NDDN Réunion de comité
Les Avis de convocation contiennent des renseignements sur le sujet, la date, l’heure et l’endroit de la réunion, ainsi qu’une liste des témoins qui doivent comparaître devant le comité. Les Témoignages sont le compte rendu transcrit, révisé et corrigé de tout ce qui a été dit pendant la séance. Les Procès-verbaux sont le compte rendu officiel des séances.
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Comité permanent de la défense nationale
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TÉMOIGNAGES
Le jeudi 27 septembre 2018
[Enregistrement électronique]
[Traduction]
Bonjour à tous. Bienvenue à cette séance du comité de la défense. Nous poursuivons nos échanges au sujet de la contribution du Canada aux efforts internationaux de maintien de la paix.
Nous sommes vraiment honorés d'accueillir aujourd'hui le général Roméo Dallaire. Nous ne pouvions imaginer tenir une étude de la sorte sans votre contribution, et nous sommes tous ravis de vous recevoir. On m'a indiqué que Mme Whitman a été retenue à l'aéroport, mais qu'elle devrait être des nôtres sous peu. Nous lui donnerons alors l'occasion d'intervenir.
D'ici là, général, vous avez la parole pour vos observations préliminaires.
Monsieur le président, mesdames et messieurs, merci beaucoup.
Si vous offrez le micro à un général à la retraite qui a également été apprenti politicien pendant 10 ans au Sénat, vous risquez fort de perdre le contrôle et de vous retrouver avec un dépassement de temps. Comme la concision n'est pas ma plus grande qualité, je vais m'efforcer de m'en tenir ce matin à un certain nombre de sujets bien précis concernant nos activités actuelles et à venir pour le maintien de la paix.
Lorsqu'elle sera des nôtres, Mme Whitman vous entretiendra surtout du maintien de la paix dans le contexte actuel caractérisé par la menace opérationnelle que fait peser le recours aux enfants comme armes de guerre — les enfants soldats —; les principes de Vancouver et la façon dont nous envisageons leur évolution pour contribuer à la réforme du secteur de la sécurité; et les améliorations récentes pilotées par des Canadiens qui nous procurent de nouvelles capacités pour le maintien de la paix. Nous avons aidé les Nations unies à établir leur nouvelle doctrine en la matière de même que leurs nouvelles directives pour la formation. Nous espérons ainsi pouvoir nous préparer à des missions à l'étranger en misant sur une démarche mieux structurée.
Je vous dirais d'entrée de jeu que j'ai eu la chance d'écouter vos longues heures de délibération avec les témoins qui m'ont précédé. En certaines occasions, j'aurais beaucoup aimé me retrouver à votre place pour leur poser des questions, mais je suis honoré d'avoir la possibilité de vous fournir aujourd'hui des réponses qui, j'ose l'espérer, vous apparaîtront satisfaisantes.
[Français]
Je vais me discipliner et tenter de parler tout de même en français. Nous passons tellement de temps à parler anglais dans notre carrière au sein des Forces canadiennes, à Ottawa, que l'assimilation est un danger. Nous oublions trop souvent de revenir à notre langue maternelle.
[Traduction]
Mesdames et messieurs, cela fera 25 ans demain que j'ai été déployé à Kampala, puis à Mbarara en Ouganda, pour prendre les commandes de l'une des deux missions que j'ai dirigées. Cette mission menée du côté ougandais de la frontière avec le Rwanda visait à empêcher le trafic et l'utilisation des différentes voies de circulation pour faire passer des armes dans les zones contrôlées par les rebelles. Quelques semaines plus tard, je me retrouvais au Rwanda pour prendre les commandes de la mission en cours dans ce pays. J'ai alors pris le relais de l'Union africaine qui avait déployé des forces de maintien de la paix plutôt embryonnaires. On n'y retrouvait qu'une soixantaine de membres qui ont été intégrés à notre groupe.
J'ai pris les commandes au lendemain du coup d'État au Burundi. J'avais prévu sécuriser le flanc sud en vue d'appuyer le processus de paix alors que les forces du Front patriotique rwandais se déplaçait du nord vers le sud. Je me suis toutefois retrouvé du jour au lendemain avec 300 000 réfugiés, un énorme bassin pour le recrutement de jeunes, tout particulièrement, pour des opérations clandestines, et largement plus de 50 000 cadavres qui jonchaient toutes les rivières, tous les lacs et toutes les enclaves boisées où on les avait cachés. Nous étions témoins là-bas d'un génocide à progression lente, car les groupes ethniques des deux pays étaient exactement les mêmes et que des frictions assez similaires les opposaient.
J'ai entendu dire qu'il fallait se montrer prudent dans le cas des militaires ayant servi dans les années 1990, car il est possible qu'ils voient encore les choses en s'appuyant sur de vieux schèmes de pensée. J'y reviendrai tout à l'heure, mais je vais d'abord vous parler un peu de mon expérience sur le terrain et de nos projets actuels afin de mettre en perspective mes propositions.
C'est bel et bien au Rwanda que j'ai commandé pour la dernière fois une mission opérationnelle. J'ai été là-bas pendant une année complète dans un contexte de guerre civile et de génocide. J'ai ensuite fait partie du Comité consultatif sur la prévention des génocides du secrétariat général des Nations unies où j'ai eu la chance de côtoyer des gens comme Gareth Evans et Desmond Tutu, notamment. Nous examinions les moyens à prendre pour intervenir très rapidement afin d'empêcher qu'un génocide ou des atrocités de masse soient perpétrés.
Le terme prévention est encore plutôt inusité dans le giron des Nations unies. Une trop grande partie des efforts sont consacrés à la recherche de solutions à des situations délicates déjà devenues catastrophiques, quand on ne ne se contente pas simplement d'attendre que le tout soit terminé pour offrir une aide financière.
La prévention est la solution qui s'impose, mais c'est également celle qui exige les engagements les plus difficiles. Si la prévention est efficace, les gens vont vous demander pour quelle raison vous êtes intervenu. Si vous manquez votre coup, les gens vont vous blâmer parce que les choses ont mal tourné. Comme il y a un risque politique important à courir, les instances politiques de la Chambre sont extrêmement réticentes à prendre des mesures concrètes. Même lorsqu'un mandat en ce sens est donné, on continue à beaucoup hésiter à intervenir de façon suffisamment précoce et résolue.
De 2000 à 2004, j'ai travaillé pour la ministre responsable de l'ACDI dans le dossier de la protection des enfants touchés par la guerre. En 2000, nous avons tenu à Winnipeg une grande conférence internationale sous la direction de Lloyd Axworthy et Maria Minna. Pas moins de 135 pays y ont signé la Convention relative aux droits de l'enfance et son protocole facultatif. C'est à la suite de cette conférence où j'ai présenté un exposé que je suis devenu conseiller spécial de Mme Minna pendant une période de quatre ans. Je la conseillais à temps partiel tout en m'occupant de la guerre au Sierra Leone qui opposait de part et d'autre uniquement des enfants soldats. Dans ce contexte, mes efforts visaient à sortir les enfants de ce conflit et à minimiser leur recrutement.
Je suis par la suite allé à Harvard pendant un an pour amorcer mes travaux de recherche sur les enfants soldats. Je me suis basé pour ce faire sur les grands principes d'une époque axée sur la prévention et la résolution des conflits. Je ne suis pas un grand partisan des missions de maintien ou de soutien de la paix. Je considère que nous vivons un moment de l'Histoire où il n'y a plus vraiment de paix ou de guerre. Nous devons plutôt composer avec tout le spectre des engagements et des actions possibles, toujours dans le but de prévenir les frictions menant à des conflits, ou de faire le nécessaire lorsqu'il y a effectivement conflit. Cette démarche exige des mesures beaucoup plus complexes que le simple maintien de la paix, surtout lorsque l'on continue de considérer celui-ci sous l'angle des dispositions désormais désuètes du chapitre VI.
J'ai eu depuis, pendant mes 10 années au Sénat, le plaisir de siéger au comité de la défense. J'ai démissionné pour me consacrer entièrement à la lutte contre le recours aux enfants soldats dans le but d'éradiquer cette pratique en usage dans tous les conflits qui éclatent sur la planète. On utilise en effet des enfants comme soldats partout dans le monde, que ce soit en Ukraine, au Mali ou au Soudan du Sud alors que nous sommes déjà déployés en Somalie. Je veux que nous rayions les enfants soldats du répertoire des armes de guerre, car leur utilisation est un crime contre l'humanité. J'espère que nous y parviendrons.
Parallèlement à cela, j'ai écrit trois ouvrages pour étayer mes positions. Le premier portait sur l'aspect opérationnel. Si vous vous souvenez bien, il y a les volets stratégique, opérationnel et tactique. Le volet opérationnel concerne le travail du commandant du théâtre d'opérations, un rôle que j'ai rempli au sud de l'Ouganda et au Rwanda. On m'a même confié à un certain moment un mandat identique pour le Burundi. C'était donc le sujet de mon premier ouvrage.
Le deuxième traitait du volet tactique. Il s'agit de voir comment les militaires font face à la menace et comment ils y réagissent lorsqu'elle se manifeste dans des zones où les conflits n'ont pas été nécessairement résolus et où ils doivent intervenir pour faciliter cette résolution.
Mon plus récent ouvrage portait sur les difficultés que doit vivre un individu devant composer avec 20 années de stress post-traumatique dont une large part est attribuable au fait d'avoir dû affronter des enfants soldats responsables des carnages au Rwanda. Dans la vaste majorité des cas, ce sont en effet des soldats de moins de 18 ans, dirigés par quelques adultes, qui ont massacré ces 800 000 personnes. Les deux parties belligérantes avaient recours à des enfants, d'un côté pour perpétrer les massacres et, de l'autre, pour livrer bataille dans ce conflit. À l'époque, je n'avais pas pleinement conscience de l'importance de leur jeune âge. Ce n'est qu'après coup que j'ai commencé à me rendre compte que l'on avait recours à ces enfants pour appuyer les efforts de guerre et de mobilisation.
Je travaille actuellement — et je conclurai sur ce point — à la rédaction de mon quatrième ouvrage qui traitera du volet stratégique. J'y fais valoir — en espérant que cela puisse servir de toile de fond à vos réflexions — que nous avons été précipités sans préparation dans les années 1990 à la fin de la guerre froide. Nous ne savions pas vraiment ce que nous faisions. Aux commandes de ma brigade, je déployais des bataillons en Yougoslavie en espérant que l'entraînement reçu leur permettrait d'être à la hauteur. Nous n'avions aucune expérience. Nous n'avions aucun document nous permettant de mieux savoir à quoi nous en tenir quant à ce que nous réservaient les années 1990.
À la faveur des recherches que j'ai menées et du travail que j'ai effectué, j'en suis venu à penser que nous avons besoin à ce moment-ci d'un nouveau cadre conceptuel pouvant servir de base à la prévention des conflits. Nous nous en tenions auparavant à une vision très classique de la guerre avancée par le théoricien Clausewitz qui voyait simplement s'opposer deux forces antagonistes. Ce n'est plus le cas. Nous en sommes à une époque où les civils peuvent tout aussi bien être les victimes que les cibles ou les agresseurs.
Nous ne pouvons plus dans ce contexte utiliser les outils d'autrefois. Nous devons cesser d'invoquer la neutralité des ONG. Nous ne pouvons plus nous servir de la diplomatie sans tenir compte des interfaces avec les forces de sécurité. Il est absolument essentiel que des efforts de prévention des conflits soient déployés par des leaders multidisciplinaires bien au fait de toutes les compétences à mettre à contribution sur le terrain.
Cela étant dit, je dois vous indiquer que trois semaines après le début du génocide de 1994, je discutais encore avec les gens de l'ONU pour savoir si j'étais autorisé ou non à protéger les civils dans le cadre de ma mission menée en application du chapitre VI. J'avais 32 000 civils sous ma protection, mais il était inconcevable pour New York que je m'en occupe dans le contexte d'une mission prévue au chapitre VI...
Shelly Whitman est maintenant des nôtres.
Bienvenue, Shelly.
Comme il s'agit de guerres civiles, il faut d'abord et avant tout s'assurer de protéger les civils. On veut les gagner à sa cause, mais ils deviennent également les victimes de ces conflits. Ils sont par conséquent au coeur de toutes les analyses opérationnelles. Ils représentent un élément fondamental de ces conflits.
On ne peut pas nier ces répercussions en considérant uniquement les forces déployées et, au niveau supérieur, les structures purement politiques et les mécanismes de partage des pouvoirs. Si l'on ne tient pas pleinement compte des répercussions sur les civils, qui risquent de se retrouver dans des camps de réfugiés ou de personnes déplacées, et des différents motifs ethniques, tribaux et religieux à l'origine des conflits, les décennies vont se succéder sans que le problème ne soit réglé.
Si l'on se rend dans un pays en mission avec l'idée que l'on n'y restera que très peu de temps, cela ne servira à rien. Il y a des éléments fondamentaux qui ont créé des frictions avant que la situation ne dégénère en conflit. Nous avons besoin d'une capacité multidisciplinaire.
Le Canada a fait largement sa part. Nous étions présents non seulement en Yougoslavie où nous avons joué un rôle de premier plan, mais aussi dans le cadre de bon nombre des autres missions en cours à l'époque. Jusqu'en 1996, nous avons en fait participer à toutes les missions. Nous avons appuyé le rapport Brahimi, un document de nature extrêmement tactique qui visait la réforme des efforts de maintien de la paix. Le groupe d'étude ne s'est pas intéressé aux principes stratégiques qui guidaient le maintien de la paix. On s'est plutôt penché sur les moyens à prendre pour améliorer les missions sur le terrain et les communications avec les quartiers généraux.
