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Merci, monsieur le président.
Je m'appelle Hugh Benevides. Je travaille à l'Association canadienne du droit de l'environnement, ou ACDE, comme je l'appellerai durant mon exposé.
L'ACDE est un bureau d'aide juridique établi sous le régime des lois de l'Ontario. Nous existons depuis 1970. Notre raison d'être est de représenter les moins nantis de la société dans la mesure où ils ont des besoins liés à l'environnement. Du fait de ce mandat, nous participons également à des activités de réforme du droit et des orientations de l'État aux échelles nationale, provinciale, municipale et internationale.
L'ACDE, comme vous le savez, est membre de Pollution Watch, projet de collaboration dont le but est la défense de l'environnement. Mon collègue, M. Khatter, vous a rendu visite le 10 mai, je crois. Comme vous le savez, nous avons un site Web--pollutionwatch.org--et nous produisons des rapports périodiques, en puisant largement dans l'inventaire national des rejets de polluants.
Comme c'était une table ronde qui était prévue, je ne savais pas si je disposerais des dix minutes habituelles. Je vais donc en prendre moins pour formuler quelques remarques préliminaires, toutes se rapportant à la notion de prudence. Bien entendu, c'est un thème qui est lié de très près à presque tous les autres thèmes qui se trouvent dans la loi. J'ai essayé d'en tenir compte, étant donné le sujet qui nous occupe aujourd'hui.
Je dirais d'abord que la mise en application du principe de la prudence prévu dans la LCPE est un voyage et non pas une destination. Cela dit, on ne se tromperait pas en affirmant que mon groupe souhaite faire le voyage plus rapidement que les autres et en franchir les étapes plus rapidement aussi. Pour aller au coeur de la notion de prudence, disons que les problèmes environnementaux supposent toujours un risque lié à quelque chose qui est toujours présent dans la vie, notamment en rapport avec les questions environnementales, soit l'incertitude. Qui dit risque dit danger. Or, certaines activités comportent un danger intrinsèque. Dans le cas qui nous occupe, celui de la LCPE, le danger intrinsèque est celui de certaines substances. Voici notre vision de la LCPE: pour éviter qu'il y ait tort, il faut veiller à éliminer les dangers en question, avant qu'ils ne soient justement à l'origine d'un tort. Cela va au coeur même des mesures de précaution ou de prudence. Cela suppose que nous menions une réflexion et une action soignées avant d'entreprendre la fabrication et l'utilisation de nouveaux produits chimiques toxiques, ce qui, bien entendu, représente maintenant une obligation éthique prévue en droit international. Cela fait intervenir aussi une obligation concernant les substances déjà utilisées, celles que nous qualifions habituellement de « substances présentes » sous le régime de la LCPE.
Pour ce qui est des substances présentes, les conclusions tirées par les deux ministères en septembre 2006, après la catégorisation, sont très importantes. J'encourage le comité à suivre de près cette démarche. J'en parlerai un peu plus durant mon exposé.
La notion de prudence est articulée de plusieurs façons dans les divers traités et lois qui existent. Le droit international continue de privilégier non pas l'une quelconque des définitions proposées, mais plutôt l'esprit de la notion. Comme la synthèse à laquelle vous avez eu droit vous a déjà permis de le voir, la partie de la loi qui porte sur l'application administrative, l'alinéa 2(1)a), le préambule, le paragraphe 6(1.1) et l'article 76.1 parlent tous, expressément, du principe de la prudence. De ce fait, le principe de la prudence peut être interprété comme étant un élément du mandat de la LCPE. Cependant, nous ferions tous un travail utile auprès des responsables, et un travail salutaire du point de vue de l'environnement et de la santé humaine, si nous envisagions, pendant l'examen qui nous est confié ici, une meilleure façon d'articuler la notion dans toute la partie 5 de la loi, comme ailleurs.
Les propositions formulées par Pollution Watch aux fins de l'examen en question sont liées de très près à l'approche de précaution, dont elles en sont un élément constituant. C'est le lien entre les questions, notamment celle de la prudence, que j'ai mentionnée il y a quelques instants. Exemple: exiger davantage que les promoteurs des projets fournissent des données et des renseignements à ce sujet, et une plus grande participation du public--commencer par exiger que les mêmes renseignements soient rendus publics moins tard dans le processus et de façon plus convaincante.
J'aimerais seulement aborder cet après-midi quelques questions qui ont toutes un lien très fort avec la notion de précaution au sens large. Je veux parler brièvement de la manière dont des mesures précoces peuvent être prises à diverses étapes, de la manière dont nous pourrions avoir une plus grande précaution, de la façon dont nous pourrions centrer notre action sur une meilleure prévention, la manière dont nous pourrions protéger de ce fait l'environnement et la santé humaine.
D'abord, il y a l'étape de la catégorisation. Le comité l'a appris--et, certes, nous qui travaillons dans le milieu de l'environnement le savons: il y a quelque 4 000 substances qui seront désignées comme méritant un suivi à la suite de l'exercice de catégorisation. Techniquement, les substances en question sont celles qui présentent les caractéristiques de la persistance ou de la bioaccumulation, et qui sont intrinsèquement toxiques. Il y en a bon nombre qui présentent au moins deux des caractéristiques en question--intrinsèquement toxiques et persistantes ou bioaccumulatives. Il y a également les substances qui présentent le risque d'exposition le plus grand. Un grand nombre des substances provenant d'un groupe qui, lui, il faut l'avouer, est beaucoup plus grand, soit 23 000 substances, sont énumérées.
