FINA Réunion de comité
Les Avis de convocation contiennent des renseignements sur le sujet, la date, l’heure et l’endroit de la réunion, ainsi qu’une liste des témoins qui doivent comparaître devant le comité. Les Témoignages sont le compte rendu transcrit, révisé et corrigé de tout ce qui a été dit pendant la séance. Les Procès-verbaux sont le compte rendu officiel des séances.
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STANDING COMMITTEE ON FINANCE
COMITÉ PERMANENT DES FINANCES
TÉMOIGNAGES
[Enregistrement électronique]
Le mardi, 1er mai 2001
Le président (M. Maurizio Bevilacqua (Vaughan—King—Aurora, Lib.)): Je déclare la séance ouverte. Bienvenue à tous cet après- midi.
Conformément au paragraphe 108(2) du Règlement, le Comité permanent des finances fait son examen du «Rapport de mai 2001 de la Banque du Canada sur la politique monétaire».
Je voudrais souhaiter la bienvenue à M. David Dodge, le gouverneur de la Banque du Canada. M. Dodge, je vous félicite de votre nomination. M. Dodge est accompagné de son premier sous- gouverneur, M. Malcolm Knight. Monsieur le gouverneur, étant donné que c'est la première fois que vous comparaissez devant notre comité, je vous invite à prendre tout le temps nécessaire pour faire votre exposé, après quoi nous vous poserons de questions.
M. David A. Dodge (gouverneur,Banque du Canada): Merci beaucoup, monsieur le président. C'est un véritable plaisir pour moi que de me retrouver au comité des Finances. Ayant témoigné pendant de nombreuses années devant ce comité, je suis heureux de me présenter devant vous pour la première fois depuis ma nomination au poste de gouverneur de la Banque du Canada, le jour même où est publiée la livraison du printemps de notre Rapport sur la politique monétaire. M. Knight et moi espérons être en mesure de revenir devant vous en mai et en novembre de chaque année, à la date de la parution du Rapport, ou dans les jours qui la suivront. Une fois que l'excellent personnel de la Banque m'aura suffisamment dompté, j'espère que vous viendrez nous rendre visite à la Banque pour que nous puissions discuter là-bas également.
Le Rapport renferme notre plus récente évaluation des perspectives en matière de croissance économique et d'inflation au Canada. Mais avant de vous en donner un aperçu, j'aimerais dire quelques mots au sujet de l'objectif que vise la politique monétaire canadienne et des moyens que nous prenons pour l'atteindre. Comme vous le savez, la Banque a le mandat de contribuer au bien-être économique des Canadiens. Il est donc de notre devoir de mener une politique monétaire qui favorise une expansion soutenue de l'économie en créant des conditions propices à la hausse de la production, de l'emploi et des revenus et à une plus grande stabilité de l'environnement macroéconomique.
• 1535
La contribution particulière que la Banque peut apporter à la
bonne tenue de l'économie est de préserver la confiance des
Canadiens dans la valeur future de leur monnaie. Ceux-ci doivent
pouvoir vaquer à leurs occupations avec la pleine assurance que
leur Banque centrale maintiendra le taux d'inflation à un niveau
bas, stable et prévisible. Ainsi, ils pourront prendre des
décisions économiques plus judicieuses, ce qui devrait se traduire
par de meilleurs résultats économiques en général.
Monsieur le président, la Banque applique sa politique de faible inflation dans un cadre fondé sur la poursuite de cibles explicites de maîtrise de l'inflation et appuyé par un régime de changes flexibles. L'objectif actuel consiste à maintenir la tendance de l'inflation dans une fourchette allant de 1 à 3 p. 100, en visant le point médian de 2 p. 100. Les cibles d'inflation servent de point d'ancrage à la politique monétaire et aux attentes des gens en matière d'inflation. Elles procurent à la Banque un moyen efficace d'évaluer les pressions qui s'exercent sur la demande, nous permettant ainsi de prendre les mesures nécessaires pour empêcher une surchauffe lorsque l'économie est robuste et pousse l'appareil de production aux limites de sa capacité ou, à l'inverse, pour soutenir la croissance lorsque l'économie est faible.
Pour sa part, le régime de change flexible aide l'économie à s'ajuster aux perturbations que sont les modifications de la demande de nos produits à l'étranger ou encore les variations des prix de nos exportations par rapport à ceux de nos importations. De plus, l'ajustement se fait avec moins de fluctuations sur le plan de la production et de l'emploi, que ce ne serait le cas si le taux de change était fixe.
[Français]
Maintenant que je vous ai exposé brièvement notre stratégie de maîtrise de l'inflation, j'aimerais vous parler de la conjoncture économique. Lorsque M. Thiessen s'est présenté devant vous en mai 2000, l'économie croissait à vive allure sous l'impulsion d'une demande vigoureuse chez nous et aux États-Unis. De fait, comme des signes de pressions sur la capacité s'étaient manifestés et qu'il importe de maintenir une expansion non inflationniste au Canada, la banque a relevé les taux d'intérêt le lendemain de son témoignage devant le comité.
Cette augmentation des taux a modéré la croissance de la demande intérieure. Mais, à l'instar de la plupart des analystes, nous n'avions pas prévu que le ralentissement de l'économie américaine serait si abrupt. C'est pour cette raison que le ralentissement de l'activité au Canada a été plus prononcé que prévu.
Depuis février, nous affirmons que la croissance, au premier semestre de l'année, sera très modeste. Nous avons aussi indiqué que l'économie canadienne tournera probablement en-deça de son potentiel d'ici le milieu de l'année. Dans l'ensemble, les renseignements reçus jusqu'à maintenant cadrent en gros avec les projections de la banque. Les chiffres mensuels sont volatils; certains ont été plus bas, d'autres plus élevés que projeté. Mais de façon générale, ils sont conformes à ce que nous avions prévu au sujet de la faiblesse du premier semestre. Cette faiblesse vient surtout de la correction des stocks dans l'industrie automobile et des ajustements dans d'autres secteurs comme ceux de la fabrication de matériel électronique et des télécommunications.
La banque continue de croire qu'après une avance très modérée au premier semestre de 2001, l'activité va s'accélérer au second et se renforcer encore davantage en 2002. Laissez-moi vous expliquer sur quoi s'appuie notre prévision. Malgré la baisse de production dans ces trois secteurs, l'activité globale au sein de l'économie poursuit sa croissance. Elle est soutenue par la vigueur fondamentale des autres secteurs comme l'énergie, les ventes au détail, le logement, la construction non résidentielle et la plupart des services.
• 1540
La demande intérieure finale, alimentée par les
récentes réductions d'impôt qui augmentent le revenu
disponible, devrait continuer de progresser. Nous
prévoyons un raffermissement de la demande étrangère
durant la dernière partie de l'année à la faveur des
réductions importantes des taux d'intérêt aux
États-Unis. Néanmoins, nous ne
connaissons avec certitude ni le
moment ni l'ampleur de la remontée de la croissance aux
États-Unis.
[Traduction]
Ici, au Canada, monsieur le président, nous avons considérablement abaissé les taux d'intérêt afin de soutenir la croissance de la demande, ce qui était compatible avec notre objectif de maintenir l'inflation aux alentours de 2 p. 100 à moyen terme. Depuis janvier, la Banque a retranché 100 points de base à ses taux directeurs, ramenant à 4 3/4 p. 100 le taux du financement à un jour, au Canada—qui est l'équivalent du taux des fonds fédéraux américains. Compte tenu de cet assouplissement des conditions monétaires et de l'accélération anticipée du rythme de l'activité au second semestre, la Banque prévoit maintenant que le taux de croissance moyen de l'activité au Canada en 2001 se situera entre 2 et 3 p. 100. L'an prochain, nous croyons que la production progressera à un rythme légèrement supérieur à celui de son potentiel de croissance, que la Banque évalue à 3 p. 100.
Sur la foi du profil de croissance de la production sur lequel la Banque table, l'inflation mesurée par l'indice de référence devrait s'établir en moyenne un peu au-dessous de 2 p. 100 durant le reste de 2001, puis remonter à 2 p. 100 avant la fin de 2002. Quant au taux d'augmentation de l'IPC global, il devrait être volatil durant les prochains mois, puis descendre aux environs de 2 p. 100 d'ici la fin de l'année si les cours mondiaux de l'énergie se stabilisent autour des niveaux actuels.
Monsieur le président, j'aimerais maintenant dire quelques mots sur l'évolution qu'ont enregistrée récemment les marchés financiers et qui, essentiellement, reflète l'inquiétude et l'incertitude croissantes entourant les perspectives de l'économie mondiale. Préoccupés par le climat ambiant, les investisseurs ont, une fois de plus, recherché la sécurité et la liquidité des avoirs financiers libellés en dollars américains. Il en est résulté une appréciation de la devise américaine par rapport à toutes les grandes monnaies, et cela en dépit du tassement marqué de l'activité aux États-Unis. Bien que le cours du dollar canadien soit demeuré ferme par rapport à celui des autres grandes devises, son repli vis-à-vis du dollar américain a fait l'objet de nombreux commentaires sur la place publique canadienne. Étant donné que le taux de change est un prix important dans l'économie, la Banque comprend que les fluctuations de la valeur de notre monnaie puissent être une source d'inquiétude pour les Canadiens. Je tiens à vous assurer que la Banque suit de très près ce qui se passe sur les marchés. Nous évaluons aussi soigneusement les retombées des variations du cours de notre monnaie sur la demande globale et l'inflation au pays.
Pour conclure, je tiens à réitérer que la Banque demeure généralement optimiste face aux perspectives de l'économie canadienne. Nous continuons de nous attendre à une accélération de l'expansion au second semestre de cette année et à un renforcement additionnel en 2002. Le principal risque qui pèse sur ce scénario concerne le moment et l'ampleur de la remontée attendue de la croissance aux États-Unis. Compte tenu de l'incertitude à ce sujet, nos continuerons de suivre la situation de près, et nous prendrons les mesures qui conviennent.
Monsieur le président, voilà qui termine ma déclaration préliminaire.
Le président: Merci beaucoup, monsieur le gouverneur. Nous allons maintenant commencer la période de questions. Nous ferons un premier tour de table de cinq minutes, et nous commencerons par M. Kenny.
M. Jason Kenny (Calgary-Sud-Est, AC): Je vous remercie, monsieur le gouverneur, et je vous félicite de votre nomination. C'est un plaisir de vous revoir devant le comité, assumant une nouvelle fonction.
Monsieur le gouverneur, dans votre rapport, vous dites que la politique monétaire de la Banque vise à maintenir l'inflation à un faible niveau. Or, la plupart des observateurs, dont moi-même, sont d'avis que vous êtes manifestement très limité dans votre capacité de prendre des mesures pour renflouer la devise canadienne, si sa chute des derniers mois devait se poursuivre. J'aimerais connaître votre avis à ce sujet. Votre marge de manoeuvre étant limitée sinon inexistante, la croissance ayant ralenti et l'économie s'étant essoufflée, l'inflation étant au sommet de sa fourchette, pensez-vous que l'on puisse prendre une mesure budgétaire quelconque pour renforcer notre devise? Voilà la première question qui me vient à l'esprit.
