HERI Réunion de comité
Les Avis de convocation contiennent des renseignements sur le sujet, la date, l’heure et l’endroit de la réunion, ainsi qu’une liste des témoins qui doivent comparaître devant le comité. Les Témoignages sont le compte rendu transcrit, révisé et corrigé de tout ce qui a été dit pendant la séance. Les Procès-verbaux sont le compte rendu officiel des séances.
Pour faire une recherche avancée, utilisez l’outil Rechercher dans les publications.
Si vous avez des questions ou commentaires concernant l'accessibilité à cette publication, veuillez communiquer avec nous à accessible@parl.gc.ca.
37e LÉGISLATURE, 1re SESSION
Comité permanent du patrimoine canadien
TÉMOIGNAGES
TABLE DES MATIÈRES
Le jeudi 23 mai 2002
¿ | 0905 |
Le président (M. Clifford Lincoln (Lac-Saint-Louis, Lib.)) |
Mme Valerie Smith (témoignage à titre personnel) |
Le président |
Mme Valerie Smith |
¿ | 0910 |
¿ | 0915 |
Mme Christiane Gagnon (Québec, BQ) |
Le président |
Mme Valerie Smith |
M. Scott Newark (conseiller spécial, Bureau pour les victimes d'actes criminels) |
Mme Valerie Smith |
¿ | 0920 |
M. John Harvard (Charleswood St. James—Assiniboia, Lib.) |
Mme Valerie Smith |
M. John Harvard |
Mme Valerie Smith |
M. Scott Newark |
Le président |
M. Scott Newark |
Mme Priscilla de Villiers (conseillère spéciale, Bureau pour les victimes d'actes criminels) |
¿ | 0925 |
¿ | 0930 |
¿ | 0935 |
Le président |
Mme Priscilla de Villiers |
Le président |
M. Scott Newark |
¿ | 0940 |
Le président |
M. Chuck Strahl (Fraser Valley, Alliance canadienne) |
M. Scott Newark |
¿ | 0945 |
M. Chuck Strahl |
Mme Priscilla de Villiers |
M. Scott Newark |
M. Chuck Strahl |
¿ | 0950 |
Mme Valerie Smith |
Le président |
Mme Christiane Gagnon |
¿ | 0955 |
Mme Priscilla de Villiers |
Mme Valerie Smith |
M. Scott Newark |
À | 1000 |
Le président |
M. John Harvard |
M. Scott Newark |
M. John Harvard |
M. Scott Newark |
Mme Priscilla de Villiers |
À | 1005 |
M. John Harvard |
M. Scott Newark |
M. John Harvard |
M. Scott Newark |
M. John Harvard |
M. Scott Newark |
Le président |
Mme Sarmite Bulte (Parkdale—High Park, Lib.) |
M. Scott Newark |
Mme Sarmite Bulte |
M. Scott Newark |
Le président |
Mme Wendy Lill (Dartmouth, NPD) |
Mme Valerie Smith |
Mme Wendy Lill |
À | 1010 |
M. Scott Newark |
Le président |
M. Luc Dionne (président, Société civile des auteurs multimédia (SCAM); représentant, Société ds auteurs et compositeurs dramatiques (SACD)) |
Le président |
M. Luc Dionne |
À | 1015 |
À | 1020 |
À | 1025 |
Le président |
M. Chuck Strahl |
M. Luc Dionne |
À | 1030 |
Le président |
Me Benoit Clermont (avocat, Société civile des auteurs multimédia (SCAM), Société des auteurs et compositeurs dramatiques (SACD)) |
Mme Elisabeth Schlittler (délégué générale au Canada, Société civile des auteurs multimédia (SCAM), Société ds auteurs et compositeurs dramatiques (SACD)) |
Le président |
Mme Christiane Gagnon |
M. Luc Dionne |
Mme Christiane Gagnon |
M. Luc Dionne |
Me Benoit Clermont |
À | 1035 |
M. Luc Dionne |
Mme Christiane Gagnon |
M. Luc Dionne |
Le président |
Mme Sarmite Bulte |
À | 1040 |
M. Luc Dionne |
Mme Sarmite Bulte |
M. Luc Dionne |
Mme Elisabeth Schlittler |
Mme Sarmite Bulte |
Le président |
Mme Wendy Lill |
À | 1045 |
M. Luc Dionne |
Mme Wendy Lill |
M. Luc Dionne |
Le président |
À | 1050 |
M. Luc Dionne |
Le président |
M. Chuck Strahl |
À | 1055 |
M. Luc Dionne |
M. Chuck Strahl |
M. Luc Dionne |
Le président |
CANADA
Comité permanent du patrimoine canadien |
|
l |
|
l |
|
TÉMOIGNAGES
Le jeudi 23 mai 2002
[Enregistrement électronique]
[Énregistrement électronique]
¿ (0905)
[Traduction]
Le président (M. Clifford Lincoln (Lac-Saint-Louis, Lib.)): La séance est ouverte. Le Comité permanent du patrimoine canadien se réunit aujourd'hui pour poursuivre son étude de l'état du système de radiodiffusion canadien.
Nous sommes très heureux d'accueillir aujourd'hui Mme Valerie Smith, activiste communautaire, qui prendra la parole en son nom personnel, ainsi que, du Bureau consultatif pour les victimes d'actes criminels, M. Scott Newark, avocat, et Mme Priscilla de Villiers, conseillère spéciale.
Nous allons commencer par vous, madame Smith. Je crois savoir que vous avez un engagement et que vous devez partir avant la fin.
Mme Valerie Smith (témoignage à titre personnel): Non, c'est simplement l'ordre sur lequel nous nous sommes entendus.
Le président: Très bien. Allez-y, madame Smith.
Mme Valerie Smith: Merci de me donner cette occasion de prendre la parole devant le comité. Je tiens à aborder avec vous quelques-unes des questions dont je fais état dans le mémoire que j'ai déposé auprès du comité en septembre dernier et qui portait principalement sur la politique en matière de radiodiffusion, un des thèmes clés de votre mandat.
Bien que le système de radiodiffusion comporte beaucoup d'aspects positifs et qui sont dans l'intérêt de notre société, il manifeste aussi, malheureusement, beaucoup d'aspects nocifs qui vont à l'encontre de l'intérêt de notre société. Je songe en particulier au niveau croissant de violence brutale et injustifiée qu'on y retrouve; au fait que les femmes y sont dégradées et abaissées; et à la programmation de jour qui expose les enfants et les jeunes à des émissions comme le Howard Stern Show, le Jerry Springer Show et la World Wrestling Federation, qui ne conviennent pas à des jeunes ou qui présentent des activités sexuelles déviantes.
La Loi sur la radiodiffusion oblige les radiodiffuseurs à sauvegarder, enrichir et renforcer la structure culturelle, politique, sociale et économique du Canada. En se prêtant à des activités aussi manifestement antisociales, les radiodiffuseurs compromettent la structure culturelle du Canada au lieu de la sauvegarder et de la renforcer. C'est là, de toute évidence, une flagrante violation de la loi.
Je m'intéresse à la question de la violence dans les médias depuis 1990, et au cours des 10 dernières années, j'ai fait du travail bénévole pour la Coalition for the Safety of our Daughters, la Coalition pour une télévision responsable et les Canadiens qui s'inquiètent des divertissements de caractère violent. Depuis deux ans, je m'occupe de questions liées à la violence dans les médias pour le Bureau consultatif pour les victimes d'actes criminels ainsi que pour les Canadiens contre la violence partout recommandant sa révocation.
Dans le cadre de ces activités, j'ai rédigé ou corédigé des mémoires et des exposés à l'intention du CRTC, j'ai témoigné à des audiences du CRTC sur la violence et le renouvellement de licence et j'ai déposé de nombreuses plaintes auprès du Conseil canadien des normes de la radiotélévision. J'ai ainsi appris plus que je n'ai jamais voulu savoir sur les divers régimes de réglementation publique qui sont censés préserver et promouvoir l'intérêt public relativement aux activités des médias au Canada. Si je peux m'exprimer franchement, les mesures de contrôle actuelles ne sont pas efficaces.
La violence dans les médias soulève l'inquiétude depuis des décennies au Canada et aux États-Unis. Au cours des 10 dernières années, le gouvernement fédéral et le CRTC ont étudié le problème de façon exhaustive. Le CRTC a tenu des audiences sur la violence à la télévision et a commandé des recherches sur le sujet, tandis que, en 1991, le gouvernement fédéral a cerné la violence dans les médias comme étant un problème important qui exigeait une intervention à l'échelle nationale.
En 1993, le C.M. Hincks Institute for Children's Mental Health a organisé, en collaboration avec le CRTC, une conférence nationale sur la violence à la télévision, qui a eu lieu à Toronto. Dans un article qu'il a publié dans le Globe and Mail à l'issue de la conférence, Keith Spicer, qui était alors président du CRTC, faisait remarquer que la grande majorité des travaux de recherche montraient que la violence excessive à la télévision nuit aux enfants du fait qu'elle contribue à la désensibilisation, à l'agression, aux troubles d'apprentissage, à l'accroissement de l'intimidation et à l'utilisation d'armes.
La même année, le Comité permanent des communications et de la culture de la Chambre des communes a publié son rapport intitulé La violence à la télévision: Dégradation du tissu social. Le comité dit, entre autres choses, dans son rapport: «ce qu'il faut, c'est que le gouvernement, l'organisme de réglementation fédéral et les diffuseurs passent aux actes» et «Nous sommes...arrivés à la conclusion que, pour mettre un frein aux formes extrêmement violentes de divertissement, comme les films et vidéos de torture et d'assassinats, il faudrait modifier le Code criminel».
Pour donner suite à la recommandation concernant les films de torture, le Comité permanent fédéral de la justice et des affaires juridiques a recommandé de modifier les dispositions du tarif douanier et du Code criminel relatives à l'obscénité afin d'interdire les médias qui ont pour caractéristique dominante l'exploitation excessive de l'horreur, de la cruauté ou de la violence.
Plus récemment, en 2000, le procureur général de la Colombie-Britannique a persuadé les ministres de la Justice du Canada à leur réunion de l'an dernier de constituer un groupe de travail fédéral-territorial-provincial sur la violence dans les médias. En octobre 2000, le procureur général de l'Ontario, Jim Flaherty, a essayé de faire interdire l'accès au Canada à l'artiste rap violent Marshall Mathers, à cause des paroles misogynes de ses chansons. M. Flaherty a pris cette mesure sans précédent à la suite d'une plainte que j'avais déposée auprès du service de lutte contre les crimes haineux de la police de Toronto.
Il est important de souligner que le procureur général n'a pas réussi à faire interdire d'accès l'artiste en question parce que le gouvernement avait négligé de modifier les dispositions du Code criminel concernant la propagande haineuse afin d'y inclure les femmes.
Même si le problème préoccupe les autorités gouvernementales des deux côtés de la frontière, on n'a obtenu aucune réduction du niveau de violence. L'American Academy of Pediatrics résumait ainsi la situation en 1997:
Le niveau de violence auquel [les enfants] sont exposés par l'entremise des médias a atteint des proportions tellement horribles que les professionnels de la santé, les parents, les législateurs et les éducateurs sont d'accord pour dire qu'il faut faire quelque chose. |
Les radiodiffuseurs ont fait quelque chose, mais ils n'ont rien fait de bon malheureusement. D'après une étude de la télévision canadienne réalisée par l'Université Laval en 1999, la quantité de violence a augmenté de presque 50 p. 100 entre 1995 et 1998. La quantité de violence dans les émissions diffusées avant 21 heures auxquelles les enfants ont accès a également augmenté; 92 p. 100 des actes de violence ont été présentés avant 21 heures.
Cette information se retrouve dans la documentation qui a été distribuée en mars 2000 par le député bloquiste Bernard Bigras, qui a rédigé un projet de loi d'initiative parlementaire, loi visant à modifier la Loi sur la radiodiffusion, en vue de réduire la violence à la télévision. Le CRTC, qui est chargé de réglementer la radiodiffusion dans l'intérêt public, a échoué lamentablement, comme le montrent l'étude de Laval et les deux situations suivantes.
Il y a d'abord la licence que le CRTC a accordée à Corus Entertainment Inc., par l'entremise d'Alliance Atlantis Broadcasting, pour une chaîne d'horreur, appelée Scream TV, qui diffusera des films de torture. Deuxièmement, il y a la révélation qui a été faite par The Fifth Estate que Bell ExpressVu diffuse sur ses chaînes de télé à la carte des émissions obscènes aux termes du Code criminel.
De toute évidence, les principes et les pratiques de l'organisme de réglementation fédéral va directement à l'encontre de la volonté des représentants politiques fédéraux, telle qu'elle est exprimée dans la Loi sur la radiodiffusion, dans La violence à la télévision: Dégradation du tissu social et par diverses autres mesures visant à réduire la violence télévisuelle.
