:
Merci beaucoup de m’accueillir aujourd’hui. C’est une façon très intéressante — et privilégiée — d’être sur la sellette ce matin.
[Français]
Je remercie donc le Comité de m'avoir invitée à comparaître devant lui aujourd'hui.
[Traduction]
Pour commencer, j'aimerais vous exposer le point de vue de l'industrie canadienne de défense relative à la mise à niveau de la Marine royale canadienne et de la Garde côtière canadienne.
II y a six ans, le gouvernement a révélé la Stratégie d'approvisionnement en matière de construction navale, maintenant appelée la « Stratégie nationale de construction navale », ou SNCN. Le grand principe de cette stratégie est que cette importante mise à niveau historique de la Marine royale canadienne et de la Garde côtière canadienne sera faite au Canada. Les objectifs de ce principe comportent deux volets. Tout d'abord, pour favoriser la prévisibilité du processus fédéral d'approvisionnement en matière de navires; et ensuite pour mettre un terme aux cycles d'expansion et de ralentissement qui ont caractérisé la construction navale par le passé au Canada. Ensemble, le résultat peut être un plan de construction navale durable et à long terme dont les Canadiens et l'industrie canadienne de la marine profiteront.
L'AICDS appuie entièrement le principe et les objectifs de la SNCN. L'une des forces de la SNCN est que, dès le début, elle a reçu un solide soutien de tous les partis au Parlement. Je le dis parce qu'il s'agit d'une proposition pleine de bon sens. Consacrer des dizaines de milliards de dollars de l’argent des contribuables sur 20 ou 30 ans au titre de la mise à niveau de la marine et la garde côtière constitue une occasion rare et réalisable. L'occasion est de revitaliser les capacités industrielles du Canada en matière de construction navale, augmentant, du coup, le nombre d'emplois hautement rémunérés dans tout le pays et stimulant l'innovation.
En outre, à une époque où le gouvernement fédéral tente de dynamiser l'économie canadienne pour la sortir de son ornière de faible croissance, les projets qui composent la SNCN sont bien placés pour avoir une incidence économique relativement considérable à court et à moyen terme, fonctionnant, en réalité, comme le moteur d'infrastructure dans lequel le gouvernement actuel investit.
Selon le budget des dépenses du gouvernement, par exemple, la partie de la SNCN concernant les grands navires représente, selon les contrats signés à ce jour, près de 4,4 milliards de dollars du PIB et jusqu'à 5 500 emplois créés ou conservés par année entre 2012 et 2022. Cette incidence économique devrait croître au fur et à mesure que de nouveaux contrats sont signés. Une estimation suggère que si on additionne le capital, l'effectif, les opérations, et les coûts de soutien en service et de maintenance sur 25 ans, le coût total estimé du programme de construction des grands navires dépassera les 111 milliards de dollars.
Il ne faut pas oublier de mentionner que le Canada est membre du G-7. Chaque pays du G-7 a une importante industrie nationale de construction navale, dont certains présenteront activement des soumissions aux conception et construction du navire de combat de surface canadien.
Si quelqu'un tente de vous convaincre qu'il peut offrir une « approche alternative » à la SNCN, et que les exigences du Canada en matière de retombées industrielles devraient être revues à la baisse, il est très probable que ce soit trop beau pour être vrai. Notre industrie, comme très peu d'industries, est considérée comme étant stratégique et cruciale pour l'économie des principaux pays, voire pour leur défense nationale.
Ceci étant dit, certains feront valoir que le Canada devrait mettre à niveau la Marine royale canadienne en achetant l'équipement à l'étranger et en optant pour des produits « standards ». Ils diront aussi que le Canada n'a rien à faire dans l'industrie de la construction navale parce que nous n'excellons pas dans ce domaine. Cet argument ne tient pas la route, à vrai dire.
Des voix: Oh, oh!
Mme Christyn Cianfarani: Le Canada a une longue et impressionnante histoire en matière de chantiers maritimes. Les deux dernières principales acquisitions de navires du Canada, soit les destroyers de la classe Iroquois dans les années 1960 et au début des années 1970, et les frégates de la classe Halifax dans les années 1980 et au début des années 1990, ont été réalisées au Canada, dans des chantiers maritimes canadiens, par l'industrie maritime canadienne. Je sais que vous avez entendu parler dernièrement du succès de la récente modernisation du programme de frégates de la classe Halifax. C'est en partie grâce aux industries maritimes canadiennes.
