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Merci de me donner l’occasion de comparaître devant le Comité permanent de la défense nationale. Je suis professeure titulaire au Département des études féminines et de la recherche féministe à l’Université Western Ontario. Je suis également titulaire de la chaire de recherche du Canada sur les questions relatives aux femmes dans le monde.
En novembre dernier, j’ai rédigé une lettre d’opinion dans Options politiques. Elle s'intitulait au départ « A few good women: A reality check for Canada's peacekeeping pipe dream », mais les rédacteurs ont opté pour un titre plus simple: « Short-sighted commitments on women in peacekeeping ». Je m’intéresse à la question depuis fort longtemps. Dans ma lettre d’opinion, j’ai exprimé mes préoccupations au sujet de la façon dont le rôle des femmes dans le maintien de la paix est présenté et structuré. Je vais reprendre ici les mêmes observations.
L’un des temps forts de la Réunion des ministres de la Défense sur le maintien de la paix des Nations Unies dont le Canada a été l'hôte en 2017 a été l’annonce d’un fonds pilote de 15 millions de dollars sur cinq ans, qui devait servir à recruter et à former des femmes militaires et policières pour les missions de maintien de la paix des Nations Unies et à promouvoir leur avancement. En prenant cet engagement, Ottawa s’inspirait de la résolution 1325 du Conseil de sécurité des Nations Unies sur les femmes, la paix et la sécurité, qui a été adoptée en 2000. Cette résolution exhortait tous les pays membres à accroître la participation des femmes aux opérations de maintien de la paix. Elle demandait aussi à toutes les parties aux conflits de prendre des mesures spéciales pour protéger les femmes et les filles contre la violence fondée sur le sexe, en particulier le viol et d’autres violences sexuelles, dans les situations de conflit armé.
Le principe central de la résolution 1325 du Conseil de sécurité des Nations Unies veut que l’augmentation du nombre de femmes dans une mission donnée de maintien de la paix en améliore l’efficacité opérationnelle. La résolution suppose que la nomination ou le recrutement d’un plus grand nombre de femmes à des postes de dirigeant, de décideur, d’officier de l'armée ou de la police ou encore de soldat est un moyen de mieux protéger la sécurité et les droits des femmes et des filles dans les pays où les missions de maintien de la paix sont déployées. Elle présume que les femmes victimes de violence sexuelle seront plus à l’aise pour parler à des femmes et se faire protéger par des femmes. L’intégration d’un plus grand nombre de femmes aux missions de maintien de la paix a également été considérée comme une façon pour l’ONU de lutter contre le phénomène de plus en plus avéré de l'exploitation et des violences sexuelles dont des soldats de la paix de sexe masculin se rendraient coupables. Ainsi, par un effet « civilisateur » sur leurs collègues masculins, la présence de femmes soldats de la paix devait faire diminuer le problème de l'exploitation et des violences sexuelles.
L'idée selon laquelle les femmes sont non seulement plus pacifiques que les hommes, mais aussi capables de pacifier la violence masculine n’est pas bien vérifiée empiriquement, mais elle continue d’orienter la politique actuelle sur les femmes et le maintien de la paix. L’historien Gerard DeGroot, un ardent défenseur de la participation d’un plus grand nombre de femmes aux opérations de maintien de la paix, soutient que la présence de femmes dans les groupes armés semble avoir un « effet civilisateur » sur les hommes en prévenant leurs comportements indésirables, dont les agressions et les violences sexuelles. Dans un discours-programme qu’il a prononcé devant les représentants de l’ONU en 2010, M. DeGroot a dit que les femmes peuvent améliorer l’efficacité des opérations de maintien de la paix pour la simple raison qu’elles ne sont pas des hommes et que les femmes semblent moins portées à la violence.