M. David Dodge: J'aimerais faire valoir de nouveau un point essentiel. Notre politique visant à maintenir l'inflation à environ 2 p. 100 est en réalité une politique propice à l'appréciation du dollar. C'est ce qui nous permettra de maintenir, à terme, la valeur de notre devise. Comme je l'ai évoqué dans ma déclaration préliminaire, nous nous trouvons tous dans une situation, où, pour de nombreuses raisons, le dollar américain est exceptionnellement fort, pas uniquement contre le dollar canadien, mais aussi par rapport à plupart des grandes devises. C'est le cas depuis plusieurs années déjà. On peut remonter à la crise asiatique, à la crise du peso ou même remonter au début des années 90. Grosso modo, la situation serait la même.
Depuis quatre ou cinq ans, les États-Unis ont réussi à afficher des taux de croissance de la productivité supérieurs au reste du monde. Ils ont réussi, parce qu'ils avaient commencé dès le début des années 90 à augmenter les investissements, et maintenant, ils récoltent les fruits de leurs efforts. Quant à nous, vous vous en souvenez sans doute, au milieu des années 90, tous nos efforts étaient consacrés à l'assainissement des finances publiques. Au chapitre des investissements, le Canada a accusé un léger retard par rapport aux États-Unis, mais les choses s'améliorent maintenant. Nous escomptons que les résultats de cette augmentation des investissements se feront sentir d'ici à 2005. Rien ne garantit que nous constaterons une appréciation relative de notre devise mais c'est néanmoins une condition extrêmement importante si nous voulons améliorer le niveau de vie des Canadiens, ce qui est notre priorité principale. À notre avis, tout cela s'accompagnera d'une certaine appréciation du dollar canadien par rapport au dollar américain et aux autres devises.
M. Jason Kenney: Dans la même veine, monsieur, j'aimerais savoir si vous êtes d'accord avec une opinion qui semble assez répandue et qui a été exprimée par des gens comme l'ancien économiste en chef de la Banque royale, M. McCallum, votre ancien sous-ministre adjoint, Don Drummond, et d'autres. Par exemple, M. Drummond a récemment déclaré dans un article qu'en soi, la faiblesse du cours du dollar est due à une série de facteurs dans l'économie canadienne; ces facteurs rendent le Canada moins attrayant que les États-Unis pour les investisseurs. Tout comme vous, il a mentionné la productivité, mais aussi notre énorme dette publique et le fardeau fiscal dans la structure de nos dépenses publiques.
Dans l'optique de la Banque du Canada, serait-il utile ou nuisible pour la valeur de notre devise que nous conservions le rapport le plus élevé des pays du G-7 entre l'impôt sur le revenu et le PIB, l'un des taux d'impôt des grandes sociétés les plus élevés de l'OCDE, et le deuxième ou troisième degré le plus élevé d'endettement public de tous les pays de l'OCDE? Croyez-vous que ces facteurs de la politique financière sont utiles ou nuisibles à la valeur de notre devise?
M. David Dodge: Il n'y aucun doute que l'endettement élevé des gouvernements fédéral et provinciaux n'est pas un facteur favorable. Comme je l'ai dit à d'autres occasions, il serait très utile pour l'avenir de notre pays que les ordres fédéral et provincial de gouvernements se concentrent, durant la présente décennie, à la réduction de notre endettement net. Une telle mesure favorise un bon rendement de l'inflation et nous facilite grandement la tâche.
Nous avons dit clairement que dans cette optique générale—pas nécessairement de la même manière—les secteurs publics fédéral et provincial devraient essayer de réduire autant que possible leur endettement net. Cela nous laisserait davantage de marge de manoeuvre pour aborder la deuxième décennie du siècle, lorsque les gens comme moi auront perdu les quelques cheveux qui leur restent.
Le président: Merci, gouverneur.
[Français]
Monsieur Loubier.
M. Yvan Loubier (Saint-Hyacinthe—Bagot, BQ): Monsieur Dodge, je tiens aussi à vous féliciter pour votre nomination et également pour la plus grande transparence—et je crois que M. Knight y est aussi pour quelque chose—qu'affiche la Banque du Canada dans la gestion de la politique monétaire. On a eu l'occasion d'en discuter plus tôt. Pour ma part, je vois vraiment une différence. Ayant suivi depuis 20 ans la gestion de la masse monétaire et des taux d'intérêt, je vois une différence entre votre administration et les administrations précédentes, mais j'ai encore des problèmes fondamentaux et quelquefois aussi des problèmes de conscience.
Je regarde l'évolution du dollar canadien. Cela m'intéresse depuis des années. On a vu non seulement le grand coup qui a été donné à la baisse à la valeur du dollar canadien il y a deux ans et demi, résultat de la crise asiatique, mais aussi la dégringolade perpétuelle du dollar.
Lorsque je regarde la latitude qu'a le Canada pour gérer correctement et indépendamment ses taux d'intérêt et sa masse monétaire, ainsi que la valeur du dollar, je me dis toujours qu'il y a peut-être, quelque part, une prime de risque à détenir des dollars canadiens et que cela se reflète sur la valeur du dollar. Le dollar canadien est une monnaie secondaire qui est victime de spéculation, mais qui est aussi le reflet du différentiel de productivité entre les entreprises canadiennes et les entreprises américaines. Je me demande s'il n'y a pas une espèce de contrainte incroyable qui se dessine sur le marché financier et sur l'économie en général, et qui fait en sorte qu'on n'a pas toute la latitude voulue pour mettre en place une politique optimale sur le plan monétaire. Par exemple, on peut augmenter facilement les taux d'intérêt, ce qui va de soi, car on combat l'inflation et on maintient le dollar canadien, mais lorsque vient le temps de baisser les taux d'intérêt pour donner un coup de pouce à l'économie, on n'a plus la liberté qu'on voudrait.
Je vous demanderais de commenter cette analyse. Cela fait partie des questions existentielles que je me pose depuis que je suis ici, mais que je me posais aussi bien avant, lorsque j'étais étudiant. Comment peut-on avoir cette indépendance et comment peut-on atteindre son plein potentiel lorsqu'on est ainsi contraint au niveau de la gestion des taux d'intérêt?
J'aurai une deuxième question à vous poser.
M. David Dodge: C'est une excellente question. Il y a eu des débats sur ce sujet dans beaucoup de pays.
Avec la politique monétaire, on a un instrument. Donc, on peut choisir un but, ou même deux buts. On peut choisir de maintenir la valeur externe du dollar canadien ou de n'importe quelle autre devise vis-à-vis d'une devise réserve comme le dollar américain ou le mark en Europe. On peut choisir cet objectif. Si on choisit cet objectif, on doit suivre une politique monétaire visant souvent à maintenir la valeur externe du dollar vis-à-vis du dollar américain dans notre cas.
Cette façon de gérer la politique monétaire a des avantages, mais elle oblige un pays à augmenter ou à réduire les taux d'intérêt pour maintenir la valeur du dollar. On peut donc se trouver dans une situation où on doit hausser les taux d'intérêt même quand l'économie est très faible, ou encore dans la situation inverse. Comme vous vous en souvenez bien, c'est exactement le problème que nous avons eu en 1970. Il y avait des pressions très inflationnistes qui venaient des États-Unis et il fallait libérer le dollar canadien pour éviter l'importation de l'inflation américaine.
• 1555
Pendant les années 90, beaucoup de pays ont choisi
l'autre régime. C'est le nôtre.
Il s'agit d'avoir un dollar
flottant et d'ancrer la politique monétaire sur une
cible pour l'inflation. Nous avons été, je crois, le
deuxième pays à adopter ce régime. Je crois
qu'il nous sert bien. Mais pour avoir
un tel régime, il faut
avoir une devise flottante.
Pendant une longue période, comme vous l'avez remarqué, le dollar canadien s'est déprécié vis-à-vis du dollar américain. En fait, presque toutes les devises du monde, au cours des 10 dernières années, se sont dépréciées. En fait, le dollar canadien a pris de la valeur vis-à-vis de presque toutes les autres devises du monde.
On ne peut pas avoir les deux. On ne peut pas ancrer le dollar vis-à-vis d'une autre devise et avoir une politique monétaire indépendante axée sur une cible en matière d'inflation. On ne peut pas faire les deux. Nous avons fait un choix, et je crois bien que ce choix contribue au maximum à la croissance canadienne.
M. Yvan Loubier: Monsieur le gouverneur, ce n'est pas le régime flottant que je conteste. Loin de là, car je pense que c'est le bon régime. Cependant, le dollar canadien, qu'on le veuille ou non, est une devise secondaire et, comme toutes les devises secondaires, il n'est pas une valeur refuge comme l'est le dollar américain. Le dollar américain, qu'on le veuille ou non, même avec un ralentissement encore plus fort du côté américain que du côté canadien, se raffermit. Le dollar américain devient une valeur refuge et, qu'on le veuille ou non, on se retrouve dans une situation où, de l'autre côté de la frontière, c'est-à-dire ici, il y a une sorte de «loser game» qui se fait avec la politique monétaire de la Banque du Canada.
Il y a de plus en plus de sociétés qui tiennent une comptabilité parallèle en dollars américains, et je pense que vous allez le confirmer. Il y a de plus en plus de sociétés canadiennes qui ont des comptes permanents en dollars américains et il y a de plus en plus de hauts dirigeants d'entreprise qui exigent d'être payés en dollars américains.
Devant tout ça, est-ce qu'il ne serait pas temps, selon vous, qu'on se penche sérieusement sur ce qui se passe au niveau du débat sur la dollarisation, même dans l'optique d'une Zone de libre-échange des Amériques? Est-ce qu'on ne pourrait pas envisager d'adopter un jour une monnaie commune unique, qui serait probablement le dollar américain, mais qui nous mettrait à l'abri de la chute perpétuelle du dollar canadien et des spéculations incroyables comme celles qu'on a vécues il y a deux ans et demi?
De toute façon, même en se fermant les yeux, on ne peut que constater des faits bien réels, tels les comptes bancaires en dollars américains pour les sociétés canadiennes. Il y en a de plus en plus.
M. David Dodge: Il y a là beaucoup de questions.
M. Yvan Loubier: C'est sur le même sujet.
M. David Dodge: D'abord, il est à noter que pendant les années 90, la plupart des pays qui avaient un fixed exchange rate ont abandonné ce régime. Les pays, comme l'Argentine, qui maintiennent un régime comme celui-là ont de vraies difficultés. Donc, ce n'est pas vrai que la plupart des pays s'attachent au dollar américain. Ce n'est tout simplement pas vrai. Mais pendant les années 90, il est vrai que de plus en plus le dollar américain était devenu le standard dans le monde. Le yen a eu ses difficultés et en Europe, on est en train de former une nouvelle union, et il y a un peu d'incertitude là.
