Passer au contenu

HERI Réunion de comité

Les Avis de convocation contiennent des renseignements sur le sujet, la date, l’heure et l’endroit de la réunion, ainsi qu’une liste des témoins qui doivent comparaître devant le comité. Les Témoignages sont le compte rendu transcrit, révisé et corrigé de tout ce qui a été dit pendant la séance. Les Procès-verbaux sont le compte rendu officiel des séances.

Pour faire une recherche avancée, utilisez l’outil Rechercher dans les publications.

Si vous avez des questions ou commentaires concernant l'accessibilité à cette publication, veuillez communiquer avec nous à accessible@parl.gc.ca.

Publication du jour précédent Publication du jour prochain

37e LÉGISLATURE, 1re SESSION

Comité permanent du patrimoine canadien


TÉMOIGNAGES

TABLE DES MATIÈRES

Le mercredi 1er mai 2002




¿ 0905
V         The Chair (Mr. Clifford Lincoln (Lac-Saint-Louis, Lib.))
V         M. George Park (témoignage à titre personnel)

¿ 0910
V         
V         

¿ 0915
V         

¿ 0920
V         M. David Helwig (témoignage à titre personnel)
V         

¿ 0925
V         
V         M. Jim Abbott (Kootenay--Columbia, Alliance canadienne)
V         

¿ 0930
V         M. David Helwig
V         M. Jim Abbott

¿ 0935
V         M. David Helwig
V         

¿ 0940
V         
V         M. George Park
V         Le président
V         Mme Christiane Gagnon (Québec, BQ)

¿ 0945
V         M. David Helwig
V         Mme Christiane Gagnon
V         M. David Helwig
V         M. George Park
V         M. David Helwig
V         M. Jim Abbott
V         M. David Helwig
V         

¿ 0950
V         M. George Park
V         Le président
V         M. George Park
V         

¿ 0955
V         Le président
V         Mme Christiane Gagnon
V         
V         
V         

À 1000
V         M. George Park
V         Le président
V         M. David Helwig
V         

À 1005
V         M. John Harvard
V         M. David Helwig
V         Le président
V         
V         

À 1010
V         M. George Park
V         Le président
V         Mme Wendy Lill (Dartmouth, NPD)
V         M. George Park

À 1015
V         Mme Wendy Lill
V         M. George Park
V         Mme Wendy Lill
V         M. George Park
V         M. David Helwig

À 1020
V         Le président
V         M. Brian Pollard (témoignage à titre personnel)
V         Le président
V         
V         Le président
V         M. Brian Pollard

À 1025
V         

À 1030
V         

À 1035
V         Le président
V         M. Brian Pollard
V         
V         M. Brian Pollard

À 1040
V         Le président
V         M. Jim Abbott
V         
V         M. Jim Abbott
V         
V         

À 1045
V         M. Jim Abbott
V         
V         M. Jim Abbott
V         Mme Christiane Gagnon
V         
V         Mme Christiane Gagnon
V         

À 1050
V         Mme Christiane Gagnon
V         
V         
V         M. John Harvard
V         
V         M. John Harvard
V         
V         M. John Harvard
V         
V         M. John Harvard
V         
V         M. John Harvard

À 1055
V         
V         M. John Harvard
V         
V         M. John Harvard
V         
V         
V         Mme Wendy Lill
V         
V         Mme Wendy Lill

Á 1100
V         
V         Mme Wendy Lill
V         
V         
V         
V         
V         
V         

Á 1105
V         Le président
V         M. Jim Abbott
V         
V         M. Jim Abbott
V         
V         Mme Wendy Lill
V         










CANADA

Comité permanent du patrimoine canadien


NUMÉRO 058 
l
1re SESSION 
l
37e LÉGISLATURE 

TÉMOIGNAGES

Le mercredi 1er mai 2002

[Enregistrement électronique]

¿  +(0905)  

[Traduction]

+

    The Chair (Mr. Clifford Lincoln (Lac-Saint-Louis, Lib.)): Je déclare ouverte cette séance du Comité permanent du patrimoine canadien, Standing Committee on Canadian Heritagequi se réunit aujourd'hui pour poursuivre son étude de l'état du système de radiodiffusion canadien to continue its study on the state of the Canadian broadcasting system.

    Je voudrais signaler aux membres du comité qu'il y a un changement à notre programme ce matin. M. John Bragg, de EastLink Cable, qui devait venir d'Halifax, ne pourra pas être des nôtres. Nous allons commencer par M. Park et M. Helwig, après quoi nous passerons à Media Concepts. Voilà donc pour ce matin. Je vous ferai connaître les témoins que nous entendrons cet après-midi. Nous avons une longue séance cet après-midi, mais ce matin, seulement deux groupes peuvent être présents.

    Nous sommes très heureux d'accueillir M. George Park, qui est anthropologue, et M. David Helwig, auteur bien connu. Nous allons commencer par vous, monsieur Park. Vous avez la parole.

+-

    M. George Park (témoignage à titre personnel): Merci beaucoup.

    Mon exposé devrait durer une dizaine de minutes, et j'espère qu'il y aura ensuite des questions.

    La qualité et l'importance des nouvelles artistiques à Radio-Canada est le premier sujet que je veux aborder; l'autre est la singularité de Radio-Canada dans le monde.

    La qualité et l'importance sociale des informations artistiques à la Société Radio-Canada sont des éléments importants. La programmation radiophonique de la SRC dans le domaine des nouvelles artistiques est dans l'ensemble satisfaisante. Elle prend diverses formes qui se renforcent l'une l'autre. On ne s'intéresse généralement pas vraiment à ce que l'on ignore. Nous savons maintenant qui dirige tel ou tel orchestre, combien les musiciens sont peu payés, quels nouveaux ouvrages de fiction et de poésie viennent d'être publiés, quels sont les auteurs à suivre, quelles oeuvres locales et régionales touchent telle collectivité ou groupe d'intérêt spécial, quelles expositions s'offrent aux regards des habitants ou des visiteurs dans l'une de nos grandes villes, et bien d'autres choses encore.

    Même une personne qui vit dans le Canada de l'Atlantique a le sentiment que depuis une décennie, nous avons acquis une certaine importance dans la culture canadienne et que le Canada s'est affirmé de façon plus générale dans le monde des arts. Peut-être que l'on entend peu parler des poètes, mais la poésie est difficile à vendre. Il faudrait quelque chose d'aussi radical que l'émission musicale Two New Hours. En attendant, la couverture des arts à Radio-Canada établit une norme mondiale.

    De quoi la programmation radiophonique dans le domaine artistique aura-t-elle besoin à l'avenir? De la continuation, dans le même état d'esprit. Les émissions de discussion sont d'un très fort calibre. Si l'on compare la valeur des actualités artistiques et des émissions sportives, j'ose dire que ce ne sont pas ces dernières qui ont la valeur la plus durable.

¿  +-(0910)  

+-

     Quant à la télévision, la fermeture de la production télévisuelle régionale a effacé la reconnaissance que l'on donnait auparavant aux artistes canadiens débutants. Le coût de la musique classique, de la danse et des autres arts de la scène a apparemment tué dans l'oeuf ce qui aurait pu constituer la suite des excellentes émissions que nous avons pu suivre dans les années 70 et 80. Je me demande pourquoi l'on ne pourrait pas rediffuser les vieilles bandes, à un créneau horaire approprié, chaque semaine ou fin de semaine. À la radio, il est difficile de captiver un auditoire, même en diffusant un quatuor à cordes, et une émission de radio ne peut pas rivaliser avec un spectacle. Le maintien d'un créneau horaire aux heures de grande écoute à la télévision, comme on l'a fait à la radio, pour la musique chorale, l'opéra et la discographie classique, permettrait de maintenir en place un créneau qui serait ouvert à d'éventuelles nouvelles productions, lorsque l'on pourra se le permettre.

    Je vais maintenant aborder la question de la singularité de la Société Radio-Canada dans une perspective mondiale. Cette singularité tient au fait que la société est une voix nationale qui reflète une mosaïque sociale et culturelle. Notre cousin le plus proche se trouve peut-être en Norvège, mais la société norvégienne kringkasting a eu une histoire moins mouvementée, en l'absence d'ennemis et de mosaïque. Je vais m'attarder plutôt à des cas qui sont à la fois plus proches et plus difficiles. J'ai trois arguments.

+-

     Premièrement, à une époque où l'on est déterminé à noyer la programmation spéciale dans un flot d'émissions médiocres destinées aux amateurs de zapping et aux gardiennes d'enfants de la nation, tous les réseaux nationaux de radiodiffusion sont menacés par les forces du marché. Cette menace s'ajoute à celle qui émane des gouvernements, lesquels ont trouvé commode de découvrir qu'ils sont à cours d'argent.

    Nous vivons à une époque où les professeurs d'école doivent faire des pieds et des mains pour capter l'attention d'une foule d'élèves habitués à naviguer sans fin sur une mer d'émissions et de sites Internet, marqués pour la vie par un trouble déficitaire de l'attention. Même aujourd'hui, ramener la SRC à un niveau de financement normal et convenable ne permettrait pas, en soi, de rétablir la confiance du public, dont plusieurs gouvernements successifs ont permis l'érosion.

    J'ai passé ma vie au service d'une série de départements universitaires et mon expérience m'a appris que l'on ne peut pas se fier à des coups de chance dans le recrutement pour bâtir une communauté intellectuelle. Il faut, d'abord et avant tout, du temps et de la patience et des flambées de créativité et de magnétisme, ce que personne ne peut organiser à l'avance, pour produire une voix collective qui veut être entendue.

    Deuxièmement, la SRC a un avantage stratégique qui peut l'aider à survivre dans un marché sursaturé, avantage que les nouvelles technologies ont fait naître. Une comparaison entre la SRC et les réseaux PBS aux États-Unis et BBC au Royaume-Uni fera ressortir l'avantage de la SRC. Supposons que chacun de ces radiodiffuseurs publics aspire à faire entendre la voix de la raison par-dessus le vain babillage.

    Le radiodiffuseur public des États-Unis a acquis une importance historique à titre de voix distincte pendant la période de la guerre du Vietnam. C'était une voix qui faisait entendre des protestations incisives contre cette curieuse intervention militaire qui ressemblait à une guerre. À cette époque pleine de périls, une voix qui osait s'élever sans appuyer catégoriquement l'intervention avait une attirance magnétique. La politique était alors, comme elle l'est encore aujourd'hui, un domaine plein d'embuches pour les radiodiffuseurs américains. Pour éviter de se mettre à dos leur public, les réseaux d'actualité télévisée peuvent insister lourdement sur un sujet sans jamais prendre position. Le réseau PBS n'a jamais pris clairement position sur la grande question, nommément cette guerre déclarée sans provocation.

    Sur le plan culturel, le réseau n'avait aucune concurrence et a donc pu se tailler son propre public. Son émission d'actualités télévisées d'une heure a introduit une certaine analyse sociale dans les émissions de la soirée, mais la singularité de sa voix s'est perdue. La largeur de vue ne suffit pas. Le biais médiatique est de rigueur dans les réseaux. C'est plus payant. Cela s'entend dans la voix des communicateurs.

    Le réseau BBC a dû se redéfinir quand il a perdu son monopole, mais sa réaction positive aux défis des années 1990 est bien connue. Le radiodiffuseur public du Royaume-Uni a toujours été d'un niveau intellectuel élevé. Après la Deuxième Guerre mondiale, il avait graduellement regroupé ses émissions moins populaires dans un troisième volet spécial, mais avait toujours maintenu un effort d'éducation qui s'inscrivait en filigrane dans une formule de divertissement fort honnête et non dénuée d'une certaine profondeur.

    Les forces du marché ont fait leur apparition, d'abord sous forme de stations de radio et de télévision indépendantes. Celles-ci se débattaient contre l'imposition du contrôle des profits, au moyen de normes sur les profits inscrites dans les permis de radiodiffusion au Royaume-Uni. On sait que la BBC a réussi pour sa part à relever le défi et a toujours une cote très élevée. Dans le domaine télévisuel, les gens de la BBC ont aquis une grande expertise à titre de producteurs, réalisateurs et exportateurs de films. Dans le domaine de la politique sociale et culturelle, ils continuent à faire de l'enseignement, là où la SRC a sagement préféré faire de la découverte.

    Troisièmement, l'avantage de la SRC est qu'elle n'a jamais été à l'aise dans un rôle élitiste, mais n'a jamais non plus cherché à rejoindre le plus bas commun dénominateur. La radio a atteint la maturité dans une arène ouverte et compétitive et a maintenant une double voix, l'une ayant un certain registre et l'autre reflétant un autre aspect valable de la réalité. La décision d'opter pour un cadre d'information sur les arts, par opposition à une volonté d'enseignement, a été courageuse et solide. À la radio, le public qui a besoin d'entendre une voix canadienne peut en trouver une capable de stimuler l'esprit.

    Quant à la télévision, quelques îlots intéressants et une louable programmation dans le domaine des nouvelles et de l'information ont survécu à la débâcle. Il ne sera pas nécessaire de se mettre en quête d'une nouvelle identité quand le financement reviendra, il suffira d'un soutien public assorti de l'autonomie, et il faudra prévoir le temps qu'il faut pour reconstituer une nouvelle bande d'artistes et d'artisans pouvant redonner à la maison sa voix canadienne.

