l'habitat, les agriculteurs sont les intendants de la terre parce que leur entreprise l'exige. Ils sont également les mieux placés pour gérer les habitats dans lesquels ils vivent. Les habitats ont perdu du terrain dans les zones agricoles. Les terres les plus variées sur le plan écologique sont souvent les plus productives sur le plan agricole. Dans bien des cas, les pratiques des producteurs sont examinées à la loupe tandis que les résidences urbaines peuvent polluer en toute impunité.
Le gouvernement a pour rôle d'offrir des solutions complètes et réalistes au paradoxe auquel sont confrontés les agriculteurs. Ils sont chargés de créer des débouchés économiques et de nourrir les populations en cultivant la terre, tout en ayant la responsabilité de limiter toute perte causée par la perturbation du paysage naturel. La réglementation excessive imposée aux agriculteurs ne donne pas toujours les meilleurs résultats sur le plan des efforts de conservation. Souvent, la réglementation n'est pas assez souple pour tenir compte des différences importantes d'une exploitation agricole à l'autre. D'autre part, il arrive fréquemment qu'elle ne soit pas vraiment applicable
J'ajouterais que ma famille cultive les mêmes terres, au Canada, depuis 110 ans. Au cours de cette période 110 ans, nous n'avons pas bougé et nous continuons de produire nos récoltes de façon durable dans les terres sur lesquelles nous nous sommes établis au départ.
En ce qui concerne nos recommandations, nous avons constaté que les programmes d'éducation et d'incitatifs donnent des résultats plus positifs, car ils permettent aux producteurs de voir quelles sont les possibilités d'action les plus rentables. Les programmes incitatifs comme ALUS et le programme de plans agroenvironnementaux récompensent les pratiques exemplaires et génèrent une culture de coopération entre les agriculteurs, le gouvernement et les habitats.
Nous devons accorder des valeurs réalistes aux biens et services écologiques et fournir les outils voulus pour la promotion des services. Les efforts ne doivent pas porter obligatoirement sur la perte de terres, mais plutôt sur le paysage, l'écosystème et les incitatifs axés sur les habitats. Nous devons favoriser le dialogue entre les groupes d'intervenants, les propriétaires fonciers, les producteurs et les gouvernements. Le Canada a besoin d'un paysage agricole. La richesse et la beauté de notre pays constituent un trésor national dont nous pouvons tous bénéficier. Grâce à une bonne gestion, nous pouvons réussir à atteindre nos objectifs de conservation tout en assurant des avantages économiques aux générations à venir. Je suis fier du rôle que l'agriculture peut jouer pour contribuer à l'avenir de l'environnement.
Je voudrais parler un peu du programme ALUS, même si c'est peut-être un peu répétitif pour le comité étant donné que nous en avons déjà parlé. ALUS paie les agriculteurs pour reconstruire les écosystèmes naturels. Il réhabilite les processus de survie pour la filtration et la purification de l'eau ainsi que le cycle des nutriments et la séquestration du carbone. Les avantages naturels sont notamment de l'air et de l'eau propres, des habitats pour le poisson, la flore et la faune et les espèces en péril ainsi qu'une production alimentaire viable dans le paysage agricole.
Dans le cadre du programme ALUS, les agriculteurs conservent et restaurent des caractéristiques essentielles telles que les terres humides, les ruisseaux, les rives, les graminées indigènes des hautes terres, les arbres et les habitats très particuliers comme la prairie d'herbes hautes. Ils aident à restaurer la biodiversité des amphibiens et des espèces pollinisées indigènes.
Chaque projet ALUS a ses caractéristiques particulières, mais le programme repose sur les principes opérationnels suivants:
Premièrement, il est facultatif. Les agriculteurs choisissent d'y participer. On leur rembourse une partie de leurs coûts de démarrage, généralement de 50 à 100 p. 100. Dans la plupart des cas, ils reçoivent également un paiement annuel pour leurs résultats à l'achèvement du programme.
Deuxièmement, il y a un plafonnement. Souvent, les agriculteurs participent au programme pour leurs terres cultivées, mais les terres boisées sont exclues, car elles ne seraient pas directement touchées.
Troisièmement, c'est intégré dans le système. Aucun effort n'est épargné pour intégrer les projets dans les programmes existants tels que l'assurance-récolte, les services de développement agricoles, le plan officiel du comté, la protection des sources d'eau, les programmes d'incitatifs pour les pratiques de gestion bénéfiques et les programmes de conservation publics et privés.