Dans un exposé de position de 1999 intitulé Les enfants et les médias, la Société canadienne de pédiatrie a déclaré que les médias ont une profonde influence sur le développement psychosocial des enfants. Aux États-Unis, l'American Medical Association, l'American Psychiatric Association, l'American Academy of Pediatrics, l'American Academy of Child and Adolescent Psychiatry, l'American Psychological Association, le Département de la santé et des services humains ainsi que le directeur du Service de santé publique ont tous fait des déclarations catégoriques au fil des ans au sujet du lien entre le fait d'avoir été exposé à des images violentes pendant l'enfance et les manifestations d'agression et de violence réelles par la suite.
Je n'ai pas le temps d'entrer dans le détail des recherches qui ont été faites, mais j'ai apporté au comité une déclaration de principe sur la violence dans les médias qui a été publiée par l'American Academy of Pediatrics en novembre dernier et qui offre un résumé utile.
¿ (0910)
Le CRTC permet à cette puissante industrie de s'autoréglementer par la supposée adhésion à des codes volontaires. Toutefois, l'achat par Global Television, CHUM Limited, Western International Communications et Sports Network d'émissions comme Mighty Morphin Power Rangers, Jerry Springer Show et Howard Stern Show de même que World Wrestling Federation Show, autant d'émissions dont le CCNR a conclu qu'elles violaient de façon flagrante les codes de l'ACR sur la violence et la représentation des sexes, montre que l'adhésion au code importe peu pour les grands conglomérats de radiodiffusion. En outre, les commentaires misogynes qui sont la marque de commerce des émissions de la WWF et de Howard Stern constituent une violation par les radiodiffuseurs, non seulement des codes volontaires de l'ACR, mais aussi de la réglementation de la radiodiffusion, au paragraphe 5(1), qui interdit les commentaires désobligeants fondés sur le sexe.
L'absence de sanctions pouvant être appliquées à ceux qui violent le code de l'ACR sur la représentation des sexes, comme le montre le cas Stern, a incité Corus Entertainment Inc. à lancer à Toronto sa station MOJO Radio, qui non seulement est sexiste et fondée sur l'exploitation, mais qui a aussi été décrite comme misogyne par la chroniqueuse Rosie DiManno du Toronto Star. Dans sa décision sur les panneaux réclames utilisés pour faire la publicité de MOJO, dont nous avons fait tenir copie au comité, l'organisme Les normes canadiennes de la publicité a conclu que ces messages abaissaient les femmes et les dégradaient. Corus possède 52 stations de radio et a indiqué sa volonté de répandre la formule MOJO dans tout le Canada.
L'échec de l'autoréglementation ne devrait surprendre personne, et il avait même été prévu par le Comité permanent des communications et de la culture, si l'on en juge par ses recommandations 22 et 23 dans La violence à la télévision: Dégradation du tissu social.
Certains radiodiffuseurs semblent aussi contrevenir au Code criminel en donnant accès à des sites Web obscènes—CILQ à Toronto—, où l'on incite les gens à commettre des actes criminels, vandalisme, vol, nudité publique, etc., pour gagner des prix—CFNY Toronto, CJKR Winnipeg, CHRK Calgary—et en diffusant, comme dans le cas de Bell ExpressVu, des émissions obscènes.
¿ (0915)
[Français]
Mme Christiane Gagnon (Québec, BQ): Le témoin parle trop vite. La traductrice n'a pas de texte.
[Traduction]
Le président: Il est très difficile pour nous de vous suivre, parce que nous n'avons pas le texte de votre exposé. Vous allez trop vite pour les interprètes.
Pouvez-vous me dire, tout d'abord, combien de temps il vous faudra encore pour conclure?
Mme Valerie Smith: Il me reste une page.
Le président: Très bien. Si vous pouviez ralentir un peu, cela nous aiderait énormément.
M. Scott Newark (conseiller spécial, Bureau pour les victimes d'actes criminels): Nous avons le texte de notre mémoire. Nous veillerons à ce que les interprètes le reçoivent.
Le président: Oui, très bien.
Mme Valerie Smith: Excusez-moi. C'est une toute nouvelle expérience pour moi.
Le président: Non, non, ça va.
Mme Valerie Smith: La liberté d'expression est un droit important, mais le droit à la vie, à la liberté et à la sécurité de la personne l'est tout autant. D'après les données de Statistique Canada sur les actes criminels commis en 2000, les crimes violents ont augmenté de 54 p. 100 par rapport à il y a 20 ans, et ils ont plus que doublé par rapport à il y a 30 ans. Il y a bien sûr de nombreux facteurs qui contribuent à la violence, la violence dans les médias n'étant qu'un de ces facteurs. Mais l'omniprésence des médias et les progrès technologiques extraordinaires font en sorte que nous ne pouvons pas ne pas tenir compte de ce facteur.
L'autoréglementation est un échec, et il faut l'abandonner. Le CRTC a été d'une inefficacité incomparable pour ce qui est d'assurer la conformité avec les principes les plus fondamentaux de la Loi sur la radiodiffusion et doit donc être réformé en profondeur.
Je conclurai par deux points. Le premier est une citation de David Puttnam, ancien président de Columbia Pictures, que l'on retrouve dans La violence à la télévision: Dégradation du tissu social.
Quelqu'un doit mettre le hola à ce fléau. Nous sommes en train de nous détruire. Des civilisations se sont détruites les unes après les autres parce que leurs dirigeants n'ont pas su dire: «Je sais bien que c'est ce que vous aimeriez voir, mais voilà, c'est mauvais pour nous, nous nous faisons du tort. Nous sommes en train de détruire le tissu de notre société». |
Il y a déjà plusieurs années de cela, et nous avons avancé encore plus loin dans la voie de l'autodestruction. Pour illustrer mon propos, j'aimerais vous montrer ce que Bell ExpressVu diffusait sur ses chaînes de télé à la carte. Je tiens toutefois à vous prévenir que les images sont très explicites. Il s'agit de piétage troublant qui a néanmoins été diffusé à CBC à 20 heures.
[Présentation vidéo]
Mme Valerie Smith: La personne qu'on interviewait est Robert Warren, qui est président de la Commission de contrôle cinématographique de l'Ontario. Bell ExpressVu avait indiqué—et c'était là une condition de sa licence—que tous les films qu'elle diffuserait seraient visionnés et classés par la Commission de contrôle cinématographique de l'Ontario. Il était interviewé par Hana Gartner, et il est clair qu'il n'avait pas la moindre idée que ces films... Il n'aurait certainement pas approuvé ces films.
¿ (0920)
M. John Harvard (Charleswood St. James—Assiniboia, Lib.): Monsieur le président, je veux simplement savoir si c'est The Fifth Estate qui a diffusé cela.
Mme Valerie Smith: Oui.
M. John Harvard: Il s'agissait donc d'un extrait d'un documentaire?
Mme Valerie Smith: Oui.
M. John Harvard: Mais les scènes présentées dans ce documentaire de The Fifth Estate sont tirées d'une émission qui passe sur une chaîne numérique?
Mme Valerie Smith: Oui, Bell ExpressVu. L'entreprise diffusait deux chaînes en provenance du Colorado. Je crois qu'elles s'appellent Extasy et True Blue.
M. John Harvard: Bell ExpressVu n'a-t-elle pas pris des mesures par la suite?
Mme Valerie Smith: Elle a supprimé les deux chaînes de sa programmation.
M. Scott Newark: Je vais en fait vous expliquer les détails de l'affaire dans mon exposé, monsieur. J'ai aussi la documentation du CRTC et de Bell ExpressVu. Il s'agit d'un point important dont nous voulons vous parler nous aussi.
Le président: Monsieur Newark.
M. Scott Newark: Si vous n'y voyez pas d'inconvénient, monsieur, je vais demander à Mme de Villiers, de mon bureau, de prendre la parole en premier. Elle a un exposé préliminaire à vous présenter. Puis, je vais vous donner des précisions au sujet justement de ce dont parlait M. Harvard.
Mme Priscilla de Villiers (conseillère spéciale, Bureau pour les victimes d'actes criminels): Comme beaucoup d'autres Canadiens, je ne m'étais jamais beaucoup intéressée à la pornographie. Je surveillais ce que mes enfants regardaient, lisaient et écoutaient, mais mon intérêt n'allait pas plus loin que cela. Le 9 août 1991, ma fille Nina a été enlevée et tuée par un prédateur en série pendant qu'elle faisait de la course à pied. Cet homme a ensuite tué une autre jeune femme, une autre étrangère.
Au cours de l'enquête sur les circonstances de sa mort, il est ressorti que Jonathon Yeo—c'est comme ça qu'il s'appelait—était un consommateur de pornographie. Il en avait un sac dans son casier au travail à l'entreprise sidérurgique Dofasco. Il en avait un sac à la maison. Il avait des vidéocassettes. Sa femme s'y était opposée avec véhémence et jetait sans cesse les vidéocassettes à la poubelle, mais il en rapportait toujours et les cachait. Elle lui avait signalé qu'ils avaient quatre jeunes enfants et qu'elle ne tolérerait pas qu'il ait du matériel pornographique dans la maison. Le coffre de sa voiture en était plein, le même coffre où il avait mis le corps de ma fille pour aller le jeter dans un marais à 400 milles de chez lui.
Il aimait déshabiller ses victimes. Karen Marquis et ma fille ont toutes deux été retrouvées nues. En fait, on n'a jamais retrouvé les vêtements de Nina. Il est ressorti de l'enquête qu'il avait été libéré sous caution après avoir commis une agression sexuelle très violente contre une autre jeune femme, une étrangère qui faisait aussi de la course à pied. Il l'avait déshabillée, lui avait mis un fusil à la gorge et un couteau à la tête et il l'avait obligée à prendre des poses pornographiques, comme celles qu'il avait vues dans son matériel pornographique.
Elle a survécu, et elle a donné un témoignage très émouvant à l'enquête sur la façon dont il traitait ses victimes. Il y avait 11 ans qu'il était un prédateur sexuel. Huit de ses victimes qui avaient survécu étaient à l'enquête, même s'il y en avait eu beaucoup d'autres.
Quand cette information a été exposée au grand jour, je me suis mis à recevoir une multitude d'appels et de lettres de gens de toutes les régions du pays sur un grand nombre de sujets. Certains voulaient m'offrir leurs condoléances, d'autres voulaient me parler de circonstances tragiques qu'ils avaient eux-mêmes vécues, mais ce qui revenait sans cesse, c'était le mot «pornographie». À ce moment-là, je pensais que c'était simpliste. Je ne pouvais pas tirer de leçon d'un seul cas.
À peu près à la même époque, trois mois en fait avant la mort de ma fille, on avait retrouvé le corps de Leslie Mahaffy coulé dans le béton. Elle était disparue à trois kilomètres de l'endroit où ma fille a disparu. Huit ou neuf mois plus tard, Kristen French est disparue. J'ai été mêlée à cette affaire, parce que tout cela s'est produit dans le même quartier. À l'époque, nous ne savions pas qu'il y avait deux prédateurs sexuels qui circulaient dans les environs. Nous ne savions pas du tout qui avait tué ma fille.
Pendant cette période terrible des procès Bernardo, j'ai commencé à voir à quel point la pornographie violente, notamment la pornographie visuelle, avait joué un rôle important dans la vie de Paul Bernardo. Il se rendait aux États-Unis; on pense qu'il en faisait le commerce. Quand il a fait les vidéocassettes des souffrances terribles qu'il a infligées à Kristen French et à Leslie Mahaffy, il s'est inspiré des meilleurs films pornographiques qu'il avait vus. Il y a une formule, il y a une façon de faire, et vous avez pu en voir un petit exemple. Je n'ai pas vraiment pu le regarder parce que c'était trop près de la réalité pour moi.
Pour nous opposer à la communication des vidéocassettes, nous avons dû faire venir des témoins experts devant le juge, qui était le juge Gravely au début, au procès de St. Catherines, parce que quatre grandes chaînes médiatiques, trois quotidiens et CBC, voulaient toutes mettre la main sur ces vidéos pour les diffuser.
¿ (0925)
Et c'est alors, en aidant les familles, en recueillant des fonds pour payer un avocat, pour aider des témoins experts à comparaître en cour et à exposer pourquoi ces vidéos ne devraient pas être montrés que j'ai à regret pris de plus en plus connaissance des problèmes liés à la pornographie et au mode de vie. J'ai ainsi été extrêmement sensibilisée, pour m'être entretenue avec des victimes et des membres de la communauté qui ont communiqué avec moi, aux effets résiduels désastreux qui en résultaient, non seulement en cas d'homicide mais en raison de l'idée que ces images devraient être rendues publiques.
Par la suite, dans de nombreux autres cas, on a attiré mon attention sur le fait que la pornographie était un outil. Dans l'affaire Sharpe qui est survenue récemment, nous avons vu et entendu dire comment la pornographie était utilisée pour séduire des enfants, pour amener les agresseurs à vaincre leurs inhibitions et à considérer leur comportement comme normal. C'est également vrai de la violence sexuelle contre des adultes.
