NDDN Réunion de comité
Les Avis de convocation contiennent des renseignements sur le sujet, la date, l’heure et l’endroit de la réunion, ainsi qu’une liste des témoins qui doivent comparaître devant le comité. Les Témoignages sont le compte rendu transcrit, révisé et corrigé de tout ce qui a été dit pendant la séance. Les Procès-verbaux sont le compte rendu officiel des séances.
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Comité permanent de la défense nationale
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TÉMOIGNAGES
Le mardi 1er mai 2018
[Enregistrement électronique]
[Traduction]
Bonjour à tous. Bienvenue au comité de la défense et à notre discussion sur la contribution du Canada aux opérations de maintien de la paix.
Ce matin, nous accueillons Zoé Dugal, directrice adjointe des opérations de terrain, chez CANADEM; Alexandra Novosseloff, chercheure invitée, de l'Institut international de la paix, de New York; Mme Peggy Mason, ancienne ambassadrice, de l’Institut Rideau; et, à titre personnel, le major-général à la retraite David Fraser.
Merci à tous d’être venus.
Je vous cède la parole, madame Novosseloff. Nous avons votre témoignage par vidéoconférence et nous avons une bonne communication pour le moment. Au cas où elle serait moins bonne plus tard, je préférerais que nous entendions votre témoignage en premier. Sans plus tarder, je vais vous céder la parole.
Chaque témoin aura un maximum de 10 minutes. Si vous voyez mon signe, cela signifie que vous devez vous préparer à conclure dans les 30 secondes pour que je puisse garder du temps pour tout le monde. Merci beaucoup.
Madame Novosseloff, vous avez la parole.
Merci beaucoup de m’avoir invitée. Je vais faire quelques brèves observations pour lancer les échanges.
Je dirai pour commencer que le maintien de la paix est l’une des tâches les plus difficiles qui soient et qu’il s’agit d’une activité très précise qui diffère des autres types d’intervention militaire. Il s’agit d’une mesure intrinsèquement temporaire, d’un instrument limité qui crée l’espace nécessaire à une solution politique nationale.
Le maintien de la paix est aussi l’une des activités les plus critiquées de l’ONU, sujette à de nombreux débats, et elle fait régulièrement les manchettes à cause de ses prétendus échecs. C’est aussi l’une des activités les plus méconnues. Elle est complexe. Elle suscite souvent beaucoup d’attentes. Les opérations ont souvent eu des mandats trop ambitieux et elles font naître trop d’attentes. En même temps, on leur confie trop de tâches. On les charge d'assurer l'impossible protection des mandats civils, conçus en termes de sécurité, dans des pays où il n’y a pas d’infrastructure et où la volonté des parties au conflit de se conformer aux résolutions du Conseil de sécurité est au mieux discutable.
Nous avons tendance à évaluer le maintien de la paix aussi en fonction de ce qu’il ne peut pas faire, c’est-à-dire faire respecter la paix, en oubliant que l’ONU ne peut être qu’un facilitateur, un intermédiaire honnête dans des crises qui doivent être réglées par les parties au conflit elles-mêmes.
C’est aussi une activité qui a toujours souffert d’un manque d’investissement sur les plans politique, financier ou militaire. Les opérations de maintien de la paix ont toujours été faites avec peu de ressources.
Lorsque le secrétaire général a demandé 8 000 soldats pour protéger les zones de sécurité en Bosnie-Herzégovine, dans les années 1990, le conseil a autorisé le déploiement de seulement 3 000 Casques bleus. Alors qu’un soldat américain coûte 800 000 $ par an, un soldat de la paix de l’ONU ne coûte que 20 000 $. Lorsque l’OTAN déploie quelque 130 000 soldats en Afghanistan, l’ONU déploie environ 11 000 Casques bleus dans le Nord du Mali, un territoire deux fois plus grand que l’Afghanistan. Lorsque l’OTAN déploie 50 000 soldats au Kosovo, l’ONU déploie 16 000 Casques bleus en République démocratique du Congo, dont le territoire est aussi grand que l’Europe continentale.
Bien que 80 % des dépenses liées aux opérations de maintien de la paix soient militaires, elles sont financées sur des budgets civils limités, et non des budgets militaires plus importants qui pourraient absorber plus facilement ces dépenses.
Contrairement à ce qu'on pense en général, le maintien de la paix par les Nations unies est une activité particulièrement rentable, mais il y a évidemment une limite à ce qu’on peut faire, à ce qu’on peut accomplir dans ces circonstances. C'est aussi une activité très diversifiée, allant des missions d’observation et de surveillance aux mandats multidimensionnels, en passant par l’aide politique et la médiation. C’est aussi une activité qui a fait l’objet de réformes constantes au cours des 20 dernières années, la dernière réforme étant l’initiative du secrétaire général appelée « Action pour le maintien de la paix ». Je pourrai bien sûr revenir là-dessus au cours du débat, si vous le voulez.
Le maintien de la paix est aussi une activité qui évolue constamment dans un contexte changeant et de plus en plus difficile, la mission la plus difficile étant certainement la MINUSMA qui, à mon avis, teste les limites du maintien de la paix.
Les opérations de maintien de la paix sont aussi les seules interventions internationales où, dans la plupart des cas, à l’exception notable de la Chine, ceux qui décident et donnent les mandats, c’est-à-dire les membres du Conseil de sécurité, ne sont pas les mêmes que ceux qui contribuent financièrement. Ils décident des budgets au cinquième comité après le vote sur les mandats. De plus, ceux qui fournissent des soldats... L'année 2017 a été la plus meurtrière pour les Casques bleus, avec 134 décès.
Cette situation donne une illusion de responsabilité, et il est souvent facile de blâmer l’ONU. Il est facile de la voir comme une stratégie de sortie pour le déploiement de certains pays ou régions dans les endroits les plus reculés du monde, où les intérêts stratégiques des grandes puissances ne sont pas en jeu.
Néanmoins, cela dit, ces opérations de maintien de la paix restent rentables. Elles visent à assurer la stabilité de l'ensemble de notre planète. Par leur façon de gérer les crises et les conflits, elles sont la seule méthode qui mérite d’être appliquée, car le maintien de la paix allie le politique et le militaire, la police et la primauté du droit, et enfin le respect des droits de la personne.
Comme je l’ai déjà dit, c’est une activité qui s’améliore constamment et, bien sûr, comme toute autre entreprise, elle dépend de l’investissement de ses États membres, de leur capacité et de leur avantage comparatif. La composition universelle du maintien de la paix est ce qui constitue sa valeur ajoutée et, bien sûr, cela a un coût du point de vue de l'interopérabilité.
Le maintien de la paix a besoin d’une diversité de contributions et celles des pays occidentaux peuvent combler certaines des lacunes auxquelles ces opérations ont souvent été confrontées, comme les moyens médicaux, les hélicoptères, les compagnies de génie, la capacité des réserves et les officiers d’état-major. Il y a certainement des opérations qui sont beaucoup plus intégrées que celles de l’OTAN ou de l’Union européenne, qui dépendent davantage des opérations. Pour les pays occidentaux qui contribuent au maintien de la paix, c’est aussi une façon d’être prêts à travailler avec les pays africains et asiatiques qui ont souvent moins de capacités et de formation.
Je vais m’arrêter ici et je répondrai à vos questions.
Merci.
Merci beaucoup de votre exposé liminaire.
Je vais céder la parole au général Fraser.
Monsieur, vous avez la parole.
Monsieur le président, mesdames et messieurs les membres du Comité, merci beaucoup de me donner l’occasion de m’adresser à vous.
Votre travail est d’une importance cruciale pour notre pays. J’ai servi dans les Forces armées canadiennes pendant plus de 31 ans et j’ai été fier de mon pays chaque jour où j'ai porté l'uniforme. Je continue d’être fier des hommes et des femmes en uniforme qui protègent la vie que nous tenons pour acquise, et je suis particulièrement fier que notre pays croie qu’il faut aider les autres qui sont dans le besoin et leur donner le même espoir et les mêmes possibilités que vous et moi tenons pour acquis. C’est pourquoi la décision de notre gouvernement de contribuer à l’ONU revêt une importance nationale. Le Canada, en tant que membre fondateur des Nations unies, appuie depuis longtemps cette organisation et d’autres organisations internationales. Le Canada a contribué à l’élaboration de la Charte des Nations unies, y compris le maintien de la paix et de la sécurité internationales, l’établissement de relations amicales entre les pays, la coopération internationale et la résolution de problèmes internationaux de nature économique, sociale, culturelle ou humanitaire, tout en favorisant et en encourageant le respect des droits de la personne.
En 1957, le premier ministre Pearson a engagé le Canada au sein de la Force d’urgence des Nations unies, ce qui lui a valu le prix Nobel de la paix. Plus précisément, c'était là l’engagement du Canada à assurer sa contribution à la Charte des Nations unies et à adopter ce qui était alors l'amorce de ce j’appellerais l’approche pangouvernementale: fournir les forces militaires et policières nécessaires pour maintenir la paix aux frontières pendant qu’on cherchait un règlement politique.
Le maintien de la paix a évolué à mesure que notre propre contribution nationale évoluait. Les années 1970 et 1980 nous ont amenés à appuyer des missions comme celle de Chypre, où j’ai gagné ma première médaille de l’ONU. À cette époque, le maintien de la paix, bien que dangereux et exigeant, était toujours une mission d’État à État. À cette époque, le pays hôte a demandé à l’ONU de l’aider à résoudre le conflit, et les États touchés, dans l’ensemble, respectaient les règles de participation de l’ONU. Le maintien de la paix a continué d’évoluer et il y a eu des missions comme celle qui a été déployée en Bosnie dans les années 1990, qui étaient beaucoup plus dangereuses que les missions précédentes. Le facteur clé était qu’il y avait encore des acteurs étatiques qui, dans une certaine mesure, adhéraient aux conventions tandis qu'on cherchait un règlement politique. Le succès obtenu en Bosnie est tout à l'honneur de l'ONU qui a fait face à l’adversité et s'est adaptée à la portée toujours changeante des opérations, qui s'est efforcée d'aider les États touchés à trouver leur propre voie vers un règlement. Il était réconfortant de voir les Croates en Afghanistan travailler avec nous à notre dernière mission visant à assurer la paix et la stabilité dans ce pays déchiré par la guerre.
Notre conception du maintien de la paix est dépassée et n’a rien d'utile. La définition initiale était la suivante: « le déploiement de personnel militaire et civil international dans une zone de conflit avec le consentement des parties en cause, afin d'arrêter le conflit ou de l’empêcher de s’aggraver; ou bien veiller à la bonne mise en oeuvre d’un accord de paix », et elle a été suffisante jusqu’à la mission en Bosnie. Depuis, il y a eu un changement de paradigme, les acteurs étatiques étant remplacés par d’autres acteurs, dont des organisations terroristes qui ne respectent ni les lois ni les droits de la personne.
À cause de cette nouvelle réalité, les opérations de l’ONU sont aujourd’hui beaucoup plus dangereuses, et le concept des opérations qui permettent de poursuivre des missions doit être modifié en fonction de la réalité sur le terrain.
Bref, je ne crois pas que le maintien ou le rétablissement de la paix au sens traditionnel de ces termes utilisés par l’ONU reflètent vraiment la réalité opérationnelle sur le terrain aujourd’hui. En un mot, les termes sont trompeurs. Le Canadien moyen ne les comprend pas et a une perception d’eux inspirée par l’histoire, c’est-à-dire que nous devrions être fiers d’eux, mais cela ne correspond pas la réalité d’aujourd’hui.
Le Mali est un parfait exemple de la dangerosité des opérations de l’ONU. Plus de 160 soldats de l’ONU ont été tués au cours de cette mission et, en plus des opérations de l’ONU, des opérations de lutte contre le terrorisme se déroulent simultanément. Aucun acteur étatique n’est disposé à se conformer à quelque ligne directrice que ce soit.
Bref, c’est plus complexe que la compréhension que le Canadien moyen peut avoir du sens des missions de l’ONU. Cela vaut pour nos concitoyens.
Je salue la conférence de Vancouver et l’annonce de la FRR, de l’Initiative Elsie et des lignes directrices sur les enfants soldats. Ce sont autant de bonnes initiatives, toutes conformes aux valeurs canadiennes et à notre contribution aux Nations unies au fil des ans.
L’annonce du gouvernement apportera aux missions de l'ONU des capacités dont elles ont besoin. L’annonce faite en mars de l'envoi de quatre hélicoptères et d'un maximum de 250 militaires au Mali sera un ajout bienvenu aux capacités limitées de l’ONU, qui est à court de ressources. Cet apport est précieux. Je me demande cependant si nous ne pourrions pas mieux regrouper nos contributions dans un ensemble plus cohérent qui réunirait notre aéronef C-130, la FRR et les hélicoptères en une seule mission où nous pourrions obtenir de meilleurs résultats.
Le saupoudrage de nos efforts, même si ceux-ci ont leur utilité, ne nous donne pas une voix ou des effets stratégiques sur le terrain. Comme nous l’avons fait en Afghanistan, Équipe Canada a adopté une approche pangouvernementale et a réalisé d’importantes améliorations sur le terrain, tout en donnant au Canada une voix stratégique. Pour revenir à l’engagement que le Canada a pris en 1957, Pearson a adopté une approche pangouvernementale. Nous avons appris que cette approche, selon la formule Équipe Canada, est une façon efficace d’utiliser nos ressources et nous donne aussi une voix pour atteindre les objectifs du premier ministre.