Comme vous le savez, une autre étape--celle de l'évaluation préalable--est prévue dans la loi. Nous utilisons les termes avec beaucoup de soin, car il est facile de confondre les deux étapes en question. Au moment de l'évaluation préalable des risques dont il est question dans la loi, plusieurs questions se posent. Par exemple, on nous dit qu'environ 400 des 4 000 substances ont pour ainsi dire la triple qualification: la persistance, la bioaccumulation et la toxicité intrinsèque.
Selon Pollution Watch--organisation dont nous faisons partie, projet auquel nous participons--, il faut agir dès que possible pour éliminer toutes ces substances. Par ailleurs, les deux ministères proposeront peut-être des mesures immédiates touchant un sous-ensemble de ces substances. Sur quoi se fonderaient-ils pour agir ainsi? C'est ce que les quelques semaines à venir permettront de mieux voir. Par exemple, il faut voir encore le cas des cancérogènes et des substances dont on sait qu'elles présentent un danger pour la reproduction ou le développement. Quelle que soit la sous-catégorie employée, nous allons proposer que des mesures immédiates soient prises.
Si je soulève la question, c'est que votre comité se trouve dans une position heureuse, ou peut-être une position compliquée, cela dépend du point de vue que l'on adopte: vous avez pour mandat de réviser le mécanisme de la loi, mais, en même temps, tandis qu'approche le mois de septembre, nous en venons à un moment extrêmement critique de la vie de la LCPE de 1999. Les ministères prendront diverses décisions quant à ce qu'il faut faire des diverses substances en question. À mon avis, plus le comité prend en charge les questions concernant le moment de réaliser les évaluations préalables, les substances visées, et les délais, mieux les Canadiens seront servis.
Je délaisserai ce sujet pour l'instant, en rappelant qu'il s'agit ici de la vitesse à laquelle nous décidons de franchir les étapes prévues, pour les différentes catégories en jeu. Or, c'est cette vitesse qui définira dans quelle mesure nous appliquons le principe de la prudence à la mise en oeuvre de la loi.
En rapport avec le sujet suivant, soit la gestion des risques, vous allez vouloir vous demander quels sont les moyens dont disposent les autorités pour agir en rapport avec un sous-ensemble quelconque des substances dangereuses en question. Par exemple, l'article 94 de la Loi permet de prendre un arrêté d'urgence en rapport avec de telles substances. Je crois que cette disposition n'a jamais servi depuis que la loi existe, soit six ans. Par exemple, dans le cas des EDPB, pourquoi la disposition n'a-t-elle pas été employée? Servira-t-elle un jour? Pourquoi? Pourquoi pas? Le délai et la vitesse à laquelle le gouvernement peut et doit agir...
Deuxième grande catégorie à la suite du processus, si on veut: les ressources. Je sais que la question a été soulevée au moment de l'exercice de synthèse que vous avez eu avec M. Moffet et M. Glover de Santé Canada. Je crois que les témoins vous ont invité à demander au ministre ce qu'il en est des ressources. Au stade où nous en sommes, je dirais seulement que la question importe, si on veut répondre aux questions que j'ai posées au cours des dernières minutes à propos du délai d'action touchant les substances en question. La question de base est la suivante: avons-nous les moyens qu'il faut pour agir ainsi? Encore une fois, c'est vous qui êtes les mieux placés pour trouver la réponse à ces questions, qu'il s'agisse de faire appel au ministre ou de consulter une autre source.
Troisièmement, il y a la question du pouvoir discrétionnaire et de la façon de l'adapter. Je n'ai pas eu l'occasion de dire à M. Moffet que j'allais soulever quelques-uns des points qu'il a soulevés lui-même le 15 mai--et que je ne m'attaquais pas à lui, enfin, peut-être que je le fais--mais il a affirmé entre autres que la LCPE est une loi habilitante qui ne nous oblige pas vraiment à adopter toute une série de mesures concrètes. Je crois qu'il a raison et que, pour la plupart des lois en matière d'environnement, c'est le cas. Toute décision envisagée en rapport avec la LCPE exige l'application du principe de prudence.
La question devient: comment resserrer le pouvoir discrétionnaire des ministres de l'Environnement et de Santé Canada dans les situations où les mesures de précaution les plus urgentes s'imposent? Autrement dit, le pouvoir discrétionnaire existe toujours, mais y aurait-il des cas où il importerait davantage pour nous de restreindre et d'adapter le pouvoir en question, de nous approcher davantage d'une approche obligatoire?
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Merci, monsieur le président. Je vais faire de mon mieux. Comme vous le savez, j'ai remis au comité une version étoffée de mes remarques. Je vais essayer d'en faire ressortir quelques points.
Merci de m'accueillir. J'étudie depuis de nombreuses années les questions relatives aux polluants toxiques au Canada, à la fois comme expert-conseil auprès du gouvernement et de l'industrie, et aussi pour le compte des ONG. Durant ma carrière, j'ai fini par beaucoup travailler à la question de la pollution au mercure. Plutôt que de consacrer beaucoup de temps à l'étude de détails précis de la LCPE, je crois qu'il serait utile de donner quelques exemples de pollution au mercure qui, à mon avis, nous permettront de comprendre directement la façon dont le principe de prudence est appliqué ou non. J'ai cru aussi qu'il serait très difficile de traiter de prudence sans traiter aussi de prévention de la pollution, concept qui m'apparaît lié et qui est aussi un élément fondamental de la LCPE.
Dans le mémoire que j'ai fourni, je fais un rappel du précédent examen de la LCPE, des observations formulées depuis par le commissaire au développement durable et des observations sur le document de synthèse que nous avons devant les yeux.
