:
Monsieur le président, mesdames et messieurs, je vous remercie beaucoup de nous donner l'occasion de vous parler aujourd'hui. Comme vous l'avez mentionné, je suis accompagné du lieutenant-colonel Jacques Allain. Nous représentons le volet de l'instruction sur les opérations terrestres. Bien sûr, le colonel Allain est le commandant du Centre de formation pour le soutien de la paix et je suis responsable de la doctrine et de l'instruction de l'Armée canadienne.
En tant que commandant du Centre de doctrine et d'instruction de l'Armée canadienne, je suis responsable de tout l'entraînement aux opérations terrestres dans l'armée, de même que dans la Force aérienne et la Marine, pour le travail que les membres effectuent dans le domaine terrestre, donc s'ils font quelque chose sur le terrain.
Les domaines fonctionnels dont je suis responsable comprennent tant l'instruction individuelle que l'instruction collective, la formation militaire professionnelle, la simulation, la doctrine, ainsi que la mise en oeuvre des leçons retenues. Le lieutenant-colonel Allain est responsable de toutes les activités et de la formation menées par le Centre de formation pour le soutien de la paix, qui fera probablement l'objet de bon nombre de vos questions.
Ma déclaration préliminaire vous donnera un aperçu du mandat du Centre de formation pour le soutien de la paix et bien sûr, nous répondrons plus tard à vos questions en alternance s'il y a lieu. Nous pourrons vous donner des précisions si vous le souhaitez.
Il ne fait aucun doute que la publication de « Protection, Sécurité, Engagement », notre nouvelle politique de défense, fournit une approche nouvelle et révisée en ce qui concerne les priorités et les efforts de la Défense nationale. Elle prévoit la croissance de la Force régulière et de la Force de réserve, des investissements dans les capacités émergentes et souligne les missions fondamentales qui permettront au Canada d'apporter une contribution à la paix et à la sécurité internationales. Je crois que c'est pertinent pour les délibérations de votre comité, car les investissements concernant l'armée passent directement par le Centre de formation pour le soutien de la paix.
Dans le cadre de l'approche globale du gouvernement du Canada, il est fort probable que l'Armée canadienne soit appelée à mener des opérations expéditionnaires à l'étranger, tant de façon conjointe que dans un contexte de coalition. Les forces terrestres demeurent décisives dans la résolution des conflits et l'Armée canadienne doit demeurer prête et être capable de déployer des forces terrestres adaptables et agiles aux endroits et au moment où le gouvernement du Canada a besoin de puissance terrestre.
La participation continue de l'Armée canadienne à l'appui des opérations des Forces armées canadiennes, comme l'aide aux forces de sécurité locales qui combattent Daech en République d'Irak et en Syrie, l'appui aux mesures de défense et de dissuasion de l'OTAN en Europe centrale et orientale, la formation militaire et les opérations de renforcement des capacités en Ukraine, et la formation des forces armées du Nigeria, témoignent de la capacité de l'Armée canadienne à mettre sur pied et à déployer des éléments terrestres pouvant réagir avec rapidité et souplesse et de façon soutenue, ce dont nous avons besoin.
Le Centre de doctrine et d'instruction de l'Armée canadienne est, j'ose espérer, un établissement d'instruction adaptable et novateur qui est le centre d'excellence des Forces armées canadiennes pour les opérations terrestres et l'instruction. Il a recours à des pratiques et à des technologies de pointe pour former des équipes et des leaders professionnels et dominants sur le plan cognitif qui sont entièrement prêts à participer à une vaste gamme de missions, peu importe le type d'environnement. Nous essayons vraiment de nous assurer qu'il n'y a pas d'individu armé lors d'une mission. Nous voulons un soldat dominant sur le plan cognitif qui peut réfléchir, intervenir et prendre les mesures qui s'imposent au nom du gouvernement.