À l'époque, comme aujourd'hui, il y avait des controverses entourant ces programmes, particulièrement en ce qui concerne les frégates, principalement en ce qui a trait au respect des coûts, des échéances et de la capacité de l'industrie canadienne de répondre à la demande. Cela vous semble familier? En fin de compte, l'industrie canadienne a fait preuve d'une capacité impressionnante avec la classe Halifax, qui sert bien le Canada et la Marine royale canadienne depuis 25 ans et qui a mené à des exportations considérables de composantes et de technologies développées ici même au Canada.
En fait, le Canada a prouvé par le passé qu'il avait de grandes capacités en construction de navires militaires et qu'il pouvait encore y arriver si nous avons la détermination nécessaire pour persévérer avec la SNCN et adopter la bonne perspective. Nous devrions aussi éviter de nous laisser séduire par l’étiquette « standard ». Notre modèle d'acquisition militaire bien établi nous montre qu'au Canada, l'achat de programmes complexes « standards » est impossible.
Ces solutions en apparence standard sont fréquemment altérées, souvent de manière considérable, par l'entremise de nombreux ordres de modification afin de répondre aux besoins et aux exigences uniques du Canada. Nous devrions donc mettre sur pied l'industrie dans notre pays pour répondre à ces besoins uniques, comme le font nos alliés.
Au cours des dernières années, avant la mise en oeuvre de la SNCN, l'accent a été mis sur la « coupe de l'acier », ou pour être plus précis, le travail sur les coques de ces navires. C'est, en fait, l'étape la plus visible de la construction maritime. Cette opération est réalisée sur la côte Est et la côte Ouest, et c'est ce qui va créer des emplois et stimuler la croissance. Environ 17 % de tous les emplois du secteur de la défense se trouvaient dans la région atlantique en 2014, bien avant le lancement de la SNCN. Ce nombre devrait augmenter de manière significative au cours des prochaines années.
Certes, couper l'acier est une étape importante et intéressante, évidemment. Mais nous devons aussi tenir compte du fait qu'une coque ne représente habituellement que 35 % du coût d'un navire de guerre. Les systèmes de mission et la plateforme représentent environ 50 % de la valeur du navire; la conception et l'intégration des systèmes représentent quelque 15 %. Les salaires dans ce secteur sont en moyenne 60 % plus élevés que les salaires moyens de l'industrie de la fabrication, et ces emplois sont occupés par des ingénieurs, des techniciens et des technologues, qui constituent 30 % de l'effectif de l'industrie de la défense.
Selon des études qui ont été réalisées par Innovation, Sciences et Développement économique Canada et Statistique Canada, le Canada possède une grande capacité dans certains de ces domaines de la construction navale, comme les systèmes de mission embarqués et ses composantes, la maintenance, la réparation et la révision, et même la simulation. Et notre force dans ces capacités provient, en partie, des connaissances acquises grâce à nos antécédents en matière de construction de navires au pays.
Il ne faut pas perdre de vue les possibilités de stimuler l'innovation, les emplois bien rémunérés et les explorations dans les parties les moins visibles, mais les plus importantes, de la mise à niveau du secteur naval. La phase d'acquisition initiale d'un contrat représente une proportion des coûts plus faible que celle du cycle de vie, qui comprend des choses comme les normalisations à mi-vie, l'insertion de technologies et la capacité de soutien. C'est dans ces domaines que l'industrie canadienne peut obtenir le plus grand retour sur son investissement. Si nous perdons de vue ce potentiel parce que « couper l'acier nécessaire à la construction de 15 navires » est notre seul objectif, nous serons passés à côté de l'occasion d'une génération.
[Français]
De son côté, l'Association des industries canadiennes de défense et de sécurité, ou l'AICDS, travaille activement avec Innovation, Sciences et Développement économique Canada, ou ISDE, sur la recherche à propos de la base industrielle marine canadienne. Ce travail permettra au gouvernement et à l'industrie de mieux comprendre les capacités marines de pointe qui existent déjà au pays. Cela fait en sorte que les entreprises qui possèdent ces capacités obtiendront leur juste part des systèmes, de l'intégration des systèmes et d'autres projets futurs.