Pour résumer très rapidement, il semble qu'il n'y ait pas eu grand-chose qui ait changé depuis le dernier examen de la LCPE. On a fait à l'époque le même genre de remarques que l'on a fait aujourd'hui. De même, le même genre de critiques concernant l'inaction demeure.
Je dirais que cela entre dans quatre grands thèmes, le premier étant l'absence de leadership au gouvernement fédéral, le deuxième, l'accent mis sur les décisions et les intérêts industriels ou économiques, au détriment des intérêts écologiques, le troisième l'absence de décisions scientifiquement fondées, et le quatrième, l'absence de mise en oeuvre de mesures de prévention de la pollution et de précaution. Il est très difficile de dissocier tout cela, mais je vais aborder quelques-unes de ces questions.
De même, j'ai décrit quelque peu l'histoire du mercure, qui, de fait, est très intéressante. Depuis longtemps, le Canada fait des recherches sur le mercure et s'active mondialement en rapport avec la question. De fait, il y a quelque 35 ans, nous étions un chef de file en ce qui concerne la recherche sur le mercure et les mesures à adopter pour régler les problèmes causés par le mercure au Canada. Malheureusement, depuis quelque temps, particulièrement depuis dix ans, notre retard s'accentue vraiment. J'ai donné quelques exemples de restrictions et de règlements et d'interdiction de produits qui ont été appliqués dans le monde, mais pas au Canada.
Si je soulève la question du mercure, c'est qu'il s'agit de l'une des substances toxiques les plus étudiées. Ses effets néfastes font peu de doute. Depuis dix ans, néanmoins, à l'inverse de ce qui se fait dans la majeure partie de l'Europe, aux États-Unis et dans nombre d'autres pays industrialisés, nous n'avons pas encore adopté de règles pour restreindre l'emploi du mercure ou les émissions de mercure.
À étudier la situation, il me semble que si nous n'arrivons pas à restreindre l'emploi du mercure sous le régime de la LCPE et à appliquer le principe de prudence et la prévention de la pollution, il est peu probable que nous puissions réglementer efficacement quelque substance que ce soit sous le régime de la LCPE. C'est que le mercure est un excellent indicateur des mesures que nous prenons face aux substances toxiques.
Je ne veux pas trop parler de l'autorité fédérale, du leadership fédéral. Les autres témoins vous en toucheront peut-être un mot. Je soulignerais tout de même que les questions soulevées en rapport avec le terme « cohésion nationale », dans le document de synthèse, donnent lieu à certaines préoccupations. Je crois que, pour une bonne part, la LCPE a eu pour effet de déléguer la responsabilité à d'autres organismes, à d'autres parties et à d'autres instances. De fait, je parle précisément à ce sujet du CCME et du processus pancanadien d'établissement des normes, qui n'ont pas vraiment débouché sur les restrictions et règlements qui existent dans la plupart des autres pays industrialisés. J'ai donc décrit certaines des questions en jeu.
Pour parler des raisons, encore une fois--le mercure est pour nous le bon exemple d'un cas où le gouvernement fédéral devrait agir et exercer son pouvoir, car il s'agit d'un polluant atmosphérique transnational. Des questions liées au commerce interprovincial entrent en jeu. C'est importé d'autres pays. Nous avons signé de nombreuses ententes internationales. Le poisson, de responsabilité fédérale, constitue la principale voie d'exposition. Le mercure se trouve également dans les appareils médicaux, responsabilité de Santé Canada. L'Arctique canadien est particulièrement à risque, et nombre de Premières nations dans le Grand Nord vivent avec un niveau de risque nettement supérieur aux normes de l'OMC en ce qui concerne le mercure.
Tout cela s'appliquant donc au mercure, nous en savons plus sur le mercure que sur à peu près n'importe quelle autre substance. Néanmoins, pour une raison ou pour une autre, au Canada, nous n'arrivons pas à appliquer des concepts comme ceux de la prudence et de la prévention, pour élaborer ne serait-ce qu'une stratégie nationale pour savoir ce que nous allons faire du problème du mercure.
Il y a dix ans, nous écrivions que le Canada prenait du retard sur le reste du monde industrialisé; dans l'intervalle, peu de choses se sont produites, et je souligne ici que, pour la seule année dernière, 251 lois en rapport avec le mercure ont été adoptées aux États-Unis. Cela, après plusieurs années où les autorités ont adopté des règlements touchant le mercure partout aux États-Unis. Je crois donc qu'il y a certainement lieu de s'inquiéter de telles choses.
Je vais parler brièvement de prévention de la pollution. C'est une notion qui est mentionnée dans pratiquement tous les documents fédéraux concernant la gestion des substances toxiques. Le CCME assimile la prévention de la pollution à notre politique de gestion des substances toxiques, la LCPE, et pour cause: c'est un concept à la fois simple et puissant. Essentiellement, cela revient à dire qu'il est plus facile de ne pas mettre dans les produits des éléments néfastes que d'essayer d'en contrôler le rejet par la suite.
Encore une fois, si nous étudions des cas concrets d'implantation--et j'en donne bon nombre ici, mais je vous donne juste un exemple tout de suite, celui des amalgames dentaires comprenant du mercure--, tous les ans, nous importons encore trois millions de grammes de mercure destinés à la dentition des gens. Sous le régime des normes pancanadiennes, plutôt que d'opter pour la prévention de la pollution--même s'il existe des solutions de rechange simples, et même si plus de la moitié des dentistes n'y recourent plus--, nous avons opté pour la lutte au polluant lui-même. Nous avons concocté une ligne directrice volontaire, pour qu'il y ait dans les cabinets des dentistes un petit appareil pour piéger le mercure. Ce n'est pas de la prévention de la pollution; c'est de la lutte au polluant.