À ses modestes débuts en 1996, le Centre de formation pour le soutien de la paix comptait huit militaires chargés de préparer des officiers pour les missions de l'ONU en tant qu'observateurs militaires. Il est maintenant chargé de former des experts militaires aux activités d'influence et d'appuyer la formation préalable au déploiement des individus ou des petites équipes de mission.
L'an dernier, dans le cadre d'une réorganisation de l'armée, le Centre de formation pour le soutien de la paix est devenu une unité relevant directement du Centre de doctrine et d'instruction de l'Armée canadienne. Le résultat souhaité est de rationaliser les efforts de l'ensemble du système de formation et d'optimiser ainsi l'intégration de la formation spécialisée. En outre, cela signifie que le lieutenant-colonel Allain s'adresse directement à moi, tout comme je m'adresse directement au commandant de l'armée, si nous constatons que nous n'avons pas les ressources ou l'équipement voulus pour l'exécution du mandat.
En tant qu'établissement d'instruction interarmées, interorganisationnel et multinational, le Centre de formation pour le soutien de la paix a pour vision d'être reconnu par tous les ministères du gouvernement canadien et ses alliés en tant que formateur de choix et expert dans la prestation de l'instruction individuelle de préparation. Cela comprend l'instruction individuelle de préparation et la formation sur les milieux hostiles; les experts militaires des Nations unies en mission; le renforcement des capacités des forces de sécurité; les opérations d'information; les opérations psychologiques; et la formation et les cours sur la coopération civile et militaire. J'ai lu les biographies des membres du Comité, et je sais très bien qu'ils ont une vaste connaissance des questions liées à la défense, mais nous serons ravis de leur donner de plus amples renseignements sur ces formations s'ils le souhaitent.
Le Centre de formation pour le soutien de la paix offre une formation individuelle spécifique pour préparer certains membres des Forces armées canadiennes, d'autres ministères et du personnel militaire étranger à des opérations à spectre complet dans l'environnement opérationnel contemporain, tout en assumant les responsabilités de notre centre d'excellence. Nous préparons nos soldats et les civils qui travailleront avec eux à un contexte de guerre et nous faisons les ajustements nécessaires sur le plan des connaissances et de la formation si nous nous engageons dans une opération de soutien de la paix.
À titre d'exemple de responsabilités du Centre d'excellence, le Centre de formation pour le soutien de la paix coordonne la prestation de la formation de sensibilisation culturelle pour les Forces armées canadiennes par l'entremise du Centre d'apprentissage interculturel d'Affaires mondiales Canada. De même, le Centre de formation pour le soutien de la paix joue un rôle clé quant à la nécessité permanente de préparer les militaires à faire face à la réalité de la conduite d'opérations dans des situations où il y a des enfants soldats. Cela relève de la publication générale sur les populations vulnérables dont les enfants soldats constituent un sous-ensemble. À cet égard, la formation des forces terrestres est dirigée par le Centre de doctrine et d'instruction de l'Armée canadienne.
Bien que le Centre de formation pour le soutien de la paix soit un établissement de formation, il fournit régulièrement des renforts individuels aux missions en cours ainsi que des experts lors de visites d'aide.
Actuellement, le Centre de formation pour le soutien de la paix assure les deux premières rotations des conseillers pour la sensibilisation à l'égalité des sexes auprès du commandant de la Force opérationnelle au Mali. En outre, nous permettons aux forces armées libanaises de développer leur première capacité de coopération civilo-militaire.
Comptant un peu moins de 60 employés, le Centre de formation pour le soutien de la paix offre chaque année de la formation à plus d'un millier de membres des Forces armées canadiennes et jusqu'à 300 employés d'Affaires mondiales Canada déployés dans des environnements dangereux. Il offre également une formation à des officiers internationaux — entre 60 et 70 officiers — qui viennent au Canada pour recevoir notre instruction de calibre mondial.
Le Centre de formation pour le soutien de la paix représente également le Canada à de nombreuses conférences de formation au maintien de la paix dans le monde.
