:
Merci beaucoup, monsieur le président et membres du Comité. C’est un plaisir d’être ici par une belle journée ensoleillée. Vous ne le savez peut-être pas, mais j’ai établi un record Guinness. Je n’ai servi que 13 mois environ dans ce que nous appelons la « peine capitale militaire », soit le QGDN à Ottawa.
On me présente souvent comme le gardien de la paix le plus expérimenté au monde. Le problème, c’est que les gens qui ont la gentillesse de dire cela ne savent pas pourquoi. Ce n’est pas à cause du nombre de missions que j’ai effectuées — beaucoup... neuf en tout —, mais pour deux ou trois autres raisons. J’ai servi à tous les grades dans des opérations de maintien de la paix, de celui de lieutenant à celui de major-général, en sautant celui de colonel. Cela étant, j’ai connu le théâtre des opérations et le théâtre politique. Je suis le seul Canadien à avoir commandé une mission de l’ONU. Vous devez tous vous demander ce qu'il en est de E.L.M. Burns, du général Clive Milner à Chypre — le père et non le fils — et de Roméo Dallaire. Eh bien, ils ont tous eu un représentant spécial du Secrétaire général, un RSSG, qui était responsable de la mission. Ils commandaient la composante militaire.
Dans mon commandement en Amérique centrale, juste avant que le mur de Berlin ne tombe, je n’avais ni RSSG ni conseiller politique. J’ai traité directement et régulièrement avec les cinq présidents d’Amérique centrale pour mettre en oeuvre l’accord d'Esquipulas II. Cela me fut très facile au Nicaragua. Violeta Chamorro et quatre membres de son cabinet étaient diplômés de l’Université McGill. Mme Chamorro a dit que si l'on examinait l'étiquette des chemises de ses ministres — formant le plus jeune cabinet au monde — on verrait « Fait au Canada ».
Si j’avais un problème, je pouvais m’adresser aux présidents, et s’ils n’arrivaient pas à s’entendre sur un cessez-le-feu, alors nous pouvions aller à New York parce que chacun de ces pays y avait une délégation et que son drapeau flottait devant les Nations unies. Nous pouvions traiter directement avec eux de cette façon et régler le problème, ce qui est arrivé souvent.
En fait, j’ai commandé deux missions de l’ONU sans RSSG, et si je vous parle du « secteur de Sarajevo », vous ne comprendrez pas vraiment parce qu'il se trouve que nous étions intégrés à la FORPRONU. Quoi qu'il en soit, quelques semaines après la mise sur pied du secteur de Sarajevo, à l’été 1992, en plein merdier tandis que tout était calme à la frontière croate, l’ONU m’a ordonné de traiter directement avec... l’ONU! J’informais mon commandant de la FORPRONU, Satish Nambiar — l’un des meilleurs officiers avec qui j’ai jamais travaillé — un Indien trois étoiles classé premier sur 96 lieutenants-généraux de l’armée indienne. Je le tenais informé de tout ce que je faisais dans le cas de l’ONU.
Je dois ajouter, parce que j’ai oublié de le mentionner, que le RSSG de Roméo Dallaire, un diplomate colombien incompétent, a été pour lui plus un obstacle qu’une aide.
J’ai donc vécu les événements des deux côtés. Ce qui était facile avant la guerre froide était devenu pratiquement impossible à cause de la situation à Sarajevo. Soudainement, je devais composer avec deux factions dont un tout nouveau pays et son gouvernement musulman bosniaque qui pensait que l’ONU devrait forcément être de son côté.
J'ai trouvé difficile de composer avec les factions dissidentes croates et serbes, mais c’était loin d’être aussi difficile que certaines missions contemporaines, où des factions non seulement combattent l’ONU, mais se battent parfois entre elles ou s'unissent, au gré de leurs intérêts.
Donc, le « maintien de la paix après la guerre froide » est de la foutaise. Il ne s’agit pas de maintien de la paix. Quand va-t-on cesser d’utiliser ce terme? Il est grammaticalement et factuellement faux. Il n’y a pas de paix à maintenir.
