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Bonjour. Je m'appelle Priscilla Gareau. Je suis docteure en environnement et directrice du groupe écologiste Ambioterra.
Nous vous sommes reconnaissants de nous donner cette occasion de contribuer au débat sur la conservation et la protection de la biodiversité au Canada.
Ambioterra est un organisme caritatif à but non lucratif. Notre conseil d'administration est élu par les membres. Nous travaillons dans le Sud du Québec, plus précisément dans certains sous-bassins versants de la rivière Châteauguay, qui fait partie de la Vallée-du-Haut-Saint-Laurent ou des plaines du Saint-Laurent.
Nous sommes également membres de l’Équipe de rétablissement des cyprinidés et des petits percidés du Québec. Comme je vous le disais, nous travaillons dans le Sud du Québec, où il y a le plus haut niveau de biodiversité. C'est comme en Ontario, en définitive. Ce sont des régions qui se ressemblent quant à la richesse de la biodiversité. Malheureusement, ce sont également les zones où il y a le plus d'urbanisation et de pratique agricole. C'est souvent là que les menaces sont le plus élevées, comparativement au Nord du Québec.
Une autre particularité de notre territoire est qu'il est à 95 % de tenure privée. C'est donc dire qu'il n'y a pratiquement pas de terres publiques. C'est pourquoi nous travaillons principalement de concert avec les propriétaires privés. Ce territoire est compartimenté, ce qui rend la protection de la biodiversité plus difficile. En outre, il y a beaucoup de propriétaires, et ceux-ci sont moins bien informés que les autorités fédérales, provinciales et municipales. Évidemment, celles-ci sont mieux informées sur les espèces en péril et la biodiversité, étant donné que ce sont elles qui établissent les politiques.
Cela m'amène à émettre notre première recommandation. Elle se lit comme suit:
Que le Plan de conservation national mette une emphase particulière sur les méthodes, programmes et incitatifs fiscaux nécessaires pour influencer les propriétaires terriens vers la protection des habitats, de la biodiversité et tout particulièrement des espèces en péril.
Les propriétaires sont très ouverts, étant donné que nous recevons du financement principalement du fédéral et du provincial, notamment par l'entremise du Programme d'intendance de l'habitat pour les espèces en péril et du programme Partenaires pour la nature. Ça nous permet de conseiller les propriétaires et de les mettre au courant des initiatives fédérales et provinciales pouvant leur permettre de protéger leur patrimoine naturel. Évidemment, s'ils devaient payer de tels conseils, leur patrimoine naturel ne serait pas protégé. Ils n'ont ni les moyens ni l'expertise nécessaires.
Pour réaliser nos projets, nous utilisons l'approche écosystémique. C'est ce que prône Environnement Canada depuis les années 1990, de même que plusieurs chercheurs. Selon cette approche, les interventions et les politiques doivent être conçues en tenant compte des échelles spatiales et temporelles et des caractéristiques des composantes naturelles. Je vous explique ce concept plus concrètement. Nous, les humains, déterminons les régions de façon administrative. Nous considérons chaque comté comme un territoire. Par contre, le bassin versant de la rivière Châteauguay, dont je vous parlais, se situe à une autre échelle. En effet, dans le cas de ce bassin versant, le fédéral, le provincial ainsi que plusieurs MRC et municipalités interviennent. Présentement, il arrive souvent que, sur le plan politique, on ne tienne pas compte des composantes naturelles.
Par exemple, ce sont les MRC qui s'occupent de l'aménagement des cours d'eau. Or la MRC qui est en aval subit les conséquences engendrées par la MRC située en amont, donc plus élevée. La MRC située en aval doit payer les frais des activités néfastes de la MRC située en amont. C'est la raison pour laquelle nous planifions nos actions en fonction du bassin versant en tant qu'unité territoriale.
De toute façon, le fédéral a mis en application plusieurs exemples d'approche écosystémique, par exemple le Plan d'action Saint-Laurent, les zones d'intervention prioritaires et les projets des Grands Lacs, qui remontent pratiquement à 30 ans.
J'imagine qu'un autre intervenant qui a pris la parole avant moi a défini ce qu'était un bassin versant. Au fond, il ne s'agit pas seulement du cours d'eau, mais aussi de toute la terre et de toutes les eaux qui s'y déversent. Par exemple, puisque le fleuve Saint-Laurent est immense et qu'il couvre pas loin de l'ensemble du Québec, on ne pourrait pas l'étudier en tant que bassin versant. Il faudrait faire des découpages. Ainsi, les écosystèmes terrestres et aquatiques sont constamment en interaction. On ne peut donc pas les séparer, car ils vont ensemble.
Cela nous amène donc à faire une deuxième recommandation, qui se lit comme suit:
Que le Plan de conservation national intègre des mesures non seulement pour protéger les milieux terrestres, mais également pour protéger les milieux aquatiques tant en eaux douces que marines.
Nous intervenons auprès de la plupart des acteurs présents sur le territoire. Comme je le disais, plusieurs ministères fédéraux interviennent, tels que Pêches et Océans Canada, Agriculture Canada et Environnement Canada. C'est la même chose au provincial.
Cependant, on remarque sur le terrain que le troisième palier de gouvernement, celui des municipalités, est peu au courant des politiques provinciales et fédérales. Il y a donc un manque de communication entre les trois paliers gouvernementaux. À notre avis, il serait important qu'on intègre davantage le palier municipal. Par exemple, les municipalités ne sont aucunement au courant de l'existence du Programme d'intendance de l'habitat pour les espèces en péril élaboré par le fédéral, notamment sous l'égide du COSEPAC, et ne les intègrent pas dans leur plan de gestion du territoire.