Bien que cela ne soit pas explicitement affirmé dans les propos de DeGroot, l’hypothèse centrale est que les femmes peuvent essentiellement obliger les hommes, en leur faisant honte, à se comporter de façon plus correcte. Fort peu de preuves empiriques étayent ces hypothèses, mais elles ont été acceptées comme des évidences sans beaucoup de vérification. Toutefois, il est avéré que la présence de femmes en petit nombre, et même en grand nombre, n’a aucune influence sur le comportement des hommes. Par exemple, s'appuyant sur ses recherches en Sierra Leone et en République démocratique du Congo, Dara Cohen, chercheuse à la Kennedy School of Government de Harvard, conclut que, face à des contraintes et à des pressions sociales semblables, les femmes sont aussi capables que leurs collègues masculins de commettre des violences.
Soyons bien clairs: je ne soutiens pas que les femmes ou les hommes sont naturellement portés à commettre des violences ou des agressions, mais plutôt que, dans certaines circonstances, des représentants des deux sexes peuvent être portés vers de tels comportements.
Il ne faut pas s’étonner que bon nombre des hypothèses invoquées pour justifier la participation accrue des femmes aux opérations de maintien de la paix, selon lesquelles elles sont moins corrompues, par exemple, et moins sujettes à la violence ou aux agressions sexuelles, ne tiennent pas souvent la route dans les faits, car le nombre de femmes en uniforme dans les opérations de maintien de la paix est encore extrêmement faible.
En août 2018 — ce sont les chiffres les plus récents —, les femmes représentaient un peu moins de 4 % des Casques bleus militaires — 3,95 % pour être précise —, et 11,2 % du personnel policier dans le cadre des opérations de maintien de la paix dans le monde. C’est bien loin de l’objectif de 20 % fixé par la Police des Nations Unies en 2000.
La recherche sur l’emploi et l’équité sociale dans d’autres professions à prédominance masculine révèle qu’un milieu de travail doit avoir au moins 15 % de femmes si on veut réduire ce qu’on appelle l’« effet de minorité » et, idéalement, viser 30 % pour obtenir les effets de la présence d'une masse critique.
Les femmes ont une lourde tâche, à bien des égards, dans certains secteurs d'activité, notamment dans les opérations de maintien de la paix, car elles sont fortement sous-représentées, mais considérées comme des agents de changement: on compte sur elles pour guider l’évolution des cultures de travail masculines. Dans de tels milieux, les femmes doivent souvent affronter le fait qu'elles sont considérées comme plus soucieuses du bien-être de la personne et moins belliqueuses que les hommes, soit par nature, soit par socialisation. Ce sont des qualités qui, paradoxalement, ont été perçues par le passé comme rendant les femmes inaptes au travail dans les forces militaires et policières, alors qu’elles se retrouvent dans ces milieux justement parce qu'elles possèdent ces qualités.
On parle beaucoup du fait que des femmes engagées dans le maintien de la paix s'occupent de services communautaires et de sensibilisation sur le terrain, surtout depuis le déploiement d'unités de maintien de la paix entièrement constituées de femmes, par exemple, des Indiennes au Libéria et des Bangladaises en Haïti. Il y a de meilleures occasions de recherche systématique pour comprendre la contribution des femmes militaires et policières, et pour savoir si elle est différente de celle des soldats de la paix masculins. Il ne fait aucun doute que les Casques bleus civils et militaires peuvent apporter une contribution très importante aux opérations de maintien de la paix.
Si la compassion, l’empathie et la sensibilité à l’égard des populations locales sont des attributs importants des Casques bleus, ce sur quoi je suis d'accord, pourquoi ne pouvons-nous pas former tous les Casques bleus, quel que soit leur sexe, pour qu’ils soient compatissants, empathiques et sensibles? Pourquoi ces caractéristiques sont-elles considérées comme ne pouvant être incarnées que par des femmes?