En combinant nos efforts militaires et ceux de divers ministères à nos efforts diplomatiques, nous adoptons selon moi une approche plus globale qui permet d’obtenir les effets et l'influence que souhaitent le premier ministre et le gouvernement, me semble-t-il. Bien que l’intérêt national pour l’établissement de la paix et de la sécurité au Mali soit compris, ce qui n’est pas clair, c’est le résultat final recherché. Quels sont les indicateurs de réussite après une contribution de 12 mois de nos hélicoptères? Je me suis posé cette question, et c’est probablement ce que la plupart des Canadiens se sont demandé pour mieux comprendre notre stratégie à l'égard de l'ONU. Le Canada, en tant que pays du G8, a beaucoup à offrir, et les gens attendent de lui un leadership et des idées.
Mon autre question porte sur le temps qu’il faut pour passer d’une déclaration d'intention à l’annonce du déploiement de capacités sur le terrain. Le MDN et les Forces armées canadiennes sont de superbes planificateurs. Ils veilleront à ce que les risques soient atténués et compris, et détermineront les ressources nécessaires pour obtenir les effets que le gouvernement souhaite. Je n’arrive toujours pas à comprendre pourquoi tout cela a pris autant de temps.
Le Canada est un grand pays. Par le passé, il a apporté des contributions significatives aux organisations internationales et il a aidé ceux qui sont moins fortunés que nous. Nos contributions passées aux Nations unies, à l’OTAN et à d’autres organisations internationales ont été importantes. Nous pouvons apporter une énorme contribution internationale qui est dans notre intérêt national, comme le premier ministre l’a dit.
La mission au Mali est dangereuse, et la conception classique des missions de l’ONU ou du maintien de la paix est chose du passé. Ce n’est pas une raison pour ne pas participer. C’est un appel à comprendre la stratégie qui nous permettra d’exploiter toutes les capacités du gouvernement du Canada, comme nous l’avons fait en Afghanistan. En d’autres termes, l’approche pangouvernementale que nous avons apprise dans les missions précédentes a eu des effets plus complets sur le terrain et a atténué les exigences logistiques que suppose une multiplicité de lieux, créant les conditions nécessaires pour que nous ayons une influence stratégique.
Je me demande pourquoi nous n’appliquons pas les leçons tirées de nos missions précédentes. Ainsi, pourquoi n'avons-nous plus un super sous-ministre, qui peut briser les cloisonnements ici à Ottawa et mobiliser tous les ministères, en préconisant une approche inspirée de la formule Équipe Canada.
Nous avons beaucoup à offrir, et les contributions qui sont offertes, si elles sont regroupées de façon plus cohérente et dans le cadre d’un plan stratégique, nous assureraient un meilleur rendement sur notre investissement. Nous avons des capacités dont l'ONU a besoin et qui sont conformes à sa charte, qui sont aussi appuyées par les valeurs canadiennes.
Les hommes et les femmes qui participent à ces missions feront de leur mieux et nous feront honneur. Je veux m’assurer que ce que nous faisons est reconnu par la communauté internationale.
Je suis prêt à répondre à vos questions. Merci.
Mes commentaires porteront sur la valeur ajoutée du maintien de la paix de l’ONU et sur le besoin urgent pour le Canada d’améliorer sa formation afin d’assurer un réengagement efficace. J’espère renforcer ce qu'ont dit des témoins précédents.
Le maintien de la paix de l’ONU n’est pas un remède miracle et il n’y a aucune garantie de succès, mais lorsque le mandat est bien conçu, que les ressources sont suffisantes et que la gestion est bonne, les opérations de maintien de la paix de l’ONU offrent aux pays en cause la meilleure chance de passer de la guerre civile à une gouvernance stable. Le maintien de la paix est la première étape d’un processus complexe et prolongé visant à aider les parties à un conflit à créer les conditions nécessaires — sur les plans politique, socioéconomique et sécuritaire — à une paix durable. Au centre de cet effort se trouve le processus de paix.
Des problèmes politiques complexes sont toujours au coeur des conflits violents et ils exigent des solutions politiques négociées et acceptées par les parties. Une force de sécurité compétente est essentielle aux étapes de la négociation et de l'instauration de la paix, mais elle est l’élément de soutien de la mission globale.
Comme l’a si bien illustré notre expérience en Afghanistan, la robustesse et le professionnalisme des forces militaires internationales ne suffisent pas à compenser l’absence d’un processus de paix crédible. Ce qui reste vrai aujourd'hui, bien entendu. Les données statistiques sont claires. Si on considère toutes les guerres du dernier quart de siècle, seulement 15 % ont pris fin de façon décisive sur le champ de bataille et, dans ces cas, les rebelles ont gagné au moins aussi souvent que les gouvernements qu’ils ont combattus. Toutes autres ont dû finir par se régler à la table de négociation.
C’est précisément à cause de la primauté du processus de paix que les opérations de paix multidimensionnelles que les Nations unies lancent aujourd’hui sont beaucoup plus que des opérations militaires chargées de fournir un environnement sûr et sécuritaire. Au cœur de l’effort se trouvent des civils qui ont pour mandat de faciliter le processus de paix, de promouvoir la primauté du droit et de soutenir l’établissement d’institutions légitimes et efficaces de gouvernance. De plus en plus, des mandats comme celui de la MINUSMA, au Mali, comprennent également une aide à la sécurité pour le gouvernement élu afin qu’il puisse réaffirmer son autorité à l’échelle nationale. Cette aide militaire s’ajoute au soutien diplomatique et technique pour le dialogue politique national et les efforts de réconciliation.
Pour qu’une entreprise collective de cette envergure réussisse, ce qui est le plus souvent le cas pour les opérations de maintien de la paix de l’ONU, l’effort international doit être perçu comme légitime et impartial. Il doit bénéficier du soutien international le plus large possible dans un cadre juridique et opérationnel cohérent. Seul le Conseil de sécurité des Nations unies peut ordonner une telle opération, et seule l’Organisation des Nations unies peut diriger la mission si on veut qu'elle soit largement acceptable à l’échelle internationale.
Dirigée par un civil dans le rôle de représentant spécial du secrétaire général de l’ONU — bien sûr, il y a eu au moins un de ces représentants ici, soit Carolyn McAskie, une ancienne RSSG — et comptant tous les autres éléments, y compris les forces militaires et policières qui relèvent de ce représentant, la structure même de la mission de maintien de la paix de l’ONU met en évidence le caractère central du processus de paix. Cela contraste nettement avec les missions militaires dirigées par l’OTAN, même lorsque le Conseil de sécurité de l’ONU l’autorise à contribuer à la stabilisation d'un conflit, car la mission militaire est distincte de la mission politique, diplomatique, humanitaire, de développement et de gouvernance de l’ONU, et n’en fait pas partie intégrante.
Comment les militaires peuvent-ils appuyer efficacement le processus de paix dans le cadre d’une structure de commandement distincte? Mes 10 années d’exercices de formation avec des commandants supérieurs de l’OTAN qui se préparaient à leur déploiement en Afghanistan, en Bosnie et au Kosovo ont montré à maintes reprises qu’une structure de commandement divisée au niveau opérationnel ou stratégique ne peut être que moins efficace.
Les opérations de stabilité dirigées par l’OTAN n’ont pas la légitimité et l’impartialité qu'on reconnaît aux opérations dirigées par l’ONU précisément parce que leurs dirigeants politiques et militaires sont perçus comme représentant un ensemble très précis de pays et d’intérêts puissants. Non seulement la structure de commandement militaire distincte nuit-elle à la cohérence de l’effort international, mais le leadership de l’OTAN peut constituer un cadeau aux détracteurs qui dénoncent sur le terrain une prétendue occupation étrangère, malgré la présence de forces non rattachées à l’OTAN.
Bien sûr, je m’empresse d'ajouter que les intérêts nationaux étroits sont toujours en jeu dans les capitales des pays qui fournissent des troupes à l’ONU, mais la structure et la composition d’une mission de maintien de la paix de l’ONU visent au moins à atténuer cette tendance, tant dans la perception que dans la réalité. Une mission intégrée sous l’autorité globale du RSSG permet également de décentraliser le commandement et le contrôle de l’ONU au niveau opérationnel. Cela contraste avec les structures de commandement de haut niveau plus centralisées qui opèrent au sein de l’OTAN, ce qui a été une préoccupation constante pendant toutes les années de ces exercices auxquels j’ai participé.
En résumé, les principaux avantages comparatifs d’une opération de paix de l’ONU sont les suivants: sa structure de commandement intégré sous l’autorité civile, qui reflète la primauté du processus de paix et facilite l'établissement d'un objectif commun et la cohésion des efforts, et le fait que l’ONU est la seule organisation par laquelle les forces du P5 et toutes les grandes puissances, y compris les puissances montantes et régionales, peuvent participer conjointement. Seule l’ONU, par conséquent, offre la possibilité d’une mission politiquement diversifiée et opérationnelle, mais seulement si le P5 et d’autres grandes puissances investissent dans les opérations de l’ONU.
Je voudrais dire un mot sur la question du consentement. Cela rejoint en grande partie les commentaires du premier témoin sur les limites du maintien de la paix de l’ONU, ainsi que les commentaires du général Fraser.
Le consentement, l’impartialité et la non-utilisation de la force sont des principes fondamentaux du maintien de la paix de l’ONU, mais les mandats du Conseil de sécurité sont de plus en plus ambitieux, surtout en ce qui concerne le recours à la force. Les Casques bleus sont déployés sur des théâtres où ils n’ont pas le consentement de toutes les parties. L’affirmation de l’autorité de l’État par des moyens militaires et des services de police fait maintenant partie du mandat de maintien de la paix de l’ONU, comme nous l’avons vu au Mali, où il faut utiliser la force et la manifester, non seulement pour contrer les attaques directes des fauteurs de trouble, mais aussi dans le cadre de stratégies délibérées visant à étendre et à consolider l’autorité d’un gouvernement dans les territoires contestés.
Ce genre de mandat et d’utilisation de la force contre les fauteurs de trouble ne doivent pas occulter la leçon fondamentale tirée du rapport marquant de Brahimi, paru en 2000, sur les opérations de paix de l’ONU: le maintien de la paix ne peut se substituer à un processus politique efficace. Cela signifie que, plus il y a de parties qui ne participent pas à l’accord, plus il est difficile de maintenir la crédibilité du processus de paix.
Ce problème est aggravé par la tendance croissante du Conseil de sécurité à inclure dans les mandats le « ciblage » de certains groupes pour les « rabaisser » jusqu'à les exclure des négociations. Cela peut être perçu comme une attitude antiterroriste qui oppose deux camps et contamine le maintien de la paix, mais le maintien de la paix est fondé — et c’est sa valeur ajoutée — sur la prémisse fondamentale selon laquelle même les groupes rebelles très problématiques doivent être engagés dans toute la mesure du possible pour que la paix soit possible.
Je voudrais maintenant dire un mot de la formation. La formation et la pratique internationales en matière de leadership et de maintien de la paix exigent un centre de formation international de calibre mondial au Canada. Comme tous les témoins l’ont dit, les opérations de paix ont considérablement évolué depuis la dernière fois que le Canada s’est engagé de façon importante et elles continuent de le faire. Les opérations de paix modernes, complexes et multidimensionnelles des Nations unies exigent une formation et une éducation approfondies. C’était la recommandation de la Commission d’enquête sur la Somalie à l’époque où le maintien de la paix était beaucoup plus simple.
Si le gouvernement du Canada veut tenir sa promesse, maintes fois, réitérée de prendre la tête d'un effort international visant à améliorer et à élargir la formation du personnel militaire et civil déployé pour des opérations de paix, nous devons de toute urgence rétablir notre propre capacité d'offrir une formation en maintien de la paix multidisciplinaire et de calibre mondial au Canada pour les policiers militaires et les Casques bleus canadiens et étrangers. Une telle formation est également indispensable si nous voulons que le Canada participe de nouveau efficacement aux opérations de maintien de la paix dirigées par les Nations unies.
À cette fin, le Canada devrait établir un centre canadien de formation aux opérations de paix internationales sous la direction de civils, indépendant du gouvernement, doté d'un financement sûr, et ayant des liens clairs avec le ministère de la Défense nationale et Affaires mondiales Canada et le soutien de ces deux ministères.
Merci beaucoup. Je suis prête à répondre à vos questions.
Mesdames et messieurs les membres du Comité, merci beaucoup de me donner l’occasion de prendre la parole.
Je vais faire écho à certains des propos de mes collègues.
Le Canada participe depuis longtemps au maintien de la paix. Depuis 1948, l’ONU a établi plus de 60 missions de paix sur cinq continents. Le Canada a participé à la plupart d’entre elles en déployant des militaires, des policiers et des civils.
La nature des conflits a beaucoup changé depuis 1948. Au départ, le maintien de la paix a été créé pour régler les conflits entre les États après la conclusion d'un cessez-le-feu. Bien que difficile, ce travail était assez simple et pouvait être accompli en relative sécurité par des observateurs militaires et d’autres personnels.
Les conflits d’aujourd’hui se déroulent principalement à l’intérieur des États et impliquent des groupes d’insurgés, des factions armées, le crime organisé et des terroristes. De nouvelles menaces qui n’existaient pas au début des opérations de maintien de la paix sont apparues: terrorisme, traite des personnes à grande échelle et utilisation d’Internet pour propager la haine et la violence. Souvent, les Casques bleus de l’ONU et d’autres forces multilatérales sont, tout ce qui s'interpose entre les civils et la violence, dans des contextes où il n’y a souvent pas de paix à maintenir.
La nature changeante des conflits a entraîné une crise des opérations de paix, car les défis que doivent relever l’ONU et toute la communauté internationale sont devenus plus lourds. Cela dit, les opérations de paix demeurent le meilleur et souvent, le seul instrument à notre disposition pour réagir aux conflits et atténuer la souffrance humaine. Par conséquent, la communauté internationale doit trouver des moyens de relever ces défis et d’adapter les opérations de paix aux nouvelles réalités du monde d’aujourd’hui.