J'entends trop souvent des gens minimiser la chose, dire que là où il y de l'homme il y a de l'hommerie, et me demander comment je peux raisonnablement penser que la pornographie puisse causer ce comportement quand nous savons tous qu'il y a tant d'autres facteurs qui influent sur le comportement. En fait, il y a plusieurs facteurs qui interviennent dans le comportement non seulement des violeurs et des agresseurs sexuels qui agissent avec violence, mais aussi de gens qui réalisent des fantasmes sexuels violents, qui violent. Ce sont les facteurs biologiques, des expériences d'abus sexuels pendant l'enfance, le rôle assigné au sexe masculin, la socialisation--ce sont tous des termes des sciences sociales--l'exposition aux médias de masse qui incitent au viol, et l'exposition à la pornographie.
Une autre façon de se moquer de ce genre d'information, c'est de dénigrer la valeur de la recherche effectuée dans le domaine, mais il y a déjà eu trop de recherches convaincantes depuis de très nombreuses années pour que nous n'en tenions pas compte. J'ai quelques références à l'intention des attachés de recherche si cela les intéresse.
Ted Bundy, sans doute l'un des pires tueurs en série de l'histoire, a parlé du rôle qu'a joué la pornographie dans la réalisation de ses fantasmes. Il y avait aussi Jonathon Yeo, celui qui a tué Nina de Villiers. Son frère Jim a témoigné au tribunal et déclaré sous serment qu'il y avait beaucoup de matériel pornographique chez eux; leur père en possédait, et dès leur plus jeune âge, ils y avaient été exposés. Jim en avait regardé et s'y était intéressé pendant un moment, Jonathon quant à lui en était devenu obsédé. Il se livrait avec obsession à la pornographie et à la masturbation, entre autres choses.
J'ai donc commencé à penser que c'était un problème très important, que nous ne pouvions plus en faire fi. Dans l'arrêt Butler, la Cour suprême du Canada avait jugé que la représentation des choses sexuelles accompagnée de violence constituera presque toujours une exploitation indue des choses sexuelles. Les choses sexuelles explicites qui constituent un traitement dégradant ou déshumanisant peuvent constituer une exploitation indue si le risque de préjudice est important. Le risque de préjudice important se pose pour la personne qui est photographiée, montrée sur vidéo ou filmée de même que—et c'est ce qui importe—pour les consommateurs du matériel en question, les membres du groupe cible et l'ensemble de la société.
On a établi que du matériel jugé dégradant ou déshumanisant sans être violent réduisait l'inhibition qui retenait les hommes de se montrer agressifs envers les femmes, accroissait l'acceptation de la servitude sexuelle des femmes, la disposition avouée à violer et l'acceptation de la domination masculine dans les rapports intimes. Pour des consommateurs invétérés comme Bernado et Yeo, de leurs propres aveux, ce type de matériel intensifiait chez eux un comportement sexuel agressif.
¿ (0930)
Nous savons également que le risque de violence envers les femmes résulte également de ce genre d'exposition. Malgré une campagne publique de mes informations qui était bien financée et qui indiquait le contraire, il n'y a jamais eu de controverse au sein du milieu international de la recherche depuis 30 ans que l'exposition à ce genre de documentation augmente l'agression envers le femmes.
L'exposition du public à cette documentation mine le système de justice pénale en faisant en sorte qu'il est beaucoup moins probable que les auteurs d'un viol seront tenus responsables de l'agression sexuelle. Nous connaissons tous des histoires d'horreur où la victime finit par être de nouveau victimisée, et nous comprenons pourquoi il y a de bonnes raisons pour si peu de femmes à se sentir justifiées ou validées lorsqu'elles décident de signaler un cas de viol.
On a constaté que l'exposition à la violence graphique envers les femmes a tendance à réduire la volonté des femmes à chercher une condamnation pour ce genre de comportement, et cette exposition augmente leur désir de l'excuser—de mettre la responsabilité sur la victime. Cela met en doute les tentatives de résistance de la part de la victime et sa crédibilité. Nous avons tous entendu cela. Cette situation rend absurde cette législation où l'on dit «Non, c'est non».
Pour la majorité des spectateurs, cette agression augmente leur excitation sexuelle. C'est un fait qui a été démontré à de nombreuses reprises. Lorsqu'on décrit le viol comme étant une expérience positive et agréable pour une femme, le risque de violence envers les femmes augmente de façon dramatique, et cela est bien établi. Par conséquent, on se retrouve avec les mythes sur le viol qui existent au sein de notre société.
Le fait de voir cette documentation a des effets très néfastes pour bien des femmes. Certaines revivent l'agression. Une s'est souvenue qu'elle s'était fait agresser sexuellement pour la première fois lorsqu'elle était enfant. Certaines des conséquences sont des conséquences à long terme. Je dois dire que c'est ce qui ressort des anecdotes racontées par bien des gens, par bien des victimes dans des refuges, et ainsi de suite.
¿ (0935)
Le président: Madame de Villiers, je ne veux pas vous interrompre, sauf pour vous dire que nous devons passer à un autre groupe à 11 heures.
Mme Priscilla de Villiers: Non, non. Je vais conclure.
Le président: Ce serait vraiment important si vous voulez que les députés vous posent des questions.
Mme Priscilla de Villiers: Certainement. Je vais vous remettre cette documentation de recherche.
Ce que j'ai essayé de vous montrer, c'est qu'il y a de véritables conséquences néfastes—et les preuves sont convaincantes—pour notre société, notre tissu social, notre comportement social, et pour les lois que nous essayons de faire respecter et qui sont si importantes si nous voulons assurer l'égalité au Canada et si nous voulons vivre en sécurité et en paix et non pas dans une atmosphère de peur partout.
Ce qui me dérange profondément, c'est qu'un organisme de réglementation du gouvernement fédéral dont le mandat prévoit précisément la possibilité et, je crois, le devoir d'agir à titre de chien de garde pour nous, au nom des victimes et des victimes potentielles, puisse faire preuve d'autant de manquement à ses devoirs dans des cas semblables. Je crois que cette situation dit avec énormément de clarté de quelle façon nos valeurs et besoins en tant que société—et la protection de la population—sont mal appuyés.
Donc, je vous exhorte à bien examiner la situation et à essayer de tenir compte de ce besoin des plus impérieux que nous ressentons, surtout à titre de défenseurs des victimes.
Merci.
Le président: Merci beaucoup, madame de Villiers.
Monsieur Newark, soyez bref, parce que les membres du comité ont beaucoup de questions.
M. Scott Newark: Je ne prétends pas être particulièrement expert en matière de violence dans les médias. Je m'intéresse plutôt à l'efficacité relative des organismes de réglementation.
Par exemple, lorsque le film que vous avez vu a été initialement présenté dans l'émission The Fifth Estate, j'en ai parlé à Mme Smith, avec qui notre bureau avait déjà travaillé. Je ne connaissais pas bien la Loi sur la radiodiffusion, mais j'ai dit que la question relevait de toute évidence du CRTC, en tant qu'autorité de réglementation. J'étais certain qu'il existait des normes en la matière. J'étais prêt à parier que toutes sortes de grandes déclarations de principe interdisaient ce genre de production. On pouvait sans doute invoquer la licence, les conditions de la licence et tout le reste. Nous l'avons aidée à présenter une plainte au CRTC.
J'espère qu'au cours des questions, je pourrai donner quelques détails sur ce que je considère comme une absence totale de réponse de la part du CRTC à propos de ce que vous avez vu. Et qu'on ne s'y trompe pas: ce que vous avez vu est ce qui a été diffusé dans le cadre du régime actuel. J'allais dire «autorisé»—je ne pense pas que ce soit véritablement autorisé—mais en tout cas, on l'a diffusé.
Dans la discussion, vous devriez constater que le titulaire a manifestement enfreint les conditions de sa licence et qu'il s'est comporté de façon dysfonctionnelle. Dans son commentaire initial, il a tout d'abord donné de faux renseignements sur The Fifth Estate en disant qu'il s'était conformé à sa licence et que le document avait été visionné. C'était faux. En réalité, il ne connaissait pas le contenu de ce qu'il diffusait et deuxièmement, il ne savait pas qu'il ne respectait pas les conditions de sa licence.
On a dit que ce document constituait de l'obscénité criminelle. C'est ce qu'a dit le Bureau du procureur général après le dépôt de la plainte par l'intermédiaire de la police de Toronto, et Bell ExpressVu en a été avisée.
Je dois vous dire qu'en tant qu'ancien procureur, je comprends dans une certaine mesure pourquoi la Couronne envisage difficilement des poursuites pénales, car il faudrait prouver l'intention délibérée de télédiffuser. On a tendance à penser que c'est une question de réglementation et que si quelqu'un n'est pas suffisamment compétent ou attentionné pour savoir ce qu'il diffuse ou pour savoir s'il respecte les conditions de sa licence, il ne faudrait pas lui en accorder une.
Quand on va aborder le sujet, vous allez voir que dans sa réponse, le CRTC n'a pas jugé bon de convoquer des audiences. D'après des estimations dont j'ai eu connaissance, la compagnie aurait gagné de 5 à 7 millions de dollars en télédiffusant du matériel illégal, contrevenant ainsi aux conditions de sa licence. Qu'est devenu cet argent? Je considère que si le CRTC s'était donné la peine d'intervenir, on aurait peut-être pu récupérer l'argent gagné illégalement par cette compagnie.
De façon générale, avant de passer aux questions, je voudrais donner quelques indications. Tout d'abord, on peut logiquement supposer que si le contenu télédiffusé peut amener un changement positif, il peut aussi en amener un négatif. Je suis d'accord avec les attachés de recherche... Je ne suis pas expert, mais si vous avez le moindre doute, je vous invite instamment à vous faire une opinion. Ne restez pas dans l'incertitude. D'après ce que j'ai vu, même si je ne suis pas expert, c'est tout à fait flagrant.
Deuxièmement, je pense qu'il faut étudier le régime réglementaire en place actuellement. Je vous invite à convoquer devant votre comité les cadres de Bell ExpressVu et les responsables de la réglementation au CRTC. Entre ce que nous allons apprendre lors des questions et ce que nous vous avons fourni, vous devriez être en mesure de poser des questions incisives.
Troisièmement, ce qu'on appelle la convergence pose des questions qui devraient vous préoccuper sérieusement: de façon générale, on va voir moins de points de vue exprimés dans les nouvelles, mais il faut aussi se demander à qui appartiennent les canaux de télévision. Il y a peu de chances pour que nos commentaires d'aujourd'hui sur Bell ExpressVu soient mentionnés ce soir sur CTV. C'est notamment à cause de la propriété des chaînes de télévision qui est de plus en plus concentrée. On peut appliquer le même commentaire à une autre chaîne mentionnée ici, Scream TV, qui appartient à Corus Entertainment.
Dans notre mémoire, nous vous demandons aussi de considérer la question du financement. Priscilla a parlé des familles French et Mahaffy. En Ontario, il a été question de produire un film sur l'histoire de Bernardo. Certains ont demandé qu'on interrompe la production de ce film; le droit pénal existe et si le film y contrevient, il va falloir l'invoquer. C'est effectivement une possibilité, mais il ne faut pas que les familles French et Mahaffy se trouvent obligées de financer les poursuites. Il faudrait étudier de près les subventions accordées à ce genre de film. Il en est question dans notre mémoire également.
Enfin, à la fin du mémoire, nous formulons des recommandations très précises que nous vous demandons de prendre en considération; elles concernent moins la question du contenu proprement dit que le régime de réglementation qui est sensé exister dans ce pays.
¿ (0940)
En conclusion, je vous invite à vous en tenir à trois principes. Tout d'abord, comme je l'ai dit, le contenu radiodiffusé peut avoir un effet positif aussi bien que négatif. Deuxièmement, on a ici affaire à des ondes publiques. Si ce n'est pas le cas, il faut se rendre à l'évidence et considérer qu'on peut y diffuser n'importe quoi. À mon avis, ce n'est pas le cas. Le Parlement l'a toujours reconnu dans la Loi sur la radiodiffusion. Troisièmement, si on met en place un régime de réglementation, il doit signifier quelque chose. Il n'y a rien de pire ou de plus hypocrite que les grands discours énoncés dans des lois qui n'ont aucune signification parce qu'elles ne sont pas appliquées.
Si vous vous en tenez à ces trois principes, vous devriez être en mesure d'améliorer le régime de réglementation et le contenu de la radiodiffusion.
Merci.
Le président: Merci beaucoup, monsieur Newark.
Monsieur Strahl.
M. Chuck Strahl (Fraser Valley, Alliance canadienne): Je vous remercie tous de votre présence et de vos témoignages. Je dois dire que je ne sais toujours pas si cette question relève de notre compétence ou de celle du Comité de la justice. Mais elle porte sur la radiodiffusion, et c'est ce dont nous nous occupons ici. Ce que vous nous avez montré est tout à fait bouleversant. Merci de nous en avoir fait part.
J'ai quelques questions à vous poser. Elles s'adressent à tous ceux qui voudront bien répondre. Tout d'abord, à votre avis, est-ce que l'arrêt Sharpe rendu au début de l'année va avoir une incidence sur la volonté ou la possibilité, pour les organismes de réglementation, de faire échec à la pornographie?