Les interrupteurs à mercure dans les voitures, les thermostats et les thermomètres--voilà autant d'exemples où il serait facile d'appliquer la prévention de la pollution. Les solutions de rechange existent. Elles sont rentables. Elles sont simples.
Encore une fois, si nous n'y arrivons pas là où il existe des solutions de rechange, là où elles sont rentables, dans les cas où nous savons quoi faire pour réduire la pollution au mercure, la question qu'il faut vraiment se poser est la suivante: comment allons-nous vraiment implanter quelque mesure que ce soit sous le régime de la LCPE, pour lutter contre telle ou telle substance, là où l'incertitude est encore plus grande.
Cela soulève vraiment la question de la prudence. Comme vous le savez tous sans doute, le principe de précaution ou de prudence est une réaction précise à de l'incertitude. Ce que nous voyons depuis plusieurs années, c'est une application de plus en plus rigide de la gestion des risques et de l'évaluation des risques, mais particulièrement de la gestion des risques, au point où je dirais que, au Canada, notre interprétation de la gestion des risques diffère de celle de la plupart des autres pays. Quand il y a une forme quelconque d'incertitude, même la plus faible qui soit, qu'il s'agisse d'une voie d'exposition, d'une émission ou de la réaction d'un écosystème, cela sert toujours de prétexte pour que l'on n'agisse pas. C'est un grave problème, et c'est là que le principe de prudence entre en jeu.
Si nous regardons toutes ces choses ensemble, la nécessité pour le gouvernement fédéral de prendre les choses en main, le besoin de recourir à des instruments rentables, par exemple la prévention de la pollution, et la nécessité de mieux comprendre les questions entourant l'incertitude et le risque... particulièrement, nous évoquons encore la notion d'une assise scientifique solide, dans le document de synthèse, et nous voyons qu'il en est question dans les documents fédéraux. En lisant quoi que ce soit sur le sujet, vous constaterez que c'est une notion créée par l'industrie pour créer à dessein de l'incertitude et un doute autour des décisions. Le fait qu'il soit encore question d' « assise scientifique solide » dans la documentation fédérale donne à penser que nous allons vraiment nous engager dans le genre de notion dont se sert l'industrie pour miner à dessein les mesures antipollution.
Je crois que cela pose un problème. J'ai sondé quelque 30 personnes de l'industrie, des gouvernements, des ONG, du droit et du milieu universitaire. Les seuls qui prêtaient une légitimité à cette notion, c'était les gens du gouvernement. Même les gens de l'industrie admettaient que c'était une stratégie expressément conçue pour retarder les choses.
Cela touche à une question particulière qui me cause des problèmes.
Pour conclure, je crois que les modifications de la LCPE doivent confirmer la responsabilité fédérale en la matière et déterminer la gestion des substances toxiques au Canada. Nous comptons trop sur les efforts volontaires et sur les autres gouvernements. Il y a les allusions aux Premières nations et aux autres mécanismes fédéraux. De toute évidence, cela n'a pas fonctionné par le passé; il n'y a pas de raison de croire que ça va fonctionner à l'avenir. Je crois que l'examen doit faire ressortir les mécanismes qui permettent d'affirmer l'autorité de réglementation fédérale en ce qui concerne la gestion des substances toxiques.
Pour ce qui est de la prévention de la pollution, nous n'avons pas vraiment utilisé les mécanismes prévus dans la LCPE pour mettre en oeuvre la prévention de la pollution, même dans les cas les plus évidents et les plus rentables. La LCPE doit être renforcée d'une manière ou d'une autre, à cet égard, de sorte qu'Environnement Canada dispose expressément du pouvoir nécessaire pour instaurer la prévention de la pollution.
Enfin, à propos de la prudence et du risque, je dirais que la LCPE n'a pas facilité du tout l'adoption de mesures de précaution au Canada, particulièrement en ce qui concerne la gestion des substance. Si nous ne nous attaquons pas aux obstacles inhérents au principe de prudence, particulièrement à notre application rigide de la gestion des risques et à des concepts erronés comme l'« assise scientifique solide », je ne crois vraiment pas que nous puissions atteindre nos buts.
Peut-être que le gouvernement fédéral devrait exiger d'Environnement Canada et de Santé Canada qu'ils préparent, sous une forme ou une autre, une ligne directrice interne sur la manière de comprendre et d'intégrer la notion d'incertitude. Cela orientera peut-être les décisions. Nous devons nous assurer que l'incertitude ne sert pas de prétexte à l'inaction et que nous appliquons vraiment le principe de prudence.
Parmi les lois d'un ensemble de pays, j'imaginerais que la LCPE serait probablement la moins bonne pour ce qui est de l'application du principe de prudence au cas des substances toxiques.
Je serais heureux de répondre à vos questions.
Merci beaucoup.
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Sinon, nous pourrions finir à votre retour.
Merci beaucoup de m'inviter à présenter un exposé au nom de la Stratégie canadienne de lutte contre le cancer. Je suis le président du Comité national sur les expositions environnementales et professionnelles, qui travaille sous l'égide de la Stratégie canadienne de lutte contre le cancer.
Il y a environ un an, à l'automne 2005, nous avons présenté un mémoire sur la LCPE de 1999 et formulé plusieurs recommandations que le comité aurait fait circuler. Quand on m'a demandé de venir témoigner aujourd'hui plus particulièrement en rapport avec le principe de prudence, je savais pourquoi--en vérité, c'est le principe qui sous-tend toute action--ou inaction, selon le point de vue qu'on adopte--pour ce qui touche la prudence face aux préoccupations touchant l'environnement ou la santé au travail.
