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NDDN Réunion de comité

Les Avis de convocation contiennent des renseignements sur le sujet, la date, l’heure et l’endroit de la réunion, ainsi qu’une liste des témoins qui doivent comparaître devant le comité. Les Témoignages sont le compte rendu transcrit, révisé et corrigé de tout ce qui a été dit pendant la séance. Les Procès-verbaux sont le compte rendu officiel des séances.

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Emblème de la Chambre des communes

Comité permanent de la défense nationale


NUMÉRO 106 
l
1re SESSION 
l
42e LÉGISLATURE 

TÉMOIGNAGES

Le jeudi 20 septembre 2018

[Énregistrement électronique]

(1100)

[Traduction]

    Bienvenue à tout le monde à la première séance publique du Comité de la défense après la relâche. Nous avons tenu une réunion à huis clos, mais comme nous sommes en séance publique, je souhaite officiellement la bienvenue aux nouveaux membres permanents du comité.
    Madame Dzerowicz, merci et bienvenue. Monsieur Martel, merci à vous également. Madame Boucher remplace aujourd’hui M. Bezan.
    Bienvenue aux nouveaux secrétaires parlementaires, Serge Cormier et Stéphane Lauzon.
    Nous allons poursuivre nos échanges sur la contribution du Canada aux efforts internationaux de maintien de la paix. Nous accueillons aujourd’hui Mme Baruah. Merci d'avoir bien voulu comparaître.
    Je vous cède la parole pour votre déclaration liminaire.
     Merci de me donner l’occasion de comparaître devant le Comité permanent de la défense nationale. Je suis professeure titulaire au Département des études féminines et de la recherche féministe à l’Université Western Ontario. Je suis également titulaire de la chaire de recherche du Canada sur les questions relatives aux femmes dans le monde.
    En novembre dernier, j’ai rédigé une lettre d’opinion dans Options politiques. Elle s'intitulait au départ « A few good women: A reality check for Canada's peacekeeping pipe dream », mais les rédacteurs ont opté pour un titre plus simple: « Short-sighted commitments on women in peacekeeping ». Je m’intéresse à la question depuis fort longtemps. Dans ma lettre d’opinion, j’ai exprimé mes préoccupations au sujet de la façon dont le rôle des femmes dans le maintien de la paix est présenté et structuré. Je vais reprendre ici les mêmes observations.
    L’un des temps forts de la Réunion des ministres de la Défense sur le maintien de la paix des Nations Unies dont le Canada a été l'hôte en 2017 a été l’annonce d’un fonds pilote de 15 millions de dollars sur cinq ans, qui devait servir à recruter et à former des femmes militaires et policières pour les missions de maintien de la paix des Nations Unies et à promouvoir leur avancement. En prenant cet engagement, Ottawa s’inspirait de la résolution 1325 du Conseil de sécurité des Nations Unies sur les femmes, la paix et la sécurité, qui a été adoptée en 2000. Cette résolution exhortait tous les pays membres à accroître la participation des femmes aux opérations de maintien de la paix. Elle demandait aussi à toutes les parties aux conflits de prendre des mesures spéciales pour protéger les femmes et les filles contre la violence fondée sur le sexe, en particulier le viol et d’autres violences sexuelles, dans les situations de conflit armé.
    Le principe central de la résolution 1325 du Conseil de sécurité des Nations Unies veut que l’augmentation du nombre de femmes dans une mission donnée de maintien de la paix en améliore l’efficacité opérationnelle. La résolution suppose que la nomination ou le recrutement d’un plus grand nombre de femmes à des postes de dirigeant, de décideur, d’officier de l'armée ou de la police ou encore de soldat est un moyen de mieux protéger la sécurité et les droits des femmes et des filles dans les pays où les missions de maintien de la paix sont déployées. Elle présume que les femmes victimes de violence sexuelle seront plus à l’aise pour parler à des femmes et se faire protéger par des femmes. L’intégration d’un plus grand nombre de femmes aux missions de maintien de la paix a également été considérée comme une façon pour l’ONU de lutter contre le phénomène de plus en plus avéré de l'exploitation et des violences sexuelles dont des soldats de la paix de sexe masculin se rendraient coupables. Ainsi, par un effet « civilisateur » sur leurs collègues masculins, la présence de femmes soldats de la paix devait faire diminuer le problème de l'exploitation et des violences sexuelles.
    L'idée selon laquelle les femmes sont non seulement plus pacifiques que les hommes, mais aussi capables de pacifier la violence masculine n’est pas bien vérifiée empiriquement, mais elle continue d’orienter la politique actuelle sur les femmes et le maintien de la paix. L’historien Gerard DeGroot, un ardent défenseur de la participation d’un plus grand nombre de femmes aux opérations de maintien de la paix, soutient que la présence de femmes dans les groupes armés semble avoir un « effet civilisateur » sur les hommes en prévenant leurs comportements indésirables, dont les agressions et les violences sexuelles. Dans un discours-programme qu’il a prononcé devant les représentants de l’ONU en 2010, M. DeGroot a dit que les femmes peuvent améliorer l’efficacité des opérations de maintien de la paix pour la simple raison qu’elles ne sont pas des hommes et que les femmes semblent moins portées à la violence.
    Bien que cela ne soit pas explicitement affirmé dans les propos de DeGroot, l’hypothèse centrale est que les femmes peuvent essentiellement obliger les hommes, en leur faisant honte, à se comporter de façon plus correcte. Fort peu de preuves empiriques étayent ces hypothèses, mais elles ont été acceptées comme des évidences sans beaucoup de vérification. Toutefois, il est avéré que la présence de femmes en petit nombre, et même en grand nombre, n’a aucune influence sur le comportement des hommes. Par exemple, s'appuyant sur ses recherches en Sierra Leone et en République démocratique du Congo, Dara Cohen, chercheuse à la Kennedy School of Government de Harvard, conclut que, face à des contraintes et à des pressions sociales semblables, les femmes sont aussi capables que leurs collègues masculins de commettre des violences.
    Soyons bien clairs: je ne soutiens pas que les femmes ou les hommes sont naturellement portés à commettre des violences ou des agressions, mais plutôt que, dans certaines circonstances, des représentants des deux sexes peuvent être portés vers de tels comportements.
    Il ne faut pas s’étonner que bon nombre des hypothèses invoquées pour justifier la participation accrue des femmes aux opérations de maintien de la paix, selon lesquelles elles sont moins corrompues, par exemple, et moins sujettes à la violence ou aux agressions sexuelles, ne tiennent pas souvent la route dans les faits, car le nombre de femmes en uniforme dans les opérations de maintien de la paix est encore extrêmement faible.
(1105)
     En août 2018 — ce sont les chiffres les plus récents —, les femmes représentaient un peu moins de 4 % des Casques bleus militaires — 3,95 % pour être précise —, et 11,2 % du personnel policier dans le cadre des opérations de maintien de la paix dans le monde. C’est bien loin de l’objectif de 20 % fixé par la Police des Nations Unies en 2000.
    La recherche sur l’emploi et l’équité sociale dans d’autres professions à prédominance masculine révèle qu’un milieu de travail doit avoir au moins 15 % de femmes si on veut réduire ce qu’on appelle l’« effet de minorité » et, idéalement, viser 30 % pour obtenir les effets de la présence d'une masse critique.
    Les femmes ont une lourde tâche, à bien des égards, dans certains secteurs d'activité, notamment dans les opérations de maintien de la paix, car elles sont fortement sous-représentées, mais considérées comme des agents de changement: on compte sur elles pour guider l’évolution des cultures de travail masculines. Dans de tels milieux, les femmes doivent souvent affronter le fait qu'elles sont considérées comme plus soucieuses du bien-être de la personne et moins belliqueuses que les hommes, soit par nature, soit par socialisation. Ce sont des qualités qui, paradoxalement, ont été perçues par le passé comme rendant les femmes inaptes au travail dans les forces militaires et policières, alors qu’elles se retrouvent dans ces milieux justement parce qu'elles possèdent ces qualités.
    On parle beaucoup du fait que des femmes engagées dans le maintien de la paix s'occupent de services communautaires et de sensibilisation sur le terrain, surtout depuis le déploiement d'unités de maintien de la paix entièrement constituées de femmes, par exemple, des Indiennes au Libéria et des Bangladaises en Haïti. Il y a de meilleures occasions de recherche systématique pour comprendre la contribution des femmes militaires et policières, et pour savoir si elle est différente de celle des soldats de la paix masculins. Il ne fait aucun doute que les Casques bleus civils et militaires peuvent apporter une contribution très importante aux opérations de maintien de la paix.
    Si la compassion, l’empathie et la sensibilité à l’égard des populations locales sont des attributs importants des Casques bleus, ce sur quoi je suis d'accord, pourquoi ne pouvons-nous pas former tous les Casques bleus, quel que soit leur sexe, pour qu’ils soient compatissants, empathiques et sensibles? Pourquoi ces caractéristiques sont-elles considérées comme ne pouvant être incarnées que par des femmes?
    En soulignant les problèmes liés aux hypothèses essentialistes au sujet de la participation des femmes au maintien de la paix, je dois éviter de donner de munitions aux misogynes et aux antiféministes, qui préféreraient que les femmes ne soient pas du tout présentes dans les forces militaires et policières. Ceux d’entre nous qui ne sont pas sûrs qu'on puisse invoquer l’efficacité opérationnelle pour justifier l’augmentation du nombre de femmes participant au maintien de la paix ne sont pas du tout contre la participation des femmes à cette activité. Nous exprimons simplement des doutes sur la façon dont la proposition est présentée. En tant que chercheuse, j’ai évidemment le devoir de poser des questions critiques, même au sujet de politiques que j’appuie.
    Les femmes représentent 50 % de la population canadienne et mondiale. Elles devraient avoir droit aux mêmes débouchés que les hommes dans les opérations de maintien de la paix, sans porter le fardeau supplémentaire de devoir « civiliser » les comportements ou améliorer l’efficacité opérationnelle. Le fait d’avoir plus de femmes dans le maintien de la paix contribue à l’objectif d’une mission de maintien de la paix plus représentative et égalitaire. L’égalité entre les sexes et la représentativité devraient être des objectifs en soi, et non des moyens de parvenir à des fins qui ne sont pas forcément bien inspirées.
    Il se peut que des tenants de l’argument de l’efficacité opérationnelle trouvent ces critiques irritantes, voire exaspérantes. Ils soutiennent que nous devrions faire le boulot et se demandent s’il est si grave que nous fassions la bonne chose pour la mauvaise raison.
    Je dirai qu’une étape importante vers l’égalité des sexes dans le maintien de la paix consiste à faire la distinction entre un argument fondé sur les droits et un argument instrumentaliste. Après tout, si on augmente le nombre de femmes dans les opérations de maintien de la paix et qu’on constate qu’il y a encore beaucoup d’exploitation et de violences sexuelles et que les femmes n’ont pas été capables de transformer les institutions, est-ce qu’on sera fondé à demander aux femmes de se retirer?
    En terminant, je tiens à souligner que le sexe n’est pas le seul marqueur d’identité pertinent chez les Casques bleus. La classe sociale, la race, la religion, l’éducation, la langue, l’ethnicité et la nationalité sont des éléments très importants de l’identité des soldats de la paix. Dans toute conversation sur la diversification des équipes de maintien de la paix, il faut y porter une attention particulière.
    Merci de votre attention.
(1110)
     Merci beaucoup de vos très importantes observations.
    Je vais céder la parole à M. Robillard. Il aura sept minutes pour le premier tour.