Je considère que l'arrêt Sharpe mérite d'être étudié par notre comité, et sans doute par un autre également. Selon cet arrêt, si l'on peut prouver l'existence d'une valeur artistique, de quelque nature qu'elle soit... En fait, c'est bien dommage, mais j'ai l'impression que n'importe quel film peut être qualifié d'artistique puisque c'est un film. Cet argument donne carte blanche en ce qui concerne ce qu'on peut produire. Il va être de plus en plus difficile de dénoncer les comportements criminels devant les tribunaux.
Est-ce que vous avez étudié cet arrêt et ses conséquences sur la disponibilité des productions pornographiques?
M. Scott Newark: Oui. Il y a environ un mois, dans cette même salle, j'ai précisément abordé ce sujet devant un groupe d'environ 35 parlementaires.
À propos, l'affaire Sharpe n'en est qu'à ses débuts. Sharpe a été acquitté pour ces chefs d'accusation mais ce n'est pas à cause de la valeur artistique. Le juge avait déjà décidé que le document en question ne préconisait pas des relations sexuelles avec des enfants et ne relevait donc pas de la définition de la loi. Ensuite, il a donné son point de vue sur ce qu'on pouvait considérer comme une valeur artistique. Disons simplement que dans ce domaine, la barre a été placée relativement bas.
En revanche, il y a 18 mois, la Cour suprême du Canada a créé deux autres exceptions en matière de pornographie juvénile, qui n'ont pas encore été concrétisées. L'une d'entre elles est précisément ce dont vous parlez. Il s'agit d'une création qui exprime une opinion. Nous ne savons pas encore comment les tribunaux vont l'interpréter.
La possession personnelle est soumise à certaines restrictions. C'est un cas différent de celui de la radiodiffusion, mais il est certain que si l'on fait monter la barre pour définir ce qui est acceptable, il faut aussi se préoccuper de la façon dont une production est distribuée. Par exemple, le document que possédait Sharpe était sous forme écrite et pouvait être diffusé sur Internet, car il ne s'agissait pas de pornographie juvénile.
¿ (0945)
M. Chuck Strahl: Cela m'amène à ma deuxième question. J'ai lu un article ou j'ai vu une émission à la télévision l'autre jour où on disait que les hommes adultes qui naviguent sur Internet visitent des sites de pornographie 30 p. 00 du temps. Je ne sais pas quel serait le pourcentage pour les adolescents de sexe masculin. Qui sait? Si personne ne les surveille, je suis sûr que le pourcentage est beaucoup plus élevé. Mais s'ils passent 30 p. 100 de leur temps à visiter des sites pornographiques lorsqu'ils naviguent sur Internet—et que je sache, il n'y a rien qui les empêcherait de le faire—quel serait l'impact...?
Est-ce complètement illusoire que de penser que le CRTC peut faire quoi que ce soit? Je n'ai jamais vu de choses pareilles. Je ne regarde pas la pornographie. Je n'en ai jamais vu. Mais je suppose qu'il y a des choses bien pires que ce que nous avons vues. Je ne le sais pas.
La situation est-elle sans espoir? Si on a tous accès à ces choses-là de toute façon, peut-être que les efforts du CRTC pour y mettre fin sont futiles. La pornographie existe et on ne peut rien faire pour l'empêcher. Je ne sais pas. La plupart des amateurs de pornographie ne la trouvent pas à Radio-Canada. Il y a des sources de pornographie beaucoup plus dures.
Mme Priscilla de Villiers: Je suis heureuse que vous ayez soulevé la question, car c'est bien cela notre dilemme. Faut-il tout simplement renoncer à toute tentative de bloquer l'entrée de certaines choses au pays, ou est-ce qu'on refuse de donner notre bénédiction aux produits qu'on juge inacceptables? Si la pornographie continue d'être quelque chose de sournois, de furtif, etc., au moins comme pays, et comme gouvernement, nous prenons une position contre la pornographie. Nous devons indiquer que nous jugeons qu'il s'agit d'un comportement inacceptable. À mon avis, la seule façon de le faire--et votre question portait sur la décision dans l'affaire Sharpe, entre autres--est par voie de réglementation adoptée par le Parlement. Il faut également continuer à dénoncer ce genre de pornographie, tout comme nous l'avons fait dans le cas de la propagande haineuse. Je vois très peu de différence entre les deux; il n'y a aucun mérite artistique.
Je vous encourage donc à dire clairement que ces choses sont inacceptables.
M. Scott Newark: En fait, c'est l'hypocrisie qui m'ennuie le plus. Il existe une disposition législative, mais on semble en faire peu de cas. Je l'ai déjà dit. Dans l'émission de suivi présentée avec The Fifth Estate, la journaliste, Hana Gartner, a demandé aux représentants du CRTC pourquoi ils n'étaient pas au courant de cette situation. Ils ont répondu qu'ils ne pouvaient certainement pas regarder tous les canaux au Canada pour en contrôler le contenu.
J'ai participé à l'émission, que j'ai regardée avec ma fille. Elle m'a demandé, «Pourquoi ne pas chercher dans TV Hebdo, papa?». Autrement dit, personne ne prétend qu'il faut regarder tous les canaux à la télévision. Je parie qu'il n'est pas nécessaire de regarder les canaux consacrés au golf ou au jardinage, par exemple. On sait très bien ce qui sera présenté à ces canaux. Je mentionne en passant que ma fille n'a que 10 ans.
Ce que je tiens à dire, c'est que si nous ne voulons pas appliquer la réglementation, si nous ne voulons pas respecter les principes énoncés dans la loi et le règlement, qu'on le dise et qu'on mette fin à cette hypocrisie.
Je vous dis très franchement qu'à mon avis il ne faut pas abandonner nos efforts. Je pense que nous devons être capables d'empêcher ce genre d'émissions. Je peux vous assurer qu'une des façons d'atteindre cet objectif—car il faut bien se rappeler que les radiodiffuseurs cherchent à faire des bénéfices—c'est de faire appliquer le Règlement. Je soumets respectueusement qu'il faut examiner de près les dispositions du Règlement, car elles sont insuffisantes, puisqu'il a été possible de présenter cette émission sans pénalité.
M. Chuck Strahl: J'adhère tout à fait à votre point de vue: il ne faut pas abandonner. Ce n'est pas ce que j'ai proposé. C'était simplement une façon de parler.
Au fil des années, on a vu comment la publicité télévisée, notamment celle du gouvernement, a pu faire changer les attitudes, par exemple, en ce qui concerne l'alcool au volant, grâce à une campagne à long terme des pouvoirs publics. La société n'accepte plus ce qu'on considérait autrefois comme un comportement normal. Il s'agissait de rentrer chez soi, mais désormais, il y a des barrages routiers. Le comportement de celui qui conduit après avoir bu est désormais jugé socialement inacceptable.
Je suis d'accord avec vous, il va falloir agir. Les parlementaires et l'ensemble du pays vont devoir s'efforcer de mettre un terme aux horreurs dont vous nous avez montré ici un petit échantillon et d'envoyer un message très clair pour signifier que ce genre de chose est inacceptable, même de la part d'adultes.
Je vous signale qu'on a entendu à la Chambre des communes des arguments persistants selon lesquels la violence contre les animaux est parfois le signe avant-coureur d'une violence contre des êtres vulnérables, des personnes âgées, des femmes, des enfants, etc. On peut effectivement prétendre que ceux qui font preuve de violence contre un animal sans défense sont susceptibles d'écarter par la suite toute sensibilité face à la violence contre des personnes ou des groupes sans défense.
Je suis donc d'accord avec vous. Je n'ai pas grand-chose à dire, sinon que c'est effectivement un signe très inquiétant. J'ajoute ma voix à la vôtre. Je n'ai posé cette question que pour la forme. Il faut faire tout ce que nous pouvons pour y mettre fin.
¿ (0950)
Mme Valerie Smith: Je veux simplement dire que nous essayons...
Le président: Madame Smith, on peut donner la parole à Mme Gagnon? Vous pourrez intervenir après elle. Nous risquons de manquer de temps.
À vous, madame Gagnon.
[Français]
Mme Christiane Gagnon: Madame de Villiers, merci de votre témoignage.
Ce n'est pas facile pour vous de parler d'événements aussi tragiques. Ayant moi-même une fille de 30 ans, je sais ce que veut dire avoir peur pour ses filles. Vous pouvez être certaine que le Bloc québécois s'est penché sur la question de la violence à la télévision et sur l'équation entre violence et comportement. Tout le monde n'est pas sensibilisé à cette équation. Comme le disait mon collègue de l'Alliance canadienne, il faudrait sensibiliser la population à cet égard. On le fait pour l'alcool, et on est en train de se rendre compte que nos jeunes ont maintenant des comportements différents face à la conduite automobile et à la consommation d'alcool. Pour ma part, j'appuierai vos initiatives.
Quand mon collègue Bigras a présenté son projet de loi, certaines personnes n'y étaient pas favorables et disaient que c'était une atteinte à la liberté d'action et d'expression. On peut être en désaccord sur cette position. Certaines personnes disent qu'elles peuvent se charger de dire à leurs enfants quelle est la limite entre ce qui est bien et ce qui est mal quant à la violence faite aux femmes ou à la pornographie à l'endroit des jeunes, par exemple. Mais il y a aussi toute la violence contenue dans les émissions où on utilise des armes. On sait qu'en Allemagne, après le crime qui a été perpétré contre de jeunes étudiants et des professeurs, on a trouvé des documents audiovisuels qui établissaient un lien entre le comportement violent de cet individu et le visionnement de certains films. C'était un commentaire d'appui, mais j'ai aussi deux questions.
Vous dites qu'il y a une absence de transparence pour ce qui est de l'utilisation des fonds publics pour financer certaines productions à caractère violent. La Loi sur l'accès à l'information ne vous donnerait-elle pas le droit d'obtenir de l'information à laquelle vous voudriez avoir accès?
Vous dites que le CRTC n'assure pas de suivi sur le type de contenu qui est diffusé. Étant donné qu'on sait que le CRTC donne des licences, mais qu'il n'assure pas par la suite le suivi qui serait nécessaire dans d'autres secteurs d'activités, n'y aurait-il pas lieu d'exercer des mesures de contrôle sur l'ensemble des produits qui sont diffusés par notre système de radiodiffusion?
¿ (0955)
[Traduction]
Mme Priscilla de Villiers: Merci. Vous avez tout à fait raison, il devrait y avoir des mesures de contrôle. Je crois qu'il existe déjà un appareil, appelé TiVo, qui peut surveiller l'ensemble des chaînes pour repérer certains mots clés ou certains sujets clés.
Je pense qu'il faudrait exercer une surveillance. Il faudrait savoir ce qu'on diffuse. Il faudrait savoir ce que l'on réglemente, et appliquer la réglementation. Si on ne le fait pas, il faut le dire clairement aux Canadiens et peut-être qu'alors, on pourra progresser.
Je suis tout à fait d'accord avec vous. Il faut une règle uniforme et une réaction appropriée. Je pense qu'aujourd'hui, il n'est pas concevable de ne pas savoir ce qui circule sur nos ondes, en particulier si on a l'intention d'en réglementer le contenu.
Je ne sais pas si ma réponse vous sera utile. Val en connaît plus que moi à ce sujet.
Mme Valerie Smith: On pourrait, par exemple, faire faire des contrôles au hasard sur les différents réseaux par le CRTC ou par un organisme indépendant, comme l'Université Laval. Ce serait une solution partielle. Si les réseaux savent qu'ils vont faire l'objet d'une surveillance aléatoire, ils feront plus attention. Les codes de l'ACR sont assez bons, mais ils ne sont pas respectés. Des contrôles aléatoires assureraient sans doute un meilleur équilibre.
Vous avez parlé de la transparence et de la liberté de l'information. Je ne sais pas si une demande d'accès à l'information pourrait aboutir, mais je sais que dans l'affaire CINAR, la GRC a eu du mal à obtenir le dossier fiscal de la compagnie. Je ne suis pas certaine qu'elle ait fini par l'obtenir, mais si la GRC ne peut pas avoir accès à ce genre de dossier, c'est sans doute encore bien plus difficile pour le simple citoyen.
Par ailleurs, pourquoi ne trouverait-on pas ces renseignements sur le site Web? Le Fonds canadien de télévision a un site où on devrait les trouver. Ces productions reçoivent des crédits d'impôt, du financement ou de l'argent sous une autre forme. Elles reçoivent notre argent. Nous avons le droit de savoir.
M. Scott Newark: Me permettez-vous d'ajouter quelques commentaires?
Le CRTC peut vérifier le contenu. Je sais que dans un cas au moins, le conseil a imposé des sanctions à un poste de radio d'Ottawa, qui était censé consacrer 50 p. 100 de son temps d'antenne aux succès. Or, le conseil a établi que le poste consacrait aux succès 51,4 p. 100 de son temps. Il lui a donc imposé des sanctions et a réduit son délai prévu pour le renouvellement de sa licence. Cela a fait l'objet d'un article dans le National Post, que je peux vous faire parvenir, si vous le souhaitez.