Au cours de la dernière année, le Centre de formation pour le soutien de la paix a exporté nos connaissances en matière de coopération civilo-militaire en Mongolie et a fourni un instructeur au sein d'une équipe multinationale composée de personnel canadien, néerlandais, autrichien, allemand et suisse. Cette équipe a été chargée d'aider le département vietnamien des opérations de maintien de la paix à mettre en place un cours d'expert militaire en mission des Nations unies afin qu'ils puissent être accrédités par les Nations unies et avoir la capacité d'organiser des cours pour leurs propres militaires ainsi que ceux des pays voisins.
Pour terminer, je voudrais souligner que le Centre de formation pour le soutien de la paix a une longue histoire d'excellence dans la prestation de formations certifiées par les Nations unies au niveau tactique et qu'il a réussi à obtenir un impact tant opérationnel que stratégique grâce à ses partenariats nationaux et internationaux.
Le Centre de formation pour le soutien de la paix jouit d'une réputation d'excellence en matière de formation et ses instructeurs et son matériel pédagogique sont très recherchés au Canada et à l'étranger.
[Français]
Étant donné que j'ai eu peu de temps pour préparer ma présentation d'aujourd'hui, elle n'était qu'en anglais et je m'excuse. Le lieutenant-colonel Allain et moi-même sommes prêts à répondre à vos questions dans la langue de votre choix.
:
Merci, monsieur le président. Je vous remercie de me donner l'occasion de témoigner devant le Comité.
C'est pour moi un honneur que de comparaître de nouveau devant vous pour traiter de cet important sujet. Vous saurez peut-être que je suis géographe politique spécialisée dans la reconstruction d'après-guerre. J'enseigne au Collège des Forces canadiennes à Toronto et au Collège militaire royal à Kingston.
Dans une position unique, je suis une des seules civiles canadiennes à avoir travaillé pour les trois grands établissements que sont le Centre Pearson pour le maintien de la paix, le Centre de formation pour le soutien de la paix et le Peacekeeping and Stability Operations Institute des États-Unis, qui s'emploient tous à assurer l'excellence en matière de recherche, de formation et de mentorat dans le milieu international des opérations de maintien de la paix.
Les Forces canadiennes font souvent appel à moi pour travailler avec elles au sujet des dimensions complexes de l'identité et de la culture dans le cadre des interventions. Il s'agit essentiellement de la manière de gérer les problèmes des gens qui se manifestent lors de conflits. La raison pour laquelle les gens touchés par des conflits réagissent à nos interventions, aussi appelées opérations de maintien de la paix, et la manière dont ils le font peuvent vraiment surprendre un grand nombre d'intervenants occidentaux.
C'est de ce point de vue théorique et pratique que je témoigne devant le Comité. Aujourd'hui, je veux porter à votre attention deux concepts dans le cadre de votre étude sur la contribution du Canada aux efforts internationaux de maintien de la paix. Il faut d'abord déterminer si le maintien de la paix est une question de défense et de sécurité nationales ou une affaire d'identité nationale. Il faut également voir comment le maintien de la paix cadre dans le spectre des opérations et de quelle manière la hiérarchie des besoins de Maslow peut nous aider à gérer des attentes relatives à notre contribution aux efforts internationaux de maintien de la paix.
Pour commencer, je nous orienterai vers la sécurité collective et la transition en cours au sein de la communauté internationale. Nous savons que le Canada fait partie d'une toile de sécurité collective à l'intérieur de laquelle il investit ses capacités en matière de diplomatie, de défense, de développement et d'intervention humanitaire, ainsi que les capacités du secteur privé pour pouvoir travailler côte à côte avec ses alliés dans des régions peu sûres du monde, et ce, non seulement pour atténuer les souffrances des populations, principalement civiles, mais aussi pour protéger la souveraineté du Canada et la sécurité des Canadiens. Nous savons en outre que le Canada et la communauté internationale sont au coeur d'une transition au chapitre de la compréhension, rompant avec les modèles de paix et de sécurité du XXe siècle pour s'adapter aux tendances émergentes en matière de sécurité du XXIe siècle.