Quand on doit se rendre dans une zone de mission, la première chose qu'on demande à connaître, à l'étape de la planification, c’est l’objectif visé. Si je posais cette question à chacun d’entre vous autour de la table, je sais combien de réponses différentes j’obtiendrais. La mission mérite-t-elle qu'on enregistre des pertes? Telle est la question, parce que s'il vaut la peine que nos soldats meurent, alors il faut y aller et accomplir la mission avec des soldats bien entraînés, équipés, qui comprennent pourquoi ils sont là et qui — soit dit en passant parce que je vais y revenir — sont payés adéquatement par leur gouvernement.
Permettez-moi de vous citer les pays au côté desquels j’ai servi dans des missions de maintien de la paix pendant la guerre froide: l’Irlande, la Norvège, la Suède, le Danemark, l’Argentine, l’Inde, le Brésil, la Pologne, la Hongrie, la Colombie, l’Espagne, Fidji et la Finlande. Ce sont de très bons pays, dont les armées sont assez bien équipées et bien dirigées. Tout de suite après les événements catastrophiques de Srebrenica, de Somalie et du Rwanda, ces pays se sont retirés du terrain, dont le Canada. Nous avons maintenant l’Éthiopie, le Rwanda et le Bangladesh. Comprenez-moi bien. Certains de ces pays ont travaillé avec moi et pour moi. Leurs soldats sont excellents, mais ils sont payés à coup de lance-pierres et sont mal équipés. Ils manquent de formation, et vous et moi savons pourquoi ils sont là, c’est parce que leurs pays reçoivent 1 100 $US par mois et par tête de pipe.
La seule mutinerie à laquelle j’ai eu à faire face au cours de ma carrière de militaire a été celle de Russes, à Sarajevo et dans les Balkans. Pourquoi? Parce qu’ils pensaient que les 1 100 $US leur seraient versés à eux. Quand ils ont appris que tout l’argent allait à leur gouvernement et que leurs familles en Russie ne recevaient rien d'autre que des semences de pommes de terre ou autres pour avoir de quoi manger, ils ont vu rouge, et on les comprend. Ils ont donc été déverser le diesel de leurs véhicules devant les portes du palais présidentiel du centre-ville de Sarajevo. L’ONU m’a directement ordonné de les arrêter, mais j’ai refusé. J’ai rétorqué que je les arrêterais quand ils auraient reçu leur indemnité quotidienne de 1,50 $ que l’ONU était censée leur verser. Ils n’avaient pas été payés depuis trois mois.
Les soldats sous-payés sont un problème dans les régions où il y a un potentiel de traite de personnes, de réseaux de prostitution et de marché noir. Je ne dis pas que tous trempent dans ce genre de trafics, mais la tentation est grande pour des gens mal équipés et souvent mal formés. Autant pour les soi-disant contributions aux missions de maintien de la paix de l’ONU.
N'oubliez pas l’objectif de la mission. Je sais qu'on va parler de combat, ce qui m’irrite au plus haut point, car c'est un débat idiot. Je sais que c’est très important pour certains d’entre vous, parce que tout à coup, le combat déclenche un débat parlementaire ou que sais-je. Mais ce n’est pas mon domaine. Je dis simplement qu’il faut parler du risque, pas du combat. Si la mission vaut la peine qu'on enregistre des pertes, très bien, qu'on y aille. Mais n'allons pas sillonner le monde comme nous l’avons fait, et n'allons pas dire qu’au Mali, par exemple, nos hommes et nos femmes seront en sécurité, parce qu’ils seront dans des hélicoptères. Ne dites pas qu’ils ne seront pas sur la route, qu’ils ne seront pas pris dans une embuscade, qu’ils ne tomberont pas sur des EEI.
Il suffit de songer au taux de mortalité au Mali. Plus de 50 % des pertes ont eu lieu dans les bases, sous l'effet de tirs indirects. Même les Allemands — bénis soient-ils! — ont des mortiers de contre-bombardement, des radars de contrebatterie. Je ne sais pas à quoi cela va servir, parce qu’ils n’ont pas la capacité de répondre aux tirs de mortier venant de l’extérieur de la base.