[Français]

     Merci, monsieur le président.
    Je vous remercie surtout, madame Baruah, de votre témoignage.
    Je poserai mes questions en français, bien sûr.
    Quels facteurs expliquent l'exclusion générale...

[Traduction]

     Excusez-moi; attendez un instant que le témoin puisse entendre l’interprétation.

[Français]

     Je reprends donc. Quels facteurs expliquent l'exclusion générale des femmes des processus de paix et des prises de décision conçues pour régler les conflits et s'en relever?

[Traduction]

    Si j’ai bien compris, vous me demandez quels sont les facteurs qui expliquent l'exclusion des femmes des processus de maintien de la paix.
    Je n'ai aucune réponse simple à vous donner. Je fais des recherches sur la question depuis longtemps, et j’ai constaté que l’un des plus gros problèmes est l'idée reçue selon laquelle les femmes ne sont pas engagées dans les conflits. Cela ne nous sert pas très bien, parce que les femmes sont également mêlées aux conflits. De toute évidence, elles doivent aussi faire partie des solutions en matière de maintien de la paix.
    Ce sont ces idées préconçues fondées sur le sexe, au sujet de ceux qui se battent et de ceux qui ne le font pas, qui ont longtemps empêché les femmes de participer aux missions de maintien de la paix. Nous constatons de plus en plus, dans les études sur les conflits partout dans le monde, que les femmes ne font pas que se déplacer avec les soldats. Elles ne sont pas cantonnées dans les rôles d'épouse, de mère ou d'aide aux combattants, par exemple. Elles participent assez activement aux conflits. Par conséquent, il est très important qu'on tienne compte d'elles dans le maintien de la paix.
    Une réponse plus générale, c'est que, par le passé, les femmes n’ont jamais participé aux discussions sur le rétablissement de la paix, même si elles ont joué un rôle très important, allant jusqu'à mettre fin à une guerre civile, dans de nombreux pays. Le Libéria en est le meilleur exemple, car les femmes y ont joué un rôle essentiel pour mettre fin aux conflits armés.

[Français]

    Merci.
    Quels sont les principaux avantages d'une participation accrue des femmes aux opérations de maintien de la paix des Nations unies?

[Traduction]

    C'est la question la plus difficile, car, compte tenu des structures des opérations de maintien de la paix et des structures du maintien de la paix militarisé, je ne vois pas comment l’arrivée d’un petit nombre de femmes peut avoir un effet déterminant dans les opérations.
    Cela dit, les femmes ont le droit d’être représentées, peu importe si elles peuvent ou non apporter une contribution différente. Même si leur apport est très semblable à celui des hommes, elles ont tout à fait le droit d’être là.
    Nous devrions adopter une approche fondée sur les droits pour justifier la participation des femmes. Il vaut la peine de se battre pour l’équité en soi. Si elles participent au maintien de la paix et si nous constatons que cela entraîne une évolution des institutions également... De nombreuses recherches montrent que les institutions profitent de la diversité, pas seulement de la diversité des sexes, mais aussi de toutes les formes de diversité.
    Nous devrions considérer ces avantages comme un atout, mais nous ne devrions pas élaborer la politique en fonction de ces avantages. Les femmes devraient participer aux missions de maintien de la paix, qu’elles apportent ou non une contribution différente.
(1115)

[Français]

    Je vous remercie.
    Comment les allégations d'exploitation sexuelle concernant des soldats du maintien de la paix des Nations unies et d'autres types de personnel devraient-elles être traitées par le Conseil de sécurité des Nations unies, le secrétaire général des Nations unies, le système des Nations unies dans son ensemble et les États membres?

[Traduction]

    Auriez-vous l'obligeance de répéter?

[Français]

    Comment les allégations d'exploitation sexuelle concernant des soldats du maintien de la paix des Nations unies et d'autres types de personnel devraient-elles être traitées par le Conseil de sécurité des Nations unies, le secrétaire général des Nations unies, le système des Nations unies dans son ensemble et les États membres?

[Traduction]