Nous savons que la grande majorité des documents, des théories et des pratiques assimilent le maintien de la paix aux opérations de paix et que ce terme d'« opérations de paix » est en fait l'expression fourre-tout du jour. Après avoir lu tous les témoignages que votre comité a entendus cette année au cours de ses séances, je veux que nous nous attardions au sens et à l'utilité derrière ces mots plutôt qu'aux mots eux-mêmes.
Les preuves scientifiques nous montrent que la seule chose qui ne changera pas au cours de la transition de compréhension, c'est le comportement humain suscité par les conflits armés violents. Les scientifiques ont la certitude que les personnes touchées par des conflits tendent à agir, à réagir, à se réorienter et à se comporter de la même manière dans la quasi-totalité des cultures, des géographies, des religions, des structures sociales, des économies et des idéologies. Dans un monde en transition, c'est quelque chose sur lequel nous pouvons malheureusement compter.
Commençons par une mise au point. Essentiellement, quel sens conférez-vous au maintien de la paix? S'agit-il d'une politique, d'une stratégie en matière de sécurité, d'un mécanisme de gestion de conflit? Est-ce un élément de l'identité canadienne? Pouvez-vous décider si le maintien de la paix est un nom, une chose, un verbe ou une activité? Comme vous l'avez manifestement déterminé, le maintien de la paix peut, pour bien des raisons, être tout cela.
Comme d'anciens témoins vous l'ont indiqué, Dag Hammarskjöld et Lester B. Pearson considéraient le maintien de la paix comme une activité favorisant l'établissement d'un environnement propice aux cessez-le-feu et aux accords de paix. D'autres invités ont aussi laissé entendre que le maintien de la paix est mort et que nous devons tout simplement passer à autre chose.
C'est important, car le maintien de la paix a survécu à titre d'activité des Nations unies parce qu'il constitue un outil efficace de gestion des conflits quand on l'applique à des situations conflictuelles précises. En pratique et en théorie, la boîte à outils s'appelle « opérations de la paix » et le maintien de la paix n'en est qu'un outil; pourtant, le concept de maintien de la paix a survécu dans les esprits des Canadiens, car son sens est important pour l'identité de la nation canadienne.
On nous affirme que le maintien de la paix fait partie de la mémoire collective du Canada et que s'il est mort, une partie du Canada l'est aussi. Les gens sont très sensibles à la question. L'idée même de la mort du maintien de la paix peut susciter beaucoup de haine au sein des médias, du gouvernement et de la population canadienne.
Si les sens du maintien de la paix sont multiples, alors nous devons maintenir son utilité à titre de composante utile de l'identité canadienne, tout en composant avec les limites qu'a cet outil parmi tant d'autres, en l'incluant dans le spectre des opérations qui tirent leurs racines dans le XIXe et le XXe siècle et qui sont mises de côté ou nouvellement adaptées aux environnements de sécurité émergents du XXIe siècle.
Il devient probable que le Canada voudra être au coeur des discussions internationales visant à trouver et à appliquer de nouvelles manières de gérer les conflits, si le maintien de la paix fait bel et bien partie de notre identité nationale. Nous possédons de l'expérience dans toutes ses applications à l'intérieur du vaste spectre des opérations. Le Comité considérera alors peut-être que le maintien de la paix est une question comportant de multiples facettes au chapitre de la défense et de la sécurité nationales, ainsi qu'une question qui touche l'identité canadienne.
Autrement dit, le sens compte dans les discussions. Cela pourrait nous aider à comprendre les rôles et les responsabilités du Canada dans le cadre des opérations de la paix, ainsi que dans l'application et la réinvention du concept. Quelle est la place du maintien de la paix? Comment cadre-t-il dans le spectre des opérations?
Avez-vous reçu des diapositives aujourd'hui?
:
Formidable. Je vais simplement poursuivre en décrivant ce que je veux dire.
