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Je déclare ouverte cette réunion du Comité permanent des affaires autochtones et du développement du Grand Nord du jeudi 26 avril 2007.
Chers membres du comité, vous avez l'ordre du jour sous les yeux. Nous poursuivons notre examen du projet de loi .
Nous accueillons ce matin du ministère des Affaires indiennes et du Nord canadien M. Daniel Watson, sous-ministre adjoint principal, Politiques et orientation stratégique; et M. Daniel Ricard, directeur général, Direction générale de la gestion et du règlement des litiges.
Du ministère de la Justice, nous accueillons Christine Aubin, conseillère juridique, Section des opérations et des programmes, Unité des services juridiques.
Plus tard, du Congrès des peuples autochtones, nous recevrons les témoignages de Patrick Brazeau, chef national.
Le comité souhaitait que ces témoins comparaissent en même temps, et par conséquent, il n'y aura pas de pause et nous essaierons de profiter au maximum du temps disponible. Je vous dis cela parce que je ne voulais pas que certains trouvent préoccupant que nous recevions en même temps les fonctionnaires du ministère et M. Brazeau — je voulais simplement que vous le sachiez.
Les représentants du ministère des Affaires indiennes et du Nord canadien et du ministère de la Justice n'ont pas d'exposés liminaires à faire, et nous allons donc ouvrir immédiatement la période des questions.
M. Brazeau arrivera un peu en retard; il a dit qu'il serait là vers 11 h 15 ou 11 h 20. Si vous êtes d'accord, je vais donner la parole à M. Brazeau, dès son arrivée, pour faire son exposé. Si les membres du comité sont d'accord, nous pourrons ensuite continuer jusqu'à la fin.
Des voix: D'accord.
Le président: Je vous remercie.
Nous allons donc commencer par les questions qui s'adressent aux représentants ministériels.
Bienvenue, et merci à vous tous de votre présence.
Monsieur Bagnell.
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Je présume que vous vous êtes préparés, que vous avez lu le compte rendu du premier débat et que vous êtes donc au courant des préoccupations soulevées par d'autres témoins.
Comme mon collègue vient de le dire, un certain nombre de points ont été soulevés par les témoins et par nous-mêmes, dans nos discours, du moins de ce côté-ci de la Chambre. Je voudrais donc vous donner l'occasion de nous indiquer des changements qui vous semblent éventuellement souhaitables ou de défendre votre position par rapport à ces différents éléments.
Je n'ai pas sous les yeux le texte du discours que j'ai prononcé lors du débat, mais je me rappelle que ces éléments étaient les suivants : premièrement, les peuples autochtones affirment qu'il n'y a pas du tout eu de consultations récentes au sujet de cette initiative; deuxièmement, comme les représentants de la Commission du droit nous l'ont fait savoir hier, il devrait y avoir une disposition de dérogation afin de garantir, étant donné que cette question est aussi délicate, que les droits ne sont pas violés; troisièmement, il conviendrait de prévoir un plus long délai de mise en oeuvre, puisqu'il s'agit d'une situation particulièrement difficile, afin de permettre aux gens de s'y adapter progressivement; et mon dernier point concerne une disposition d'interprétation.
Si mes autres collègues ont à l'esprit d'autres éléments importants… De plus, à titre de corollaire, pourriez-vous me dire si vous prévoyez de faire de la formation et de prévoir et d'affecter des ressources?
Il est évident que les conseils de bande qui n'ont pas l'habitude de cette situation pourraient provoquer toutes sortes de plaintes et de procédures judiciaires contre eux-mêmes, s'ils ne reçoivent pas la formation requise. Il s'agirait de leur assurer cette formation comme mesure préventive. Deuxièmement, il leur faudra des crédits pour aller devant la justice et de la formation au préalable, pour qu'ils ne soient pas obligés — c'est ce qu'on espère — d'aller devant les tribunaux.
Avons-nous reçu d'autres plaintes importantes de la part des témoins? Il me semble avoir mentionné les points les plus importants. Je vous invite donc à y répondre, puisque vous êtes certainement bien préparés et au courant de ces arguments… Si je ne m'abuse, les membres de l'opposition et les témoins étaient essentiellement d'accord pour dire que ces éléments posent problème. Selon moi, il existe des solutions, mais je voudrais entendre vos réactions.
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Je vous remercie de me donner l'occasion de comparaître devant vous aujourd'hui et de répondre à vos questions.