De fait, l'application du principe de prudence sous-tend toutes les recommandations que nous associons à la Stratégie canadienne de lutte contre le cancer en rapport avec la LCPE et en rapport avec la restriction ou l'élimination de cancérogènes reconnus dans notre environnement. Nous incluons le milieu de travail dans l'environnement, bien entendu, car nous couvrons les deux.
Nous ciblons deux domaines en ce qui concerne les recommandations que nous formulons à l'intention du gouvernement, de l'industrie, des autres ordres de gouvernement et du milieu du travail, et des autres ONG. Il s'agit, premièrement, de programmes pour la prévention de la pollution, particulièrement pour repérer et classer les agents cancérogènes pour l'homme; et des mesures instituant la divulgation de la présence, de l'utilisation ou du rejet de cancérogènes classifiés comme tels dans les collectivités du Canada et dans l'environnement du Canada.
Nous l'avons dit: tant et aussi longtemps que vous et le public ne comprendrez pas clairement ce que peuvent représenter les expositions en question--leur nature, la nature du risque qu'elles comportent--, de toute évidence, les orientations devant être adoptées ne seront ni comprises ni appuyées. D'après ce que nous avons pu découvrir, plus le grand public est renseigné à cet égard, plus il exige des orientations favorables à la protection de la santé humaine contre les cancérogènes de l'environnement ou, tant qu'à y être, les cancérogènes présents dans les biens de consommation et ainsi de suite.
Il y a eu, visiblement, un débat prolongé sur le degré de gravité des risques associés aux expositions environnementales--et il y aura toujours un débat sur la détermination exacte des pourcentages de cancers au Canada attribuables aux expositions environnementales ou professionnelles. De fait, dans un document très utile et très éclairant publié il y a un an à propos des cancérogènes dans l'environnement, Action Cancer Ontario a déterminé qu'il est à peu près impossible d'établir des preuves irréfutables du tort ou du cancer causé par une exposition environnementale. Cela ne veut pas dire que vous ne trouverez aucune preuve; des preuves, il y a en a toujours, mais vous n'avez pas à établir de preuve irréfutable.
Les auteurs du document ajoutaient que, malgré ce fait--ou en raison de ce fait, pourrait-on dire--, il devient nécessaire d'appliquer des méthodes comme celles du principe de prudence pour commencer à restreindre et éliminer plusieurs des menaces très importantes et très graves pour notre environnement et notre santé en ce qui concerne les expositions environnementales. En particulier, ils ont parlé des sous-produits de l'eau potable chlorée, de l'exposition au radon, des polluants atmosphériques associés au gazole, de certains insecticides et des métaux lourds.
Autrement dit, ce qu'ils ont dit et ce que nous disons nous-mêmes, c'est qu'il est possible d'établir un ordre de priorité. Il n'est pas question de quelque 40 000 composés chimiques dont il faudrait régler immédiatement le cas au moyen du principe de prudence. Aucun gouvernement ne sera en mesure de faire cela, nous n'en avons pas les moyens, et les gens vont demander comment on établit un ordre de priorité.
Un des éléments que nous avons classés, établis par ordre de priorité, ce sont les produits cancérogènes pour les humains. Ils sont classés par l'Organisation mondiale de la santé et ils sont également énumérés dans nos lois, fédérales et provinciales, en ce qui concerne non seulement l'environnement, mais aussi tous les règlements sur la santé au travail, à titre de cancérogènes connus auxquels le degré d'exposition, dans toute la mesure du possible, devrait être ramené à zéro. Quand vous appliquez cela à l'environnement, vous appliquez le principe de prudence d'une certaine façon, d'une façon ciblée.
Encore une fois, nombreux sont ceux qui avanceront que les preuves justifiant un passage à l'action sont insuffisantes. Nous renversons la proposition--nous disons que les orientations gouvernementales et la prévention primaire reposent sur des données limitées et sur la nécessité de mesures de précaution. Nous avons cité une exception de l'Union européenne, soit l'adoption par la commission européenne d'une définition du principe de précaution.
Vous l'avez entendu à maintes reprises. Essentiellement, dès lors qu'on dispose d'éléments scientifiques viables prouvant qu'une substance chimique peut avoir des effets néfastes sur la santé humaine ou sur l'environnement, mais qu'il subsiste encore des incertitudes scientifiques quant à la nature précise ou à l'ampleur du dommage potentiel, la prise de décisions doit être guidée par la précaution afin d'éviter les dommages à la santé humaine et à l'environnement.
Un certain nombre de très éminents scientifiques canadiens ont traité de la question aussi. Au Canada, par exemple, le président d'Action cancer Ontario, le Dr Terry Sullivan, a révélé, dans Insight on Cancer: « les gouvernements peuvent choisir d'aller au-delà des preuves existantes et être guidés par un éventail de principes...» Puis, parlant du principe de prudence, il invoque une « tradition en matière de santé publique, qui, au Canada, par l'intermédiaire de la Cour suprême, a donné aux municipalités le pouvoir d'interdire les pesticides » pour parler de l'application du principe de précaution en tant qu'usage établi.
Le Dr Tony Miller, professeur émérite à l'Université de Toronto et un collègue à moi, membre de notre comité, a su le dire d'une façon on ne peut plus claire: « les cancers qui peuvent être évités, mais qui ne le sont pas, constituent un préjudice potentiel du non-respect de ce principe .» Voilà un fait qu'il n'est pas difficile de saisir.