En soulignant les problèmes liés aux hypothèses essentialistes au sujet de la participation des femmes au maintien de la paix, je dois éviter de donner de munitions aux misogynes et aux antiféministes, qui préféreraient que les femmes ne soient pas du tout présentes dans les forces militaires et policières. Ceux d’entre nous qui ne sont pas sûrs qu'on puisse invoquer l’efficacité opérationnelle pour justifier l’augmentation du nombre de femmes participant au maintien de la paix ne sont pas du tout contre la participation des femmes à cette activité. Nous exprimons simplement des doutes sur la façon dont la proposition est présentée. En tant que chercheuse, j’ai évidemment le devoir de poser des questions critiques, même au sujet de politiques que j’appuie.
Les femmes représentent 50 % de la population canadienne et mondiale. Elles devraient avoir droit aux mêmes débouchés que les hommes dans les opérations de maintien de la paix, sans porter le fardeau supplémentaire de devoir « civiliser » les comportements ou améliorer l’efficacité opérationnelle. Le fait d’avoir plus de femmes dans le maintien de la paix contribue à l’objectif d’une mission de maintien de la paix plus représentative et égalitaire. L’égalité entre les sexes et la représentativité devraient être des objectifs en soi, et non des moyens de parvenir à des fins qui ne sont pas forcément bien inspirées.
Il se peut que des tenants de l’argument de l’efficacité opérationnelle trouvent ces critiques irritantes, voire exaspérantes. Ils soutiennent que nous devrions faire le boulot et se demandent s’il est si grave que nous fassions la bonne chose pour la mauvaise raison.
Je dirai qu’une étape importante vers l’égalité des sexes dans le maintien de la paix consiste à faire la distinction entre un argument fondé sur les droits et un argument instrumentaliste. Après tout, si on augmente le nombre de femmes dans les opérations de maintien de la paix et qu’on constate qu’il y a encore beaucoup d’exploitation et de violences sexuelles et que les femmes n’ont pas été capables de transformer les institutions, est-ce qu’on sera fondé à demander aux femmes de se retirer?
En terminant, je tiens à souligner que le sexe n’est pas le seul marqueur d’identité pertinent chez les Casques bleus. La classe sociale, la race, la religion, l’éducation, la langue, l’ethnicité et la nationalité sont des éléments très importants de l’identité des soldats de la paix. Dans toute conversation sur la diversification des équipes de maintien de la paix, il faut y porter une attention particulière.
Merci de votre attention.
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Si j’ai bien compris, vous me demandez quels sont les facteurs qui expliquent l'exclusion des femmes des processus de maintien de la paix.
Je n'ai aucune réponse simple à vous donner. Je fais des recherches sur la question depuis longtemps, et j’ai constaté que l’un des plus gros problèmes est l'idée reçue selon laquelle les femmes ne sont pas engagées dans les conflits. Cela ne nous sert pas très bien, parce que les femmes sont également mêlées aux conflits. De toute évidence, elles doivent aussi faire partie des solutions en matière de maintien de la paix.
Ce sont ces idées préconçues fondées sur le sexe, au sujet de ceux qui se battent et de ceux qui ne le font pas, qui ont longtemps empêché les femmes de participer aux missions de maintien de la paix. Nous constatons de plus en plus, dans les études sur les conflits partout dans le monde, que les femmes ne font pas que se déplacer avec les soldats. Elles ne sont pas cantonnées dans les rôles d'épouse, de mère ou d'aide aux combattants, par exemple. Elles participent assez activement aux conflits. Par conséquent, il est très important qu'on tienne compte d'elles dans le maintien de la paix.
Une réponse plus générale, c'est que, par le passé, les femmes n’ont jamais participé aux discussions sur le rétablissement de la paix, même si elles ont joué un rôle très important, allant jusqu'à mettre fin à une guerre civile, dans de nombreux pays. Le Libéria en est le meilleur exemple, car les femmes y ont joué un rôle essentiel pour mettre fin aux conflits armés.