Peut-être pourrais-je aborder chacun de ces points par ordre inverse et vous donner certains renseignements complémentaires relativement aux questions posées la dernière fois, lorsque nous avons comparu devant le comité avec le ministre.
Pour ce qui est de notre réflexion, notamment au sujet de l'impact que cela pourrait avoir sur les collectivités, il y a un certain nombre de points qu'il convient de se rappeler, et voilà ce que nous avons fait en examinant les différents scénarios.
D'ailleurs, il existe déjà certaines connaissances et une certaine expérience par rapport à ce phénomène. Ce n'est pas quelque chose de tout à fait nouveau. Malgré l'article 67, la Loi canadienne sur les droits de la personne a toujours visé certains aspects des activités et du travail des premières nations jusqu'à présent. Nous croyons savoir qu'il y a entre 35 et 50 dossiers à traiter chaque année, par rapport à diverses questions, aux termes de la LCDP, par conséquent, ce n'est pas comme si nous passons d'une situation où la Loi ne s'appliquait à aucun aspect de la vie ou des activités des premières nations à une situation où elle s'applique à tout ce que font ces dernières. Nous avons certaines données de référence à cet égard. À ce chapitre, je pensais qu'il serait bon qu'on passe en revue un certain nombre d'éléments.
À l'heure actuelle, la CCDP reçoit chaque année environ 60 plaintes émanant des premières nations. Ces données sont le fruit des recherches que nous avons menées avec la Commission, plutôt que des données ministérielles. Bien sûr, les gens peuvent déposer une plainte, et selon la procédure, c'est à la Commission de déterminer s'il faut ou non les accueillir. En moyenne, 60 plaintes sont déposées chaque année et 40 sont retenues pour examen. Je ne peux pas vous parler de l'issue de ces plaintes, mais disons qu'une quarantaine de plaintes suivent les autres étapes du processus.
D'après ce que nous avons pu comprendre, les plaintes déposées contre les premières nations sont différentes. Par exemple, 15 p. 100 d'entre elles sont liées à l'invalidité, comparativement à 40 p. 100 pour les autres dossiers traités par la CCDP. Par rapport aux différents types de plaintes que reçoit la Commission, les 12 p. 100 qui concernent les premières nations sont liées à la situation familiale, par rapport à 4 p. 100 pour le reste de la population.
D'après les renseignements que nous possédons à ce sujet, les plaintes déposées contre les premières nations sont plus susceptibles d'être réglées que d'autres plaintes. Cela cadre avec les observations faites par plusieurs premières nations concernant la nécessité de pouvoir régler les différends en dehors des procédures judiciaires traditionnelles. De telles plaintes sont moins susceptibles d'être renvoyées à la Commission, mais plus susceptibles d'être examinées par le tribunal une fois qu'elles ont été renvoyées à la Commission. Environ 14 p. 100 d'entre elles sont examinées par un tribunal, par opposition à 4 p. 100 pour les autres dossiers traités par la Commission. Donc, nous avons là une certaine expérience sur laquelle nous pouvons nous appuyer dans ce contexte.
Encore une fois, ce n'est pas tout à fait nouveau. Il est évident qu'on parle ici de certains changements, mais ce sont tout de même de bonnes données de référence.
Les premières nations autonomes sont évidemment visées par la Loi canadienne sur les droits de la personne, et nous avons également examiné leur situation. Le nombre de plaintes n'a pas augmenté en flèche dès qu'on a ouvert les vannes, pour ainsi dire — c'est-à-dire lorsque le régime que prévoit la Loi sur les Indiens a cessé de s'appliquer et qu'elles sont devenues autonomes. Ce serait un enjeu important au Yukon et dans d'autres régions du Canada.
L'autre élément dont nous avons tenu compte et auquel nous avons bien réfléchi concerne le fait que le gouvernement fédéral, et notamment les gouvernements autochtones, font déjà l'objet de poursuites dans toutes sortes de domaines différents qui donnent lieu à des plaintes devant la CCDP. Nous avons donc tenu compte du fait que les gouvernements autochtones administrent déjà leurs activités dans un environnement où leurs décisions, non seulement sont examinées au niveau politique par les citoyens des premières nations, mais peuvent également susciter des poursuites en justice, et il y a effectivement des poursuites. L'une des différences clés qu'il convient de signaler, dans le contexte de la LCDP et de la CCDP, c'est que la Loi inclut un mécanisme prévoyant un type de médiation fort différent, d'ordre plutôt informel, qui n'existe pas dans le contexte des poursuites au civil.