Je n'étais pas autorisé à parler au responsable d'une autre mission dans une région voisine et nous ne pouvions pas non plus échanger du matériel ou quoi que ce soit d'autre. Tout se déroulait en vase clos. La capacité de commandement et contrôle est désormais meilleure, mais elle se heurte encore aux conventions sur le statut des forces, aux protocoles d'entente et, bien évidemment, aux mandats qui créent souvent des obstacles empêchant les différentes missions de s'appuyer l'une l'autre.
Nous avons grandement contribué à l'adoption du Statut de Rome de la Cour pénale internationale en 2000. Il s'agit pour nous d'un excellent outil de dissuasion sur le terrain où nous pouvons intervenir en sachant que ces gens-là seront jugés comme des criminels. Ils commettent des crimes contre l'humanité et peuvent avoir des comptes à rendre s'ils ont recours à des enfants soldats ou au viol. Le viol est considéré comme une forme de torture, et la torture est considérée comme un crime contre l'humanité par la Cour pénale internationale.
Dans nos efforts pour voir comment composer avec cette réalité, il y a une piste de solution qui nous est apparue très nettement. C'est la notion de « responsabilité de protéger » que le Canada a amplement mise en valeur par l'entremise notamment de Gareth Evans et Michael Ignatieff, pour aboutir au concept de « responsabilité de protéger » énoncé officiellement par Paul Martin en septembre 2005. On établissait ainsi bien clairement que la souveraineté ne faisait plus foi de tout. On ne peut plus se cacher derrière la souveraineté en continuant à porter atteinte sans vergogne aux droits de la personne de ses citoyens ou en n'empêchant pas que quelqu'un d'autre en fasse autant. En vertu de ce concept, la communauté internationale et les États souverains sont également tenus d'intervenir en pareil cas.
L'application de ce concept aurait produit des résultats plus favorables n'eut été de la crainte de s'engager, de la crainte d'intervenir. C'est une crainte qui a des racines davantage politiques que diplomatiques. Un politicien va se demander qu'est-ce que cela pourrait lui rapporter et combien il risque dans l'aventure, alors qu'un pays va s'interroger sur les pertes humaines possibles et les avantages qu'il pourrait en tirer. C'est ainsi que ce concept n'a jamais été pleinement mis en oeuvre.
On a tenté de le faire en Libye, mais sans y parvenir. Les Canadiens commandaient les forces déployées dans ce pays, mais les Chinois et les Russes ont cru à tort que l'on visait un changement de régime. Ce résultat est attribuable uniquement au fait que le Conseil de sécurité des Nations unies ne dispose d'aucune capacité de commandement et de contrôle, et que la situation a complètement échappé à l'OTAN.
Je vous recommande de prendre connaissance de l'étude réalisée par le général dos Santos Cruz au sujet de la protection des gardiens de la paix. C'est une étude très rigoureuse sur les moyens à mettre en oeuvre pour que le déploiement des forces de maintien de la paix produise les résultats escomptés.
On ne peut plus s'en remettre à la formule traditionnelle de maintien de la paix prévue au chapitre VI. On peut dire d'une manière générale que les Nations unies et les pays qui fournissent des soldats et des policiers demeurent confrontés au syndrome du chapitre VI. J'ajouterais que l'on n'en est plus à l'époque de la crainte des risques de pertes au combat. Nous sommes passés au chapitre VII. Nous déployons des troupes disposant de toutes les capacités voulues afin que tous sachent bien qu'elles peuvent intervenir, dans les cas extrêmes, en faisant usage de la force nécessaire pour créer un climat de paix et permettre le fonctionnement normal des autres composantes de la mission.
Je commençais à peine, mais je dois déjà vous remercier.
Permettez-moi de vous présenter Mme Whitman, qui va vous exposer les aspects novateurs de nos engagements essentiels à l'égard de ces enjeux.
Merci.
Je vous prie d'excuser mon retard. Nous parlerons à un autre moment des problèmes d'Air Canada.
Je suis heureuse de pouvoir être des vôtres et je remercie le général Dallaire de m'avoir donné l'occasion de l'accompagner pour vous présenter une perspective que j'estime primordiale dans notre analyse non seulement des efforts de maintien de la paix, mais aussi du traitement des conflits qui font rage un peu partout dans le monde.
Nous devons reconnaître qu'à partir de ce moment-ci de notre Histoire, nos missions de maintien de la paix seront déployées dans le cadre de conflits qui épouseront une forme différente. Il faut notamment comprendre que si l'on avait par le passé recours aux enfants pour faire la guerre malgré leur jeune âge, on fait désormais appel à eux justement parce qu'ils sont jeunes.
Le recrutement et l'utilisation d'enfants soldats est loin d'être une question secondaire dans ce débat. C'est plutôt un enjeu clé que nous devons considérer dans le cadre de toutes les missions auxquelles nous pourrions participer ou de n'importe quel conflit qui est en cours.
À l'échelle planétaire, on recense actuellement plus de 250 millions d'enfants qui sont touchés par des conflits armés. Sept armées d'État continuent d'utiliser et de recruter des enfants, et 56 corps armés non étatiques font la même chose dans différentes régions du monde. Il ne s'agit pas pour nous d'une préoccupation uniquement d'ordre international. Il y a également des répercussions au niveau national. Je vais m'efforcer de vous faire comprendre qu'il convient pour nous d'analyser cette problématique en nous fondant sur des perspectives différentes et un nouvel ordre des choses, plutôt qu'en empruntant les pistes de réflexion plus traditionnelles.
L'utilisation et le recrutement d'enfants soldats doivent nous préoccuper du point de vue de la sécurité stratégique. C'est un enjeu lié aux droits de la personne et à la protection des civils, mais cela va encore plus loin. Le recrutement et l'utilisation délibérés d'enfants soldats visent à assurer la viabilité et l'approvisionnement de différents groupes armés de par le monde. Voilà une réalité que nous devons bien saisir.
Cette pratique peut avoir un impact sur le moral des troupes et sur leur efficacité. Elle peut aussi créer énormément de stress post-traumatique. Il faut aussi comprendre que le recrutement et l'utilisation d'enfants soldats peut nous servir de signal d'alerte pour la prévention des atrocités de masse et des génocides, un phénomène dont le général Dallaire pourrait vous parler en toute connaissance de cause.
Il faut en outre comprendre qu'il est possible de réduire le recours aux enfants soldats sans faire usage de la force. Il convient pour ce faire d'établir des conditions dont ils nous restent à explorer tous les détails et toutes les incidences sur la préparation de nos militaires comme de ceux des autres pays.
Ce n'est pas d'hier que le Canada contribue aux efforts de maintien de la paix, lesquels sont liés intrinsèquement aux valeurs fondamentales chères aux yeux de nos concitoyens. Il faut aussi savoir que le Canada a la possibilité de devenir un chef de file en prêchant par l'exemple. Il doit pour se faire réintégrer les opérations de maintien de la paix en faisant de la protection des enfants une priorité. C'est là une valeur qui peut faire la fierté de tous les Canadiens, peu importe leur allégeance politique.
La contribution du Canada au maintien de la paix ne doit pas être mesurée uniquement en fonction de l'apport de ses bataillons ou de ses militaires. On doit aussi prendre en considération les transformations importantes guidées par notre pays au cours de la dernière année, comme les principes de Vancouver sur le maintien de la paix et la prévention du recrutement et de l'utilisation des enfants soldats. Nous avons collaboré l'an dernier avec le gouvernement du Canada pour établir ce nouvel ensemble de principes novateurs. Nous n'aurions jamais cru à l'époque que 66 pays des Nations unies allaient adhéré à ces principes dans l'espace d'un an à peine.
Il faut comprendre que les forces armées canadiennes et la GRC peuvent avoir un rôle à jouer en matière de formation et que l'engagement de la société civile est également requis. On doit aussi considérer que l'établissement de normes en matière de maintien de la paix peut non seulement accroître l'efficacité des Nations unies, mais aussi contribuer à enrayer une atteinte grave aux droits de la personne qui favorise actuellement la perpétuation de cycles de la violence dans différentes régions du monde.
Nous devons aussi pouvoir établir des partenariats et participer dans le cadre de cette nouvelle dynamique aux débats rendus nécessaires par des contextes difficiles en mettant de l'avant les droits des enfants et la prévention de leur recrutement et de leur utilisation comme soldats. Nous pourrions ainsi consolider notre position sur l'échiquier planétaire et contribuer à l'atteinte des objectifs de protection, sécurité et engagement établis dans notre politique de défense.
Ce que nous avons observé, c'est qu'il y a eu beaucoup d'efforts sur le droit international et de nombreux efforts axés sur ce qui se produit « après les faits », lors de la démobilisation, du désarmement et de la réintégration des enfants. Il existe de nombreuses agences de protection des enfants, mais ce que nous n'avons pas réussi à accomplir à l'échelle mondiale, c'est d'examiner les enfants et leurs vulnérabilités et de considérer leur utilisation ou leur recrutement comme une préoccupation opérationnelle pour laquelle nous devons être adéquatement préparés.
Les Nations unies ont pris deux importantes résolutions du Conseil de sécurité que vous devriez connaître, à savoir la Résolution 2143, en 2014, ainsi que la Résolution 2151, également en 2014. Nous, les membres de la Roméo Dallaire Child Soldiers Initiative, avons collaboré étroitement avec le Luxembourg à la rédaction de la Résolution 2143. Cette résolution vise à entreprendre des formations opérationnelles et ciblées pour préparer l'ensemble du personnel de mission de l'ONU à mieux reconnaître, signaler et combattre efficacement les violations et les abus commis contre des enfants.
La Résolution 2151 est axée sur le fait que les préparations et les formations de cette nature sont également essentielles dans le cadre d'une importante réforme du secteur de la sécurité. Cela signifie que lorsque le Canada collabore avec tout autre groupe bilatéral ou dirige la formation de troupes à l'étranger, il doit également comprendre que la formation de cette nature est essentielle à l'atteinte de ces objectifs.
Les Principes de Vancouver que j'aimerais souligner ont quatre éléments clés qui sont essentiels et nouveaux dans le domaine de la préparation des soldats du maintien de la paix, et le premier concerne la nécessité d'une planification opérationnelle. Il ne s'agit pas seulement d'approches tactiques, mais de la façon dont nous pouvons modifier la composition des missions, des formations, des types de choses dont nous avons besoin, etc. L'élément suivant se concentre sur la prévention et les alertes précoces, afin d'agir en fonction de renseignements crédibles et d'utiliser la protection des enfants comme raison clé de notre intervention.
Ensuite, il faut augmenter le nombre de femmes dans les missions de maintien de la paix, car elles possèdent des compétences et des capacités essentielles qui peuvent aussi renforcer nos efforts en vue de mieux protéger les enfants et de prévenir leur utilisation et leur recrutement. Le dernier élément se concentre sur la résilience mentale et l'ESPT, ainsi que sur notre manque de préparation à cet égard, ce qui signifie que nous ramènerons continuellement des soldats qui souffriront aussi, ce qui aura des répercussions sur leur famille à leur retour à la maison.
J'aimerais également me concentrer sur le fait que le ministère de la Défense nationale a aussi lancé l'initiative Elsie, une initiative crédible et importante. Ce qu'il est important de reconnaître, dans cas-ci, c'est que lorsqu'on se concentre sur les enfants, on se concentre également sur les femmes et les filles, sur la question d'inclure plus de femmes dans les missions de maintien de la paix, comme je l'ai mentionné, et sur le fait que nous parlons de garçons et de filles qui sont recrutés et utilisés comme enfants soldats.
Nous parlons également du fait que la prévention du recrutement et de l'utilisation des enfants contribuera à réduire la violence sexuelle liée aux conflits, car un grand nombre de ces jeunes garçons et jeunes filles sont non seulement victimes de violence sexuelle, mais on les force également à commettre de tels actes violents. Si c'est l'enseignement qu'ils reçoivent sur les relations et la violence sexuelle dès leur jeune âge, vous pouvez imaginer que cela crée un cycle qui a des répercussions à long terme très négatives.
J'aimerais également formuler des commentaires sur les éléments indicateurs d'alerte précoce. Tous les efforts des Nations unies en vue de se concentrer sur la prévention du recrutement et de l'utilisation des enfants soldats, ainsi qu'à prévenir les atrocités de masse ou les génocides, n'ont pas réussi à relier ces deux éléments. Cela signifie que nous avons raté des occasions concrètes de trouver des façons de prévenir les conflits en comprenant qu'il y a un moment qui nous permet de reconnaître ces deux éléments et d'offrir des solutions tangibles.
Pour terminer, j'aimerais faire valoir quelques points.
En ce qui concerne les Principes de Vancouver, le gouvernement canadien, les Forces armées canadiennes, la GRC et Affaires mondiales doivent tous dépasser l'étape de l'adhésion. En effet, le Canada doit non seulement s'engager à augmenter le nombre de nations adhérentes, mais il doit également adopter une approche et une orientation stratégiques pour la mise en oeuvre, afin de servir de complément aux Principes de Vancouver.