J'aime bien comparer cette situation à ce qui se passe dans le droit pénal. À une époque, lorsque nous nous demandions comment appliquer les règles d'immigration, nous avons appris que même s'il existait des décrets d'expulsion à l'égard de certaines personnes, on ne faisait pas de distinction de gravité entre ceux qui étaient visés—par exemple, entre les femmes de ménage qui demeuraient trop longtemps au Canada et les personnes qui avaient été condamnées pour des crimes graves. C'est en tout cas ce que nous ont expliqué les agents d'immigration lorsque nous les avons rencontrés. Je leur avais répondu qu'il devait être beaucoup plus facile d'expulser les femmes de ménage restées trop longtemps au pays et un des agents m'a répondu que ce l'était en effet, et que c'était aussi beaucoup plus sûr. Autrement dit, la priorité des gestionnaires n'était pas d'expulser ceux qui étaient plus dangereux que les femmes de ménage, pas plus qu'on ne juge important aujourd'hui de sanctionner ceux qui font des choses beaucoup plus graves que de consacrer 1,4 p. 100 de plus que prévu aux succès.
Il y a beaucoup de bonnes choses que nous pourrions entreprendre avec une bonne loi. Par exemple, il y a beaucoup de pouvoirs discrétionnaires au CRTC et très peu d'obligations. Lorsque tout cela a été porté à son attention, le CRTC avait toute la discrétion pour décider s'il tiendrait ou pas des audiences publiques. Il n'en a pas tenues. Cela vous surprend-il?
On pourrait songer à une loi qui l'obligerait à tenir des audiences lorsqu'il s'agit de tel ou tel type de programmation. Rien ne...
Il avait été démontré que ces gens enfreignaient les conditions de leur licence. Or, quiconque n'a pas de licence est passible, sauf erreur, d'une amende de 200 000 $ par jour pendant toute la durée de l'infraction. D'après ce que l'on a vu de la transcription de l'émission—que nous avons apportée—il faut croire que la chaîne en question a diffusé pendant environ un an. Or, toute infraction aux conditions d'une licence est punissable par voie de déclaration sommaire de culpabilité. Il n'y a ni suspension ni annulation d'office de la licence, pas plus que d'amendes imposées automatiquement. Il n'y a pas non plus de confiscation d'office des profits illégaux.
D'un point de vue de la procédure, il y aurait toute une foule de choses à faire pour s'attaquer au problème et faire en sorte que ceux qui reçoivent les licences se conforment aux conditions prescrites.
À (1000)
Le président: Monsieur Harvard.
Je rappelle aux témoins que nous devons quitter la salle pour 11 heures et qu'il est maintenant 10 heures. Nous devrions peut-être accélérer, pour ne pas léser les autres témoins qui attendent de comparaître.
Monsieur Harvard.
M. John Harvard: Merci, monsieur le président.
D'entrée de jeu, je voudrais dire que mes collègues et moi de part et d'autre de la salle partageons avec les témoins le même sentiment au sujet de la pornographie que nous trouvons répréhensible et répugnante. Comme le disait Mme de Villiers, la pornographie est un véritable fléau pour notre société.
Cela dit, il faut faire preuve de sens pratique et se demander comment nous pouvons lutter contre ce fléau. Nous avons à étudier la loi sur la radiodiffusion. Pour autant que je souscrive à l'évaluation que fait M. Strahl de la pornographie qu'il trouve pernicieuse, je crois inutile d'évoquer l'affaire Robin Sharpe dans notre discussion, puisque nous nous demandons comment faire appliquer la loi sur la radiodiffusion. Que je sache, l'affaire Robin Sharpe n'a rien à voir avec cette loi.
Voici ce que je veux savoir: Sait-on vraiment jusqu'où la Loi sur la radiodiffusion peut s'appliquer à la pornographie? Quelqu'un a-t-il fait des vérifications à ce sujet? Quelqu'un a-t-il jamais cherché à définir la pornographie au titre de la Loi sur la radiodiffusion?
Dans l'affirmative, dans combien de cas, dans combien d'émissions et combien de fois à l'intérieur de certaines émissions peut-on parler clairement de pornographie plutôt que cas limites— peu importe la façon dont on définit ces cas limites—ce qui justifierait que nous débattions de la présence de pornographie sur nos ondes?
Comprenez-vous ce à quoi je veux en venir? Personnellement, à titre de député libéral et de personne libérale, à titre de père et de grand-père, je ne veux rien savoir de la pornographie. Dans un monde idéal, nos ondes ne transmettraient jamais de pornographie. Malheureusement, nous ne vivons pas dans un monde idéal. Mais si je me fie aux types d'émissions que je regarde, c'est-à-dire surtout les actualités et le sport, je ne peux pas vraiment parler de pornographie à la télévision.
Pourriez-vous me dire combien il y a d'émissions pornographiques?
M. Scott Newark: Monsieur Harvard, ceux à qui vous devriez poser la question, ce sont ceux qui justement composent l'organisme que nous avons créé en vue de réglementer les ondes canadiennes, c'est-à-dire le CRTC. Mais c'est une excellente question.
Mais il ne faudrait pas se demander ce qu'est ou ce que n'est pas la pornographie ni quelle est la proportion de pornographie sur nos ondes, par exemple. Nous n'avons pas à débattre des subtilités de ce phénomène. Ce dont nous avons été témoins ce matin, c'est d'une infraction à l'égard des conditions d'une licence publique accordée à un diffuseur, puisque ces conditions établissent un système spécifique...
M. John Harvard: Je ne veux pas vous interrompre, monsieur Newark, mais l'exemple choisi est des plus incendiaires, n'est-ce pas?
M. Scott Newark: Mais rien n'a été fait pour l'empêcher. Cela n'illustre-t-il pas de façon éloquente que nous faisons face à un problème? Ne faudrait-il pas commencer à intervenir sur ce front-là?
Mes ambitions ne sont peut-être pas aussi élevées que les vôtres. Je serais heureux que l'on puisse retirer tout matériel obscène et passible de poursuites au criminel de nos ondes conformément à ce que prévoient les licences publiques, plutôt que de laisser une entreprise faire les profits de 7 millions de dollars par année tandis que mes impôts servent à payer le CRTC. Si celui-ci ne veut pas agir, qu'on l'abolisse et qu'on donne cette somme à l'émission The Fifth Estate.
Mme Priscilla de Villiers: De plus, j'ai lu l'arrêt de la Cour suprême dans l'affaire Butler et il s'applique toujours: on parle de scènes explicites de sexe avec violence, de scènes explicites de sexe sans violence mais au cours desquelles on assujettit des gens à des traitements dégradants et déshumanisants, et de scènes explicites de sexe sans violence qui ne sont ni dégradantes ni déshumanisantes. Dans ce contexte, on définit la violence comme de la violence physique réelle et des menaces de violence physique. Dans l'arrêt de la Cour suprême dans l'affaire Butler, on trouve une définition, et je crois que...
À (1005)
M. John Harvard: Mais pour les témoins, je sais qu'en langage courant, le terme «censeur» a une connotation négative. Les gens disent: «Oh mon Dieu, la censure». Voulez-vous que le CRTC se comporte en censeur?
M. Scott Newark: Pour ma part, je serais satisfait s'il faisait respecter la loi.
M. John Harvard: En d'autres mots, vous dites que la loi existe.
M. Scott Newark: Oui. Je pense qu'on pourrait l'améliorer et que l'expérience de Bell ExpressVu nous montre des pistes d'amélioration.
Je ne plaisante pas. Mes propositions sont quand même assez réalistes: faire respecter la loi qui est déjà en vigueur, tirer des leçons des affaires comme celle-ci afin de pouvoir mieux libeller la loi, et s'assurer que les groupes qu'on autorise et qu'on oblige à faire respecter la loi s'acquittent de leurs devoirs.
Sauf votre respect, je pense que c'est précisément le rôle d'un comité comme celui-ci.
M. John Harvard: Pourquoi ne s'acquittent-t-ils pas de leurs devoirs?
M. Scott Newark: Je crois que la dame à mon extrême gauche est probablement mieux placée pour y répondre que moi.
Entre autres choses, je vous conseillerais de vous demander si la notion d'autoréglementation a marché. À votre place, je me pencherais également sur la composition du CRTC. À mon avis, les deux dames à ma gauche feraient d'excellents membres du CRTC, précisément parce qu'elles n'ont pas d'importants antécédents au sein de l'industrie, bien qu'elles s'y connaissent. J'ai l'impression que cet organisme de réglementation est dominé par l'industrie.
Je vous encouragerais donc à examiner cette question-là.
Le président: Madame Bulte.
Mme Sarmite Bulte (Parkdale—High Park, Lib.): J'ai une petite question. Est-ce que vous représentez le gouvernement de l'Ontario?
M. Scott Newark: Non. C'est un organisme du gouvernement de l'Ontario. Ça s'appelle le Bureau consultatif pour les services aux victimes d'actes criminels. C'est un organisme indépendant et autonome.
Mme Sarmite Bulte: J'ai lu ça. Mais la question que je vous pose est de savoir si vous représentez la position du gouvernement de l'Ontario?
M. Scott Newark: Non.
Mme Sarmite Bulte: Merci.
Le président: Madame Lill.
Mme Wendy Lill (Dartmouth, NPD): Merci beaucoup.
Il y a un mois, Évaluation-médias et plusieurs autres groupes sont venus témoigner de la montée de ce qu'ils appelaient le culte de la haine et de l'intimidation. Ce même thème s'imprègne beaucoup de ce que les jeunes regardent à la télévision et de ce qu'ils trouvent sur Internet.
Je pense que nous sommes tous d'accord avec tout ce que vous avez dit aujourd'hui. J'ai sous les yeux une longue liste de recommandations que vous avez faites, et je me demande, si nous les faisons toutes, est-ce que cela réglera le problème? Vous avez fait des propositions très claires. On dit à n'en plus finir que les organismes d'autoréglementation n'ont pas marché et qu'il faut que l'autorité de réglementation exerce son pouvoir de contrôler les titulaires. Mais on a là une liste assez complète de recommandations. Si nous faisons tout cela, est-ce que tout ira bien? Est-ce que cela réglera tous les problèmes qu'on vit à l'heure actuelle? J'aimerais le savoir. Ce serait merveilleux si c'était aussi simple.
Mme Valerie Smith: Non, ce n'est pas si simple.
Mes recommandations s'adressent uniquement au gouvernement fédéral dans le domaine de la radiodiffusion. Il faut faire beaucoup d'autres choses qui sont du ressort provincial ou municipal.
Si vous voulez aborder les questions juridiques, il faut modifier le Code criminel. Allan Rock a publié un document de discussion. Nous avons tous déposé des mémoires. Rien ne s'est produit. Ceci découle de la recommandation de 1993 concernant l'exploitation injustifiée de la violence. Le Code criminel n'interdit pas les représentations de la violence gratuite. Pourvu que le contexte ne soit pas sexuel, c'est sans restriction. Il n'y a aucun contrôle sur cela.
Ensuite, les provinces doivent faire des lois qui prévoient un système de cotes pour les jeux vidéo. Donc il y a toute une gamme d'autres choses qu'il faut faire. Même là, manifestement, nous ne parviendrons pas à tout régler. Il n'y a pas de solution parfaite, il n'y a que des solutions partielles. Je ne suis pas prête à renoncer à la lutte. Ce que nous essayons de faire, c'est de limiter la distribution. La pédopornographie est disponible sur Internet également, mais pas au dépanneur. Il s'agit donc d'en limiter la distribution.
Mme Wendy Lill: Je suis entièrement d'accord là-dessus.
La question soulevée par l'affaire Bell ExpressVu est intéressante. Vous dites que rien ne s'est produit. Ce n'est plus à l'antenne. Mais rien ne garantit que cela ne repassera pas à l'antenne dans quelques mois, si personne ne surveille. Pas vrai? En effet, on n'y a rien gagné. Est-ce que cela n'a fait que causer une gêne passagère au CRTC? Comment augmenter l'importance de ces situations explosives? Sur le plan politique, comment passer de ces situations-là à des modifications importantes aux lois?
À (1010)
M. Scott Newark: J'ai dit au départ que mes antécédents étaient plutôt dans le domaine de la réglementation, notamment en ce qui a trait aux services correctionnels et à la libération conditionnelle. À mon avis, le mieux qu'on puisse faire, c'est de tirer des leçons de tous ces cas de figure. Je ne plaisantais pas quand j'ai dit que le comité devrait demander aux représentants de Bell ExpressVu de revenir témoigner.
Je dois avouer que je serais prêt à sacrifier un doigt de la main pour pouvoir leur demander s'ils ignoraient vraiment ce qui passait à l'antenne, et combien d'argent ils en ont gagné en réalité. J'aimerais demander au CRTC pourquoi il n'y a pas eu d'audiences publiques sur cela; pourquoi on a choisi, par exemple, de ne pas invoquer la loi en inculpant les titulaires d'inobservation des conditions de leur licence; et pourquoi on ne leur a pas imposé une amende, du moins pour récupérer les bénéfices illégaux.
Les lois ne sont que des outils. Lorsqu'on ne sert pas des outils à sa disposition, les gens concluent qu'on n'en ferait jamais usage, ou bien qu'il est moins probable qu'on en fasse usage.
Le président: Merci beaucoup, Mme Smith, M. Newark et Mme de Villiers. Merci d'avoir comparu.