L'effet de l'abrogation se fait évidemment sentir au sein de l'appareil fédéral. Daniel Ricard, qui m'accompagne ce matin, est le directeur général de la Gestion et du règlement des litiges. À n'importe quel moment, nous traitons plus de 1 000 dossiers à la fois.
Nous avons au sein du gouvernement fédéral des mécanismes qui nous permettent de nous en charger, mais je sais aussi que les premières nations et les groupes autochtones qui se sont prononcés sur la question sont moins préoccupés par la capacité du ministère de traiter ces dossiers que la leur.
Ayant réfléchi à cette question et examiné l'expérience de la CCDP au cours des 30 dernières années pour ce qui est de gérer ce genre de situations, instruire les plaintes et prévoir les procédures nécessaires, nous nous sommes rendu compte que les premières nations disposent déjà, dans certains cas, de systèmes assez développés de règlement des différends. Dans ce contexte, nous nous demandons si cela explique la capacité accrue des collectivités, constatée par la CCDP, de régler leurs différends à l'interne, par rapport à ce que nous constatons pour d'autres contextes.
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Vous avez raison; je vais plutôt reprendre la question que mon collègue a abordée plus tôt.
Monsieur Watson, monsieur Ricard et madame Aubin, je vais vous faire part de mes impressions. Je suis content que vous soyez ici précisément à cette étape de l'étude du projet de loi . Je compare ce que vous nous dites aux propos de ceux qui ont comparu devant nous précédemment, dont l'Association du Barreau Autochtone, et je trouve qu'il s'agit de points de vue complètement différents.
D'un côté, les gens du ministère affirment être capables de faire face à cela sans problème. Ils disent qu'après 30 ans dans ce domaine, ils en ont vu d'autres. D'un autre côté, l'Association du Barreau Autochtone cite le juge Muldoon, de la Cour fédérale. Je ne veux pas massacrer les propos de sa seigneurie, mais dans le cadre de cette cause, dont j'ai oublié le titre et le numéro, le juge a rendu une décision dans laquelle il disait qu'interpréter les décisions rendues par la Commission des droits de la personne en fonction de la Loi canadienne sur les droits de la personne allait dans le sens de l'assimilation des Autochtones, de la fermeture des réserves. J'utilise des termes un peu durs. C'est malgré tout ce qu'il veut dire et ce que nous ont dit les gens de l'Association du Barreau Autochtone.
Je vous avoue que tout ça me semble très ambigu ce matin. J'aimerais que vous m'éclairiez à ce sujet. Il faut savoir qui a raison et qui a tort. Les gens de l'Assemblée des Premières Nations veulent qu'il y ait une clause interprétative, mais ceux de la Commission des droits de la personne nous disent qu'il serait possible d'inclure dans le projet de loi une disposition qui définirait une clause interprétative, de façon à voir venir les choses. Les premières nations veulent une clause dérogatoire.
Quelle est votre position, ce matin, sur les revendications de l'Association du Barreau Autochtone et de l'Assemblée des Premières Nations? Est-ce que vous n'en avez rien à faire?
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Merci, monsieur le président.
Merci de votre présence devant nous aujourd'hui.
Je voudrais passer de la théorie à la pratique et vous citer un exemple concret.
En 2004, la vérificatrice générale a déposé un rapport dans lequel elle a fait savoir que le système d'éducation, de la maternelle jusqu'à la 12e année, posait vraiment problème dans les réserves, et que le ministère allait y voir en élaborant un accord-cadre et un accord sur les politiques à appliquer. Je crois savoir que le travail lié aux politiques est essentiellement au point mort et il en va de même, depuis tout dernièrement, pour le processus coopératif de définition d'une formule de financement.
Lorsque le ministre a comparu devant le comité en mars, il a parlé de l'abrogation de l'article 67 dans ces termes :
C'est pourquoi je pense que l'abrogation de l'article 67 est si importante, car nous voulons un pays où tous les citoyens peuvent appeler les autorités gouvernementales à défendre leurs actes et à défendre les décisions prises par les gouvernements et les ministres, que ce soit dans le domaine de l'éducation ou celui de la santé ou qu'il s'agisse de la répartition des ressources au sein de la collectivité.
