Monsieur président, mesdames et messieurs les membres du comité —
[Français]
merci de votre accueil.
[Traduction]
Merci d'avoir présenté mes collègues, monsieur Mayes.
Comme c'est l'institution nationale du Canada en matière de droits de la personne, il importe que la Commission canadienne des droits de la personne communique bien avec le Parlement, et c'est pourquoi je me réjouis tant, moi qui entame à peine mon mandat — c'est ma troisième semaine à titre de présidente — d'avoir l'occasion de comparaître devant vous pour traiter d'une question aussi fondamentale pour les droits de la personne que l'abrogation de l'article 67.
Je vais m'attacher à cinq questions principales, que voici.
Premièrement, disons que la Commission est d'accord pour que l'article 67 soit abrogé. L'abrogation de l'article est une chose qui aurait dû être faite il y a longtemps. C'est un article qui a tous les jours des effets défavorables bien réels sur les gens. Il faut l'abroger dès maintenant. Nous nous réjouissons au plus haut point du dépôt en chambre du projet de loi C-44. Nous souhaitons qu'il soit édicté dès que possible.
Deuxièmement, la Commission propose que soit créée une disposition d'interprétation qui permettra de s'assurer que la Loi canadienne sur les droits de la personne est interprétée d'une manière qui permet d'atteindre un juste équilibre entre les droits individuels et les droits et intérêts collectifs des Autochtones.
Troisièmement, nous faisons valoir que la période de transition devrait être d'une durée plus longue que les six mois proposés dans le projet de loi.
Quatrièmement, nous avançons que la Commission et les premières nations doivent toutes deux être munies des ressources nécessaires pour que la mise en oeuvre de l'abrogation se fasse correctement.
Cinquièmement, j'aimerais apporter quelques précisions sur le mandat général de la Commission en tant que gardienne des droits de la personne.
Je vais maintenant exposer plus à fond chacune des cinq grandes questions dont j'ai parlé.
[Français]
Le point n° 1 porte sur l'urgence de l'abrogation. Pourquoi l'abrogation est-elle si urgente? La Loi canadienne sur les droits de la personne a été adoptée il y a 30 ans. L'objet de la loi intéresse vivement les Canadiens et les Canadiennes. Il est libellé comme suit :
2. La présente loi a pour objet de compléter la législation canadienne en donnant effet [...] au principe suivant : le droit de tous les individus dans la mesure compatible avec leurs devoirs et obligations au sein de la société, à l'égalité des chances d'épanouissement et à la prise de mesures visant à la satisfaction de leurs besoins, indépendamment des considérations fondées sur la race, l'origine nationale ou ethnique, la couleur, la religion, l'âge, le sexe, l'orientation sexuelle, l'état matrimonial, la situation de famille, la déficience ou l'état de personne graciée.
Les droits consacrés par la loi, le droit d'être à l'abri de toute discrimination et, s'il y a discrimination, d'obtenir réparation, sont fondamentaux pour notre citoyenneté. Dans la vie quotidienne, cela signifie que lorsqu'un Canadien estime qu'un employeur régi par le gouvernement fédéral ne l'a pas embauché en raison de sa race, il peut demander réparation. Lorsqu'une personne en fauteuil roulant ne peut entrer dans un édifice parce qu'il n'y a pas de rampe, il y a un mécanisme de recours pour que cet obstacle soit supprimé. Lorsqu'une femme subit du harcèlement sexuel dans son emploi, elle peut demander à un organisme compétent d'examiner la question. Lorsqu'un Canadien estime qu'une loi fédérale constitue une discrimination à son endroit ou à l'endroit de gens comme lui, il peut contester la validité de cette loi.
La Loi canadienne sur les droits de la personne ne revêt pas cette signification pour un grand nombre de citoyens autochtones. À cause de l'article 67, la loi et sa noble intention ne s'appliquent pas à eux.
L'abrogation est urgente parce qu'attendre 30 ans que les droits de la personne soient respectés, c'est trop long. Pourtant, les membres des premières nations attendent depuis tout ce temps que leurs droits soient reconnus. À cause des 22 mots ajoutés à la toute fin de la Loi canadienne sur les droits de la personne en 1977, ils n'ont souvent aucun moyen à leur disposition pour demander que leurs préoccupations en matière de droits de la personne soient prises en compte.