• 1600
Donc, le dollar est vraiment devenu un refuge pendant
cette période. Mais il est important de rappeler que
nous avons vu de telles périodes avant. Il y avait une
période, dans les années 60 jusque vers 1973,
qui était à peu près pareille. En 1973, il y a eu
des problèmes et le dollar américain a chuté. Il y
avait de vraies difficultés. On ne peut pas croire
que les circonstances, qui ont été très
favorables aux États-Unis pendant la dernière décennie,
resteront toujours.
En fait, le dollar américain est très, très fort. Dans les industries américaines, il y a quelques problèmes en ce moment, et cela crée peut-être des pressions internes aux États-Unis pour le protectionnisme, etc. Donc, c'est une situation assez difficile, et on espère qu'il y aura un ajustement graduel pendant les cinq prochaines années. Ça aide beaucoup le monde. Enfin, ça aide beaucoup à réduire les pressions protectionnistes aux État-Unis même.
[Traduction]
Le président: Merci, monsieur Loubier. Merci, monsieur le gouverneur.
Madame Barnes.
Mme Sue Barnes (London-Ouest, Lib.): Merci, monsieur le président. Bienvenue, monsieur Dodge. Nous sommes très heureux de vous accueillir de nouveau, dans vos nouvelles fonctions.
Bon nombre de mes électeurs lisent dans les journaux ou entendent aux nouvelles que les prix de l'énergie augmentent. Ils l'ont probablement constaté dernièrement dans le prix de leurs billets d'avion, dans leurs frais de transport, ou peut-être encore dans les factures de chauffage de leurs maisons. Vous nous dites maintenant dans votre rapport que ces prix n'auront pas un effet important sur nos objectifs en matière d'inflation. Vous avez dit que vos prévisions se fondent sur les prix actuels, mais on nous dit également que ces prix pourraient changer. Quel serait l'effet de ces changements? Pourriez-vous nous en dire davantage sur les raisons pour lesquelles vous ne croyez pas que ces prix ont un effet prononcé, compte tenu des valeurs inflationnistes de base?
M. David Dodge: Je vais être bien franc. Les gouverneurs des banques centrales d'un certain nombre de pays ont posé la même question. Contrairement aux années 70, nous observons cette fois-ci que les prix de l'énergie n'ont pas les mêmes répercussions sur les consommateurs que dans les années 70 et le début des années 80, où ces répercussions avaient provoqué tant de difficultés. Pourquoi en est-il ainsi? C'est probablement parce que les fabricants qui utilisent beaucoup d'énergie pour leur production ne peuvent pas augmenter le prix de leur produit. Ils doivent absorber ces augmentations en réduisant leurs coûts ailleurs, en produisant davantage, en réduisant leur marge bénéficiaire. Une partie relativement faible de ces augmentations s'est répercutée dans les prix que paient les consommateurs. En fait, c'est assez étonnant. Cela ne correspond pas à notre expérience précédente, mais ce n'est pas particulier au Canada—on le constate également dans un certain nombre de pays.
• 1605
La question est de savoir si cela continuera. Et la réponse
est que si nous pouvons soutenir la croissance de notre
productivité, nous pouvons absorber une partie de cette
augmentation. Mais comme dans le secteur des alumineries, par
exemple, il y a une limite à ce phénomène. Enfin, certaines
alumineries vendent leur électricité plutôt que de produire de
l'aluminium en raison de l'énorme augmentation du prix de
l'énergie. Il y aura sans aucun doute des augmentations de prix. On
commence à le constater dans le prix de l'aluminium à la LME. J'ai
choisi cet exemple parce qu'il est très clair et que nous
connaissons bien cette industrie au Canada.
Nous ne connaissons pas vraiment toutes les raisons pour lesquelles nous n'avons pas subi des effets indirects plus marqués, mais ces deux nous sont sûrement connus.
Il y a un troisième problème, qui va se poser cet été avec l'essence et que nous avons vécu l'hiver dernier avec le gaz naturel. Lorsque les prix étaient relativement bas au début de la décennie, la construction de pipelines, la mise en place de nouvelles centrales électriques et la création d'une nouvelle capacité de raffinement ne sont pas allées aussi vite que cela aurait été le cas dans des circonstances autres. Nous sommes donc maintenant entrés dans une période où ces lenteurs vont nous causer certains problèmes. On le voit déjà avec l'essence. Le manque de capacité de raffinement aux États-Unis a contribué à une plus forte hausse du prix de l'essence que ne l'aurait fait à lui seul le prix du brut. Parallèlement, nous avons assisté à une inflation du prix du gaz naturel.
Ce sont donc les consommateurs qui vont en subir les effets directs. Ils se répercutent dans la hausse sur douze mois et la majorité de ces effets, sans parler de l'essence, se seront répercutés d'ici l'été. Voilà pourquoi nous nous attendons à ce que l'IPC global connaisse une nouvelle hausse dans les prochains mois. Cela tient à la méthode de calcul par mois, à la façon dont les prix de l'énergie nous sont communiqués. Mais on devrait assister à une baisse très rapide à l'automne étant donné que nous avons comparé les prix de cette année aux prix très élevés de l'an dernier.
Mme Sue Barnes: J'aimerais maintenant parler de la société sans numéraire. La plupart d'entre nous avons maintenant l'habitude de nous servir de notre carte de débit, et nous avons pris l'habitude de nous en servir à l'épicerie ou partout ailleurs. Mais la plupart d'entre nous ne connaissons pas encore la carte à puce. Je crois que ce jour s'en vient, et lorsque ce sera le cas, est-ce que ce phénomène va s'inscrire dans ce que vous appelez la masse monétaire? Comment cela influencera-t-il la façon dont vous envisagez la gestion des fonds électroniques par les institutions financières de notre pays? Quelle influence ce phénomène aura-t-il sur votre gouvernance?
M. David Dodge: Je vais commencer, après quoi je céderai la parole à mon collègue.
Chose certaine, dans la mesure où la carte remplacera le numéraire, le bilan de la Banque du Canada va changer de caractère. Cela ne fait aucun doute. Chose intéressante, le numéraire traditionnel reste la méthode de paiement préférée pour les petits achats au détail.
On aurait pu s'attendre à ce que l'utilisation du numéraire diminue un peu plus rapidement. Cette constatation est vraie non seulement au Canada, mais ailleurs dans le monde. En fait, il n'y a qu'un ou deux pays où le numéraire électronique a fait une percée importante.
• 1610
Malcolm a étudié cette question pendant longtemps, je vais
donc lui céder la place.
M. Malcolm Knight (premier sous-gouverneur, Banque du Canada): Merci, monsieur le gouverneur.
Vous posez là une question très intéressante. Comme l'a dit le gouverneur, la Banque du Canada a étudié longuement les questions que pose la société sans numéraire et a réfléchi à l'effet qu'elle aurait sur la politique de la Banque. Comme l'a dit le gouverneur, l'une des choses qui nous a surpris en fait ces dernières années, c'est le fait qu'on utilise autant le numéraire. Mais je crois qu'il est tout à fait possible que, dans un avenir pas trop lointain, le paiement électronique prendra une expansion telle qu'il réduira de beaucoup les montants de numéraire que les gens auront sur eux. Quand cela se produira, notre politique monétaire conservera comme avant exactement le même objectif fondamental, à savoir le maintien de l'inflation à un niveau bas et stable, de telle sorte que les Canadiens pourront avoir confiance dans la valeur des transactions qu'ils font.
Le gouverneur l'a dit, étant donné que dans le bilan de la Banque du Canada, le gros de notre passif est en fait constitué de numéraire, il nous faudra changer la façon dont nous gérons notre politique monétaire pour nous adapter à l'évolution, si vous voulez, et ce, dans le contexte de la société sans numéraire. Je ne crois pas que ce soit une question très importante; c'est une question assez technique. Mais, comme vous le savez, notre politique monétaire consiste à fixer le taux officiel d'escompte, et c'est ce qui influence le taux de financement à un jour, soit le taux d'intérêt auquel les grandes institutions financières se prêtent de l'argent dans le marché interbancaire. Tant que nous pourrons continuer de le faire et d'utiliser notre bilan à cette fin, nous n'aurons aucun mal à maîtriser notre politique monétaire et à poursuivre nos objectifs.
Cela dit, lorsque la société sans numéraire sera chose faite, si tel est le cas, on va assister très rapidement à une transformation dans la façon dont les ménages effectuent leurs transactions. De concert avec un grand nombre d'autres banques centrales de pays avancés du monde, nous avons longuement réfléchi et travaillé d'arrache-pied à cette question. Je crois donc que nous sommes prêts, et nous attendons simplement le jour où cela se fera.
Le président: Merci, madame Barnes.
Très rapidement, dans votre rapport, page 17, le graphique 11 montre la valeur du dollar par rapport aux devises composant l'indice C-5, et vous mentionnez également le dollar américain. Notre dollar est bien sûr demeuré stable par rapport aux monnaies du C-5, mais nous avons perdu environ 10c. par rapport au dollar américain. Ce graphique doit-il nous rassurer? Je crois que 85 p. 100 de notre commerce extérieur se fait avec les États-Unis d'Amérique. Moi, comme Canadien, lorsque je regarde ce graphique, dois-je me réjouir que nous suivons ou peut-être même que nous réussissons mieux que certains pays européens, mais pas aussi bien que les États-Unis?
M. David Dodge: En fait, le bonheur est défini par le bien- être des Canadiens, et non par un prix en particulier, qui est en l'occurrence celui du dollar canadien. La vraie question est de savoir si nous nous serions mieux portés si nous nous étions alignés sur le dollar américain et si nous avions accepté toutes les conséquences que ce choix aurait entraînées pour notre politique intérieure. La réponse, comme vous le diront la plupart des analystes, c'est que le système actuel, le système que nous avons eu, a en fait contribué, certains vous diront énormément, d'autres vous diront beaucoup, et d'autres encore vous diront que cela a contribué quelque peu à la croissance des revenus et de l'emploi au Canada en comparaison de ce qui se serait passé si nous avions eu un taux de change fixe. Ce qu'il faut se demander c'est si les Canadiens sont-ils à l'aise en ce qui concerne leur pouvoir d'achat comparativement à ce qu'aurait été leur situation si nous avions eu un régime différent. C'est cela qui doit retenir notre attention.
• 1615
La plupart des analystes—et même M. Loubier a cité Don
Drummond—vous diraient qu'à ce moment-ci, étant donné la structure
de notre économie et celle de l'économie américaine, il est
avantageux d'avoir un dollar flottant, un dollar qui a flotté à la
baisse récemment, parce que cela nous permet d'avoir la plus forte
croissance au niveau de l'emploi et des revenus chez nous. De
l'avis de la plupart des analystes, le dollar a trop baissé, mais
il se pourrait qu'il flotte à la hausse à l'avenir.
M. Malcolm Knight: Permettez-moi d'ajouter un mot.
Au cours de toute la période que l'on voit au graphique 1—et même auparavant le taux d'inflation au Canada était plus bas qu'aux États-Unis. Nous avons souvent dit que ce que la Banque du Canada peut faire de mieux pour notre taux de change, c'est de maintenir l'inflation à un niveau bas et stable. Donc, lorsque l'on considère la dépréciation graduelle du dollar canadien par rapport au dollar américain—qui s'est poursuivie pendant des années, jusque dans les années 90—il faut en conclure que c'est là un véritable phénomène. Cela est lié à la productivité du Canada par rapport à celle des États-Unis.