    Si l'on fermait ou privatisait l'un ou l'autre de ces volets radiophoniques et télévisuels, le potentiel de la SRC rétrécirait au point de devenir quantité négligeable. Dans l'esprit des négativistes qui méprisent tellement la SRC, ce rétrécissement s'est déjà produit. Comment expliquer autrement que le porte-parole de la Banque de Montréal aille dire qu'il vaudrait mieux que nous perdions notre propre devise? Avons-nous déjà perdu notre dignité?

¿  +-(0915)  

+-

    Le président: Monsieur Park, je vous remercie pour votre exposé qui donne matière à réflexion, surtout au sujet de la SRC. Nous apprécions aussi la comparaison que vous avez faite avec PBS et la BBC. Comme vous le savez, il est presque toujours question de Radio-Canada dans nos audiences, et nous sommes donc contents que vous ayez ajouté vos réflexions à notre débat et nous nous ferons un plaisir de vous interroger là-dessus un peu plus tard.

    Mais nous entendrons d'abord M. David Helwig.

¿  +-(0920)  

+-

    M. David Helwig (témoignage à titre personnel): Merci beaucoup. Mon exposé est peut-être apparenté à celui de M. Park et les deux se chevauchent sûrement sur certains plans, ou tout au moins abordent les mêmes préoccupations.

    Mesdames et messieurs, durant le cours de vos délibérations, vous entendrez bien des gens qui vous feront part de leurs connaissances détaillées et spécialisées de divers aspects de la politique de la radiodiffusion. Pour ma part, j'espère pouvoir apporter ma modeste contribution en abordant brièvement les valeurs politiques qui sous-tendent certaines orientations traditionnellement adoptées par le Canada dans ce domaine, et je vous exhorte à ne pas adopter trop hâtivement le changement ou un changement apparent. Ce que je vais vous dire ne sera probablement pas nouveau pour vous, mais je pense qu'il vaut la peine de vous le rappeler.

    Il y a quelques années, quand j'écrivais des essais pour The Globe and Mail, j'ai fait observer qu'il y a des modes dans la pensée et qu'il y en avait une qui me semblait dans l'air et dangereuse, à savoir la tendance à voir la politique comme un phénomène encombrant dont il faut se débarrasser pour laisser toute la place à l'économie, comme source de nos valeurs les plus authentiques. Il faudrait donc mesurer la vie à l'aune du produit intérieur brut. La liberté devient la liberté de magasiner.

    Je pensais alors et je pense encore aujourd'hui que c'est là une erreur. Ce devrait être l'inverse. Un certain niveau de prospérité est nécessaire pour que nous puissions concentrer nos efforts sur ce qui importe: l'humanité et la compassion.

    Ce que l'on appelle maintenant la mondialisation, c'est-à-dire la constitution de grands ensembles économiques dans lesquels le commerce est le plus libre possible, sans tenir compte des frontières nationales, est peut-être une version de la distorsion des valeurs qui faisaient l'objet de mon article publié dans The Globe and Mail. Les frontières nationales sont des créations politiques, incarnation de l'histoire, servant à définir et à circonscrire une série d'expériences partagées. Ces entités sont des corps étrangers dans les activités économiques des grandes institutions, et il est possible que les plus récentes technologies renforcent ce point de vue.

    Pourtant, quiconque observe les fluctuations de la bourse sait bien que les idées qui étaient à la mode il y a deux ans au sujet des nouvelles technologies sont maintenant quelque peu remises en question. Il n'y a aucun doute que nous serons changés par l'évolution technologique, mais ceux qui font des prédictions quant à ces changements ont autant de chance de se tromper que d'avoir raison. Et, face à l'imprévisible, l'un des gestes les plus importants que nous puissions poser est de définir ce que nous souhaitons conserver, et de lutter pour le conserver.

    La plupart d'entre nous connaissons et utilisons l'Internet, mais cela ne veut pas dire que nous devrions abandonner tout ce à quoi nous croyions.

    Vous pouvez dès maintenant discerner le cheminement de ma pensée et vous vous doutez probablement que je suis venu ici pour défendre, ne serait-ce que brièvement, l'existence de la radiodiffusion publique, et en particulier, dans cette région du Canada, le rôle historique de la Société Radio-Canada.

    Les radiodiffuseurs privés sont des gens d'affaires. Nous avons établi certaines règles à leur intention sur le contenu canadien, et certaines de ces règles ont eu un effet, mais inévitablement, pour faire des profits, les radiodiffuseurs privés doivent tenter d'attirer l'auditoire le plus nombreux possible en un moment donné. Leur entreprise est du domaine des communications de masse et ils doivent s'efforcer d'avoir des émissions faciles, actuelles et rapides. Cela peut être très excitant, mais il y a des valeurs qui sont cruciales pour la santé d'une nation et que l'on peut facilement laisser de côté: le recul, l'objectivité, la réflexion, une curiosité tous azimuth, les particularités de la vie régionale, la communauté d'intérêt des minorités.

    À certains égards, dans nos vies, nous sommes tous membres d'une minorité pour une bonne part du temps: ceux qui jouent au bowling, ceux qui chantent, ceux qui entretiennent la tradition de la spiritualité autochtone, ceux qui font de la tapisserie à l'aiguille, qui fabriquent des mouches pour la pêche, ou qui pratiquent la pêche avec remise à l'eau. Pour attirer la majorité, il faut mettre de côté ces aspects particuliers et parfois bizarres de leur vie. C'est la tâche et le devoir du radiodiffuseur public de nous comprendre et de nous refléter en tant que particuliers variés, compliqués, parfois bizarres.

    Le regretté Peter Gzowski avait ceci de génial qu'il semblait s'intéresser à tout et qu'il pouvait rendre à peu près n'importe quoi intéressant pour ses auditeurs. Mais ces valeurs (le recul, l'objectivité, la curiosité, des intérêts diversifiés) représentent bien davantage qu'une simple manière de suivre les bizarreries et les aléas des vies privées. La pluralité, la variété et la tolérance de la contradiction non résolue sont l'âme d'une démocratie saine. Les gens agglutinés en groupes nombreux ne sont qu'une foule, une masse, une horde.

+-

     Posez-vous la question: Qu'est-ce qu'une foule? Une foule est un groupe de gens qui, sous l'influence de quelques facteurs, sont au-delà de la complexité et de la contradiction. Ils pensent à l'unisson. Ils savent ce qu'ils veulent et ce qu'ils veulent est habituellement simple et vil.

    La variété, la pluralité, les contradictions qui doivent être acceptées, voilà la source d'une politique marquée au coin de la compassion. Au Canada, nous n'avons pas toujours réussi à atteindre cette compassion, mais nous avons essayé. Dans nos diverses institutions, y compris dans la radiodiffusion publique, nous avons créé un espace public permettant de faire cette tentative.

    À titre d'écrivain, j'ai beaucoup travaillé pour la SRC et je lui ai été reconnaissant de m'offrir un lieu où l'on peut essayer d'être à la fois entraînant, réfléchi et sérieux. Ce type de sérieux comprend bien sûr diverses formes de comédies. Ayant travaillé à la SRC il y a de nombreuses années, je suis très conscient du problème de l'équilibre qu'il est difficile de trouver quand on est confronté aux complexités technologiques et aux hypothèses idéologiques. Je regarde et j'écoute la SRC et en tant qu'auditeur, j'ai énormément apprécié les tentatives des autres d'être à la fois entraînants, réfléchis et sérieux.

    Bien sûr, aucun d'entre nous n'aime uniformément tout ce qu'il voit ou entend. J'ai eu à l'occasion des désaccords avec la direction de la SRC. J'ai exprimé mon désaccord avec ce qui semble être actuellement leurs hypothèses de base. Il me semblait parfois que dans leurs efforts pour être accessibles, ils otn opté pour se lancer aux côtés des radiodiffuseurs privés dans la poursuite frénétique de ce qui est au goût du jour. Mais ceux qui tiennent à la radiodiffusion publique sont sensibles à tout ce que fait la SRC, comme on est sensible aux actes de nos amis. Nous attendons beaucoup d'eux.

    Dans votre mandat, vous m'avez demandé de dire qu'est-ce qui constitue, de mon point de vue, le tissu culturel du Canada. Cela comprend plusieurs choses. Pour commencer, on aime un pays pour la même raison que l'on aime un enfant: c'est le nôtre. Par la suite, au cours des 50 dernières années, il y a eu une véritable floraison généralisée d'oeuvres intéressantes dans tous les domaines des arts et des lettres au Canada, de sorte que le tissu culturel n'est plus quelque peu hypothétique comme il a pu l'être déjà; il est maintenant devenu une riche tapisserie de réussites et de réalisations que nous ne voulons pas perdre.

    Enfin, et j'espère que c'est le seul élément que vous choisirez de retenir de ce bref exposé sans façon, le tissu culturel du Canada s'est déployé en grande partie dans l'espace public, dans des lieux où le recul, le désintéressement, l'objectivité, la curiosité, la valeur de l'individu et de la minorité sont écrits en filigrane dans le mandat. Vous êtes le Comité permanent du patrimoine canadien, et il n'y a peut-être aucun élément de notre patrimoine qui soit d'une plus grande importance. Je vous exhorte à continuer d'avoir présentes à l'esprit ces valeurs, et à les défendre, pendant que vous examinerez l'état du système de radiodiffusion.

¿  +-(0925)  

+-

    Le président: Monsieur Helwig, je pense qu'il valait amplement la peine de venir à l'Île-du-Prince-Édouard pour vous entendre. Votre prose est riche et élève le débat. Je pense que vous avez peut-être touché du doigt le noeud de ce qui nous préoccupe, ce qui va vraiment au coeur des valeurs que la radiodiffusion devrait exprimer. Je pense donc que vous nous avez lancé un défi par vos observations, et nous vous sommes vraiment reconnaissants pour votre présence.

    Nous allons maintenant passer aux questions.

    Monsieur Abbott.

+-

    M. Jim Abbott (Kootenay--Columbia, Alliance canadienne): Merci, et merci à MM. Park et Helwig. Je suis d'accord avec le président pour dire que c'est tout un défi que vous nous avez lancé.

    J'essaie de tirer au clair dans mon esprit les propos fort valables que vous avez tenus à la lumière de ce que vous attendez, ou peut-être plutôt de ce que nous au Canada devrions attendre de nos politiciens et de notre régime politique.

    M. Helwig, je voudrais attirer l'attention sur un passage de votre exposé qui m'a vraiment frappé, parce que cela m'a semblé être cun prolongement, ou peut-être n'était-ce pas un prolongement... Vous avez dit:

Mais ces valeurs (le recul, l'objectivité, la curiosité, des intérêts diversifiés) représentent bien davantage qu'une simple manière de suivre les bizarreries et les aléas des vies privées. La pluralité, la variété et la tolérance de la contradiction non résolue sont l'âme d'une démocratie saine.

+-

     Maintenant, jusque-là nous sommes d'accord, mais ensuite vous allez plus loin. Vous dites: «Les gens agglutinés en groupes nombreux ne sont qu'une foule». Vous ajoutez ensuite «une foule», et vous allez encore plus loin en disant «une horde». Vous dites: «Posez-vous la question: ‘Qu'est-ce qu'une foule?’». À partir d'un constat assez simple, vous faites donc un bond plutôt hardi. Vous dites ensuite:

Une foule est un groupe de gens qui, sous l'influence de quelques facteurs, sont au-delà de la complexité et de la contradiction. Ils pensent à l'unisson. Ils savent ce qu'ils veulent et ce qu'ils veulent est habituellement simple et vil.

    Loin de moi d'imaginer que vous laissez entendre que la population du Canada est vile ou quoi que ce soit quand elle s'exprime dans le cadre d'élections et attend des politiciens élus qu'ils tiennent leurs promesses électorales. Je voulais seulement vous donner l'occasion de m'aider à élucider vos propos.

¿  +-(0930)  

+-

    M. David Helwig: Eh bien, je pense que j'ai peut-être omis l'une des étapes du raisonnement et je vais donc revenir à la charge pour essayer de préciser mes propos.

    Oui, clairement, je suis passé de la proposition voulant que la population est un groupe de gens qui, à un moment donné, vont voter, à la proposition voulant qu'un groupe devienne une unité. Je pense que j'ai peut-êre omis de préciser, ce que j'ai fait par ailleurs par écrit quelque part, que tout groupe, toute politie, toute population, dans une certaine mesure, tend par essence à devenir ce qu'on en attend, ou bien réagit à la façon dont il est traité. Autrement dit, la population du Canada, ou de n'importe quel pays, par exemple la population de la Bosnie, est en principe le même genre de groupe complexe formé d'individus complexes. Mais en fait, la population de n'importe quel pays a le potentiel pour devenir, sous le stress des circonstances, et si elle est traitée d'une certaine manière, quelque chose d'autre, de moins complexe, dans sa façon de réagir.

    Je ne pense pas que, parce que nous vivons de l'autre côté de l'Atlantique, par rapport à la Bosnie, par exemple, nous soyons en principe absolument à l'abri des attitudes qui ont débouché sur une telle catastrophe là-bas. L'importance des mécanismes et des principes implicites de la démocratie est qu'elle permet à une population d'être complexe, d'être plurielle, d'être la source de gestes démocratiques et respectueux des lois. Il me semble que dans une politie ou dans une unité économique ou culturelle, toute tendance qui amoindrit la reconnaissance de la complexité entraîne graduellement vers un point à partir duquel les individus se fondent dans le groupe. C'est là peut-être l'étape que j'avais omis d'énoncer.