Nous devons comprendre où le maintien de la paix cadre dans le spectre des opérations. Dans les études sur la paix et des conflits, nous utilisons un concept appelé « onde de conflit ». Concrètement, il s'agit d'un graphique qui montre l'escalade du conflit dans la société jusqu'à ce qu'il culmine avant de s'atténuer alors que la paix revient dans la société, la communauté, la région, voire un pays tout entier. Nous en apprenons au sujet de cet outil dans le cadre des études sur la paix et les conflits parce qu'il nous permet, de manière bidimensionnelle, d'imaginer ce qu'il se passe dans un pays quand un conflit prend de l'ampleur ou quand se produisent des faits qui entraînent une communauté dans un conflit armé violent. Cet outil s'appliquerait aussi quand la communauté internationale remarque des éléments au sujet desquels on recourrait à la diplomatie et à la défense, au développement et à l'humanitarisme, ainsi que des interactions à long terme comme le maintien de la paix à l'intérieur d'un spectre au fil du temps.
Nous savons maintenant que les conflits s'accompagnent de bien des menaces émergentes et des éléments déclencheurs, mais nous ne savons plus comment les illustrer dans un format bidimensionnel.
J'ai ici le graphique, où vous pouvez voir l'ondulation, mais je ne veux pas y faire référence si vous ne l'avez pas devant vous.
L'idée, c'est qu'on peut utiliser le maintien de la paix une fois le conflit a commencé à s'atténuer et que les hostilités sont suspendues pour permettre à la communauté internationale d'intervenir avec cet outil particulier. Cependant, d'autres facettes relatives au conflit et à la paix doivent être en place pour qu'on puisse obtenir des résultats durables, et pour que la communauté ou la nation elle-même devienne responsable dans le cadre de sa propre structure de gouvernance et aille de l'avant dans la paix.
Avant de sauter à la conclusion que les conflits ne surviennent plus dans ce genre de modèle linéaire, comme c'était autrefois le cas entre les États et quand nous avons adopté ce que nous appelons les concepts postwestphaliens de conflit armé et de guerre, considérez que les esprits les plus brillants n'ont pas encore trouvé de meilleur moyen d'illustrer les conflits dans un diagramme en deux dimensions. Nous n'avons pas accès à des modèles en trois dimensions dans le cadre de la séance d'aujourd'hui.
Nous discutons en fait de la manière dont nous illustrons les conflits et de la façon dont les mécanismes de gestion des conflits peuvent induire le changement que nous cherchons.
J'enseigne, notamment aux Forces armées canadiennes, ce qu'il se passe quand nous participons aux opérations en nous attaquant par la mauvaise extrémité de la hiérarchie de Maslow. Si vous connaissez cette hiérarchie, à laquelle j'ai fait référence au début de mon exposé, vous saurez que quand il est question du comportement humain, il faut s'occuper d'abord des besoins situés au bas de la pyramide. Ce n'est qu'ensuite que les gens peuvent commencer à combler leurs autres besoins. Il faut donc partir des besoins physiologiques de base pour passer à l'estime de soi, à l'appartenance, à l'amour et à l'épanouissement. Certains ont illustré cette hiérarchie du point de vue communautaire. Si une communauté est aux prises avec un conflit, particulièrement un conflit armé violent, la plupart de ses besoins ne sont pas satisfaits et elle se retrouve au bas de la pyramide. Il faut beaucoup de temps pour s'élever de cette situation et atteindre les autres niveaux pour en arriver enfin à l'épanouissement.
Les besoins humains se classent dans un ordre défini, et lorsqu'ils sont satisfaits dans le bon ordre, l'être humain peut concrétiser son potentiel. Quand la capacité de satisfaire tous les besoins de la hiérarchie est compromise, l'être humain ne peut être satisfait et encore moins concrétiser son potentiel.