Je dirais simplement qu’il faut étudier le facteur de risque. Soit dit en passant, si vous dites qu’il ne s’agit pas de combat, je vous suggère, si vous visitez nos soldats sur le terrain dans le cadre de n’importe quelle mission, de vous tenir loin d'eux si vous leur affirmez qu’ils ne sont pas au combat, surtout s'ils ont reçu des obus de mortier la veille. Tenez-vous loin de leur portée de frappe.
S’il vous plaît, ne parlons pas combat. Parlons risque. Dans une mission n’ayant aucune chance de succès, il peut y avoir un risque acceptable, et le Mali en est un bon exemple. Quand on me dit, comme on me l'a dit à plusieurs reprises, que l’objectif est d’appuyer le processus de paix, c’est de la foutaise. Le processus de paix, quelle que soit la définition qu'on en donne, a fait échouer l’accord de Bamako. Il n’y a pas de processus de paix qui fonctionne et, en plus, il y a tout un tas de gens qui sont les principaux acteurs de ce qui se passe au Mali et qui ne font pas partie du processus de paix. Ce sont les intégristes, dans le Nord en particulier, les affiliés à l’EIIS et à Al-Qaïda.
Étudiez donc le facteur de risque. C’est ce que je recommanderais à quiconque planifie des opérations de soutien de la paix à l’avenir.
Soit dit en passant, vous pourriez vous lancer dans une mission de paix vouée à l’échec et choisir un rôle précis. Par exemple, si un village est menacé et régulièrement envahi et que des gens sont tués, défendez-le. Vous ne contribuez pas au processus de paix, mais vous sauvez des vies, si c’est ce que vous voulez faire.
Merci beaucoup.
Je suis Denis Thompson, major-général à la retraite. Je suis ravi d'être ici pour vous donner mes impressions sur le maintien de la paix.
Comme je n'ai que 10 minutes pour vous parler, je vais m'exprimer en anglais.
[Traduction]
Cela vous évitera probablement mon horrible accent.
J’ai eu la chance de servir 39 ans au sein des Forces armées canadiennes, de 1978 à 2017, ce qui fait que je suis un peu plus jeune que vous, général.
Mgén (à la retraite) Lewis MacKenzie: Beaucoup plus jeune.
Mgén (à la retraite) Denis Thompson: Pendant toute cette période, j’ai eu le privilège de servir dans l’infanterie au sein du Royal Canadian Regiment, au pays et à l’étranger, régiment que nous avons en commun le général Mitchell et moi. J’ai été commandant de peloton à Chypre et en Allemagne; commandant de compagnie en Bosnie; commandant de bataillon ou de groupement tactique en Bosnie, sous le commandement de l’OTAN, et non de l’ONU; commandant de la brigade ou de la force opérationnelle à Kandahar, en Afghanistan; et commandant du Commandement des Forces d’opérations spéciales du Canada. Enfin, je suis revenu après avoir passé trois ans dans le Sinaï en qualité de commandant de la Force multinationale et observateurs, la FMO, qui, bien qu’elle soit une mission de maintien de la paix, n’est pas une mission de maintien de la paix de l’ONU.
Bref, je suis un homme de terrain, même si mes propos seront vaguement théoriques.
Le maintien de la paix est imparfait. Il n’y a pas d’arcs-en-ciel, de papillons ni de licornes dans le monde habité par les Casques bleus. C’est plutôt un monde affreux, violent, arbitraire et parfois carrément injuste. Âmes sensibles s'abstenir. Malheureusement, lorsque les ressources sont insuffisantes, les conséquences peuvent être désastreuses et souvent contre-productives. C’est pourtant le monde dans lequel les Casques bleus doivent fonctionner.
Ce n’est qu’une forme d’opération militaire dans le spectre des conflits, qui va de la prévention des conflits à la guerre totale. Les Forces armées canadiennes sont en mesure de participer à toute la gamme des conflits. Les coûts de gestion d'un conflit augmentent de façon exponentielle, en fonction du niveau d’activité nécessaire. Donc, si une mission de prévention des conflits coûte un dollar, une mission de maintien de la paix coûtera 10 $, et une mission d'imposition de la paix 100 $. Chaque nouvelle étape coûte beaucoup plus que la précédente.