L'article 67 a des répercussions concrètes et importantes dans leur vie quotidienne. L'abrogation de l'article 67 pourrait avoir une incidence positive sur plus de 460 000 personnes vivant dans 600 communautés. La Commission canadienne des droits de la personne a demandé l'abrogation de l'article 67 avec persistance. Nous sommes heureux de constater que, malgré les divergences de vue sur la meilleure manière d'effectuer l'abrogation, le gouvernement, les membres de votre comité, l'Assemblée des Premières Nations, l'Association des femmes autochtones du Canada et d'autres intervenants partagent tous l'avis de la commission sur la nécessité d'abroger l'article 67.
[Traduction]
La deuxième question sur laquelle je veux insister, c'est la nécessité d'adopter une disposition d'interprétation. J'approfondirai quelque peu la notion.
La nécessité d'adopter une disposition d'interprétation relève d'un domaine important où les divergences de point de vue ont été exprimées. Or, le projet de loi C-44 passe cela sous silence. Nous soumettons respectueusement que ce ne devrait pas être le cas.
Les membres des premières nations et leurs communautés ont une histoire unique et un statut particulier dans le système constitutionnel et juridique du Canada. Leurs droits ancestraux et issus de traités sont affirmés dans la Constitution. De même, ils ont été confirmés progressivement par les tribunaux et sont reconnus par les gouvernements de tous ordres. À notre avis, il est impératif d'adopter une disposition d'interprétation pour que s'applique le droit inhérent à l'autonomie gouvernementale. De même, c'est un élément fondamental pour mettre sur pied un système approprié de recours en cas de violation des droits de la personne chez les premières nations. Une disposition d'interprétation permettrait de s'assurer que les demandes individuelles sont étudiées à la lumière de droits et d'intérêts collectifs légitimes.
De nombreux observateurs s'entendent sur la nécessité d'adopter une disposition d'interprétation, mais la façon d'y arriver fait l'objet de divergences. Certains ont proposé qu'une disposition d'interprétation soit ajoutée au projet de loi C-44. Dans son rapport spécial sur l'article 67, intitulé Une question de droits, la Commission recommande l'élaboration d'une disposition d'interprétation à la suite de l'abrogation de l'article 67, de concert avec les premières nations, de façon à permettre le dialogue, l'analyse et l'examen qui s'imposent sans retarder indûment l'abrogation de l'article.
Aujourd'hui, la Commission souhaite recommander une troisième solution qui, à notre avis, tire le meilleur parti des deux approches. Nous proposons que le projet de loi C-44 soit modifié de manière à inclure deux articles.
Premièrement, il y aurait une déclaration du principe selon laquelle la Loi canadienne sur les droits de la personne devrait s'appliquer aux premières nations d'une manière qui permet de concilier les droits individuels et les droits et intérêts collectifs.
Deuxièmement, la Commission se verrait donner pour mandat d'élaborer, par un dialogue avec les premières nations et d'autres intervenants, l'instrument approprié pour appliquer le principe d'interprétation des affaires relatives aux droits de la personne. Pour y arriver, on pourrait soit réglementer, soit invoquer les pouvoirs que lui confère le paragraphe 27(2) de la Loi canadienne sur les droits de la personne. Selon le paragraphe 27(2), la Commission est habilitée à préciser la manière dont la loi s'applique à une catégorie de cause donnée.
Quels pourraient être les instruments d'une telle déclaration de principe? L'objectif consisterait à articuler clairement l'équilibre à atteindre sans rétablir indirectement les effets que l'abrogation est censée éliminer. Cela est tout à fait conforme aux recommandations du comité de révision de la Loi canadienne sur les droits de la personne, qui avait à sa tête l'ancien juge en chef de la Cour suprême, Gérard La Forest. Il en est question dans le rapport de 2000 du comité de révision en question, intitulé La promotion de l'égalité : une nouvelle vision.
Troisième point à débattre: la durée de la période de transition. La durée de la période de transition représente une autre question ayant fait l'objet de divergences d'opinion. La commission est d'avis que la période de six mois ne lui suffit pas, à elle et aux premières nations, pour se préparer à l'abrogation. Les défis que représente la mise en oeuvre sont vastes, même s'ils ne sont pas impossibles à relever. Un degré élevé d'engagement et de dialogue entre les premières nations et la Commission est souhaitable du point de vue de la gestion de la mise en oeuvre.
Il ne s'agit pas simplement d'abroger l'article puis d'accueillir les plaintes dans le cours normal des choses à la Commission. Suivant les approches modernes de gestion des conflits, il importe que les processus de plaintes reposent sur de solides assises et qu'ils constituent néanmoins un dernier recours. Notre loi est conforme à cette idée et encourage les parties en cause à régler leurs différends dans leur propre milieu, avant de s'adresser à la Commission.