     Il est vraiment important d’avoir un débat plus large sur le pouvoir. La plupart des abus sexuels ne tournent pas autour de ce à quoi on pense généralement. Ce n’est pas une question de gratification sexuelle. C’est une question de pouvoir. Des gens se retrouvent dans des positions de pouvoir — intrinsèquement de pouvoir sur les autres —, et c’est pourquoi il est très important d’avoir des discussions beaucoup plus poussées sur le pouvoir. Ces échanges sur le pouvoir ouvriront beaucoup de portes qui sont restées fermées jusqu’à maintenant.
    On n'a pas vraiment réfléchi aux relations de pouvoir entre les forces de maintien de la paix et les populations locales, par exemple. Des échanges beaucoup plus poussés s'imposent si nous voulons comprendre ce qui se passe et trouver des moyens d’empêcher les problèmes de cet ordre. Bien sûr, les politiques de tolérance zéro sont toutes très utiles, mais ce que je voudrais dire, c’est que les politiques en elles-mêmes ne transforment pas les institutions. Il faut que les esprits et les coeurs changent. Tant que les soldats de la paix sont en position de pouvoir par rapport aux populations locales et tant qu’il y a des perceptions d’impunité, je ne vois pas comment les comportements répréhensibles vont cesser.
    Il n’y a pas grand-chose qui montre que l’augmentation du nombre de femmes dans les missions de maintien de la paix change vraiment quoi que ce soit. Je n’ai pas étudié les opérations de maintien de la paix en tant que telles, mais j’ai examiné d’autres situations de conflit. C’est très intéressant: si on considère d’autres groupes armés — par exemple, des groupes armés qui comprennent à la fois des femmes et des hommes — on ne relève aucune corrélation. Dans des groupes qui comptent un grand nombre de femmes, nous observons encore des niveaux assez élevés d’exploitation et de violences sexuelles.
    L’autre chose qu’il ne faut pas oublier, c’est la théorie selon laquelle il n’y a pas autant d’exploitation ou de violences sexuelles si les femmes sont plus nombreuses dans certains groupes, parce qu’il existe peut-être alors des possibilités de relations sexuelles sans coercition. Je trouve cela vraiment troublant. Dans ces contextes, on place les femmes dans une situation très étrange.
    Vous me regardiez pour savoir combien de temps il vous restait. Cette réponse a accaparé le peu de temps qu’il vous restait. Je vais donc devoir donner la parole à Mme Gallant.
    Je rappelle à tout le monde que, quand on voit ce signe, on a 30 secondes pour conclure élégamment, et nous devons ensuite passer à quelqu'un d'autre.
    Merci, monsieur le président, et merci au témoin de son exposé.
    Je tiens à tirer au clair le contexte dans lequel vous témoignez devant le Comité permanent. Vous avez dit que le maintien de la paix est une mission et que les Casques bleus sont des soldats. Vous avez aussi parlé des services de police. Une précision: s'agit-il de police militaire ou de police civile?
    Vous dites que nous parlons de forces militaires.
    Dans le cadre de notre étude sur le maintien de la paix, on nous a dit qu’il n’y avait pas vraiment de missions de maintien de la paix dans le vieux sens du terme et que maintenant, il s’agit vraiment de missions de rétablissement de la paix.
    Aux fins de notre étude, parlez-vous expressément des soldats canadiens?
(1120)
    Honnêtement, il n’y a pas suffisamment de données qui portent expressément sur... Il y a des recherches sur les opérations de maintien de la paix au Canada, mais en général, je dirais qu’il n’y en a certainement pas assez pour montrer que les femmes qui participent au maintien de la paix au Canada apportent une contribution différente de celle des hommes.
    Les soldats canadiens de sexe masculin participent-ils d’une façon ou d’une autre à l’exploitation sexuelle des populations locales?
    Je ne me suis pas encore lancée dans ces recherches, mais il existe une culture généralisée d’exploitation sexuelle et de violences sexuelles dans les opérations de maintien de la paix.
    Si nous intégrons des femmes soldats canadiennes à une mission de maintien de la paix dans le but d’avoir un effet apaisant et si nos soldats sont sur le droit chemin de toute façon, pourquoi sont-elles mises à l’écart pour des raisons autres que celle qu'elles sont des soldats?
    Je suis tout à fait d’accord. Je n'ai absolument rien contre le fait que les femmes doivent participer à des missions de maintien de la paix. Le problème que je vois, c’est qu'on s'attend à obtenir des résultats différents parce que des femmes participent à des opérations de maintien de la paix. Je suis tout à fait d’accord pour dire qu’il n’y a aucune raison d'escompter des résultats différents.
    Vous voyez l’hypocrisie qu'il y a à prétendre promouvoir l’égalité des sexes tout en gardant cette attitude paternaliste à l’égard de nos missions?
    Oui.
    Est-il juste que nos femmes en uniforme — dont la plupart se sont engagées dans les Forces canadiennes pour les mêmes raisons que leurs collègues masculins — soient placées dans des rôles administratifs ou de relations publiques?
    C’est une question à laquelle il m’est difficile de répondre, car je n’ai pas fait de recherches pour savoir si les femmes aimaient ou non occuper ces postes, ou si leurs préférences allaient dans ce sens. Le maintien de la paix lui-même est souvent considéré par le personnel militaire formé comme une sorte de recul par rapport au combat actif, dans bien des cas. C’est aux femmes de répondre à cette question, qu’elles pensent ou non qu’il est juste de les placer dans des postes administratifs ou de relations publiques.
    De façon générale, je suis tout à fait d’accord pour dire que les femmes ont parfaitement raison de vouloir participer à des missions de maintien de la paix, ou de vouloir faire partie de l’armée ou de la police pour les mêmes raisons que les hommes, quelles que soient ces raisons. Elles veulent de bons emplois. Elles veulent réaliser leurs ambitions personnelles. Elles veulent voyager. C’est la question qui me préoccupe vraiment: on a à l'égard des femmes des attentes fort différentes.
     Ensuite, le fait de garder la plupart des membres féminins des Forces armées canadiennes dans des rôles de soutien plutôt que de les laisser servir en première ligne renforce les préjugés sexistes, peu importe le nombre de femmes qui servent dans une mission.
    Je suis d’accord.
    Vous avez dit que les missions militaires modernes de maintien de la paix entreprises par les Nations Unies sont une contradiction dans les termes. Ce qui va dans le même sens que les affirmations d'autres témoins, selon qui la nature du maintien de la paix a beaucoup changé depuis l’époque du plateau du Golan et de Suez.
    Quel est l’état actuel des missions de maintien de la paix?
    Je dirais, empiriquement, que les conclusions vont un peu dans tous les sens, car il y a encore beaucoup de signes qui trahissent les problèmes dont j’ai parlé au sujet des relations de pouvoir entre les opérations de maintien de la paix et les pays où elles se déploient. Ils existent toujours, alors je ne suis pas tout à fait convaincue que nous sommes à l`âge d'or du maintien de la paix. Il faudrait que j'étudie cette question précise pour trouver la réponse.
    C’est en soi une pratique dans laquelle nous voulons peut-être nous engager davantage et dont nous voulons être plus critiques, car le maintien de la paix militarisé est en soi une contradiction dans les termes. On compte sur les forces armées pour maintenir la paix, et je comprends qu’elles soient souvent nécessaires à court terme, mais je ne suis pas convaincue que, si on faisait une étude longitudinale des opérations de maintien de la paix depuis leur création, les opérations de l’ONU... Elles ont temporairement désamorcé les conflits, mais je ne suis pas absolument certaine qu’elles nous aient permis de nous rapprocher d’une véritable paix.
    La participation du Canada à la mission dite de maintien de la paix au Mali fait partie des efforts déployés par le gouvernement pour obtenir un siège au Conseil de sécurité de l’ONU. Compte tenu de la nature dangereuse de cette mission, est-il dans l’intérêt national de risquer la vie des femmes et des hommes des forces armées pour obtenir un siège au sein de l’institution qui, selon vous, a besoin d’une profonde réforme?
(1125)
    Non, à mon avis. Je devrais donner une réponse plus complexe.
    L’ONU a grandement besoin d’une réforme, et je le dis en étant profondément convaincue de la valeur du processus multilatéral et des institutions multilatérales. Mais je peux croire aux institutions et aux processus multilatéraux tout en affirmant qu’ils doivent être réformés.
    Je suis sûre que l’architecture comprenant cinq membres permanents du Conseil de sécurité fonctionnait très bien en 1949, mais aujourd’hui, en 2018, cela ne reflète absolument pas un monde multipolaire. Le Canada veut maintenant, par exemple, un siège non permanent au Conseil de sécurité pour une période de deux ans. Fort bien. C’est la structure dans laquelle nous devons travailler actuellement. C’est le seul moyen à notre disposition. Je comprends donc pourquoi le Canada veut siéger au Conseil de sécurité. Si je me souviens bien, nous en sommes exclus depuis 20 ans. Je comprends, mais c’est comme demander un siège à une table plutôt que de demander une réforme de la table elle-même. Cela me trouble.