    J'ai dit que la radiodiffusion privée a tendance à être une forme de communication de masse. Les responsables ont tendance à s'attarder aux statistiques, pour voir combien de gens suivent une émission donnée. Eh bien, c'est inévitablement vrai dans une situation économique. Dans cette optique, on finit par traiter les êtres humains comme des unités qui ne sont pas compliquées, libres, bizarres et différentes les unes des autres. Par conséquent, si l'on prend comme point de départ que les êtres humains ont une importance statistique et non pas individuelle, on aboutit à les traiter comme de possibles parties d'une foule ou d'une horde.

+-

    M. Jim Abbott: J'aimerais comprendre où vous vous situez, vous-même et M. Park. Je vous remercie de votre réponse, mais voici où je veux en venir. Je vais énoncer un argument, disons comme exercice intellectuel, sans vouloir ouvrir un débat. L'hypothèse de départ est que le Canadien moyen n'appuie pas tellement la SRC dans sa forme actuelle. Si l'on accepte cette prémisse, encore une fois purement comme exercice intellectuel, je dirais que cette situation ressemble à ce qui se passe dans la circonscription que je représente, qui se trouve dans les montagnes Rocheuses. C'est une région rurale, l'un des plus beaux endroits du monde pour la chasse au gros gibier.

    Le projet de loi C-68, la soi-disant Loi sur le contrôle des armes à feu, est absolument la pire mesure que le gouvernement aurait pu prendre. L'argument que je présente à mes commettants, c'est que tant que les Canadiens n'auront pas généralement accepté que de dépenser 800 millions de dollars pour rien du tout... Tant que cette position n'est pas généralisée, nous serions bien fous de déclencher un référendum ou d'essayer de sonder la volonté de la population du Canada en vue d'en arriver peut-être à abroger cette loi.

    Aux fins de notre discussion, je vous invite à accepter la proposition voulant qu'il y ait un certain nombre de gens au Canada qui ne veulent pas que la SRC survive dans sa forme actuelle. Vous venez vous adresser aux politiciens, vous intervenez dans le processus politique, ce qui est votre droit. Nous vous invitons ici; nous voulons vous entendre. Vous venez donc nous rencontrer et je vous entends dire essentiellement que les pouvoirs politiques devraient imposer leurs vues à la majorité des Canadiens pour ce qui est de la SRC dans sa forme actuelle.

    Quelles sont vos attentes? Est-ce que les élus, que la population du Canada a choisi de bonne foi pour les représenter, devraient dire aux Canadiens, sur un ton élitiste: «Non, pas du tout, vous vous trompez, voici comment il faudrait faire»? Les politiciens devraient-ils donc imposer leurs vues, à l'encontre de la volonté et des souhaits de la population du Canada, dans ce dossier ou dans n'importe quel autre, en disant simplement qu'eux, les politiciens, savent ce qui est juste et bon?

¿  +-(0935)  

+-

    M. David Helwig: Vous avez soulevé tellement de questions de philosophie politique qu'il est difficile de vous donner une réponse rapide et pertinente.

    Premièrement, puisque vous êtes dans la vie publique, vous avez probablement appris à ne jamais répondre à des questions hypothétiques. Quant à moi, je ne me présente pas aux élections et je n'ai donc pas peur de commettre un impair.

    Par contre, vous m'offrez l'hypothèse que la population du Canada n'appuie pas la SRC et vous développez ensuite une argumentation sur cette base. J'ignore si c'est vrai et je ne crois pas que ce soit vrai, et je ne veux donc pas me laisser entraîner à défendre la SRC contre une hypothétique opposition majoritaire.

    Il y a toutefois un point pertinent dans tout cela: la question de savoir si quelque chose peut être important en dépit des soi-disant souhaits d'une majorité numérique. La réponse est oui. Nous avons une histoire. Nous avons un régime parlementaire, non pas pour nous permettre de vérifier de façon arithmétique la position de la population face à une question qu'on peut lui poser à un moment donné. Notre démocratie est fondée sur les mécanismes du gouvernement représentatif, non pas sur nos hypothèses quant aux convictions éventuelles de cette hypothétique majorité numérique. C'est pourquoi j'ai pris la peine de dire que nous sommes tous membres d'une minorité. La majorité, en un moment donné, n'est rien d'autre qu'un rassemblement de minorités.

+-

     Assurément, on peut se poser la question de savoir quelles minorités devraient avoir le plus de pouvoir. Nous avons tous des hypothèses différentes quant aux minorités qui ont actuellement les plus grands pouvoirs, mais les mesures arithmétiques ont leur importance au moment des élections. Si vous êtes élu à une seule voix de majorité, vous gagnez. Cela fait partie d'un ensemble de mécanismes, ce que les Américains, dans leur régime, appellent le système des freins et contrepoids.

    Nous ne recherchons donc pas une position qui pourrait être énoncée en fonction de tel ou tel groupe politique ou d'une majorité claire.

    Nous avons une histoire de la radiodiffusion publique. Cela existe chez nous depuis, combien, 70 ans maintenant? Si nous voulons apporter un changement à un élément central de notre politie depuis 70 ans, il me semble que nous devons examiner attentivement les raisons qui nous poussent à le faire. Je ne pense pas qu'un certain degré de mauvaise humeur probablement compréhensible de la part d'un certain nombre de gens qui ont été irrités par certaines décisions de la SRC soit une raison suffisante de le faire.

    Si nous étions en Ontario, nous discuterions peut-être aussi de TVO. J'ai fait remarquer qu'ici, le radiodiffuseur public que nous avons, c'est la SRC. Peut-être que ce serait bien si nous avions un réseau de télévision public de l'Île-du-Prince-Édouard, mais nous n'en aurons pas.

    Je trouve que je ne dois pas me laisser entraîner à vous répondre en prenant comme base le tableau que vous avez dépeint: voici l'élite politicienne et voici le vrai monde qui déteste la SRC. Je ne pense pas que ce soit une version exacte de l'histoire et de la conjoncture de notre pays, du moins pas d'après ma lecture.

¿  +-(0940)  

+-

    Le président: Monsieur Park, nous avons beaucoup de temps ce matin, et je vous invite donc à intervenir si le coeur vous en dit. Ne soyez pas timide.

+-

    M. George Park: Très bien. Pour faire suite à cette discussion, je voudrais revenir sur un certain nombre de points que j'ai soulevés.

    Le premier est que le facteur décisif, qui est l'alternative, se mesure en chiffres. L'alternative, ce n'est pas la SRC ou rien; nous avons le choix entre la SRC et un réseau de radiodiffusion entièrement privé. Pour eux, c'est quantitatif, c'est le nombre d'auditeurs qui compte. Si l'émission ne prend pas, on l'abandonne. Si l'émission doit être plus percutante, on s'arrange pour qu'elle le soit, et dieu sait qu'on en a plein d'exemples.

    La radiodiffusion publique s'élève au-dessus de ces considérations d'une manière très simple et presque mécanique, c'est-à-dire qu'elle semble inconsciente des chiffres. Elle semble pouvoir défendre devant la haute direction une émission que l'on juge intrinsèquement bonne, et je crois que David Helwig n'accepterait pas ce concept. L'émission est bonne de façon intrinsèque, il faut donc la conserver et lui trouver un auditoire.

    Dieu du ciel, si l'on n'a pas le temps de trouver un auditoire, si l'on doit constamment passer d'une formule à l'autre, en fonction de ce que la concurrence a à offrir, on ne peut pas suivre une politique. On ne peut pas être un agent des grandes politiques canadiennes si l'on est constamment ballotté par des dossiers chauds.

    Je pense que le phénomène O.J. Simpson est quasiment mondial. Monter en épingle un dossier parce que cela se vend, c'est rendre un mauvais service au monde. Au moins, s'il y a un radiodiffuseur public, on peut trouver un endroit sur le cadran où l'on ne trouve justement pas ce mauvais service rendu au monde. C'est mon principal argument.

+-

    Le président: Nous vous redonnerons la parole, monsieur Abbott.

    Madame Gagnon.

[Français]

+-

    Mme Christiane Gagnon (Québec, BQ): Merci, monsieur Helwig et monsieur Park.

    Ce matin, c'est un débat d'idées qui nous amène ici et, comme vous le voyez, chacun a ses perceptions. D'abord, je veux préciser que ce que vous nous dites ce matin a été dit différemment par différents groupes minoritaires qui veulent que Radio-Canada et CBC continuent leurs activités, mais en respectant certains critères quant à la qualité de la production et de l'information.

    On nous a dit que les réductions que Radio-Canada a subies ont beaucoup influencé la qualité de la programmation. Pensez-vous que ce sont les réductions qui en sont la cause ou qu'il s'agit plutôt d'une tendance de la société à faire des émissions destinées à un public plus large et à accorder moins d'importance aux émissions culturelles ou aux réalités de certaines minorités?

¿  +-(0945)  

+-

    M. David Helwig: Je vais parler en anglais, si vous me le permettez.

+-

    Mme Christiane Gagnon: Ce n'est pas un problème.

[Traduction]

+-

    M. David Helwig: La dernière fois que j'ai travaillé régulièrement pour la SRC, c'était quand j'habitais à Montréal, de 1993 à 1996, et je n'ai donc plus de contacts étroits avec la SRC. Pour répondre franchement à votre question, je ne le sais pas. Je soupçonne que les compressions budgétaires ont peut-être coïncidé avec une certaine nervosité.

    M. Park a dit que la SRC ne s'occupe pas des chiffres, mais il est certain que quand j'y travaillais, il y a 25 ans, on s'en occupait. Les responsables connaissent les chiffres sur le nombre d'auditeurs. Quand ils se font dire, notamment par M. Abbott et d'autres, qu'il y a une opposition généralisée à la SRC de la part d'une fraction hypothétique du grand public, ils deviennent inévitablement nerveux, ce qui les amène peut-être à infléchir leur programmation vers ce que j'ai appelé la recherche frénétique de l'optimisme, dans l'espoir d'aller chercher un auditoire plus étendu.

    Leur problème est réel. D'après la situation démographique, je crois comprendre que l'auditoire de la SRC vieillit. Des gens comme moi-même et M. Park écoutent la SRC, et les responsables ont soutenu qu'ils doivent rejoindre des gens plus jeunes. Ma belle-fille, qui a 22 ans, m'a fait remarquer l'autre jour que la plupart des jeunes n'écoutent pas l'émission This Morning parce qu'ils sont au travail. Ce sont les gens de 65 ans et plus qui l'écoutent, parce qu'ils sont à la maison.

    Les responsables de la SRC ont donc énormément de problèmes à jauger quel niveau de popularité ils devraient viser, quelle popularité ils pourraient obtenir, dans quelle mesure ils doivent être populistes, et dans quelle mesure ils doivent adopter une approche spécialisée. Je ne vais pas m'arroger le droit de leur dire exactement ce qu'ils devraient faire. Je pense qu'ils sont confrontés à des problèmes de grande ampleur.

    Je n'ai pas toujours été parfaitement satisfait de leur solution. C'est intéressant. La dernière émission pour laquelle j'ai travaillé régulièrement s'appelle maintenant, je crois, The Arts Tonight. Elle a eu différents titres. Peu de temps après avoir déménagé en Île-du-Prince-Édouard, alors que j'étais probablement trop éloigné pour en faire partie de toute façon, j'ai remarqué qu'on a déplacé l'émission de l'heure du souper à une heure tellement tardive en soirée que j'aurais évidemment été au lit. En fait, j'ai écrit à Alex Frame et à la SRC pour leur dire...

+-

    M. George Park: Le meilleur temps pour écouter la raido, c'est quand on est au lit.

+-

    M. David Helwig: Je n'ai aucune réponse à cela.

    Des voix: Oh, oh!

+-

    M. Jim Abbott: Je suppose qu'il jouit des avantages de son âge.

    Des voix: Oh, oh!

+-

    M. David Helwig: Ou pas, c'est selon.

    Je pense que ça a été une erreur de déplacer une importante émission artistique de la partie centrale de la journée à une heure où elle est devenue de plus en plus périphérique. J'ai écrit à la SRC et ma position là-dessus n'est donc pas un secret.

+-

     Je ne peux pas dire, en toute franchise, que je peux faire la distinction entre les pressions budgétaires et les hypothèses de la direction. Je pense que les deux se chevauchent probablement.

    Et vous devez aussi reconnaître que l'un des grands problèmes de la SRC est qu'elle est bien sûr deux réseaux, un réseau français et un réseau anglais, et que chacun d'eux comporte une série de postulats, une série de faits politiques à confronter, et une réputation.

    Dans le même esprit que M. Abbott, je vais faire la proposition suivante. C'est une hypothèse que j'ai entendue, à savoir que si notre premier ministre actuel n'aime pas la SRC, c'est à cause de ce qu'il a perçu dans le passé comme l'attitude indépendantiste de Radio-Canada. Je ne sais pas si c'est vrai, mais le simple fait que l'on puisse l'insinuer démontre à quel point la situation de la SRC est difficile, puisqu'elle doit affronter tous les problèmes de la radiodiffusion publique, et qu'en plus ceux-ci sont exacerbés par l'existence de deux langues et de deux cultures.