Mais, dans les documents d'information fournis par le ministère lui-même, on met en relief l'existence d'un énorme manque d'équité. On dit ceci : « Selon l'analyse décrite ci-dessus et de facteurs de comparabilité nationale, il existe un écart de financement de 64 millions de dollars pour le système des écoles de bande en 2004-2005 ». Donc, même dans ses propres documents, le ministère reconnaît qu'il existe certaines inégalités.
Lorsque les représentants de l'Association du Barreau canadien ont comparu, ils nous ont dit que si nous démantelons la Loi sur les Indiens, sans que cela passe par une démarche vraiment transparente, il pourrait y avoir des conséquences involontaires. Étant donné que le ministère reconnaît, par exemple, que les écoles de bande sont gravement sous-financées, j'imagine qu'il pourrait y avoir des contestations. Et le ministre est d'avis que l'abrogation de l'article 67 constitue un mécanisme permettant d'éliminer les inégalités qui existent dans le secteur de l'éducation.
Avez-vous examiné par anticipation des situations où une plainte pourrait être déposée devant le tribunal — étant donné que les données du ministère lui-même indique qu'il existe des inégalités — contre le gouvernement, soit par des conseils de bande, soit par des membres d'une bande qui estiment ne pas avoir le même accès aux services d'éducation que d'autres Canadiens?
La Loi a été mise en vigueur en 1977. En 1985, le projet de loi C-31 a apporté certaines modifications à la Loi sur les Indiens, et à cette époque de même que par la suite, il y a eu de longues discussions dans l'ensemble du Canada au sujet de certaines dispositions de la Loi qui étaient jugées discriminatoires.
En 1992, le projet de loi C-108, Loi modifiant la LCDP, a été déposé. L'abrogation de l'article 67 était l'une des modifications proposées. Ce projet de loi est mort au Feuilleton. Le Parlement a été dissout en 1993.
En 2000, le rapport du comité de révision de la Loi canadienne sur les droits de la personne a été déposé, et vous y avez fait allusion. M. le juge Gérard La Forest était président du Comité de révision qui a, lui aussi, tenu de grandes consultations, notamment concernant l'article 67, dans l'ensemble du Canada auprès d'organismes autochtones à la fois nationaux et régionaux, dans le cadre de ce travail de révision en profondeur. Comme vous le savez peut-être, le Comité de révision a recommandé que l'article 67 soit supprimé et que la Loi vise les communautés autochtones autonomes jusqu'au moment de la mise en application des codes autochtones de protection des droits de la personne. Le Comité de révision a également discuté d'un certain nombre d'autres enjeux pendant les consultations mais, encore une fois, si je peux résumer la réponse à votre question au sujet des consultations, on peut certainement affirmer qu'il y a eu à l'époque des consultations exhaustives sur la question.
En 2002, le rapport final soumis à l'examen du ministre des Affaires indiennes et du Nord canadien par le Comité consultatif interministériel mixte faisait les mêmes recommandations que celles qui se trouvaient dans le rapport du Comité de révision déposé quelques années auparavant.
En 2002, le , Loi sur la gouvernance des premières nations, a été déposé, et vous vous souviendrez peut-être que ce dernier proposait également l'abrogation de l'article 67. Il va sans dire que ce projet de loi a fait l'objet de discussions exhaustives dans l'ensemble du Canada.
De plus, en 2005, le projet de loi S-45 a été déposé, encore une fois en vue d'apporter des modifications à la Loi canadienne sur les droits de la personne. La CCDP a aussi publié un rapport spécial intitulé Une question de droits sur l'abrogation de l'article 67.
Donc, il y a eu au cours des 30 dernières années de très vastes consultations sur cette question. Je dirais même qu'il y a peu de questions d'intérêt public qui ont fait l'objet d'un examen aussi approfondi au cours de cette même période. On peut certainement me corriger, mais pour moi, cette question a fait l'objet d'une attention toute particulière.
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Merci, monsieur le président.
Bonjour. Je vous remercie de me donner l'occasion de m'adresser à vous aujourd'hui.
Au nom du Congrès des peuples autochtones, j'ai le plaisir de comparaître devant vous aujourd'hui pour vous faire part de notre point de vue sur le qui est actuellement étudié par les membres du comité.