    En même temps, je comprends que nous fonctionnons dans un cadre chronologique plus restreint. Oui, nous réclamons une place pour la période allant de 2021 à 2023, et je ne suis pas forcément en désaccord, mais nous devrions tout de même pouvoir demander une réforme tout en étant conscients du fait qu’il faut nous efforcer d'obtenir ce siège.
    À vous, monsieur Garrison.
    Merci beaucoup, monsieur le président.
    Merci à Mme Baruah de comparaître et d’apporter un nouvel éclairage à nos audiences.
    Je dois dire que vous avez fait ressortir quelque chose d'important en montrant qu'on veut imposer aux femmes une charge de surcroît, celle d'amender le comportement des hommes.
    En tant qu’homosexuel, je constate souvent que le groupe définit un autre groupe comme différent, puis lui confie la tâche de la sensibilisation. Sauf erreur, c’est l’un des points importants que vous essayez de faire valoir ce matin. Il n’y a aucune raison pour que... Il devrait revenir à l'institution de s'attaquer au problème, au lieu de s'en remettre aux femmes qui travaillent sur le terrain.
    Je considère que c’est une attitude qui repose sur de bonnes intentions, mais elle est mal inspirée.
    Le problème des caractéristiques essentialistes des sexes, c'est qu'on ne les remet pas suffisamment en cause. Si on prétendait que toutes les femmes ont telle ou telle caractéristique négative, il y aurait une levée de boucliers, mais il faut aussi remettre en question les caractéristiques positives.
    Nous ne le faisons pas assez. Je songe aussi à autre chose: la formation militaire consiste à briser l’identité individuelle en faveur d’une identité collective. C’est vrai, peu importe le sexe de ceux qui sont dans l’armée. Alors pourquoi présumons-nous que les femmes seront en mesure de maintenir une certaine individualité qui leur permettra de contester le groupe ou le collectif, puisque la formation militaire est conçue pour briser l'individualité au profit du collectif?
    Il y a à quelque chose qui ne tient pas debout.
     Cela ajoute également une couche de complexité supplémentaire pour les femmes qui essaient de participer pleinement.
    Nous savons que des recherches poussées dans diverses professions à prédominance masculine montrent que les femmes, les minorités ethniques et les minorités religieuses ont tendance à essayer de s’adapter à la majorité. Ils ne remettent rien en cause. La raison est évidente: il est difficile pour une personne de le faire à moins d'appartenir à un groupe qui a atteint une certaine masse critique. À mon avis, on se fait une idée de ce que les femmes peuvent faire dans ces situations qui part d'un bon sentiment, mais qui est erronée.
    Merci. C’est un point de vue important pour notre étude.
    Juste avant, vous avez évoqué une autre raison pour faire participer les femmes aux opérations de maintien de la paix: les victimes seraient probablement plus à l'aise si elles pouvaient traiter avec des personnes qui, à certains égards, leur ressemblent. Vous êtes passée rapidement sur ce point dans votre exposé. Pourriez-vous en parler un peu plus? Avez-vous des faits qui confirment ce point de vue?
    Je ne dirais pas qu’il n’y en a pas. Par exemple, l’unité indienne de maintien de la paix exclusivement féminine déployée au Libéria a permis de remarquer que les femmes de ce pays trouvaient stimulantes et agréables les interactions avec des femmes. J'ignore si c'était parce qu'il s'agissait de femmes ou parce qu'elles étaient simplement empathiques et excellaient dans les relations interpersonnelles. Selon d’autres recherches, si on a affaire à quelqu’un qui est armé, entraîné et porte un uniforme, on est tout aussi porté à remarquer l’uniforme que tout autre trait ou marqueur d’identité, et on est beaucoup plus porté à remarquer l’uniforme plutôt que le sexe de la personne.
    Je ne pense pas qu’il y ait suffisamment de données pour montrer que les femmes sont naturellement formées pour avoir de meilleurs contacts avec les victimes de violence sexuelle, d’autant plus qu'il faut une vraie formation pour savoir comment intervenir auprès de ces victimes. Cette formation peut tout aussi bien être offerte aux hommes, et ceux-ci peuvent tout aussi facilement relever ces défis.
(1130)
    Merci.
    Passons du niveau des opérations à celui des processus de paix proprement dits. Vous avez également dit qu’il y a davantage de données qui confirment que la participation des femmes au processus de paix lui-même se traduit par de meilleurs résultats. Pouvez-vous vous expliquer?
    Il s’agit de déployer des efforts beaucoup plus étendus qui font intervenir non seulement des Casques bleus militaires et civils, mais aussi un univers beaucoup plus vaste, en quelque sorte, qui englobe par exemple des organisations de la société civile et des organisations communautaires de femmes qui travaillent à la paix et à la sécurité. Dans ces contextes, nous constatons que les avantages des accords de paix, par exemple, sont souvent plus durables que lorsqu'il n'y a pas de participation féminine.
    Encore une fois, le Libéria est un très bon exemple. Le gros de l’effort a été fait par des organisations féminines de la base, des organisations non gouvernementales, qui ont mis en place des initiatives comme les refuges de la paix. Elles ont parlé de paix et de sécurité. C’est souvent en soutenant ces organisations dans le cadre d’opérations de maintien de la paix qu’on aboutit à une paix durable.
    Même là, cependant, nous avons certaines préoccupations. Comme Ellen Johnson Sirleaf n’est plus présidente, les gens pensent... Il y a eu un élan parce qu’une femme très active dans le mouvement de paix a accédé à la présidence. Il y avait une certaine visibilité que nous risquons maintenant de perdre si nous ne pouvons pas maintenir l’élan de ces mouvements. Le soutien à long terme aux ONG de la base pour les femmes, par exemple, qui connaissent la réalité sur le terrain et appuient le processus de paix, est aussi important que le fait d’avoir des femmes dans les missions de maintien de la paix.
    Merci beaucoup de votre contribution.
    Merci.
    C’est au tour du député Fisher.
    Merci beaucoup, monsieur le président.
    Merci beaucoup d’être parmi nous, madame Baruah. Vous apportez un point de vue vraiment intéressant et, pour nous, inédit. Cette idée d’imposer aux femmes la responsabilité de civiliser les opérations de maintien de la paix simplement parce que, comme vous l’avez dit, elles ne sont pas des hommes, ne m’était pas venue à l’esprit. C'est très intéressant.
    Dans votre article de 2017, vous écrivez:
Au-delà de la question de la participation des femmes aux [opérations de maintien de la paix], nous devons réfléchir au fait que le « maintien de la paix militarisé » est en soi une contradiction dans les termes. Nous devrions remettre en question notre dépendance à l’égard des seules forces armées pour assurer la paix, et nous devrions nous interroger sur le maintien de la paix en tant qu’effort reposant sur des bases coloniales.
     Pouvez-vous m’en dire un peu plus à ce sujet?
     D’accord. Il faut distinguer plusieurs niveaux.
    Premièrement, comme je l’ai écrit dans cet article, la grande majorité des opérations de maintien de la paix se déroulent dans le Sud. Il y en a très, très peu dans les pays du Nord. C'est comme si nous allions civiliser des indigènes. Ce sont des choses que nous avons entendues par le passé, dans d'autres récits, comme le récit colonial, puisque le colonialisme a aussi été justifié comme une chose qui était bonne pour les gens. Il nous faut donc tracer une limite en nous demandant si c'est le seul moyen d'assurer à l'avenir une paix durable dans la communauté internationale. Le seul moyen d'assurer la paix est-il de recourir à des entités militarisées?
    Je le répète, je comprends qu’à court terme, il faut parfois des missions de maintien de la paix. Il y a eu bien des blagues à ce sujet, des mèmes d'Américains qui, après 2016, ont demandé une mission de maintien de la paix aux États-Unis. Ce sont des plaisanteries, mais elles donnent matière à réflexion, car nous présumons que c'est ailleurs dans le monde, dans le Sud, qu'il faut aller maintenir la paix.
    Nous ne pouvons pas nous passer de ces missions pour l'instant, mais il faut que ce débat se fasse, car c’est une question de pouvoir sur un arrière-plan de colonialisme.
    Cela dit, je comprends qu’à court terme, on ait souvent besoin de missions de maintien de la paix, et que nous avons raison de fournir des troupes à ces missions, bien qu’aujourd’hui, la grande majorité des troupes provienne de pays du Sud. Sauf erreur, le Canada ne figure plus, depuis une vingtaine d'années, parmi les 20 pays qui contribuent le plus au maintien de la paix. Nous fournissons relativement peu de troupes au regard de l'ampleur du programme mondial de maintien de la paix.
    Certains pays ont l’habitude de fournir un très grand nombre de Casques bleus. Aujourd’hui, on pense à des pays comme l’Inde, le Pakistan et le Bangladesh, à des pays d’Amérique du Sud, et plus particulièrement du cône Sud. Le Chili, l’Argentine, le Brésil, l’Uruguay et le Paraguay sont des pays qui contribuent beaucoup au maintien de la paix. Au lieu de simplement maintenir cette pratique qui consiste maintenant à attirer les gens dans des institutions dont je ne suis pas sûre qu'elles aient si bien réussi à bâtir une paix durable...
(1135)
    Quels autres éléments devrions-nous intégrer aux missions de maintien de la paix de l’ONU et du Canada?