    Je reconnais donc l'existence des problèmes, même lorsqu'ils m'irritent, et il est certain que les compressions budgétaires ont eu beaucoup de conséquences.

    Je ne suis pas sûr de pouvoir être plus précis pour répondre à votre question.

¿  +-(0950)  

+-

    M. George Park: Pourrais-je intervenir?

+-

    Le président: Oui.

+-

    M. George Park: Il me semble que nous sommes confrontés à la possibilité qu'un parti pourrait arriver au pouvoir dans notre pays, au gouvernement fédéral, un parti qui représente une voix qui est très canadienne mais qui est aussi de l'extrême-droite, et je crois qu'un tel gouvernement serait plus ouvert que le gouvernement actuel ne l'a été pour ce qui est de tolérer l'indépendance et la soi-disant voix libérale de la SRC. Je crois que si la soi-disant extrême-droite arrivait au pouvoir, ces gens-là seraient conservateurs dans le sens qu'ils veulent conserver au Canada une entité indépendante et séparée du reste du monde politique, une vraie maison pour les Canadiens, et n'iraient pas grapiller davantage. Il me semble assez évident que les compressions budgétaires ont eu des conséquences catastrophiques sur la programmation de télévision, autant dans le domaine artistique que dans celui des nouvelles.

    Mais voyez ce qui s'est passé à la radio. L'émission Sunday Morning était manifestement mal reçue dans les milieux politiques, et Sunday Morning a donc disparu. Rien ne l'a remplacée, rien qui ressemble de près ou de loin à l'émission de radio Sunday Morning, qui était un élément extrêmement important de la voix de la SRC pour ce qui est de refléter toute la mosaïque, tout le spectre des différences démographiques, régionales, ethniques et linguistiques, ce qui est sa mission. C'est sa raison d'être. La société existe pour nous donner une voix dans le domaine des arts, et aussi de la politique, de la sociologie, une sociologie non chargée, une sociologie non didactique, et c'est ce que nous attendons de la SRC.

    J'ai fait l'expérience apparemment solitaire d'avoir été un universitaire toute ma vie. Je suis censé avoir été à l'abri dans ma tour d'ivoire. Je peux vous dire que ce n'était pas une tour d'ivoire, mais une tour de granit très solide.

+-

     J'ai vraiment beaucoup apprécié d'avoir la possibilité de parler librement dans la salle de classe. Et j'ai parlé librement. Je pense que j'ai toujours parlé avec toute la franchise dont je suis capable. Je pense que la SRC reflète cette même attitude dans le domaine de la radiodiffusion, dans le domaine de l'information qu'elle peut offrir au public, parfois sous une forme magnétique.

    Le public auquel on s'adresse... J'ai trouvé très intéressante la notion d'espace public énoncée par M. Helwig. Je pense que c'était très bien dit. Je veux faire la comparaison avec un concept analogue en anthropologie que l'on appelle «l'arène politique». Le mot «arène» décrit très bien la situation dans laquelle on se trouve dès qu'on se lance dans une discussion politique au Canada.

    Comment la SRC s'en tire-t-elle? Évidemment, elle permet à des gens très différents les uns des autres d'écrire, de mettre en ondes et d'animer différentes émissions. Nous espérons que cela pourra se poursuivre. Mais comment le faire quand on ne peut pas avoir des émissions diversifiées? On en est réduit essentiellement à une seule émission toujours répétée.

    Je pense que les nouvelles de la SRC à la télévision sont aussi bonnes que celles de n'importe quel autre réseau, mais elles n'en sont pas moins très mauvaises. En comparaison des nouvelles que nous avions dans nos émissions prolongées, qui étaient moin chères et plus faciles à financer à la radio, ce n'est absolument rien.

    Pourquoi doit-on toujours nous régurgiter les trois, parfois cinq mêmes nouvelles tout au long de la journée? Pourquoi ne peut-on avoir une émission d'actualité qui nous dit comment vont les choses dans le monde, au lieu de nous dire ce qui s'est passé hier?

¿  +-(0955)  

[Français]

+-

    Le président: Thank you.

    Madame Gagnon, avez-vous d'autres questions?

+-

    Mme Christiane Gagnon: Je vais céder mon temps à quelqu'un d'autre et je reprendrai mes questions au deuxième tour.

    Merci beaucoup, monsieur Park.

[Traduction]

+-

    Le président: Monsieur Harvard.

+-

    M. John Harvard (Charleswood St-James--Assiniboia, Lib.): Merci.

    Je vous remercie tous les deux pour vos observations. Je viens d'un endroit différent de M. Abbott sur le spectre politique.

    Avant de poser ma première question, je voulais vous dire, monsieur Park, qu'à mon avis, on ne peut faire autrement que d'être déçu des émissions de nouvelles à la télévision, parce que la télévision est l'otage des images et de la vidéo. Nous devons tout simplement prendre la télévision pour ce qu'elle est. C'est le défaut de la télévision. Elle a l'avantage de pouvoir nous présenter des images spectaculaires. Mais pour ce qui est de faire des analyses, d'approfondir un sujet et de donner un contexte, elle est très mauvaise. La radio fait du bien meilleur travail; les journaux, les magazines et les livres font encore mieux. Je pense que nous commettons tous une erreur si nous comptons uniquement sur la télévision pour nous informer. La télévision fait certaines choses très bien, mais beaucoup d'autres choses beaucoup moins bien.

    Je veux vous répondre à tous les deux, peut-être surtout à M. Helwig, parce que je suis un ardent partisan de la radiodiffusion publique et qu'à mes yeux, le radiodiffuseur public est vraiment un lieu de rencontre démocratique. Si c'est bien fait, je pense que c'est le lieu, la scène où se déploie toute notre vie nationale. C'est toujours un tourbillon d'idées, d'émotions, de sentiments et d'expressions. Je pense que ce lieu doit vraiment nous refléter tous, depuis l'hermite des Kootenays jusqu'au clochard qui arpente l'avenue Yonge au centre-ville de Toronto. Je pense que c'est cela, la radiodiffusion publique. D'une manière, nous ne sommes que des voyeurs et des auditeurs. Je pense que le projet de loi C-68 n'a absolument rien à voir avec la radiodiffusion publique.

    Une des raisons pour lesquelles la radiodiffusion publique essuie des rebuffades de temps à autre, c'est qu'il y a en nous quelque chose qui se rebiffe contre ce que nous n'aimons tout simplement pas entendre. Cela fait partie de notre vie nationale, et si nous n'aimons pas l'entendre, nous attaquons le messager. Mais dans une démocratie qui fonctionne bien, nous acceptons qu'il y a toujours quelque part des faits et gestes et des idées qui nous mettent mal à l'aise. Mais, savez-vous quoi? C'est ça, la vie. Nous devons l'accepter. Je suppose que cela s'appelle la tolérance. Je pense que c'est une tolérance très saine à cet égard.

+-

     Ma question porte plutôt sur les aspects pratiques. Si vous et moi nous mettons d'accord... Peut-être que le seul rôle que nous, politiciens, ayons à jouer, c'est de veiller à ce que ces voix créatrices puissent toujours se faire entendre, que les meilleurs cerveaux puissent toujours déployer leur magie. Il se trouve que c'est à mon avis notre tâche à nous, politiciens.

    Je ne veux pas m'ingérer dans les salles de nouvelles. Je ne veux pas entrer dans les loges des artistes et des artisans. C'est leur travail. Je veux seulement m'assurer, comme politicien, que je peux compter sur une institution, un organisme, un réseau de radio et un réseau de télévision où les artistes et les créateurs peuvent venir et déployer leur magie au nom du Canada.

    Voici ma question: comment nous, politiciens, devons-nous jouer ce rôle? Devons-nous nous contenter de fournir l'argent, d'établir l'infrastructure, pour leur donner ensuite toute liberté?

À  +-(1000)  

+-

    M. George Park: Je pourrais répondre brièvement à cela.

    La télévision est l'esclave des images: elle doit présenter un spectacle. Cela pourrait être l'une de ses grandes forces, et il n'est vraiment pas nécessaire que ce soit un boulet. Cela pourrait être l'une des grandes forces de la télévision parce que c'est seulement en agissant sur le long terme, en préparant des dossiers longtemps à l'avance que l'on peut obtenir des images signifiantes.

    Le réseau CNN fournit tout le spectacle que l'on peut vouloir, mais sans jamais aucun sens. La SRC essaierait plutôt de produire du travail intelligent, se situant plutôt au niveau des documentaires que des nouvelles, et elle ne peut pas le faire sans argent.

    La réponse, c'est que si le CRTC doit aller jusqu'à intervenir dans l'affectation des fonds destinés à la SRC, qu'il leur donne de l'argent pour ce genre de traitement documentaire de la vie canadienne.

+-

    Le président: Monsieur Helwig.

+-

    M. David Helwig: C'est une question difficile, et une très bonne question.

    Je pense que cela aide probablement de dire ce que vous avez dit dans des audiences comme celle-ci. Tout ce qui peut créer un sentiment que beaucoup d'entre nous avons en commun, à savoir le sentiment que la SRC doit viser à atteindre certains buts, certains objectifs, ne peut faire autrement que d'être utile. Je pense toutefois qu'il y a un élément concret. Inévitablement, dans n'importe quel dossier, vous savez sûrement, en tant que politicien, que les gens diront que si vous dépensez plus d'argent, ce sera mieux.

    À propos des budgets, je voudrais faire une déclaration de principe, à savoir que l'établissement d'un budget à long terme pour la SRC est très important. Je sais qu'ils l'ont demandé, mais je ne sais pas trop où en sont les choses. Je sais que l'on a fait des promesses; je ne suis pas certain que les promesses aient été vraiment tenues, mais je dis tout cela en guise de déclaration de principe.

    Quant à savoir exactement combien d'argent on donnera à la société, c'est peut-être une simple question d'ordre pratique; il y a tant d'argent et il faut le diviser entre tous les intéressés. Mais de dire: voici le montant d'argent que vous aurez sur cinq ans, et voici le montant sur dix ans, et de s'assurer que ce budget soit respecté, cela revient à une sorte de déclaration de principe. Cela revient à dire que les politiciens de notre pays croient au principe de la SRC et ont une idée de l'orientation qu'elle devrait suivre et des raisons pour lesquelles elle doit continuer de s'en tenir à sa mission. C'est la seule suggestion concrète que je puisse faire, autrement nous pouvons tout simplement continuer à réitérer ce que vous croyez et ce que je crois.

    Je suis venu ici aujourd'hui en me disant que je n'avais rien d'original à dire, mais qu'il valait quand même la peine de le dire et de le redire.

+-

     Il y a en particulier toute cette question de l'économie et de la politique, ces notions que la sagesse populaire a quelque peu altérées depuis 10 ou 20 ans. On dirait que nous avons fini par accepter tout cela parce que des gens nous l'ont répété encore et encore: il faut libéraliser le commerce, il faut mondialiser, nous devons faire ceci ou cela, le PIB doit augmenter. Tout cela a été répété à satiété et a pris l'apparence de la vérité simplement pour avoir été dit tellement souvent. Je pense que nous, dans l'autre camp, devons maintenant dire et redire encore et encore que la liberté, ce n'est pas la liberté de magasiner.

À  +-(1005)  

+-

    M. John Harvard: Je pense que la vie politique est toujours un tohu-bohu. Ces dernières années, nous sommes devenus une nation de petits comptables et de philistins et je pense que nous découvrons maintenant, tout au moins certains d'entre nous, que nous devons réagir, que nous devons revenir à quelque chose de beaucoup plus important.

    Je pense aussi que nous, politiciens, avons toujours peur que si nous laissons à ces institutions la liberté de faire de leur mieux, cela va toujours coûter beaucoup d'argent, et beaucoup de politiciens prennent peur, parce que quand il s'agit de radiodiffusion publique, il n'y a aucune doute que pour le faire bien, il faut beaucoup d'argent. Mais tout ce qui vaut la peine d'être fait est coûteux, et c'est toujours une question de savoir combien nous sommes prêts à investir dans notre propre vie nationale pour bâtir ce qui, je pense, est le meilleur pays du monde. Ce n'est pas une tâche facile, mais je pense qu'à certains égards, nous, politiciens, voyons la tâche comme étant encore plus difficile qu'elle ne l'est vraiment.

    Je suis simplement content que nous ayons beaucoup de gens créateurs sur lesquels nous pouvons compter pour faire le travail, pourvu que l'on comprenne bien que notre raison d'être, en tant que politiciens, c'est simplement de leur fournir certains outils et de les laisser ensuite s'exprimer. Je pense que c'est ce qui va arriver.

+-

    M. David Helwig: Je pense par ailleurs que dans tous les domaines culturels au Canada, nous devons sans cesse prendre conscience et répéter constamment les faits quant à la géographie et à la composition politique de notre pays; c'est-à-dire le fait que nous avons deux langues et deux cultures et le fait que nous sommes un pays immense à la population clairsemée, ce qui rend tout cela encore plus coûteux, comme vous le dites.

    M. John Harvard: Bien sûr.

    M. David Helwig: En un sens, appuyer le principe de la radiodiffusion publique, c'est beaucoup plus facile en Angleterre, où tout est beaucoup plus près. Au Canada, l'espace public coûte plus cher parce qu'il y a tellement d'espace à remplir.