Et le point le plus important, c'est que le Canada doit s'engager à veiller à ce que les Principes de Vancouver et les directives de mise en oeuvre soient appliqués. Cela nécessite le soutien d'experts en la matière qui travailleront aux côtés des Forces armées canadiennes et de la GRC.
Cela exige ce que nous appelons la « complémentarité stratégique », afin de construire des cellules de formation et de leçons apprises. Cela exige la mise en oeuvre complète, par les Forces armées canadiennes et la GRC, de nouvelles approches en matière de formation qui sont conformes aux Principes de Vancouver, un engagement envers la création potentielle d'un centre d'excellence, par exemple, pour les Principes de Vancouver, et il faut faire du Canada un leader mondial, afin que la compréhension des mesures de prévention contre le recrutement et l'utilisation d'enfants soldats représente le point de départ d'un nouveau programme, un programme axé sur les enfants, la paix et la sécurité.
Cela exige la création de partenariats avec des nations adhérentes, afin de bâtir une expertise régionale en matière de formation, des échanges bilatéraux entre les nations adhérentes qui ont de l'expérience et des connaissances sur les enjeux dont nous discutons, et la promotion des pratiques exemplaires, afin d'encourager les nations à utiliser de telles pratiques. Cela exige également la défense et le soutien du programme des Nations unies sur les conflits armés et les enfants, mais un soutien qui exige des indicateurs clairs de la mise en oeuvre concrète de changements tangibles en matière de prévention.
Enfin, cela exige un financement sérieux et à long terme et on doit comprendre que c'est bénéfique non seulement pour les activités de maintien de la paix, mais également pour l'avenir de l'humanité. Il est extrêmement important de comprendre que tant et aussi longtemps que nous continuerons de voir, dans le monde, des conflits persistants dans lesquels on continue de recruter et d'utiliser des enfants, nous ferons également face aux répercussions ici, que ce soit par l'entremise des immigrants, des réfugiés ou d'autres éléments qui seront touchés, par exemple les cercles internationaux de crimes.
Je vous remercie de votre temps.
Merci, madame Whitman.
Nous passons maintenant à la série de questions de sept minutes. Veuillez commencer à conclure lorsque je vous signalerai qu'il reste 30 secondes, afin que je puisse donner la parole à l'intervenant suivant. De cette façon, tout le monde pourra avoir la même possibilité de poser une question.
Monsieur Robillard, vous avez sept minutes.
[Français]
Merci, monsieur le président.
Merci beaucoup de votre excellent témoignage, général. Mes questions seront en français, bien sûr.
M. Donald Trump a annoncé aux Nations unies, plus tôt cette semaine, des compressions énormes dans la contribution américaine aux missions de maintien de la paix. Qu'est-ce que le Canada peut faire dans un tel cas? Percevez-vous cette situation comme une occasion, pour le Canada, de réaffirmer sa présence sur la scène internationale?
Ces compressions sont d'une grande ampleur, mais ce n'est pas la première fois qu'on voit les Américains manoeuvrer ainsi avec les Nations unies. Depuis longtemps, on voit les grandes puissances utiliser les Nations unies comme bouc émissaire quand cela fait leur affaire ou se cacher derrière elles en faisant valoir que si les Nations unies ne peuvent pas agir, comment le pourraient-elles.
Lorsque j'ai été déployé en 1994, ma mission était extrêmement réduite parce que les Américains ne payaient pas leur dû. Il n'y avait donc pas d'argent pour pouvoir faire des missions. Je considère ce que M. Trump a annoncé comme un geste éphémère, comme un malheureux hasard du moment, alors qu'on aurait justement besoin des Américains, mais pas nécessairement sur le terrain.
Je suis allé au Darfour. J'ai comparu devant un comité américain du Sénat. J'ai dit à ce comité que je n'avais pas besoin d'Américains, mais plutôt de moyens financiers pour que nous puissions nous occuper du transport et que les États-Unis continuent à nous soutenir dans cette mission. C'est la même chose en ce qui concerne les pays africains, que j'ai visités avec le ministre, il y a deux ans, ce que le ministre continue d'ailleurs à faire. Les Africains ne cherchent pas des bataillons à gauche et à droite, mais à être professionnalisés et à acquérir des compétences. Ils cherchent certaines pièces d'équipement, mais ils veulent faire le travail eux-mêmes. Ils ont besoin de gens comme nous qui pouvons leur inculquer ces nouvelles connaissances afin qu'ils puissent aller au front, si je puis m'exprimer ainsi.
Dans le cadre de missions de maintien de la paix, que ce soit au Mali ou en République centrafricaine, nous rencontrons souvent des difficultés liées à la protection des civils. Où en sommes-nous aujourd'hui dans nos efforts pour protéger les civils? Que pouvons-nous faire pour nous améliorer à cet égard?
Je vais dire quelques mots seulement, puis je vais céder la parole à Mme Whitman.
Comme je l'ai dit dans mon laïus au début, il faut se rappeler que la protection des civils est relativement nouvelle. Avec les missions relatives au chapitre VII de la Charte des Nations unies et les guerres civiles, cette dimension n'était pas dans la nature du maintien de la paix.
[Traduction]
Les activités de maintien de la paix dont vous vous souvenez tous — les Casques bleus en culottes courtes, et peut-être un bâton de baseball sans carton rouge ou sans banc des pénalités — appartiennent à l'époque du chapitre VI. Nous sommes entrés dans le chapitre VII avec des situations comme celle du Rwanda, et nous nous sommes rendu compte que nous étions incapables de gérer ces situations. Cela a changé dans la mesure où maintenant, la population civile est au centre de nos préoccupations, car ces gens seront capables de construire l'avenir de leur nation. Comment les protégeons-nous pour qu'ils soient en mesure d'accomplir leurs tâches?
J'aimerais demander à Mme Whitman de formuler des commentaires sur cette question.
Merci.
Il y a plusieurs éléments en jeu. L'un des défis qui se posent dans le cas de la protection des civils, c'est qu'il nous faut des approches pratiques sur la façon d'y arriver efficacement. Votre notion sur ce que cela signifie comparativement à une personne qui vient d'un contexte culturel tout à fait différent doit être bien comprise, et elle n'est pas souvent bien comprise. Je crois que nous devons faire davantage de travail à cet égard. À quoi cela ressemble-t-il? Parfois, ce n'est pas très difficile, mais il pourrait s'agir de ce que nous appellerions la codification du gros bon sens. Toutefois, le bon sens d'une personne n'est pas nécessairement le bon sens de tout le monde.
L'autre dynamique en jeu dans ce cas-ci, c'est le leadership, c'est-à-dire le leadership au niveau des généraux, des commandants de forces et au niveau national avec les gens qui participent aux activités de maintien de la paix. Il s'agit également de récompenser les bons comportements. Nous parlons souvent des aspects négatifs liés au maintien de la paix, et la presse parle de ceux qui commettent des abus. Mais nous mentionnons rarement les gens qui font un travail extraordinaire, et nous devrions envisager de faire cela plus souvent, afin de souligner ces initiatives et d'encourager ces comportements, plutôt que de nous contenter d'une approche qui consiste à nommer et à blâmer les coupables.
[Français]
Dans un article du périodique allons.y, nous apprenons que des enfants soldats jouent un rôle en contexte de cyberguerre. Pouvez-vous parler davantage de cet enjeu?
Quand j'ai siégé au Sénat, nous avons débattu pour que la cyberguerre devienne une capacité opérationnelle et non pas une procédure d'état-major. Le Canada n'a pas de commandement qui puisse gérer toute cette dimension des conflits futurs. Le Canada est énormément vulnérable non seulement sur le plan de son infrastructure, mais également quant à sa capacité d'agir de façon appropriée sur le terrain. La capacité d'agir sur le terrain peut aussi être minée.
Le premier élément à considérer est que nous ne sommes pas prêts à répondre à ce besoin. Au contraire, nous semblons réagir de façon pas du tout délibérée et encore moins offensive. La cyberguerre requiert une attitude beaucoup plus offensive, beaucoup plus directe et beaucoup plus investie, avec un sens du commandement et du contrôle, et non pas purement de gestion de problèmes.
[Traduction]
Merci, monsieur le président.
J'aimerais remercier nos témoins. Madame Whitman, je vous remercie de votre témoignage, et général Dallaire, je vous suis très reconnaissant de votre témoignage, ainsi que des grands services que vous avez rendus à notre pays.
J'ai trouvé votre témoignage d'aujourd'hui captivant. Vous avez parlé du fait que le Conseil de sécurité des Nations unies n'avait aucune structure de commandement et de contrôle. Vous dites que l'époque du maintien de la paix aux termes du chapitre VI est derrière nous, et je suis tout à fait d'accord avec vous.
Mais comment décririez-vous le chapitre VII? Je pense que la plupart des Canadiens croient toujours que nous envoyons des Casques bleus. Ils croient que nous envoyons des Casques bleus au Mali. Je sais que certaines personnes disent que nous participons à des opérations humanitaires au Mali et que d'autres disent que nous assumons un rôle plus combatif que le rôle auquel nous sommes habitués dans le cadre d'une mission des Nations unies. Comment décririez-vous le chapitre VII en termes simples, afin que les Canadiens puissent comprendre?
... car j'y étais aux termes du chapitre VI et nous étions là pour observer et pour aider les gens qui voulaient établir la paix. Lorsqu'ils ont décidé qu'ils ne voulaient plus établir la paix ou que la paix n'avait pas atteint un niveau qui lui permettait d'évoluer, il a fallu passer au chapitre VII. Le chapitre VII signifie que vous établissez des paramètres de sécurité afin que toutes les autres disciplines, lorsque la sécurité est engagée, soient en mesure de fonctionner dans une atmosphère de sérénité raisonnable. Cela signifie qu'en dernier recours, vous devez être prêts à utiliser la force, afin de veiller à créer cette atmosphère, peu importe la menace. Cette menace pourrait par exemple être une émeute — et j'ai fait face à une telle menace. Les membres de mes troupes n'étaient pas autorisés à intervenir dans une émeute, car ils n'avaient jamais été formés pour cela.
Selon moi, le chapitre VII nous aide à nous rendre compte que nous ne sommes pas entre deux États qui ont décidé de cesser le feu pour conclure un accord. Nous sommes plutôt dans des conflits internationaux, des nations qui s'effondrent et des États défaillants. La brutalité de ces missions fait en sorte qu'il est extrêmement difficile de faire la distinction entre les extrémistes et les modérés et entre les bons et les mauvais, et de déterminer le côté qu'il faut appuyer. Il faut être en mesure de protéger les civils, car au bout du compte, ils sont manipulés dans tout cela.
Selon votre expérience personnelle, en particulier en Somalie, la chaîne de commandement et la structure de commandement et de contrôle des Nations unies ne vous ont pas appuyé là-bas.
J'ai commis des erreurs sur le terrain, et ils ont aussi fait des erreurs sur le terrain, mais les plus grosses erreurs n'ont pas été commises par les Nations unies. Elles ont été commises par chaque État souverain qui a assisté aux événements et qui n'a absolument rien fait pour nous fournir les moyens de résoudre la situation. Rien n'a été fait, à l'exception des 12 Canadiens qui sont venus me voir.
On a perdu le contrôle de la mission en Libye, par exemple, parce que le Conseil de sécurité ne recevait aucun renseignement. Elle était dirigée par l'OTAN. Si vous utilisez l'OTAN comme sous-traitant, vous perdrez le contrôle de la situation. À mon avis, ce n'est pas la meilleure solution. Les capacités régionales sont beaucoup plus importantes, selon moi.
Si les Nations unies n'ont pas la structure de commandement et de contrôle — et vous dites que même aujourd'hui, l'organisation n'a toujours pas cette structure de commandement et de contrôle qui pourrait être employée dans ces situations —, je me disais qu'il faudrait probablement s'adresser à des organismes de confiance comme l'OTAN, mais vous recommandez une approche différente.
Certaines des réformes que Kofi Annan a tenté de mettre en oeuvre, et que l'ambassadeur Bolton — qui travaille maintenant pour la NSA, aux États-Unis — a interrompues en 2005, visaient à bâtir la capacité de commandement et de contrôle, la planification de mesures d'urgence, ainsi que la capacité de mise en oeuvre pour le Conseil de sécurité, car le DOMP, le Département des opérations de maintien de la paix, est réellement un générateur de force. En effet, il rassemble des forces et les envoie sur le terrain et tente de gérer cette capacité. Ce n'est pas un quartier général opérationnel, et même s'il a la capacité nécessaire pour tenter de combler cette lacune, ce n'est pas à un niveau fondamental. Il a 110 000 troupes à l'échelle mondiale. Il est nécessaire d'avoir une capacité importante pour influencer la bataille. Le Conseil de sécurité n'a pas cette capacité. Le secrétariat a quelque chose.
Jusqu'à ce que le Conseil de sécurité puisse commander, contrôler et influencer ses missions et ses mandats, nous serons toujours forcés de nous demander ce qu'il veut réellement que nous fassions et jusqu'où nous pouvons aller.
En 2016, le National Post a indiqué que vous aviez dit que vous éviteriez à tout prix d'intervenir au Mali.
Oui. À l'époque, j'ai dit que je n'enverrais pas des troupes de campagne — des troupes terrestres — dans le cadre d'opérations de maintien de la paix au Mali. Vous avez parfaitement raison. En fait, je me concentrais beaucoup plus sur les moyens d'éviter un génocide en République centrafricaine, où nous pourrions bâtir, intégralement, une capacité avec cette nation.