Le Canada n’a pas été aussi actif au cours de la dernière décennie, et ce n’est que maintenant qu’il tente de s'engager de nouveau. À mon avis, il est essentiel que cet engagement tienne compte des dernières tendances et de l'évolution récente du système de l'ONU, de sorte que la contribution du Canada ait le plus grand impact possible.
L’ONU a commandé un certain nombre d’examens de son système d’opérations de paix au fil des ans, dont le rapport du Groupe d’étude sur les opérations de paix de l’Organisation des Nations unies, ou le rapport Brahimi, en 2000, nommé en l’honneur de son président, Lakhdar Brahimi — mon collègue en a parlé — et, plus récemment, le rapport du Groupe indépendant de haut niveau chargé d'étudier les opérations de paix, connu par son acronyme, HIPPO. Ce groupe a été nommé par le secrétaire général de l’ONU alors en poste, Ban Ki-moon, en 2014. Il a mené de vastes consultations auprès des États membres et des praticiens de l’ONU pendant plusieurs mois avant de publier son rapport final, le 1er juin 2015. Le rapport est considéré par l’ONU comme la nouvelle feuille de route pour les opérations de paix contemporaines. Il devrait donc être intégré à la planification et aux politiques du Canada en matière d’opérations de paix.
Je voudrais maintenant aborder les principaux points du rapport qui, à mon avis, sont particulièrement pertinents pour le Canada, qui s’engage de nouveau dans des opérations de paix.
Le rapport recommande quatre changements dans la façon dont les opérations de paix sont menées.
La première veut que la politique guide la conception et la mise en oeuvre des opérations de paix. Certains de mes collègues ont abordé ce sujet. La paix durable ne peut être réalisée que par des solutions politiques, et non par des moyens militaires seulement. Pour cette raison, l’aspect civil des opérations de paix est essentiel et le Canada devrait investir dans le soutien des nombreux civils canadiens hautement qualifiés qui travaillent aux Nations unies et dans d’autres opérations de paix partout dans le monde. CANADEM, l’organisation pour laquelle je travaille, a été créée par le gouvernement canadien en 1996 pour renforcer les opérations de paix de l’ONU. Il continue d’agir à titre de réserve civile du Canada en déployant et en appuyant des experts canadiens dans des opérations de paix et d’aide humanitaire au sein du système des Nations unies partout dans le monde, ainsi qu’avec d’autres organisations multilatérales comme l'OSCE. À l’heure actuelle, 40 Canadiens participent à la mission de l’OSCE en Ukraine.
Le deuxième changement préconisé, c’est que toute la gamme des opérations de paix de l’ONU doit être utilisée avec plus de souplesse pour répondre aux besoins changeants sur le terrain. Les opérations de paix comprennent, sans s’y limiter, le maintien de la paix classique. Le Canada doit donc investir dans la diplomatie, la création de partenariats et le développement inclusif à long terme pour empêcher que les conflits ne réapparaissent.
Troisième changement: un partenariat pour la paix et la sécurité plus fort et plus inclusif est nécessaire pour l’avenir. Il faut donc collaborer avec nos partenaires de la communauté internationale et favoriser une compréhension commune des valeurs démocratiques, des droits de la personne et de la protection des civils, en particulier les femmes et les enfants.
Enfin, le Secrétariat des Nations unies doit se préoccuper davantage de ce qui se passe sur le terrain, et les opérations de paix des Nations unies doivent être davantage axées sur les personnes. Le Canada peut jouer un rôle dans la réforme de l’ONU.
Le rapport recommande ensuite de nouvelles approches pour effectuer ces changements. Bon nombre de ces approches correspondent directement aux valeurs du Canada, à ses interventions en matière de politique étrangère et à son expertise.
Je voudrais souligner quelques-unes de ces nouvelles approches recommandées dans le rapport que, à mon avis, le Canada devrait prendre en considération en priorité.
La première et la plus importante, à mon avis, c’est que nous devrions mettre l’accent sur la prévention. Il est beaucoup plus efficace, si on veut bien utiliser les ressources et éviter les destructions et la souffrance humaine inutiles, de prévenir les conflits au lieu de trouver des solutions après qu’ils ont éclaté. Cela peut sembler évident, mais la communauté internationale n’a pas un très bon bilan en matière de prévention des conflits. Cela s’explique en partie par des ententes de financement conçues uniquement pour des interventions ponctuelles, plutôt que pour agir avant que des problèmes ne surgissent.
Deuxièmement, nous devons investir les ressources nécessaires dans la protection des civils. C’est un domaine d’engagement canadien de longue date, et le Canada est à l’avant-garde des débats internationaux sur ce sujet depuis des décennies, notamment sur le concept de la responsabilité de protéger, que le Canada a parrainé. Les États ont le devoir juridique et moral de protéger leurs citoyens, et lorsqu’ils ne le font pas, la communauté internationale a l’obligation morale d’intervenir.
Nous devons aussi favoriser une paix durable, ce qui exige une participation à long terme. Les accords de paix et les cessez-le-feu n’entraîneront pas une paix durable à eux seuls. Pour y arriver, il faut des réformes, du développement, une gouvernance inclusive et une reprise économique. Il faut mettre un accent particulier sur le secteur de la sécurité dans les pays après un conflit. Il faut notamment créer des institutions étatiques, comme un système de justice, une police, etc., qui soient transparentes, inclusives et représentatives de la population, et qui respectent la primauté du droit et les droits de la personne.
En outre, il faut accélérer le déploiement et renforcer la capacité du personnel en uniforme dans le cadre du système de l'ONU. On peut y parvenir en sélectionnant des militaires et des policiers qui possèdent des compétences particulières pertinentes pour chaque opération de paix à laquelle ils seront affectés et en les déployant en temps opportun là où on en a besoin. Pour ce qui est de la participation du Canada, elle peut comprendre, par exemple, le déploiement de policiers ayant des compétences linguistiques particulières — comme le français au Mali et dans le reste de l’Afrique francophone —, de l’expérience de la police communautaire, de l’expertise dans la lutte contre le crime organisé, et ainsi de suite. Suite à cette recommandation, le Département des opérations de maintien de la paix des Nations unies a commencé à demander aux États membres du personnel qui possède des compétences bien précises. Le Canada devrait assurer la liaison avec ce département et tenter de répondre aux besoins au fur et à mesure.
Enfin, nous devons améliorer le leadership au siège de l’ONU et sur le terrain, notamment en augmentant le nombre de femmes qui occupent des postes décisionnels. Il faut des dirigeants civils expérimentés, compétents et d'horizons divers. Beaucoup de Canadiens possèdent ces compétences. Le Groupe de haut niveau recommande la nomination d’un plus grand nombre de femmes aux postes de direction ainsi qu’à tous les niveaux de déploiement de personnel civil et en uniforme, conformément à la résolution 1325 du Conseil de sécurité de l’ONU. Il s’agit également d’une priorité du gouvernement du Canada et il faut en tenir compte dans nos déploiements.
En conclusion, les opérations de paix ne peuvent être considérées exclusivement comme des opérations de maintien de la paix avec du personnel militaire. Elles ont évolué pour inclure un large éventail d’activités à la disposition de la communauté internationale. Le Groupe de haut niveau insiste sur le fait que des solutions politiques sont nécessaires pour prévenir, gérer et résoudre les conflits et favoriser une paix durable au-delà des transitions après conflit. Les approches techniques, bureaucratiques et militaires se font souvent au détriment des efforts politiques et de l’analyse en profondeur de chaque situation. Chaque opération de paix et la panoplie d’outils qu’elle utilisera doivent être adaptées au contexte particulier.
Je vous remercie de votre attention.
Merci.
Comme vous l’avez dit tous les quatre, beaucoup de choses ont changé en ce qui concerne les opérations de maintien de la paix au cours des deux dernières décennies. Le Canada a une nouvelle approche et une mission à remplir. Nous ne manquons pas de sujets de discussion.
Je donne la parole à M. Robillard pour la première question de sept minutes. Vous avez la parole.
[Français]
Je vous remercie, monsieur le président.
Je veux d'abord souhaiter la bienvenue à tous nos invités et les remercier de leurs importantes contributions.
Ma question s'adresse à Mme Dugal, de CANADEM. Dans le rapport de CANADEM intitulé « Le Canada et les opérations de paix — 2018 et années suivantes; La solution « civile » permettant au Canada de reprendre la voie : Nécessaire — Facile — À faibles coûts », le directeur exécutif, Paul LaRose-Edwards, propose de réinitialiser le concept de Solidarité Canada, créé par Paul Martin, en 2004.
Pourriez-vous nous expliquer les avantages de ce programme et comment il pourrait être remis sur pied?
Je vous remercie de votre question.
À CANADEM, nous sommes d'avis que nous avons besoin d'un mécanisme de déploiement du personnel civil canadien, tout comme nos forces armées et la GRC ont des mécanismes pour déployer leurs militaires et leurs policiers à travers le monde.
Cependant, ces civils manquent d'appuis. Nous avons donc un grand nombre de civils qui participent partout dans le monde aux missions de l'ONU ou d'autres organisations multilatérales, comme l'OSCE, mais qui ne reçoivent pas beaucoup d'appuis du gouvernement canadien ou du Canada en général. Personnellement, j'ai travaillé en tant que civile canadienne dans plusieurs endroits, comme en Afghanistan et partout en Afrique, mais ce n'était pas du tout en lien avec le Canada. C'était plutôt pour diverses organisations multilatérales ou même pour le gouvernement allemand.
Par contre, nous demeurons Canadiens et nous représentons le Canada, que nous le voulions ou non. Nous sommes perçus comme des Canadiens et nous transportons nos valeurs canadiennes avec nous. Il y a beaucoup de Canadiens extrêmement qualifiés à travers le monde, dont de nombreuses femmes. À ce sujet, il est important de reconnaître dans le cadre de la résolution 1325 de l'ONU qu'il y a énormément de femmes canadiennes en mission partout dans le monde. Le but de Paul LaRose-Edwards et de CANADEM est vraiment d'établir un centre qui pourrait appuyer tous ces Canadiens et les former.
Comme Mme Mason l'a expliqué il y a quelques minutes, il n'y a pas beaucoup de formation qui est offerte aux civils. Les militaires et les policiers reçoivent de la formation avant d'être déployés, mais les civils canadiens n'ont pas cette chance. Plusieurs pays ont des centres de formation, par exemple la Suède et l'Allemagne. Ce sont des pays qui ressemblent un peu au Canada, c'est-à-dire ayant les mêmes valeurs et le même désir d'être représentés dans les instances internationales.
L'idée serait vraiment d'établir un centre afin d'aider les civils canadiens à être mieux formés et outillés une fois sur le terrain, mais aussi pour établir de meilleurs liens avec le gouvernement canadien afin que ce dernier soit mieux informé de tout ce que ces gens font à travers le monde.
Ma question suivante s'adresse à Mme Novosseloff.
Dans un article que vous avez coécrit avec Patrice Sartre, vous abordez le principe d'un maintien de la paix robuste. En quoi cela vient-il changer la nature actuelle du maintien de la paix?
Je vous remercie de cette question.
Cela ne change pas la nature du maintien de la paix. Le maintien de la paix robuste est une attitude, une posture, qui ne remet absolument pas en cause les principes fondamentaux du maintien de la paix décrits par Lester B. Pearson et Dag Hammarskjöld.
Le maintien de la paix robuste n'est pas simplement militaire. Il ne faut pas seulement l'entendre sous l'angle militaire. Il doit être aussi politique. Cette robustesse vient également du soutien que peut apporter notamment le Conseil de sécurité, surtout ses membres permanents, qui peuvent soutenir les processus en cours et qui ont la capacité de faire fléchir les États hôtes qu'il faut convaincre d'aller vers la paix.
Je vous remercie.
Madame Mason, étant donné que l'ONU a constamment mis l'accent sur la nécessité des opérations de maintien de la paix pour assurer en priorité la protection des civils, quelles mesures les Nations unies ont-elles mises en oeuvre pour empêcher les attaques contre les civils? Ces mesures sont-elles efficaces? Les soldats du maintien de la paix peuvent-ils intervenir et avoir recours à la force pour protéger les civils?
Je vous remercie beaucoup de cette question.
Je vais répondre en anglais, si vous me le permettez, à cause des termes techniques.
[Traduction]
C’est là une question très importante au sujet de ce qui, désormais, figure couramment dans les mandats des Nations unies, soit la protection des civils. C’est une tâche très difficile et exigeante, et beaucoup d’expérience a été acquise, particulièrement en République démocratique du Congo, grâce à des équipes d’intervention rapide et à diverses autres mesures qui permettent de secourir rapidement les civils.
Il y a cependant une chose qui n’a pas évolué — et c’est quelque chose que certaines organisations, dont la nôtre, réclament depuis longtemps, et qui serait possible si nous avions un centre international de formation en maintien de la paix... L’essence de l’armée, c’est sa formation. On élabore une doctrine, dont découlent ensuite des procédures opérationnelles normalisées. Ensuite, les soldats s’entraînent et s’entraînent encore, ce qui leur donne la souplesse nécessaire pour réagir dans des circonstances variables. Toutefois, pour la protection des civils, qui est un domaine très difficile, cette doctrine n’a pas été élaborée. Bref, il faut définir cette doctrine. Le Canada pourrait travailler là-dessus avec d’autres pays qui ont de l’expérience en matière de maintien de la paix, comme les Pays-Bas et l'Allemagne. Il faudrait élaborer cette doctrine, en discuter plus largement avec d’autres pays qui fournissent des troupes et s'efforcer vraiment de faire avancer le dossier afin que toutes les forces engagées puissent s’entraîner.