Il serait bien sûr préférable d’étouffer ou de résoudre un conflit avant qu’il ne commence. Cependant, pour citer la scène que j’aime à la fin de mon film préféré, La Mission, « Nous devons travailler dans le monde; le monde est ainsi ». Ce monde est un monde où l’absence de consensus politique permet rarement d'éviter les conflits, obligeant les membres de la communauté internationale à déployer des forces militaires comme un bandage pour stabiliser les situations conflictuelles. Cela ne vise qu’à laisser le temps de trouver une solution politique.
Le plus souvent, ces missions de maintien de la paix sont déployées dans des conditions apparemment inoffensives. Toutefois, comme l’a expliqué le général, bon nombre de ces milieux inoffensifs sont envahis par des acteurs non étatiques qui ne se plient sûrement pas à la norme internationale. J’ai vécu cela au sein de la FMO en Égypte, car la province du Sinaï abritant le groupe État islamique se trouvait dans ma zone d’opérations.
Par conséquent, pour réussir — et c’est ce que j’essaie de faire valoir aujourd’hui — une mission doit présenter une certaine densité qualitative de haut en bas. Autrement dit, au sommet, il doit y avoir des commandants de forces actives sous la houlette de dirigeants civils tout aussi dévoués. Le général MacKenzie en a parlé. Dans le contexte des Nations unies, comme vous l’avez entendu, il s’agit de représentants spéciaux du Secrétaire général. Dans la FMO, c’est le directeur général qui est à Rome. Ces gens-là doivent être appuyés par un quartier général doté d'un personnel idoine ayant accès à divers outils habilitants — y compris à des sources de renseignement, à un soutien logistique adéquat, à des hélicoptères et à des avions — et surtout, surtout ils doivent pouvoir compter sur des soldats dûment formés et disciplinés, déployés sur le terrain. C’est tout cet ensemble, du haut commandement aux soldats bien entraînés sur le terrain, en passant par le personnel, qui crée un climat de dissuasion et de réconfort dans leur secteur des opérations. C'est, à mon avis, ce que signifie la densité qualitative dans tout le spectre des conflits.
Dans le domaine militaire, la densité qualitative est importante parce qu’elle contribue directement à la crédibilité d’une mission. Les Forces armées canadiennes présentent tous ces éléments de qualité qualitative et je dirais que c'est aussi le cas des organismes civils également. J'ai constaté d'expérience, que pour être crédible, il faut avoir des troupes sur le terrain. Comme je l’ai dit, il ne s’agit pas de n’importe quoi. Il ne sert pas à grand-chose de déployer des moyens coûteux pour fournir du renseignement aux troupes de première ligne qui ne peuvent pas ou ne veulent pas agir.
Comme je l’ai dit, pour diriger de telles forces, il faut pouvoir compter sur des têtes dirigeantes engagées envers la mission. Le Canada possède cette capacité tant côté militaire que côté civil. Nous avons fait la preuve de notre courage à Kandahar en adoptant une approche globale concertée qui a permis de résoudre les difficultés rencontrées dans cette province. Cette mission, qui n’est certainement pas une mission de maintien de la paix, a beaucoup bénéficié de la présence — une fois de plus — de troupes canadiennes sur le terrain qui, à terme, ont permis au Canada d'obtenir un siège à la table et d'avoir son mot à dire sur ce qui se passait dans ce pays.
Y a-t-il un risque? Le général vous en a parlé plus tôt. Nos soldats peuvent-ils être blessés ou perdre la vie? Ô que oui! Ce n'est pas nouveau. C’est la réalité. Depuis l’aube de la civilisation, la vigueur des nations se mesure par le sang des siens. J’abhorre le fait qu'on parle de nos soldats comme étant « les fils et les filles du Canada ». Cette métaphore donne l’impression qu’ils sont trop précieux pour qu'on les mette en danger. Quelle absurdité! Ce sont certes des fils ou des filles — et j’ai un fils qui sert dans l’armée —, mais il y a aussi des soldats professionnels qui se sont engagés dans les Forces armées canadiennes précisément parce qu’ils veulent relever ce défi et être en danger.