[Français]
Je voudrais souhaiter la bienvenue à la Société civile des auteurs multimédia, la SCAM, ainsi qu'à la Société des auteurs et compositeurs dramatiques, la SACD. Est-ce que vous êtes les deux seuls ici? Mme Schlittler n'est pas ici?
M. Luc Dionne (président, Société civile des auteurs multimédia (SCAM); représentant, Société ds auteurs et compositeurs dramatiques (SACD)): Mme Schlittler doit revenir d'ici quelques secondes.
Le président: Nous entendrons donc M. Luc Dionne, président du Comité canadien des auteurs, M. Benoît Clermont, avocat de la SACD et de la SCAM, et Mme Elisabeth Schlittler, déléguée générale au Canada.
Allez-y, monsieur Dionne.
M. Luc Dionne: Monsieur le président, mesdames et messieurs les députés et membres du comité, autour d'un souper qu'il organise le 3 juillet 1977, Beaumarchais ainsi qu'une trentaine d'auteurs s'organisent devant l'exploitation outrageuse de leurs oeuvres et jette les bases de ce qui deviendra la Société des auteurs et compositeurs dramatiques. C'est la naissance de la gestion collective du droit d'auteur telle que nous la connaissons maintenant. Aujourd'hui, la SACD compte plus de 28 000 auteurs membres, dont 750 auteurs canadiens.
La Société civile des auteurs multimédia, la SCAM, quant à elle, compte plus de 14 000 auteurs, dont au moins 300 au Canada. Les deux sociétés se consacrent à la défense des intérêts matériels et moraux de scénaristes et réalisateurs qui font profession de créer des oeuvres dramatiques et documentaires. Elles administrent un répertoire de plus d'un million d'oeuvres en concluant des licences d'utilisation des oeuvres de leur répertoire avec des diffuseurs. Elles font également la promotion du droit des auteurs en général.
Au Canada, ces sociétés sont représentées par un comité d'auteurs qui regroupe des pionniers de notre industrie, les Gilles Carle, Jean-Louis Roux, Denys Arcand, Micheline Lanctôt, André Melançon et Guy A. Lepage, pour ne nommer que ceux-là, qui considèrent la défense du droit d'auteur non pas comme une mission, mais comme un droit acquis qu'il faut constamment défendre devant ceux qui, pour des raisons économiques, évidemment, souhaiteraient nous voir disparaître.
De par le rôle que jouent la SACD et la SCAM dans le secteur de l'audiovisuel au Québec et au Canada, leur intervention devant le comité sera nécessairement limitée aux questions liées à l'importance du droit d'auteur dans le système de radiodiffusion canadien. Toutes les questions soumises par le comité dans le cadre de l'étude du système de radiodiffusion canadien sont intéressantes pour les auteurs, et les intervenants comparaissant au nom de la SACD et de la SCAM ont tous des positions personnelles relatives à ces sujets.
À l'instar du système, les membres de la SACD et de la SCAM sont représentés par des syndicats ou des associations professionnelles pour leurs conditions de travail, et par une société de gestion collective pour la gestion de leurs droits. La SCAM et la SACD, en tant qu'acteurs importants des secteurs de l'audiovisuel québécois et canadien, tiennent à souligner leur solidarité avec ces syndicats et ces associations, notamment à l'égard des préoccupations exprimées devant le comité permanent le 16 avril dernier.
La SACD et la SCAM ont par contre tenu à présenter au comité permanent un mémoire traitant presque exclusivement du droit d'auteur afin d'en souligner l'importance dans le système de radiodiffusion canadien et afin de mettre le comité en garde contre ceux qui pourraient soutenir que le développement du système de radiodiffusion au Canada doit se faire aux dépens des créateurs, notamment par une diminution des redevances devant être payées aux auteurs pour l'utilisation de leurs oeuvres dans le cadre du système de radiodiffusion, ou par une diminution du contrôle que peuvent avoir les auteurs sur l'exploitation de leurs oeuvres par l'entremise de leur société de gestion.
À cet égard, on s'inquiète grandement de la charge menée à fond de train par l'Association canadienne des radiodiffuseurs lors de l'audience du 21 mars dernier de ce comité contre les tarifs des redevances du droit d'auteur que les radiodiffuseurs canadiens doivent verser aux créateurs. M. Glenn O'Farrell, président et chef de la direction de l'Association canadienne des radiodiffuseurs, avait déclaré devant vous:
Pour que la concurrence soit efficace, il faut éviter d'accabler de façon disproportionnée les radiodiffuseurs canadiens d'obligations en matière de droits d'auteur. |
La SACD et la SCAM dénoncent les pratiques grandissantes voulant que l'on qualifie de taxes les redevances devant être payées aux auteurs pour l'utilisation de leurs oeuvres. Les redevances de droit d'auteur constituent la rémunération payable à l'auteur pour l'utilisation du résultat de son travail créatif. Elles ne sont pas plus des taxes que ne l'est la rémunération payable par les radiodiffuseurs pour le travail de leurs animateurs ou de leurs techniciens.
Ce matin, le message de la SACD et de la SCAM est simple. Les créateurs fournissent au système canadien de radiodiffusion sa matière première. Son développement ne doit pas se faire aux dépens des créateurs. Les politiques de radiodiffusion au Canada ont traditionnellement tenu compte de la protection du droit d'auteur, et cet objectif doit être maintenu.
À (1015)
Le système canadien de droit d'auteur est riche de deux traditions, celle dite de droit civil et celle inspirée de la common law. La SACD et la SCAM favorisent une conception inspirée de la tradition de droit civil. La place de cette tradition doit être maintenue et encouragée dans le système canadien de radiodiffusion, puisque cette tradition est porteuse de solutions pour une plus grande utilisation des oeuvres, notamment dans le contexte des nouveaux médias.
La coexistence de deux traditions est particulièrement évidente en matière de droit d'auteur, où les concepts anglo-saxons de copyright côtoient ceux issus de la tradition européenne continentale du droit d'auteur, particulièrement dans le système audiovisuel.
En fait, le copyright correspond à une espèce de buyout où le producteur devient le seul titulaire des droits sur l'oeuvre créée sous prétexte qu'il est le principal investisseur. Le système de droit d'auteur continental, tel que défendu par la SACD, permet à l'auteur d'une oeuvre audiovisuelle d'accorder une licence de production et d'exploitation de son oeuvre au producteur, tout en restant associé à l'exploitation future de son oeuvre.
Dans un contexte où Patrimoine Canada s'implique en matière de diversité culturelle au niveau international, la SACD et la SCAM tiennent à rappeler que cet objectif doit également occuper la première place au niveau national. La nouvelle politique en matière de radiodiffusion devra tenir compte de l'existence au Canada de la dualité des systèmes de droit d'auteur et de copyright et devra être conçue de manière à ne pas nuire au développement naturel du système de droit d'auteur dans le secteur audiovisuel, système utilisé de façon prédominante au Québec.
Permettez-moi une simple comparaison. On aura beau devenir propriétaire d'un tableau de Riopelle, Riopelle en restera toujours l'auteur.
Nous recommandons donc au comité de faire en sorte que toute réforme du système de radiodiffusion canadien tienne compte de la dualité des systèmes de droit d'auteur et de copyright et prenne garde de ne pas nuire au développement naturel du système de droit d'auteur, lequel est reconnu au Québec et est porteur de solutions intéressantes pour l'organisation des nouveaux marchés de communication.
La SACD et la SCAM tiennent à rappeler les nombreuses occasions qu'offre le système dit de droit d'auteur pour les créateurs d'ici. Le système de droit d'auteur permet à l'auteur d'une oeuvre audiovisuelle de demeurer associé à l'exploitation de son oeuvre tout au long de la vie de l'oeuvre. Ainsi, par exemple, le scénariste d'une oeuvre audiovisuelle, en n'accordant qu'une licence au producteur de l'oeuvre et non pas une cession complète de ses droits, peut bénéficier d'une rémunération lorsque son oeuvre audiovisuelle est diffusée à la télévision. C'est un peu le principe de l'utilisateur payeur. Les droits pour les exploitations subséquentes de l'oeuvre ne sont pas libérés à la source. Ce système permet au producteur de produire à moindre coût et à l'auteur de bénéficier des succès éventuels de son oeuvre.
Ce modèle est particulièrement intéressant dans le contexte des nouveaux médias, où le financement de certains projets peut être difficile pour le producteur et où le succès immédiat de l'exploitation de l'oeuvre est incertain. Néanmoins, l'auteur demeure en bonne position pour bénéficier des exploitations futures de son oeuvre, qui pourront, selon le succès du développement des nouveaux médias, être intéressantes.
M. Jay Thomson de l'Association canadienne des fournisseurs Internet a d'ailleurs témoigné devant votre comité le 31 janvier dernier et a dit qu'il fallait s'assurer que les créateurs soient indemnisés pour leurs créations qui sont distribuées sur Internet. La SACD et la SCAM se réjouissent de la préoccupation exprimée par M. Thomson et rappellent que le modèle qu'elles privilégient peut être bénéfique autant pour les producteurs que pour les créateurs de contenu dans le contexte des nouveaux médias.
Par ailleurs, le modèle dit de droit d'auteur favorise la SACD et la SCAM, et permet aux auteurs canadiens d'oeuvres audiovisuelles de bénéficier d'une rémunération substantielle lors de l'exploitation de leurs oeuvres dans d'autres pays qui fonctionnent aussi selon un modèle dit de droit civil dans l'audiovisuel, comme la France, la Belgique, la Suisse et le Luxembourg. D'ailleurs, à cet effet, allez parler à des réalisateurs ou à des auteurs qui ont été diffusés en Europe et ils vous répondront avec un grand sourire.
La SACD et la SCAM tiennent également à rappeler que les politiques éventuelles de financement du contenu à être diffusé au Canada, comme les politiques de Téléfilm Canada et du Fonds canadien de télévision, doivent tenir compte de la dualité des systèmes de droit d'auteur au Canada. Ainsi, les politiques de CAVCO prévoient que pour être admissible au Programme de crédit d'impôt, un producteur canadien doit détenir le droit d'auteur sur sa production. C'est ce que vous a confirmé M. Robert Soucy de CAVCO lors de son témoignage devant vous le 29 novembre 2001.
Une telle politique peut inciter les producteurs à conclure avec les scénaristes et les réalisateurs une entente de type buyout, comme c'est monnaie courante dans le système de copyright. Dans les faits, CAVCO accepte de façon plus générale que le producteur ait tous les droits et toutes les autorisations nécessaires à la production et à l'exploitation de l'oeuvre audiovisuelle.
À (1020)
La SACD et la SCAM soumettent que les politiques de ces organismes devraient être conçues de façon telle qu'elles reconnaissent explicitement la dualité des systèmes de droit d'auteur au Canada et la possibilité, pour l'auteur d'une oeuvre audiovisuelle, de demeurer lié aux exploitations éventuelles de son oeuvre.
Les politiques adoptées au cours des ans en matière de radiodiffusion, ainsi que les décisions prises par le CRTC ont historiquement eu un impact sur les créateurs canadiens. À titre d'exemple, les règles de diffusion de contenu canadien ont eu un impact sur l'utilisation, par les entreprises de radiodiffusion, d'oeuvres d'auteurs canadiens et, conséquemment, sur les revenus de ces auteurs: plus leurs oeuvres ont été utilisées par les entreprises de radiodiffusion, plus ces dernières ont versé de redevances de droit d'auteur aux créateurs nationaux.
La SACD mentionne également dans son mémoire les politiques du CRTC relativement à l'introduction au Canada de signaux étrangers et au paiement de compensations pour les droits d'auteur avant l'introduction d'un régime de retransmission au Canada en 1988. Ces exemples démontrent que les politiques de radiodiffusion peuvent avoir un impact positif sur le respect des droits d'auteur des créateurs.
La SACD et la SCAM tiennent à rappeler au comité permanent l'importance de s'assurer que les politiques adoptées en matière de radiodiffusion continueront de tenir compte, dans le contexte de la modernisation des moyens de radiodiffusion, du respect des droits des créateurs, et que ces politiques n'entraveront pas le développement de la diversité des systèmes juridiques canadiens en matière de protection des droits d'auteur.
Nous recommandons donc que le comité permanent rappelle que l'adoption de nouvelles politiques de radiodiffusion au Canada doit se faire dans le respect des droits d'auteur, les auteurs étant à la base de l'existence même du système de radiodiffusion canadien, et que ni le développement des nouvelles techniques de communication ni la mondialisation des marchés ne sauraient entraver ce principe.
Monsieur le président, permettez-moi de terminer sur une note un peu plus personnelle. J'ai, gravé dans ma mémoire, votre émouvant témoignage devant les membres de l'Assemblée nationale, lors du fameux débat sur l'utilisation de la clause nonobstant et l'affichage. J'y étais à titre d'attaché politique. Vous aviez alors déclaré être fier de votre culture et de votre langue. Vous aviez pris à cette époque une décision fort courageuse basée sur vos convictions profondes.