Merci.
Merci, monsieur le président.
Je souhaite la bienvenue à nos invités qui se joignent à nous en ce début de matinée.
Un témoin qui a comparu devant le Comité, le général Lewis MacKenzie, a dit que l'expression « maintien de la paix » ne convient pas aux missions modernes comme celle du Mali, car il n’y a pas de paix à maintenir. Le général croit également que les Français devraient prendre la direction au Mali, pas l’ONU, parce que les trois autres forces qui sont dans le pays ne sont pas prêtes à accepter le leadership de l’ONU.
Général Fraser, la paix est-elle possible au Mali puisque l’ONU est considérée comme un ennemi par les rebelles islamiques?
Je ne pense pas que ce soit une question à laquelle on peut répondre par oui ou non. L’exemple de l’Afghanistan nous a montré que... Comme l’a dit l’ambassadrice, il y avait une mission de l’ONU en Afghanistan. L’OTAN était aussi présente. La chaîne de commandement était aussi complexe que, les plus complexes, je n'aie jamais vu en 25 ans. Cela dit, il fallait que l’OTAN se charge des combats et qu’elle établisse les conditions voulues pour que l’ONU et le processus de paix aient une chance de réussir.
Au Mali, certainement, les opérations antiterroristes menées par les Français et ce que font les Français, c’est-à-dire lutter contre une organisation terroriste, sont absolument nécessaires pour créer les conditions propices à un processus de paix global de l’ONU. Il faudra du temps. L'ONU n'a pas le mandat, l'organisation, la structure ni la formation nécessaires pour mener des opérations contre les insurgés au Mali. Elle n’a pas de capacités de renseignement. Elle a des capacités en matière d’information. La qualité des troupes déployées là-bas a un effet direct sur les résultats qu'on peut obtenir sur le terrain. En fait, aussi complexe cela soit-il, il faut que les Français établissent les conditions qui permettront à l’ONU d'intervenir.
Je veux aussi dire un mot de la géographie humaine dans n’importe quel pays où on mène des opérations. Les habitants considèrent-ils que l’organisation internationale en cause a de la crédibilité? A-t-elle la crédibilité nécessaire pour intervenir? Par exemple, l’Afghanistan est un pays guerrier. Il est essentiellement divisé en trois tribus: les Tadjiks du Nord, les Hazaras du Centre et les Pachtounes du Sud. Ils comprennent une seule chose: la force.
Dans ce pays-là, que cela plaise ou non, la société était dominée par les hommes. C’était une société guerrière. Les Afghans comprenaient le langage de la force. Ils se sont tournés vers l’OTAN, et surtout vers les États-Unis, parce qu’ils étaient leur équivalent idéologique. Ils ne considéraient pas l’ONU comme un égal. Franchement, l’ONU ne pouvait pas intervenir en Afghanistan parce qu’il y avait beaucoup de combats, mais elle était là pour lancer un processus appelé « règlement de paix ».
Il faut continuer à faire avancer ce processus. C’est là qu’interviennent les efforts diplomatiques. Le Mali en est un excellent exemple. Au bout du compte, il n’y a pas de solution militaire aux opérations aujourd’hui. Là où il y avait un Wellington et un Napoléon qui pouvaient se lever et dire: « La guerre est... » L’ambassadrice l’a dit : 15 % des opérations dans le monde ont été résolues militairement. Je dirais qu’aujourd’hui, ce doit être zéro.
Tout ce que les opérations militaires permettent de gagner, c'est du temps pour parvenir à un règlement de paix. Dans le cadre de ce règlement, il faut donner une voix à l’opposition, « les terroristes ». Il faut savoir qui sont, dans ces organisations, les éléments assez modérés pour vouloir venir discuter, dans n'importe quel processus gouvernemental, et ensuite leur donner une voix. Une fois que le dialogue est entamé, la paix a une chance. Mais tant que ces conditions ne sont pas établies, les opérations militaires ne font que gagner du temps, du temps pour multiplier les efforts diplomatiques jusqu’à ce qu'on puisse réunir toutes les parties, autour d’une table comme celle-ci, où elles laissent les armes à la porte et débattent des enjeux.
C’est ce que nous allons devoir faire.
Merci.
Général Fraser, comment décririez-vous les capacités des rebelles au Mali? Qui les finance? De toute évidence, ils achètent des armes. Ils ont de l’argent pour mener d’autres opérations. Pouvez-vous résumer cela brièvement?
Une partie des problèmes que nous avons au Mali découlent de ce qui s'est passé en Libye. Lorsque nous avons bombardé la Libye et supprimé sa structure gouvernementale, de nombreux combattants sont revenus chez eux. Ils sont allés dans le Nord du Mali et ont repris les combats. Tout ce qu'ils savent faire, c'est se battre. C'est un enjeu économique pour eux. Quelqu'un les paie. Si on leur offre de l'argent pour financer leurs activités, ils sont prêts à faire n'importe quoi, même si cela réduit leur espérance de vie à quelques jours ou semaines. S'ils travaillaient pour un gouvernement, leur espérance de vie se mesurerait en années, voire en générations pour leur famille. C'est un problème économique. Nous devons trouver des emplois surtout pour les hommes. Dès que les hommes auront du travail et que nous commencerons à les former, nous parlerons aux femmes. Ce sont elles qui diront aux hommes de cesser les combats pour qu'ils ne soient plus obligés d'avoir des familles nombreuses. C'est un problème économique.
Qui les finance? Je ne pourrais pas vous répondre. C'est probablement une organisation terroriste. Quelle qu'elle soit, Daech, al-Qaïda, cette organisation leur envoie probablement de l'argent. Son but est de déstabiliser les régions. Il y a une différence philosophique générale entre ces combattants qui sont revenus chez eux et ce qu'ils considèrent comme une solution de remplacement crédible à la stabilité ou à un gouvernement dans cet État appelé le Mali.
Très bien. Je vais poser une question courte.
Zoé, quels sont les progrès accomplis à ce jour par les Nations unies au Mali? Ses troupes y sont depuis un certain temps. Ont-elles créé des zones sécuritaires? Où en sont-elles dans leur avancée? À ce jour, les pourparlers de paix n'ont rien donné. Pouvez-vous me faire un résumé de la situation?
C'est toute une question. Sans vouloir être trop pessimiste, je dirais que la situation au Mali est extrêmement complexe.
Pour faire écho aux propos du général et, peut-être pour répondre à votre question précédente, vous devez voir le Mali comme... Ce n'est pas un pays. Il faut voir la région dans son ensemble, parce que ces pays, notamment le Burkina Faso, le Niger, le Mali et l'ensemble de la région du Sahel, c'est-à-dire le Sud du Sahara, sont en proie à l'anarchie totale. Il en a toujours été ainsi parce que cette région est un désert. Les frontières sont très peu sécurisées. Les gens passent d'un pays à l'autre. L'autorité gouvernementale est très restreinte dans ces régions.
Si vous regardez ce qui se passe dans le sud de ces pays, par exemple, au Sud du Mali, les choses vont bien. Dans le nord du pays, par contre, la situation n'a jamais été très bien. Comme l'a dit le général, à cause de la situation en Libye, il y a un afflux incessant de combattants et la plupart des armes proviennent aussi de là.
Concernant le financement...
Désolé, je vais devoir vous interrompre. Nous sommes à court de temps, mais je suis certain que cette question refera surface et que nous pourrons en faire le tour.
Monsieur Garrison.
Merci beaucoup, monsieur le président.
Malgré ce qu'a dit le président un peu plus tôt, le Comité n'a pas décidé de modifier le titre de son étude pour le moment.
Des voix: Oh, oh!
En discutant avec des experts, il semble évident que nous finirons par biffer les mots « maintien de la paix » de notre titre, mais en discutant avec la population canadienne, nous constatons que les gens tiennent encore au maintien de la paix. Il y a donc une raison de conserver cette expression.
Je vais commencer par vous, madame Mason. Dans les médias, et parfois même ici au Parlement, on entend dire qu'il n'y a pas de paix à maintenir. J'aimerais aborder cette question avec vous parce qu'à force de le répéter, cela dévalue nos efforts et ceux des Nations unies. Pouvez-vous nous en parler, dans le contexte des opérations des Nations unies?
Oui. D'entrée de jeu, je voudrais faire remarquer que dans le tout dernier sondage, on introduit la notion du risque et on sensibilise les Canadiens au fait que le maintien de la paix comporte aujourd'hui plus de risques. Cela ne semble pas avoir refroidi leur soutien à cet égard.
C'est vrai, il est plus exact de parler d'opérations de paix, pour le meilleur ou pour le pire, tandis que les Nations unies parlent de maintien de la paix. Tant que les pays membres continuent de parler de maintien de la paix, je pense que nous ne devons pas renoncer à ces termes.
Pour répondre à cette très importante question, s'il y a ou non une paix à maintenir, c'était vraiment ce que j'essayais d'expliquer. Construire la paix est peut-être une expression plus juste pour décrire les missions multidimensionnelles des Nations unies, parce qu'il ne s'agit pas d'une opération séquentielle. Le but n'est pas de demander aux militaires de tout stabiliser d'abord pour faire en sorte que le processus de paix fonctionne. Les deux opérations doivent aller de pair.
C'est justement le problème que nous avons eu en Afghanistan. Durant la majeure partie de la période où les troupes des Nations unies étaient là, elles n'avaient pas le mandat de mettre en place un processus global de paix. En fait, elles n'ont jamais eu ce mandat. Même lorsque le pays connaissait une stabilité relative, il n'a pas été possible d'en profiter pour rassembler tous les joueurs, parce c'est ça l'histoire de l'Afghanistan.
J'ai entendu le général Fraser parler de la frustration des combattants talibans qui retournaient au Pakistan pour se reposer et récupérer, mais le Pakistan avait ses propres intérêts à défendre en matière de sécurité, et cela n'a pas été une bonne idée de le rappeler à l'ordre et de lui dire de cesser de faire cela. Il fallait mettre en place un processus global de paix qui tienne compte des préoccupations du Pakistan par rapport à l'Inde.
Les commentaires de Zoé sur les complexités régionales du Mali mettent également en lumière un facteur très important. J'aimerais vous lire les observations du secrétaire général dans son rapport sur le Mali concertant l'interrelation de la force contre-insurrectionnelle et la mission des Nations unies. Je cite:
Je salue l'engagement des États membres du Groupe de cinq pays du Sahel à lutter contre les menaces à la paix et à la sécurité, le terrorisme et la criminalité transnationale organisée, grâce à la création d'une force conjointe. Si cette force a le potentiel de contribuer à un environnement propice à la MINUSMA, seule une approche multidimensionnelle qui s'attaque aux causes profondes de l'instabilité pourra être efficace dans la lutte contre le terrorisme, notamment en améliorant la gouvernance et en créant des perspectives pour les jeunes, des mesures étant prises pour ramener dans le giron de la société ceux qui se sentent exclus. En conséquence, le succès de la force conjointe...
Il parle de la force contre-insurrectionnelle.
... demeure intimement lié à la mise en oeuvre intégrale de l'Accord de paix.
Pour revenir à la question, non, il n'y a pas de paix à maintenir. Il y a une paix à construire et cela peut se faire dans le cadre d'une mission multidimensionnelle de maintien de la paix des Nations unies dotée de toutes les ressources nécessaires.
Ce matin, je ressens la frustration habituelle devant un groupe de distingués témoins, et il est tentant d'aller dans tous les sens, mais nous voulons avoir des recommandations précises sur ce que peut faire le Canada. Je vais poursuivre un instant avec vous, madame Mason. Vous avez parlé de la création ou du rétablissement d'une capacité de formation pour les civils et les militaires au Canada. Vous étiez rendue à la fin de votre exposé, mais j'aimerais que vous nous expliquiez plus en détail comment fonctionnerait cette capacité et quelle serait son utilité.
Oui, merci beaucoup. Je suis ravie de le faire.
Mais avant, je veux revenir à ce qu'ont dit d'autres témoins au sujet de cette approche pangouvernementale. Le Canada doit soutenir le processus de paix. Si vous voulons envoyer des Casques bleus, nous devons alors multiplier les efforts pour soutenir le processus de paix au Mali. Nous avons fait une contribution financière au fonds fiduciaire spécial des Nations unies, mais je pense que nous pouvons faire beaucoup plus.
Quant à la formation, ce qui déçoit évidemment beaucoup d'entre nous, c'est que nous avions une longueur d'avance en 1995 lorsque nous avons créé le Centre Pearson pour le maintien de la paix. C'était, pourrait-on dire, le premier centre de formation intégré — civil, militaire et policier. C'est la solution. Il faut rassembler tous les intervenants.
Le défi d'une opération multidimensionnelle réside en partie dans le fait que tous les acteurs clés ont leur propre rôle à jouer: comment interagissent-ils? Quelles sont les limites? Qu'attendent-ils des autres?
Par conséquent, si vous avez un centre de formation regroupant tous ces éléments, tant au niveau des formateurs qu'au niveau de ceux qui reçoivent la formation, il est alors possible de commencer à aborder une partie des problèmes. Vous ne pouvez pas seulement former les gens pour les missions en cours, mais il faut aussi penser à long terme et examiner les problèmes, par exemple la protection des civils, dont on a parlé précédemment, mais aussi la reddition de comptes dans les cas d'inconduite sexuelle ou de mauvais comportement de la part de militaires. C'est un problème énorme, mais il ne revient pas au secrétaire général de le régler. Il revient aux pays qui fournissent les troupes de maintenir la discipline. Ils ne laisseront pas les Nations unies intervenir.