+-

    Le président: Monsieur Cuzner.

+-

    M. Rodger Cuzner (Bras d'Or--Cap-Breton, Lib.): Je vous remercie tous les deux, messieurs, pour vos exposés d'aujourd'hui.

    Depuis le début des audiences, nous avons entendu un vaste éventail de présentations. Certaines sont très pointues et certaines sont très mesurées et bourrées de statistiques. Nous avons entendu aussi certains témoignages anecdotiques très forts. À Terre-Neuve, avant hier, Greg Malone nous a parlé de Vicki Gabereau. Nous avons parfois l'impression que ce sont les changements au niveau des personnalités connues qui influent le plus sur la qualité des émissions, mais la vérité est que quand Vicki Gabereau est partie, elle avait un personnel de 12 recherchistes, tandis que quand Bill Richardson est arrivé au même créneau horaire, il ne pouvait compter que sur deux recherchistes. Il est donc certain que cela a eu d'énormes conséquences sur l'orientation de son émission et la qualité de son travail.

    Monsieur Helwig, vous avez dit que vos vues ont probablement déjà été exprimées auparavant, mais je ne sais pas si nous avons déjà entendu votre point de vue ou votre philosophie de la SRC exprimé avec autant d'éloquence. Pendant que vous lisiez votre texte, je me disais: oui, c'est cela, c'est bien cela la SRC. J'étais en train de vous applaudir intérieurement.

    Je veux donc vous remercier pour votre exposé.

    Je veux faire une observation à l'intention de M. Park. Dans votre exposé, vous avez dit qu'`à la menace que représentaient pour la SRC les forces du marché s'ajoutait la menace des gouvernements qui avaient trouvé commode de découvrir qu'ils étaient à court d'argent.

    Soyons réalistes à ce sujet. Ce n'est pas qu'ils ont trouvé commode de se trouver à court d'argent. Le fait est qu'au milieu des années 90, le pays affichait un déficit de 48 milliards de dollars qui venait s'ajouter à une dette de plus de 500 milliards de dollars. Ce manque d'argent était bel et bien réel et c'est alors qu'il y a eu des compressions dans tous les champs de dépenses du gouvernement fédéral, que 45 000 fonctionnaires fédéraux ont perdu leur emploi. Tous les Canadiens ont ressenti les effets de cette période d'austérité. Ce n'était pas une question de commodité; c'était la réalité.

+-

     J'avoue que c'est la première fois que nous entendons un témoignage voulant que la SRC jouirait d'une plus grande viabilité ou sécurité en s'en remettant à un groupe qui penche davantage à droite qu'à gauche et qu'un gouvernement de droite serait plus soucieux et plus compréhensif quant à l'avenir de la société de radiodiffusion nationale. Je vais donc vous demander de nous donner davantage de précisions à cet égard.

À  +-(1010)  

+-

    M. George Park: Je laissais subtilement entendre que les conservateurs--c'est-à-dire les conservateurs avec un C minuscule--pourraient ou devraient s'intéresser à la survie de la culture. Étant donné qu'ils auraient tellement plus d'argent à dépenser pour de bonnes causes puisqu'ils n'en dépenseraient plus pour de mauvaises causes--du moins à leurs yeux--comme l'aide sociale--, ils seraient peut-être disposés à investir davantage dans les arts.

    Pour être franc, à notre époque, pour quelqu'un comme moi qui reste à la maison, la politique est plutôt ennuyeuse. Je suis désolé d'exprimer un tel point de vue devant vous qui, je le sais, trouvez cela fascinant, mais pour ma part, je trouve cela plutôt ennuyeux. J'estime que les arts sont beaucoup plus intéressants. Et cela ne me dérangerait guère que la SRC présente moins de nouvelles de la capitale. Dieu sait que nous avons perdu tout respect pour le Parlement à la suite de la retransmission régulière de vos chamailleries quotidiennes, mais nous avions déjà perdu tout respect pour les Parlements de tous poils. C'est la même chose partout.

    Là n'est pas le problème. Le problème, c'est l'orientation. En matière d'orientation, l'influence de la SRC est beaucoup plus profonde que celle que peut avoir le CNN ou son équivalent au Canada. Son orientation est de loin meilleure car elle a des racines profondes, des racines qui plongent au coeur même du tissu social de notre société. Si la Société Radio-Canada a la possibilité de nous sensibiliser davantage à notre essence sociale, nous ne serons pas pris en otage par des fanatiques d'une seule cause qui pervertiraient la volonté collective au nom d'une liberté tronquée.

+-

    Le président: Madame Lill.

+-

    Mme Wendy Lill (Dartmouth, NPD): Merci beaucoup d'être venu aujourd'hui et d'avoir pris le temps de nous communiquer vos préoccupations.

    J'aimerais vous poser une ou deux questions très concrètes. Je m'intéresse à votre expérience du milieu de la radiodiffusion au Canada. Qu'est-ce que cela signifie pour vous? Vous vivez sur une île. Dans quelle mesure êtes-vous bien servi par le volet public et par le volet privé de la radiodiffusion? Quelle est votre expérience de la concentration des médias? On entend beaucoup parler de cela. J'ignore qui est propriétaire des journaux locaux, pour être franche; je ne sais pas combien il y en a ici. Diriez-vous que vous êtes bien servi par le milieu de la radiodiffusion? Vous pouvez réfléchir et me répondre.

    J'aimerais savoir quel genre d'émissions locales vous avez ici, si la SRC a encore quelque émission locale d'envergure qui reste. Vous avez parlé des émissions sur les arts. David, vous avez mentionné qu'à l'heure actuelle, ces émissions sont reléguées en fin de journée, tard le soir. À Terre-Neuve, les témoins nous ont dit que les émissions locales sur les arts étaient présentées de six à neuf le matin. Selon eux, c'est tout simplement affreux car tous les artistes vont se coucher à six heures. Ils ne peuvent tout simplement pas comprendre pourquoi on est aussi insensible à leur vécu. Il semble donc que même lorsque des émissions locales existent, il y a un manque de sensibilité; on ne semble pas sensible à la réalité locale.

    Voilà qui m'amène à une autre question, soit que le terme «local» ne figure pas dans la Loi sur la radiodiffusion en ce qui concerne le mandat de la SRC. Cette dernière n'a pas de responsabilité locale, mais seulement régionale, et bien des gens estiment qu'elle n'est pas à la hauteur dans ce domaine. Je voudrais donc que vous me disiez si, à votre avis, le terme «local» et le concept d'une vision locale devraient être inscrits dans la Loi sur la radiodiffusion et si l'on devrait réserver du financement et des ressources pour donner corps à un concept de programmation locale, tant chez le radiodiffuseur public que privé.

+-

    M. George Park: J'ai essayé d'aborder le sujet très brièvement, mais pour ce qui est de vos questions, personnellement, l'horaire des émissions me laisse froid car je suis également écrivain. Je passe une grande partie de ma journée à écrire et cela ne me dérange guère de passer une partie de mon temps à écouter également.

    Franchement, pour ce qui est des médias, plus précisement de la presse écrite sur l'île, je compte sur le New York Review of Books et sur le TLS et l'International Guardian. Je ne lis pas l'édition locale du Guardian. Je ne juge pas utile d'avoir ce genre de nouvelles au sujet de ma localité. J'ai vécu trop longtemps ailleurs dans le monde et je m'intéresse toujours à la scène internationale. Autrement dit, je ne suis pas fasciné par les nouvelles locales. Toutefois, les actualités du matin, que j'écoute au réveil, me permettent de garder contact avec la société locale et j'apprécie ce que fait la SRC à ce niveau.

    J'aime bien écouter de la bonne radio, écouter de bons petits documentaires et bien qu'il m'arrive fréquemment de fermer la radio parce que j'en ai assez de... Personne n'est parfait et parfois le choix musical est incroyablement mauvais, mais ce n'est que mon opinion et de toute évidence, c'est un choix qui n'est pas mauvais du point de vue du reste de l'auditoire.

    Par conséquent, je dirais que la radio locale est bien. Pour ce qui est de la télévision locale, ce serait un gâchis. On n'aurait jamais suffisamment d'argent pour...

    Mais la télévision régionale, voilà qui a beaucoup de bon sens et qui a un rayonnement local. En effet, nous avons tous ce sentiment d'appartenance à la région Atlantique du Canada, plus particulièrement les Maritimes et tout ce qui se passe ici suscite de l'intérêt.

    J'ai vécu 25 ans à Terre-Neuve, de sorte que ce qui s'y passe présente un intérêt local pour moi. Cela a une facette locale; c'est ce que je veux dire. On rapporte l'actualité issue du monde où je vis concrètement. Je suis donc un grand amateur de radio. Je ne vois pas comment la télévision locale pourrait être d'un apport intéressant ici. En fait, il serait préférable d'avoir une télévision régionale.

À  +-(1015)  

+-

    Mme Wendy Lill: Par «régional», vous entendez les Maritimes?

    Je peux vous dire que dans les années 70 et 80, il y avait à Terre-Neuve dix émissions locales diffusées à partir de St. John's. Peut-être étiez-vous là à l'époque. On était vraiment capable d'obtenir du succès avec une programmation locale, et je pense qu'à Sydney, en Nouvelle-Écosse, on serait du même avis.

    Je sais que la Nouvelle-Écosse serait...

+-

    M. George Park: [Note de la rédaction: Inaudible] ...pensent que Terre-Neuve est une petite province, mais ce n'est pas mon avis.

+-

    Mme Wendy Lill: Tout ce que je dis, c'est qu'à de nombreux endroits, on aimerait bénéficier d'une programmation locale. Or, vous dites qu'à votre avis, l'Île-du-Prince-Édouard, en tant que province, et Charlottetown, n'ont pas besoin de programmation locale.

+-

    M. George Park: Je ne fais tout simplement pas la même distinction que vous. Je ne trace pas cette ligne. À mes yeux, nous sommes en présence d'une voix qui est d'ici et non d'ailleurs. En ce qui me concerne, cette voix d'ailleurs rapporte souvent des événements qui se produisent à Toronto, à Ottawa ou à Vancouver. J'aime être informé de cela; je veux être informé. Mais ce n'est pas quelque chose qui me touche de près.

    Mon vécu est façonné par ce qui se passe ici, et ce qui se passe à l'Île-du-Prince-Édouard, c'est plus ou moins ce qui se passe dans les Maritimes. C'est donc ici par rapport à ailleurs.

+-

    M. David Helwig: J'aimerais apporter une petite précision. L'émission sur les arts dont je parlais et qui a été reléguée tard en soirée était une émission nationale et non locale.

    Je ne suis pas originaire de l'île et par conséquent, j'hésite à parler au nom de l'île puisque je n'y habite que depuis six ans. Comme vous le savez, il faut passer sa vie entière ici pour être un véritable insulaire.

    J'ai l'impression qu'en fait, la SRC fait un travail acceptable pour ce qui est de couvrir l'actualité locale. Sur Radio One, on présente le matin une émission locale et une autre en fin d'après-midi. Je synthonise actuellement Radio Two, je ne les écoute qu'occasionnellement.

    J'aimerais parler brièvement du budget. Si vous entendez un témoin de la SRC, on pourra vous le confirmer, mais je suis au courant de cela car je connais la personne en question. À plus d'une occasion, le producteur délégué de la station de radio a dû se lever à 4 ou 5h le matin pour faire office d'annonceur matinal car il n'avait pas de budget pour embaucher un autre annonceur. Lorsque les gens disent que la SRC gaspille de l'argent pour tel ou tel poste de gestion, vous pourrez leur rétorquer que ce gestionnaire en particulier se lève aussi à l'aube pour faire office d'annonceur. Il est évident qu'on a ressenti durement les compressions budgétaires.

    Lorsqu'il est question de l'Île-du-Prince-Édouard, le problème tient au fait que la population est très restreinte. C'est une province, c'est une entité, une unité également, mais le fait est que la distinction entre ce qui est d'ordre local, provincial et régional est quelque peu floue. À l'Île-du-Prince-Édouard, il va de soi qu'il faut qu'il y ait ce qui peut sembler être une vision locale, mais cette dernière se confond avec la vision provinciale. Par conséquent, l'analogie entre la localité où nous sommes et la localité de Brandon, par exemple, n'est peut-être pas légitime. Pour cette raison, je ne pense pas que le fait d'enchasser cette vision locale dans la loi ferait tellement de différence.

    Quoi qu'il en soit, je pense m'être bien fait comprendre. En ce qui me concerne, compte tenu des restrictions budgétaires, je pense qu'on s'efforce sérieusement de couvrir l'actualité locale. La couverture d'une demi-heure chaque soir proposée par la SRC m'offre beaucoup d'information locale. Cela me donne une certaine idée de ce qui se passe. J'aime bien la politique, sans pourtant en être accroc.

    À mon avis, la couverture locale est aussi régionale. Comme vous le savez sans doute, on a menacé l'an dernier de supprimer les émissions de télévision locale, ce qui a suscité un tollé de protestations. En réaction, on présente maintenant une tribune interactive que j'aime bien, personnellement. D'autres ne seront peut-être pas de cet avis.

À  +-(1020)  

+-

    Le président: Y a-t-il d'autres questions?

+-

    M. Brian Pollard (témoignage à titre personnel): Je sais que je n'ai pas encore pris la parole, mais j'aimerais répondre à votre question au sujet du volet local. Puis-je le faire?