La plus sacrée, la plus légitime, la plus inattaquable, et si je puis parler ainsi, la pluspersonnelle des propriétés, est l’ouvrage fruit de la pensée d’un écrivain... |
Moi aussi, je suis fier de ma langue et de ma culture. Je suis surtout fier de tous ces auteurs qui, depuis des siècles, poursuivent le combat mené par Beaumarchais. Nier leurs droits, c'est nier leur existence même.
À (1025)
Le président: Merci beaucoup, monsieur Dionne.
Nous allons passer aux questions.
[Traduction]
Monsieur Strahl.
M. Chuck Strahl: Merci.
Merci de votre exposé. Je suis d'accord pour dire qu'il faut maintenir un solide système de droit d'auteur, non seulement pour les auteurs, mais également, bien sûr, pour les droits de propriété intellectuelle. Les auteurs en font partie. Tout ce qu'ils ont à offrir, c'est leur produit. Il faut qu'ils en soient rémunérés. Il faut donc trouver les moyens d'assurer cela, et de le bonifier, s'il y a lieu.
L'une des questions dont ce comité est saisi, et dont vous avez parlé dans votre mémoire, c'est le problème lié à Internet. C'est un outil formidable. Mais une fois qu'on y affiche quelque chose, cela échappe à tout contrôle. Parfois, cela fait boule de neige. Cela devient disponible à grande échelle. Parfois, l'auteur n'en est aucunement rémunéré. Le problème ne se limite pas aux auteurs. Parfois, c'est le problème du cinéaste. Parfois, tout le système de radiodiffusion est compromis.
L'une des idées que nous considérons, c'est celle d'une disposition d'exclusion pour Internet, en vertu de laquelle ce serait illégal...on renforcerait les protections et infligerait une peine à quiconque retransmettrait un signal ou une émission sur un site Internet.
Est-ce le genre de choses dont vous vous préoccupez? Est-ce que c'est ce qu'il faut renforcer, est-ce que cela pose vraiment problème?
M. Luc Dionne: Nous nous en préoccupons, mais ça ne peut pas fonctionner, comme le montre l'exemple de Napster. On a fermé le site et dès le lendemain, il y en avait un autre. Pour ce qui est d'Internet et de l'utilisation des documents créés, il faut opter pour le pire scénario, à savoir que tôt ou tard, tout sera disponible.
J'ai appris quelque chose aux nouvelles, la semaine dernière, je crois. On vient d'apprendre qu'il est maintenant possible de commander un film sur Internet pour 3,95 $. On le visionne sur QuickTime, sur RealPlayer ou sur un logiciel de ce genre. La qualité est mauvaise, mais je suppose qu'elle sera bonne d'ici cinq ans. Voilà l'une de nos principales préoccupations. L'année prochaine ou d'ici deux ou cinq ans, on pourra télécharger intégralement les films de Denys Arcand ou Egoyan en toute illégalité.
L'année dernière, à San Diego, il y a eu une réunion de tous les représentants de la Société de gestion des droits d'auteur. Nous disons qu'il faut donner à ces sociétés le temps de s'organiser et d'en venir à des solutions satisfaisantes.
À (1030)
[Français]
Le président: Monsieur Clermont.
Me Benoit Clermont (avocat, Société civile des auteurs multimédia (SCAM), Société des auteurs et compositeurs dramatiques (SACD)): Je voudrais compléter la réponse qu'a donnée M. Dionne à M. Strahl.
La SACD a également exprimé, dans le cadre d'un mémoire déposé au sujet de la réforme de la Loi sur le droit d'auteur, ses préoccupations concernant la retransmission de signaux sur Internet. Elle a alors rappelé au gouvernement que le système de retransmission actuel ne devait pas pour l'instant autoriser la retransmission de signaux par Internet.
Donc, le projet de loi qui a été déposé pour encadrer les critères ou l'application du régime de retransmission par Internet est, pour la SACD, une note positive. Dans la réglementation qui va sans doute être publiée d'ici peu de temps, on va probablement constater qu'effectivement, le gouvernement canadien considère que la retransmission de signaux sur Internet n'est pas couverte par l'exception prévue dans la Loi sur la radiodiffusion. Pour le moment, la SACD s'en réjouit.
Comme le disait M. Dionne, il faut laisser aux sociétés de gestion collective le temps de s'organiser. Tant et aussi longtemps que les sociétés de gestion collective n'auront pas trouvé une façon de gérer la retransmission des signaux sur Internet, il ne faudra pas étendre la licence obligatoire à ce genre de pratique.
Mme Elisabeth Schlittler (délégué générale au Canada, Société civile des auteurs multimédia (SCAM), Société ds auteurs et compositeurs dramatiques (SACD)): Mon intervention sera dans la même veine que celles de MM. Clermont et Dionne. En ce qui a trait à une possibilité d'exception, je vais être un peu plus directe. C'est quelque chose que l'on conteste. Donc, en attendant qu'on trouve les moyens techniques qui nous permettront de travailler en fonction d'une licence ou de quoi que ce soit d'autre, nous nous opposons carrément à tout ce qui est exception. On estime que le gouvernement a fait tout ce qu'il fallait faire pour mettre en place des sociétés de gestion. Conséquemment, tout doit converger vers les sociétés de gestion, indépendamment des progrès qu'elles ont à faire pour arriver à une solution satisfaisante.
C'est tout ce que j'avais à ajouter.
[Traduction]
Le président: Nous allons revenir à vous, monsieur Strahl.
À vous, madame Gagnon.
[Français]
Mme Christiane Gagnon: Merci, monsieur le président.
Dans votre mémoire, vous dites que le comité n'a pas posé de questions détaillées en ce qui concerne le sujet du droit d'auteur et que c'est peut-être une indication d'une méconnaissance de toutes les dimensions du droit d'auteur. Nous n'en connaissons pas toutes les application et toutes les conséquences, mais nous pouvons dire que le droit d'auteur est essentiel à la survie des créateurs et qu'il faut que l'utilisateur paye, comme vous l'avez si bien dit.
J'aimerais comprendre une chose. J'avais posé la question hier à d'autres témoins, mais je vais essayer d'être plus claire aujourd'hui.
Comment la situation que je vais décrire peut-elle limiter les redevances? Par exemple, une station de radio utilise une cassette à des fins de diffusion et cette même station de radio, à des fins de manutention de matériel, transfère le contenu de la cassette sur le disque dur d'un ordinateur, toujours à des fins de diffusion. En quoi les auteurs subiraient-ils un préjudice quant aux redevances dans une telle situation? L'Alliance avait déposé un projet de loi voulant que quand il y a transfert, on n'ait pas à payer une deuxième redevance aux fins de la diffusion.
M. Luc Dionne: Vous parlez sans doute de la copie privée d'enregistrements sonores.
Mme Christiane Gagnon: Dans les stations de radio.
M. Luc Dionne: Je vais passer la parole à mes acolytes, parce que cela relève surtout de la SOCAN, qui est une autre société de gestion collective.
Me Benoit Clermont: D'une part, je pense qu'il faut mentionner ici qu'on est tout à fait hors du champ d'exercice de la SACD. La SACD administre des oeuvres audiovisuelles. Quand on parle du transfert d'oeuvres musicales d'un disque compact à un disque dur d'ordinateur par une station de radio, on parle à 99 p. 100 du sonore, d'oeuvres musicales. Donc, ce n'est pas dans le contexte de l'administration des oeuvres du répertoire de la SACD.
Par contre, je pense qu'il faut tenir compte du fait que dans ce contexte, il y a deux droits distincts. Le droit d'auteur a plusieurs composantes qui sont énumérées à l'article 3 de la Loi sur le droit d'auteur. Parmi ces composantes, il y a un droit de communication au public. C'est le droit administré par la SOCAN. Il y a également un droit de reproduction. C'est un droit qui n'est pas administré par la SOCAN. On parle d'un autre acte ici.
Vous demandez ce que cela enlève à un auteur qu'on fasse passer l'oeuvre d'un support au disque dur d'un ordinateur. Je pense qu'il faut faire attention. Il faut regarder la question par l'autre bout de lorgnette. Pour le radiodiffuseur, cette reproduction a une valeur. Cela diminue sans doute ses coûts de production. Il faut donc se demander pourquoi cette reproduction est faite. Par exemple, est-il normal que la marge de profit du radiodiffuseur soit plus grande quand il utilise un nouveau moyen technique? Finalement, il utilise un droit qui est du ressort exclusif de l'auteur. L'auteur a le droit d'autoriser ou d'interdire la reproduction de son oeuvre. Quand quelqu'un fait une reproduction, il en tire un profit. Est-ce qu'une partie de ce profit ne devrait pas revenir à l'auteur, puisqu'on exerce un de ses droits sans lui en demander l'autorisation au préalable? La question mérite très certainement d'être posée, et je pense qu'il faut la voir sous cet angle.
Puisque ce ne sont pas vraiment des oeuvres qui sont dans le répertoire de la SACD, nous sommes peut-être un peu à côté du sujet, mais je pense qu'il faut regarder la question de ce point de vue. On exerce un droit exclusif à l'auteur. Seul l'auteur a le droit d'autoriser ou d'interdire la reproduction de son oeuvre. On fait une reproduction qui nous permet d'obtenir des revenus plus élevés. Est-il équitable que l'auteur n'en bénéficie pas de son côté? Je pense qu'il faut regarder la question sous cet angle.
À (1035)
M. Luc Dionne: Permettez-moi d'ajouter quelque chose.
On discute aussi de la copie privée, c'est-à-dire du versement d'une certaine compensation à des auteurs ou à des créateurs. Cela existe au niveau sonore. Cela n'existe pas au niveau audiovisuel. Les auteurs d'oeuvres audiovisuelles le réclament depuis des années, et depuis des années on fait la sourde oreille. On ne nous écoute pas et on ne veut pas en entendre parler. Je dois vous avouer que c'est un peu choquant. S'il est assez facile, aujourd'hui, de reproduire un disque de Céline Dion, pour la nommer, il est tout aussi facile de reproduire des oeuvres de Denys Arcand, d'Egoyan et de Melançon, et de les vendre sur le marché noir. Qui est pénalisé en bout de ligne? C'est souvent l'auteur. Et cela s'en vient sur Internet. Au niveau sonore, on a des catalogues complets de compositeurs et de chanteurs. D'ici un an ou deux, on aura des catalogues complets de réalisateurs, de scénaristes, de textes et ainsi de suite.
Mme Christiane Gagnon: Si je vous ai posé cette question, c'est que je voulais voir le lien qu'il y a entre cela et l'audiovisuel. Dans le fond, c'est une question de support. On entre dans l'ère numérique. L'ère numérique nous permet d'avoir accès à d'autres marchés.
M. Luc Dionne: Exactement, mais on part de loin, madame la députée. Dans le sonore, on reconnaît au moins la copie privée. Dans l'audiovisuel, c'est nyet, zéro.
[Traduction]
Le président: À vous, madame Bulte.
Mme Sarmite Bulte: Si vous me le permettez, j'aimerais poursuivre l'argument de Mme Gagnon.
Pourquoi n'y a-t-il pas de reconnaissance de l'audiovisuel? Est-ce parce qu'il n'en est pas question dans la Loi sur le droit d'auteur? Pour moi, tout cela n'a aucun sens. Je vous écoute et je me demande ce qui nous manque ici. Est-ce une lacune dans la Loi sur le droit d'auteur--et c'est ma première question--et dans ce cas, quel changement faut-il y apporter?
J'ai écouté avec intérêt la distinction que vous faites entre la conception continentale... Dans votre mémoire, vous parlez de la conception anglo-saxonne du Copyright et de la conception européenne continentale du droit d'auteur. Comment s'articule-t-elle?
À ma connaissance, la législation sur le droit d'auteur relève du gouvernement fédéral. Je sais qu'en ce qui concerne la perception des redevances, l'exemption des redevances au Québec est différente de ce qu'elle est dans le reste du pays. Expliquez-moi cela. J'aimerais savoir comment les deux lois d'appliquent, car il me semble, d'après mes connaissances en droit, que la loi fédérale devrait avoir préséance. Je ne dis pas qu'il faut qu'elle ait préséance, mais si l'on peut tirer des leçons du principe du droit d'auteur, il faut absolument...
Pouvez-vous nous donner des précisions? Si vous ne pouvez le faire immédiatement, pourrez-vous nous envoyer quelque chose? Est-ce que nous devrions étudier les fondements de la Loi sur le droit d'auteur? Comme vous le savez, le droit d'auteur fait l'objet d'un document de travail. S'agit-il plutôt d'une question de radiodiffusion?
Ma dernière question est la suivante: Les redevances que vous recueillez au nom de vos membres sont-elles perçues ou fixées par la Commission du droit d'auteur?
À (1040)
M. Luc Dionne: En réponse à votre première question, je ne sais pas pourquoi. Vous avez fait référence à la copie privée, c'et ce qui existe en musique, mais cela n'existe pas dans notre cas, et je ne sais pas pourquoi. C'est ce que nous réclamons depuis des lustres. Nous avons écrit plusieurs fois au gouvernement et nous n'avons jamais obtenu de réponse. Cela ne fait pas partie de ses plans et il ne veut pas en parler. Je crois qu'on a accordé à contrecoeur des redevances aux gens de l'industrie musicale, et je pense qu'on ne veut pas ouvrir la porte en faveur de ceux qui travaillent pour le cinéma ou la télévision.