Il y a trois domaines que le Congrès souhaite aborder aujourd'hui en ce qui concerne les répercussions du . Ces domaines sont les suivants: nos observations sur le fait que la Loi sur les Indiens constitue un obstacle à la protection efficace des droits de la personne dans les collectivités des premières nations; notre point de vue sur les conseils de bande et la gouvernance en général dans les collectivités des premières nations; et le besoin d'éducation et de communication afin de sensibiliser les gens, d'atténuer leurs préoccupations et de leur permettre de comprendre la valeur des dispositions de la Loi canadienne sur les droits de la personne.
Depuis 1982, la Constitution du Canada et sa Charte des droits et libertés — qui sont les lois primordiales du pays — ont expressément reconnu trois groupes de peuples autochtones : les Indiens, les Métis et les Inuits. Toutefois, quelque 25 ans après le rapatriement de notre Constitution, l'écart entre l'égalité théorique et les pratiques gouvernementales touchant la reconnaissance et la protection des droits autochtones prévus par les dispositions de la Constitution, est une réalité quotidienne pour les membres du Congrès des peuples autochtones. Leurs préoccupations et leurs aspirations demeurent négligées par tous les ordres de gouvernement. Ils doivent composer encore et toujours avec l'exclusion et l'ignorance.
J'ai souvent dit que la Loi sur les Indiens devrait être — en fait, doit être — remplacée. Cette loi archaïque représente une imposition artificielle et étrangère de la « qualité d'Indien » aux peuples autochtones. Je réitère encore une fois cet appel au profit des membres du comité qui sont présents aujourd'hui.
La Loi sur les Indiens a entraîné la déconstruction des nations autochtones traditionnelles et historiques. Conformément à ses dispositions prescriptives, ces collectivités historiques ont été rassemblées dans des réserves indiennes, dont beaucoup ont été la source de difficultés sociales et économiques pour les peuples autochtones pendant plus d'un siècle.
En plus de l'établissement du système des réserves, la Loi sur les Indiens établit à l'article 6 qui a le droit d'obtenir le statut d'Indien inscrit. Il découle de cette désignation des droits particuliers à des programmes et des services — par exemple, le financement de l'éducation postsecondaire et des services de santé non assurés, de même que l'accès au logement et certaines exemptions fiscales. Au-delà de la lettre de la Loi sur les Indiens et du système bureaucratique qui appuie et applique ses dispositions colonialistes, il y a les Autochtones et leurs familles.
Il existe actuellement au Canada de nombreuses familles autochtones dont tous les membres ne jouissent pas du même accès aux programmes et services, et ce uniquement selon qu'ils ont ou pas le droit de s'inscrire en vertu de la Loi sur les Indiens. Une personne raisonnable n'a pas besoin de réfléchir longtemps aux répercussions, par exemple, du fait que même si une personne peut avoir accès à des médicaments sur ordonnance, à des soins dentaires ou à des lunettes, son parent, son frère, sa soeur ou ses enfants ne peuvent pas.
Tous les parents veulent que leurs enfants aient une meilleure vie que la leur. Imaginez un instant que des parents qui ont eu accès à un financement pour leurs études postsecondaires voient leurs enfants se faire refuser ce même financement en raison de l'application des principes de la Loi sur les Indiens.
Il est clair que la Loi sur les Indiens est, directement et indirectement, le fondement de mesures discriminatoires touchant la majorité des Autochtones du Canada d'aujourd'hui. Il existe un profond désaccord entre le gouvernement fédéral et les provinces au sujet de la compétence et de la responsabilité financière des programmes et services à l'intention des Indiens inscrits. Cela comprend l'éducation, les soins de santé et les services sociaux, comme l'aide au revenu et les services d'aide à la vie autonome. Pendant que les gouvernements fédéral et provinciaux ergotent sur la question de savoir qui doit payer quoi, les Autochtones et leurs familles souffrent et se passent de ces services.
Cela dit, est-ce que le Congrès des peuples autochtones appuie l'abrogation de l'article 67 de la Loi canadienne sur les droits de la personne? Absolument et catégoriquement.
Le fait que la Loi sur les Indiens ait dans l'ensemble échappé à un examen en fonction des droits de la personne pendant trois décennies est inacceptable dans un pays par ailleurs reconnu dans le monde entier comme un exemple de démocratie réussie et prospère.