C'est ce genre de choses dont pourrait s'occuper un centre multidimensionnel. Le plus important, comme l'a dit Zoé Dugal, c'est qu'il n'y a pas de possibilité... Je veux dire, les militaires ont besoin de ce genre de formation, conjointement avec des civils. Ils reçoivent une formation sommaire, mais la plupart des organisations ne sont pas en mesure d'offrir cette formation. C'est vraiment très, très important. Si nous reconnaissons l'importance de la dimension civile des opérations de paix, nous aurions alors intérêt à miser sur la formation.
Merci beaucoup, monsieur le président.
Merci beaucoup également à tous nos témoins de leur présence. Votre expertise est précieuse pour cette importante étude.
Permettez-moi de commencer par vous, général Fraser. Je comprends ce que vous dites. Il est bien connu, je pense, que le paradigme des conflits a changé, en ce sens que des acteurs non étatiques remplissent un vide dans tout État en déroute, ce qui explique pourquoi il n'y a plus de société civile ni d'institutions capables de maintenir la paix.
Y a-t-il d'autres facteurs qui ont changé la nature évolutive des conflits à l'intérieur des États, par exemple les armes utilisées, les tactiques ou l'émergence de la technologie, et qui pourraient nous éclairer sur la façon de reconstruire ou de maintenir la paix dans ces pays où les institutions sont défaillantes?
Le changement le plus important, et je pense que la Bosnie a marqué une transition... Jusqu'à cette guerre, il y avait des institutions nationales en place lorsque nous avons commencé à mener des opérations. Je ne veux pas parler d'opérations de maintien de la paix, je parlerai plutôt d'opérations des Nations unies. Ce sont des termes plus généraux. Les gens comprennent que ce sont les Nations unies qui interviennent et ils adhèrent à ce principe.
Il y avait des institutions encore en place en Bosnie après le conflit. Si nous prenons l'exemple de l'Irak, de l'Afghanistan, du Mali, ces institutions nationales avaient été gommées, détruites. Colin Powell a dit un jour que ce que nous brisons nous appartient. Et bien, nous, la communauté internationale, avons brisé bien des pays, dont l'Afghanistan, l'Irak et la Syrie. Nous avons gommé les institutions nationales, ce qui fait que les opérations... Je déteste l'expression « cause profonde », que je trouve trop générique, mais la racine du conflit était de détruire les institutions nationales, faisant ainsi reculer le pays d'environ quatre générations. Il faudra attendre au moins quatre générations avant de construire un pays qui ressemble vraiment à un pays.
Pour cela, il ne faut pas une opération militaire, mais une opération pangouvernementale. Une opération diplomatique, judiciaire. Une opération de maintien de l'ordre. Nous commençons par les services de police, pas par l'armée. Il s'agit de mettre en place une police sociale et ces institutions. Si nous regardons n'importe quelle situation dans le monde aujourd'hui, ou celle d'un pays en particulier, nous ne pouvons pas faire de comparaison avec le Canada. Nous partons d'une page blanche et nous devons reconstruire à partir de zéro.
L'idée, c'est de créer une capacité. Pour cela, il faut savoir comment vous voulez procéder. Je suis tout à fait d'accord avec ce qu'a fait le Centre Pearson pour le maintien de la paix, mais c'était la première étape. Dans ma recommandation, je dis que c'est dans le pays hôte qu'il faut renforcer les capacités, pas ici au Canada, mais dans le pays hôte. Ainsi le legs du Canada, en tant que membre de la communauté internationale, est un collège, une université ou un centre de formation dans le pays hôte, où nous formons des formateurs qui, à leur tour, forment les gens. C'est à eux de prendre le relais, et ensuite nous nous retirons. Ce n'est pas une opération de combat ni une mission sur le terrain. Il s'agit de créer une capacité et des institutions nationales qui ont totalement disparu aujourd'hui, dans le cadre des opérations que nous menons, en raison de l'absence d'acteurs étatiques. Il n'y en a plus.
Merci, général.
Madame Dugal, je suppose que cela rejoint tout à fait ce que vous avez dit au sujet de l'importance capitale de la prévention et du soutien des institutions de la société civile afin d'empêcher l'arrivée de joueurs non étatiques qui s'imposeront à la population.
Croyez-vous, comme vient de le dire le général Fraser, que pour prévenir des situations de ce genre, la solution consiste à fournir des ressources judiciaires, à contribuer à la mise en place d'institutions, y compris de forces policières, à les déployer sur le terrain et à soutenir la société civile?
Oui, tout à fait. Je suis entièrement d'accord. La prévention se fait à deux niveaux, à mon avis. Le deuxième niveau est celui dont vient de parler le général. Après un conflit, nous envoyons des Casques bleus, nous mettons fin aux combats et ensuite, nous devons reconstruire le pays. C'est le deuxième niveau de prévention, parce que ce que nous voulons, c'est prévenir la reprise du conflit. Les forces policières sont un élément essentiel qui ne peut fonctionner isolément. Comme vous venez de le dire, la police, le système de justice, le système carcéral font partie d'un continuum.
L'armée est importante, mais ce sont les services de police et le système de justice qui interagissent directement dans la vie quotidienne des civils. C'est très important. Ces éléments ne peuvent pas agir isolément. Nous devons reconstruire toutes les institutions étatiques en même temps, c'est une tâche colossale.
Le premier niveau de prévention, cependant, consiste à prévenir les conflits. C'est là que la communauté internationale a failli à la tâche. Nous réussissons mieux à essayer de prévenir la répétition d'un conflit après une transition. Les Nations unies et d'autres organisations ont beaucoup appris au cours des 50 dernières années sur la façon de reconstruire des États. Je suis d'accord avec le général pour dire qu'en Afghanistan ou en Irak, nous n'avons pas très bien réussi. Nous avons eu beaucoup plus de succès dans d'autres pays, comme la Bosnie, le Timor oriental et le Kosovo. Nous pouvons nous inspirer de ces succès des Nations unies. Cette organisation peut profiter de toutes les leçons qu'elle a apprises. Il y a également eu pas mal de réussites en Afrique. Nous pourrions passer le reste de la séance à en parler.
En revanche, nous pourrions aussi commencer par prévenir les conflits, ce qui éviterait la disparition des institutions. Il serait alors possible de faire de réformes progressives au sein de la société civile, avec l'aide de la communauté internationale.
Lorsqu'il y a un risque de conflit, c'est parce qu'il existe un problème au sein la société que le gouvernement n'arrive pas à régler par les moyens traditionnels dont il dispose. Le gouvernement doit se transformer, l'État également, mais ces réformes ne doivent pas forcément passer par cette phase de conflit violent, une phase extrêmement perturbatrice sur le plan des infrastructures, des souffrances humaines et des institutions. Il vaudrait beaucoup que nous nous efforcions de prévenir les conflits et de réformer les institutions, sans les détruire.
Je vous remercie.
Madame Mason, je m'adresse à vous. J'ai beaucoup aimé ce que vous avez dit au sujet de l'importance de la formation et du rôle qu'elle jouera, mais je comprends aussi que ce n'est pas tout, comme l'a fait remarquer le général tout à l'heure.
Je représente la circonscription de Nova-Ouest qui abrite le parc Cornwallis où se trouvait le Centre Pearson pour le maintien de la paix dans les années 1990. Les gens là-bas ont fait un travail extraordinaire pour former des Casques bleus, non seulement sur le plan pratique, mais aussi théorique. On leur enseignait ce qu'ils devaient savoir avant de partir vers le théâtre d'un conflit et pour y maintenir la paix. Est-ce le genre de centre de formation que vous avez en tête?
Naturellement, il y aurait lieu d'en modifier la mission compte tenu de la nature changeante des acteurs impliqués dans ces opérations, mais est-ce un centre du même genre que nous devrions envisager, un centre offrant un enseignement pratique et théorique et qui formerait non seulement des Canadiens, mais des gens qui viendraient du monde entier pour apprendre comment maintenir la paix?
Voilà, vous avez votre réponse.
Nous allons maintenant passer aux questions de cinq minutes.
Monsieur Spengemann, vous avez la parole.
Monsieur le président, je vous remercie.
Merci à tous de votre présence. Ma première question est pour le général Fraser.
Pour revenir à ce qui se passe vraiment sur le terrain, dans un contexte où nous avons de multiples groupes d'insurgés, des groupes rebelles et des alliances changeantes, tous ces gens étant mêlés aux civils qui sont parfois déplacés à l'intérieur du pays, parfois réfugiés, dans quelle mesure est-il important de recueillir des renseignements fiables? Que pourrait faire le Canada, en tant que contributeur au maintien de la paix, pour que nous sachions qui est qui, dans un environnement très fluide et souvent en rapide évolution comme nous l'avons vu en Irak, en Syrie et en Afghanistan?
Permettez-moi d'utiliser un autre terme, « géographie humaine ». Ceux qui comprennent la géographie humaine sont beaucoup plus efficaces pour communiquer et établir des relations. Voici un exemple de géographie humaine: en Afghanistan, nous utilisions les mauvaises cartes, celles écrites et produites dans les années 1800. J'ai demandé à mon personnel de me trouver une carte tribale. Lorsque nous avons compris la géographie humaine, nous avons été renversés par la complexité. Nous avons commencé à avoir de nouvelles relations, et nous avons commencé à les développer et à mieux comprendre les sensibilités culturelles des groupes auxquels nous avions affaire et à comprendre les griefs qui les opposaient les uns aux autres de même que leurs griefs à notre endroit, parce que nous ne les comprenions pas — mauvaise culture, mauvaise race, mauvaise religion, etc., etc.
À force de leur parler, nous avons fini par comprendre. Si on met un grand bol autour de tout ça, c'est ce qu'on appelle le renseignement, la compréhension de la situation à laquelle il faut faire face. Plus le renseignement est abondant, plus les décisions sont éclairées et permettent de produire le bon effet au bon moment avec les bons résultats. On ne parle pas de tuer, mais plutôt de nouer des relations, et nous avons besoin d'une grande capacité.
L'un des meilleurs atouts que le Canada ait apportés dans le cadre de nos opérations tout au long de notre histoire... J'ai utilisé le « nous » en Afghanistan. J'ai dit: « Nous sommes multiculturels, multiethniques. » J'ai assisté aux réunions. J'avais ma conseillère politique, et ma conseillère en développement: deux femmes, et j'étais un gars. J'avais un imam avec moi, et j'avais un type que vous connaissez peut-être: Harjit Sajjan, qui est sikh. J'ai dit: « Bienvenue au Canada. Nous sommes l'Équipe Canada. Voici ce que nous avons à offrir. Juste nous. »
Il n'y aura pas de salades avec nous, les Canadiens: nous ne demandons qu'à vous parler et à comprendre ce qui se passe. Alors, l'imam récitait une prière, et ils étaient vraiment déconcertés de le voir porter un uniforme, parler leur langue et prier avec eux. Après la prière, nous nous sommes assis pour discuter. Vous voulez parler d'un effet multiplicateur? Le Canada était une superstar là-bas. Nous avons découvert des choses que les Américains et d'autres organismes internationaux n'ont pas vues parce que nous sommes tout simplement uniques par notre multiculturalisme et notre multiethnicité. C'est du renseignement. Sachant cela, le Canada envoie des Canadiens là-bas faire ce que les Canadiens font de mieux... Je ne pense pas qu'un autre pays dans le monde puisse le faire aussi bien que nous. Nous ne nous donnons tout simplement pas assez de crédit.
On peut dire que nous avons un excellent point de départ. Avec les bonnes cartes et les bonnes personnes, nous sommes dans le coup.
Combien de temps faut-il pour construire les relations qui nous vaudront un flot continu d'informations utiles? Il ne suffit pas de s'amener... Compte tenu de toutes les bonnes circonstances que vous avez décrites, c'est un excellent point de départ, mais la confiance ne se gagne pas du jour au lendemain.
Au moins un an.
Quand on arrive là-bas, ils ne nous croient pas. Ils ont une histoire. Où qu'on aille, le pays a son histoire. Après environ un an, six mois, ils commencent à vous parler. Je parle des personnes clés, de ce dont parlent les ambassadeurs, les politiciens, les gens qui vont piloter le processus. C'est une relation à long terme. On ne change pas ces gens-là du jour au lendemain.
La force policière et les responsables de la sécurité, l'appareil qui les sous-tend, peuvent changer. Mais pour le processus de paix, c'est une relation à long terme. Il faut avoir du monde sur place pendant quelques années pour que cela fonctionne.
Outre les personnes, les bonnes cartes et les bonnes idées, y a-t-il des technologies que le Canada pourrait mettre à contribution dans les opérations de paix?
Oui. Nous devons amener notre secteur privé à investir. La meilleure façon de combattre la corruption est ce que nous avons fait en Afghanistan. Nous avons créé un système bancaire, un système bancaire électronique. En créant un système bancaire électronique, nous avons payé tout le monde qui avait ce truc, parce que tout le monde l'avait. Les Allemands sont arrivés et ont construit un système de télécommunication meilleur que celui du Canada. Lisez mon livre et vous verrez comment le Canada a bâti une banque et donné aux Afghans des services bancaires et mis fin à la corruption. La technologie est la solution.
Merci, monsieur le président.
Je vais adresser mes questions au général Fraser.
Selon un rapport de l'administration fédérale de l'aviation des États-Unis, les groupes militants extrémistes au Mali sont soupçonnés de posséder des SPDAA, des systèmes portatifs de défense antiaérienne — ou d'y avoir accès. Ces systèmes viennent peut-être du conflit en Libye. Jusqu'ici, on nous a dit qu'ils n'ont pas encore la capacité de les utiliser, mais nous croyons savoir que ces SPDAA peuvent tirer des obus à 25 000 pieds. Comme notre gouvernement déploie six hélicoptères au Mali, seriez-vous le moindrement inquiété par la présence de ces armes?