Pour que l'article 67 puisse bien être abrogé, il faut absolument que les gens puissent recourir à des régimes locaux pour résoudre les conflits et obtenir réparation. Indépendamment de ce que fait la Commission pour modifier ces procédés afin de tenir compte de la situation et des circonstances uniques des premières nations — et la Commission a l'intention de faire cela, justement —, il est toujours préférable que les conflits relatifs aux droits de la personne se règlent dans la collectivité et dans le milieu de travail où ils se produisent, dans le respect des cultures présentes. Pour que cela puisse se faire, la Commission et les premières nations doivent s'engager dans un processus marqué par l'appréciation d'autrui qui consiste à écouter et à apprendre, à imaginer et à concevoir, et, enfin, à mettre en oeuvre et à réaliser un nouveau système intégré de gestion des conflits et des droits de la personne pour les premières nations, d'après des principes fondamentaux qui peuvent être adaptés aux besoins des collectivités, des cultures et des traditions différentes qui entrent en jeu.
Il importe de faire voir que nous n'envisageons pas qu'une simple démarche interne pour les plaintes. Les mécanismes officiels de règlement de conflits, s'ils sont importants, devraient néanmoins constituer une petite partie d'un système global qui ferait une grande place à la prévention et à l'éducation. Il y a là un potentiel énorme : nous pourrions mettre en place un système qui a pour premier élément une structure de règlement des différends qui prévoit de multiples options à cet égard et qui est lié à un autre ensemble de procédés et de pratiques situés pour ainsi dire en amont — la prévention de la discrimination, et l'éducation. Les principes fondamentaux à concevoir doivent avoir pour but de favoriser une culture qui fait du règlement des différends un élément constitutif de la création de collectivités et de lieux de travail inclusifs et productifs.
Grâce à l'établissement de systèmes intégrés de gestion des conflits et des droits de la personne, les citoyens des premières nations seront à même de mieux comprendre les droits qu'ils possèdent et la manière de les exercer, les gouvernements des premières nations seront mieux placés pour apprécier les droits qu'ils sont appelés à promouvoir et à respecter, et toutes les parties seront mieux en mesure de travailler ensemble afin de prévenir la discrimination et de résoudre les plaintes relatives aux droits de la personne.
Les premières nations comptent déjà sur des systèmes de règlement des différends, notamment les pratiques traditionnelles comme le cercle de guérison et la sanction communautaire. Nous honorons et respectons les pratiques en question. Nous avons beaucoup de choses à apprendre des premières nations. L'avenir sera instructif.
Il faudra du temps pour réaliser tout cela. De fait, c'est un processus permanent. Voilà pourquoi la Commission croit qu'il faut absolument prévoir une période de transition plus longue pour que le processus ait un bon point de départ. À nos yeux, le temps qu'il faut à cet égard et le temps qu'il faut pour mettre au point une disposition d'interprétation sont tels qu'il y a lieu de prévoir au minimum 18 mois. Au mieux, c'est une période allant jusqu'à 30 mois qui serait prévue.
[Français]
Le point n° 4 porte sur les ressources. Je tiens à dire clairement qu'il faut absolument veiller à ce que les premières nations, tout comme la commission, disposent des ressources nécessaires pour assurer le succès de l'application. Peu importe à quel point une disposition interprétative est bien libellée ou quelle que soit la durée de la période de transition, sans les ressources pour renforcer les capacités requises, on ne pourra pas réussir l'application. Et sans ces capacités, l'application risque d'être très difficile, ce qui discréditerait la Loi canadienne sur les droits de la personne. Personne ne veut que cela se produise.
Les premières nations disposent de ressources financières et humaines limitées et doivent régler quotidiennement des problèmes pressants. À l'heure actuelle, bon nombre d'entre elles n'ont pas les moyens de prendre part au type de dialogue appréciateur ni à la méthode de résolution des problèmes axée sur la collaboration dont je viens de parler. Elles n'ont pas non plus les moyens d'élaborer des mécanismes internes de recours et de règlement alternatif des différends. C'est pourquoi la commission accueille favorablement la déclaration faite par le ministre Prentice devant le comité, comme quoi il aimerait connaître le point de vue de ce dernier sur les répercussions opérationnelles de l'abrogation sur les communautés des premières nations.
Le gouvernement a déjà indiqué qu'il fournirait des ressources à la commission pour lui permettre de s'acquitter de ses responsabilités élargies au moment de l'abrogation. Nous lui en sommes reconnaissants. Si le Parlement devait accroître les responsabilités de la commission au-delà de celles prévues dans le projet de loi actuel, nous aimerions évidemment discuter avec le gouvernement des effets de tels changements, car nous aurons alors besoin de ressources additionnelles pour les exercer.