    Je suis très heureuse que, dans le cadre de l'actuelle politique d’aide internationale féministe, un montant de 150 millions de dollars ait été affecté au soutien d'ONG qui sont des organisations féminines de la base, d’organismes communautaires de femmes. C’est un effort absolument vital et complémentaire. C’est très efficace et complémentaire. L'appui aux organisations locales, aux organisations du milieu où il s'agit de maintenir la paix, qui savent quoi faire sur le terrain, comment s’organiser et comment mobiliser les gens pour qu'ils puissent mener une vie pacifique, est aussi importante que le maintien de la paix militarisé et c'est un effort complémentaire. Je reconnais néanmoins que le maintien de la paix militarisé est parfois nécessaire.
    Nous parlons d’accroître la participation des femmes aux opérations de maintien de la paix. Le discours et les attentes qui gravitent autour de cette participation sont-ils de nature à encourager les femmes à s'engager?
    Difficile de répondre. Les contextes varient et jouent sur les motifs qu'on peut avoir de s'engager.
    J’ai enseigné à l’Université d’État de la Californie avant de revenir au Canada. Je me souviens que le Reserve Officers' Training Corps était sur le campus et éprouvait de vraies difficultés de recrutement. Nous nous sommes demandé pourquoi. Il y avait tellement de conflits actifs dans le monde qu'on ne tenait pas tellement à se joindre à l’armée. Au même moment, les États-Unis ont aboli la politique « Don't ask, don't tell » et ont permis aux femmes de participer au combat actif.
    Beaucoup de gens y ont vu une forme d’illumination postsexiste, posthomophobe, croyant qu'on voulait que tous puissent participer. J'étais un peu plus cynique, croyant qu'on agissait de la sorte uniquement parce qu'on manquait de candidats. Il n'y avait pas assez de gens qui voulaient s'engager.
    Par conséquent, selon le contexte, les femmes sont aussi susceptibles ou aussi peu susceptibles de se joindre à l’armée. Je ne pense pas que nous puissions nécessairement encourager les femmes à s'engager. Si elles sont intéressées, elles le feront et, avec le temps, la situation évoluera.
    Dans ce cas, ne pensez-vous pas que nous devrions trouver des moyens de les amener à se sentir davantage partie prenante dans le processus de paix?
    Absolument, mais cela exigera une transformation beaucoup plus profonde des institutions qu'une simple augmentation graduelle et modeste du nombre de femmes.
     Vous dites que les femmes représentent 50 % de la population et que l’approche actuelle dans le monde consiste à dire qu'il est bien d'avoir des femmes dans les effectifs parce que cela civilise les opérations de maintien de la paix. Quels conseils nous donnez-vous? Que pouvons-nous faire au juste pour nous y prendre correctement, pour encourager les femmes à participer? Il ne me reste à peu près plus de temps, sans doute.
    En 30 secondes au plus, dites-nous ce que l'ONU et nous pourrions faire pour encourager les femmes à participer?
    Il n’y a rien qui ne se fait pas. Les femmes qui veulent se joindre à l’armée le feront. Elles se joignent aux forces policières. Je ne vois pas ce qu'on peut faire de plus.
    Bien sûr, il est très important de parler de la culture du milieu et du pouvoir. Ce n’est pas une solution miracle. Autre chose. Nous n’entendons pas beaucoup parler de la recherche sur le niveau de violence sexuelle et d’exploitation des femmes dans les forces armées. Nous devons aborder ces questions. Il faut mettre de l'ordre dans les institutions.
    Merci, monsieur le président.
    C’est un plaisir.
    Nous allons passer aux questions de cinq minutes.
    Pour commencer, M. Spengemann.
    Merci, monsieur le président.
     Madame Baruah, merci beaucoup d’être parmi nous. Comme je n’ai que cinq minutes, je vais poser mes questions de façon judicieuse.
    Tout d'abord, je tiens à vous remercier de ce que vous avez apporté à nos débats en démasquant et en infirmant certaines hypothèses et en mettant l’accent sur la recherche fondée sur des données probantes et, au bout du compte, sur les politiques. C’est tout aussi important dans les sciences sociales et humaines que dans les sciences naturelles.
    Êtes-vous en train de dire au comité que nous devrions nous éloigner de la complémentarité des approches instrumentales et fondées sur les droits, en ce sens que nous recourons parfois à des approches instrumentales lorsque cela nous convient, lorsque nous pensons que cela créera un certain élan?
    Nous le faisons également pour l’égalité entre les sexes en ce qui concerne les contributions économiques. Il est prouvé que, si nous avions l’équité salariale demain dans le monde entier, nous en tirerions un avantage économique de plus de 10 billions de dollars. Ainsi, on attire dans la conversation des hommes qui ne s’y sont jamais intéressés. Est-ce ce que vous préconisez, ou devrions-nous nous en tenir à l’approche fondée sur les droits?
(1140)
    C’est une très bonne question. On me l'a souvent posée.
    C'est une chose qui me tient beaucoup à coeur, même lorsque je fais ce travail et m’adresse à des entreprises, par exemple, qui ont des comptes à rendre aux actionnaires. Elles se soucient des profits. Nous le savons. L’argument le plus convaincant, c'est l’analyse de rentabilité. Nous le savons. Nous savons que les sociétés du secteur privé changent quand il est logique de le faire, quand cela se justifie sur le plan économique. Lorsque nous voyons les sociétés changer, c’est parce que c’est logique sur le plan des affaires. Elles ont besoin d’un bassin diversifié de talents. Nous savons qu’il y a toutes sortes d'avantages à faire siéger des femmes aux conseils d’administration. Nous savons que les entreprises agissent en ce sens parce que c'est rentable.
     Il y a une petite différence quand il s'agit de gouvernements démocratiquement élus. Dans ce cas, nous devrions nous soucier de l’équité par principe. La question se pose différemment quand on ne s'adresse pas à des sociétés commerciales. Nous devrions nous soucier de l’équité sans nous préoccuper des résultats.
    Je pense que c’est très utile dans ce contexte. Je vous remercie de cette précision.
    Je vais revenir un instant au maintien de la paix.
    À mon avis, il faut distinguer trois cultures pour assurer la parité ou, du moins, la démarche de parité dans le maintien de la paix.
     La première est la culture du pays qui fournit des troupes. La deuxième est la culture de toute coalition réunie pour résoudre le problème, qu’il s’agisse de l’OTAN, de l’ONU ou d’une autre constellation. La dernière est la culture du gouvernement hôte, pour ne pas dire le gouvernement cible.
    Est-ce la bonne façon de voir les choses? Si c’est le cas, où voyez-vous les plus grands obstacles en ce moment dans la recherche que vous faites, et à quel niveau? Pourriez-vous nous donner une perspective canadienne, peut-être?
    Est-ce la coalition de l’OTAN ou les coalitions de l’ONU qui regroupent des cultures de maintien de la paix de tous les coins du monde? Ensuite, l’importance de la participation des femmes est habituellement secondaire, tertiaire, voire encore moindre, mais il y a aussi des cultures dans les pays que nous aidons où il peut être mal vu de nommer une femme à un poste de direction.
    Dans les recherches que je consulte, je pense que le plus grand obstacle est la dynamique du pouvoir dans l’interface entre les opérations de maintien de la paix. Je n’ai pas trouvé grand-chose quant à savoir si les coalitions posent un plus grand problème que... Cela ne semble pas être le point de friction, du moins d’après les recherches que j’ai faites, mais je pense que de pouvoir changer la perception des Casques bleus... parce que, comme je l’ai dit, la population locale voit autant l’uniforme que le sexe de la personne qui le porte, alors cela ne fait aucune différence. Elle voit du personnel armé, et cela a le même effet que le personnel armé dans bien des régions du monde. Les gens ne les voient pas nécessairement comme des soldats de la paix.
    En tant que Canadiens, nous bénéficions, je crois, d’une réputation légèrement différente à l’étranger, je l’admets. J’ai demandé à un étudiant diplômé de faire des recherches sur la perception des Canadiens en Afghanistan. Nous avons constaté que nous étions perçus un peu différemment des soldats des autres pays qui ont envoyé des troupes, par exemple, alors je pense que c'est un peu à notre avantage. Cependant, je crois que la culture du maintien de la paix se veut encore extrêmement officielle, souvent pour des raisons de sécurité, et je me demande donc comment les Casques bleus peuvent nouer ces amitiés et ces merveilleux liens avec les populations locales et comment cela peut se produire alors que la plupart des opérations de maintien de la paix se déroulent dans un contexte très réglementé. Vous n’avez pas le droit de quitter la base souvent quand vous êtes un Casque bleu. Vous n’avez pas le droit de franchir les limites la nuit venue, par exemple, alors dans ces contextes très réglementés, comment pouvez-vous vraiment construire la paix?
    Je pense que nous devons trouver des formules pour une meilleure interaction. Certaines organisations communautaires qui existent déjà peuvent peut-être jouer ce beau rôle d'intermédiaire, remplir cette fonction intermédiaire qui peut être utile.
    Merci beaucoup.
    Merci, monsieur le président.
    Merci.
    M. Martel est le suivant.