Les gens sont dominés par leurs besoins insatisfaits et ne se comportent qu'en fonction de ces derniers. Nous parlons d'une situation d'après conflit. Si la faim est satisfaite, elle n'a plus d'importance dans la dynamique de la personne. Une personne privée de nourriture, de sécurité, d'amour et d'estime fera probablement passer la faim avant tout le reste; tous les autres besoins deviennent non existants. Une fois les besoins de base satisfaits, d'autres besoins supérieurs de la pyramide émergent immédiatement, et ce sont eux plutôt que la faim psychologique qui domine la personne. Quand un besoin comme la faim devient chronique, c'est comme si la personne ne vivait que pour le satisfaire.
L'acte d'intervention vise à satisfaire ces besoins humains. Plutôt que de chercher à combler les besoins émotionnels et physiques de base des gens touchés par les conflits, nombre de modèles d'intervention de la fin du XXe siècle et du début du XXIe siècle ciblaient les attentes vers le sommet de la pyramide, s'occupant du libéralisme démocratique, du mentorat politique, des droits de la personne, de l'égalité entre les sexes et des systèmes d'éducation nationaux en procédant à une réforme du secteur de la sécurité et en renforçant l'économie. Oui, ces actions ont une utilité et un sens, mais elles ne cadrent souvent pas avec les réalités sur place.
Voilà qui nous empêche souvent d'atteindre réellement les objectifs de la mission et d'obtenir des résultats reconnus par le milieu politique. Bien du sang canadien a coulé en raison du décalage entre les objectifs politiques et l'efficacité du mécanisme dans une situation de conflit. Autrement dit, alors que nous avons pour but l'épanouissement de l'État et visons donc le besoin situé au sommet de la pyramide, nos interventions s'effectuent dans des environnements complexes où les civils et les belligérants ne cherchent qu'à satisfaire leurs besoins de base et à assurer leur sécurité personnelle, besoins qui se trouvent au bas de la pyramide.
Quel sera le résultat si les mécanismes comme le maintien de la paix sont en constant décalage par rapport aux objectifs politiques et aux ressources disponibles pour atteindre ces derniers?
La communauté internationale — et plus précisément les États occidentaux — a les yeux fixés sur le sommet de la pyramide de Maslow, et nous nous demandons pourquoi le maintien de la paix ne permet pas aux peuples touchés par la guerre d'atteindre plus rapidement le sommet de la pyramide. Pourquoi l'état d'épanouissement n'est-il pas atteint quand nous nous en allons? Il est essentiel de gérer les attentes quant à l'efficacité de l'outil de gestion des conflits. Si nous commençons par le bas de la pyramide, des mécanismes sont en place pour résoudre les problèmes à mesure que nous gravissons la pyramide dans une société touchée par un conflit, mais nous sautons souvent des étapes; il faut donc faire attention à cela.
Enfin, en guise de sommaire, je prodiguerai trois recommandations au Comité.
Je vous recommande d'abord de gérer les sens que vous conférez au maintien de la paix, car ces sens sont importants. Ensuite, réfléchissez à l'extrémité de la pyramide à laquelle vous pensez que le Canada devrait porter attention, puis affectez des ressources aux opérations. Enfin, mettez le Canada au coeur des discussions afin de moderniser les outils de gestion des conflits en fonction du contexte émergent de sécurité du XXIe siècle. Souvenez-vous que nous devons faire de bonnes choses, mais aussi les faire pour des raisons stratégiques.
Merci.
:
Il faudra beaucoup de ressources, une grande volonté politique et l'instauration opportune de mécanismes adéquats aux différentes étapes des opérations, en fonction de l'intensification et de l'apaisement du conflit. Si j'ai donné une réponse peu encourageante, c'est parce que les voies et les moyens ne correspondent pas à l'objectif politique.
En langage militaire, on parle de fins, de voies et de moyens, de réflexion stratégique qui accorde ces trois éléments. Les fins sont l'objectif politique ou le but; les voies sont ce qu'on appellerait le maintien de la paix dans notre discussion d'aujourd'hui et l'ensemble des opérations de paix, y compris les efforts diplomatiques et de développement qui s'ajoutent aux deux côtés; et les moyens sont les ressources dont nous disposons.