Toutefois, changer de tactique et donner un multiplicateur de force à une mission grâce à l'une des ressources les plus importantes dont a besoin chaque mission — c'est-à-dire un hélicoptère pour le transport des troupes, l'évacuation des victimes, etc. — représente, selon moi, un engagement très raisonnable, mais on apprendra quelques leçons très intéressantes. Des gens les détecteront, et nous espérons participer à la validation des procédures utilisées pour acquérir plus d'expérience dans ce type d'opération.
Le major-général Lewis MacKenzie a comparu devant le Comité dans le cadre de cette étude au printemps dernier, et il a dit, en parlant du Mali:
Il suffit de songer au taux de mortalité au Mali. Plus de 50 % des pertes ont eu lieu dans les bases, sous l'effet de tirs indirects. Même les Allemands — bénis soient-ils! — ont des mortiers de contre-bombardement, des radars de contrebatterie. Je ne sais pas à quoi cela va servir, parce qu'ils n'ont pas la capacité de répondre aux tirs de mortier venant de l'extérieur de la base.
Êtes-vous d'accord avec son évaluation? Il parle de Gao.
Je ne vois aucun rôle pour les bataillons canadiens dans la bataille au Mali. Je ne vois pas les bataillons canadiens mener des activités de maintien de la paix. Ce que je vois, ce sont des instructeurs canadiens qui préparent les forces de l'Union africaine, afin qu'elles acquièrent cette capacité.
Nous étions au Nigeria, où il y avait Boko Haram, et nous pouvions voir que ce pays avait besoin de la capacité de faire face à ce type de menace.
Je recommanderais fortement certaines choses que nous devrions faire, et c'est assez intéressant, car c'est dans le document de politique de la défense. Le Rwanda, par exemple, a déployé 6 000 troupes pour le maintien de la paix. Nous formons des bataillons de Rwandais pour qu'ils se rendent dans ces secteurs de mission au Soudan du Sud et à d'autres endroits. Ils veulent faire cela. Ils veulent devenir des professionnels, et ils fourniront leurs ressources et leurs outils, mais il y a certaines technologies qu'ils ne peuvent pas fournir, par exemple des hélicoptères.
Ces autres partenaires s'occuperont de la protection et de la sécurité de notre force opérationnelle aérienne qui se trouve à Gao. Pouvons-nous compter sur eux pour fournir...
Merci, monsieur le président.
J'aimerais remercier nos témoins d'être ici aujourd'hui.
J'aimerais me concentrer sur la question des enfants soldats dont nous parlions. Étant donné que nous parlons du Mali, je pourrais peut-être vous demander de me décrire la situation des enfants soldats dans le conflit au Mali.
On estime que le nombre d'enfants soldats est important au Mali. De plus, c'est l'un des pays qui figure dans le rapport annuel du Secrétaire général de l'ONU sur les enfants et les conflits armés. Nous savons qu'au moins quatre groupes recrutent des enfants soldats au Mali à diverses fins.
Je veux aussi que ce soit clair pour ceux qui ne comprennent peut-être pas bien le problème. Lorsque nous parlons d'enfants soldats, nous ne parlons pas uniquement des enfants qui sont sur le champ de bataille et qui ont des AK-47. Nous parlons d'un ensemble de questions. Les enfants peuvent agir comme porteurs, messagers, espions, soit avoir des fonctions de soutien. Ce que vous devez comprendre, c'est qu'il s'agit également de la période la plus cruciale, car c'est à ce moment qu'on peut empêcher qu'ils soient endoctrinés davantage ou qu'ils aillent sur le champ de bataille.
Nous devons être clairs là-dessus. Il ne s'agit pas seulement de craindre de faire face à des enfants sur la ligne de front, mais aussi de déterminer quelles mesures nous pouvons prendre pour empêcher cela de se reproduire.
C'est le sujet que j'allais aborder après.
Dans le travail que vous faites sur les enfants soldats, quelles sont les mesures les plus efficaces à prendre pour empêcher le recrutement et l'utilisation d'enfants soldats dans les conflits?
L'un des éléments les plus importants, c'est que nous devons être capables de reconnaître les endroits et les moments où nous pouvons employer des techniques de prévention plus efficaces, car nous ne le faisons pas assez.
Le général Dallaire a parlé de Boko Haram et des forces armées nigérianes. Vous connaissez tous l'histoire des écolières de Chibok qui ont été enlevées. C'est un parfait exemple. Si la priorité y avait été accordée et que de la formation avait été donnée, l'école aurait pu être protégée, car il y avait eu préavis qu'elle serait attaquée. Attendre après coup pour intervenir s'est révélé une mesure inefficace pour un certain nombre de raisons.
De notre point de vue, il s'agit de s'assurer qu'on donne une bonne formation pratique, c'est-à-dire qui est fondée sur des scénarios. Il ne s'agit pas seulement ici de donner un cours magistral ou de faire une présentation PowerPoint, comme nous le voyons souvent. Il s'agit vraiment d'utiliser un ensemble de mises en situation basées sur des exemples concrets. Il s'agit de comprendre que ce n'est pas normatif, que les choses changeront. Nous voulons que les soldats soient capables de réfléchir à ces dynamiques avant d'y être confrontés. S'ils n'examinent pas ces réalités avant d'y être confrontés, c'est la partie émotionnelle plutôt que la partie rationnelle de leur cerveau qui réagira. Nous voulons des démarches rationnelles. On nous dit également qu'il faut mettre une chose en pratique au moins sept fois avant d'y être confronté sur le terrain.
À l'heure actuelle, les démarches de préparation qui ont été adoptées pour cette question sont nettement insuffisantes sur le plan des normes. Avec les Principes de Vancouver, nous voulions certainement rehausser le niveau pour en faire une priorité et non simplement une autre question dont il faut être conscient concernant les droits de la personne.
Le dernier point que j'aimerais soulever, c'est qu'il est également très important que la formation donnée à ce sujet ait des effets non seulement sur le cerveau, mais également sur la façon de penser. Cela modifie véritablement la façon dont les gens voient le conflit et les enfants, et ils comprennent ces dynamiques de l'intelligence auxquelles ils ne prêteraient pas d'attention autrement.
Tout cela mène à la prévention, qui permet alors de réduire les conflits et la capacité de les poursuivre, ainsi que de réduire grandement le bassin de mobilisation des belligérants. S'ils ne peuvent pas recourir à des enfants, ils devront envisager une autre option s'ils veulent poursuivre le combat.
Endormir des soldats dans un cours de trois heures sur les notions de droit international peut contribuer à rehausser leur moral, mais n'aide en rien à prévenir le recours à des enfants soldats et à agir efficacement contre cette menace. J'estime que la doctrine que nous avons aidé les Forces canadiennes à rédiger, leur directive d'instruction, que nous les avons aidées à préparer, l'initiative Dallaire, demeurent des démarches qui visent à aider les Forces canadiennes à agir de façon efficace lorsqu'elles sont confrontées à des enfants soldats.
Pouvez-vous parler de l'équilibre entre ce que j'appellerais la pression et l'attraction concernant les enfants soldats? Bien des gens pensent qu'on force toujours ces enfants à participer au conflit. Des témoins nous ont dit que pour les adultes, il n'y a souvent pas d'autres choix et, par conséquent, on les attire dans le conflit.
Il est important de comprendre que ce ne sont pas tous les enfants qui sont pris de force, mais nous voulons également que tout le monde comprenne que le manque de choix est bien réel, que ce soit parce que les enfants ne peuvent pas aller à l'école, ou à cause de la situation économique, de la perte des parents, etc. Bon nombre de ces facteurs existent et devraient être compris. Toutefois, dans toutes ces circonstances, les adultes qui recrutent des enfants sont responsables de leur utilisation.
Si des enfants prennent « volontairement » une décision difficile — et nous mettons « volontairement » entre guillemets parce que cela découle du fait qu'ils ont un ensemble très limité d'options —, on doit comprendre, et c'est très important, que souvent, ces enfants ne comprennent pas le choix qu'ils font. Bon nombre de gens parleront du fait qu'une fois qu'ils sont dans le groupe armé, c'est comme s'ils ne savent plus très bien pourquoi ils étaient là au départ, car cela n'a plus de sens et ils ne pouvaient s'imaginer dans quelle situation ils se retrouveraient à long terme, etc., et les conséquences, ce que nous, comme parents ici au pays, pouvons comprendre.
Merci beaucoup, monsieur le président.
Je veux dire à quel point c'est un honneur de vous recevoir ici aujourd'hui. Vous avez donné une énorme quantité de renseignements et fait beaucoup de recommandations, qui ne seront pas toutes mises en oeuvre du jour au lendemain.
Dans mes questions, j'aimerais parler un peu des changements que nous devrions prôner, tant à l'échelle nationale qu'aux Nations unies.
Sauf le respect que je lui dois, je ne suis pas d'accord avec mon collègue d'en face. Je crois qu'en fait, la plupart des Canadiens croient maintenant que nous n'en sommes plus à la formule de maintien de la paix du passé, et que le Canada fait partie d'un regroupement. Nous sommes passés au chapitre VII. Personne ne parlera du chapitre VII, mais je crois que nous savons que le danger est plus grand dans nos missions à l'heure actuelle. Personne ne croit que le Canada créera une situation de paix stable dans un pays donné du jour au lendemain, mais il fait partie d'un groupe de pays qui, sous la direction de l'ONU, essaie de créer des conditions favorables à la paix.
Ma première question s'adresse à vous, monsieur Dallaire. J'imagine que vous faisiez partie du groupe qui a recommandé au Canada d'aller au Mali. Qu'est-ce qui fait que cette mission est conforme au nouveau cadre conceptuel pour le maintien de la paix dont vous avez parlé?
C'est établi dans le cadre d'une solution multidimensionnelle pour une nation presque sans État. Comment établir un cadre raisonnable, à partir d'un accord de paix mal conçu, pour protéger les civils et intégrer des capacités pour que cette nation soit en mesure de prendre son avenir en main?
Nous participons simplement à un exercice à long terme. Quand on va dans ces pays où il y a eu beaucoup de destructions, le processus dure des années, voire des décennies. On ne peut donc pas évaluer l'efficacité d'une mission de maintien de la paix ou une mission de l'ONU en fonction d'une courte période, de quatre années de pouvoir ou de quelques mois. Il faut considérer cela comme un investissement à long terme quant à la manière de participer à cet effort.
Le Mali est un bon lieu d'instruction. Il semble que nous ne sommes pas du même avis, car je dirais que 50 % des Canadiens ne croient toujours pas que les opérations menées au Mali sont utiles. Je crois que deux raisons expliquent cela. Tout d'abord, les gens pensent qu'il n'est pas dans notre intérêt d'y participer. Or, tout conflit dans le monde aura des incidences sur nous. Quand on pense au grand nombre de réfugiés et aux camps pour personnes déplacées, il y aura des pandémies. La fureur et l'extrémisme et, en fin de compte, le terrorisme qui découle de ces camps, se propageront. Dans notre pays, les diasporas en souffriront. Vous souvenez-vous des Tamouls, à Toronto, qui n'aimaient pas ce que nous faisions? Ils se sont retrouvés dans ce maelstrom. Tout conflit a des répercussions sur nos propres intérêts, sur le plan stratégique. C'est la première raison.
L'autre raison, c'est que les gens craignent toujours qu'il y ait des victimes. Même si nous avons magnifiquement bien procédé quant à la situation en Afghanistan dans cet exercice, le maintien de la paix est encore considéré comme un processus d'où on revient en toute sécurité, et c'est parce que les gens veulent que nous soyons là. Ce n'est pas nécessairement le cas, selon le mandat. Oui, il y a des risques, mais c'est ce qui caractérise l'ère dans laquelle nous vivons. Voilà pourquoi je dis que les gens pensent toujours en fonction d'une autre ère, alors qu'en fait, au bout du compte, les belligérants parvenaient à une résolution, tandis que nous voyons maintenant des belligérants essayer de déterminer comment en arriver à une résolution.
Vous semblez dire que l'ONU a commencé à faire la transition vers le nouveau cadre conceptuel dont vous parliez, ce qui semble formidable.
J'aimerais maintenant parler de ce qui empêche le nombre de femmes qui participent à ces missions et qui entrent dans l'armée d'augmenter. Ce que nous a dit précédemment un universitaire, c'est qu'il doit y avoir un certain nombre de femmes pour que des choses changent dans l'armée et dans le cadre des missions. De plus, même après l'arrivée de femmes, il faut les aider à renforcer les capacités, de sorte qu'il ne s'agit pas seulement de recruter un plus grand nombre de femmes. Des gens qui dirigent le centre de formation nous ont dit qu'ils faisaient tout ce qu'ils pouvaient pour recruter des femmes, mais ils ne comprennent toujours pas ce qu'ils doivent faire pour y arriver. J'aimerais que vous fassiez des recommandations.
Vous pouvez voir à quel point nous prenons cela au sérieux. Nous y investissons de l'argent. Nous avons dit qu'il s'agit d'une priorité, et nous faisons preuve de leadership le plus possible, mais que pouvons-nous faire de plus?
Je dirai un mot et je céderai la parole à Mme Whitman. On sous-estime le multiplicateur de force que fournissent les femmes dans le soutien de la paix et la résolution de conflit. On sous-estime cette capacité, et leur présence sur le terrain est essentielle, car elles ont un nouvel ensemble de capacités dont les hommes ne sont même pas conscients quand on le leur demande.