[Français]

    Dans votre article de novembre 2017 intitulé Short-sighted commitments on women in peacekeeping, qui pourrait se traduire par « Engagement à courte vue concernant les femmes dans le maintien de la paix », vous dites que l'une des raisons pour lesquelles le gouvernement Trudeau fait cet effort pour accroître le nombre de femmes affectées aux opérations de paix est qu'il fait campagne pour un siège temporaire au Conseil de sécurité de l'ONU.
    Selon vous, dans quelle mesure son ambition de diversité correspond-elle à obtenir un siège au Conseil de sécurité? Diriez-vous que c'est la considération principale?
(1145)

[Traduction]

    Non, je ne dirais pas. J’espère ne pas avoir donné l’impression que c’est la principale considération. Je pense que cela fait partie d’un effort plus vaste pour nous redonner une position différente à l’ONU, et je le comprends. Il y a un pouvoir énorme qu'on peut exercer à l’Assemblée générale des Nations unies. Je crois que l’Assemblée générale est une bonne tribune où défendre les valeurs canadiennes. C’est ce que je crois. Il y a des pays qui aspirent à un siège non permanent au Conseil de sécurité, dont le Canada. Je ne dirais pas que c’est la seule raison, mais cela fait certainement partie des efforts faits pour rehausser le statut du Canada à l’ONU. Cela ne fait aucun doute.
    Au cours des 10 ou 20 dernières années, pour nous comme pays de maintien de la paix, une distinction très importante pour le Canada, cela n'avait rien à voir, parce que c'est à peine si nous fournissions des troupes et il n’y avait pas beaucoup d’activité. Je pense que nous essayons maintenant de dire que nous sommes de retour. Cela fait partie intégrante de notre retour. Je ne suis pas cynique au point d'y voir entièrement une campagne de relations publiques ou un geste de grandeur, mais je pense que le Canada essaie de redorer son blason à l’ONU.
    Il vous reste trois minutes.

[Français]

    La prochaine question est large.
    Si vous deviez mettre en oeuvre un plan visant à accroître le recrutement et le maintien en poste des femmes dans l'armée canadienne, à quoi ressemblerait ce plan?
    Je sais que c'est une grande question.

[Traduction]

     C’est une grande question. Il faut considérer très sérieusement le fonctionnement des forces armées, des hiérarchies institutionnelles et des mécanismes de reddition de comptes. Ce n’est un secret pour personne que nous avons des problèmes avec les femmes dans les forces armées, et au Canada jusque dans la GRC. Ce n’est plus un secret.
    À moins de vraiment réformer nos institutions, il est délicat et peut-être même un peu dangereux de supposer qu’on peut tout bonnement ajouter des femmes aux structures institutionnelles telles qu’elles existent, les envoyer à l’étranger et s’attendre à un résultat différent. C’est ce qui me pose problème. Un effort pour augmenter le nombre de femmes dans les opérations de maintien de la paix doit aller de pair avec les efforts déployés par les corps policiers, les militaires et la GRC au Canada pour véritablement réformer ces institutions et les rendre plus démocratiques et représentatives. C’est la voie à suivre pour les missions de maintien de la paix. On ne peut pas limiter le problème à ces seules opérations; il faut s'y attaquer dans toutes les autres institutions.
    C’est au tour de M. Gerretsen.
    Merci beaucoup, monsieur le président.
    Je vous remercie de votre contribution. Vous apportez vraiment une perspective intéressante des choses, parce que vous les regardez en quelque sorte par l'autre bout de la lorgnette. Il est important que vous le fassiez, parce que le débat sur les raisons pour lesquelles il est si important d’avoir des femmes dans les missions de maintien de la paix a porté beaucoup sur cette idée de... je pense que votre expression était « civiliser » les opérations de maintien de la paix, et vous avez très bien illustré pourquoi il est si important d’envisager la question sous un angle différent.
    En 2017, le Canada a été l’hôte de la Conférence des Nations unies sur le maintien de la paix, où la ministre Freeland a annoncé un projet pilote de 15 millions de dollars pour financer la participation des femmes. Vous en avez parlé dans votre déclaration préliminaire, mais que pensez-vous de ce qu'on a fait de cet argent? Si je vous comprends bien, si l’environnement est bon, les femmes voudront participer volontiers, mais l'argent a servi spécifiquement à recruter, former et promouvoir des femmes. Est-ce qu'on a fait un mauvais usage de l’argent?
(1150)
    Non, pas du tout; je n'ai jamais voulu dire cela. Je ne vois rien de mal à cet usage de l'argent. Il s’agit en fait d’une somme assez modeste, si on y pense bien, et il en faudra peut-être davantage. Je ne vois rien de mal à dépenser cet argent pour améliorer l’expérience, la formation et le recrutement des femmes. Ce n’est pas du tout le point de vue que je défendais.
    Nous devrions simplement être conscients qu'à force de cocher des cases, on finira par faire pencher la balance et qu’il sera également possible de transformer l’institution. On n'y arrivera pas en se contentant d’augmenter le nombre de femmes.
    Nous avons une expression dans la recherche féministe qui dit qu’on ne peut pas « ajouter des femmes et remuer ». On ne peut pas les ajouter, comme on ajouterait du sucre au thé, puis remuer et s'attendre à un résultat différent. C’est ce qui m’inquiète, mais à première vue, il n’y a rien de mal à dépenser cet argent pour améliorer l’accès à la formation et faire des efforts de recrutement. Cela ne me pose pas de problème.
    L’objectif de notre étude sur le maintien de la paix est de présenter des recommandations au gouvernement. Quelles recommandations feriez-vous au gouvernement en ce qui concerne les femmes dans les missions de maintien de la paix?
    Je dirais qu’il faut essayer de changer les cultures institutionnelles plus profondément. Changer les cultures institutionnelles qui favorisent des comportements comme le harcèlement et l’intimidation fera une grande différence, parce que si nous laissons intactes les structures qui posent problème, alors l’ajout de femmes à ces structures ne changera pas vraiment l’institution. En petit nombre, les femmes regarderont ailleurs ou s'intégreront à cette structure plus vaste.
    C’est ce que vous soutenez dans votre thèse.
    Vous dites que c’est la diversité qui va améliorer les choses, plutôt que le sexe, parce qu’elle échappe à mesure paternaliste. Diriez-vous que la diversité générale est tout aussi importante que la diversité des sexes?
     Énormément. En fait, toutes les recherches qui ont été faites, même sur les opérations de maintien de la paix, indiquent que toutes ces choses sont importantes. Il vaut beaucoup mieux prendre en compte tous les facteurs, la race, le sexe, l’éducation, la langue, la nationalité. Je pense qu’il est vraiment important de considérer la diversité en termes intersectionnels — on peut être une femme et aussi une personne de couleur, comme moi. Je pense qu’il est très important de considérer les identités, mais le danger, c’est de catégoriser les gens. Lorsqu'on lit les transcriptions, par exemple, des Britanniques qui étaient en Inde, on s'aperçoit qu'ils voulaient recruter des Sikhs parce qu’ils disaient que c’était une race martiale. N'est-ce pas choquant aujourd’hui de dire cela, que les Sikhs sont de bons combattants parce qu’ils sont d'une race martiale? À mon avis, nous n’irions jamais nulle part avec cet argument. Je trouve un peu troublant que le même raisonnement puisse s'appliquer encore, celui d'un caractère intrinsèquement positif chez les femmes, et je ne pense pas que cela nous aide.
    Merci d’être venue. J’ai trouvé votre exposé et votre thèse très convaincants et intéressants.
    Merci.
    Vous finissez juste à temps, monsieur Gerretsen.
    Madame Boucher, vous avez la parole.
    Je vais partager mon temps avec mes amis ici présents, et je vais m'exprimer en français.