Présentez l'objectif politique aux représentants militaires qui étaient ici tout à l'heure et ils définiront les ressources nécessaires pour l'atteindre. C'est là où ils excellent. Comme ce sont de très bons planificateurs, ils peuvent mettre le plan à exécution. Le problème, c'est qu'il y a souvent un écart entre l'objectif, le rôle général que le Canada veut jouer sur la scène internationale et la situation sur le terrain. Lorsqu'il y a disparité entre ces éléments, souvent, les gens qui reviennent du terrain disent qu'ils ne savent pas pourquoi ils n'ont pas pu obtenir des résultats tangibles, qu'ils ne comprenaient pas ce qu'ils faisaient et que l'information qu'on leur a fournie avant leur départ ne correspondait pas à la réalité sur le terrain.
J'instruis des centaines d'officiers canadiens et j'ai offert des cours à ce sujet à des gens de partout dans le monde. Lorsque cette disparité est présente, la réalité sur le terrain prend le dessus, et les gens comprennent qu'ils ne pourront pas contribuer au développement à long terme de la communauté; la communauté doit le faire elle-même. Je le répète, nous ciblons le sommet de la hiérarchie de Maslow. Nous devons gérer nos attentes en fonction de ce que les mécanismes de résolution de conflits permettent de faire. C'est pour cette raison que j'ai répondu non.
:
Il est prouvé que le développement économique est le facteur qui permet aux populations en guerre de se remettre de manière générale. On vante les bienfaits du développement économique, après un conflit, pour prévenir une recrudescence du conflit. Le nombre de jeunes hommes occupant un emploi en Côte d'Ivoire, après le conflit, a été étroitement lié à l'établissement de la société pacifique et durable souhaitée. Le développement microéconomique est essentiel au maintien de la paix et à la création d'un environnement propice à la paix.
Il s'agit également d'un moteur pour les collectivités, les pays et les nations. Prenons l'exemple de la Bosnie, un pays qui faisait partie du plus vaste réseau économique de l'ex-Yougoslavie, avant qu'elle ne sombre dans le conflit, quand l'ex-Yougoslavie s'est effondrée. L'une des planches de salut qui a permis à certains de ces pays de se rétablir à long terme, sur la base des Accords de paix de Dayton, a été la possibilité de se joindre à l'Union européenne et aux organisations économiques qui deviendraient partie intégrante de leur avenir. D'un point de vue macroéconomique, cela peut également inciter les pays, ou à tout le moins des entités évoluant au sein d'un pays brisé, des factions, à devenir partie intégrante de la communauté internationale, du patrimoine mondial.
S'il y avait plus de gens qui comprennent le développement économique au-delà du commerce qui participaient à la planification des interventions, des gens qui ont possédé des entreprises, qui comprennent les avantages d'un travail honnête, l'intérêt des entreprises de propriété féminine dans les zones d'après-guerre et les retombées économiques que tout cela engendre pour aider la population, cela pourrait vraiment décupler nos forces, comme nous le disons.
:
Merci, monsieur le président.
Je vous remercie infiniment d'être ici, madame. Quand je repense à nos premières discussions dans le cadre de l'étude sur le maintien de la paix, j'aurais aimé que vous soyez la première personne à franchir cette porte, parce que vous venez de nous donner un cours de maintien de la paix 101, selon moi. Vous comparaissez toutefois à un moment opportun aussi, à la fin.
J'essayais de noter tout ce que vous disiez, parce que vous avez dit vraiment beaucoup de choses intéressantes. Vous avez dit que les opérations de paix sont une boîte à outils et que le maintien de la paix est l'outil à l'intérieur de cette boîte. Je trouve cela très brillant.
Je me demande souvent comment nous devrions intituler notre rapport. Tout le monde parle du visage changeant du maintien de la paix. Tout le monde dit que la perception publique du maintien de la paix aujourd'hui est très différente de celle qu'elle était avant. Vous affirmez qu'il faut élargir notre perception du maintien de la paix, et vous dites que ce sens compte.