Quatrièmement, c'est ciblé. La gérance porte en priorité sur les zones écosensibles. Les terres fragiles ou marginales peuvent être retirées de la culture ou cultivées de façon différente pour améliorer l'environnement comme le propriétaire foncier propose de le faire dans le cadre de son plan agroenvironnemental. Les caractéristiques naturelles telles que les terres humides et les hautes terres associées ou d'autres combinaisons de services écologiques particuliers ont la préférence.
Cinquièmement, c'est souple. Les agriculteurs signent une entente de trois ans; néanmoins, ils gardent la possibilité de se désister tous les trois ans pour tenir compte de l'évolution de leur situation économique. En pareil cas, les paiements versés pour les coûts de démarrage et les services écologiques doivent être remboursés.
Pour terminer, en ce qui concerne le commerce extérieur, le projet ALUS doit être neutre sur le plan de la production et se conforme donc aux règles commerciales.
Voilà qui termine mon exposé.
Je voudrais d'abord vous remercier de m'avoir invité à prendre la parole devant le comité permanent. Je pourrais peut-être vous présenter de façon assez concrète les programmes de préservation des habitats et autres programmes concernant les habitats.
La Saskatchewan Wildlife Federation représente 32 000 membres et 121 sections répartis dans l'ensemble de la Saskatchewan. Nous sommes une organisation surtout rurale étant donné que 93 p. 100 de nos membres vivent à l'extérieur des deux grandes villes de la Saskatchewan soit Regina et Saskatoon.
Notre programme de fiducie pour les habitats a commencé il y a 32 ans. Nous sommes actuellement propriétaires de 62 000 acres d'habitats d'une importance cruciale pour la faune dans notre province. Nous avons des accords de conservation touchant 300 000 acres supplémentaires avec des propriétaires fonciers. Nous détenons des servitudes de conservation sur environ 9 000 acres dans la province. Nous gérons aussi un grand nombre d'autres parcelles pour le compte d'autres ONG et du gouvernement provincial. D'autre part, nous sommes des participants très actifs et des partenaires du programme ALUS en Saskatchewan.
Pour répondre à vos questions, nous laisserons à d'autres le soin de répondre à trois d'entre elles, soit les questions a), d) et e), mais nous voudrions répondre à la question b) : « Le Canada dispose-t-il de savoirs et de compétences de domaine public en matière de conservation des habitats? Quelles sont les sources de cette information et comment est-elle communiquée? »
Il y a beaucoup de savoirs et de compétences de domaine public en matière de conservation des habitats. Je préciserais toutefois que, de l'avis général, le gouvernement fédéral reconnaît seulement les organismes nationaux actifs dans ce domaine et non pas ceux qui opèrent au niveau provincial.
Pour répondre à la question c): « Quels groupes ou organismes s'occupant de conservation des habitats sont les plus efficaces et quelles mesures prennent-ils à cet effet? » Je dirais, bien sûr, que ce sont surtout les organismes provinciaux. D'après notre expérience, les efforts de conservation sont beaucoup mieux appuyés lorsqu'ils sont faits au niveau communautaire, car cela favorise l'engagement, qu'un programme national auquel les collectivités ou leurs membres n'adhèrent pas.
La question f) demande: « Comment le gouvernement fédéral pourrait-il accroître les efforts déployés en matière de conservation des habitats au Canada? » Premièrement, nous estimons qu'il faudrait faire en sorte que les futurs programmes de conservation soient élaborés de façon à être accessibles au niveau communautaire et pas seulement réservés aux organismes nationaux ou internationaux dont les efforts de conservation ne sont généralement pas partagés par tous les résidents… et qu'ils fournissent des protocoles réalistes à l'égard des possibilités ou des modèles de financement ainsi que des délais réalistes pour l'approbation et l'octroi du financement.
J'ajouterais que la portée de l'étude du comité est, dit-on, de « trouver par quels moyens le Plan de conservation national pourrait compléter et améliorer les efforts déployés pour la conservation des habitats ». Je ferais remarquer que la Saskatchewan Wildlife Federation a cessé d'essayer d'obtenir un financement fédéral pour ses efforts de conservation des habitats terrestres ou aquatiques.