Le Dr Donald Wigle, anciennement de Santé Canada et maintenant au Centre R. Samuel McLaughlin d'évaluation du risque pour la santé des populations, a cité Horace Krever et la commission canadienne sur le système d'approvisionnement en sang, qui a reformulé lui-même le principe de précaution:
« Si on a des preuves raisonnables d'une menace imminente à la santé publique, il ne faut pas attendre d'avoir des preuves strictes de l'existence d'un rapport de cause à effet avant de prendre les mesures nécessaires pour contrer ce danger. »
Au Canada, il y a non seulement tout un débat autour de ce principe, mais je crois qu'il y a aussi deux citations de la Commission européenne qui nous éclaireraient particulièrement. Une est l'affirmation selon laquelle l'application du principe en question représente en fait l'élément central de la politique de la Communauté. Les termes sont tirés de la documentation de l'Union européenne. Il y a une situation qui me semble particulièrement pertinente: « c'était dans les situations où les effets négatifs se faisaient sentir très longtemps après l'exposition... »...
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Plus l'incertitude est grande, plus il vous faut prendre les mesures de précaution pour y pallier, ce qui peut sembler être le gros bon sens du point de vue du commun des mortels. Quand vous ne savez pas en quoi consiste le problème, vous devez faire attention. Si vous n'êtes pas certain du fait qu'il n'y ait aucun problème, vous devez en tenir compte. Ce n'est que de la prudence. Du point de vue de la santé publique, comme il est question d'un mandat que le public s'attend à voir réalisé, cela devient une nécessité.
Je voudrais aborder deux autres questions très rapidement, questions qui seront manifestement toujours là en arrière-plan durant tout le débat sur la façon d'appliquer cette forme de gestion des risques--ce sont les études coûts-avantages et la rigueur plus ou moins grande de la démarche scientifique.
Premièrement, pour ce qui est des études coûts-avantages, si vous passez en revue les facteurs inhérents au principe de prudence, vous remarquerez que, parfois, la notion de « mesures effectives » (du point de vue des coûts) figure dans la définition, mais pas toujours. Il y a eu toutes sortes de débats--certains importants, d'autres, moins--visant à savoir s'il faut intégrer la définition de telles notions. Évidemment, une administration l'envisagera toujours. Cependant, il faut voir cela dans un certain contexte. Encore une fois, je cite l'Union européenne:
L'examen des avantages et des charges ne peut pas se réduire seulement à une analyse économique coûts-avantages. Il est plus vaste dans sa portée, intégrant des considérations non économiques. [...] La Commission affirme que les exigences liées à la protection de la santé publique, conformément à la jurisprudence de la Cour, devraient incontestablement se voir reconnaître un caractère prépondérant par rapport aux considérations économiques.
La Commission a ensuite fait valoir--et c'est une affirmation que les responsables de la Stratégie canadienne de lutte contre le cancer, et particulièrement notre comité de prévention primaire, ont avalisé et aimeraient voir appliquée partout au Canada--que tous les agents cancérogènes, agents génotoxiques et substances potentiellement nuisibles à la reproduction, y compris les substances chimiques perturbatrices du système endocrinien, des groupes 1 et 2 sont très préoccupants, que leurs seuils d'absorption quotidienne sont inacceptables et qu'ils nécessitent une autorisation stricte avant leur utilisation.
Voilà la position de l'UE, qui a adopté des lois et des directives à cet égard. Plusieurs États, aux États-Unis, ont fait de même et emprunté ce chemin. Le Canada est probablement en retard sur toutes ces instances territoriales qui adoptent des mesures proactives face à ces groupes de composés chimiques en particulier.
La question des données scientifiques, qu'elles soient rigoureuses ou irréfutables, est la dernière chose dont je voudrais parler. Essentiellement, notre comité est un comité tripartite. Nous comptons des représentants de l'industrie, du milieu syndical, du monde universitaire et d'organismes parapublics comme la CSPAAT. Nous sommes appuyés par Santé Canada et l'Agence de santé publique du Canada. La Société canadienne du cancer et plusieurs de ses organismes affiliés jouent un grand rôle au sein du comité.
Quand nous avons présenté au conseil directeur de la Stratégie un document de 100 pages et deux douzaines environ de recommandations clés, le sujet dont les membres voulaient parler, c'était le principe de prudence. Même au sein de ce conseil directeur, composé d'abord et avant tout de spécialistes des sciences de la santé, la signification du terme demeurait incertaine. Il a fallu discuter de la question, comme nous le faisons aujourd'hui, pour en dégager le sens. Il n'est pas question ici d'affirmer que, pour agir, nous n'avons nullement besoin de preuves. Nous disons que là où le tort éventuel est important, il faut agir, même si les preuves ne sont pas irréfutables. Et il y aura toujours le contre-raisonnement -- quelle que soit la question -- pour presque n'importe quelle substance préoccupante. La question devient alors: convient-il d'agir?
Si nous devons avoir au Canada une orientation à cet égard, faisons de la planification de la prévention de la pollution une obligation réglementaire. Nous devons étudier le cas de certains des groupes de composés chimiques ayant été désignés. Il s'agit des agents cancérogènes, des toxines nuisibles à la reproduction, par exemple--voilà, clairement, deux catégories de composés dont il faut tenir compte.
Lorsque vous avez l'occasion, de jour en jour, de lire une série d'articles dans le Globe and Mail, sur le syndrome de choc toxique ou quoi que ce soit d'autre, qui a attiré l'attention de nombreuses personnes la semaine dernière, j'en suis sûr, si vous lisez soigneusement les séries en question. vous vous apercevez qu'il était beaucoup question des catégories de composés en question. Voilà le plus grand souci des Canadiens. C'est là que les mesures de précaution se justifient le plus, car les composés en question peuvent avoir d'importants effets chroniques à long terme, mais qui n'ont pas encore été pleinement recensés. Dans les cas où il y a un tel degré d'incertitude et que les conséquences pour la santé sont à ce point importantes, il faut agir et non pas se contenter d'attendre que tous les éléments de preuve soient recueillis.