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Il est vraiment important d’avoir un débat plus large sur le pouvoir. La plupart des abus sexuels ne tournent pas autour de ce à quoi on pense généralement. Ce n’est pas une question de gratification sexuelle. C’est une question de pouvoir. Des gens se retrouvent dans des positions de pouvoir — intrinsèquement de pouvoir sur les autres —, et c’est pourquoi il est très important d’avoir des discussions beaucoup plus poussées sur le pouvoir. Ces échanges sur le pouvoir ouvriront beaucoup de portes qui sont restées fermées jusqu’à maintenant.
On n'a pas vraiment réfléchi aux relations de pouvoir entre les forces de maintien de la paix et les populations locales, par exemple. Des échanges beaucoup plus poussés s'imposent si nous voulons comprendre ce qui se passe et trouver des moyens d’empêcher les problèmes de cet ordre. Bien sûr, les politiques de tolérance zéro sont toutes très utiles, mais ce que je voudrais dire, c’est que les politiques en elles-mêmes ne transforment pas les institutions. Il faut que les esprits et les coeurs changent. Tant que les soldats de la paix sont en position de pouvoir par rapport aux populations locales et tant qu’il y a des perceptions d’impunité, je ne vois pas comment les comportements répréhensibles vont cesser.
Il n’y a pas grand-chose qui montre que l’augmentation du nombre de femmes dans les missions de maintien de la paix change vraiment quoi que ce soit. Je n’ai pas étudié les opérations de maintien de la paix en tant que telles, mais j’ai examiné d’autres situations de conflit. C’est très intéressant: si on considère d’autres groupes armés — par exemple, des groupes armés qui comprennent à la fois des femmes et des hommes — on ne relève aucune corrélation. Dans des groupes qui comptent un grand nombre de femmes, nous observons encore des niveaux assez élevés d’exploitation et de violences sexuelles.
L’autre chose qu’il ne faut pas oublier, c’est la théorie selon laquelle il n’y a pas autant d’exploitation ou de violences sexuelles si les femmes sont plus nombreuses dans certains groupes, parce qu’il existe peut-être alors des possibilités de relations sexuelles sans coercition. Je trouve cela vraiment troublant. Dans ces contextes, on place les femmes dans une situation très étrange.
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Non, à mon avis. Je devrais donner une réponse plus complexe.
L’ONU a grandement besoin d’une réforme, et je le dis en étant profondément convaincue de la valeur du processus multilatéral et des institutions multilatérales. Mais je peux croire aux institutions et aux processus multilatéraux tout en affirmant qu’ils doivent être réformés.
Je suis sûre que l’architecture comprenant cinq membres permanents du Conseil de sécurité fonctionnait très bien en 1949, mais aujourd’hui, en 2018, cela ne reflète absolument pas un monde multipolaire. Le Canada veut maintenant, par exemple, un siège non permanent au Conseil de sécurité pour une période de deux ans. Fort bien. C’est la structure dans laquelle nous devons travailler actuellement. C’est le seul moyen à notre disposition. Je comprends donc pourquoi le Canada veut siéger au Conseil de sécurité. Si je me souviens bien, nous en sommes exclus depuis 20 ans. Je comprends, mais c’est comme demander un siège à une table plutôt que de demander une réforme de la table elle-même. Cela me trouble.
En même temps, je comprends que nous fonctionnons dans un cadre chronologique plus restreint. Oui, nous réclamons une place pour la période allant de 2021 à 2023, et je ne suis pas forcément en désaccord, mais nous devrions tout de même pouvoir demander une réforme tout en étant conscients du fait qu’il faut nous efforcer d'obtenir ce siège.
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D’accord. Il faut distinguer plusieurs niveaux.