Pour reprendre une de vos observations, si l'on va vers un rôle que ne joue pas généralement quelqu'un qui n'est pas comme soi, il faut qu'on voie ces personnes, et il faut donc trouver des moyens d'attirer des femmes, de sorte que de jeunes femmes puissent constater que c'est une option. C'est la première chose.
Ensuite, vous avez raison. Nous devons renforcer les capacités. En Afrique, nous collaborons avec les forces armées de la Sierra Leone, les Rwandais, les Ougandais et même les Somaliens, et je peux vous dire qu'il y a un grand nombre de femmes extraordinaires qui veulent participer à des missions de maintien de la paix, mais elles ont également des capacités uniques que nous devrions envisager de parfaire.
La nature de la formation et la façon dont nous procédons devraient être examinées. Il existe des unités composées entièrement de femmes, comme en Jordanie et au Rwanda. Des femmes à qui nous avons donné une formation sur la prévention d'enfants soldats m'ont dit que si l'on créait un réseau qui rassemblait les femmes, on verrait ce qu'elles sont capables de faire.
Le Canada devrait trouver des moyens de créer ces réseaux de femmes et de soutien pour leur donner des domaines d'opérations précis auxquels elles veulent participer, et non seulement y être intégrées.
Général Dallaire, madame Whitman, je vous remercie de votre présence. Je vous remercie des services rendus à notre pays et dans le monde.
Je vais en quelque sorte risquer d'aller plus loin et je me demande si vous pouvez me suivre avec un exemple hypothétique.
Disons qu'il s'agit d'une vidéo sur Facebook. Imaginez une ville où l'on agit en application au Chapitre VII après un conflit. Supposons qu'il s'agit surtout de l'Irak à n'importe quel moment au cours des 10 dernières années. Une commandante de convoi est prête à sortir du périmètre d'une base d'opérations avancée. Supposons que son convoi compte deux ou trois véhicules civils et que des représentants de l'ONU se déplacent pour rencontrer un ministre local afin de signer un protocole d'entente. Ils sortent de la ville et après avoir effectué quelques virages, elle se retrouve devant un groupe de jeunes qui braquent des AK-47 et des RPG sur le convoi.
Si nous arrêtons la vidéo, je me demande si vous pouvez analyser le scénario d'un point de vue humain, moral. Pour les femmes du domaine la paix et de la sécurité, il est clair que le TSPT entre en jeu, mais, de plus, dans un tel scénario difficile, qu'en est-il du maintien de la paix à mesure que nous avançons? En combien de temps allons-nous résoudre ces questions morales?
Vous parlez exactement de ce que nous faisons dans le volet tactique pour que les forces aient les compétences et tout ce qu'a expliqué Shelly. En fait, c'est l'un de nos scénarios.
J'aimerais clarifier une chose. Quand le général Dallaire dit « nous », il parle de la Roméo Dallaire Child Soldiers Initiative. Nous présentons une série de scénarios, 12 modèles d'interactions, dont l'un se situe à un point de contrôle, pas mal comme dans l'exemple que vous donnez. C'est la prémisse. Que faire dans un tel contexte?
Nous avons des tableaux d'interaction, que nous examinons ensemble. Nous présentons les options. Il y a toutes sortes de choses que vous n'avez pas mentionnées dans votre scénario et qu'il faudrait vérifier, ne serait-ce que pour savoir qu'il y a des possibilités et pour trouver des moyens de désamorcer la situation. Nous en donnerions des exemples.
Les règles d'engagement seraient aussi clairement énoncées. C'est une donnée fondamentale que beaucoup de gens oublient. Quand on est face à des enfants, il faut comprendre comment l'enfant pense, et la préparation est très différente de celle privilégiée pour faire face à des adultes dans la même situation. Il faut comprendre cela, reconnaître qu'il peut y avoir des attitudes différentes à adopter, qu'on n'utilisera pas les mêmes mots ou qu'il faut sourire. Les soldats ne sont pas habitués à se faire dire ce genre de chose.
Les éléments de base de ce genre occupent une place centrale dans toutes les formations que nous offrons. Nous ne prétendons pas que tous les scénarios se dérouleront parfaitement comme prévu, mais nous pouvons proposer des options bien meilleures que celles privilégiées à l'heure actuelle et par conséquent, nous pouvons trouver des moyens de réduire le TSPT et toutes les autres répercussions négatives de ce genre de situation sur les enfants et les soldats qui y sont confrontés.
Comment pouvons-nous répondre à la question morale d'un déploiement sur le terrain aux termes du chapitre VII quand il est clair qu'il y a des enfants soldats dans le théâtre d'opérations?
Permettez-moi de vous donner un exemple. Nous avons travaillé avec d'anciens enfants soldats pour créer la formation que nous offrons. Je me rappellerai toujours des enfants, dans un atelier, qui m'ont dit: « S'il vous plaît, dites aux soldats de ne pas reculer dans ce genre de situation, parce que c'est dans le feu de l'action de la bataille que j'ai réussi à m'enfuir. »
Je le dis parce qu'il y a beaucoup de gens qui ne comprennent pas qu'il peut venir un temps où il faut prendre une décision difficile. Il peut venir un temps où il faut utiliser une arme pour se protéger, et malheureusement, la mort d'un enfant pourrait permettre d'en sauver des centaines d'autres.
Ces réalités font partie de la formation, et il faut les comprendre. Le fait de reculer et de ne pas nous engager dans ce genre de situation, de ne pas entrer en zone de maintien de la paix ne permet pas d'accroître la prévention. Cela indique plutôt à ceux qui utilisent des enfants qu'ils ont intérêt à continuer de les utiliser, puisque cela fonctionne.
Je vous remercie.
J'ai 45 secondes encore. Je lancerai une question, à laquelle j'espère que nous aurons la chance de revenir.
Général Dallaire, êtes-vous inquiet pour la communauté musulmane ouïgoure, qui serait actuellement opprimée par le gouvernement chinois de diverses façons?
C'est intéressant, parce que je me suis surtout préoccupé jusqu'ici des Bahaïs, en Iran, un groupe opprimé qui est même la cible d'actions génocidaires.
Je dois m'en tenir aux situations que je connais mieux, comme celle au Myanmar, où un génocide se déroule sous nos yeux, 25 ans après le précédent. Notre inaptitude à intervenir quand des êtres humains subissent des violences massives, à tenir un pays responsable et à y prendre des mesures, puisque nous avons la responsabilité de protéger la doctrine, est inexcusable dans le monde.
Merci, monsieur le président, ainsi qu'à vous, madame et monsieur nos témoins.
Pour commencer, monsieur Dallaire, nous appuyons le travail de nos troupes, au Mali, et l'utilisation de nos hélicoptères pour les missions d'évacuation médicale d'urgence et toutes les autres choses que nos troupes peuvent faire dans la région pour aider d'une manière ou d'une autre. Cependant, il y a plusieurs témoins qui ont comparu dans le cadre de cette étude qui nous ont dit qu'il n'y avait aucune chance que la mission de l'ONU au Mali permette d'établir une paix viable à long terme.
Comme vous avez vous-même une expérience pratique considérable des opérations de maintien de la paix de l'ONU, croyez-vous vous aussi que cette soi-disant mission de maintien de la paix est vaine?
Combien y a-t-il de combats qui continuent de faire rage depuis l'effondrement catastrophique du Mali, où les civils sont tués par villages entiers? Combien y a-t-il de massacres qui se poursuivent? Quelle est l'ampleur de la destruction humaine? Combien y a-t-il de réfugiés et de personnes déplacées de plus à l'intérieur du territoire en raison de ce qui se passe là-bas?
Mon argument, madame, c'est que quiconque regarde une mission, même quand son mandat comporte des lacunes, et ne voit pas la possibilité de le modifier pour travailler en vue d'un processus de paix...
Nous travaillons actuellement au processus de paix au Soudan du Sud, où il y a des problèmes d'une ampleur considérable. On ne peut pas adopter de vision à court terme du soutien à la paix et de la résolution du conflit. Bien souvent, le court terme ne donnera pas bonne impression, et on y verra des risques qu'on préférerait éviter, mais c'est avec la ténacité, l'engagement de la communauté internationale, et des pays nordiques en particulier, qu'on peut faire quelque chose.
Nous avons renoncé au maintien de la paix à la fin de la guerre froide et avons laissé les pays en développement seuls, sans ressources, sans équipement, pour assurer tout le maintien de la paix. Nous nous en sommes dissociés. Nous avons même laissé tomber notre brigade d'intervention rapide, que nous présentions pourtant comme la solution en 1995. Nous avons laissé tomber la BIRFA, que nous commandions nous-mêmes. Nous les avons laissés s'en occuper, et maintenant, nous disons qu'ils ne s'en occupent pas comme il faut, qu'elle est trop faible, etc.
Je crois donc qu'il est grand temps de revenir à des scénarios d'intervention étoffés, ne reposant pas sur le déploiement massif de troupes, mais sur une multitude de ressources informées, réfléchies, sur des soldats crédibles et des diplomates pouvant travailler avec les soldats et les travailleurs humanitaires.
J'ai siégé à un comité, où j'ai entendu le général Petraeus me dire qu'il n'avait jamais parlé à un représentant d'ONG en Afghanistan, parce qu'ils ne voulaient pas lui parler. Il y avait 7 000 ONG sur le terrain. Imaginez toute l'information qu'il aurait pu recueillir. Cela doit cesser. Nous devons intégrer de nouveaux volets à nos opérations. Les généraux qui viendront ici vous dire que la seule solution à ce genre de situation et le combat appartiennent à une autre époque.
Je veux clarifier une chose. Vous affirmez que le chapitre VI porte sur la résolution pacifique des conflits, alors que le chapitre VII fait intervenir le combat ou la guerre cinétique.
Si vous nous dites que l'intervention au Mali relève du chapitre VII, nous en déduisons qu'il s'agit d'une mission de combat plutôt que d'une mention classique de maintien de la paix. Nous l'avons déjà entendu, d'ailleurs.
Si c'était une mission de combat depuis le départ, pourquoi le gouvernement la présenterait-il comme une mission de maintien de la paix, alors qu'il n'y a aucune paix à maintenir là-bas? Ce n'est qu'un leurre pour la vendre au public canadien.
Comme je vous l'ai déjà dit, « maintien de la paix » est un terme d'une autre époque. On peut toujours s'en sortir avec des expressions comme « opérations de soutien de la paix », mais il s'agit en fait de résolution de conflit, et cela peut nécessiter l'intervention de forces de sécurité in extremis. Il faut pouvoir utiliser la force pour stabiliser la situation et protéger les ressources qui seront un multiplicateur de force à terme, qui permettront de réaliser la mission, comme les hélicoptères.
On parle de combat, mais nous ne sommes pas là pour gagner des guerres. Nous sommes là pour participer à la stabilisation et protéger les civils. C'est le but de l'exercice. De nos jours, le maintien de la paix, si l'on veut utiliser ce terme, consiste à trouver le moyen de protéger les civils pour fournir une enveloppe de sécurité humaine qui doit comprendre toutes les autres dimensions (l'humanitaire, le juridique, l'édification du pays, etc.), question de nous donner l'espace nécessaire pour favoriser la cohésion. Comment peut-on amener les diplomates et les militaires à trouver des solutions qui changeront la nature du conflit, qui changera avec le temps?
D'accord.
Vous n'avez pas été commandant de la mission en Somalie, mais vous faisiez partie de l'armée à l'époque. De toute évidence, vous avez observé la mission d'une manière ou d'une autre, n'est-ce pas?
Merci beaucoup, monsieur le président.
Merci infiniment, général, de dire que nous sommes là pour protéger les civils et stabiliser la situation. Je vous en remercie. Je suis content de l'entendre. Je pense que le Canada est le seul, sinon... Je ne sais pas trop où en est le Royaume-Uni dans l'adoption d'une doctrine sur les attitudes à privilégier devant les enfants soldats. Il l'a peut-être déjà signée. Je n'en suis pas certain. Sinon, c'est pour bientôt. De même, je vous remercie infiniment de votre travail, qui a joué un rôle clé dans l'élaboration et la mise en place de la note de doctrine interarmées, en 2017.
J'ai lu des statistiques selon lesquelles un ancien combattant canadien sur dix ayant combattu en Afghanistan a reçu un diagnostic de TSPT. Nous savons que c'est probablement plus que cela, parce qu'il y a des militaires qui sont encore en service et qui n'ont pas été diagnostiqués. Nous savons qu'en Afghanistan et en Irak, nos troupes ont rencontré de nombreux enfants soldats.
Ma question s'adresse aux deux témoins. Croyez-vous que grâce à cette doctrine et à la formation qui en découlera — et nous avons parlé beaucoup de la prévention par opposition à la réaction dans différents contextes —, nos militaires canadiens seront mieux préparés mentalement pour gérer leurs rencontres potentielles avec des enfants soldats?
Quand j'étais au Rwanda, je voyais des enfants soldats partout, mais je ne les voyais pas vraiment. Je les voyais seulement comme des combattants, et si je les voyais comme des combattants, j'agissais en conséquence. Le fait de prendre conscience du fait qu'il s'agissait d'enfants utilisés comme combattants a fini par changer toute la nature de ce que je devais faire. Le fait d'avoir vu tout cela et d'avoir agi contre des enfants a eu des effets catastrophiques sur moi et bon nombre des personnes qui travaillaient avec moi. Nous nous sommes rendu compte du fait que nous n'avions jamais été confrontés à cela auparavant. Ce n'était pas que quelques enfants un peu en marge. Ils constituaient les principales forces en présence pour faire l'essentiel du travail. Comment peut-on gérer cela?