Si vous voulez jouer un rôle de chef de file dans le monde, vous devez accepter le risque, accepter que notre sang soit versé, en envoyant des troupes sur le terrain pour compléter la qualité d’une mission de maintien de la paix pleinement facilitée de haut en bas. Ce faisant, le Canada gagnerait en crédibilité, obtiendrait des postes de commandement qu’il n’a pas occupés depuis nombre d'années et, au fil du temps, il redeviendrait un chef de file sur la scène mondiale.
Maintenant que je me suis libéré le coeur, je vais parler de trois aspects tangentiels.
Premièrement, l’initiative Elsie du gouvernement est importante, puisque l’augmentation des effectifs féminins dans les missions de maintien de la paix a un effet amplificateur, étant donné qu'elle accroît la densité qualitative des missions. Cela ne constitue un plus que dans la mesure où l'on déploie effectivement des éléments féminins sur le terrain, pour qu'on puisse parler de déploiement de troupes. Ce n'est qu'un petit élément à valeur ajoutée dans toute une stratégie d'ensemble qui doit inclure: le leadership militaire et civil; les outils et la connaissance du terrain — l’engagement récent de nos hélicoptères au Mali est un des instruments employés — et des unités combattantes de qualité.
Deuxièmement, je suis membre de l’Institut canadien des affaires mondiales et de l’Institut des associations de défense du Canada. Ces deux instituts, parmi les rares au Canada, ont pour membres un impressionnant éventail de diplomates, de représentants du gouvernement, de policiers et de membres des forces armées qui, à mon avis, possèdent une grande expertise apolitique sur laquelle les comités de cette nature devraient se fonder.
Enfin, j’aimerais terminer mon exposé en ajoutant une note biographique personnelle. J’ai grandi dans le petit village de New Lowell, en Ontario, qui se trouve dans le comté de Simcoe, juste au nord de Toronto. C’est à ce petit village qu'on doit les croustilles Miss Vickie. Je sais que vous aimez tous secrètement les croustilles de pomme de terre de Miss Vickie, et cela devrait être une raison suffisante pour que vous preniez sérieusement en compte mes remarques.
Des députés: Oh, oh!
Mgén (à la retraite) Denis Thompson: Merci.
:
Bonjour, chers membres du Comité.
C’est un plaisir et un privilège pour moi de témoigner devant vous aujourd’hui. Je vous remercie de me donner l’occasion de présenter quelques propositions et observations au nom de l’organisme que je représente, l’Association canadienne des vétérans pour le maintien de la paix.
[Français]
C'est aussi un privilège pour moi d'être ici aujourd'hui avec des témoins qui sont tous des praticiens expérimentés et des experts du maintien de la paix. Je les admire et je les respecte tous. Je les considère comme des amis et comme de chers collègues.
Aujourd'hui, je me concentrerai sur ce que j'estime être une question clé: le leadership canadien au sein des opérations de paix des Nations unies. J'offrirai deux propositions concrètes au niveau national pour améliorer nos capacités de leadership.
[Traduction]
Même dans le creux de la vague, le Canada a continué de fournir des civils, des soldats et des policiers aux opérations de paix des Nations unies ou OSP. Cependant, les ambitions du gouvernement impliquent des contributions et un rôle plus importants dans les OSP, de préférence de façon plus intelligente et plus ciblée, afin de maximiser les effets sur le terrain. On peut présumer que des contributions plus intelligentes et plus efficaces aideront le Canada à regagner sa position de chef de file mondial respecté des OSP.
[Français]
Le Canada a tout récemment annoncé qu'il apporterait certaines de ses nouvelles contributions plus intelligentes à la mission des Nations unies au Mali. Les représentants d'Affaires mondiales Canada et du ministère de la Défense nationale vous ont sans doute expliqué, la semaine dernière, comment ils envisageaient de répondre à l'intérêt national du Canada pour cette mission, qui devrait se traduire par des objectifs nationaux très simples: apporter une contribution importante au succès de la mission, puis ramener les Canadiens et l'équipement à la maison en toute sécurité.