Premièrement, comme je l’ai écrit dans cet article, la grande majorité des opérations de maintien de la paix se déroulent dans le Sud. Il y en a très, très peu dans les pays du Nord. C'est comme si nous allions civiliser des indigènes. Ce sont des choses que nous avons entendues par le passé, dans d'autres récits, comme le récit colonial, puisque le colonialisme a aussi été justifié comme une chose qui était bonne pour les gens. Il nous faut donc tracer une limite en nous demandant si c'est le seul moyen d'assurer à l'avenir une paix durable dans la communauté internationale. Le seul moyen d'assurer la paix est-il de recourir à des entités militarisées?
Je le répète, je comprends qu’à court terme, il faut parfois des missions de maintien de la paix. Il y a eu bien des blagues à ce sujet, des mèmes d'Américains qui, après 2016, ont demandé une mission de maintien de la paix aux États-Unis. Ce sont des plaisanteries, mais elles donnent matière à réflexion, car nous présumons que c'est ailleurs dans le monde, dans le Sud, qu'il faut aller maintenir la paix.
Nous ne pouvons pas nous passer de ces missions pour l'instant, mais il faut que ce débat se fasse, car c’est une question de pouvoir sur un arrière-plan de colonialisme.
Cela dit, je comprends qu’à court terme, on ait souvent besoin de missions de maintien de la paix, et que nous avons raison de fournir des troupes à ces missions, bien qu’aujourd’hui, la grande majorité des troupes provienne de pays du Sud. Sauf erreur, le Canada ne figure plus, depuis une vingtaine d'années, parmi les 20 pays qui contribuent le plus au maintien de la paix. Nous fournissons relativement peu de troupes au regard de l'ampleur du programme mondial de maintien de la paix.
Certains pays ont l’habitude de fournir un très grand nombre de Casques bleus. Aujourd’hui, on pense à des pays comme l’Inde, le Pakistan et le Bangladesh, à des pays d’Amérique du Sud, et plus particulièrement du cône Sud. Le Chili, l’Argentine, le Brésil, l’Uruguay et le Paraguay sont des pays qui contribuent beaucoup au maintien de la paix. Au lieu de simplement maintenir cette pratique qui consiste maintenant à attirer les gens dans des institutions dont je ne suis pas sûre qu'elles aient si bien réussi à bâtir une paix durable...
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Merci, monsieur le président.
Madame Baruah, merci beaucoup d’être parmi nous. Comme je n’ai que cinq minutes, je vais poser mes questions de façon judicieuse.
Tout d'abord, je tiens à vous remercier de ce que vous avez apporté à nos débats en démasquant et en infirmant certaines hypothèses et en mettant l’accent sur la recherche fondée sur des données probantes et, au bout du compte, sur les politiques. C’est tout aussi important dans les sciences sociales et humaines que dans les sciences naturelles.
Êtes-vous en train de dire au comité que nous devrions nous éloigner de la complémentarité des approches instrumentales et fondées sur les droits, en ce sens que nous recourons parfois à des approches instrumentales lorsque cela nous convient, lorsque nous pensons que cela créera un certain élan?
Nous le faisons également pour l’égalité entre les sexes en ce qui concerne les contributions économiques. Il est prouvé que, si nous avions l’équité salariale demain dans le monde entier, nous en tirerions un avantage économique de plus de 10 billions de dollars. Ainsi, on attire dans la conversation des hommes qui ne s’y sont jamais intéressés. Est-ce ce que vous préconisez, ou devrions-nous nous en tenir à l’approche fondée sur les droits?
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Je pense que c’est très utile dans ce contexte. Je vous remercie de cette précision.
Je vais revenir un instant au maintien de la paix.
À mon avis, il faut distinguer trois cultures pour assurer la parité ou, du moins, la démarche de parité dans le maintien de la paix.
La première est la culture du pays qui fournit des troupes. La deuxième est la culture de toute coalition réunie pour résoudre le problème, qu’il s’agisse de l’OTAN, de l’ONU ou d’une autre constellation. La dernière est la culture du gouvernement hôte, pour ne pas dire le gouvernement cible.