Pour répondre à votre deuxième question, c'est très compliqué, mais je vais essayer de simplifier. La grande différence c'est que dans le cadre de la Loi sur le droit d'auteur, si je signe un contrat en tant que créateur, scénariste ou metteur en scène, j'accepte en général une indemnité forfaitaire. Autrement dit, je cède tous mes droits au producteur en contrepartie d'un certain montant d'argent. C'est la formule canadienne et américaine, avec le droit d'auteur continental. En fait, j'autorise le producteur à produire ce que j'ai écrit ou ce que j'ai mis en scène, et le radiodiffuseur devra payer certains droits au créateur.
Autrement dit, le producteur n'est pas concerné, tout le fardeau repose sur le radiodiffuseur. La différence, c'est que si le producteur fait faillite, je perds tout. Je peux revendiquer mes droits devant la justice, mais c'est long et coûteux. Dans l'autre formule, celui qui utilise une oeuvre doit payer.
[Français]
Cela fait partie d'une rémunération globale.
[Traduction]
Et votre troisième question, pourriez-vous la répéter, s'il vous plaît?
Mme Sarmite Bulte: C'était sur la Commission du droit d'auteur.
M. Luc Dionne: C'est cela.
Non, tout cela est négocié. Il s'agit d'une entente entre le radiodiffuseur et la SACD. Essentiellement, quand on dispose d'un répertoire de plus d'un million d'oeuvres dramatiques, on a un certain pouvoir de négociation.
[Français]
Mme Elisabeth Schlittler: Je voudrais simplement ajouter qu'on a effectivement établi ce système au Québec, mais qu'on ne l'a pas établi à cause de la langue, mais bien parce que le Québec était ouvert à un tel système. Par contre, la SACD a des ententes avec des sociétés d'auteurs canadiennes-anglaises comme la Writers Guild et la DGC. On paie à ces auteurs des redevances pour la diffusion de leurs oeuvres en Europe notamment.
Nous avons une société internationale établie à Montréal. Nous avons réussi à nous établir au Québec et on nous demande de faire la même chose sur les territoires anglophones, parce que c'est un système que les auteurs, qu'ils soient anglophones ou européens, apprécient dans la mesure où ils sont constamment liés à l'utilisation de leurs oeuvres. Après leur mort, c'est leur succession qui en bénéficie. C'est génial.
[Traduction]
Mme Sarmite Bulte: Je suis d'accord avec vous. C'est la formule idéale.
Le président: Madame Lill.
Mme Wendy Lill: Merci beaucoup.
Récemment, j'ai rencontré des auteurs qui s'inquiètent beaucoup de voir que les éditeurs sont désormais considérés comme des coauteurs dans une définition du nouveau règlement sur le droit d'auteur. J'aborde cette question car on voit apparaître toutes sortes de définitions qui risquent d'avoir de graves conséquences pour les créateurs, ceux qui sont véritablement à l'origine des oeuvres.
Je sais que la question des droits voisins est tout à fait essentielle. Personnellement, je considère que les comédiens qui jouent dans une pièce... Si on se met à télédiffuser des pièces de théâtre en tant que contenu canadien, les acteurs et tous ceux qui sont intervenus dans la production de la pièce devraient avoir des droits voisins. C'est mon avis, ce n'est peut-être pas le vôtre.
M. Luc Dionne: Je ne dis pas que je suis d'avis contraire.
Mme Wendy Lill: Je voudrais que vous m'indiquiez les conséquences du droit d'auteur sur... Que pensez-vous des éditeurs qui sont considérés comme coauteurs, si vous connaissez vous-même ce genre de situation, et que pensez-vous des droits voisins? Si on commence à voir des pièces de théâtre à la télévision, quelles seront les conséquences pour le droit d'auteur?
À (1045)
M. Luc Dionne: Si une pièce est présentée à la télévision, c'est sans doute le meilleur scénario. Le domaine est réglementé, et il y a des contrats entre les auteurs, les producteurs et les télédiffuseurs. Ce qui m'inquiète, c'est que tout cela peut finir sur Internet. Qui va en assurer le contrôle? Qui va payer?
Vous avez dit que je n'étais pas d'accord sur les personnes à considérer comme les propriétaires. Ce n'est pas ce que j'ai dit. Les créateurs, qu'ils soient scénaristes, metteurs en scène, acteurs ou autre chose... Nous pouvons bien discuter de ces questions entre nous. Tout ce que je sais, c'est qu'avant il y ait création, on n'a qu'une feuille blanche. Si j'écris quelque chose, cela peut représenter des millions et des millions de dollars. Voilà ce que je fais. Tout ce que je demande, c'est de recevoir ma juste part de cette activité, un point c'est tout.
Mme Wendy Lill: À votre avis, c'est aux sociétés de gestion des droits d'auteur de s'en occuper?
M. Luc Dionne: Oui, je crois.
Mme Wendy Lill: C'est la meilleure façon de rétribuer les créateurs et de s'accommoder des nouvelles technologies, qui apparaissent à un rythme effréné.
M. Luc Dionne: Oui, une véritable société de gestion, un accord entre les sociétés de gestion collective. Je pense qu'il est déraisonnable de croire qu'on puisse empêcher quoi que ce soit sur Internet. Ceux qui nous ont précédés parlaient de ce qui passe à la télévision et du contrôle que peut exercer le gouvernement ou le CRTC sur la télévision. Peut-on imaginer la même chose pour Internet? Internet aura évolué considérablement d'ici cinq ans. On pourra obtenir n'importe quoi, des films, des pièces de théâtre. Qui va contrôler tout cela?
La situation est très complexe. Au lieu de tout miser sur la réglementation d'Internet...
[Français]
Les sociétés de gestion collective s'organisent entre elles, et j'imagine que d'ici quelques années, elles auront des propositions assez concrètes. À ce moment-là, on fera des propositions en conséquence.
Le président: Monsieur Dionne, avant de voir si certains des membres du comité veulent poser d'autres questions, j'aimerais aborder le point suivant. Dans votre mémoire et dans les propos que vous avez tenus ensuite, vous demandiez si notre comité portait assez d'attention à toute la question des droits d'auteur en ce qui a trait à ce qui s'en vient, particulièrement Internet. Je voudrais vous dire que nous en sommes très conscients. Par exemple, nous avons visité, à Vancouver, tout le système de la chaîne Radio 3 de CBC, qui fusionne Internet et radio, Bande à part, à Montréal, et la chaîne de télévision Z, qui fusionne Internet et télévision.
Hier, nous avons eu une longue séance à huis clos avec un expert qui nous a expliqué comment, dans l'avenir, Internet et tout le système audiovisuel se fusionneraient. En réalité, on essaie de se renseigner le plus tôt possible sur les possibilités que nous réserve l'avenir. Comme vous le dites, c'est facile de déclarer qu'on va contrôler tout cela, mais dans la pratique, c'est très difficile. En fait, certains nous ont recommandé de contrôler ce que les gens reçoivent, mais c'est presque impossible. Mais la diffusion du processus parmi les distributeurs, c'est une autre histoire. C'est pourquoi on reste en contact avec le ministère du Patrimoine canadien pour surveiller l'évolution de ce qu'ils appellent la troisième phase de la Loi sur le droit d'auteur, qui porte sur le copyright. C'est sûr que nous n'allons pas tout régler ici par l'entremise de la Loi sur la radiodiffusion; ce n'est pas du tout notre mandat. Nous sommes toutefois conscients qu'il doit se créer une relation et une conjonction entre les deux. Alors, on surveille de très près ce qui se passe au sein du ministère concernant l'évolution de la Loi sur les droit d'auteur (copyright).
À (1050)
M. Luc Dionne: Je suis parfaitement d'accord avec vous. En fait, la troisième phase de la révision de la Loi sur le droit d'auteur est une de nos priorités. On y comptait et on y compte encore beaucoup. Ce serait peut-être là une occasion pour nous de défendre les tarifs sur la copie privée, auxquels nous accordons une grande importance. Évidemment, encore une fois, on parle d'une forme de rémunération qui se pratique beaucoup en Europe, et dont certains auteurs et créateurs canadiens bénéficient. Malheureusement, on ne peut pas offrir l'équivalent aux auteurs et créateurs européens. C'en est presque gênant.
Ce matin, nous voulions surtout aviser les membres du comité qu'il existe au Canada deux systèmes de droit. Chez nous, c'est le système de droit d'auteur continental qui est utilisé, et nous espérons que la réglementation qui sera adoptée en matière de radiodiffusion tiendra compte de ces deux réalités. Pour nous, c'est primordial.
Vous parliez de contrôle du serveur. En ce qui me concerne, je ne me fais guère d'illusions. Je travaille beaucoup sur Internet, étant donné que j'écris pour la télé et que je dois faire de la recherche. Or, sans le vouloir, j'ai visité à peu près tous les casinos virtuels de la planète, parce qu'on me bombarde de casinos virtuels à toutes les 30 secondes. Il y a des hyperliens qui se croisent, et je me retrouve involontairement à certains endroits. Si, aujourd'hui, on n'est pas encore capable de contrôler cela, qu'est-ce qu'on sera capable de contrôler demain ou dans cinq ans?
Enfin, une chose qui m'inquiète un peu est l'utilisation qu'on fera des oeuvres de nos créateurs d'ici. Avec les gros conglomérats qui existent aujourd'hui, est-ce qu'en signant un simple contrat de scénarisation avec une grosse maison de production, je ne risque pas de voir mon oeuvre trafiquée sur Internet, et qu'une copie de mon scénario se retrouve sur Internet parce que j'aurai cédé certains droits à un producteur? D'autres conglomérats sur Internet pourraient s'approprier une partie de mon oeuvre et l'adapter pour en faire un genre de téléroman virtuel. Tout est possible. Je me répète qu'on doit se préparer au worst-case scenario et composer avec cela.
[Traduction]
Le président: Monsieur Strahl, vous pouvez poser une question supplémentaire.
M. Chuck Strahl: Dans le mémoire, sur lequel je reviendrai tout à l'heure, vous évoquez l'importance des règles actuelles sur le contenu canadien.
Nous avons recueilli le témoignage du président de Vision TV, qui formule une nouvelle proposition sur le contenu canadien. Il estime qu'il faudrait demander aux radiodiffuseurs d'assumer ce qu'il appelle «le niveau de fondation» de la programmation—c'est tout le contenu canadien, et on fait intervenir les organismes à but non lucratif, en insistant fortement sur le contenu canadien pour essayer d'améliorer l'image canadienne du Canada pour les Canadiens—et il faudrait libérer les radiodiffuseurs commerciaux.
À cause de la mondialisation, ils ne pourront pas faire face à la concurrence si on leur demande de diffuser une forte proportion de contenu canadien aux heures de grande écoute. Quand on est en concurrence avec Friends, on a peu de chance de réussir. Il estime donc qu'on doit en tenir compte et insister différemment sur le contenu canadien, en proposant des chaînes qui soient plus exclusivement canadiennes.
À (1055)
M. Luc Dionne: Dans votre exemple, quelles seront les chaînes plus exclusivement canadiennes?
M. Chuck Strahl: Je suppose qu'il pensait que sa chaîne est exclusivement canadienne. Je lui ai demandé qui choisissait les émissions programmées. Selon son argumentation, on ne peut pas lutter contre la mondialisation. L'univers audiovisuel compte désormais un million de chaînes. Si on veut que Global TV fasse concurrence à CBS et que chacun ait accès à tout, grâce au marché gris, au marché noir ou à ExpressVu, la situation est sans espoir. On ne peut plus exiger le même contenu canadien aux heures de grande écoute sur les réseaux commerciaux, et il faut donc changer de point de vue à ce sujet.
Que pense votre organisme du contenu canadien? Est-ce qu'il doit rester le même? Est-ce qu'il faut le renforcer, le modifier, ou...?
M. Luc Dionne: Le Comité canadien des auteurs n'a jamais pris position à ce sujet. Si vous me demandez ce que j'en pense personnellement, je suis tout à fait en désaccord avec vous, ou du moins, avec celui dont vous parlez. J'ai oublié son nom.
Je ne vois pas pourquoi nous ne pourrions pas concurrencer le contenu américain. Les Américains sont-ils plus intelligents ou meilleurs que nous?
Je comprends qu'il est difficile de concurrencer CBC, ABC, NBC ou même un canal anglophone, dans mon cas, mais je pense que cela n'a rien à voir avec le contenu canadien. C'est une question de mode de financement de la télévision au Canada. C'est tout à fait différent.
Je ne pense pas que la solution consiste à garder une forme de télévision destinée aux téléspectateurs canadiens en plus d'une autre forme de télévision qui pourra concurrencer ABC à l'échelle mondiale. Je n'y crois pas. Ce n'est pas une question de contenu canadien, c'est une question de talent canadien.
[Français]
Le président: Merci beaucoup, monsieur Dionne, monsieur Clermont et madame Schlittler. Nous vous remercions de nous avoir parlé et de nous avoir éclairés sur votre position avec beaucoup de passion.
[Traduction]
La séance est levée.