C'est la grande question que je me pose depuis 2004, et Mme Whitman est à mes côtés depuis 2008. Nous avons bâti notre institut pour en faire un centre mondial destiné à réduire le traumatisme que peuvent ressentir nos soldats lorsqu'ils sont confrontés à des enfants soldats. Nous voulons les outiller et leur proposer de nouvelles tactiques, de nouvelles stratégies pour éviter les interventions cinétiques.
Je laisserai Mme Whitman poursuivre.
Je pense qu'il est extrêmement important de nous assurer de prendre cette trajectoire, d'aller au-delà de la politique, de la doctrine, pour les transformer en actions concrètes. Je suis un peu inquiète, parce que nous n'allons pas encore assez loin. Nous devons nous assurer que les membres des Forces armées canadiennes, de la GRC ou des autres corps policiers qui sont déployés aient reçu une formation pratique fondée sur des scénarios concrets. Cela doit être intégré à la formation. Je sais que nous y travaillons, mais ce n'est pas encore le cas. Ce doit l'être.
L'autre chose que je souhaite préciser, c'est qu'il faut aussi tirer des leçons de nos expériences. Nous devons nous assurer qu'il y ait une rétroaction. Quand les militaires qui ont reçu ce genre de formation sont déployés, nous devons pouvoir leur poser des questions à leur retour.
Il y a environ sept ans, j'ai demandé au psychologue des Forces armées canadiennes en charge de certains aspects des services aux militaires souffrant du TSPT combien avaient été confrontés à ce genre de situation sur le terrain. Il m'a répondu qu'il n'y en avait aucun. Je lui ai demandé comment il pouvait le savoir. Leur avait-il posé la question? Il m'a répondu qu'il ne leur avait pas posé la question. Je lui ai demandé pourquoi, et il m'a répondu qu'il y avait déjà assez de questions auxquelles les militaires devaient répondre à leur retour. Je lui ai dit qu'une question de plus n'allait pas signer la mort du questionnaire.
Je veux dire par là qu'il faut poser des questions pour comprendre la prévalence du phénomène. Nous pourrons ensuite poser des gestes pour y remédier et nous préparer à faire un suivi, à modifier la formation et à tirer des leçons de nos expériences pour concevoir de nouvelles thérapies et nous engager à changer les choses.
Très rapidement, quand nous offrions de la formation au Sierra Leone, afin de préparer un bataillon à un déploiement en Somalie, à l'époque, si je ne me trompe pas, il y avait des Britanniques qui faisaient partie du programme de formation. Les Sierra-Léoniens souhaitaient que notre matériel fasse partie de la formation, et nous en avions pour environ trois jours d'exercices fondés sur des scénarios, entre autres.
Les Britanniques, du caporal jusqu'au colonel, souhaitaient voir comment nous formions les militaires sur la question des enfants soldats. À la fin du premier avant-midi, ils nous ont demandé où nous étions quand ils ont été déployés en Afghanistan. Avaient-ils bien agi? Comment avions-nous agi? Ils savaient qu'ils se trouvaient alors constamment devant ce genre de dilemme moral et éthique. Les militaires ont ensuite rapporté ce bagage, et c'est ce qui les étouffe, à moins qu'ils n'aient reçu une bonne formation et des tactiques adaptées avant de partir.
[Français]
Bonjour, monsieur Dallaire.
Jusqu'à maintenant, tout cela est très intéressant.
Les Forces armées canadiennes vous ont-elles déjà demandé de leur transmettre votre expertise relativement au contenu des formations données par le Centre de formation pour le soutien de la paix, situé à Kingston?
L'armée canadienne tient une réunion annuelle avec ses généraux sur l'entraînement. Il y a maintenant deux ou trois ans, il y en a eu une à l'Université du Nouveau-Brunswick, et Mme Whitman avait été invitée au symposium sur le contenu. Elle a expliqué le programme qu'on offrait, et les généraux qui étaient présents ont dit vouloir en savoir davantage. Ils nous ont donc invités au Centre de doctrine et d'instruction de l'Armée canadienne, situé à Kingston.
Nous avons tenu une réunion préparatoire. C'est avec eux que nous avons entamé les procédures. Le Centre de formation pour le soutien de la paix était aussi présent, et il faisait partie de la même structure. L'ancien commandant était mon adjoint exécutif — il était aussi parmi nous.
Nous avons pu leur expliquer ce que nous étions en train de faire. Les généraux ont embarqué dans la matière. On a pu informer le chef de la Défense nationale, le Conseil des Forces armées et toutes les autorités supérieures. Nous avons tenu une réunion préparatoire en compagnie de tous ces gens. C'est à ce moment-là que nous avons entamé la nouvelle doctrine, avec le général Vance. Ils se sont tournés vers nous pour que nous les aidions à l'écrire. La directive d'entraînement se trouve dans le programme d'entraînement qu'ils utilisent maintenant.
Ce qu'ils avaient à faire, à Edmonton, ce n'était pas de l'entraînement. C'était plutôt une directive d'entraînement, afin que, par la suite, ils puissent déduire ce que serait le contenu de l'entraînement.
Faire des présentations Power Point devant 250 personnes pendant une ou deux heures, ce n'est pas de l'entraînement, mais plutôt ce qui mène à l'entraînement.
Des représentants du Centre de formation pour le soutien de la paix sont venus voir notre entraînement. Chaque été, nous entraînons des vétérans. Nos entraîneurs sont des vétérans canadiens. Pendant un mois, ils sont entraînés à l'université, dans notre institut, afin qu'ils soient prêts à faire de l'entraînement outre-mer et à participer à différents processus de développement de contenu.
Cela m'amène à ma prochaine question.
La formation est essentielle, bien sûr, et désirée. Cependant, nous avons entendu dire, plus tôt cette semaine, qu'il s'agit d'une formation qui ne dure qu'une journée.
Est-ce qu'une journée est suffisante pour aborder ce sujet complexe et sensible? Est-ce que c'est assez long?
J'ai entendu vos questions.
En premier lieu, cela leur a peut-être pris une journée pour entraîner 250 personnes, mais ces 250 personnes n'étaient pas assises là toute la journée. Elles ont eu une session d'information d'environ 45 minutes par groupe.
Elles étaient assises devant un PowerPoint lors de cette session d'information, et on leur disait qu'il fallait penser à ceci ou à cela. Ce sont des directives de niveau du commandement, dans l'armée. Ensuite, ces personnes doivent produire des cours et des contenus.
C'est ce que nous faisons et c'est ce dans quoi nous sommes impliqués.
[Traduction]
[Traduction]
Je veux être certaine que vous comprenez bien. Je crois qu'un jour ne peut vraiment suffire pour... C'est une bataille constante que nous avons avec n'importe quelle force armée. Les commandants nous disent qu'ils n'ont plus de dates de formation à nous accorder. Tout dépend des priorités qu'on se fixe Tout dépend de la façon dont on peut intégrer cela à d'autres aspects de la formation.
Parfois, certains semblent avoir l'impression qu'on va ajouter une semaine à la formation. S'il en faut une de plus pour sauver des vies, pourquoi pas? Et s'il était possible d'intégrer ces éléments aux scénarios qui sont déjà présentés pendant la formation? Il y a des options. Ce n'est pas une impossibilité insurmontable.
[Français]
J'aimerais vous poser une dernière question.
Nos troupes doivent-elles s'attendre à faire face à des enfants soldats? Si oui, êtes-vous assuré qu'elles seront en mesure de réagir de manière appropriée?
Le déploiement, tel qu'il est conçu, nous indique que cette possibilité est exceptionnellement limitée. D'ailleurs, jusqu'à maintenant, un tel scénario ne s'est pas présenté.
Cependant, nous avons offert aux forces armées de nous rendre à Edmonton afin d'offrir un entraînement avant que ses membres ne partent. Nous voulions leur transmettre le contenu. Ils étaient très pressés et disposaient de très peu de temps. Je sais que le chef n'était pas content parce qu'il n'a pas eu assez de temps pour les préparer une fois que les décisions ont été prises. Cependant, nous étions prêts à y aller et à leur donner plus de contenu sur ce sujet.
De plus, nous avons discuté avec le général Rouleau afin de savoir si le Commandement des opérations interarmées du Canada était responsable de toutes les opérations. Nous lui avons demandé d'organiser cet entraînement pour tous les membres des Forces armées afin qu'elles s'entraînent à lui donner des soldats et des marins avec cette formation. Nous avons discuté de la possibilité d'aller sur le terrain pour donner l'entraînement sur place. Ce n'est pas ce qu'il y a de mieux, mais c'est certainement mieux que rien.
Finalement, on irait sur le terrain pour valider cet entraînement. Que ce soit au Mali ou en Irak, nous devons participer à cela. Nous sommes la seule organisation au monde qui considère les enfants soldats non pas comme un problème humanitaire, mais bien comme un problème de sécurité. Cela menace nos opérations. Dans ce contexte, il faut savoir comment faire face à ces menaces pour les minimiser et, ultimement, les neutraliser.
[Traduction]
Général Dallaire, je serais curieux de savoir quelles leçons vous tirez de votre expérience de la mission sur le terrain, au Rwanda, auxquelles nous n'avons pas encore donné suite.
Que reste-t-il à faire pour améliorer les opérations de maintien de la paix? Quelles sont les leçons que nous n'avons pas encore appliquées?
La principale leçon qui reste en suspens est celle de la volonté politique. Il n'y a toujours pas de volonté politique de participer à des missions complexes et ambiguës pour stabiliser des situations et prévenir la destruction d'êtres humains. Tant qu'il n'y aura pas de volonté politique en ce sens, et tant qu'on ne sera pas capable de convaincre la population que quand on envoie des soldats, il y a des risques... C'est la raison pour laquelle on envoie des soldats.
Quand vous parlez de volonté politique, vous parlez de la politique de chaque pays contribuant aux activités de l'ONU?
Vous êtes dans une position unique, vous avez une expérience qui vous permet de comprendre comment la politique fonctionne, donc quels seraient, d'après vous, les obstacles à la volonté politique?
Je pense que l'un des éléments importants, c'est que les politiciens ont le rôle fondamental d'informer leurs électeurs, mais que cette information doit aussi porter sur les questions de sécurité.
Je ne sais pas combien de fois, quand j'étais général comme quand j'étais sénateur, j'ai entendu des politiciens me dire: « on ne se fait pas élire sur les questions de sécurité; on ne se fait pas élire sur les questions militaires ou de politique étrangère. » Par contre, on peut absolument tomber et être tenu responsable devant l'électorat quand il est vraiment mécontent.
Est-ce que l'un des problèmes, c'est que nous n'éduquons pas le public aux raisons pour lesquelles le maintien de la paix est si important pour le Canada?
Écoutez bien, parce que voici ma réponse.
C'est l'un des principaux facteurs. Vous avez tout à fait raison. Mais ce n'est pas tout, nous leur laissons la fausse prémisse du passé. Tout le maintien de la paix que nous faisions pendant la guerre froide, quand le monde voulait faire du maintien de la paix en vertu du chapitre VI, représentait à peine à 3 % de nos efforts, mais nous en retirions 97 % de notre réputation auprès des Canadiens. Quatre-vingt-dix-sept pour cent de notre travail consistaient à déterminer comment abattre des Russes. C'est ce pour quoi nous nous entraînions. À l'époque, nous étions formés pour mener des opérations très simples, classiques, bien établies de maintien de la paix, sous un drapeau qui nous attirait énormément de respect.
Aujourd'hui, la sécurité est une autre chose complètement, et il faut que la population comprenne que le maintien de la paix ne peut être que le rôle d'un grand pays. Nous faisons partie des 11 pays les plus puissants au monde. Nous avons une responsabilité de protection. Nous l'avons bien articulée. Nous l'avons inventée, mais nous avons encore peur de la mettre en oeuvre. Je dirais que ce n'est pas propre à un parti ni à un autre. C'est élite politique d'un pays qui a adopté une dimension de sa responsabilité.
En 2017, on a célébré le 150e anniversaire du Canada et le 100e anniversaire de la bataille de Vimy, où nous avons sacrifié le sang de nos jeunes pour devenir un grand pays. Quelle belle opportunité! Tous les partis auraient pu se rassembler pour réfléchir à l'avenir du Canada et à ce qu'il doit faire. L'un de ses rôles consiste à défendre activement la paix et la sécurité, non seulement pour les enfants et les femmes, mais la paix et la sécurité dans le monde pour défendre le principe selon lequel tous les humains sont égaux.
La bataille de la cote 70 a été l'une des premières batailles à conférer au Canada sa propre entité distincte de celle de la Grande-Bretagne.
Croyez-vous que si vous vous promeniez un peu dans la rue et que vous demandiez à 100 Canadiens s'ils connaissent l'histoire de la cote 70, ils sauraient de quoi vous parlez?
Personnellement, en toute honnêteté, je commencerais par leur demander s'ils connaissent l'histoire de Vimy.
Ensuite je les interrogerais sur la bataille de la côte 70; elles étaient toutes reliées.
Demandez-leur aussi comment nous avons inventé les unités de choc, qui, au cours des 100 derniers jours, ont donné au Corps canadien une capacité considérable.