N'importe quel système d'armes est toujours inquiétant, mais dès qu'il est question des SPDAA, le niveau de préoccupation change. Nous avons eu cette menace en Afghanistan et nous avons toujours — pour revenir à la question du renseignement — essayé de comprendre combien de ces systèmes se trouvaient dans le pays et si le pays les avait utilisés. Il est important de comprendre le régime d'utilisation parce que c'est toujours une menace et qu'il faut tenir compte de tout.
En comprenant la géographie humaine, on voit que ce sont là des symboles de statut social. Celui qui se promène avec un de ces machins est un gars pas mal important. S'il tire, c'est fini. On veut se promener avec, mais dès qu'on l'utilise, il n'existe plus. Pour revenir à la compréhension de la culture, il faut savoir comment ils perçoivent ces choses, et cela peut aider à atténuer une part des risques. C'est une préoccupation dont nous devons tous être conscients.
Comment décririez-vous les capacités et le niveau de menace des groupes terroristes qui mènent le combat aux forces de l'ONU au Mali?
C'est une menace directe, dont tout le monde devrait s'inquiéter. Dès que l'on quitte le sol et qu'on commence à voler dans un avion à voilure tournante ou à voilure fixe, on est menacé par les SPDAA, et il faut en tenir compte.
Au Mali, il y a divers groupes rebelles islamistes qui non seulement s'opposent à la présence des soldats de la paix, mais encore font tout ce qu'ils peuvent pour les attaquer. Comment régler ce problème?
Nous devrions le soulever par les voies diplomatiques et l'établissement de relations. Il est facile de mener des opérations militaires et de tuer, mais cela ne réglera rien. Pour chaque personne tuée, il y a 10 nouveaux insurgés. On a privé de leurs droits toute une série de familles, qui cherchent vengeance.
Il faut parler aux locaux pour voir qui ils sont. Tout le monde sait qui ils sont, et il faut établir une relation, créer un dialogue, essayer de repérer les modérés au sein des groupes et leur parler. Nous essayons de les amener de notre côté et nous leur donnons une légitimité et une voix dans la conversation. C'est une façon d'aborder le problème. On ne veut pas s'attaquer directement au problème par des opérations de combat. Il faut de la diplomatie et de la négociation. C'est la seule façon de résoudre le problème.
Il y en aura toujours quelques-uns à qui il faudra donner un choix de vie. Il faut faire les deux premiers choix pour eux parce qu'ils ne vont tout simplement pas s'avancer. Ils sont déterminés à ne pas nous aimer, sans plus. C'est pourquoi il importe tant d'établir une relation avec nos hôtes et d'essayer de trouver quelqu'un avec qui travailler. Comme T.E. Lawrence le disait en 1914, ou 1918, peu importe, il vaut mieux les laisser régler cela tout seuls, même de façon imparfaite, que d'essayer de le faire à leur place.
Nous ne pouvons pas régler ce problème. C'est leur problème. Aidons-les.
Nos témoins militaires nous ont dit, essentiellement, que nos gens resteraient à l'intérieur du périmètre. Ils auraient un camp distinct des autres pays participant à la mission. Nous aurions 250 personnes, grosso modo 200, sur le terrain pour soutenir les hélicoptères qui effectuent les évacuations médicales. Comme nous sommes à l'intérieur du périmètre et protégés, comme on l'a expliqué, comment allons-nous tenir ces réunions dites chouras avec les gens sur le terrain s'ils sont dans un camp et ne sont pas déployés? Comment sera-ce possible?
Nous avons d'excellentes capacités de renseignement pour atténuer la menace lorsque les avions décollent. Nos avions sont là pour une tâche précise. Notre tâche n'est pas de négocier. Notre tâche est le transport pour évacuations médicales, etc. Telle est notre mission. Vous devrez demander à quelqu'un d'autre ce que l'autre mission a fait pendant la négociation.
Merci, monsieur le président, et merci à vous tous de votre présence.
Vos témoignages sont excellents. Le thème principal semble être la nature radicalement changeante du maintien de la paix tel que nous le voyons aujourd'hui. David, vous avez décrit les changements survenus pendant la guerre froide, les changements survenus dans les années 1990 et jusqu'à maintenant. J'ai presque l'impression que le maintien de la paix aujourd'hui ne ressemble même pas à ce qu'il était dans les années 1950. Par contre, dans la mentalité canadienne, et peut-être même dans la mentalité mondiale, c'est presque la même chose. Ce sont des Casques bleus entre deux factions belligérantes.
Madame Novosseloff, dans votre déclaration préliminaire, vous avez dit que le maintien de la paix est une activité qui s'améliore constamment. Nous avons parlé des changements. Nous avons dit, peut-être, qu'il ne ressemble pas nécessairement à ce qu'il était dans les années 1950, mais vous êtes la première, en fait, que j'aie entendue dire que le maintien de la paix s'améliore constamment. J'aimerais connaître le fond de votre pensée là-dessus. J'aimerais aussi que les autres témoins du groupe me disent rapidement s'ils estiment que le maintien de la paix est ou peut être perçu comme en voie d'amélioration.
En premier lieu, le maintien de la paix ne peut pas tout faire. Le contre-terrorisme n'est pas une tâche pour le maintien de la paix. Il est l'affaire d'autres intervenants, d'organisations régionales, d'organisations bilatérales, de coalitions de ceux qui veulent. Nous devons limiter ce que fait le maintien de la paix. La mission multidimensionnelle intégrée des Nations unies pour la stabilisation au Mali, la MINUSMA, en fait l'essai, et, vraiment, nous devons imposer des limites à cela.
Le maintien de la paix s'est amélioré dans la façon de faire les choses, à l'intérieur de ces limites. On discute beaucoup aujourd'hui, à New York, de la façon d'améliorer le rendement des Casques bleus, d'améliorer le commandement et le contrôle.
Ce sont aussi les États membres qui doivent être disposés à s'intégrer. Lorsque j'ai entendu votre collègue dire que le Canada sera dans un camp distinct du reste de la mission, je n'y ai pas vu un bon signe d'intégration. C'est ce qui se produit actuellement dans la région de Gao. La Suède et l'Allemagne sont séparées du reste de la mission, du reste des contingents. Cela crée une mission à deux niveaux, ce qui n'est pas bon pour la manière intégrée de mener ces missions, non seulement pour l'unité de commandement, mais aussi pour l'unité de message.
Comment un RSSG, c'est-à-dire un Représentant spécial du Secrétaire général, peut-il utiliser la composante militaire pour appuyer les processus politiques, le dialogue politique, si vous devez séparer les composantes au sein de la composante militaire qui ne suivront pas ce que dit le RSSG? Nous devons examiner notre façon de travailler dans ces circonstances.
Général, estimez-vous que la situation s'améliore, ou est-il même juste de comparer la bête qu'elle a déjà été avec ce que nous avons aujourd'hui?
Ce qui était et ce qui est sont deux situations totalement différentes. Je ne pense pas qu'on puisse faire une comparaison qualitative ou quantitative. C'est complètement différent.
Quand je suis arrivé à Chypre avec un béret bleu, quand je suis allé en Bosnie avec un béret bleu... Quand j'ai vu ce que j'ai vu, les Casques bleus en Afghanistan, je n'ai pas reconnu une opération de bérets bleus. Les opérations ont changé.
L'année 1995 a été l'année d'un changement de paradigme pour le monde, et je pense qu'il faut le reconnaître.
Ce fut le gros changement, en 1995.
C'est très bien. Merci.
Quelqu'un veut ajouter quelque chose?
Madame Dugal.
Très rapidement. Quand nous disons que le maintien de la paix a complètement changé... Je voudrais juste dire qu'en ce qui concerne les moyens traditionnels de maintien de la paix, nous avons encore ces missions. Il y a encore à Chypre une mission traditionnelle de maintien de la paix, tout à fait vieux style. Il y a encore une mission de l'ONU sur le plateau du Golan. Ces missions sont toujours les missions traditionnelles de maintien de la paix. Il y a encore des Canadiens qui en font partie, et nous en avons eu. Ce n'est pas que le maintien de la paix a changé et que nous avons oublié les anciennes façons de faire. Ces missions existent toujours. Les nouvelles missions sont très différentes.
Tout d'abord, je tiens à remercier nos témoins de leur présence.
Général Fraser, je vous remercie en particulier de votre leadership et je vous félicite de votre carrière étincelante. J'ai hâte au lancement de votre livre la semaine prochaine. Je serai là pour obtenir mon exemplaire, et votre autographe personnel.
Je voudrais revenir sur ce que Mme Dugal vient de dire pour expliquer qu'il y a encore du maintien de la paix traditionnel dans le monde. Nous disons que la Bosnie a été un succès pour l'ONU, mais pouvons-nous en dire autant de Chypre et du plateau du Golan? Cela fait 30, 40, 50 ans, et nous avons encore des Casques bleus là-bas. Comment peut-on parler de succès dans ces cas-là?
Justement... Je pense que nous pouvons parler de succès, en nous rappelant leurs mandats. Leurs mandats étaient de faire cesser les combats. C'est fait. À Chypre, il n'y a pas de combats. Il n'y en a pas eu depuis des décennies. Ce n'est pas la réintégration du pays qui est un succès. Ce n'était pas le but de la mission. Lorsque nous parlons du succès des opérations de maintien de la paix et de la nouvelle forme qu'elles ont prise, nous devons être très prudents parce que le niveau de succès que nous cherchons à mesurer est beaucoup plus élevé que celui que nous avions pour Chypre ou le plateau du Golan. Si l'on décide de placer quelques observateurs militaires pour surveiller un cessez-le-feu, la mesure du succès est très facile: ont-ils cessé de se battre? S'ils ont cessé, on conclut au succès.
Quant à ce dont nous avons discuté au sujet de l'édification de l'État, de la reconstruction des institutions, de la transformation des sociétés, etc., c'est l'objectif des nouvelles opérations de paix. Ces succès doivent se mesurer dans divers domaines. À mon avis — et j'ai aussi travaillé en Afghanistan — l'Afghanistan est un échec. Je vais le dire. Je ne pense pas que l'Afghanistan est un État qui fonctionne aujourd'hui.
Pour ce qui est des autres situations, je pense que les niveaux de succès peuvent être très différents. On a plus de succès dans certains domaines que dans d'autres. Il est très difficile de répondre à la question de la députée précédente, qui demandait s'il y a de l'amélioration. Cela devient beaucoup plus difficile et complexe. Il y a de l'amélioration, mais les défis sont plus grands. La façon de mesurer le succès doit aussi être raffinée, dans un certain sens. Ce n'est pas seulement pour arrêter les combats. C'est aussi pour les autres choses que l'on construit.
Général Fraser, vous avez fait une observation sur laquelle j'aimerais avoir des précisions. Vous avez dit que la Bosnie est un succès de l'ONU, mais je crois que toutes les lectures que j'ai faites m'ont appris que les combats ont cessé lorsque l'OTAN est arrivée pour y mettre fin. Ce n'était pas l'ONU, mais bien l'OTAN. Vous êtes arrivé là-bas en béret bleu, mais n'avez-vous pas participé aux opérations de l'OTAN également?
Je dirais que nous avons inversé le paradigme en fait. Quand je suis arrivé là-bas, l'OTAN aurait dû y être également parce que, lorsque j'étais là-bas avec l'ONU, nous larguions des bombes avec des avions de l'OTAN. Pour parler de la chaîne de commandement alambiquée de l'ambassadeur... L'ONU n'avait pas de renseignement, nous n'avions pas de bombes, et nous étions dans une guerre civile en même temps. Lorsque l'OTAN est arrivée, il était trop tard. Le processus de paix de l'ONU s'est embourbé, en quelque sorte. Le général de la Presle, qui était commandant de la FORPRONU, la Force de protection des Nations unies, l'a bien dit. Il a dit que c'était une mission banale, mais qu'il n'y avait rien d'autre pour la remplacer. Voyez où nous en sommes aujourd'hui. En fait, cette mission déficiente a eu des résultats positifs, mais nous avons eu besoin à la fois de l'OTAN et de l'ONU. Nous n'aurions pas pu y arriver tout seuls, et l'autre partie non plus.
Quand je parle à nos anciens combattants et aux membres actifs qui ont fait la Bosnie, et aussi le Rwanda et la Somalie, je constate qu'une part de l'appréhension au sujet du Mali tient aux chaînes de commandement alambiquées. Va-t-on prendre votre appel lorsque vous téléphonerez, comme le général Dallaire se le demandait lorsqu'il était au Rwanda? Croyez-vous — et n'oubliez pas le prix du sang qui sera versé au Mali, dans la perspective du Canada — que l'ONU a suffisamment évolué et tiré des leçons de ces terribles conflits dans lesquels nous nous trouvons plongés?
J'ai confiance dans les Forces canadiennes et je suis convaincu que ce que le Canada déploiera là-bas comportera une chaîne de commandement claire, des règles d'engagement claires de la part du chef d'état-major de la Défense et l'appui de notre gouvernement. J'en suis convaincu. Je n'ai pas confiance dans ce qu'ils vont faire sous l'égide de l'ONU.
Tout de même.
Certains des commentaires que nous avons entendus portaient sur les raisons pour lesquelles les pays envoient leurs troupes dans des camps distincts. C'est parce qu'ils atténuent les risques que la menace fait peser sur leurs troupes. De plus, pour ce qui est de savoir pourquoi ils n'y vont pas dans d'autres camps, c'est qu'ils n'ont pas confiance dans les autres camps et nous voulons protéger notre plus grand bien national, c'est-à-dire une personne. Je ne pense pas que l'ONU — en ce moment — ait ce qu'il faut au Mali.