+-

    Le président: Pourquoi ne pas aborder le sujet au cours de votre exposé?

+-

    M. Brian Pollard: Pouvez-vous me le rappeler? Je risque d'oublier.

    Le président: Nous vous le rappellerons.

    M. Brian Pollard: Merci.

+-

    Le président: S'il n'y a pas d'autres questions, je vais remercier M. Park et M. Helwig pour cette session matinale qui a été fort intéressante et animée. Je suis convaincu que vous avez amorcé chez nous une sérieuse réflexion sur les valeurs par rapport aux chiffres et à la croissance économique. Cela nous a été extrêmement utile.

    Ce qui est formidable, c'est que M. Park a été extrêmement direct. Son exposé a été des plus rafraîchissant. Nous comprenons votre point de vue au sujet de la politique, et je pense qu'il est partagé par bien des gens. C'est un autre défi pour ceux d'entre nous qui oeuvrons dans l'arène politique.

    Monsieur Helwig, vous avez dit que votre apport ici aujourd'hui consistait à répéter un message que vous avez réitéré à maintes et maintes reprises. Je ferai écho aux propos de M. Cuzner en vous disant que vous l'exprimez de façon des plus éloquente, dans une prose magnifique et enlevante qui est particulièrement porteuse pour nous. Nous sommes très reconnaissants de votre présence.

    Je vous remercie d'avoir accepté de comparaître. Nous allons certainement prendre très au sérieux vos interventions.

    Nous allons maintenant donner la parole à M. Pollard. Monsieur Pollard, si je comprends bien, vous êtes producteur de film indépendant ici.

+-

    M. Brian Pollard: Oui. Et je m'excuse de ne pas avoir de mémoire écrit.

    Le président: Cela ne fait rien.

    M. Brian Pollard: D'accord. Je peux commencer?

    Le président: Oui, allez-y.

    M. Brian Pollard: D'accord.

    Je fais des documentaires depuis très très longtemps. Je sais que la notion de passion est galvaudée, mais je pense qu'on peut dire que je suis passionné de documentaires depuis très longtemps, au point que parfois, cette passion a pris le pas sur la nécessité de payer le loyer et l'épicerie.

    Le président: Vous travaillez sur l'île?

    M. Brian Pollard: Toujours. Je fais du local.

    J'aimerais revenir un peu en arrière. J'ai commencé dans le domaine en 1973. J'ai eu beaucoup de chance car à l'époque, je me suis trouvé au bon endroit au bon moment alors que l'Office national du film démarrait une unité de production régionale à Halifax. Je présentais mes reportages locaux à une entité de production régionale à Halifax et par la suite, au début des années 70, j'ai travaillé à l'Office national du film à Montréal avec des tas de gens extraordinaires. Lorsque je dis «extraordinaires», cet adjectif ne s'applique pas uniquement aux producteurs et aux metteurs en scène, mais également à tous les merveilleux techniciens qui étaient là pour faire en sorte que votre travail soit le meilleur possible: les mixeurs, les preneurs de son, les caméramen.

    L'atmosphère y était formidable: la production de documentaires et de films revêtait une importance cruciale. Venant de l'extérieur, j'ai été surpris en arrivant à un endroit comme celui-là de rencontrer toutes ces personnes dont le seul souci était de filmer votre produit pour qu'il soit le meilleur possible.

    Depuis lors, je suis habité non seulement par cette passion de raconter des histoires, mais ausis par la qualité de cet artisanat qui est le mien. Et c'est là quelque chose que j'ai découvert un peu par hasard au fil des ans, en faisant énormément de documentaires. J'ai constaté que ma motivation, sans doute de façon subconsciente, découlait d'un... Il y a un fil directeur. C'est peut-être la même chose dans toutes les sociétés, mais dans notre pays, il ne fait aucun doute qu'il existe un fil de génie méconnu. Et on trouve ce génie dans les endroits les plus étonnants. Dès qu'on est en présence de ce génie, on le reconnaît et il devient impérieux de raconter l'histoire de cette personne. En un sens, c'est un peu l'histoire de ma vie.

    Pour ce qui est de la radiodiffusion, je ne pense pas qu'on reconnaisse cette qualité de la vie et de la culture canadiennes que je vois. Je suis frappé par la grande superficialité qui existe. Je constate également une indifférence quasi totale à l'égard de l'artisanat et de la qualité des productions que l'on met en chantier.

    On aura peut-être l'impression que je me plains, mais ce n'est pas le cas. Je suis mû par une volonté irrépressible. Peu importe les obstacles que l'on met en travers de ma route, je les surmonte et je fais un autre documentaire. À l'heure actuelle, par exemple—et je pense que cela n'est pas sans rapport avec ce qui se fait en radiodiffusion—, je fais des documentaires à temps plein le jour et je suis chauffeur de taxi le soir. J'ai 55 ans. J'ai plus d'énergie maintenant que lorsque j'étais dans la vingtaine car mon travail s'améliore, si vous voyez ce que je veux dire.

    Le président: Pas votre travail de chauffeur de taxi, l'autre.

    M. Brian Pollard: Oh, mon travail de chauffeur de taxi s'améliore aussi. En fait, j'ai conduit M. Helwig dans mon taxi, il n'y a pas très longtemps.

    Je fais un documentaire, une mini-série en trois parties sur l'histoire des Micmacs. Je me suis plongé dans une culture fantastique. Je raconte l'histoire de certaines personnes, mais c'est la croix et la bannière pour qu'un radiodiffuseur s'intéresse au projet. C'est tout un défi! Mais si je regarde en arrière, je suis très heureux des choix que j'ai faits. J'ai pris bien des chemins détournés, et je crois que cela m'a enrichi personnellement.

À  +-(1025)  

+-

     Mon expérience, l'expérience des gens dont j'ai raconté l'histoire et l'existence d'un certain génie d'un bout à l'autre du pays, tout cela devrait être raconté. C'est la société d'État qui devrait raconter cette histoire, mais elle ne le fait pas.

    M. Abbott serait sans doute d'accord avec bien des choses que j'ai dites, même si je pense que nous sommes aux deux extrêmes du spectre politique. Pour ma part, j'aurais tendance à dire qu'il faudrait cesser le financement public de la radiodiffusion--même si la seule façon que j'ai d'obtenir de l'argent est de m'adresser au gouvernement; en un sens, c'est une hypothèse--pour laisser le talent émerger.

    À l'heure actuelle, j'estime que l'on gaspille énormément d'argent sur des tas de choses superficielles, même dans le secteur public de la radiodiffusion, particulièrement à la télévision et moins à la radio. Le volet radio de la SRC est formidable. Tout le monde en convient. L'émission Ideas est extraordinaire. Dans mon taxi, évidemment, je reçois une éducation musicale incomparable grâce à radio One et Radio Two.

    Ces âmes merveilleuses qui existent... En écoutant M. Abbott interroger les témoins, je réfléchissais à la question de savoir pourquoi il est important de raconter ces histoires. Sur le plan culturel, je pense que le fossé qui me sépare de M. Abbott est plus profond que celui qui sépare le Canada anglais du Canada français. Je pense que si nous pouvions nous asseoir ensemble et discuter directement de nos idées, peut-être que ce fossé—et je l'ai constaté lorsque j'ai rencontré des gens de l'ouest du Canada et non seulement de la Colombie-Britannique—ce fossé ne serait peut-être pas aussi profond qu'il l'est aujourd'hui.

    J'ai été impressionné par ce qu'a dit M. Helwig de la vie dans une société de minorités. Permettez-moi de faire une analogie non canadienne. Je me souviens d'être allé à New York lorsque j'étais adolescent et d'avoir été complètement époustouflé par les lumières, les couleurs et l'urbanité de cette ville. J'y suis retourné plus tard à l'âge mûr pour y travailler comme cinéaste, pour faire des films dans cet endroit qui est un haut-lieu de la production cinématogrpahique. J'ai compris à ce moment-là que la ville de New York était tout à fait provinciale. Vivre à New York, c'est essentiellement comme vivre dans mon quartier à l'Île-du-Prince-Édouard. Même la ville de New York est une ville de quartiers et de petites communautés.

    En fait, plus on voyage dans le monde—et je pense que quiconque a voyagé s'en rend compte—plus on constate que partout sur le globe, les gens sont essentiellement les mêmes.

    Pour en revenir aux émissions locales, la Société Radio-Canada avait effectivement une programmation locale. Ce qu'on appelle programmation locale maintenant... Je n'ai pas vraiment le temps de regarder beaucoup la télévision, mais la structure antérieure permettait une programmation locale qui était unique dans le pays.

    C'était une programmation locale qui avait... Je suis sûr que l'on réclamait davantage d'argent, mais chose certaine, l'équipe de production avait un budget qui lui permettait de s'intéresser de près à la culture, à la politique, à l'économie—à tous les volets de la vie culturelle—d'une collectivité de 100 000 personnes. Ces 100 000 personnes vivaient pour cette émission. Elles recueillaient des cotes d'écoute incroyables. Les politiciens ne pouvaient cacher quoi que ce soit. Maintenant, bien sûr, l'émission ne dure qu'une demi-heure et le budget est inexistant. Ce n'est pas la même chose.

    Je pense que l'aspect «local» est un phénomène très intéressant. Plus je vieillis, plus je pense que l'individuel et le local sont les aspects qui comptent le plus.

    À mon avis, plusieurs problèmes essentiels affligent la radiodiffusion et la production. À mon sens, le pire n'est pas la politique, mais bien les bureaucrates. Il y a trop de gens en situation d'autorité qui ne comprennent pas les subtilités liées à un travail excellent.

    À la suite des compressions budgétaires, ce qui s'est passé c'est qu'on a laissé aller les personnes les plus créatrices. Les effectifs qui restent derrière sont davantage composés d'administrateurs qui ne comprennent pas vraiment l'importance du contenu et de la qualité.

    Pour ce qui est de la télévision—et je répète encore une fois que je n'en écoute pas beaucoup—, je pense que Newsworld brille comparativement à CNN.

À  +-(1030)  

+-

     Pour ce qui est de la télévision que les gens regardent quotidiennement, je pense qu'il y a un gaspillage éhonté de ressources à la Société Radio-Canada. Je ne pense pas que ce soit une question de financement. C'est plutôt une question de priorité, d'incompréhension de la qualité et du contenu et de manque de respect des collectivités locales. J'ai même dit au vice-président de la Société Radio-Canada lorsqu'il est venu ici, pour une rencontre préliminaire, que la SRC ne rapportait pas les histoires que je vois. Je vois des histoires remarquables.

    Je ferai une analogie avec la peinture et vous me direz si je prends trop de temps ou si je digresse. J'ai un ami qui est un très bon artiste et dont j'ai fait la biographie. Pour ma part, j'estime que c'est un sujet pertinent dans le contexte de la réflexion sur le Canada et chose certaine, de la radiodiffusion, même si le thème en est la peinture. Nous discutions du fait qu'une peinture récente du Groupe des Sept s'était vendue deux millions de dollars aux enchères. J'oublie le nom de l'artiste. C'était une peinture représentant des montagnes. Devant un café, nous discutions de cela et je lui ai fait remarquer que la peinture n'était qu'un art graphique. Il en a convenu, mais il a ajouté que personne ne s'intéresse au Groupe des Sept à l'extérieur du Canada.

    Nous sommes empêtrés dans cette aura de médiocrité pour ce qui est de nos artistes. Nous ne sommes pas en mesure de reconnaître les choses vraiment extraordinaires qui se font ici. S'il y a des artistes ordinaires, il y en a aussi qui sont extraordinaires. Je connais certains artistes extraordinaires--et en ce qui concerne le monde des arts, Wendy Lill sera sans doute d'accord avec moi--, qui ne reçoivent pas la reconnaissance qu'ils méritent. Pourtant, nous dépensons deux millions de dollars pour faire l'acquisition d'une peinture d'un artiste du Groupe des Sept qui avait peut-être une certaine pertinence il y a longtemps, mais qui résiste mal à l'épreuve du temps et ne correspond pas à l'appréciation critique de ce qu'est un art de qualité.

À  +-(1035)  

+-

    Le président: Peut-être auriez-vous des recommandations à faire à notre comité? Par exemple, vous avez fait allusion aux bureaucrates qui dirigent tout. J'imagine que cela reflète votre expérience, quand vous avez demandé des fonds à Téléfilm, etc. Auriez-vous des recommandations précises à nous faire, en rapport avec votre travail, en vous fondant sur votre point de vue de producteur de films professionnel indépendant?

+-

    M. Brian Pollard: Oui. Mes recommandations pourront vous paraître nébuleuses. Vous n'obtiendrez jamais 100 p. 100. Les bureaucrates seront toujours là et ils prendront toujours des décisions que vous n'aimerez pas beaucoup. Mais je pense qu'au Canada, aujourd'hui, il y a une telle prépondérance de cet aspect-là que c'est tout simplement écrasant.

    Chose étrange, ce sont des bureaucrates qui ont de l'influence—et qui aiment mon travail—qui ont réussi à tirer les ficelles voulues pour me permettre de lancer des projets que je n'aurais pas pu faire autrement. Peter Katadotis, de Téléfilm, m'a par exemple été extrêmement utile.