En tant que petit groupe local et régional, nous pouvons essayer de faire pression, mais c'est assez difficile de le faire, compte tenu de nos moyens limités. Comme je l'ai déjà dit, les propriétaires de terres privées ne sont pas du tout au courant des politiques existantes et des moyens notamment fiscaux dont ils pourraient bénéficier s'ils protégeaient leur patrimoine naturel.
Les acteurs municipaux ont pourtant un grand pouvoir sur le territoire, du moins au Québec. J'imagine que c'est la même chose pour les autres provinces, mêmes si les outils de planification ne portent pas le même nom. Le Québec a mis sur pied les schémas d'aménagement pour les MRC et les plans d'urbanisme dont les municipalités doivent effectivement tenir compte. Malheureusement, une petite municipalité disposant de peu de moyens et n'ayant pas de budget ne pourra recourir à un inspecteur qu'une journée par semaine. Assurément, cet inspecteur ne pourra pas faire beaucoup d'inspections pour appliquer les règles et les politiques.
Cela nous amène à notre troisième recommandation, qui se lit comme suit:
Que le plan national fasse une plus grande place aux entités municipales tel qu’adopté au COP10 de la convention sur la biodiversité [...] qui spécifie que des efforts doivent être mis en place pour augmenter la participation des autorités municipales à la protection de la biodiversité. Dans ce cadre, il serait approprié de revoir le financement du fonds vert municipal (Fédération canadienne des municipalités) afin d’aménager un programme spécifique pour la protection de la biodiversité.
C'est un exemple parmi tant d'autres.
En août 2012, Environnement Canada présentait les buts et objectifs en matière de biodiversité qui découlent des Objectifs d'Aichi pour la biodiversité adoptés par les pays signataires de la Convention sur la diversité biologique. Notons qu'à la page 8, le but A inclut les eaux canadiennes, ce qui renforce notre position précédente pour l'inclusion des milieux aquatiques dans le plan de conservation national.
Nous n'avons pas l'intention de reprendre chacun des buts et objectifs en matière de biodiversité proposés par le gouvernement du Canada. Cependant, nous croyons que certains de ces but et objectifs devraient être clarifiés, renforcés et intégrés dans un calendrier de réalisations plus précis.
Cela nous amène à notre quatrième recommandation, qui se lit comme suit:
Que le plan de conservation national clarifie ses buts, objectifs, cibles, indicateurs de résultats et budget alloué en les incluant dans un calendrier de réalisation prédéterminé, de manière que l’ensemble soit fondé [sur] les règles de gestion par résultat tel que prôné par le gouvernement du Canada pour ces bénéficiaires de subventions. [...]
Afin de bien gérer un programme, nous devons nous-mêmes avoir un calendrier pour y inscrire nos objectifs et moyens, nos résultats, nos dates d'échéance et nos budgets alloués.
[...] Par ailleurs, le tout devrait être basé sur l'état des connaissances scientifiques actuelles et sur une approche écosystémique, laquelle inclut [les milieux aquatiques et] le principe de précaution.
Finalement, nous sommes aussi persuadés que l'approche volontaire est nécessaire et bénéfique, et nous l'utilisons sur une base quotidienne. Cependant, nous sommes également persuadés que l'approche coercitive est complémentaire de l'approche volontaire. Malheureusement, il y aura toujours des intervenants qui ne voudront pas participer à la protection des habitats de façon volontaire. Il est donc clair que sans l'application d'une loi pour encadrer les pratiques destructrices, l'état des milieux naturels au Canada se détériorera davantage.
Notons que l'harmonisation est importante. Il faut que chaque ordre de gouvernement applique les règlements. Prenons l'exemple d'un agriculteur qui respecte le règlement alors que son voisin ne le fait pas. Quand nous interviendrons, il nous demandera à quoi sert de protéger l'environnement et de respecter le règlement si son voisin ne le fait pas et que les autorités compétentes ne font pas respecter les règlements. C'est extrêmement important.
Cela m'amène à notre cinquième recommandation:
Que le cadre législatif national de protection et de conservation des milieux naturels et des espèces en péril soit maintenu et amélioré. Une évaluation de l’application des lois et [règlements] par les différents intervenants en matière de protection de la biodiversité serait nécessaire afin de dégager les points à améliorer.
Je vais terminer ma présentation en vous faisant part de nos dernières recommandations sans mise en contexte, puisque j'ai dépassé la limite de temps.
Que [soient maintenus et bonifiés] les programmes de financement de la protection des habitats et de la biodiversité, [tels] que le [Programme d'intendance de l'habitat pour les espèces en péril].
Que les réponses aux demandes de financement soient envoyées dans un délai d'au maximum 5 mois après le dépôt des demandes, soit en avril de chaque année, de sorte à tenir compte des caractéristiques intrinsèques du travail lié à la collecte des données de conservation qui doit se dérouler principalement au printemps et en été.
Que dans un but de transparence, les lettres de refus [ou de coupe] aux demandes de financement envoyées par Environnement Canada précisent les critères et le pointage à chacun de ces critères qui ont [mené] à prendre cette décision.
Cela résume nos positions.
Nous saluons le travail du comité et nous vous remercions de votre écoute.