Ayant été confrontée à des tracasseries administratives que nous jugeons déraisonnables, des mécanismes d'approbation à niveaux multiples et des délais décisionnels se chiffrant en mois et non pas en semaines, notre organisation a estimé qu'il ne serait pas réaliste d'envisager de se prévaloir des possibilités de financement pour nos programmes de conservation.
Nous dirions qu'il n'est pas nécessaire de redécouvrir la roue étant donné qu'il y a déjà en Saskatchewan, et cela depuis 30 ans, des programmes et des protocoles permettant de s'assurer que les programmes sont suivis et donnent des résultats. Il s'agit du Fish and Wildlife Development Fund.
Ce système prévoit les délais d'approbation et les directives nécessaires pour en faire un programme très efficace. De plus, comme ce programme est dispensé au niveau des collectivités locales, nous avons pu préserver les habitats pour beaucoup moins cher que les organismes nationaux, et les membres de la collectivité adhèrent au programme, l'apprécient et renforcent la protection des habitats en question.
Nous apprécions l'occasion qui nous est donnée de parler au comité de cette question fondamentale pour la qualité de vie des résidents de la Saskatchewan et du Canada.
La dernière chose que j'ajouterais est que nous participons aussi actuellement à une vaste étude du modèle de connectivité qui a été entreprise ici, en Saskatchewan et qui est financée par un programme Go Green du gouvernement provincial. Comme on l'a dit, le programme ALUS semble donner d'excellents résultats dans notre province.
Merci.
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Le rétablissement des terres humides est un enjeu important et les producteurs des districts de conservation de la province parlent beaucoup de ce qu'ils peuvent faire à cet égard.
Néanmoins, nous devons adopter une approche visant l'ensemble du bassin versant. Si le Manitoba faisait tout à la perfection, cela ne suffirait pas à résoudre vraiment nos problèmes d'inondation. Des rapports viennent d'être publiés au Manitoba au sujet des inondations de 2011 et nous savons que ce qui se passe à l'extérieur de la province se répercute sur ce qui se passe chez nous.
Il faudrait entreprendre des projets à long terme de retenue d'eau pour résoudre les problèmes dans l'ensemble du bassin. Le rapport suggérait le barrage Holland, qui faisait partie, au départ, du plan de prévention des inondations Duff Roblin formulé à la fin des années 1950 ou au début des années 1960 lorsqu'on a construit le canal de dérivation autour de Winnipeg; cet élément du plan n'a jamais été achevé.
Nous avons des éléments comme le lac des Prairies — le réservoir Shellmouth, à Russell, au Manitoba — qui aide les producteurs de la vallée de la rivière Assiniboine. Néanmoins, compte tenu de toute l'eau supplémentaire que nous avons reçue de la Saskatchewan ces deux dernières années, nous avons constaté que ce système est insuffisant et qu'il faut donc le revoir.
Certaines personnes ont préféré attribuer aux gestionnaires du réservoir Shellmouth la responsabilité des problèmes survenus dans la vallée de la rivière Assiniboine, mais un examen plus approfondi et les conversations avec les ingénieurs qui étudient ces questions ont révélé que la capacité de ce système n'était pas suffisante pour absorber toute l'eau supplémentaire. Les activités de drainage ont été extrêmement efficaces en Saskatchewan. Par le passé, les agriculteurs pensaient qu'il suffisait de prendre une racleuse pour creuser un peu dans leurs champs afin de drainer les parties basses. Mais je crois qu'en Saskatchewan, ils utilisent maintenant des excavatrices et des tracteurs pour creuser des grands canaux afin de détourner l'eau vers le Manitoba le plus rapidement possible.
Toute cette eau qui arrive chez nous préoccupe sérieusement les agriculteurs du Manitoba. Je ne pense pas qu'on puisse s'attendre à ce que les propriétaires fonciers de la Saskatchewan retiennent l'eau gratuitement et nous ne devrions pas nous attendre non plus à ce que les propriétaires fonciers du Manitoba le fassent. C'est un domaine dans lequel il faut tenir compte, dans le cadre des programmes Agri-relance et d'aide financière en cas de catastrophe, de ce que nous coûtent vraiment ces arrivées d'eau excédentaire. Si nous dépensions cet argent à l'avance pour entreprendre des projets de retenue de l'eau, nous pourrions peut-être éviter ces frais récurrents et traiter le problème plutôt que les symptômes. Cela nous coûte cher au Manitoba, car le coût des inondations de 2012 est estimé maintenant à 1,2 milliard de dollars.