Grosso modo, l'on peut en conclure que la croissance de notre productivité a été plus lente que celle des États-Unis, mais probablement un peu plus rapide que celle des autres pays qui sont mentionnés dans l'indice du taux de change des devises composant le C-5. Pour ce qui en est du véritable taux de change, qui est ajusté pour tenir compte des fluctuations de prix, la politique monétaire ne peut pas grand chose à long terme. Pour ce qui est de maintenir l'inflation à un niveau bas et stable, cependant, je crois que nous avons eu une politique qui consistait à maintenir la force de notre dollar.
Le président: La question de productivité c'est précisément de cela qu'il s'agit. Est-ce qu'un dollar faible ne crée pas en fait une fausse impression de gain de productivité lorsqu'on a une entreprise qui remporte des marchés parce que le dollar est faible et non par suite d'un gain de productivité?
M. David Dodge: Il faut être très prudent ici parce qu'il y a d'autres entreprises qui vendent surtout chez nous et qui doivent acheter du matériel et d'autres intrants à l'étranger. Si ces prix étrangers augmentent, ce genre d'entreprise subit des pressions extraordinaires. Quelqu'un comme Ted Rogers, par exemple, subit des pressions extraordinaires. Cela ne l'avantage pas. Le taux de change est un prix.
Le président: Vous plaidez donc pour un dollar plus fort.
L'honorable Lorne Nystrom (Regina—Qu'appelle, NPD): C'est comme la situation où se trouvent les Expos de Montréal.
M. David Dodge: C'est comme les Expos de Montréal, exactement.
Le président: Voilà pourquoi nous devons avoir un dollar plus fort; est-ce bien ce que vous dites?
M. David Dodge: Non, mais soyons prudents. Le taux de change est un prix. Nous avons vu par exemple le prix du pétrole baisser de 30 $ à 10 $ le baril et remonter ensuite à environ 30 $. Est-ce une bonne chose, une mauvaise chose ou une chose sans importance?
Eh bien, si vous êtes dans le pétrole, vous êtes très heureux lorsque le prix monte, et très malheureux lorsqu'il baisse. Si vous êtes consommateur, c'est exactement le contraire.
Le taux de change, grosso modo, a pour effet d'équilibrer l'offre et la demande en matière d'échanges, où en fait le prix relatif d'un certain nombre de choses que nous produisons dans notre pays a baissé... M. Nystrom sait bien, étant donné qu'il est de la Colombie-Britannique, qu'il n'était pas très amusant de voir plonger le prix du bois d'oeuvre. Même chose en Saskatchewan où le prix du blé a baissé. Il y a des domaines où on a vécu des moments très difficiles. Nous produisons un tas de choses de ce genre, et il a fallu nous adapter de ce côté-là.
• 1620
Par contre, au cours des quatre dernières années, le
gouvernement a payé une partie de sa dette. Ce qui veut dire que
les Américains, les Australiens et les autres qui possédaient ces
obligations en dollars canadiens les encaissent lorsque nous ne les
prolongeons pas, auquel cas ils veulent les convertir en dollars
américains, en euros ou en d'autres devises. Il en résulte une
certaine pression.
Enfin, j'aimerais revenir à ce que Malcolm disait—et il s'agit du sujet que M. Kenney a abordé. Essentiellement, il s'agit bel et bien d'une question de productivité. Si nous n'étions pas aussi productifs que les autres, notre revenu réel aurait baissé peu importe ce qu'on aurait fait. Au niveau du taux de change fixe, nous aurions réduit la pression qui s'exerçait sur nous avec un taux flottant. On aurait connu le même ajustement à la baisse, mais cela s'est fait par un ajustement du cours du dollar canadien.
M. Malcolm Knight: Pardon, puis-je continuer? Il y a un autre élément qui est très important. Vous aviez dit qu'on surveille nos exportations vers les États-Unis, mais nous devons être très prudents et tenir compte de la structure de nos coûts comparativement à celle de nos concurrents, qui exportent également vers les États-Unis. Si le dollar canadien fait des gains par rapport à la devise suédoise ou à celle des pays de la zone euro, nos exportateurs sont alors obligés d'améliorer leur productivité. Il faut veiller à notre compétitivité par rapport à celle d'autres pays avec lesquels nous n'avons pas beaucoup d'échanges bilatéraux mais qui nous concurrencent dans nos principaux marchés d'exportation.
Le président: Bien. C'est au tour de Mme Leung, suivie par M. Nystrom.
Mme Sophia Leung (Vancouver Kingsway, Lib.): Merci, monsieur le président. Toutes mes félicitations, monsieur Dodge, et je vous invite à conserver vos liens avec mon alma mater, l'Université de la Colombie-Britannique.
Je n'ai qu'une question en deux volets. Premièrement, je me suis rendue récemment en Asie et j'ai eu d'excellents entretiens avec des représentants du gouvernement de Hong Kong. Ce gouvernement affiche des déficits, et il le fait souvent même s'il dispose de réserves considérables. Au même moment, j'ai constaté que même si la Chine conserve sa croissance économique, le bruit court qu'elle envisage de dévaluer le yuan, mais ce serait catastrophique.
Au Japon, nous savons que l'économie est en difficulté, et que c'est également le cas des États-Unis. Je veux seulement savoir comment vous voyez tout cela. Pourrait-il y avoir une autre crise financière? Quel effet aurait cette crise sur notre dollar?
M. David Dodge: Je vais commencer, puis je céderai la parole à Malcolm parce qu'il s'agit de deux questions distinctes ici, et je crois qu'il est important que votre comité y réfléchisse.
Tout d'abord, nous avons parlé surtout cet après-midi des États-Unis, mais je crois qu'il est extraordinairement important de savoir qu'une principale source de création de richesse dans notre pays est venue dans les années 80 de la demande en provenance de l'Asie. On en a vu les effets dans des endroits non seulement comme Vancouver et Whistler mais partout au pays. La faiblesse du Japon, ainsi que les problèmes subséquents qu'ont éprouvé un certain nombre d'économies de l'Asie de l'Est, nous ont compliqué la vie. En effet, regardez nos balances commerciales, vous allez voir que même si notre balance a marqué des gains par rapport aux États- Unis, notre situation s'est en fait détériorée, et elle s'est même beaucoup détériorée par rapport à l'Asie.
• 1625
La faiblesse de l'économie japonaise a beaucoup nui au Canada,
et cela a commencé en 1990 et ensuite plus tard dans les autres
économies asiatiques. Chose certaine, cela a créé un problème, qui
doit retenir notre attention. Même si ces marchés sont en ce moment
temporairement déprimés, il demeure extraordinairement important
pour nous, et nous devons en tenir compte et ne pas tout le temps
regarder vers nos voisins du Sud.
Vous posez aussi la question de la stabilité financière et de notre action à cet égard. C'est l'autre grande orientation des initiatives de la banque. J'aimerais céder la parole à Malcolm sur ce point étant donné que cette question revêt une importance extraordinaire.
M. Malcolm Knight: Pour ce qui est de la stabilité financière, si l'on parle expressément des pays asiatiques que vous avez mentionnés, il y a évidemment des problèmes relatifs à la stabilité financière qui se posent en République populaire de Chine. Mais la première chose que je dirais, c'est que non seulement la République populaire de Chine constitue une économie puissante, mais elle croit aussi à un taux spectaculaire. Il semble qu'il faudra hausser les projections de cette année à plus de 7,5 en termes réels, et l'on s'attend à ce que la Chine connaisse encore une croissance de plus de 7 p. 100 en termes réels en 2002. Donc, de ce point de vue là, on pourrait difficilement dire que cette économie traverse une crise.
Cela dit, on constate de grandes faiblesses dans le système financier chinois. Les autorités en sont conscientes depuis quelques années maintenant. Elles essaient d'adopter de meilleures techniques comptables qui révèlent les prêts qui font problème, mais cela est très difficile dans un pays où la plupart des gros prêts sont consentis par des banques nationalisées à des entreprises d'État. Voilà pourquoi un grand nombre de prêts ont été radiés en Chine. On a créé une société de gestion des biens de l'État, mais il y a encore beaucoup à faire dans ce secteur.
Le Japon a une économie très différente. Le gouverneur en a déjà parlé. La stabilité financière de ce pays est également un problème important. Les autorités s'en occupent, mais il y a lieu de s'interroger sur le rythme auquel on agit.
Mais d'une façon plus générale, vu la bonne supervision et la bonne réglementation qui existent au Canada, nous pouvons jouer un rôle à cet égard, et nous le faisons en participant aux réunions internationales de la Banque des règlements internationaux, du Forum sur la stabilité financière, du Fonds monétaire international et du Comité de Bâle sur le contrôle bancaire. Ce que l'on veut, c'est amener tous les pays du monde à respecter des codes de conduite dans le domaine des finances. Une telle mesure sera très importante pour ramener une stabilité financière à l'échelle internationale.
Le président: Merci..
Monsieur Nystrom, puis monsieur Epp et monsieur Brison.
M. Lorne Nystrom: Merci, monsieur le président.
Je tiens à féliciter M. Dodge de sa nomination au poste de gouverneur de la Banque du Canada, et je lui souhaite aussi la bienvenue à notre comité, de même qu'à M. Knight.
J'ai trois questions très simples à vous poser, monsieur Dodge. Votre prédécesseur, Gordon Thiessen, a exprimé clairement son désaccord avec l'idée d'une devise commune pour les pays adhérant à l'ALENA. Je suppose que vous partagez son opinion. Je suis également de cet avis, mais pourriez-vous dire officiellement ce que vous pensez d'une devise commune. C'est une idée qui me préoccupe beaucoup. J'estime que ce serait très nuisible pour le Canada.
M. David Dodge: D'un point de vue analytique, il est clair qu'à cette étape de notre évolution, une devise flottante est très avantageuse pour le Canada, par rapport aux États-Unis et même à la plupart des pays d'Amérique latine, compte tenu des différences dans les structures de nos économies.
Dans 10 ans, 20 ans ou 30 ans, il est possible que les structures de nos économies se ressemblent davantage. Dans ce cas, les avantages d'une devise flottante, d'un point de vue purement économique, seraient moins grands et les coûts liés à une devise distincte demeureraient les mêmes. On peut imaginer qu'une telle mesure serait possible à un moment donné, mais nous n'en sommes pas encore là. À peu près aucun analyste ne croit que nous avons atteint ce point.
Il y a une autre question qui va au-delà de celle-là, et c'est que les Amériques ne se sont pas réunies de la même façon que les pays d'Europe, dans l'Union européenne. En Europe, trois ou quatre pays importants se sont réunis pour une union véritable. Ni le Canada ni les autres pays n'auraient grand-chose à dire à la politique fédérale que les Américains voudraient adopter. C'est une question politique, je vous laisse le soin de la régler. C'est une observation que je fais.