[Traduction]
Enfin, je voudrais vous parler de budget. Les coûts de la mise à niveau de la Marine royale canadienne ont été évalués à quelque 30 milliards de dollars sur 20 ans. Tous conviennent de dire aujourd'hui que ces estimations initiales, faites en toute bonne foi il y a quelques années, doivent être revues à la hausse. L'inflation relative aux navires de guerre à elle seule, qui varie entre 9 et 11 % aux États-Unis, a fait grimper ces chiffres considérablement. En outre, comme toute la communauté commerciale le sait, les coûts réels de programmes aussi complexes ne sont clairement établis qu'au moment de faire la conception et la construction. Et c'est à cette étape du projet que nous sommes rendus maintenant. En passant, cette situation n'est pas du tout unique au Canada.
À partir de maintenant, le gouvernement devrait faire preuve de souplesse afin d'ajuster l'estimation des coûts avec le temps, puisque les hypothèses évoluent en raison des variables changeantes. Ni l'industrie ni le gouvernement n'ont vraiment de contrôle sur le prix de l'acier, les taux de change, ou le coût des autres intrants, et certainement pas la vitesse de l'avancement technologique. Ces coûts auront changé depuis le lancement du projet.
En conclusion, en tant que pays qui possède quelque 58 000 kilomètres de côte sur trois océans et un important plateau continental, et qui doit en plus relever de nouveaux défis pour assurer sa souveraineté dans l'Arctique, le Canada devrait considérer comme essentiel le fait de se doter d'une marine et d’une Garde côtière de première classe. Il devrait s'engager fermement à mettre sur pied une industrie nationale de construction navale durable et permanente, comme l'ont fait tous ses partenaires du G7.
Bien qu'elle ne soit pas parfaite, la SNCN ouvre la voie vers cet objectif. Nous devrions suivre cette voie. Il est temps pour nous d'être audacieux plutôt que nerveux. Il est temps d'agir avec résolution devant les obstacles que nous rencontrons, et non d'avoir peur des décisions que nous devons prendre.
[Français]
Encore une fois, je vous remercie de m'avoir invitée à m'adresser à votre Comité aujourd'hui.
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Merci beaucoup, monsieur le président.
Merci, Christyn, d'être des nôtres. Il est bon de vous revoir.
J'ai été particulièrement heureux de vous entendre parler d'autres choses que la sidérurgie, parce que je viens de l'île de Vancouver, où il n'y a pas d'industrie sidérurgique. Le chantier naval dans ma circonscription participera de près à l'installation de systèmes pour Seaspan.
Nous avons également de petits chantiers navals, comme celui de Point Hope, tout juste à l'extérieur de ma circonscription, et celui de Nanaimo, qui, nous l'espérons, participeront à titre de sous-traitants à certains des travaux liés aux grands navires.
Il y a aussi d'autres collectivités, comme Port Alberni, dans la région du centre de l'île, où se trouve une très grande installation portuaire. Cette localité compte une main-d'oeuvre industrielle qui a subi beaucoup de mises à pied, et elle cherche des moyens de participer à l'industrie de la construction navale.
J'ai posé cette question aux fonctionnaires qui étaient venus témoigner devant nous. De votre point de vue, dans le cas des chantiers navals qui n'ont pas obtenu les gros contrats, y a-t-il des obstacles qui les empêcheraient de participer à titre de sous-traitants à la stratégie de construction navale?
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Cela dépend du type d'emploi.
Premièrement, les gens qui travaillent aux coques ou qui exécutent du travail de construction vont, un moment donné, avoir exécuté le cycle complet de fabrication. Il est cependant à espérer qu'avec la SNCN, la Stratégie nationale de construction navale, ils seraient...
M. Sven Spengemann: Premiers?
Mme Christyn Cianfarani: Oui, exactement. On cherche à éviter les cycles d'expansion et de ralentissement dans le but de les faire passer à un autre navire qui serait remis en cale sèche pour des travaux de carénage, n'est-ce pas? Il y aurait ce genre d'emplois.
Puis il y a les emplois en intégration et en génie qui dureraient vraisemblablement pendant le cycle entier de fabrication, jusqu'à ce que nous nous mettions à construire une autre génération de navires, car vous allez avoir du carénage de mi-vie et des insertions technologiques. Enfin, certains de ces emplois vont finir par... En réalité, nous n'avons pas assez de volume au Canada pour soutenir l'industrie. Ces entreprises vont passer à un marché d'exportation.
M. Sven Spengemann: D'accord.
Mme Christyn Cianfarani: La raison pour laquelle la partie interne du navire est si précieuse pour nous, c'est que c'est l'élément le plus facile, ou l'élément de classe mondiale que nous sommes en mesure d'exporter.