Quel titre donneriez-vous à notre rapport? Pour le moment, il s'intitule La contribution du Canada aux efforts internationaux de maintien de la paix. Devrions-nous garder ce titre ou le jeter au rebut?
:
Merci. Je suis nouvelle au Comité, donc tout me fascine en ce moment.
Vos trois recommandations étaient de repenser le sens du maintien de la paix, de déterminer à quels besoins de la pyramide de Maslow on veut répondre, puis vous avez parlé d'outils novateurs. Je saisirai la balle au bond.
En tant que Canadienne, quand je pense à notre mission de maintien de la paix au Mali, je pense que ce ne sont pas 600 soldats et 150 policiers qui réussiront à établir la paix à long terme là-bas. Je pense qu'il n'y a aucun Canadien qui y croie vraiment. Nous faisons partie d'un vaste collectif de l'ONU, et nous joignons nos efforts à ceux de quelques autres pays pour créer les conditions propices à la paix au Mali.
Je crois vous avoir entendu mentionner, dans votre exposé, qu'il reviendra vraiment à la population elle-même, aux civils, au gouvernement, aux dirigeants du Mali de s'approprier le processus une fois ces conditions mises en place. Nous devons stabiliser suffisamment le pays pour que les gens se sentent en sécurité et qu'ils puissent commencer à répondre aux besoins les plus fondamentaux de la hiérarchie de Maslow.
À mon sens, la question de savoir si la contribution du Canada permettra d'établir la paix à long terme est un peu exagérée. Je crois que notre intention est avant tout de faire partie d'une mission qui créera des conditions propices à la paix. Est-ce un juste portrait de nos efforts au Mali, d'après vous?
:
L'intention de l'ONU est de créer un environnement propice pour que les bases de la paix prennent, mais l'objectif va bien plus loin pour les Nations unies. L'ONU souhaite, comme toujours, aider les pays à se joindre au patrimoine commun mondial, à faire partie de ce qu'on appelle la fraternité des États, à la communauté internationale et à profiter de tous les avantages qui en découlent. Cela deviendra pratiquement un monde auto-réglementé à l'avenir.
L'ONU veut que cette mission prenne racine, pour que les hostilités cessent, grâce aux efforts de maintien de la paix, que le conflit armé violent s'arrête, pour que d'autres choses puissent prendre racine. Quand on laisse passer suffisamment de temps, les gens oublient habituellement de se battre, parce qu'ils ont des emplois et que leurs enfants vont à l'école. C'est là où il devient vraiment possible qu'une bonne paix viable prenne racine, plutôt qu'une forme négative de paix.
Pour sa part, le Canada doit se redemander pourquoi favoriser le maintien de la paix. Cela fait partie de notre identité nationale et c'est l'un des grands fondements de notre sécurité nationale et de la défense de nos intérêts de sécurité en Amérique du Nord. Comme je l'ai dit l'an dernier, en vue de votre rapport sur l'OTAN, nous bénéficions depuis longtemps de notre géographie: les gens ne peuvent pas arriver à pied au Canada par la frontière terrestre. En fait, ils le peuvent. Nous nous en sommes rendu compte l'été dernier, mais ce n'est pas comme en Italie ou en Allemagne, où les gens en ont conscience depuis 130 ans.
Devant l'évolution des nouvelles tendances en matière de sécurité, quels sont nos intérêts? À quel point sommes-nous déterminés à nous investir dans la sécurité collective? Parce que nous n'avons pas les moyens de payer pour notre sécurité et d'ériger une forteresse autour du Canada, ce qui n'aurait aucun sens, nous devons faire partie du filet de sécurité collectif.
Le maintien de la paix et les avantages connexes des opérations de paix contribuent à renforcer ce filet de sécurité, mais nous devons innover. Nous ne pouvons pas appliquer bêtement nos méthodes de maintien de la paix du XXe siècle dans le nouvel environnement de sécurité du XXIe siècle.