M. Lorne Nystrom: Et je trouve que c'est une observation très importante et très pertinente.
J'ai une autre question à vous poser au sujet du dollar. M. Kenney et d'autres vous en ont parlé aujourd'hui.
J'ai ici un tableau de Statistique Canada qui montre l'évolution de notre devise depuis 1950 environ, jusqu'à l'an 2000. C'est un tableau très intéressant. De 1953 jusqu'à environ 1962 ou 1963, notre dollar valait davantage que le dollar américain.
La valeur du dollar fluctue à la hausse et à la baisse et chaque fois qu'il se stabilise, il semble que ce soit à un niveau plus bas. Pourriez-vous nous en expliquer la raison? Existe-t-il des faiblesses structurales dans notre économie sur une longue période?
Depuis 1977, plus particulièrement, la valeur du dollar a chuté. Chaque fois que cette valeur se stabilise, il semble que ce soit à un niveau plus bas, puis il y a une autre diminution et la valeur du dollar se stabilise à nouveau à un niveau plus bas.
M. David Dodge: Depuis le milieu des années 70, où le dollar canadien valait 1,02 $US, jusqu'au milieu ou à la fin des années 80, où la valeur du dollar était descendue à 1,39 $...
M. Lorne Nystrom: Ou un peu plus de 70c.
M. David Dodge: Désolé, je vais le faire autrement—nous étions descendus à 72c. C'est en partie dû à une évolution des prix à la baisse au Canada par rapport aux États-Unis. C'est à peu près l'explication pour cette période. Si notre dollar a augmenté par rapport à celui des États-Unis entre 1970 et 1974, depuis qu'on l'a laissé flotter, c'est parce que leurs prix étaient relativement faibles par rapport aux nôtres. On peut donc en partie considérer ces périodes en fonction de l'évolution du prix.
On en arrive ensuite aux années 90 pendant lesquelles nous sommes passés d'environ 85c., à 1 ou 2c. près, aux alentours de 70c., un peu plus un peu moins, et ce n'est pas le cas. Notre taux d'inflation au cours de cette période était égal, au départ, puis supérieur par la suite.
La différence au cours de cette dernière décennie c'est que notre productivité est restée en fait très inférieure à celle des États-Unis. Nous avons donc connu ce que les économistes appellent une dépréciation réelle parce que nous ne sommes tout simplement pas aussi productifs.
• 1635
D'après notre analyse, nous devrions rattraper un peu cela au
cours des cinq prochaines années alors que notre productivité va
commencer à augmenter grâce aux investissements qui ont en fait
débuté au milieu des années 90. N'oublions pas qu'au début des
années 90, les investissements étaient très faibles alors qu'ils
étaient beaucoup plus forts aux États-Unis.
Il y a donc en fait deux explications pour cette longue période. Aucune n'est totalement exacte, bien sûr, mais si l'on simplifie un peu les choses, c'est à peu près ce qui s'est passé.
M. Lorne Nystrom: Ma troisième question porte sur les taux d'intérêt et c'est la raison pour laquelle vous ne les avez pas diminués un peu plus.
Regardez les taux d'intérêts aux États-Unis comparés au Canada, les nôtres sont plus élevés—nos taux réels, nos taux nominaux. Si l'on considère l'inflation, je crois que notre taux d'inflation se situe autour de 2,5 p. 100, monsieur le président, et que celui des Américains se situe autour de 3 p. 100. Notre taux d'inflation est donc inférieur à celui des Américains et, théoriquement, nous devrions avoir un peu plus de latitude.
Si l'on considère le taux de chômage au Canada, nous en sommes environ à 7 p. l00 et eux à 4 p. 100. Notre taux de chômage est donc en fait 75 p. 100 supérieur au leur. Nous avons un taux de chômage qui est beaucoup plus fort que celui des Américains. Un taux d'inflation qui est inférieur à celui des Américains et un taux d'intérêt qui est supérieur à celui des Américains.
N'est-ce pas un scénario qui vous permettrait de vous montrer un peu plus portés à diminuer nos taux d'intérêt? Cela ne vous donne-t-il pas un peu plus de latitude et de champ de manoeuvre?
M. David Dodge: Votre question est tout à fait pertinente parce que vous expliquez très bien les facteurs dont nous tenons compte lorsque nous fixons les taux d'intérêt.
Je signalerais tout d'abord que, pour ce qui est des taux nominaux, le Canada, les États-Unis, l'Europe et le Royaume-Uni sont pratiquement tous au même niveau. Vous avez tout à fait raison, nos taux réels sont un peu supérieurs parce que notre taux d'inflation est légèrement inférieur.
Ce que nous faisions jusqu'à il y a environ un an, c'est garantir des taux nominaux inférieurs à ceux des États-Unis parce que nous pensions que nous avions plus de possibilités d'expansion avant d'en arriver à des limites de capacité. Il est évident—c'est toujours évident rétrospectivement, comme vous le savez—que nous commencions à atteindre ces limites l'été dernier. Nous estimons, comme nous l'avons indiqué dans le rapport d'aujourd'hui, qu'au cours de la première moitié de cette année, nous nous donnons un peu plus de champ de manoeuvre et c'est la raison pour laquelle nous avons la possibilité d'abaisser un peu ces taux.
Comme vous le savez, le secret et la grande difficulté c'est qu'il faut envisager la situation dans 6 ou 12 mois pour comprendre l'incidence que cela aura sur l'économie réelle. C'est pourquoi il est tellement crucial de savoir où nous en serons l'hiver prochain parce que tout ce que nous faisons aujourd'hui aura en fait des répercussions l'hiver prochain.
Nous avons dit que nous pensions pouvoir diminuer les taux. Nous l'avons fait. Nous essayons de voir si nous avons assez bien évalué ce que sera la situation l'hiver prochain et dans un an.
À notre avis, et nous l'avons indiqué dans le rapport, alors que nous allons continuer à élargir cet écart au cours du deuxième trimestre et que nous ne devrions pas tellement le diminuer au troisième ou au quatrième trimestre, il est probable que nous recommencions à le diminuer en 2002.
Mais c'est évidemment une question de jugement. C'est la raison pour laquelle nous disons que nous allons surveiller de très près les chiffres.
D'autre part, nous avons des secteurs qui évoluent tout à fait différemment dans le pays. À l'heure actuelle, nous avons connu le plus fort ralentissement dans le sud de l'Ontario où le marché était en fait très fort, mais nous avons encore un secteur énergétique qui marche très fort en Alberta, et il y a des régions de l'Ontario, presque l'ensemble du Québec, les provinces de l'Atlantique, qui sont en ce moment relativement plus fortes.
• 1640
C'est donc assez peu homogène, entre les régions et entre les
secteurs. Le secteur du logement et de la construction marchent
très fort et nous faisons face à des contraintes, comme le sait
bien la Dre Bennett, dans le secteur de la santé. Il y a donc un
certain nombre de secteurs où cela reste assez serré.
Le président: Merci, monsieur le gouverneur.
Merci, monsieur Nystrom.
Monsieur Epp, vous avez 12 minutes.
M. Ken Epp (Elk Island, AC): Merci beaucoup. J'aimerais ajouter mes félicitations à celles de mes collègues à l'occasion de votre nomination. Je vous souhaite bonne chance et beaucoup de succès.
Alors que vous parliez et que vous répondiez à d'autres questions, j'ai pensé à l'analogie de l'avion. L'avion se déplace sur trois axes: il y a le tangage, le lacet, et le tonneau. Il y a un contrôle distinct pour chacun. Par contre, quand je considère les différents facteurs économiques—et j'en ai pris en note quelques-uns au cours de la conversation—il y a l'indice du prix de revient, l'inflation, la valeur du dollar comparée aux autres devises, nos réserves en devises, la productivité, la confiance des consommateurs, le chômage et l'emploi d'un autre côté, le produit national brut et la croissance de l'économie. Je suppose que tous ces facteurs répondent à des mesures différentes prises par les gouvernements et les banques centrales. Or il me semble que vous essayez de contrôler tous les facteurs avec la même manette. Vous ne touchez pas du tout aux autres gouvernes. Essayer de faire voler un avion en utilisant simplement l'accélérateur est vraiment difficile. La seule chose que vous faites c'est d'ajuster les taux d'intérêt. C'est bien cela ou y a-t-il d'autre chose que j'ignore?
M. David Dodge: Non, vous avez tout à fait raison. Nous n'avons en effet qu'un seul outil. C'est un petit peu plus compliqué que seulement les taux d'intérêt mais, essentiellement, c'est un seul outil pour contrôler cette situation monétaire.
M. Ken Epp: Pensez-vous alors que l'on devrait examiner d'autres choses? Par exemple, je pense qu'en relevant les taux d'intérêt, on diminue essentiellement la masse monétaire, et vice versa. Évidemment, quand on change la masse monétaire, cela change l'inflation. Mais le taux d'inflation est également fonction du chômage. À l'heure actuelle, au Canada, et en particulier dans cette région, on se préoccupe beaucoup du nombre énorme d'emplois bien rémunérés qui ont disparu dans le secteur de la haute technologie, ce qui a une incidence énorme, tout d'abord, sur l'économie locale, puis sur l'économie en général.
Je sais très bien d'autre part que beaucoup de ceux qui perdent des emplois ici dans le secteur de la haute technologie vont probablement émigrer, s'en aller dans un autre pays, la plupart aux États-Unis et que nous risquons de les perdre à tout jamais, ce qui entraînerait un changement important à long terme dans notre économie. Quelles mesures peut-on prendre pour arrêter cela et enrayer cette émigration?
M. David Dodge: Tout d'abord, vous avez raison, nous disposons d'un seul instrument qui est peu sophistiqué. Sur une longue période de temps, cet instrument est puissant, mais il est peu sophistiqué et prend un certain temps pour obtenir des résultats. C'est incontestable.
En ce moment, il se passe deux ou trois choses, et vous en avez donné quelques exemples. Nous sommes témoins d'un rajustement plutôt traditionnel au niveau des stocks dans le secteur de l'automobile et dans plusieurs autres secteurs de fabrication de biens durables. Nous nous attendons à ce que ces secteurs s'en tirent. Toutefois, il y a aussi quelques problèmes structuraux dans ces industries.
Deuxièmement, nous avons connu un tel essor dans les télécommunications et dans l'équipement technique destiné aux technologies de l'information, à un point tel que, du moins temporairement, nous avons plus de capitaux que la demande ne le justifie et tout à coup, la situation s'est dégradée. Les événements ont évolué à une vitesse soudain vertigineuse, que ce soit pour ceux qui ajoutaient une largeur de bande sans se soucier du lendemain, mais qui ont tout à coup compris que la capacité était probablement suffisante pour au moins quelques années, pour les personnes qui augmentaient leur capacité de commutation pour constater soudainement qu'on aurait pas besoin de tous ces commutateurs avant plusieurs années. Voilà un cycle d'investissement peu traditionnel qui caractérise les industries dont vous venez de parler.