Est-ce la bonne façon de voir les choses? Si c’est le cas, où voyez-vous les plus grands obstacles en ce moment dans la recherche que vous faites, et à quel niveau? Pourriez-vous nous donner une perspective canadienne, peut-être?
Est-ce la coalition de l’OTAN ou les coalitions de l’ONU qui regroupent des cultures de maintien de la paix de tous les coins du monde? Ensuite, l’importance de la participation des femmes est habituellement secondaire, tertiaire, voire encore moindre, mais il y a aussi des cultures dans les pays que nous aidons où il peut être mal vu de nommer une femme à un poste de direction.
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Je vais partager mon temps avec mes amis ici présents, et je vais m'exprimer en français.
[Français]
Vos commentaires m'apparaissent très intéressants. Je fais partie des femmes qui pensent comme vous. Vous dites, en effet, que les femmes devraient pouvoir s'engager dans le domaine du maintien de la paix pour les mêmes raisons que les hommes, sans qu'on les charge de civiliser les opérations ou de les rendre plus efficaces.
En tant que femme, j'ai un peu de difficulté à accepter l'emploi du mot « femme » lorsqu'on effectue des réformes. Cela donne l'impression que nous sommes de second ordre. Selon moi, l'égalité c'est d'être une femme députée au même titre que mes collègues masculins. Je n'ai pas besoin qu'un document utilise le genre féminin puisque je sais que je vaux autant que mes confrères.
Est-ce que le fait d'absolument vouloir préciser le genre peut apporter certaines difficultés aux femmes qui, comme moi, pensent que nous sommes égales aux hommes?
Messieurs, je suis désolée, mais il m'arrive parfois de penser que les femmes sont supérieures aux hommes à bien des égards, parce que nous donnons naissance, par exemple.
Est-ce que le fait de nommer le genre dans un document peut donner l'impression aux femmes que nous le faisons justement pour les faire reculer et les diriger où nous voulons?
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Je ne pense pas qu’il soit nécessaire de choisir l’un ou l’autre. S’il y a un mécanisme spécial qui est nécessaire pour régler ce problème particulier, bien sûr, nous devrions l'avoir, mais n'allons pas croire que ce mécanisme spécial va résoudre le problème quand il faut que les solutions s'étendent à toutes les parties de l’institution.
S’il semble y avoir un besoin à cet égard — je ne le sais pas — alors, oui, je pense que nous devrions créer un mécanisme spécial, ou vous pouvez penser à quelqu’un qui est prêt à se faire le champion de ces questions. En général, en étudiant les institutions, je constate que lorsque ces questions... Un changement durable survient souvent lorsque, aux échelons les plus élevés, les gens croient qu’ils vont vraiment faire une différence et qu’ils veulent vraiment changer les choses.
Je pense que nous devons voir une volonté de changement, un engagement à changer les structures institutionnelles qui appuient... peut-être pas « appuient », mais qui ne remettent pas en question des choses comme le harcèlement et l’intimidation. Je pense que cet engagement doit venir du plus haut niveau possible dans l’institution pour faire une différence.
Il ne suffit même pas de... Il faut absolument une masse critique de gens qui veulent changer les choses, mais je pense que cela doit venir d’en haut. Les mécanismes spéciaux ont leur utilité, mais ils ont souvent pour effet de convaincre les gens qu’on s’occupe de la situation — par exemple, nous avons formé tel comité pour s’occuper de telle question, alors il faut la régler.
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Merci beaucoup, monsieur le président.
Je vous remercie de votre excellente présentation. En fait, vous avez réveillé beaucoup d'émotions chez moi, parce que je n’ai jamais travaillé ailleurs que dans des professions à prédominance masculine, et j’ai toujours été minoritaire. Pour beaucoup de vos commentaires, soit que je suis tout à fait en désaccord, soit que je suis tout à fait d’accord, alors il y a eu beaucoup d’émotions pour moi.