La restriction de la fumée de tabac ambiante représente un exemple de l'application du principe de prudence au Canada, et c'est tout le pays et toutes les instances qui sont en faveur aujourd'hui. Il y a au fond de la pièce une affiche qui explique la loi sur le tabagisme au travail. Je la regardais pendant la pause. Voilà un exemple de l'application du principe de prudence face à l'incertitude et à des preuves équivoques. Nous savons tous qu'il existe une quantité d'éléments de preuve concernant le tabagisme et le cancer et d'autres maladies, mais si vous demandez à n'importe quel spécialiste des sciences de la santé si les preuves concernant la fumée secondaire sont irréfutables, il répondra que non, elles ne le sont pas.
Les gens sont nombreux à dire: je sais que le risque pour moi de mourir d'un cancer si, à l'occasion, j'arrive dans une pièce et que quelqu'un fume une cigarette n'est pas très important, mais, tout de même, il existe--et il y a des gens qui en sont morts. Nous avons donc pris une mesure de précaution, du point de vue des orientations gouvernementales et des lois, à l'encontre de cette substance.
Or, il est absurde de constater que les substances mêmes que contient la fumée de cigarette sont émises en grandes quantités ailleurs dans les collectivités du Canada, comme en font foi les données recueillies sous le régime de la LCPE. Les aldéhydes, les formaldéhydes, les composés aromatiques polycycliques--ne pas les réglementer tout en appliquant le principe de la prévention de la pollution à la fumée secondaire, voilà qui est absurde.
Merci. Je m'arrêterai là.
Merci de poser la question. Oui, nous devrions. Comme je l'ai déjà dit, le principe de prudence est une forme de gestion des risques; il n'y a pas qu'une seule forme possible--par exemple, l'interdiction. Il y a diverses mesures que vous pouvez prendre dans le contexte de la prudence, allant de l'adoption de règles relatives à l'étiquetage à l'interdiction pure et simple d'une substance.
Vous avez raison. Le Québec, je crois, est sur le point d'appliquer une loi interdisant la vente de pesticides utilisés à des fins cosmétiques. Cela s'applique au grand public comme à chaque quincaillerie qui se trouve dans la province. C'est la loi la plus avancée qui soit en la matière au pays, et de loin, parmi toutes les provinces. Je crois que ce sera l'an prochain au Québec. C'est un fait que nous avons noté dans notre examen des pratiques exemplaires qui devraient être envisagées et adoptées par d'autres municipalités et provinces au pays.
Quant aux sous-produits de la chloration, évidemment, la chloration de l'eau destinée à la consommation est importante pour enrayer les maladies infectieuses, alors vous ne dites pas tout de go: nous allons interdire toute chloration de l'eau. Ce que vous regardez, c'est les précautions qui ont été prises ailleurs et ce que vous pouvez prendre pour... Il ne s'agit pas de dire: réduisons au minimum les torts causés; plutôt, il s'agit de dire: éliminons le tort s'il est possible de le faire; sinon, comment faire pour le réduire au minimum?
Par exemple, il existe des entreprises canadiennes qui sont des chefs de file mondiaux en production de systèmes de filtration qui, de fait, sont aussi efficaces que la chloration pour réduire les infections, la présence de micro-organismes dans l'eau potable. Certains pays d'Europe et certaines villes d'Europe ont adopté les procédés en question, et ce sont des choses dont il faudrait faire la promotion. On pourrait se donner une stratégie fédérale à cet égard.
De fait, quand il est question de transfert de fonds au profit des municipalités--et on a dit dans les médias, hier, que le gouvernement en place le fait--, il faudrait le faire à condition que les municipalités étudient ce qu'il en coûterait pour adopter les systèmes de filtration en question afin de réduire la chloration de l'eau potable dans nos collectivités.
Le traitement à l'ozone est un autre exemple. Ce sont des procédés qui coûtent cher. Est-ce impossible? Non. Y a-t-il eu volonté d'y recourir? Dans certaines régions du monde, oui. Au Canada, non. De fait, il est paradoxal de constater que ce sont des entreprises canadiennes qui sont à l'avant-garde dans ces domaines techniques.
Le gouvernement canadien devrait donc dire: nous allons subventionner la municipalité qui recourt à ce procédé et nous allons révéler au public que ces procédés réduisent votre exposition aux agents cancérogènes pour les vessies. Si le public le savait, il serait peut-être prêt à assumer une taxe foncière plus élevée, pour financer un tel système municipal, mais la discussion n'a même pas lieu.
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Car ceux qui font valoir qu'une assise scientifique solide équivaut à des preuves irréfutables, à aucune preuve contraire, ne sont pas des scientifiques; ce sont des politiciens ou des lobbyistes.
Je travaille avec des scientifiques tous les jours. Au sein de notre comité, il y a, par exemple, le Dr Paul Demers, un des grands épidémiologues au Canada et qui travaille dans un des groupes du CIRC, à Genève, à l'Organisation mondiale de la santé, qui classe les agents cancérogènes dont nous parlons, et Paul est un classificateur connu. Le Canada se reporte donc à ces classifications dans ses lois, partout au pays. Paul est l'auteur de l'ouvrage qui fait autorité sur les pratiques exemplaires, où il dit que, de fait, s'il faut parler de risque... Dans le monde où nous vivons aujourd'hui, il n'appartient pas à la science de dire que le risque équivaut à x ou à y. Ça dépend à qui vous parlez.