• 1645
Je dirais toutefois qu'en ce qui concerne un grand nombre
d'entreprises qui ont besoin de ces compétences pour vraiment tirer
parti de cette nouvelle technologie, notre propre Banque en étant
un exemple, puisque nous avons été exclus du marché et ne pouvons
acquérir les compétences dont nous avons besoin pour faire le
travail à l'interne. De nombreuses entreprises sont dans notre
situation. Si vous parlez aux gens du secteur, vous constatez
qu'ils ne sont pas nécessairement très affligés de ce
ralentissement. C'est peut-être un peu plus difficile et incertain
qu'ils ne le souhaitent. Toutefois, une certaine réattribution des
compétences représente probablement tout à fait nos intérêts à long
terme.
Troisièmement, et j'aimerais revenir au point soulevé par M. Nystrom, nous avons connu une période plutôt longue, environ 25 ans où, dans l'ensemble, le prix des produits non énergétiques a diminué, avec parfois un soubresaut ici et là, mais qui essentiellement a diminué. Nous continuons à être de grands producteurs nets de ces produits. Nos entreprises doivent travailler extrêmement fort pour ne pas se laisser distancer et fabriquer ces produits. Cela signifie qu'il n'y a tout simplement pas ce que nous appelons les rentes pour faire d'autres choses que l'on pouvait faire dans ces industries au début.
M. Ken Epp: Un des facteurs qui a une très grande incidence sur nous au Canada, c'est le cours très faible du dollar canadien comparé au dollar américain. On s'en rend compte lorsqu'on parle joueurs de hockey, aux travailleurs de la haute technologie. Afin que les entreprises canadiennes puissent affronter la concurrence, nous devons payer beaucoup plus que ce que l'on paierait normalement en termes monétaires.
Encore une fois, j'aimerais demander votre opinion en ce qui a trait à la valeur du dollar canadien. J'ai deux questions. Si on regarde l'historique du dollar, on constate qu'il y a une dépréciation assez constante du dollar depuis 20 ans. Je me demande si c'est vraiment dans le meilleur intérêt du Canada, car on impose ainsi une réduction salariale à presque tous les travailleurs canadiens, quel que soit leur travail dans l'économie mondiale. Vous n'en convenez pas.
M. David Dodge: Si.
M. Ken Epp: Permettez-moi de vous poser ma deuxième question. De la façon dont vous hochez la tête, il me semble que vous allez rejeter cela, donc ma question suivante n'a peut-être pas lieu d'être. Mais j'allais vous demander, qu'est-ce qu'on peut faire pour soutenir notre dollar?
M. David Dodge: J'aimerais revenir à ce que j'ai dit précédemment. Notre objectif, dans l'élaboration d'une politique monétaire, c'est de tenter de créer les conditions qui favoriseront la croissance maximum de l'économie canadienne et la croissance maximum du revenu des Canadiens. C'est l'objectif réel.
• 1650
À notre avis, le maintien du pouvoir d'achat du dollar
canadien et de la confiance de la population dans ce pouvoir
d'achat a une importance extraordinaire, d'après des études faites
ici et faites ailleurs.
Le pouvoir d'achat du dollar dans votre poche a diminué d'environ 2 p. 100 par an. Voilà quel a été notre objectif au cours des 10 dernières années. Pendant la même période, le pouvoir d'achat du dollar américain a diminué d'environ 2,5 à 3 p. 100.
Vous demandez, comment est-ce possible? La plupart de nos achats sont transposés en dollars canadiens. En fait, si la rémunération avait augmenté de 2 p. 100 par année, nous aurions eu le même pouvoir d'achat pour un panier d'épicerie qu'auparavant, peu importe l'évolution du taux de change, car l'incidence de ces changements, dont Sue Barnes a parlé plus tôt est incorporée dans le prix de ce que vous et moi achetons. Cela a forcé Rod Bryden et les sénateurs à trouver des façons de réduire les coûts, et les compagnies de téléphone, ou que sais-je, à trouver des façons de faire face à la situation.
Il est vrai que des vacances en Floride coûtent plus cher aujourd'hui qu'il y a 10 ans. Il se trouve cependant que des vacances en France coûtent un peu moins cher. Cela signifie qu'au lieu d'aller en Floride ou en Arizona, lorsque vous voulez passer vos vacances au soleil, peut-être faudra-t-il songer à aller ailleurs. En fait, la même chose se produit en ce qui concerne les voyages au Japon, où il est considérablement moins cher de voyager aujourd'hui pour nous qu'il y a quatre ou cinq ans, à cause de la dépréciation du yen vis-à-vis du dollar américain. Ce sont toutes des fluctuations de prix pertinentes.
Quant au panier de biens et services que nous consommons, la perte du pouvoir d'achat du dollar canadien représente environ 2 p. 100 par an, qui est le taux d'inflation que nous visons.
M. Ken Epp: Si je résumais ce que vous venez de dire—et reprenez-moi si je fais erreur—c'est que le gouverneur de la Banque du Canada prétend que la valeur actuelle de notre dollar, soit entre 60 et 65c. est acceptable et convient parfaitement à l'économie canadienne, et qu'il ne peut ou ne veut intervenir. Est- ce exact?
M. David Dodge: Excusez-moi, monsieur Epp, je n'ai pas entendu la fin de la phrase.
M. Ken Epp: Très bien, je vais répéter. Le gouverneur de la Banque du Canada a dit que la valeur actuelle du dollar canadien qui se situe entre 60 et 65 c. américains est acceptable, et que de toute façon, il ne peut, ni ne veut, intervenir.
M. David Dodge: Non. Tout d'abord, l'adjectif «acceptable» me paraît bizarre. C'est la valeur marchande de notre devise, tout comme le franc français vaut environ 20,5 c. C'est le prix. Il n'est pas une question de ce qui est acceptable ou pas.
Toutefois, il est vrai qu'une devise plus faible vis-à-vis du dollar américain signifie que nous n'avons pas vécu beaucoup de pression inflationniste, ce qui a une incidence sur le taux d'inflation au Canada et une incidence sur la production, incidence qui n'est pas nécessairement utile. Un dollar à la baisse n'est pas nécessairement utile relativement à l'inflation. Dans certaines circonstances, toutefois, cela pourrait faciliter un rajustement, mais dans d'autres, il est certes préférable d'avoir une devise à la hausse afin d'éviter d'importer l'inflation de l'étranger.
• 1655
Je ne pense donc pas qu'on puisse résumer la situation comme
vous le faites.
M. Ken Epp: J'ai été assez direct. Je vous remercie.
Le président: Monsieur Brison.
M. Scott Brison (Kings—Hants, PC): Je vous remercie, monsieur le président. Je remercie le gouverneur de la Banque du Canada ainsi que M. Knight de comparaître devant nous aujourd'hui. Bienvenue au comité.
On peut d'abord dire, même si les avis sont sans doute partagés à ce sujet, que depuis plusieurs années, la Banque du Canada soutient le dollar et a adopté des mesures pour que l'inflation se limite à 2 p. 100 alors que la Federal Reserve des États-Unis a décidé que le taux d'inflation devait plutôt se situer à 2,5 p. 100. Malgré le fait que la Banque du Canada ait cherché à soutenir le dollar canadien et ait à cette fin employé les leviers monétaires dont elle dispose, à quels facteurs budgétaires structurels attribuez-vous le déclin précipité du dollar ces dernières années? En réponse à la question de M. Kenney, vous avez mentionné la question de la dette. Vous avez aussi parlé de la convergence des économies en réponse à une question de M. Nystrom. S'il y a convergence des économies, pourquoi notre dollar a-t-il chuté si rapidement en dépit de la politique monétaire que vous avez mise en oeuvre?
M. David Dodge: Cette situation est attribuable à plusieurs facteurs. Nous avons plus tôt parler de la productivité. Les investisseurs, qu'ils soient Canadiens ou étrangers, cherchent toujours le meilleur taux de rendement possible sur leurs investissements. Pendant une certaine période, les investisseurs ont estimé pouvoir obtenir un meilleur taux de rendement sur leurs investissements aux États-Unis qu'en Europe, au Canada ou au Japon. Voilà qui explique cet influx de capitaux aux États-Unis. Le taux de change ne fait qu'équilibrer le flux des capitaux. Nous n'avons pas parlé jusqu'ici de ce facteur.
Nous réduisons aussi notre dette étrangère nette. J'oublie le chiffre exact, mais je crois que cette dette s'élevait à 36 ou 37 p. 100 du PIB. Elle n'est plus maintenant que de 23 ou 22 p. 100. Lorsqu'on rembourse une dette, cela revient à dire aux étrangers: «Je vous redonne vos dollars américains et redonnez-moi vos dollars canadiens. Donnez-moi en échange de ces dollars américains vos dollars canadiens, vos livres sterling, vous euros et vos yens». Ce facteur influe donc aussi. Il est dans notre intérêt à long terme de procéder de la sorte mais, comme vous le faites remarquer, cela a eu comme incidence de faire chuter le dollar canadien.
Enfin, une pression à la baisse s'exerce sur le dollar canadien étant donné que notre déficit commercial net continue d'être très important dans le secteur non énergétique et compte tenu du fait que le prix de l'énergie a diminué, non pas de façon précipitée, mais de façon continue sur une période assez longue.
M. Scott Brison: Vous dites que l'une des raisons pour lesquelles le dollar américain a été aussi fort dernièrement, c'est la vigueur des marchés de capitaux américains, mais ces derniers mois, aucun marché n'a connu une baisse aussi marquée que le NASDAQ. Or, le dollar américain s'est maintenu à un niveau élevé. Comment conciliez-vous cette situation avec le raisonnement voulant que la vigueur des marchés de capitaux américains a contribué à maintenir le dollar américain à un niveau élevé?
M. David Dodge: Nous avons certainement constaté que les investisseurs préfèrent les investissements à taux fixe plutôt que les actions depuis un certain temps et les investissements à taux fixe aux États-Unis ont été relativement alléchants. Ce n'est que tout dernièrement que les taux d'intérêt sur ces investissements à revenu fixe ont dépassé un certain seuil et ils étaient inférieurs à ce seuil pendant longtemps. Voilà le premier facteur dont il faut tenir compte.
Les perturbations sur les marchés mondiaux constituent le deuxième facteur à prendre en compte. La Turquie, l'Argentine et le Brésil, sans mentionner l'Indonésie, ont connu dernièrement des difficultés. Même les pays dont la productivité s'est considérablement améliorée, comme la Corée, n'ont pas été épargnés. Les États-Unis sont encore vus comme le meilleur marché où investir des fonds dans des situations semblables, et ce n'est que lorsque le Canada, le Royaume-Uni ou l'Europe peuvent offrir des taux supérieurs au taux américain qu'ils attirent ces investissements.
M. Scott Brison: Vous dites donc que lorsque les choses vont bien, les États-Unis constituent un aimant pour les capitaux, mais lorsque les choses vont moins bien, les investisseurs s'intéressent à d'autres marchés... Pour justifier votre raisonnement, vous invoquez donc...