[Français]

     Vos commentaires m'apparaissent très intéressants. Je fais partie des femmes qui pensent comme vous. Vous dites, en effet, que les femmes devraient pouvoir s'engager dans le domaine du maintien de la paix pour les mêmes raisons que les hommes, sans qu'on les charge de civiliser les opérations ou de les rendre plus efficaces.
    En tant que femme, j'ai un peu de difficulté à accepter l'emploi du mot « femme » lorsqu'on effectue des réformes. Cela donne l'impression que nous sommes de second ordre. Selon moi, l'égalité c'est d'être une femme députée au même titre que mes collègues masculins. Je n'ai pas besoin qu'un document utilise le genre féminin puisque je sais que je vaux autant que mes confrères.
    Est-ce que le fait d'absolument vouloir préciser le genre peut apporter certaines difficultés aux femmes qui, comme moi, pensent que nous sommes égales aux hommes?
    Messieurs, je suis désolée, mais il m'arrive parfois de penser que les femmes sont supérieures aux hommes à bien des égards, parce que nous donnons naissance, par exemple.
    Est-ce que le fait de nommer le genre dans un document peut donner l'impression aux femmes que nous le faisons justement pour les faire reculer et les diriger où nous voulons?
(1155)

[Traduction]

    Je ne pense pas que ces deux choses s’excluent mutuellement. Lorsqu’un groupe a été grandement sous-représenté dans une institution, je ne trouve pas logique de dire qu'il faut traiter tout le monde également parce que ce groupe est sous-représenté depuis toujours. Je ne dis pas non plus qu'il faut placer des gens qui ne sont pas qualifiés ni formés pour ces emplois. C’est pour cela qu’il y a tant de problèmes avec l’action positive aux États-Unis, par exemple, parce que les gens entendent ces mots et supposent que vous allez placer des gens qui ne sont ni qualifiés ni formés dans ces postes. Bien sûr, il faut s'assurer que les personnes qui se joignent à ces institutions sont pleinement formées et égales, mais je pense que c’est la différence entre l’égalité et l’équité.
    J’utilise parfois l’image d’une personne de six pieds de haut, d’une personne de cinq pieds et huit et d’une autre de quatre pieds et 11. Les trois essaient de voir quelque chose au loin et regardent par-dessus un mur. Évidemment, la personne qui mesure six pieds a une très belle vue, mais si on parle d’égalité, de traiter les gens de façon égale, ils devraient tous être sur le même pied. Si on veut parler d’équité, il faut donner une plateforme un peu plus élevée à la personne qui n’a que quatre pieds et 11.
    Lorsque des organisations ont clairement un groupe de personnes qui ont été sous-représentées, je pense que l’argument de l’égalité est très trompeur, en ce sens que, bien sûr, les gens sont égaux. Sur le plan politique, nous sommes égaux. Mais dans ce cas particulier, parce qu’un groupe a toujours été marginalisé, lorsqu'on se met à réfléchir à la façon d’accroître la diversité au sein de cette organisation, il ne suffit pas de traiter tout le monde également, parce qu'alors on ne fait que perpétuer le statu quo. Il faut faire un effort particulier pour donner aux gens qui ont été sous-représentés... Ce n’est pas de la charité. On ne le fait pas parce que ces gens sont plus faibles ou ont besoin d’aide. On le fait pour compenser la marginalisation d'autrefois et d'aujourd'hui.
    Merci.
    Madame Gallant, allez-y.
     Merci, monsieur le président.
    Nous n’avons pas vraiment d’expérience du maintien de la paix comme il se pratique aujourd'hui. Nous avons celle de l’Afghanistan. Vous avez dit que nous étions perçus différemment. Qu’est-ce qui distingue nos militaires des autres? Les soldats qui sont allés là-bas, hommes et femmes, ont reçu une formation de sensibilisation culturelle, ce qui a grandement contribué à cette différence de perception, mais vous avez mentionné des problèmes systémiques de comportement dans les forces armées.
     Pensez-vous qu’il est plus important de créer un nouveau poste ou un nouveau ministère au sein du gouvernement que de régler les problèmes lorsque, par exemple, sur une base militaire quelconque — pas toutes les bases —, l’agression sexuelle des femmes est la norme plutôt que l’exception?
    Je ne pense pas qu’il soit nécessaire de choisir l’un ou l’autre. S’il y a un mécanisme spécial qui est nécessaire pour régler ce problème particulier, bien sûr, nous devrions l'avoir, mais n'allons pas croire que ce mécanisme spécial va résoudre le problème quand il faut que les solutions s'étendent à toutes les parties de l’institution.
    S’il semble y avoir un besoin à cet égard — je ne le sais pas — alors, oui, je pense que nous devrions créer un mécanisme spécial, ou vous pouvez penser à quelqu’un qui est prêt à se faire le champion de ces questions. En général, en étudiant les institutions, je constate que lorsque ces questions... Un changement durable survient souvent lorsque, aux échelons les plus élevés, les gens croient qu’ils vont vraiment faire une différence et qu’ils veulent vraiment changer les choses.
    Je pense que nous devons voir une volonté de changement, un engagement à changer les structures institutionnelles qui appuient... peut-être pas « appuient », mais qui ne remettent pas en question des choses comme le harcèlement et l’intimidation. Je pense que cet engagement doit venir du plus haut niveau possible dans l’institution pour faire une différence.
    Il ne suffit même pas de... Il faut absolument une masse critique de gens qui veulent changer les choses, mais je pense que cela doit venir d’en haut. Les mécanismes spéciaux ont leur utilité, mais ils ont souvent pour effet de convaincre les gens qu’on s’occupe de la situation — par exemple, nous avons formé tel comité pour s’occuper de telle question, alors il faut la régler.
(1200)
    D’accord. Merci.
    Madame Dzerowicz, allez-y.
    Merci beaucoup, monsieur le président.
    Je vous remercie de votre excellente présentation. En fait, vous avez réveillé beaucoup d'émotions chez moi, parce que je n’ai jamais travaillé ailleurs que dans des professions à prédominance masculine, et j’ai toujours été minoritaire. Pour beaucoup de vos commentaires, soit que je suis tout à fait en désaccord, soit que je suis tout à fait d’accord, alors il y a eu beaucoup d’émotions pour moi.
    Premièrement, j’ai bien aimé que vous précisiez que la décision du Canada d’aller au Mali n’était pas seulement un exercice de relations publiques. Elle s'inscrit vraiment dans une démarche beaucoup plus large qui consiste à nous réengager dans le monde, à vouloir contribuer aux opérations de paix et à l’ONU, à aider à changer cette institution et à susciter même certains changements. Cela s’ajoute à notre politique d'aide internationale féministe et à la somme que vous avez mentionnée à juste titre, environ 150 millions de dollars, pour essayer d'apporter une autonomie locale aux femmes et aux filles dans un certain nombre de pays. J’ai bien aimé votre déclaration. Je pense que c’est important. C’est un programme beaucoup plus vaste que nous essayons de réaliser.
    Je comprends ce que vous dites, qu'en ajoutant des femmes, on ne change pas automatiquement le maintien de la paix. Il faut tenir compte de la culture locale, changer des organisations, composer avec les structures du pouvoir, former et renforcer des compétences locales.
    L’une des choses avec lesquelles j’ai toujours de la difficulté, c’est quand je me dis: « Pourquoi ne pas passer tout de suite à un quota? » Je suis tout à fait d’accord avec vous que pour une personne qui est une femme et peut-être un cadre supérieur dans une grande organisation, s’il n’y a que deux femmes sur 15 personnes, elles ne changeront rien, mais si j’ai huit femmes sur 15, j’aurai peut-être une grande influence. Pourquoi ne pas passer à quelque chose comme un quota?
     On m’a posé plusieurs fois la même question.
    On considérait que c’était une mesure énorme que le Canada a prise récemment... Nous avons maintenant la norme « se conformer ou s’expliquer », qui est la norme minimale. Il y a l’obligation de se conformer ou de s’expliquer, puis il y a les cibles, puis il y a les quotas. Malheureusement, les quotas sont encombrés par toutes ces choses. Il y a un héritage historique de quotas et, moi, je n'ai pas de problème avec cela.
    Je pense que les pays qui ont adopté des quotas en politique ont très bien réussi. Je parle de la Norvège, de l’Allemagne ou de la France, par exemple. Ces pays ont atteint le nombre de femmes voulu dans les conseils d’administration. En fait, ils ont bien mieux réussi que les pays qui ont juste des cibles, et certainement bien mieux que les pays qui ont des critères de « conformité ou explication », comme le Canada, le Royaume-Uni et l’Australie.
    Ce que je crains avec les quotas, c’est que nous finissions par nuire aux gens que nous essayons d’aider. Nous essayons de diversifier ces institutions et les quotas le font très bien parce qu'ils sont dictés par la loi. Si vous ne les respectez pas, vous enfreignez la loi, ce qui fait une grande différence. Le problème, c’est que les quotas doivent être maintenus pendant une longue période pour être efficaces, parce que les groupes qui n’ont jamais eu de siège à la table ont souvent besoin de temps pour apprendre une fois qu’ils l’ont obtenu. On peut supposer cela, par exemple.