Premièrement, j’ai bien aimé que vous précisiez que la décision du Canada d’aller au Mali n’était pas seulement un exercice de relations publiques. Elle s'inscrit vraiment dans une démarche beaucoup plus large qui consiste à nous réengager dans le monde, à vouloir contribuer aux opérations de paix et à l’ONU, à aider à changer cette institution et à susciter même certains changements. Cela s’ajoute à notre politique d'aide internationale féministe et à la somme que vous avez mentionnée à juste titre, environ 150 millions de dollars, pour essayer d'apporter une autonomie locale aux femmes et aux filles dans un certain nombre de pays. J’ai bien aimé votre déclaration. Je pense que c’est important. C’est un programme beaucoup plus vaste que nous essayons de réaliser.
Je comprends ce que vous dites, qu'en ajoutant des femmes, on ne change pas automatiquement le maintien de la paix. Il faut tenir compte de la culture locale, changer des organisations, composer avec les structures du pouvoir, former et renforcer des compétences locales.
L’une des choses avec lesquelles j’ai toujours de la difficulté, c’est quand je me dis: « Pourquoi ne pas passer tout de suite à un quota? » Je suis tout à fait d’accord avec vous que pour une personne qui est une femme et peut-être un cadre supérieur dans une grande organisation, s’il n’y a que deux femmes sur 15 personnes, elles ne changeront rien, mais si j’ai huit femmes sur 15, j’aurai peut-être une grande influence. Pourquoi ne pas passer à quelque chose comme un quota?
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On m’a posé plusieurs fois la même question.
On considérait que c’était une mesure énorme que le Canada a prise récemment... Nous avons maintenant la norme « se conformer ou s’expliquer », qui est la norme minimale. Il y a l’obligation de se conformer ou de s’expliquer, puis il y a les cibles, puis il y a les quotas. Malheureusement, les quotas sont encombrés par toutes ces choses. Il y a un héritage historique de quotas et, moi, je n'ai pas de problème avec cela.
Je pense que les pays qui ont adopté des quotas en politique ont très bien réussi. Je parle de la Norvège, de l’Allemagne ou de la France, par exemple. Ces pays ont atteint le nombre de femmes voulu dans les conseils d’administration. En fait, ils ont bien mieux réussi que les pays qui ont juste des cibles, et certainement bien mieux que les pays qui ont des critères de « conformité ou explication », comme le Canada, le Royaume-Uni et l’Australie.
Ce que je crains avec les quotas, c’est que nous finissions par nuire aux gens que nous essayons d’aider. Nous essayons de diversifier ces institutions et les quotas le font très bien parce qu'ils sont dictés par la loi. Si vous ne les respectez pas, vous enfreignez la loi, ce qui fait une grande différence. Le problème, c’est que les quotas doivent être maintenus pendant une longue période pour être efficaces, parce que les groupes qui n’ont jamais eu de siège à la table ont souvent besoin de temps pour apprendre une fois qu’ils l’ont obtenu. On peut supposer cela, par exemple.
L’exemple qui revient toujours est celui du Rwanda, qui compte aujourd’hui le plus grand nombre de femmes au Parlement. Je crois que la proportion est de 64 %. Rappelez-vous que le Rwanda a adopté des quotas légaux, mais fixés à seulement 30 %, si je me souviens bien. Si les accusations portées par les gens étaient vraies — à savoir que si on place des femmes dans ces postes, elles ne seront pas très efficaces, les hommes les mettront aisément à leur main et elles feront comme le groupe majoritaire —, nous n’en serions jamais arrivés à 64 %. La proportion n'aurait pas dépassé 30 %.
Je pense qu’au Rwanda, même si on supprime les quotas, nous ne verrons jamais le nombre de femmes revenir à 9 % ou 10 % parce qu’il y a eu suffisamment de temps pour avoir un effet de démonstration, pour que les femmes puissent dire: « Oui, nous pouvons le faire. C’est la norme; ce n’est pas inhabituel. » Je pense que c’est la grande différence.