M. David Dodge: Pas tout à fait. Certains autres facteurs interviennent, mais il ne fait aucun doute que le marché des capitaux de New York est le plus important, le plus large et le plus efficace au monde.
M. Scott Brison: Premièrement, même si le secteur de la technologie a été beaucoup secoué ces temps-ci, le commerce électronique entre les entreprises continue de croître. Le commerce électronique en général croît également. Pensez-vous que la croissance du commerce électronique exerce une pression à la baisse sur les devises secondaires, étant donné que la plupart des échanges électroniques se font en dollars américains et que ce commerce ne connaît pas de frontières?
Deuxièmement, vu la force du dollar américain, l'émergence de l'euro et la convergence des économies dont vous parliez plus tôt, à votre avis, que réservent les 10 prochaines années aux devises secondaires, comme le dollar canadien?
M. David Dodge: Nous vivons dans un monde très compétitif et nous devons déployer de grands efforts pour que les marchés de capitaux canadiens soient efficaces, fonctionnent bien et demeurent liquides et abondants. Ce n'est pas facile lorsqu'on fait concurrence à un marché aussi abondant que celui de New York. Les Européens sont dans la même situation. Le marché japonais, qui était solide en 1988, connaît maintenant des difficultés en raison d'un ralentissement de l'économie au Japon. Le marché de New York est donc le marché prédominant et tous les autres marchés cherchent désespérément à lui faire concurrence.
Y a-t-il place pour un marché régional? Je crois que oui, mais il faut déployer de plus grands efforts pour faire en sorte qu'il fonctionne.
Malcolm, c'est vous qui êtes vraiment le spécialiste du domaine.
M. Malcolm Knight: J'aimerais dire quelques mots à ce sujet. Il ne faut pas oublier que le dollar américain se maintient à un niveau élevé par rapport à toutes les autres devises depuis déjà un certain nombre d'années. Comme le gouverneur l'a dit, le Canada a pris un certain nombre de mesures qui devraient mener à long terme à une croissance soutenue de l'économie. Le taux d'inflation est moins élevé au Canada qu'aux États-Unis et les gouvernements, tant fédéral que provinciaux, ont équilibré leurs budgets et jouissent même d'excédents budgétaires. Jusqu'ici le taux de croissance de la productivité a été moins élevé au Canada qu'aux États-Unis en partie en raison, comme l'a dit le gouverneur, du fait que les États-Unis ont profité d'investissements de l'étranger avant le Canada. Les investissements en particulier dans le matériel et l'outillage et cela nous ramène à la question du commerce électronique et de la haute technologie, constituent un élément important de l'économie canadienne depuis environ 1996. Le Canada qui est doté de bons systèmes de télécommunications est donc le pays qui, tout de suite après les États-Unis, est sans doute le mieux placé pour tirer parti de ces nouvelles technologies et des gains de productivité qu'elles supposent.
• 1705
Notre compte courant se trouve aussi en situation
excédentaire. Le compte courant des États-Unis est déficitaire. Les
États-Unis importent davantage qu'ils n'exportent vers le reste du
monde et le déficit à cet égard représente 4 p. 100 de son PIB. À
long terme, cette situation finira par se répercuter sur le taux de
change du dollar américain par rapport au taux de change des
devises de ses partenaires commerciaux, y compris le Canada.
Le président: Je vous remercie.
Monsieur Brison.
M. Scott Brison: Je vous ai demandé ce que réservaient les 10 prochaines années aux devises secondaires. Il y a convergence. Avant l'avènement de l'euro, il y a eu le traité de Maastricht qui proposait une certaine uniformisation des structures budgétaires. Cette uniformisation se produit presque naturellement puisqu'on semble avoir accepté dans d'autres parties du monde certains truismes budgétaires en ce qui touche la dette et la fiscalité. Vu cette convergence, et pour revenir à la réponse que donnait le gouverneur Dodge aux questions précédentes de M. Nystrom, que réservent, à votre avis, les 10 prochaines années aux devises secondaires, c'est-à-dire aux devises autres que le dollar américain ou l'euro?
M. Malcolm Knight: Je n'aime pas beaucoup l'expression «devises secondaires». L'une des choses que nous avons vues ailleurs dans le monde, c'est que lorsque les pays améliorent la gestion de leur politique monétaire, ils se rendent compte qu'il est préférable d'avoir une politique anti-inflationniste, du genre que nous connaissons au Canada depuis une décennie, et d'avoir un cours de change flottant. Ils constatent qu'il est plus difficile de soutenir une devise distincte et un taux de change fixe que d'avoir une politique monétaire qui vise un taux d'inflation bas et stable et permet au taux de change de s'adapter lorsque leurs pays subissent des chocs qui nécessitent des ajustements dans les prix relatifs.
Donc il est vrai que les États-Unis, qui sont au coeur de tout ce mouvement, gagnent beaucoup du fait qu'ils ont la devise la plus importante. Mais le fait d'avoir des devises distinctes et des cours de change flottants donnent aux pays qui peuvent bien gérer leur politique monétaire une marge de manoeuvre supplémentaire pour s'adapter aux chocs réels, et cela est très important pour un grand nombre de pays.
M. Scott Brison: Je ne suis pas en désaccord avec cela, mais je me demande si vous croyez personnellement que nous pourrons encore conserver cette indépendance dans dix ans.
Le président: Monsieur Brison, merci beaucoup. C'était là une question déguisée. Vous n'avez même pas à y répondre, monsieur Dodge. La sonnerie va retentir vers 17 h 15. N'en tenez aucun compte. Nous allons partir à 17 h 29. Il ne nous faudra qu'une minute pour nous rendre à la Chambre.
Les deux derniers à poser des questions sont MM. Cullen et Pillitteri.
M. Roy Cullen (Etobicoke-Nord, Lib.): Merci, monsieur le président. Monsieur Dodge, monsieur Knight, je vous souhaite la bienvenue. Toutes mes félicitations, monsieur Dodge.
J'ai trois questions. Je ne les poserai peut-être pas toutes, mais si nous avons le temps, j'aimerais qu'on discute un peu des entrées et sorties de capitaux—vous avez abordé ce sujet, monsieur Dodge, dans votre réponse à M. Brison—ainsi que des taux d'épargne et de la dette à la consommation.
Auparavant, je rappelle que la Banque centrale d'Europe a subi des pressions pour qu'elle réduise les taux d'intérêt. Je ne veux pas vous mettre dans une situation gênante, mais j'ai lu dans le journal que le Gouverneur—est-ce ainsi qu'on l'appelle, lui ou elle—de la Banque centrale d'Europe avait dit qu'il était le mieux placé pour connaître l'Europe. J'imagine qu'il a ses raisons s'il hésite à abaisser les taux d'intérêt.
• 1710
Je me demande si vous pourriez nous dire quelques mots à ce
sujet et quels sont les effets des taux d'intérêt européens.
M. David Dodge: Monsieur Cullen, permettez-moi d'abord de rappeler à tout le monde que le taux européen se situe à 4,75 p. 100, nous sommes nous aussi à 4,75 p. 100, et les Américains sont à 4,5 p. 100. Il n'y a donc pas grand écart dans ces taux pour le moment. Première chose.
Deuxième chose, la Banque centrale d'Europe et les gouverneurs qui sont à la tête des banques nationales disent, tout d'abord, qu'ils subissent des pressions inflationnaires. En effet, l'inflation en Europe est à la hausse et non à la baisse, en partie parce qu'il y a là de graves problèmes structurels qu'ils n'ont pas réglés aussi vite qu'ils le voudraient, comme ils le disent eux- mêmes.
Ils disent donc ceci: écoutez, avec une inflation se situant autour des 3 p. 100 et des taux d'intérêt à 4,75 p. 100—chose certaine, ils ont baissé de 25 points, ou peut-être même de 50 points, mais nous parlons d'un taux réel de 1,5 point—selon les normes européennes c'est un taux d'intérêt réel assez bas. Donc ne venez pas nous demander à nous, la Banque centrale d'Europe, de nous porter au secours des gouvernements qui n'ont pas pris les mesures structurelles voulues pour être plus efficients. Nous allons faire un petit quelque chose, mais nous devons mettre en oeuvre toutes les mesures voulues pour nous sortir de là.
Voilà comment M. Duisenberg vous répondrait s'il était ici.
M. Roy Cullen: Sans vouloir vous mettre dans l'embarras, croyez-vous que c'est un argument qui se tient? Est-ce raisonnable?
M. David Dodge: Écoutez, je ne suis pas vraiment en mesure de dire ce que les Européens vont faire. Il est vrai, à mon avis, que les Européens ont une responsabilité qui déborde du cadre de la petite Europe, pour ainsi dire. Ils ont une responsabilité envers le monde, tout comme les Américains. Pour ce qui est de savoir si c'est nécessairement la politique monétaire qui va être leur levier de choix pour stimuler la croissance économique, particulièrement en Allemagne...
Vous savez, la France s'est en fait très bien tirée d'affaire. C'est le gros moteur allemand qui est resté coincé en première vitesse. Ils savent ce qu'ils ont à faire, mais s'il vous plaît, chers Européens, n'oubliez pas le fait que vous êtes un acteur important sur la scène et que vous avez une responsabilité.
M. Roy Cullen: Merci.
Si l'on me permet de passer aux taux d'épargne et à la dette à la consommation au Canada, pourriez-vous comparer les tendances au Canada par rapport au reste du monde et nous dire quelles en sont les conséquences sur la politique monétaire de la Banque du Canada ou la politique fiscale du gouvernement du Canada?
Dans ce débat, lorsqu'on cite le cas de l'économie américaine, on entend souvent dire que la force de cette économie repose sur les dépenses de consommation. Le taux d'épargne est bas, ce qui doit avoir un certain rapport avec l'investissement, même si l'investissement est fort aux États-Unis au niveau des dépenses en immobilisations, si je comprends bien. Donc, comment allons-nous contenter tout le monde, et quelles sont les tendances au Canada dans ces deux domaines? Cela doit-il nous inquiéter, et que pouvons-nous y faire, si problème il y a?
M. Malcolm Knight: Je peux peut-être répondre à cette question.
Si vous prenez le cas des États-Unis, par exemple, vous allez constater qu'il y a eu une forte baisse du taux d'épargne des ménages pendant plusieurs années. En fait, le taux d'épargne des ménages est en ce moment négatif. Cela résulte en partie des valeurs boursières élevées et de la richesse accrue qui en a découlé récemment et qui se dissipe maintenant. Donc les ménages ne contribuent pas à l'épargne américaine.
Mais, aux États-Unis, en raison des gains relativement élevés des récentes années, le taux d'épargne des entreprises a augmenté, et, bien sûr, la désépargne gouvernementale a beaucoup baissé depuis qu'on a épongé le déficit financier.
• 1715
Donc le taux d'épargne global aux États-Unis—le taux
d'épargne national, comme on l'appelle—est quelque peu plus faible
en proportion du PIB, qu'il ne l'est au Canada. Il est resté
stable. L'investissement est plus élevé, et c'est pourquoi
l'économie américaine, même si c'est l'économie la plus riche du
monde, a été largement tributaire de l'épargne étrangère ces
dernières années. C'est l'un des problèmes qui se pose dans toute
la question du processus d'ajustement pour le dollar américain à
long terme.