Le gouvernement fédéral a consacré beaucoup de temps, d'efforts et d'argent pour essayer d'appuyer l'établissement des fondements modernes d'une saine gouvernance dans les réserves établies par suite de la Loi sur les Indiens. Il a également investi une quantité extraordinaire d'argent et d'efforts dans la défense de la Loi sur les Indiens contre diverses contestations judiciaires. Ces efforts découlent en grande partie des directives périmées et inadéquates de la Loi sur les Indiens sur les questions touchant la gouvernance dans le cadre du système de gouvernance par les conseils de bande que prévoit la Loi.
Depuis 2003, année où le projet de loi sur la gouvernance des premières nations a été retiré, nous attendons le dépôt par les gouvernements — tant fédéral qu'autochtones — des solutions viables de rechange au dont les critiques formulées publiquement à son sujet ont été nombreuses. Près de quatre ans plus tard, nous attendons toujours. Pour les personnes qui vivent dans les réserves établies en vertu de la Loi sur les Indiens, le conseil de bande est l'autorité suprême au sein de la collectivité. C'est de lui qu'émanent les emplois, les logements, l'aide au revenu, l'éducation et la formation.
Le CPA et ses affiliés continuent d'être contactés par des membres de bandes, dont beaucoup ont quitté leurs réserves en raison de différends relatifs à l'accès aux programmes, qui nous font part de nombreuses plaintes et préoccupations. Ils sont incapables d'obtenir des copies des critères des politiques et programmes. On leur refuse l'accès à des mécanismes de recours et ils voient leurs appels arbitrés par les mêmes personnes qui leur ont refusé l'accès aux programmes au départ.
L'exécution des programmes et la prestation des services dans les réserves sont généralement financées par le ministère des Affaires indiennes et du Nord canadien en vertu d'accords de contribution normalisés conclus avec les conseils de bande, de même que leurs organismes et agences. Ces accords comprennent un financement pour l'éducation, la santé et les programmes sociaux, comme l'aide au revenu, les services à l'enfant et à la famille, la prévention de la violence familiale et l'aide à la vie autonome. Les accords de contribution obligent les conseils de bande à exécuter les programmes au moyen de processus respectant les principes de la transparence, de la divulgation et de la réparation.
Nous savons qu'on a adopté un règlement de bande obligeant les membres d'une famille de vivre séparément parce que l'époux ou les enfants ne sont pas membres de la bande. Il existe également des processus électoraux qui retirent aux personnes le droit de se porter candidates au conseil en raison de leur religion, de leur situation matrimoniale ou de leur lieu de résidence.
Comment pouvons-nous tolérer que ces situations inadmissibles continuent d'exister? Qu'il soit possible que vous, en votre qualité de parlementaires, et nous, en notre qualité de dirigeants autochtones, ne nous sentions pas moralement obligés de corriger cette situation avec rapidité, conviction et précision est une chose qui, franchement, me dépasse.
Il subsiste beaucoup de débat et de controverse dans ce pays sur ce qui constitue un droit et sur la mesure dans laquelle les peuples autochtones profitent ou non des mêmes droits que les citoyens canadiens en général.
C'est une constatation bien triste, mais au point de notre histoire où nous en sommes actuellement, nous savons que le Canada n'a pas réussi à éliminer une source importante de discrimination réelle et potentielle contre les peuples autochtones du Canada. Heureusement, l'abrogation de l'article 67 de la Loi canadienne sur les droits de la personne constituera une première initiative visant à régler cette question pressante.
Il existe un énorme besoin d'éducation — aux niveaux des personnes, des conseils de bande, des organismes et des gouvernements fédéral et provinciaux — afin d'atténuer et de gérer ce qui pourrait être un important conflit de valeurs, de normes de programmes et de compétence en raison de l'abrogation de l'article 67.
Nous, du Congrès des peuples autochtones, ne nous faisons aucune illusion et savons que l'application de la Loi canadienne sur les droits de la personne à la Loi sur les Indiens et la pleine mise en oeuvre de la Loi canadienne sur les droits de la personne dans les réserves seront difficiles et parfois sembleront même impossibles. Cela dit, nous ne souhaitons pas que la période de mise en oeuvre de ces mesures soit excessivement longue. Les droits de la personne ne sont pas négociables et, encore une fois, surtout que nous sommes déjà au XXIe siècle, leur application ne doit pas être reportée encore.