Vous nous dites que le maintien de la paix et le rôle du Canada à cet égard sont tout aussi importants pour établir les priorités à l'étranger ou à l'ONU que pour établir les priorités au pays.
Oui, mais il faut que ce soit intégré. Ce n'est pas indépendant. Nous utilisons le terme « pangouvernemental ». Nous avions les trois D: la diplomatie, la défense et le développement. C'est une capacité que nous voulons maintenir.
Durant la mission en Afghanistan, nous avons mis en place d'énormes capacités à l'échelle du gouvernement. Lorsque cette mission a pris fin, toutes les capacités dans les différents domaines sont disparues. La seule capacité qui a été maintenue est la défense. Pourquoi avons-nous perdu ces capacités? Nous aurions pu les mettre à profit dans le cadre d'opérations de maintien de la paix.
Je vous remercie beaucoup, monsieur le président.
J'aimerais revenir à l'exposé de Mme Whitman. Elle a parlé d'un centre d'excellence. J'ai deux questions à poser. Premièrement, j'aimerais savoir quelle est votre vision d'un tel centre. Deuxièmement, quelle est l'utilité d'un centre d'excellence distinct consacré aux enfants soldats par rapport à l'intégration d'un volet sur les enfants soldats dans la formation en matière de maintien de la paix?
Je vous remercie pour vos questions.
Premièrement, il faut dire clairement qu'en tant que petit pays, qui apporte une contribution relativement petite en termes de troupes, nous devons choisir clairement les créneaux que nous pouvons occuper et ne pas essayer de nous occuper de tous les domaines. Par exemple, nous savons que les Norvégiens et les Suédois sont des experts en dynamique des rapports de genres. Pourquoi essayons-nous de nous occuper d'un domaine où il y a déjà des experts? Nous devrions plutôt apporter une contribution complémentaire dans un domaine comme celui des enfants.
Le centre d'excellence pourrait non seulement se concentrer sur les enfants soldats, mais aussi sur des domaines plus vastes, car nous croyons fermement que nous pourrions même appeler cela un centre pour les enfants, la paix et la sécurité. Le problème des enfants soldats a un lien avec la paix et la sécurité dans le monde, car il faut comprendre que, si on ne s'occupe pas du problème du recrutement et de l'utilisation d'enfants soldats, toutes les autres violations graves à l'endroit des enfants ne cesseront pas.
Nous devons examiner dans quel domaine nous avons une expertise, qui pourrait ensuite servir pour s'attaquer à d'autres enjeux. Il y a certes des domaines dans lesquels nous travaillons avec les forces policières au Canada ainsi que des outils et des approches que nous avons élaborés. La semaine prochaine, j'irai en Suède, en Norvège et aux Pays-Bas pour démontrer notre expertise, car ces pays s'intéressent vivement à ce qu'ils pourraient apprendre à propos de la façon de protéger ces êtres vulnérables que sont les enfants.
Ma deuxième question portait sur la formation spécialisée par rapport à l'intégration de ce domaine dans la formation.
Il est tout à fait possible de l'intégrer à la formation, mais je crois que, en premier lieu, nous devons comprendre la situation et déterminer comment on peut intégrer ce domaine de formation. Nous devons notamment examiner la façon de travailler avec ces entités — qu'il s'agisse des forces armées canadiennes, des établissements de formation comme celui de Kingston, etc. — et nous assurer que l'expertise existe, puis nous devons travailler avec les formateurs et leur offrir du mentorat, afin de créer cette capacité de formation. Ensuite, comme je l'ai dit, il faut bien comprendre la situation et les leçons apprises, car il s'agit d'un enjeu qui continue d'évoluer une fois la formation donnée. Il y a toujours de nouvelles tactiques et procédures et de nouvelles situations au sein des pays.
Ce que nous avons expliqué, notamment au général Rouleau, c'est que la situation des enfants soldats en Irak est différente de celle des enfants soldats au Soudan du Sud. Bien qu'il y ait des similitudes, il y a des nuances qu'il faut saisir pour établir une tactique bien adaptée.
Pouvez-vous garder votre intervention en tête? Je dois accorder le même temps à tout le monde, alors je reviendrai à vous, monsieur le général.
Étant donné le temps qu'il nous reste et le nombre de personnes qui ont signalé à la greffière qu'elles souhaitaient poser une autre question, nous allons passer à un tour de quatre minutes pour que nous puissions poursuivre des interventions qui ont été interrompues.
Je vais donner la parole à M. Spengemann pour quatre minutes. Je le répète, veuillez respecter le temps de 30 secondes pour conclure afin que chacun ait l'occasion de poser ses questions.
Monsieur Spengemann, la parole est à vous
Je vous remercie beaucoup.
J'ai deux questions à poser, et j'espère que j'aurai le temps de les poser en quatre minutes.
Les enfants ne devraient pas se trouver dans un théâtre de guerre parce qu'ils sont vulnérables. C'est immoral.
Comment a évolué, le cas échéant, notre façon d'envisager les femmes adultes qui combattent? Je ne parle pas tant des femmes en uniforme, mais davantage des femmes qui font partie des insurgés. Autrement dit, même si, de notre côté, nous essayons de faire valoir, et nous le faisons activement, que les femmes jouent un rôle dans la stabilisation de la situation sur le plan de la paix et de la sécurité, lorsque les forces de la coalition se trouvent dans un contexte où elles doivent affronter des femmes adultes, est-ce qu'elles considèrent ces femmes différemment parce qu'elles les envisagent comme des personnes vulnérables?
Le Canada a été le premier pays à avoir subi la perte sur le théâtre des opérations d'une officière des armes de combat. Il s'agissait de la capitaine Goddard. Elle avait demandé le tir pour protéger environ 120 fantassins qui avaient été déployés.
Les femmes ont démontré qu'elles sont tout à fait capables, efficaces et courageuses et qu'elles peuvent faire face à la pression inhérente aux combats lorsqu'elles ont été formées en ce sens. Les femmes qui combattent au sein d'autres forces représentent, dans bien des cas, une nouvelle capacité. Cependant, lorsqu'il est question d'acteurs non étatiques, la situation est complexe, car on ne sait pas si les femmes combattent sous la contrainte ou de leur propre gré. C'est une question sur laquelle on se penche, à savoir comment amener les acteurs non étatiques à libérer les enfants soldats et à ne pas recruter des femmes.
Cela m'amène à ma deuxième question, qui porte sur le rôle des ONG dans le maintien de la paix, dont vous avez parlé plus tôt, et, de façon plus générale, sur l'importance des renseignements recueillis sur le terrain lors d'opérations de maintien de la paix. Pouvez-vous en dire un peu plus long à ce sujet?
Je vais laisser Mme Whitman dire quelques mots, mais...
Nous travaillons beaucoup avec l'UNICEF sur le terrain, car, comme nous travaillons à empêcher le recrutement d'enfants, nous travaillons avec les responsables de programmes d'éducation qui visent à enseigner aux enfants à ne pas se laisser recruter. Nous devons savoir également comment nous occuper des enfants et les confier à des organismes comme des ONG qui, nous l'espérons, empêcheront qu'ils soient recrutés à nouveau et qui réussiront à les réintégrer dans leur communauté. Les enfants soldats expérimentés courent un grand risque d'être recrutés à nouveau... Lorsque j'étais au Darfour, des enfants de cette région étaient utilisés en Côte d'Ivoire, alors nous considérons la traite d'enfants soldats comme un danger.
Madame Whitman.
Je pense qu'il est important qu'il existe des façons de combler les lacunes sur le plan de l'information et des approches à adopter, mais il faut une réflexion approfondie à cet égard, car un grand nombre d'ONG sur le terrain refusent encore de collaborer avec des militaires, pour de bonnes raisons.
Il y a des groupes comme le nôtre qui comblent ces lacunes parce qu'ils peuvent parler aux deux entités dans les langues que chacune comprend. Cela signifie que nous faisons part aux militaires des approches que les ONG souhaitent qu'on adopte avec les enfants, et que nous informons les ONG que les militaires estiment que ces approches ne fonctionnent pas parce qu'il n'y a personne pour faire ceci ou cela. Je crois qu'il y a un important dialogue à instaurer.
Je veux simplement mettre l'accent sur ce que le général Dallaire a dit au sujet des collectivités. Cela signifie que nous devons avoir une vision plus large de notre engagement.
Je vous remercie, monsieur le président.
Premièrement, je tiens à apporter une correction aux fins du compte rendu. Je crois que j'ai mentionné par erreur que le général Dallaire a servi en Somalie, alors que c'était au Rwanda. Je veux m'assurer qu'on lise dans le compte rendu de la présente réunion que j'ai corrigé cette erreur.
Monsieur le général Dallaire, vous avez parlé d'enfants soldats en Ukraine. Je suis au courant uniquement que des enfants soldats en Ukraine sont utilisés par les forces séparatistes appuyées par la Russie. Est-ce que c'est seulement dans le Donbass que des enfants soldats sont utilisés par l'armée de substitution russe?
On nous a informés que ce n'est pas répandu, mais cette situation existe. La question est de savoir quelle est l'ampleur. L'un des problèmes que nous avons concerne le signalement des cas d'enfants soldats, alors nous ne disposons pas des données nécessaires pour adapter la formation et l'offrir.
Lorsque des soldats voient des enfants non pas comme des enfants mais comme des combattants, ils ne signaleront pas ces cas-là. Je ne le faisais pas non plus. C'est là-dessus que porte notamment la formation. Il faut leur faire prendre conscience que chaque fois qu'ils voient un enfant qui apporte de la nourriture à des soldats ou qui nettoient les bottes des troupes, il peut s'agir d'un enfant soldat. Sans cette formation, ils ne sont pas en mesure de le comprendre. Sans ces renseignements, on ne peut pas se rendre compte que des opérations préliminaires sont en cours.
Il serait probablement judicieux que vous discutiez avec certains de vos collègues en Ukraine pour savoir si les soldats ont été formés pour signaler ces cas. Ce qui est malheureux, c'est que les Russes ne permettent pas la présence d'observateurs de l'OSCE dans le Donbass.
Madame Whitman, vous avez mentionné que sept pays recrutent actuellement des enfants soldats et les utilisent au combat. Il s'agit de quels pays?
Il s'agit de l'Irak, du Myanmar, de la Somalie, du Soudan du Sud et du Yémen. Est-ce que j'en ai nommé sept? Il y a aussi la République centrafricaine.
D'accord. Les gouvernements recrutent des enfants soldats.
Vous savez que les acteurs non étatiques sont l'EI, Boko Haram...
... et Al-Chabaab. Ce sont principalement des groupes terroristes.
Vous savez, général — vous avez été sénateur — comment fonctionnent les comités parlementaires. Au terme de notre étude, nous devons formuler des recommandations. Vous avez tiré des enseignements. Nous espérons que l'ONU met en oeuvre des pratiques exemplaires établies en fonction de ces enseignements. Quelles sont les recommandations que le Comité devrait formuler dans son rapport final?
Je crois que nous sommes dans une ère où nous devons développer de nouvelles capacités parce que les situations sur le terrain ont évolué. Les menaces et la nature des conflits sont différentes, et nous devons avoir des capacités nouvelles.
Lorsqu'il y a une nouvelle menace, les enfants soldats par exemple, et que notre nouvelle mission est de protéger les civils, comment pouvons-nous intervenir pour éviter qu'une guerre se poursuive en ayant recours à des enfants et pour éviter que la population civile soit ciblée. Je pense que le plus important est de déterminer un créneau qui vient compléter les autres et qui nous permettra d'avoir les capacités nécessaires. C'est ce que je crois.
Se doter d'un centre d'excellence est une bonne chose, mais il faut amener les soldats des Forces canadiennes à comprendre que le recours aux enfants soldats fait partie des conflits modernes et qu'ils y seront confrontés tout le temps... C'est comme apprendre à utiliser un fusil. Il faut aussi apprendre à gérer les cas d'enfants soldats en zone de conflit.
Je vous remercie beaucoup.
J'aimerais revenir à la dernière question que j'ai posée à Mme Whitman au sujet des centres d'excellence.
Ce que nous avons notamment entendu dire à quelques reprises, c'est qu'en raison de la fermeture du Centre Pearson pour le maintien de la paix, il ne se fait plus autant de recherche sur le maintien de la paix. Le centre de Kingston, qui offre une excellente formation, n'effectue pas de recherche.
Oui. Je crois que c'est terriblement important. Il pourrait y avoir des unités de formation à Kingston ou dans d'autres régions du pays...
... mais il faut une approche pour mettre en place un centre de recherche rattaché à ces établissements et pour collaborer avec eux.
Lorsqu'on donne une formation, il faut aussi avoir la capacité de recueillir des renseignements et d'évaluer si on enseigne des pratiques exemplaires. En outre, il est important de se doter d'un système d'évaluation distinct pour être en mesure de déterminer l'efficacité de façon objective.
Il ne faut pas oublier la validation. Six ou huit mois plus tard, il faut évaluer l'utilité de la formation et déterminer si on a eu recours aux personnes qui ont été formées. Il faut utiliser ces renseignements dans le cadre d'une recherche, et non pas seulement tirer des leçons sur la façon de modifier quelques aspects de la tactique, afin de pouvoir déterminer comment les situations ont tendance à évoluer.
Nous avons effectué une recherche sur les enfants recrutés par des pirates et nous avons produit un guide sur le sujet.