Merci beaucoup. Nous accueillons un groupe d'experts absolument incroyable.
Si vous me le permettez, je vais résumer un peu les témoignages d'aujourd'hui et ce que nous avons entendu auparavant. Nous entendons parler de la façon dont nous sommes préparés chez nous, de la façon dont nous décidons des opérations et de ce processus décisionnel et de sa rapidité — ou de l'absence de rapidité —, de même que de la façon dont nous intégrons les civils, les militaires et l'ensemble du gouvernement, non seulement avant, mais aussi pendant une mission, ou lorsque nous ne sommes pas en mission.
Étant donné que le continuum des opérations de maintien de la paix change fondamentalement, qu'il est plus complexe, plus large et qu'il faut faire de la prévention et s'occuper d'un conflit une fois qu'il a commencé, je me demande si nous ne devrions pas envisager une structure différente de la façon dont nous décidons et gérons les opérations une fois sur place — avec une formation qui inclut les civils, les militaires et les spécialistes du renseignement — sans oublier la façon dont nous influençons les Nations unies.
Je sais que c'est un long commentaire au début, mais pourrais-je vous demander de décrire comment nous pouvons changer cette grande structure afin de mieux préparer le Canada — parce que cela fait partie de ce que nous sommes à titre de citoyens du monde — à participer à ce à quoi nous devrons probablement participer davantage à l'avenir?
Merci beaucoup de cette question, parce que je pense qu'il est fondamentalement important pour nous d'acquérir une capacité significative pour une approche pangouvernementale au Canada. De plus, il ne faut pas oublier que cette approche pangouvernementale au Canada doit tenir compte du vaste cadre stratégique et opérationnel de l'ONU. Autrement dit, ce que nous essayons de faire lorsque nous décidons d'aller en mission, c'est de nous y intégrer et non pas de réinventer ou de créer notre propre structure.
Il me semble — et je reviens à la question de la formation — qu'il est difficile de le faire en vase clos si nous n'avons pas ce genre d'expérience, que nous n'avons pas parce que nous n'avons pas eu d'unité formée dans une opération de maintien de la paix de l'ONU depuis 2002. Je pense que le point de départ est un centre de formation pangouvernemental et une priorité serait... Le vieux Centre Pearson pour le maintien de la paix comptait aussi des représentants des Affaires étrangères de sorte que l'on a essayé de faire venir des gens clés des Affaires étrangères pour la formation, ainsi que...
Cependant, ce que je viens de vous demander, c'est que vous avez parlé de doctrine. Une doctrine claire est ce qui permet une formation efficace. Ne sommes-nous pas dans une position où nous devons commencer par une doctrine pangouvernementale afin de permettre une formation efficace et multidimensionnelle?
Je suppose que c'est comme la poule et l'oeuf. Je ne sais pas comment vous pouvez...
Mme Leona Alleslev: D'accord.
Mme Peggy Mason: C'est un peu comme le problème de la protection des civils et le fait de ne pas élaborer cette doctrine, parce que c'est extrêmement difficile sans les leçons sur le terrain. La façon habituelle de procéder consiste à acquérir l'expérience pratique des défis qui se posent sur le terrain, puis d'en tenir compte dans votre processus de formation. Je pense qu'il est difficile d'élaborer la doctrine tant que nous ne commençons pas à acquérir un peu plus d'expérience, mais il y a beaucoup de formation que nous pouvons faire à ce stade-ci pour commencer.
Merci beaucoup. J'aimerais ajouter quelque chose.
Peut-être pas au Canada pour ces raisons, mais je pense que c'est en fonction des leçons apprises...
... les Nations unies sont devenues nettement meilleures avec les leçons apprises. Il y a toute une section du département des opérations de maintien de la paix qui se consacre exclusivement aux leçons tirées de missions antérieures, de sorte que c'est accessible. Le Canada, comme État membre, peut y avoir accès. Il n'est donc pas nécessaire de réinventer la roue.
Ce n'est peut-être pas exactement le cas chez nous, mais nous avons beaucoup de Canadiens qui ont participé à des missions et il y en a d'autres. Tous nos autres États membres et nos voisins peuvent aussi y participer.
Merci.
Général Fraser, vous avez mentionné un super sous-ministre. J'ai donc pensé que cela pourrait faire partie de votre réponse.
Je suis d'accord avec l'ambassadrice. Nous avons besoin d'un collège pangouvernemental. Nous avons déjà un pseudo-collège. Il s'agit du Collège des Forces canadiennes à Toronto, qui est un établissement pangouvernemental. Le Programme des études de sécurité canadienne est en cours pour les deux prochaines semaines. Il y a des civils. Il y a des gens du gouvernement. Il y a des militaires. Il y a des étudiants internationaux. C'est un joyau dans la couronne, et la poule et l'œuf... Le Collège des Forces canadiennes doit adopter une approche pangouvernementale. Nous n'avons pas à nous préoccuper de la doctrine, nous en avons déjà une.
J'aimerais que les Canadiens cessent d'être aussi pessimistes à notre égard. Nous savons comment faire ce genre de choses. D'accord? Nous le faisons depuis plus longtemps que quiconque. Tout le monde s'inspire de nous. Les Chinois s'inspirent de nous pour savoir comment mener des opérations. Les États-Unis s'inspirent de nous pour savoir comment mener des opérations. Nous sommes bons. Il nous suffit de commencer à croire en nous et à passer à l'action. Créons donc un collège pangouvernemental.
Je suis désolé. Votre temps est écoulé, mais il reste du temps et vous aurez une autre occasion.
Pour la dernière question du deuxième tour, nous passons à M. Garrison.
Merci beaucoup, monsieur le président. Cette fois-ci, j'ai trois minutes. Je vais donc choisir quelque chose de plus court.
Quelques autres témoins nous ont parlé de la contribution possible du Canada à un quartier général rapidement déployable et de la nécessité de faciliter une intervention rapide lorsque des demandes sont faites.
Je me demande si l'un d'entre vous, y compris Mme Novosseloff à New York, aimerait parler de la rapidité du déploiement.
Oui, il y a des projets au Secrétariat des Nations unies sur une petite force d'avant-garde. C'est son nom et il s'agit notamment d'avoir un quartier général pouvant être déployé rapidement pour une mission. Pour l'instant, il n'a pas été mis à l'essai, parce qu'il n'y a pas de nouvelle mission, mais il est certain que le Canada pourrait affecter à une telle force des officiers d'état-major.
Je tiens également à souligner le fait qu'il existe une doctrine générale à l'ONU, la base de toute doctrine. Il y a toute une gamme de manuels sur la doctrine et je pense que cela devrait être à la base de toute formation que le Canada donne. En effet, d'après ce que j'ai vu sur le terrain, les choses vont mal quand les gens ne savent pas quelles sont les procédures de l'ONU, quand ils n'ont pas été formés sur la façon dont l'ONU mène ses opérations. C'est un point important, à mon avis.
Nous avons en fait un quartier général déployable à disponibilité opérationnelle élevée. Il s'agit du quartier général de la 1re Division du Canada. Je l'ai commandé. Je l'ai défendu pour la raison même de créer, à partir des leçons tirées de l'Afghanistan... Il est axé sur la défense, mais il a des liens avec les Affaires étrangères, Affaires mondiales Canada. Nous avons cette capacité et elle est en disponibilité opérationnelle 24 heures sur 24, 7 jours sur 7.
Merci. Je dois revenir sur ce point. Je suis d'accord avec l'observation selon laquelle les Nations unies ont tiré des leçons et ont une doctrine de base. Je suis très heureuse de cette observation. On nous l'a rappelée. Je parlais simplement d'une lacune très étroite dans la protection des civils, l'absence de doctrine dans ce domaine. Cependant, je dois réagir au sujet du Collège des Forces canadiennes. Il est dirigé par des militaires. L'idée maîtresse d'une opération multidimensionnelle de maintien de la paix de l'ONU est qu'elle est dirigée par des civils.
Merci de votre réponse.
Cela met fin aux deux premières séries de questions officielles. Étant donné le temps qu'il reste et les gens qui m'ont dit qu'ils aimeraient poser une question... J'ai les députés Spengemann, Bezan, Alleslev, Garrison et Robillard. Si nous accordons quatre minutes à chacun, cela nous mènera à la fin de la période de questions. J'aimerais commencer par M. Spengemann.
Vous avez quatre minutes.
Merci beaucoup, monsieur le président.
J'ai deux questions pour Mme Dugal et, s'il me reste du temps, je me ferai un plaisir de le céder à mes collègues libéraux.
Ma première question est la suivante: pourrions-nous vous demander de donner au Comité une idée de l'importance structurelle? Je crois que vous y avez fait allusion dans vos questions ou réponses précédentes. Quelle est l'importance structurelle des éléments civils des opérations de maintien de la paix, du personnel civil? Le Comité doit comprendre l'importance de cette partie de l'opération.
Comme l'a dit l'ambassadrice Mason, je crois, les opérations de maintien de la paix de l'ONU sont menées par des civils. Le chef d'une opération de maintien de la paix dans le système des Nations unies est le représentant spécial du secrétaire général. Il s'agit d'un civil qui relève directement du Conseil de sécurité de l'ONU et qui fait rapport au secrétaire général. Même dans le maintien de la paix traditionnel, le chef de la mission est toujours un civil. Tout ce dont nous avons parlé au cours de la séance, en ce qui concerne la prévention, la diplomatie, le renforcement de l'État, les réformes, etc., est dirigé par des civils.
Le volet militaire, auquel le général a aussi fait allusion, je crois, vient renforcer ce que les civils essaient de faire. Donc, pour ce qui est d'arrêter les combats, oui, mais il faut ensuite un accord de paix et il faut aller de l'avant pour reconstruire la société. Cela ne peut être fait que par des civils.
Merci beaucoup.
La deuxième question est très courte, mais la réponse exige probablement une réflexion très complexe. C'est la question des critères de sortie pour les opérations militaires. Quand et comment devons-nous nous engager dans un processus naissant de consolidation de la paix, un processus de renforcement de la paix, des questions de gouvernance. Ils sont souvent menés en parallèle. Il y a des chevauchements, une séquence, puis nous voyons ensuite le réflexe politique de retirer les troupes à cause de facteurs politiques nationaux — l'argent dépensé, les pertes de vie et le public qui dit qu'il faut se retirer —, mais tout n'est peut-être pas en harmonie avec la trajectoire du pays en question à ce moment-là.
Le rapport HIPPO que j'ai présenté traite du fait que les opérations pour le maintien de la paix sont un engagement à long terme. Ce n'est pas bon marché et vous ne pouvez pas y aller pendant six mois, puis partir.
L'ONU a élaboré une doctrine sur la façon de réduire la participation militaire aux opérations de maintien de la paix à mesure que le processus de paix et la reconstruction de l'État progressent. Cela ne veut pas dire qu'il faut attendre un an avant de retirer tous les éléments militaires. Vous pouvez les réduire et vous pouvez leur donner des tâches différentes.
À mesure que la situation évolue et, espérons-le, qu'elle progresse, vous réduisez l'élément militaire, vous réduisez l'élément policier et, en fait, l'élément civil également. L'ONU réduit tous ces éléments lorsqu'elle constate qu'il y a des progrès. Ensuite, après un certain temps, vous leur confiez des tâches différentes. Au lieu de surveiller un cessez-le-feu, par exemple, ils pourraient aider à sécuriser les frontières. C'est l'évolution. Il y a parfois des progrès, puis il y a ensuite des régressions. Dans ce cas, il faudrait peut-être ramener plus de militaires.
Avant de céder le temps qu'il reste à M. Spengemann, Mme Novosseloff aimerait intervenir. Je vous serais reconnaissant de vous en tenir à un maximum de 60 secondes.
Dans tout le débat, je n'ai pas entendu le mot « gouvernance », qui est la clé de la stabilisation de la crise et des conflits que nous avons. Si le gouvernement malien est partie au conflit, ce qui est le cas, il faut aussi parler au gouvernement malien sur le plan de la gouvernance, parce que ce qui a déclenché le conflit au départ, c'est le manque de respect des droits des minorités dans le Nord, dans l'Azawad. L'origine du conflit est le fait que vous avez un État très centralisé qui ne respecte pas les doléances locales.
C'est la clé pour la sortie, mais nous devons exercer davantage de pression sur le plan de la gouvernance, parce que si vous participez à la traite qui alimente le conflit, alors vous devez y mettre fin. C'est la clé de la stabilisation du conflit.
Bien sûr, il revient toujours aux parties au conflit de trouver une solution. Il y a encore une mission à Chypre, parce que les parties au conflit n'ont pas trouvé le moyen de parvenir à une solution malgré les nombreux processus de maintien de la paix. Ce n'est pas la faute de l'ONU. C'est la faute des parties au conflit.
Merci.
Merci, monsieur le président.
Je veux tout simplement dire que tout le monde autour de la table croit que le renforcement des capacités et l'approche pangouvernementale sont la bonne solution. Certaines des préoccupations portent sur la façon dont l'opération militaire se déroule. Je prends à cœur les commentaires du général Fraser qui dit que nous avons les meilleurs et que nous savons comment faire le travail.
Dans la mission au Mali en particulier, nous avons une mission de l'ONU, nous avons les opérations antiterroristes du G5 Sahel — que le Canada peut appuyer au niveau de l'évacuation sanitaire et du déplacement logistique des troupes — et nous avons aussi les Français. Il y a trois groupes différents qui travaillent là-bas, tous un peu liés, mais avec des missions différentes.