En résumé, nous encourageons fortement le comité à formuler des recommandations énergiques et précises à soumettre à l'examen du gouvernement quant à la nécessité de travailler avec les Autochtones, leurs conseils de bande et les organismes qui les représentent, afin de garantir que les répercussions de l'abrogation de l'article 67 sont comprises et acceptées par les personnes et les collectivités qui sont touchées, de même que les ministères fédéraux et provinciaux dont les programmes et services actuels sont liés à l'inscription et aux différentes mesures prévues dans la Loi sur les Indiens.
Nous vivons dans une nation qui profite d'une prospérité presque sans limite. Au Canada, nous sommes effectivement l'incarnation du vrai Nord, libre et fort. Nous devons agir avec rapidité et sincérité pour garantir que nos frères et soeurs des premières nations, jeunes et vieux, vivant dans les réserves ou hors réserve, profitent de toute la liberté, de tous les avantages et de toute la protection que leur offrent les dispositions de la Loi canadienne sur les droits de la personne.
Par conséquent, nous félicitons le et le d'avoir pris les dispositions nécessaires pour concrétiser cette mesure, et nous encourageons le comité à faire en sorte que ce projet devienne une réalité.
Meegwetch, merci.
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Merci pour votre question, monsieur Albrecht.
Ma réponse est simple : le Congrès estime qu'il n'est pas nécessaire d'avoir une disposition d'interprétation car, à notre avis, l'article 35 est suffisant et vise au minimum à établir un bon équilibre entre les droits collectifs et les droits individuels.
Mais à ce chapitre, il convient de se rappeler que, s'agissant de droits de la personne, aucun droit n'est absolu. Si vous examinez la jurisprudence qui s'est constituée au fil des ans, vous verrez que les tribunaux se sont toujours assurés d'établir un équilibre entre les droits individuels et collectifs.
À cet égard, je vous cite l'exemple de l'arrêt Corbiere de 1999 sur le droit des Autochtones vivant en réserve de voter aux élections organisées par la bande. Là, la Cour suprême a clairement établi cet équilibre dans sa décision.
Il importe également de noter, dans le contexte des droits individuels et collectifs, que l'issue va toujours dépendre des faits que l'on présente devant les tribunaux et des conditions entourant ces faits. Pour notre part, nous sommes tout à fait convaincus que les tribunaux continueront à bien jouer le rôle pour ce qui est de maintenir cet équilibre.
Je voudrais juste ajouter, au sujet du libellé qui a été proposé pour une éventuelle disposition d'interprétation, que nous serions contre toute tentative pour saper les droits individuels en faveur de ceux de groupes qui prétendraient que les leurs l'emportent sur les droits individuels et contre toute initiative qui pourrait compromettre l'abrogation de l'article 67 et ses objectifs.
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Merci, monsieur le président.
Bonjour à chacun d'entre vous, et je voudrais saluer tout particulièrement Patrick, puisque je le connais depuis fort longtemps.
Je ne suis pas d'accord avec une bonne partie des observations que l'on retrouve dans le texte de votre exposé — ou du moins, pas avec les observations d'ordre politique. Peut-être pourrons-nous en discuter à un autre moment.
Monsieur Albrecht, je vous fais remarquer que le Congrès des peuples autochtones lui-même admet que le travail de mise en oeuvre sera peut-être accablant par moments. Il est normal que les membres du comité, lorsqu'ils sont saisis d'un projet de loi important, posent des questions et cherchent à approfondir certains éléments d'une mesure législative aussi importante. Donc, il n'y a pas de mal à poser des questions.
Personne autour de cette table, ni aucun témoin qui a comparu devant le comité, n'a jamais déclaré qu'il ne faut pas abroger l'article 67. Il s'agit de savoir comment s'y prendre et quelle démarche est la plus appropriée dans ce contexte.
J'ai une question à poser à M. Ricard. Les responsables de la Commission canadienne des droits de la personne ont comparu devant le comité. Il s'agit du même organisme par lequel nous souhaitons que les membres des premières nations puissent passer pour intenter un recours relatif à l'abrogation de l'article 67. Les responsables de cet organisme nous ont dit qu'il faut une plus longue période de transition et une disposition d'interprétation ou, en l'absence de cette dernière, des directives exécutoires.