[Traduction]
Cinquièmement, il y a le mandat de la Commission. En dernier lieu, je veux préciser le fait que le mandat de la Commission va bien au-delà de la tâche qui consiste à examiner et à régler les plaintes relatives aux droits de la personne. La loi fait de la Commission le gardien des droits de la personne par les vastes pouvoirs qui lui sont conférés pour qu'elle veille à une mise en oeuvre efficace des droits de la personne dans le champ d'action fédéral.
Organisme créé par une loi et doté d'indépendance face au gouvernement et à d'autres parties, la Commission joue et continuera de jouer un rôle de premier plan dans le domaine des droits de la personne en encourageant constamment toutes les autres organisations sous sa coupe à aspirer à l'excellence en ce qui concerne la promotion et la protection des droits de la personne, au profit de tous les Canadiens, conformément à notre loi. C'est dans le cadre de l'exercice de ce mandat que la Commission a produit en 2005 le document Une question de droits, afin d'attirer l'attention des Canadiens sur ce qu'elle tient pour une faille énorme dans le paysage de nos protections en matière de droits de la personne.
En particulier, l'article 27 prévoit que la Commission peut étudier les recommandations, propositions et requêtes qu'elle reçoit en matière de droits et libertés de la personne, ainsi que les mentionner et les commenter dans un rapport.
Nous pouvons faire des études sur les droits et libertés de la personne que nous demande le ministre de la Justice et inclure dans un rapport les conclusions et recommandations voulues.
Nous pouvons examiner les règlements, règles, décrets, arrêtés et autres textes établis en vertu d'une loi fédérale et les commenter dans les cas où nous les jugeons incompatibles avec la disposition énonçant notre objet, soit l'article 2.
Et nous pouvons, par tous les moyens que nous estimons indiqués, empêcher la perpétration d'actes discriminatoires.
Dans le cadre de la mise en oeuvre de l'abrogation de l'article 67, la Commission appliquera ces pouvoirs au besoin afin d'attirer l'attention sur les progrès réalisés et les obstacles pouvant se présenter. Par exemple, elle peut décider, après un certain temps, de produire un rapport spécial sur le processus de mise en oeuvre.
Le gouvernement et les premières nations peuvent aussi demander que la Commission exerce un des quatre mandats énoncés plus haut, que lui confère la loi, afin qu'elle travaille de concert avec eux à la délimitation des conséquences opérationnelles de l'abrogation, tâche à laquelle nous pouvons apporter la vaste expérience que nous possédons quand il s'agit de traduire en actions les principes inhérents aux droits de la personne.
En guise de préparation, nous nous appliquons à renforcer nos liens avec les premières nations. Nous avons établi en septembre 2006 un programme national des Autochtones, dont Mme Helgason est la directrice et qui a son siège à Winnipeg. Le programme a pour but de diriger et de coordonner les travaux permanents dans le dossier. Le programme des Autochtones bénéficie de l'appui d'agents de la Commission ayant une expertise dans des domaines comme l'élaboration des politiques, l'analyse juridique, les communications, le traitement des plaintes, le règlement extrajudiciaire des conflits et les systèmes de gestion des conflits.
En résumé, nous recommandons au législateur d'abroger immédiatement l'article 67; d'inclure dans la loi une déclaration de principe d'ordre général décrivant la nécessité de trouver un juste équilibre entre les droits individuels et les droits et intérêts collectifs des communautés autochtones; et de donner à la Commission le mandat qui consiste à élaborer un instrument approprié à cet égard; d'adopter une période de transition de 18 à 30 mois; et de munir la Commission des ressources nécessaires pour soutenir la mise en oeuvre.
C'est dès maintenant qu'il faut agir. Nous sommes tous d'accord sur ce point. Si notre imagination et notre capacité de coopérer sont mis à contribution, la Commission croit bien que l'abrogation peut se faire dans de brefs délais. Et, avec l'abrogation, nous allons tracer collectivement un chemin nouveau et bâtir collectivement un système des droits de la personne pour les premières nations qui honore et respecte les droits ancestraux et issus de traités, et qui accorde à tous les peuples et gouvernements des premières nations la dignité et le respect auxquels ils ont droit.
À la Commission, nous nous réjouissons d'avoir cette occasion unique de travailler de concert avec les premières nations, leurs gouvernements, les peuples des premières nations et leurs organisations, ainsi qu'avec le gouvernement du Canada et le Parlement, en vue de créer ensemble le meilleur avenir qui est ainsi envisagé.
Nous sommes tous disposés à répondre à vos questions. Le commissaire Langry, responsable du portefeuille, et moi-même allons diriger pour ainsi dire les réponses.
Merci.