On a donné l'exemple de la cyberguerre, sur laquelle nous avons mené une recherche, qu'on nous a demandé de présenter à l'OTAN dans deux semaines parce qu'elle est nouvelle. Nous examinons les lacunes qui existent pour déterminer dans quel domaine nous pouvons prendre les devants.
Je vous remercie beaucoup pour votre contribution aujourd'hui et le travail que vous effectuez. Il est clair qu'il s'agit d'un travail nécessaire et bien particulier.
Je vous remercie beaucoup, monsieur le président, et je remercie les témoins pour cette excellente conversation. J'ai quelques questions à poser.
Comme tout le monde le sait, le Canada tente d'obtenir un siège au Conseil de sécurité de l'ONU. S'il réussit à l'obtenir, à la lumière de la discussion que nous avons aujourd'hui, qu'est-ce que le Canada devrait préconiser?
Notre nation doit vouloir ce siège et comprendre son importance, alors le gouvernement a la responsabilité d'obtenir l'appui de la population. C'est un premier élément.
Deuxièmement, que pouvons-nous apporter à l'ONU pour lui permettre de continuer à développer ses capacités? Les 100 recommandations qui ont été mises de côté en 2005 existent encore. Il y a toutes sortes de choses sur lesquelles on pourrait travailler.
Par exemple, le nouvel engagement que nous pourrions prendre, en ajoutant des capacités en maintien de la paix, sans nécessairement déployer un très grand nombre de militaires, mais en ayant recours même à des réservistes, serait dans le domaine de la formation et du renforcement des capacités dans des régions comme l'Afrique ou la Jordanie, où nous collaborons avec la police jordanienne.
Nous pourrions renforcer les capacités là-bas. Il faudrait passer le mot et recueillir le soutien nécessaire.
Je tiens à dire que peu importe ce que le Canada devrait apporter — vous voyez où je veux en venir — il devrait le faire là-bas. Les principes de Vancouver ont ravivé un engagement que le Canada avait pris il y a de nombreuses années, en l'an 2000. C'est un domaine où on a reconnu la contribution du Canada dans le passé. On a souvent menacé de couper le financement du DOMP, alors qu'il s'agit d'un domaine extrêmement important, dans lequel il faut maintenir nos efforts.
Par conséquent, le Canada devrait exiger qu'on mette en oeuvre des approches pratiques et qu'on ne dépense pas les fonds comme on l'a toujours fait à l'ONU. Il faut financer des façons de faire nouvelles et novatrices. Il faut un ajout au système des Nations unies et aux politiques et aux approches qui existent déjà. Nous ne réinventons pas la roue. Nous ne faisons qu'ajouter des capacités pour effectuer le travail.
Enfin, à titre d'exemple, au Soudan du Sud, le gouvernement du Canada finance l'initiative de M. Dallaire, qui mènera des travaux au cours des trois prochaines années visant à empêcher le recrutement et l'utilisation d'enfants soldats, car la priorité est d'inclure cet enjeu dans les négociations de paix et dans le dialogue. Nous voyons déjà qu'on y accorde de l'attention. C'est un domaine dont le Canada pourrait parler sur la scène internationale et pour lequel nous pourrions obtenir des appuis de la part d'autres pays qui s'y intéressent. Ce n'est pas un sujet qui soulève la controverse.
Il ne me reste que 30 secondes. Je suis également très préoccupée par la situation au Myanmar et les répercussions.
Je suis bien au fait de la responsabilité de protéger. Comment pouvons-nous amener le monde à rétablir son engagement à protéger cette région? Qu'est-ce qui fait défaut à l'heure actuelle?
Nous avons publié l'ouvrage Mobilizing the Will to Intervene de l'Institut montréalais d'études sur les génocides et les droits de la personne, et les Américains ont adopté une partie des recommandations qu'il renferme.
Dans un premier temps, il faut reconnaître qu'une nation comme la nôtre a la responsabilité de protéger, et cette responsabilité est fondamentalement ancrée dans notre philosophie nationale. Ce n'est pas comme si nous pouvions nous replier sur nous-mêmes et nous occuper de nous-mêmes. Nous ne pouvons faire autrement que de rendre des comptes au reste du monde.
En ce qui concerne cette place au Conseil de sécurité, les pays en développement étaient encore plus furieux que nous d'apprendre que nous ne siégeons pas à ce conseil pour servir d'intermédiaires. Comme dans le cadre de nos opérations militaires et humanitaires que nous avons menées pour les enfants soldats, nous faisions office d'intermédiaires entre les gros bonnets et les autres intervenants et avons proposé des idées et des approches novatrices, ce qui renforce la fierté et la présence des Canadiens dans le monde.
Merci, monsieur le président.
Général Dallaire, vous avez mentionné, juste avant qu'on nous interrompe, que vous étiez un commandant à l'époque de la mission de paix en Somalie. Juste avant l'échec de la mission, la commission d'enquête sur la Somalie a été abruptement interrompue.
Pouvez-vous nous dire ce qui a pu causer cet échec? Quels renseignements allaient être communiqués pour que l'enquête soit abruptement interrompue?
Je suis allé en Afrique, et à mon retour, j'étais commandant adjoint de l'armée, et j'ai été pris dans l'engrenage de l'appareil judiciaire, des cours martiales, etc.
On a trouvé ce que l'on cherchait. Nous avions une unité malhonnête. Bon nombre d'entre nous étaient responsables de déployer nos soldats les plus difficiles dans des situations difficiles où le leadership était faible dans une organisation qui était conçue pour être autonome et aux premières lignes. L'unité n'avait pas de capacités internes viables et est devenue corrompue.
On a deux options. Soit on reprend du début et remanie l'ensemble de l'effectif, soit on déploie de nouvelles ressources. À l'époque, notre effectif a été réduit de 33 %, si vous vous rappelez, alors il était impossible de rebâtir l'effectif, si bien que nous avons essentiellement réparti les ressources.
La commission avait déjà trouvé tous ces renseignements. Elle cherchait... Je ne sais pas. Une analyse extraordinaire a été réalisée sur la façon dont l'effectif allait continuer d'évoluer, mais on a estimé qu'il y avait un manque de leadership.
La satanée méfloquine... Au milieu de ma mission au Rwanda, j'ai écrit au quartier général de la Défense nationale pour expliquer que la méfloquine me causait d'importants problèmes de sommeil, de concentration et d'estomac, et j'ai dit que je devais cesser de prendre le médicament.
On m'a très clairement fait savoir que si je ne prenais pas la méfloquine, je serais traduit en cour martiale si j'attrapais la malaria.
C'est de la camelote. C'était un facteur, mais pas au point d'amener une unité à poser certains actes sous la direction de commandants subordonnés qui étaient hors de contrôle.
J'ai la conviction que nous avons le devoir d'informer les électeurs sur les questions de sécurité et toutes les autres mesures que nous prenons.
Madame Whitman, vous avez mentionné à quel point la cybersécurité... le rôle que vous assumiez était relativement nouveau dans le secteur militaire, outre le fait de renforcer les actifs. Il a fallu un certain nombre d'années pour amener les autorités militaires et le gouvernement à discuter ouvertement du sujet et du rôle à jouer. Là encore, il doit y avoir une offensive pour pouvoir jouer un rôle défensif.
Nous constatons maintenant que l'utilisation de l'intelligence artificielle est en train d'évoluer dans le domaine militaire. À la session du printemps, j'ai présenté une motion voulant que le Comité devrait étudier l'utilisation de l'intelligence artificielle en ce qui a trait à la défense. Puisque j'ai présenté une motion à ce moment-là, j'ai décidé de la présenter maintenant.
Je propose:
Que le Comité permanent entreprenne une étude sur l'application de l'intelligence artificielle aux véhicules aériens et terrestres sans pilote, aux véhicules navals sans équipage, au développement technologique en robotique, aux systèmes d'armes et à l'analyse du processus de réflexion du personnel des Forces armées canadiennes, et que le Comité commence la planification de l'étude au cours des dernières étapes de l'étude sur la contribution du Canada aux efforts internationaux de maintien de la paix afin que la nouvelle étude suive immédiatement la précédente.
C'est de plus en plus important. Depuis que l'avis a été obtenu, Elon Musk a décrit l'intelligence artificielle comme étant le plus grand risque auquel nous sommes confrontés en tant que civilisation. M. Jim Al-Khalili, un physicien de l'Université de Surrey dit que les progrès technologiques dans le domaine de l'intelligence artificielle se font trop rapidement et sans examen et règlement adéquats.
Mais je présente la motion, alors...
Il a également dit être persuadé que la conversation la plus importante que nous devrions avoir devrait porter sur l'avenir de l'intelligence artificielle. La course vers l'intelligence artificielle dans les applications civiles et militaires est déjà reconnue comme étant la prochaine course vers l'espace, avec les États-Unis, la Chine et la Russie qui élaborent tous activement des technologies d'intelligence artificielle pour les champs de bataille. Nous avons de nombreux autres exemples.
Sur ce, je propose la motion.
Quelqu'un veut-il prendre la parole?
On va voir un peu le processus démocratique à l'oeuvre ici.
Monsieur Gerretsen.
Je suis persuadé que le général Dallaire y est habitué.
Monsieur le président, étant donné que nous avons ces deux formidables témoins ici, je veux optimiser le temps de parole que j'ai avec eux. Nous pouvons discuter de cette motion à un autre moment. Je propose l'ajournement du débat.
Très bien. C'est dilatoire.
(La motion est adoptée.)
Le président: Pour la dernière question sur ce sujet, nous allons entendre M. Fisher.
Merci beaucoup.
Merci à M. Gerretsen d'avoir proposé cette motion, ce qui me permet de poser une autre question.
Notre rôle actuel au Mali est-il de tirer le plus parti de la formation de nos troupes, ou devrions-nous envisager une contribution différente?
Le déploiement d'hélicoptères Chinook est de loin l'élément le plus important de cette mission. J'étais au Congo avec les forces spéciales américaines pour retracer Joseph Kony. Nous savions où il se trouvait, avec l'Armée de résistance du Seigneur, mais nous ne pouvions pas nous y rendre, faute de transport. Nous avons 15 de ces hélicoptères maintenant. J'ai toujours été très en faveur de faire l'acquisition de Chinook. À mon avis, si l'on regarde ce que l'on peut faire, ces hélicoptères et la capacité de transport aérien stratégique à Entebbe sont parfaits.
Vous répondez à une exigence opérationnelle critique, et vous effectuez en plus des évacuations sanitaires. Mes soldats ne pouvaient pas être évacués. Tout ce qu'ils savaient, c'est que s'ils pouvaient entendre un avion Hercules atterrir sous le feu de l'ennemi, ils avaient une chance de survivre. Certains n'ont pas survécu, mais l'avion Hercules n'a pas...
Les soldats qui sont déployés là-bas auront une chance de survivre, car on pourra les sauver à l'aide des hélicoptères Chinook. Pour un commandant d'une force, ou n'importe quel commandant, c'est un facteur prépondérant.
Madame Whitman, je veux vous interroger sur les principes de Vancouver. Comment se comparent-ils à la procédure opérationnelle normalisée sur les enfants soldats de l'OTAN?
Ils rejoignent la procédure opérationnelle normalisée. J'ai aidé à rédiger les procédures opérationnelles normalisées de l'OTAN et, par la suite, les principes de Vancouver, si bien que je connais les deux.
En comparaison, les deux font mention de la nécessité de les opérationnaliser et de les traiter différemment dans le cadre de programmes touchant les femmes, la paix et la sécurité pour veiller à ce qu'il y ait une compréhension, une alerte rapide et un vaste éventail de formations fondées sur des scénarios pratiques. Ils sont en synergie. La seule différence, c'est que l'OTAN se conforme aux IPO, et les principes de Vancouver réclament que les nations assument cette responsabilité pour s'assurer d'être prêtes avant la formation préalable au déploiement.
C'est là où je voulais en venir. Nous avons la capacité d'être un chef de file sur la scène internationale dans ce dossier.
Dans les travaux que nous effectuons dans le cadre de l'initiative Dallaire, par exemple, nous avons des protocoles d'entente avec cinq entités différentes maintenant, et nous sommes déjà en train de rédiger une doctrine. La Sierra Leone a adopté la doctrine en décembre à la suite des travaux que nous avons menés avec les Forces armées canadiennes. Nous venons de terminer une trousse d'intégration pour les forces armées de la Sierra Leone, qu'elles vont mettre en application. C'est la même chose pour le Rwanda. Nous effectuons des travaux semblables en Jordanie également, comme le général l'a dit.
C'est quelque chose que nous savons comment faire maintenant et que nous pouvons poursuivre. C'est une simple question de volonté et de ressources, et nous devons nous assurer que nous voulons progresser dans cette direction.
Merci de faire du Canada un chef de file dans un dossier aussi important. Merci beaucoup de votre présence ici aujourd'hui.
Sénateur et général Dallaire et madame Whitman, merci d'être venus. Votre contribution sera très utile à la rédaction de ce rapport. Nous ne pourrions pas vraiment avoir une discussion comme celle-ci sans tenir compte de vos recommandations et de vos opinions.
Merci beaucoup d'être ici.
Général Dallaire, j'ai entendu que vous aimeriez avoir une copie du rapport que nous avons préparé sur l'OTAN. La greffière a eu la gentillesse d'envoyer une copie papier, alors je me ferai un plaisir de vous la remettre à la fin de la réunion.
Merci encore une fois d'être venus. La séance est levée.
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