Selon eux, le nombre de plaintes va augmenter, puisqu'il y en a déjà 60 sans aucun recours. Donc, combien y en aura-t-il une fois que ce recours sera pleinement disponible? Il est évident que le nombre de plaintes va augmenter de façon exponentielle, si bien qu'il faut prévoir des ressources additionnelles pour les premières nations, peut-être pour la CCDP, et le gouvernement lui-même aura peut-être besoin de ressources additionnelles pour se défendre par suite de l'abrogation de cet article.
Étant donné que tous ces groupes réclament une prolongation de la période de transition ou du moins une plus longue période de transition, des ressources additionnelles, une disposition d'interprétation, ou quelque chose du genre, comment se fait-il qu'aucun de ces éléments n'ait été inclus dans le projet de loi? Je suis sûr que dans toutes les consultations, qu'elles aient ou non été suffisantes, tenues depuis 1977, il a été question de ces éléments-là? Je ne sais pas si on en a discuté dans le cadre de ces consultations. Étant donné toutes les observations qui sont ressorties des consultations, pourquoi le gouvernement a-t-il décidé de ne pas en tenir compte dans ce projet de loi? Quelle est la politique du gouvernement? En dehors des dispositions législatives proprement dites, quelle est la politique du gouvernement relativement aux consultations à mener auprès des peuples autochtones avant le dépôt d'un projet de loi? Avez-vous une politique en vertu de laquelle vous devez faire ceci ou cela, avant de déposer le projet de loi? Je voudrais simplement savoir si vous avez une politique ou une directive interne à ce sujet?
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À titre d'éclaircissement, je précise que je suis un Indien inscrit du Québec, et non un Indien visé par un traité, puisqu'il n'y a pas de traité au Québec, à l'exception du traité moderne que nous avons en la Convention de la Baie James.
D'après mon expérience, non seulement au sein de ma collectivité mais dans d'autres également, les membres des bandes ont été victimes de certaines pratiques douteuses pour toutes sortes de raisons.
En fait, trois personnes m'accompagnent aujourd'hui: Erin Wolski, qui est membre de la Première nation des Cris de Chapleau dans le nord de l'Ontario, et son fils, Rudy, qui est un Indien non inscrit. Il y a également Irene Goodwin, qui est membre de la Première nation Dalles du nord-ouest de l'Ontario, et sa petite-fille d'un an, Cassidy, qui est également Indienne non inscrite. Il y a aussi Cathy Graham, Indienne non inscrite, et son fils, Michael. Le père de Michael était membre de la Première nation mississauga, et sa grand-mère a vécu dans un pensionnat; Michael est également Indien non inscrit. Il s'agit d'Autochtones de la base ou d'organismes de la base, comme le sait certainement M. Russell, puisqu'il a siégé à notre conseil pendant plusieurs années.
Donc, l'affectation des ressources est une question importante, mais surtout dans le contexte précis de l'article 6 de la Loi sur les Indiens relativement à l'inscription et aux droits. Voilà qui a créé énormément de problèmes pour les membres du CPA en particulier qui — c'est-à-dire que nous allons voir ce qui arrivera si ce projet de loi est adopté.
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Merci, monsieur le président.
Je voudrais revenir sur un point. Peut-être que M. Ricard pourrait s'essayer cette fois-ci, car à mon avis, nous n'avons pas obtenu de réponse.
Lorsque les représentants de l'Association du Barreau canadien ont comparu devant le comité, ils ont cité les propos du juge Muldoon, qui avait émis certaines hypothèses au sujet des répercussions possibles de l'abrogation de l'article 67, par rapport à la Loi sur les Indiens dans son ensemble. Il a dit ceci: « S'il n'y avait pas l'article 67 de la LCDP, les tribunaux des droits de la personne seraient obligés de démembrer la Loi sur les Indiens, au nom et dans l'esprit de l'égalité des droits de la personne au Canada ».
L'argument de M. Brazeau me semble juste. Beaucoup d'autres personnes ont fait état des aspects de la Loi sur les Indiens qui sont des vestiges de l'époque coloniale et qui ont peut-être même un caractère raciste. Mais les représentants de l'Association du Barreau canadien ont clairement indiqué que, selon eux, le démanteler pièce par pièce, plutôt que de le faire selon un plan bien précis, pourrait causer toutes sortes de problèmes que personne n'a prévus.
Donc, le ministère a-t-il envisagé d'adopter une telle approche? A-t-il examiné les répercussions possibles d'une démarche consistant à démanteler la Loi sur les Indiens article par article, plutôt que selon un plan en bonne et due forme?