[Traduction]
Bien que les objectifs soient simples, la mise en œuvre ne l'est pas. En plus d'être actuellement la plus dangereuse au monde pour les soldats du maintien de la paix, la Mission multidimensionnelle intégrée des Nations unies pour la stabilisation au Mali est un bon exemple de la façon dont les OSP modernes ont évolué pour devenir de plus en plus complexes, multidimensionnelles et intégrées. Menées dans des environnements austères et hostiles, dans des pays où l'infrastructure ou le soutien de la nation hôte est minime et où les voisins s'immiscent, les OSP modernes ressemblent davantage à des opérations de contre-insurrection comprenant des responsabilités supplémentaires en matière d'édification de la nation et au chapitre des efforts humanitaires et de secours en cas de catastrophe.
Par conséquent, les OSP modernes nécessitent une expertise dans des domaines intersectoriels aussi importants que la réforme du secteur de la sécurité, la réforme du secteur de la défense, la justice et l'état de droit, le désarmement, la démobilisation et la réintégration, la violence sexuelle et sexiste, la protection des civils et les tâches de consolidation de la paix.
Pour réussir, les missions ont aussi besoin d'équipement et de soutien de pointe, ce que le Canada offre actuellement, mais elles exigent aussi, de la part des pays qui fournissent des soldats et des policiers, une direction experte assurée par des militaires, des policiers et des civils qualifiés, non seulement sur le terrain ou au niveau tactique, mais aussi au niveau de la mission ou des opérations et, je dirais, tant aux quartiers généraux de la force des Nations unies qu'aux niveaux stratégiques.
Les OSP ont aussi besoin de commandants et d'états-majors multinationaux, qui sont non seulement des experts dans ces domaines complexes et en évolution, mais qui peuvent aussi être disponibles à très court préavis et qui ont la capacité et la formation pour travailler efficacement en tant qu'équipes d'état-major cohérentes au sein des systèmes byzantins de l'ONU. Ils doivent être en mesure de fournir de façon efficace et efficiente des capacités policières, militaires et civiles intégrées dans des domaines comme le renseignement, la mobilité, la logistique, le génie et le soutien médical. Étant donné que la plupart des missions de l'ONU sont maintenant menées en vertu de résolutions du Conseil de sécurité qui comprennent des éléments du chapitre 7 ou le recours à la force, ces mêmes chefs de mission et leurs états-majors doivent également être des guerriers ayant une compréhension, une capacité et une détermination claires pour entreprendre des opérations robustes au besoin, mais dans des environnements politiques et diplomatiques sensibles.
Une façon d'aider l'ONU à relever ces défis complexes et changeants consiste à fournir de meilleurs leaders aux trois niveaux — stratégique, opérationnel et tactique — et pour les trois éléments — militaire, policier et civil. De toute évidence, le Canada dispose d'excellents leaders à ces trois niveaux, mais au cours de la dernière décennie, il a perdu une bonne partie de ses vastes capacités en matière d'opérations de paix. Du fait de cette perte, il a renoncé à sa prétention d'être un chef de file international dans ce domaine.
[Français]
Pour redresser la situation, le Canada devra consacrer suffisamment de temps et de ressources au développement de l'expertise requise. Ses contributions doivent être facilement accessibles et rapidement déployables, ce qui lui permettra d'établir en temps opportun de nouvelles et plus grandes opérations de soutien de la paix. Pour être franc, le Canada doit réapprendre tous les aspects des opérations de soutien de la paix, y compris comment former, préparer, déployer et appuyer ses troupes, les membres de la police et les civils fournis par le gouvernement dans le cadre des Nations unies.
[Traduction]
S'il le désire, le Canada peut être pleinement en mesure de relever ces nouveaux défis et de fournir l'expertise et le leadership militaires et civils nécessaires dans le cadre de ces missions changeantes, multidimensionnelles, complexes et intégrées. Toutefois, cela ne se fera pas sans une orientation et un soutien solides de la part du Parlement avant, pendant et après les déploiements.
Ma conclusion personnelle, qui est appuyée par l'Association canadienne des vétérans pour le maintien de la paix, est axée sur deux domaines que je connais assez bien. Je prévois qu'ils offriront tous les deux les moyens de retrouver notre position de leadership au sein des missions et sur la scène internationale.