Aujourd'hui, nous n'avons pas parlé de populations vulnérables ou de gens qui sont plus exposés ou moins exposés. Nous souhaitons protéger les gens contre un agent cancérogène ou un agent nuisible à la reproduction. Si les gens n'y seront pas exposés, nous n'avons pas vraiment à nous en soucier. Mais nous savons que, partout au pays, il y a des « poches » de population, des éléments des collectivités, des groupes entiers qui sont davantage à risque parce qu'ils sont exposés, et voilà où il faut agir et voilà pourquoi il faut appliquer le principe de prudence.
Si quelqu'un veut donc contester ce que je dis, ou encore ce que disent les spécialistes des sciences de la santé avec lesquels je travaille, à propos de la rigueur de la démarche scientifique, non seulement nous n'aurions rien fait en rapport avec la fumée secondaire du tabac, mais encore nous n'aurions pas adopté quelque loi que ce soit concernant le tabac, car l'industrie a toujours affirmé que les données scientifiques n'étaient pas suffisamment probantes, même pour procéder à l'étiquetage. Nous n'aurions même rien fait en rapport avec les pesticides, auxquels vous avez fait allusion plus tôt.
Si, par rigueur scientifique, vous entendez qu'il faut des preuves irréfutables que le fait d'étendre tels pesticides sur son gazon va causer une maladie X, Y ou Z, il n'y aurait pas au pays une seule municipalité qui aurait banni l'usage de tels pesticides.
Dans mes observations liminaires, j'ai tenté de poser comme principe l'idée selon laquelle la prudence n'est pas facultative, car il s'agit d'un principe naissant du droit international, et que la façon dont le principe est formulé dans la loi--et il y a de nombreuses autres formulations possibles--est contestée. M. Stoffman en a proposé une autre. J'ai ici quelques formulations de rechange que je pourrais soumettre au comité. Alors, il ne s'agit pas vraiment de déterminer si le principe est énoncé dans la loi, ou combien de fois on le mentionne.
Si vous permettez que je revienne aux remarques concernant le système REACH, monsieur Warawa, bien sûr, vous avez raison. Pour l'instant, REACH n'est qu'une possibilité, dans la mesure où nous ignorons quelle sera sa forme finale, et la version européenne initiale du système est diluée, en raison du même genre de contraintes qui minent la qualité de nos lois au Canada.
J'aurais pensé qu'il ne serait pas question ici d'attendre ce qu'il adviendra de REACH et de voir à quel point ce système sera bon ou mauvais; je m'attendais à ce qu'on se demande comment faire concurrence vraiment, à ce qu'on cherche à établir la loi la plus exigeante ou la plus prudence en ce qui concerne la prise de mesures précoces, la fourniture de renseignements supplémentaires par les promoteurs, l'imposition d'obligations plus lourdes aux promoteurs à l'égard de la divulgation de cette information, la fourniture d'informations supplémentaires au public, et l'affectation de ressources accrues permettant, par exemple, de produire des choses comme le rapport de Défense environnementale intitulé La pollution chez les enfants, une nation toxique: Rapport sur la pollution chez les familles canadiennes, mais en se fondant sur une abondance de données, comme on le fait aux États-Unis, en Allemagne et ailleurs.
Alors, en ce qui concerne ce genre de questions, je crois que nous devrions nous préoccuper de la façon dont nous allons faire concurrence à des lois comme celle qui régira le système REACH, quelle que soit sa forme finale.
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Juste une petite intervention rapide, brièvement.
Je dirais que je ne suis pas tout à fait d'accord avec l'affirmation selon laquelle la LCPE est bien belle et n'a pas besoin d'être reformulée, mais qu'il nous faut tout simplement l'appliquer. C'est une loi-cadre qui permet de faire beaucoup de choses, certes, mais si on procédait à un examen article par article, on constaterait que certaines dispositions et tournures ont besoin d'être renforcées. Il faudrait, notamment, étendre la portée de la liste des substances toxiques de la LCPE afin qu'elle englobe des choses comme les toxines qui nuisent au développement et, en particulier, les agents cancérogènes classés, ce qu'elle ne fait pas, comme l'a signalé M. Moffet. Alors, il y a cela.
Pour ce qui est des définitions, si on se penche sur le terme « efficience », je crois que nous mettrions de l'avant une définition plus générale, comme l'a fait la commission en Europe, où l'efficience n'est pas une simple question d'économie. Quels sont les coûts réels liés aux décès attribuables au cancer, ou les coûts liés aux personnes qui se sentent violées parce qu'elles craignent pour leur santé génésique ou sont préoccupées par l'arrivée précoce de la puberté chez leurs enfants, ou autre chose? Ce sont également des coûts, et il s'agit certainement de coûts publics et politiques. Il faut donc se pencher sur ces choses.
En ce qui concerne REACH, même si je conviens que REACH est en cours d'élaboration, il y a néanmoins un certain nombre de directives adoptées par tous les pays de l'UE, lesquels ont déjà abordé un certain nombre d'enjeux qui, selon nous, devraient être abordés dans le cadre d'une LCPE renouvelée. Ainsi, que REACH soit plus ou moins dilué, que ce système soit adopté par le Parlement européen ou non, il n'en demeure pas moins que cinq ou six directives sont en place, certaines d'entre elles depuis une vingtaine d'années, et que ces directives reflètent le fait que les produits de consommation ne devraient pas contenir certaines catégories de composés chimiques, que certaines émissions seront interdites, qu'on doit tenir des registres nationaux des sociétés qui émettent certains agents cancérogènes, et ainsi de suite. Ainsi, REACH cherche à consolider de nombreuses mesures qui ont déjà été prises là-bas.