Pour ce qui est des leçons apprises, devrions-nous nous intéresser davantage au succès de la Bosnie? Je sais que c'était à l'envers, mais devrions-nous envisager un groupe dirigé par l'OTAN ou un autre groupe dirigeant les opérations antiterroristes, puis stabiliser la région pour que la paix puisse être rétablie?
Je suis d'accord. Ce qui manque au Mali, c'est une structure de gouvernance qui réunit en fait tous ces éléments.
Nous avions une structure semblable en Afghanistan, et vous pourriez en débattre, mais elle était dirigée par le département d'État. C'est l'armée américaine qui s'en occupait principalement, mais il y avait une opération de lutte contre la drogue. Nous avons toujours eu d'énormes problèmes sur le terrain à essayer de corriger la situation, alors qu'en fait, les gens de l'ONU pouvaient faire quelque chose, d'autant plus que vous aviez une opération antiterroriste en cours en même temps.
Tout d'abord, je m'inquiète de la question du fratricide, puis je m'inquiète des conséquences imprévues. Il s'agit du point faible de la situation du Mali en ce moment. Il y a au moins trois opérations distinctes en cours sans qu'il y ait une coordination au sommet. C'est peut-être quelque chose que le Canada pourrait apporter à un dialogue, en demandant ce que nous pourrions faire pour assurer cette soi-disant cohérence dans l'ensemble de la mission afin d'obtenir de meilleurs résultats sur le terrain.
Merci.
Général Fraser, vous avez mentionné dans un de vos commentaires au sujet des États défaillants que nous avons aujourd'hui — l'Afghanistan, l'Irak et d'autres —, et ce sont les acteurs internationaux qui ont créé l'environnement. Je peux probablement parler du Rwanda et de la Somalie ainsi que du Soudan. Ne blâmons-nous pas aussi les terroristes, les talibans, l'EI? Pour ce qui est de la création de l'environnement en Afghanistan, vous pouvez probablement remonter aux Soviétiques, et même avant cela aux Britanniques, si vous voulez remonter dans le temps. Malheureusement, nous en arrivons à un point où nous avons tous ces méchants, qu'il s'agisse de terroristes, d'insurgés ou d'autres. Nous devons nous en occuper.
Cela concerne en fait votre domaine. Vous êtes les politiciens. Je dirais qu'Oussama ben Laden était une véritable menace qui nous a attaqués le 11 septembre. Nous sommes allés en Afghanistan pour contrer la menace qui nous avait attaqués sur notre territoire et qui a tué des Canadiens. À un moment donné, quelqu'un a pris la décision de se débarrasser du régime taliban. Colin Powell a alors dit: « Qui casse paye. » Dans le cas de Saddam Hussein, nous l'avons appuyé pendant combien d'années lorsqu'il luttait contre l'Iran? Pour ce qui est de Mouammar Kadhafi, nous l'avons appuyé pendant combien d'années avant de nous en débarrasser? Ce sont des décisions politiques et il n'appartient pas à un militaire de vous en parler. Lorsque vous créez une situation, vous allez jusqu'au bout. Dans le cas des hommes et des femmes sur le terrain — civils, militaires, tout le monde —, c'est vraiment compliqué et il n'y aura pas de solution avant deux ou trois ans.
J'aimerais revenir un peu en arrière pour comprendre peut-être pourquoi le Canada a pris autant de temps pour décider de cette mission et si, à votre avis, nous avons une approche pangouvernementale qui inclut actuellement tous nos civils qui font des choses qui n'ont peut-être pas une composante militaire, quant à la façon dont nous décidons où nous allons, ce qui se trouve dans notre budget au niveau de l'aide ou de quoi que ce soit d'autre, pour ce qui est de la prévention. A-t-on actuellement une approche pangouvernementale, de la prise de décisions au pays à la prévention, en passant par l'opération? Sinon, à quoi cela devrait-il ressembler?
Zoé.
Encore une fois, c'est une grande question. Je ne vais pas parler du côté militaire. Je pense que le général peut répondre à cette question s'il a des points à faire valoir.
Non, je ne pense pas que nous ayons une approche pangouvernementale. Je ne pense pas que le Canada ait une politique cohérente quant aux endroits où envoyer des civils. Les civils qui servent actuellement au sein de l'ONU le font surtout à titre personnel. En Ukraine, nous apportons une petite contribution à la mission de maintien de la paix de l'Organisation pour la sécurité et la coopération en Europe, l'OSCE. Le Canada gère cela pour Affaires mondiales Canada, de sorte que le financement et la décision sont venus d'Affaires mondiales.
Pour ce qui est d'autres missions, il n'y en a pas. Pour faire écho aux propos de l'ambassadrice Mason, la formation est extrêmement importante. Il y a aussi d'autres aspects. Normalement, lorsque vous déployez des civils, des militaires et des policiers, vous les déployez, vous les formez, vous les préparez, vous les envoyez, puis vous les ramenez. Vous les réintégrez, vous leur donnez un recyclage, puis vous les envoyez de nouveau. C'est le continuum que propose l'ONU. Le soutien en cours de mission touche aussi un aspect dont nous n'avons pas discuté aujourd'hui, c'est-à-dire le devoir de diligence. C'est lorsqu'un gouvernement décide d'envoyer des civils, des militaires et des policiers dans n'importe quelle situation à l'étranger. Il y a un devoir de diligence de la part de ceux qui les envoient. Il s'agit d'un aspect où vous pouvez fournir un soutien en mission aux Canadiens qui servent à l'étranger.
Tout d'abord, lorsqu'on regarde la situation au Mali, on aurait pu envisager le type d'opération qui a été menée en Afghanistan sous la forme d'une force multinationale. Pour l'instant, ce n'est pas une voie qui a été empruntée par la communauté internationale, de sorte que l'ONU est présente pour faire ce qu'elle peut afin de stabiliser un certain nombre de centres au Mali, dans le nord. Mais il y a certainement une limite à ce qu'elle peut faire, c'est-à-dire le maintien de la paix.
Je suis d'accord avec les commentaires quant à ce que nous avons, comme pays.
Je pense que nous avons perdu quelque chose lorsque... David Mulroney était un super sous-ministre. Nous l'avons compris. Je pensais que lorsque cette capacité est arrivée, ce que je voyais et ressentais en Afghanistan s'était amélioré du tout au tout. C'était bien. La situation s'est améliorée à 100 %. Je pense que le rapport Manley...
Nous avons besoin de quelque chose qui rassemble tous les ministères pour briser les cloisonnements et, en fait, faciliter et habiliter. Pour tout ce que nous faisons à l'échelle internationale, il nous faut quelqu'un chez nous qui puisse réellement exploiter cette énergie et amener Équipe Canada à faire ce qu'il faut.
Merci beaucoup, monsieur le président.
Le gouvernement a parlé d'une série de ce que j'appelle des contributions ciblées. Il aime les appeler des « promesses intelligentes », et un engagement d'un an seulement au Mali.
Dans ma question, je vais simplement faire le tour de nos témoins aujourd'hui. Croyez-vous que ce genre d'approche nous permettra d'acquérir les connaissances dont nous avons besoin pour reprendre un rôle de chef de file dans le maintien de la paix? Quelle que soit leur valeur, cela nous ramène-t-il en réalité au rôle traditionnel de chef de file dans le maintien de la paix?
Je vais commencer par Mme Dugal, puis nous allons faire le tour.
Une année, ce n'est rien pour ce qui est... Ce sera quelque chose pour les hommes et les femmes qui servent là-bas, bien entendu, alors je pense que c'est une expérience personnelle précieuse. Pour ce qui est de la façon dont le Canada tire des leçons de cette expérience et de la façon dont nous contribuons à l'ONU en général, je ne pense pas qu'une année soit... Cela ne paraîtra pas très crédible non plus dans le système des Nations unies.
Oui, pour faire écho à ce que vous avez dit, les Pays-Bas et l'Allemagne ont tous deux des engagements de trois ans et c'est vraiment ce que les Nations unies demandent, une certaine continuité. Nous nous préparerons essentiellement à partir lorsque nous arriverons, ce qui n'est donc pas suffisant.
Si vous me le permettez, j'aimerais revenir rapidement sur cette discussion du commandement et du contrôle de l'ONU. L'ONU a fait d'énormes progrès à cet égard et des études indépendantes remontant jusqu'en 2009 ont révélé que le commandement et le contrôle décentralisés, jusqu'au chef de mission au niveau opérationnel, le représentant spécial du secrétaire général, qui a également une fonction quasi stratégique, étaient de loin supérieurs au commandement et au contrôle de l'OTAN.
La nouvelle question qui est soulevée est celle qui a été soulevée au sujet du moment où vous avez deux autres missions en cours, comme au Mali. Comment peut-on assurer ce genre de coordination? Il n'appartient pas à un État membre de dire qu'il va le faire. La solution consiste à aider le Conseil de sécurité de l'ONU et le siège de l'ONU à trouver le genre de mécanisme qu'ils peuvent mettre au point pour assurer ce genre de coordination stratégique au cours des trois missions.
Général Fraser, pensez-vous que nos contributions actuelles sont suffisantes pour nous ramener au rôle de chef de file en matière de maintien de la paix?
En un mot, non. C'est fragmentaire. Il n'y a pas de cohérence. Il n'y a pas d'approche d'Équipe Canada qui donne une concentration de masse pour répondre à l'aspiration mentionnée par notre premier ministre. Je pense que les éléments sont là, mais qu'ils ne sont pas bien présentés.
Madame Novosseloff, qu'est-ce que le Canada apporte réellement à la table qui serait utile maintenant?
Je pense qu'il faut une contribution plus globale. C'est certainement assez facile, comme d'envoyer un certain nombre d'officiers d'état-major, non seulement au Mali, mais dans le cadre de quelques autres opérations de maintien de la paix, de sorte que vous recommencez à apprendre ce qu'est le maintien de la paix de l'ONU, comment l'ONU fonctionne sur le terrain, puis d'envoyer plusieurs civils, peut-être pas le représentant spécial du secrétaire général, mais des représentants spéciaux adjoints du secrétaire général, des chefs d'état-major, qui sont des postes très importants dans le système. C'est ainsi que vous pourrez acquérir de nouveau les connaissances essentielles à toute contribution.
Merci.
[Français]
Je vous remercie, monsieur le président.
Ma question s'adresse à tous les témoins.
Alors que plusieurs témoins précédents nous ont fait part de l'importance des femmes dans les missions de paix, quelles mesures les Nations unies devraient-elles prendre pour que la participation des femmes aux efforts de résolution de conflits soit considérée comme une priorité et une partie essentielle du maintien de la paix et de la sécurité internationales?
Je vais encore répondre la première.
D'abord, il faut que les femmes soient impliquées à tous les niveaux. Il ne suffit pas d'envoyer quelques femmes dans certains contingents. Dès le début d'une négociation de paix, dans l'accord de paix, il faut que les femmes locales ou du pays concerné soient impliquées dans tous les aspects des négociations. Or cela n'a pas été fait vraiment. Les quelques fois où cela a été fait, ce fut un grand succès.
C'est prouvé que les négociations de paix qui ont impliqué les femmes locales ont amené une paix durable dans ces pays, parce que les femmes ont une autre position et voient les choses différemment. Souvent, ce ne sont pas des combattantes. Elles viennent des communautés et ce sont des leaders locales. Elles présentent une perspective et pensent à inclure des choses dans l'accord de paix que les hommes n'incluraient pas.
Il est crucial que les femmes soient impliquées à tous les niveaux, et ce, dès le début. Ensuite, il faut voir comment on peut les intégrer dans l'ONU. Du côté civil, il y a des femmes. En fait, dans l'ONU, il y a plus de femmes que d'hommes. Par contre, il faut amener les femmes à prendre des postes de leadership. Il y a des femmes aux niveaux plus bas et d'autres au milieu, mais il faut que des femmes occupent la fonction de représentant spécial du secrétaire général et qu'elles soient dans les hauts niveaux des missions de l'ONU. De plus, il doit y avoir des femmes au siège social de l'ONU, à New York, et pas seulement sur le terrain.
Du côté militaire et des services policiers, c'est chaque État membre qui doit s'occuper d'augmenter le nombre de femmes dans ces organisations. Il faut commencer par avoir plus de femmes dans les services de police et dans l'armée. Ensuite, ces femmes seront déployées sur le terrain. S'il n'y a pas de femmes dans les services de police, on ne peut pas les envoyer à l'étranger.
En gros, c'est ma réponse.
[Traduction]
Merci beaucoup.
Oui, il est absolument important d'inclure les femmes dans le processus de paix, mais cela veut dire qu'il faut avoir un bon processus de paix. Cela fait partie du tableau d'ensemble. Il ne s'agit pas simplement de dire que nous appuyons les femmes. Il s'agit d'appuyer de façon concrète le processus de paix. C'est la même chose pour les Casques bleus. Le Canada a lancé une initiative visant à promouvoir un plus grand nombre de femmes Casques bleus. Donnons l'exemple et envoyons plus de Casques bleus, y compris plus de femmes Casques bleus.
Merci.
[Français]
[Traduction]
Merci beaucoup.
Que nous l'appelions — j'ai pris en note quelques nouvelles appellations — opérations de paix, opérations de soutien de la paix, opérations de maintien de la paix, ou opérations de l'ONU, c'est vraiment la nature fondamentale de la conversation qui va faire avancer les choses.
Je vous suis vraiment reconnaissant à tous les quatre de votre participation. Cela a ajouté de la valeur à ce que nous essayons de faire ici. Nous vous remercions de votre temps.
Merci beaucoup.
La séance est levée.
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