Au Canada, les tendances ne sont pas tout à fait les mêmes. Essentiellement, je dirais que la santé financière des ménages au Canada est meilleure qu'elle ne l'est aux États-Unis. Nous avons constaté une augmentation depuis 1992 du ratio de l'endettement des ménages par rapport au revenu disponible. Mais au cours de la même période, nous avons constaté également une augmentation de la valeur nette des ménages par rapport au revenu disponible, et nous avons remarqué une baisse dans le service de la dette des ménages par rapport au revenu disponible. Donc, le ménage moyen consacre moins d'argent à amortir sa dette même si celle-ci est plus élevée qu'elle ne l'était en 1992. Il en est ainsi parce que la politique qui consiste à maintenir un taux d'inflation bas et stable a ultimement pour conséquence des taux d'intérêt peu élevés.
Pour ce qui est de l'épargne totale au Canada, le taux d'épargne des ménages n'a pas baissé autant qu'aux États-Unis. Le taux d'épargne des entreprises et des gouvernements est également élevé. Cela permet donc de financer l'investissement et de créer en fait l'excédent courant.
Le président: Merci, monsieur Cullen.
Monsieur Pillitteri.
M. Gary Pillitteri (Niagara Falls, Lib.): Merci, monsieur le président.
Monsieur Dodge, à mon tour de vous féliciter, comme l'ont fait tous mes collègues ici présents.
J'étais à une soirée la semaine dernière, et quelqu'un a fait remarquer que le Canada a grand besoin d'un autre Greenspan. J'ai répondu que ce sont précisément des gens comme vous—les experts financiers—qui, lorsqu'ils ne savent pas où investir, se précipitent sur le dollar américain, ce qui a pour effet d'abaisser la valeur du dollar canadien.
La question que je vais vous poser est un peu différente. Je suis un homme d'affaires, et nous préférons parfois, comme ce fut le cas par le passé, avoir des prêts à court terme plutôt qu'à long terme parce que depuis cinq ou six ans le taux des prêts à court terme chez nous était d'environ 1,5 p. 100 inférieur à celui des États-Unis. Bien sûr, nous avons énormément profité de ces faibles taux d'intérêt, et nous voyons maintenant ce qui se fait dans le secteur de l'investissement. Nous, investisseurs, avons grandement profité de cela.
Et puis, tout à coup, la situation s'est retournée contre nous puisque cela n'a eu aucun effet réel sur la valeur du dollar canadien. Puisque nos taux d'intérêt étaient de 1,5 p. 100 inférieurs à ceux des États-Unis pour les prêts à court terme, la fluctuation du dollar n'a eu guère d'effet. Nous l'avons maintenue dans une fourchette entre 64c. et 67c.
Et maintenant vous dites qu'il faut davantage de marge de manoeuvre, et que l'écart est maintenant d'environ 1,25 p. 100. Nous étions à 1,5 p. 100 en dessous du taux américain, et voilà que leur taux est de 0,25 p. 100 inférieur à celui du Canada. Combien de temps encore se maintiendra cette tendance, ou quand y aura-t-il un revirement?
À l'heure actuelle, il en coûte 1 p. 100 de plus aux particuliers et aux gens d'affaires du Canada comparativement à ceux des États-Unis. Cela signifie, au plan compétitif, qu'ils ont un léger avantage sur nous. Combien de temps se maintiendra cette tendance où nous tentons d'avoir des taux d'intérêt à court terme plus élevés que ceux des États-Unis?
M. David Dodge: Nous tentons de fixer les taux à un niveau tel que l'économie canadienne continuera de tourner à peu près à pleine capacité sans qu'il y ait de pression inflationniste à la hausse ou de pression à la baisse exercée sur les prix. Voilà ce que nous tentons de faire.
• 1720
Ce n'est pas tout à fait ainsi que procèdent les Américains,
mais en définitive, nos façons de faire sont assez proches et nos
cibles approximatives sont les mêmes.
Comme je l'ai dit dans mon exposé, si nous constatons à la fin de l'an 2002 que nos choix ont porté fruit et que les économies canadienne et américaine ont un taux de croissance égal ou supérieur au potentiel, des pressions à la hausse s'exerceront alors sur les prix et nous hausserons les taux d'intérêt, comme le feront d'ailleurs les Américains.
Je ne peux pas vous dire qui agira le plus rapidement, qui ira le plus loin, qui interviendra en premier, ou en deuxième, puisque nous prenons nos décisions en fonction de la performance de nos économies respectives. Il se peut fort bien que nous haussions nos taux en premier puisque notre taux de croissance sera plus rapide et que les pressions seront plus fortes au Canada qu'aux États- Unis. Ce sera vraisemblablement le cas, s'il y a un boom dans le secteur énergétique, s'il y avait une augmentation assez ferme du coût des marchandises non énergétiques, et si nous continuions d'enregistrer une bonne performance dans le secteur de la fabrication.
Nos interventions ont pour but de maintenir l'inflation à l'intérieur de la fourchette cible, et si l'économie tourne à plein régime, alors attendez-vous à ce que nous réagissions en haussant les taux. Si notre taux de croissance est très élevé, supérieur à celui des États-Unis, nous interviendrons plus tôt.
Le président: Merci.
M. Gary Pillitteri: Je veux poursuivre dans la même veine. Monsieur Dodge, depuis quelques mois, on anticipait un réel ralentissement de l'économie américaine. Il s'est maintenant concrétisé au deuxième trimestre. Le ralentissement est cependant moins sévère qu'on ne l'avait prévu. On prévoyait un taux de croissance entre 0 et 2 p. 100 et maintenant ces projections ont été rajustées à la hausse. Notre taux de croissance reste meilleur que le leur. Je n'ai rien vu... Ne croyez-vous pas que nous pourrions abaisser plus rapidement les taux d'intérêt?
M. David Dodge: Ce sont des décisions qui n'ont rien d'évident et il serait merveilleux d'être un devin infaillible. Vous vous souvenez sans doute que beaucoup de gens nous ont reproché en février dernier, d'avoir dit que le taux de croissance ne serait pas tout à fait aussi faible que le prédisaient les prophètes de malheur...
M. Gary Pillitteri: Ça se sont les autres.
M. David Dodge: ... et que la reprise de l'économie se ferait plus tôt et serait plus solide. D'ailleurs, je dirais que nous n'avons pas révisé nos projections de beaucoup. Nous avons dû manifestement les réviser étant donné que les résultats de quatrième trimestre ont été moins bons que prévus. Le rajustement s'imposait.
En février, nous avons annoncé un taux de croissance d'environ 3 p. 100, nous disons maintenant qu'il se situera entre 2 et 3 p. 100, le centre de la fourchette étant à 2,5 p. 100. Pour les quatre dixièmes, ce rajustement mécanique est dû au résultat moins bon de décembre.
Nous n'avons pas vraiment beaucoup changé nos projections, et il est normal qu'il y ait des fluctuations. Il y aura des semaines où tout le monde sera très optimiste et d'autres où tous seront pessimistes, surtout après l'annonce de résultats décevants. Nous devons tenter de faire la part du feu. Nous sommes toujours d'avis que la croissance sera raisonnable—pas exceptionnelle mais raisonnable—dès la seconde moitié de cette année. En 2002, la croissance devrait avoir retrouvé sa vigueur.
Le président: Merci.
M. David Dodge: Je ne saurais vous dire mieux.
M. Gary Pillitteri: J'aurais une dernière question, monsieur le président.
Monsieur Dodge, vous avez dit que la dette extérieure est à la baisse. Vous avez parlé de 38 p. 100. Je comprends cela. À une certaine époque, il s'agissait du total de la dette fédérale et de la dette des provinces.
M. David Dodge: C'est la dette totale. C'est la dette nationale nette.
M. Gary Pillitteri: Vous avez dit que la dette totale, comprenant la dette fédérale et celle des provinces, a diminué d'environ 24 p. 100.
M. David Dodge: C'est juste. Elle a diminué en partie parce qu'une plus faible proportion des titres d'emprunt du gouvernement sont détenus par des étrangers et en partie parce que les Canadiens détiennent davantage d'actifs étrangers qu'auparavant. La dette nette a donc diminué, et c'est une très bonne chose.
M. Gary Pillitteri: Merci.
Le président: Monsieur le gouverneur, merci d'être venu.
Avant que vous ne partiez, j'aurais une dernière question à poser.
Le comité et moi-même nous intéressons plus particulièrement à la question de la productivité. D'ailleurs, je crois pour ma part que la productivité est l'enjeu le plus important pour le Canada. Je me demande souvent pourquoi, dans les années 80, nous avons mis autant de temps à nous adapter aux changements tandis que les Américains investissaient autant au titre des immobilisations, de la machinerie, et des mesures propres à accroître la productivité. Pourquoi les gens d'affaires du Canada n'emboîtent-ils pas le pas aux Américains en pareil cas? Avez-vous examiné cette question?
M. David Dodge: Je ne suis pas convaincu que mon avis vaille mieux que celui d'un autre, mais j'aurais trois observations à faire.
D'abord, les grands changements technologiques enregistrés à la fin des années 80 et pendant les années 90 ont réellement favorisé les premiers pas en affaires de jeunes entreprises novatrices. C'est ce que favorisait le climat de changement. Les Américains ont toujours su saisir de telles occasions, beaucoup mieux que nous.
Toutefois, vous noterez qu'ils n'ont pas été tout à fait aussi habiles face à certains changements très importants—par exemple, prenez le cas des problèmes énergétiques de la Californie. Nous avons toujours su tirer notre épingle du jeu pour les grands projets, de sorte que l'on peut dire que tout dépend du moment et de la nature de la technologie.
Ensuite, pour revenir à la question dont nous avons parlé plus tôt, ils ont des marchés de capitaux plus efficients et cela les a certainement aidés.
Enfin, leur situation budgétaire n'a jamais été aussi dégradée que la nôtre et ils n'ont pas eu à dépenser autant d'énergie que nous à se sortir d'une bien mauvaise passe.
Toutefois, il faut bien admirer leur esprit d'entreprise et espérer que nous retrouverons le nôtre qui s'est manifesté à plusieurs reprises tout au long de notre histoire.
Le président: Oui. Merci, monsieur le gouverneur.
Il y a un autre dossier auquel le comité s'intéressera probablement—je ne leur ai pas encore posé la question, mais je crois que ce sera oui—ce sera toute la question de l'intégration nord-américaine. Un jour, si vous acceptez de comparaître de nouveau, nous voudrons certainement vous interroger pour savoir ce que pense la Banque de ce...
M. David Dodge: Nous ferons cela avec plaisir, monsieur le président. J'espère que nous pourrons revenir peu après la publication de notre rapport en novembre pour l'examiner avec vous. Nous discuterons de certaines de ces questions à ce moment-là. J'ai hâte de faire cela, et j'espère que nous pourrons vous recevoir à la Banque.
Le président: Merci.
La séance est levée.