    L’exemple qui revient toujours est celui du Rwanda, qui compte aujourd’hui le plus grand nombre de femmes au Parlement. Je crois que la proportion est de 64 %. Rappelez-vous que le Rwanda a adopté des quotas légaux, mais fixés à seulement 30 %, si je me souviens bien. Si les accusations portées par les gens étaient vraies — à savoir que si on place des femmes dans ces postes, elles ne seront pas très efficaces, les hommes les mettront aisément à leur main et elles feront comme le groupe majoritaire —, nous n’en serions jamais arrivés à 64 %. La proportion n'aurait pas dépassé 30 %.
    Je pense qu’au Rwanda, même si on supprime les quotas, nous ne verrons jamais le nombre de femmes revenir à 9 % ou 10 % parce qu’il y a eu suffisamment de temps pour avoir un effet de démonstration, pour que les femmes puissent dire: « Oui, nous pouvons le faire. C’est la norme; ce n’est pas inhabituel. » Je pense que c’est la grande différence.
    Voilà qui est utile à ma réflexion.
    Nous nous penchons sur les missions de maintien de la paix. Il suffit de vous écouter deux secondes pour comprendre qu’il y a un nombre colossal de facteurs qui les rendent efficaces ou non. Il y a les facteurs de complexité. Il y a la culture des troupes de maintien de la paix. Il y a la culture de la société locale. Il y a la formation donnée aux équipes de maintien de la paix. Il y a leur diversité.
    Si nous faisions des recommandations pour le Canada — parce que le Canada aimerait jouer un rôle plus important au sein de l’ONU —, qu’est-ce que...? Nous avons dû apprendre quelque chose de nos missions de maintien de la paix dans le passé. Compte tenu de cet apprentissage, de toute la complexité de ces facteurs, qu’est-ce que le Canada...? Si nous allons à l’ONU et que nous voulons avoir, par exemple, des équipes de maintien de la paix meilleures ou plus efficaces, quelles recommandations devrions-nous formuler pour être sûrs d'avoir des missions plus fructueuses et plus équitables à l’avenir?
(1205)
    Vous connaissez l’ACS+, l’analyse comparative entre les sexes plus, celle qui tient compte non seulement du sexe, mais de tous les autres facteurs que j’ai mentionnés, les marqueurs d’identité. Je pense que les missions de maintien de la paix devraient prendre cela beaucoup plus au sérieux, que l’identité des soldats de la paix est plus compliquée et qu’elle ne se limite pas au sexe. Je ne veux absolument pas dire par là que les femmes ne sont pas importantes. Rien ne dit que les femmes ne peuvent pas représenter d’autres identités, qui peuvent être plus fortes à leurs yeux.
    Les exemples ne manquent pas. J’ai fait des recherches auprès des femmes autochtones. Par exemple, j’ai travaillé récemment pour Ressources naturelles Canada. Les femmes autochtones que j’ai interviewées m’ont dit que la race était pour elles un identificateur bien plus important que le sexe. Essentiellement, le racisme était à leurs yeux un problème plus grave que le sexisme.
    L’ACS+ est maintenant une politique au Canada. Je pense que le Canada pourrait la promouvoir énergiquement comme un élément important des missions de maintien de la paix.
    Oh, on m’interrompt. D’accord, merci.
    La prochaine question sera posée par M. Garrison.
    Merci beaucoup, monsieur le président.
    Je veux revenir à la question de la réaction des populations locales aux Casques bleus et à la question d’une meilleure interaction. Vous avez souligné qu’on n'en a pas beaucoup de preuves, je crois.
    Je sais d’après mon expérience personnelle au sein d'une commission de police que lorsque nous avons grossi les effectifs, nous avons engagé des femmes et des membres de groupes minoritaires. Le corps policier nous est revenu avec des preuves anecdotiques d’une amélioration automatique des relations en raison de meilleurs contacts et d’une meilleure communication.
    Quand on dit qu'on manque de preuves, il est peut-être encore vrai — si nous faisions cette recherche — qu’une plus grande diversité pourrait favoriser de meilleures relations avec les populations locales. On dit simplement qu’il n’y a pas eu beaucoup d’études à ce sujet. Est-ce cela que nous recherchons?
     Peut-être, mais il faut aussi se rappeler que les interactions entre les Casques bleus et les populations locales sont très formelles. Il y a très peu d'occasions.
    C’est toujours drôle de lire quelqu'un qui parle de ces visions utopiques des Casques bleus et de leurs amitiés dans les populations locales. Les structures mêmes des missions de maintien de la paix ne le permettent pas, parce que souvent, on n’a même pas le droit de quitter la base.
    La diversité est importante, très bien même si on va au-delà du sexe, mais il est important aussi de créer des mécanismes qui permettent aux Casques bleus d'interagir de manière plus significative, et peut-être dans des circonstances moins officielles, avec les populations locales. C’est là qu'il faudrait faire appel au grand nombre d’organismes communautaires qui oeuvrent dans ces contextes.
    J’aimerais ajouter qu’en Afghanistan, nous avons examiné la façon dont les Canadiens interagissaient avec les organisations de la société civile locale. Nous avons constaté que nous ne sommes pas très doués pour les reconnaître dans un contexte mondial. Quand on parle d’ONG, on s’attend à un certain type de représentation, alors qu’en Afghanistan, les organisations qui ont pesé le plus dans la balance étaient souvent associées à la religion, par exemple. Il y avait des groupes de femmes, qui s’organisaient dans des mosquées et qui ne se disent pas des ONG. Ce sont juste des groupes communautaires qui ont un pouvoir énorme dans ces milieux. Il est très important aussi d’apprendre à élargir notre conception de ce qu'est exactement une organisation de la société civile sur le terrain et de ne pas nous en tenir obstinément à nos idées séculaires dans ce domaine.
    Oui. J’ai fait moi-même du maintien de la paix à l’étranger avec des ONG, et je ne peux qu'être d'acccord. Très souvent, des groupes importants, en particulier des groupes de femmes, ont été oubliés dans ces processus...
    Toujours.
    ... parce qu’ils n’étaient pas structurés officiellement comme nous nous y attendions.
    Ils se réunissent dans des sous-sols, ce genre de choses, et souvent ils n’ont pas de ressources. À ce propos, j’aime aussi beaucoup le fait que ces 150 millions de dollars ne soient pas liés. On veut les donner à des organisations qui font déjà ce qu’il faut sur le terrain, et non pas les microgérer en leur disant « faites ceci » ou « faites cela ». Je pense que c’est la bonne manière.
    J’espère pouvoir m'en tirer avec une dernière question.
    En votre qualité de titulaire d’une chaire de recherche, diriez-vous qu’il y a suffisamment de fonds à disposition pour le genre de recherches que vous aimeriez voir?
(1210)
    Allez-vous me donner de l’argent?
    En avez-vous déjà suffisamment pour financer ce genre de recherches?
    Je me trouve très chanceuse. Je me trouve très bien financée parce que le titre même de titulaire d'une chaire de recherche du Canada est bon. Je m’en tire bien. Je reçois un très bon financement du Conseil de recherches en sciences humaines. En fait, je reçois pas mal de fonds de recherche de partout.
    Pour être bien honnête, ce qui manque à mon avis, c'est de pouvoir faire plus de travail exploratoire. Si nous avons une bonne intuition de quelque chose et que nous avons besoin d'un projet pilote, les résultats peuvent être très différents de ce que nous avions prévu. Il faut pouvoir faire du travail exploratoire pour comprendre ces questions.
    Nous avons besoin de plus de gens. J’ai des étudiants qui étudient ces sujets, mais les politiques doivent s’appuyer sur des données probantes et non sur des idéologies ou des intuitions comme j'en découvre. Beaucoup d'hypothèses et d'idées sur ce que les femmes peuvent faire dans ces missions sont plus intuitives ou idéologiques qu'autre chose — que les femmes sont bonnes et donc qu'elles y arriveront. Plus nous pouvons présenter de preuves, plus nous pouvons faire de recherches. C’est important, surtout maintenant qu’il y a des missions de maintien de la paix où les femmes sont nombreuses.
     À certains endroits, il y a des unités exclusivement féminines, comme en Inde ou au Bangladesh. Encore une fois, j’ai des sentiments partagés à ce sujet. Parfois, je pense que c’est un geste grandiose pour montrer à quel point les femmes se portent bien dans ces pays, alors que l’Inde, par exemple, a encore d’énormes problèmes de violence sexuelle. C’est le pays du G20 le moins bien coté pour l’égalité entre les sexes. Je pense qu’il s’agit en définitive d’un exercice de relations publiques, mais nous avons la possibilité de mener des recherches sur le terrain pour comprendre comment ces groupes, comment les femmes, contribuent au maintien de la paix. Sont-ils différents? Sont-elles différentes au point où nous pouvons dire que les femmes font des contributions différentes?
    Je serais heureuse de recevoir des fonds pour faire ce travail. Je pense que nous en avons assez, mais il serait très utile de pouvoir financer aussi de petits projets exploratoires.
    Merci beaucoup d’être venue.
    Professeur, merci d’être venue aujourd’hui. Le comité a bien aimé votre témoignage. Il ajoute de la valeur à ce que nous essayons d’accomplir ici. Nous vous sommes reconnaissants d’avoir pris le temps de venir nous rencontrer. Merci.
    La séance est levée.
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