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Peut-être, mais il faut aussi se rappeler que les interactions entre les Casques bleus et les populations locales sont très formelles. Il y a très peu d'occasions.
C’est toujours drôle de lire quelqu'un qui parle de ces visions utopiques des Casques bleus et de leurs amitiés dans les populations locales. Les structures mêmes des missions de maintien de la paix ne le permettent pas, parce que souvent, on n’a même pas le droit de quitter la base.
La diversité est importante, très bien même si on va au-delà du sexe, mais il est important aussi de créer des mécanismes qui permettent aux Casques bleus d'interagir de manière plus significative, et peut-être dans des circonstances moins officielles, avec les populations locales. C’est là qu'il faudrait faire appel au grand nombre d’organismes communautaires qui oeuvrent dans ces contextes.
J’aimerais ajouter qu’en Afghanistan, nous avons examiné la façon dont les Canadiens interagissaient avec les organisations de la société civile locale. Nous avons constaté que nous ne sommes pas très doués pour les reconnaître dans un contexte mondial. Quand on parle d’ONG, on s’attend à un certain type de représentation, alors qu’en Afghanistan, les organisations qui ont pesé le plus dans la balance étaient souvent associées à la religion, par exemple. Il y avait des groupes de femmes, qui s’organisaient dans des mosquées et qui ne se disent pas des ONG. Ce sont juste des groupes communautaires qui ont un pouvoir énorme dans ces milieux. Il est très important aussi d’apprendre à élargir notre conception de ce qu'est exactement une organisation de la société civile sur le terrain et de ne pas nous en tenir obstinément à nos idées séculaires dans ce domaine.
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Je me trouve très chanceuse. Je me trouve très bien financée parce que le titre même de titulaire d'une chaire de recherche du Canada est bon. Je m’en tire bien. Je reçois un très bon financement du Conseil de recherches en sciences humaines. En fait, je reçois pas mal de fonds de recherche de partout.
Pour être bien honnête, ce qui manque à mon avis, c'est de pouvoir faire plus de travail exploratoire. Si nous avons une bonne intuition de quelque chose et que nous avons besoin d'un projet pilote, les résultats peuvent être très différents de ce que nous avions prévu. Il faut pouvoir faire du travail exploratoire pour comprendre ces questions.
Nous avons besoin de plus de gens. J’ai des étudiants qui étudient ces sujets, mais les politiques doivent s’appuyer sur des données probantes et non sur des idéologies ou des intuitions comme j'en découvre. Beaucoup d'hypothèses et d'idées sur ce que les femmes peuvent faire dans ces missions sont plus intuitives ou idéologiques qu'autre chose — que les femmes sont bonnes et donc qu'elles y arriveront. Plus nous pouvons présenter de preuves, plus nous pouvons faire de recherches. C’est important, surtout maintenant qu’il y a des missions de maintien de la paix où les femmes sont nombreuses.
À certains endroits, il y a des unités exclusivement féminines, comme en Inde ou au Bangladesh. Encore une fois, j’ai des sentiments partagés à ce sujet. Parfois, je pense que c’est un geste grandiose pour montrer à quel point les femmes se portent bien dans ces pays, alors que l’Inde, par exemple, a encore d’énormes problèmes de violence sexuelle. C’est le pays du G20 le moins bien coté pour l’égalité entre les sexes. Je pense qu’il s’agit en définitive d’un exercice de relations publiques, mais nous avons la possibilité de mener des recherches sur le terrain pour comprendre comment ces groupes, comment les femmes, contribuent au maintien de la paix. Sont-ils différents? Sont-elles différentes au point où nous pouvons dire que les femmes font des contributions différentes?
Je serais heureuse de recevoir des fonds pour faire ce travail. Je pense que nous en avons assez, mais il serait très utile de pouvoir financer aussi de petits projets exploratoires.