    Je ne peux probablement pas répondre à votre question immédiatement, mais il faut qu'il y ait un mécanisme quelconque pour permettre aux gens comme moi, qui sont sur le terrain, en train de faire le travail...

    Je vais donner un autre exemple. Quand j'ai commencé à travailler, les chefs de production avaient fait leurs débuts comme cinéastes. Aujourd'hui, ce sont d'anciens fonctionnaires; ils ne font pas leurs débuts comme cinéastes ou créateurs. Je pense qu'il faut faire une plus grande place dans l'industrie aux créateurs, qui doivent occuper des postes de décision. Les créateurs doivent avoir davantage leur mot à dire sur les productions, sur les projets qui reçoivent le feu vert et ceux qui restent dans les cartons. Non pas que l'on ne puisse avoir des spécialistes de l'administration, mais je pense que le créateur joue un rôle essentiel dans tout le processus de décision, depuis la base jusqu'au sommet.

+-

    Le président: Pourquoi ne pas passer directement aux questions. Ensuite, vous pourrez peut-être définir plus précisément vos recommandations.

    Nous avons entendu dire qu'il est très difficile pour les petits groupes, les indépendants et les particuliers, de s'inscrire à tous ces programmes gouvernementaux, parce que les formules de demande sont tellement lourdes et compliquées. Il faut demander l'aide des avocats.

+-

    M. Brian Pollard: Avant de lancer ce projet sur l'histoire des Micmacs, je me suis dit que je ne me plierais plus en quatre.

    Quand j'ai fait mes premiers films pour l'Office national du film, on pouvait présenter une proposition en cinq pages. Aujourd'hui, il faut remplir des paperasses à n'en plus finir. Je n'ai même pas le temps d'être ici en ce moment. Tous les jours, alors que je suis en train de faire du montage ou de me démener pour concrétiser le projet, je reçois des coups de téléphone de gens qui me disent: envoie-moi par télécopieur tel ou tel document pour recevoir une autre somme de 2 000 $. Je le fais parce que je crois tellement au projet qui m'occupe en ce moment. Mais dès que j'aurai fini celui-ci, je retourne à mon taxi.

À  +-(1040)  

+-

    Le président: C'est une bonne manière de commencer la période des questions.

+-

    M. Jim Abbott: Monsieur Pollard, je pense que vous et moi avons probablement plus en commun que nous le croyons tous les deux. Je suis entièrement d'accord avec vous pour dire qu'il y a non seulement beaucoup de génies méconnus, mais aussi beaucoup de choses excellentes qui se passent ici même au Canada. Nous, Canadiens, avons tellement tendance à nous dénigrer, nous-mêmes et la place que nous occupons dans le monde, ainsi que nos relations que nous avons entre nous, qu'il arrive fréquemment que notre sentiment d'infériorité nous nuit. Je pense que vous et moi sommes entièrement d'accord là-dessus.

    En vous posant cette question, je suis en quête de suggestions qui partiraient du point de vue d'un créateur. L'une des difficultés que j'ai avec la SRC, en particulier pour moi qui suis de l'Ouest canadien, c'est qu'ils ne font rien dans ce réseau pour s'attaquer aux idées préconçues au sujet de la droite, comme j'en ai eu la preuve ce matin. Par exemple, notre actuel ministre de l'Immigration a décidé de dire que l'Alliance canadienne était manifestement la section canadienne du mouvement de Le Pen. À ma connaissance, on n'a nullement tenté de réfuter cette calomnie gratuite et malveillante à la SRC. Pourtant, je suis prêt à parier que l'on aurait rétorqué et réfuté l'allégation si elle était allée en sens contraire.

+-

    M. Brian Pollard: La solution, c'est de riposter avec un énoncé qui est également ridicule et de ne pas prendre cela tellement au sérieux.

+-

    M. Jim Abbott: Nous prenons cela au sérieux parce que depuis la création de notre parti actuel et du parti précédent, les attaques malveillantes, haineuses et non fondées nous ont fait du tort dans des régions comme l'Île-du-Prince-Édouard. J'ai lu aujoud'hui dans The Vancouver Sun les propos de Chantal Hébert et d'autres qui passent à l'attaque et qui disent essentiellement qu'un raciste de droite, c'est un conservateur qui sort gagnant d'une polémique avec un socialiste.

    Ce que j'attends d'une personne comme vous, et de votre intervention devant notre comité, c'est que vous donniez peut-être à la SRC des idées susceptibles de l'aider à offrir un point de vue plus équilibré, de manière que les auteurs de telles attaques calomnieuses et malveillantes soient remis à leur place tout comme ils le seraient si c'était nos adversaires qui étaient visés.

+-

    M. Brian Pollard: Je fais toujours dans l'anecdotique. Je pense qu'il existe un fossé culturel entre, disons, la Colombie-Britannique et cette espèce d'enclave orientale dans laquelle nous nous trouvons ici, et ce fossé est beaucoup plus profond que les gens ne veulent bien l'admettre. Je pense que le problème tient beaucoup à un malentendu. Nous nous imaginons que nous sommes à peu près pareils, mais nous ne le sommes pas.

    Par chez nous, nous rions beaucoup de nous-mêmes et nous passons aussi notre temps à nous insulter l'un l'autre. C'est un petit jeu auquel nous jouons et nous en tirons beaucoup de plaisir. Cela fait partie de notre culture. J'ai constaté que les politiciens et les gens de l'ouest ne comprennent pas cela. Peut-être qu'ils le font à leur manière, mais quand j'ai essayé d'adopter la même attitude envers des gens de l'ouest du Canada, je me suis mis dans des situations très difficiles, et j'ai même involontairement insulté des gens.

+-

     Je pense que les gens des Prairies ne sont probablement pas aussi à droite qu'on le dit. À cause de l'existence de ce très large fossé culturel, et parce que personne n'a fait la moindre tentative pour expliquer les différences entre vous et moi au reste du pays, ce malentendu persiste. C'est pourquoi la radiodiffusion publique est tellement essentielle. Nous sommes une communauté de minorités. Nous avons besoin d'un bon réseau de radiodiffusion publique. C'est essentiel. Si nous n'en avions pas, je ne sais pas... Je déménagerais en Europe. Si nous n'avions pas une forme quelconque de radiodiffusion publique, je ne pourrais pas vivre dans un pays où il n'y aurait que la radio commerciale, la télévision commerciale, les médias commerciaux. Je trouverais cela tout à fait intolérable.

    Ce que je dis, c'est que la SRC doit dépenser son argent plus judicieusement, et non seulement s'efforcer de diffuser des émissions de qualité, mais aussi se tourner vers les soi-disant minorités et ce qu'ils appellent « les régions » dans leur quête d'idées.

À  +-(1045)  

+-

    M. Jim Abbott: Mais vos observations n'ont-elles pas en fait dénoncé l'échec de la SRC pour ce qui est précisément de ce que vous préconisez?

+-

    M. Brian Pollard: Oui, absolument, mais cela ne veut pas dire que nous devons nous en débarrasser. La SRC doit changer.

+-

    M. Jim Abbott: Ma foi, les icebergs finissent bien par fondre.

    Merci.

    Le président: Madame Gagnon.

[Français]

+-

    Mme Christiane Gagnon: Merci beaucoup pour vos réflexions.

    Ayant été associée au milieu de la production et de la diffusion cinématographiques, je sais qu'il est toujours difficile de trouver du financement et un soutien pour nos créations. Depuis les 10 dernières années, pensez-vous que cela s'est accentué ou si la situation s'améliore à cause des technologies qui sont plus poussées, plus avancées? Faites-moi part de vos réflexions quant à l'évolution des nouvelles technologies et à leur impact sur la création. Pour vous, est-ce que c'est positif ou si c'est du pareil au même? Les choses ont-elles plus ou moins avancé?

[Traduction]

+-

    M. Brian Pollard: J'ai grandi en faisant des films, en travaillant manuellement avec du film et j'étais donc habitué à la qualité que l'on obtient en travaillant avec le film. Pour moi, la transition du film à la vidéo a donc été un peu comme passer d'une Maserati à une Volkswagen. Comme je suis une personne qui aime la qualité, j'ai trouvé que la vidéo n'était pas à la hauteur en terme de qualité, mais je trouve la nouvelle technologie numérique vraiment fascinante.

    Je le répète, c'est plus difficile de trouver de l'argent. Il faut vraiment aimer ce que l'on fait pour accepter de passer par ce processus. Je n'ai aucun crédit, je n'ai pas d'argent, je n'ai rien. Quand je réussis à faire un documentaire, vous ne croiriez pas toutes les ficelles que je dois tirer. Je dois dire que je suis également victime d'obstacles bureaucratiques dont la plupart des gens dans l'industrie de la radiodiffusion ne sont peut-être pas victimes. Mes problèmes tiennent en partie à certaines décisions politiques que j'ai prises depuis une dizaine d'année. À certains égard, ma situation est unique. Oui, c'est certain que c'est beaucoup plus difficile.

[Français]

+-

    Mme Christiane Gagnon: Si l'on décidait d'avoir un fonds régional afin que l'expression régionale locale soit entendue, est-ce que ce fonds devrait être distinct d'un fonds général qui serait accordé par Radio-Canada? Est-ce que cela pourrait vous aider à trouver du financement pour vos créations plus locales par lesquelles l'expression régionale est plus entendue?

[Traduction]

+-

    M. Brian Pollard: Je suis d'accord avec l'idée de productions locales, mais elles ne doivent pas s'adresser strictement à l'auditoire local. Nous devrions respecter les productions régionales et il faudrait absolument envisager d'en faire des productions destinées à un auditoire national. Je ne sais pas si cela répond à votre question.

    Par exemple, les productions régionales de l'Office national du film étaient tellement importantes au tout début, parce que nous faisions nos émissions en tant que personnalités locales, mais à destination d'un auditoire national. Plus cela arrivera dans notre pays, plus ce sera intéressant. Nous vivons dans un pays vraiment intéressant. D'un bout à l'autre, de l'est à l'ouest, c'est un pays extraordinairement intéressant, mais à l'exception de la radio de la SRC, aucun radiodiffuseur ne reflète la qualité de notre pays.

À  +-(1050)  

[Français]

+-

    Mme Christiane Gagnon: Voici une dernière question. Vous dites que vous ne trouvez pas de financement pour vos productions. Pour vous, être capable de vendre votre produit et de le diffuser n'est peut-être pas une question de marché. Je sais qu'il y a 15 ou 20 ans, c'était une réalité pour les producteurs indépendants. Est-ce que la situation est encore la même aujourd'hui?

[Traduction]

+-

    M. Brian Pollard: Quand vous dites un marché, voulez-vous dire un radiodiffuseur?

    Mme Christiane Gagnon: Oui.

    M. Brian Pollard: Dans une certaine mesure, le fait d'avoir des canaux comme Vision et Bravo a été un grand avantage pour des gens comme moi, c'est certain. Par exemple, on aura beau dire, la SRC a un préjugé très net contre la programmation régionale, pour ce qui est de la diffuser sur le réseau national. J'ai été reçu à bras ouverts par Bravo, et la seule raison pour laquelle je travaille actuellement à ce projet, qui est tellement intéressant, c'est parce que Vision est un radiodiffuseur. Mais pour ce qui est des grands réseaux de diffusion, c'est probablement encore plus difficile qu'auparavant.

+-

    Le président: Monsieur Harvard.

+-

    M. John Harvard: Monsieur Pollard, qui commandite le projet auquel vous travaillez actuellement?

+-

    M. Brian Pollard: C'est un projet de VisionTV, Téléfilm et deux ou trois autres sources.

+-

    M. John Harvard: Avez-vous déjà fait du travail pour la SRC?

+-

    M. Brian Pollard: Un peu. Il y avait une émission appelée Canadian Reflections, et c'était une bonne porte d'entrée vers le réseau de Radio-Canada. Comme vous le savez probablement, la clé pour trouver du financement pour tourner des films, c'est qu'une fois qu'on a obtenu l'agrément d'un radiodiffuseur, tout le reste tombe en place assez rapidement.

+-

    M. John Harvard: La clé est donc de trouver un radiodiffuseur.

+-

    M. Brian Pollard: C'est la première chose à faire, c'est certain. Donc, l'existence des stations distribuées par câble a rendu plus facile de lancer des projets.

    Je travaille aussi sur le long terme. À certains égard, je m'intéresse davantage à ce qui arrive après qu'un documentaire est diffusé. J'aime aussi l'utilisation durable de ces produits dans le domaine de l'éducation. Si un million d'auditeurs regardent mon film lors de sa diffusion, après quoi le produit est oublié, cela ne m'intéresse pas autant que d'avoir un produit qui est utilisé encore et encore dans les salles de classe, dans le réseau de l'éducation et tout le reste.

+-

    M. John Harvard: Je pense que toutes nos institutions publiques, y compris le radiodiffuseur public, doivent toujours être scrutées à la loupe et rendre des comptes. Je pense que cela fait partie du processus démocratique. Mais de temps à autre, ou peut-être tout le temps quand il s'agit de la SRC, nous sommes trop sévères pour cette société. Quand nous trouvons des faiblesses, nous mettons en doute l'existence même de l'institution. Vous l'avez dit vous-même dans votre exposé, et vous êtes pourtant un partisan de la SRC. Vous avez dit qu'à un moment donné, nous pourrions peut-être couper complètement tous les fonds. Je pense que vous faisiez davantage allusion à la télévision qu'à la radio.

+-

    M. Brian Pollard: Oui.

+-

    M. John Harvard: J'ai toujours trouvé cela intéressant, parce que quand c'est le secteur privé qui est en cause, on ne perd jamais la foi. Depuis deux ans, Nortel est tombée en ruines, des gens ont perdu des centaines et des centaines de millions de dollars, mais la foi en la libre entreprise, dans les libres marchés ou le capitalisme n'est pas perdue. Ces derniers mois, il y a eu l'affaire Enron aux États-Unis; c'était la même situation, mais personne ne perd la foi et je ne dis pas qu'ils le devraient. C'est seulement que les réactions sont tellement différentes. La SRC commet un tout petit impair et les gens lèvent les bras au ciel et réclament qu'on ferme la boîte.

    Voici la question que je voulais vous poser. Même si la SRC parvenait à ne jamais gaspiller un sou, je dis bien pas une seule cenne noire, en quoi cela changerait-il votre vie? La SRC, comme toute institution, possède sa propre bureaucratie, et les bureaucraties ne sont pas différentes des politiciens: elles doivent prendre des décisions. Vous n'aimez pas les décisions qui vous sont contraires; vous aimez par contre celles qui vous favorisent. C'est la vie, c'est inéluctable, comme le soleil se lève le matin et se couche le soir. Si la SRC devenait cette créature introuvable qui ne gaspille jamais d'argent, en quoi cela changerait-il votre vie à titre de producteur de film indépendant?

À  +-(1055)  

+-

    M. Brian Pollard: Cela dépend, bien sûr, et ce n'est pas nécessairement le fait qu'elle gaspille de l'argent. Je suppose que si la SRC était une entité qui a du respect pour son auditoire, alors peut-être que je...

+-

    M. John Harvard: Que voulez-vous dire par là? Vous l'ignorez peut-être, mais j'ai passé 18 ans à la SRC et j'ai donc peut-être un certain préjugé favorable. En fait, j 'ai un préjugé plus favorable en faveur de la radiodiffusion publique qu'envers la SRC comme telle, dans la mesure où l'on peut faire la distinction. Je ne me rappelle pas, dans les 18 ans que j'ai passés à la SRC, que nous ayons jamais eu un manque de respect ou du mépris pour l'auditoire.

+-

    M. Brian Pollard: Je ne sais pas si mépris est le mot juste, mais je ne pense pas que la SRC ait beaucoup de respect pour son auditoire. Ou peut-être que la SRC ne veut pas savoir qui sont ses auditeurs.

    Par exemple, M. Helwig a dit que le producteur délégué devait se lever le matin et devenir un annonceur. Et alors? En tant qu'artisan, je sais ce que l'on peut faire avec un peu de ressources, je sais que l'on peut faire du travail de qualité. Quand je vois les ressources et le budget de la SRC, je trouve que tout cela n'est pas reflété dans les émissions que la Société produit. Ses compressions budgétaires ont été draconiennes, mais je ne pense vraiment pas, d'après ce que je vois à la SRC, qu'il y a eu tellement de changements dans ce que la Société produit.

+-

    M. John Harvard: À votre avis, les radiodiffuseurs privés ont-ils plus de...

+-

    M. Brian Pollard: Je n'ai aucun respect pour les radiodiffuseurs privés, non. En un mot, je les trouve intolérables. Je pense vraiment que la SRC a besoin d'une refonte. Je veux que la radiodiffusion publique fonctionne. Je veux désespérément qu'elle fonctionne, ce qui n'est pas le cas actuellement.

    Par exemple, le tout premier documentaire que j'ai fait, en 1974, est encore utilisé; il est encore dans le circuit de distribution. Je dirais que le travail que j'ai fait depuis cette époque a été certainement d'une qualité au moins égale, mais avec l'attitude de la SRC, il est presque impossible de faire diffuser mes films à la SRC.

    Merci.

+-

    Le président: Madame Lill.

+-

    Mme Wendy Lill: Je vous remercie beaucoup d'être venu ici aujourd'hui.

    Ce que je vous entends dire, c'est que vous n'êtes pas tellement différent de centaines d'autres cinéastes indépendants du Canada, de petits cinéastes indépendants qui ne sont pas acoquinés avec une grande compagnie de cinéma et qui tentent de gagner leur vie en faisant les films qu'ils ont envie de faire. Le documentaire est un domaine très difficile et l'auditoire de ces films est malheureusement très limité, et il y a donc peu de débouchés.

    Vous nous avez donné certaines idées quant à ce qui pourrait vous aider, mais vous avez dit deux ou trois fois que la SRC manque de respect pour les communautés locales et qu'elle ne diffuse pas les histoires que vous aimeriez voir. D'une manière, vous visez le radiodiffuseur public comme marché potentiel. C'est un endroit où vous pourriez et devriez diffuser vos films, mais vous n'y arrivez pas.

+-

    M. Brian Pollard: C'est bien cela.

+-

    Mme Wendy Lill: Très précisément, quelles recommandations voulez-vous que nous fassions au nom des cinéastes indépendants du Canada, pour qu'ils puissent montrer leurs films à des auditoires et gagner leur vie? C'est la priorité: vous voulez pouvoir gagner votre vie en exerçant votre art.

Á  +-(1100)  

+-

    M. Brian Pollard: Quand je parle de radiodiffusion, quand je dis que je suis critique envers la SRC, je ne pense même pas à mon intérêt personnel, aux débouchés que je pourrais y trouver. Je songe plus à ce qu'un radiodiffuseur public peut faire pour notre pays afin de le rendre plus intéressant.

    Comment y parvenir, c'est une très bonne question, parce que ce n'est pas le genre de problème auquel on peut trouver une solution toute faite ou une solution d'ordre bureaucratique. Il s'agit en fait de définir en quoi consiste la qualité. Qui sont les gens qui font de bonnes émissions?

    Par exemple... Supposons un instant que je suis l'une de ces personnes. Comment assurer une grande diffusion à mes films? L'un des problèmes, c'est que dès que l'on ouvre une porte, il est probable qu'une foule de produits de qualité médiocre vont s'y engouffrer.

    Alors, comment établir un mécanisme qui permettrait non seulement aux personnalités établies qui font de bonnes émissions, mais aussi à tous ceux qui ont du potentiel...? Comment déterminer cela? Je ne suis pas sûr de le savoir, mais je pense que c'est probablement un élément majeur de la solution pour améliorer la radiodiffusion publique existante.

+-

    Mme Wendy Lill: Vous avez parlé de vos débuts à l'Office du film... Je me rappelle que Donald Brittain était considéré le gourou du documentaire, et il a formé une foule de gens. En fait, j'ai moi-même reçu une certaine formation de sa part.

    Je pense que vous nous dites, entre autres, que l'Office national du film était autrefois un lieu de formation, un endroit où les gens pouvaient faire leurs débuts dans la réalisation de films, pour s'orienter ensuite selon leurs goûts. Quel rôle l'Office du film joue-t-il maintenant?

+-

    M. Brian Pollard: C'est important, et j'aime à croire que je suis moi-même la résultante d'un long continuum d'expertise. Je suis le bénéficiaire d'une très longue tradition du documentaire au Canada, d'un art qui a été transmis d'une génération à l'autre. Ce ne sont pas seulement des types de mon genre, vous savez, des «artistes», mais aussi des techniciens et une foule de gens possédant de grands talents très divers. C'est ce qui s'est passé, c'est que tout l'appareil a été subitement débranché et qu'il n'existe plus aujourd'hui aucun lien avec les traditions antérieures.

    Donc, oui, j'irais presque jusqu'à dire qu'il faut, s'il n'est pas trop tard, ramener ces gens-là, ou une partie d'entre eux.

    Je me considère encore comme un réalisateur en herbe, même à mon âge. Mais remettons au travail certaines de ces personnes, même si elles sont à la retraite, et rétablissons la connexion avec cette tradition. C'est une solution possible.

+-

    Le président: Monsieur Pollard, en terminant, pourrais-je vous poser deux ou trois questions?

    Nous avons entendu hier une réalisatrice et productrice Micmac, Catherine Martin. Est-ce que vous collaborez avec elle pour votre projet, compte tenu qu'elle a réalisé plusieurs films sur les Micmacs?

+-

    M. Brian Pollard: L'arrangement que j'ai actuellement... Je travaille en partenariat avec une autre personne autochtone qui s'appelle John Joe Sark. C'est une compagnie autochtone. Essentiellement, je loue mes compétences et je raconte une histoire Micmac.

+-

    Le président: D'accord.

    En réponse à une question de M. Harvard, vous avez dit, je pense que ce sont vos propres mots, que vous vouliez désespérément que le système de radiodiffusion publique fonctionne.

    Que feriez-vous de différent au sujet de la SRC, par rapport à ce qui se fait maintenant? Avez-vous des suggestions ou recommandations précises à notre intention? Vous avez insisté lourdement sur les lacunes de la SRC. Que feriez-vous de différent si vous aviez le choix aujourd'hui et si vous étiez à la SRC?

+-

    M. Brian Pollard: En supposant qu'il soit possible de déterminer qui sont les meilleurs créateurs, je pense que je ferais tout mon possible pour qu'il y ait beaucoup plus de créateurs qui aient leur mot à dire dans les décisions relatives à la programmation de la SRC.

    Je vais vous donner un exemple. Encore une fois, je pense que cela reflète... Peu de gens trouveraient même que cela démontre un manque de respect pour l'auditoire. Mais voyez l'émission On The Road Again diffusée sur CBC. L'animateur voyage d'un bout à l'autre du pays et rencontre des gens de toutes sortes. Je trouve cette émission vraiment insultante, parce qu'il y a une foule de gens qui font des choses très intéressantes au Canada, mais ce que l'on essaie de faire dans cette émission, c'est de dénigrer ces gens-là. On nous les présente comme des gens un peu bizarres, et c'est ce qui fait leur intérêt. C'est un peu comme si, au Canada, on doit ou bien faire partie du courant dominant, ou bien...

+-

     Trouver les créateurs, chercher les vraies histoires, et réduire de beaucoup l'influence bureaucratique. Voilà les trois éléments, à mon avis.

Á  -(1105)  

+-

    Le président: Monsieur Abbott.

+-

    M. Jim Abbott: Au début, vous avez énuméré trois problèmes; j'ai noté le mot bureaucratie, et ensuite j'ai écrit SRC, mais je ne pense pas avoir entendu ou compris le troisième.

+-

    M. Brian Pollard: Ce sont les artisans comme moi, les gens qui sont bons dans leur travail et qui aiment les émissions de qualité, qui aiment faire des émissions de qualité.

    M. Jim Abbott: Je m'excuse, en quoi est-ce un problème?

    M. Brian Pollard: Nous ne sommes pas entendus. Nous n'avons pas la moindre influence sur ce qui est diffusé.

+-

    M. Jim Abbott: Bon. Donc, le problème, si je peux paraphraser--vous me direz si vous êtes d'accord--de votre point de vue, c'est que les gens qui sont les artisans de la communication ont des difficultés d'accès, point à la ligne?

    M. Brian Pollard: Tout à fait, oui.

    M. Jim Abbott: Bon, très bien. Merci.

+-

    Le président: Monsieur Pollard, nous vous remercions d'avoir comparu ce matin. Je pense que vous avez dit que si votre projet actuel échoue, vous deviendrez chauffeur de taxi à plein temps.

    M. Brian Pollard: Oh, non, je n'ai pas dit cela.

    Le président: Il me semblait vous avoir entendu dire cela.

    M. Brian Pollard: Non, non, j'ai dit que je serai content quand ce sera terminé; je pourrai retourner à mon travail moins stressant.

    Le président: Oh, je vois. Eh bien, j'espère que vous réussirez à mener à bien votre projet, pour que vous puissiez vous détendre à plein temps pendant un certain temps, avant de reprendre le collier et de vous remettre à la création.

    M. Brian Pollard: Espérons-le.

    Le président: Nous l'espérons. Nous vous souhaitons le meilleur succès et nous vous remercions de porter le flambeau de la culture en dépit de toutes les difficultés. Merci.

    M. Brian Pollard: Tout le plaisir est pour moi.

    Le président: Si les membres du comité veulent bien me prêter l'oreille une seconde, je voudrais leur dire que certaines personnes qui devaient venir ce matin ont demandé de témoigner cet après-midi. La greffière vient de distribuer un ordre du jour pour cet après-midi et vous constaterez que nous avons un programme très chargé car nous entendrons quatre groupes différents de témoins. Nous devrions donc commencer à 13 h précise, parce que nous aurons besoin de tout l'après-midi pour passer à travers notre ordre du jour très chargé.

    Les gens qui devaient témoigner ce matin le feront cet après-midi. Nous allons faire une pause pour que vous ayez le temps de téléphoner à vos bureaux, de vous détendre et de déjeuner, et nous serons de retour à 13 h.

+-

    Mme Wendy Lill: Je m'interroge au sujet de Eastlink. Je constate que les gens de Eastlink étaient censés être présents et qu'ils n'ont pas...

-

    Le président: Non, on nous a dit ce matin que M. Bragg... Nous avons essayé à maintes reprises. Mme Fisher m'a dit qu'il a décidé qu'il ne pourrait pas venir, ce qui est très regrettable.

    Mme Wendy Lill: En effet.

    Le président: La séance est levée.