Plus précisément, je proposerais d'abord de créer un centre canadien de formation aux opérations de maintien de la paix à l'échelle internationale, afin de permettre le développement de la recherche, l'éducation, la formation et le renforcement des capacités pour les OSP et, en deuxième lieu, de fournir un quartier général composé d'officiers de divers pays, entraînés et pouvant être rapidement déployés à l'appui du commandement de la mission de l'ONU, ce dont elle a désespérément besoin, mais qu'elle ne peut pas fournir elle-même.
Tout d'abord, pour ce qui est d'un centre canadien de formation aux opérations de maintien de la paix à l'échelle internationale, nous avions quelque chose de très semblable dans le passé, le Centre Pearson pour le maintien de la paix. Avant sa dissolution en raison du retrait du soutien financier et du personnel du MDN, de la GRC et des Affaires étrangères, il s'agissait du premier centre au monde de formation aux opérations de maintien de la paix géré par des civils, l'un des seuls centres de formation, de renforcement des capacités, d'éducation publique et de recherche qui reflétaient les réalités multidisciplinaires des opérations modernes de maintien de la paix. Le Centre a toujours été un instrument efficace de la politique étrangère et de défense du Canada. Il jouissait d'une solide réputation au sein de la communauté internationale en tant qu'autorité de premier plan en matière d'opérations de paix, et il a servi de modèle à d'autres pays. Malheureusement, l'absence de sécurité financière et le retrait à long terme du personnel ont sonné le glas du Centre.
Je propose donc la création d'une nouvelle institution, d'un centre canadien de formation aux opérations de maintien de la paix à l'échelle internationale, avec des capacités similaires à celles de l'ancien Centre Pearson, mais sans la vulnérabilité financière dont il a souffert. L'engagement à long terme du gouvernement serait nécessaire pour que la nouvelle institution puisse se concentrer sur son travail, plutôt que de consacrer des efforts à assurer sa rentabilité financière.
Ma deuxième proposition prévoit que le Canada contribue à l'établissement d'un quartier général composé d'officiers de divers pays, entraînés et pouvant être rapidement déployés à l'appui du commandement des missions. Comme ma première proposition, celle-ci n'est pas nouvelle pour le Canada. Pendant 12 ans, nous nous sommes associés à 15 pays aux vues similaires pour créer une Brigade multinationale d'intervention rapide des forces en attente des Nations unies, ou BIRFA. Il s'agissait d'une brigade multinationale mise à la disposition de l'ONU en tant que force de maintien de la paix pouvant être rapidement déployée. Elle ne relevait pas de l'ONU, mais était plutôt mise à sa disposition au besoin et à la discrétion de ses membres individuels.
[Français]
Tout d'abord, cette brigade a été déclarée déployable en 2000 et a été déployée cette même année dans le cadre de la Mission des Nations unies en Éthiopie et en Érythrée. La réussite de cette mission a été suivie de déploiements et de soutien à la planification au Liberia, en Côte d'Ivoire, au Soudan — y compris le travail au sein de l'équipe de planification du Darfour —, au Tchad et en Somalie.
[Traduction]
Le Canada était un chef de file reconnu au sein de la BIRFA. Même si une brigade multinationale complète ne reverra peut-être jamais le jour pour des raisons politiques et économiques, le Canada pourrait tout de même jouer un rôle de chef de file en se concentrant sur la mise en place du cadre de l'une des contributions essentielles de la BIRFA — le joyau de la couronne, si vous voulez — c'est-à-dire un quartier général militaire multinational de l'ONU. Un tel quartier général pourrait être bien formé et équipé de véhicules, d'équipement et de moyens de communication compatibles avec ceux des Nations unies, et capable de s'intégrer pleinement au quartier général d'une mission de l'ONU et d'être déployé dans un très court laps de temps, afin d'établir rapidement une nouvelle capacité de commandement et de contrôle militaires au sein d'un quartier général intégré d'une mission de l'ONU. Il ne s'agirait pas d'un quartier général à plein temps doté d'un effectif complet, mais plutôt d'un personnel permanent limité chargé de la planification et de la formation, qui viendrait de partout au pays pour participer aux activités de formation et aux opérations. En recréant cela, le Canada offrirait à l'ONU une capacité unique, mais vitale, qu'elle ne peut pas fournir elle-même ou qu'elle ne peut pas obtenir facilement ailleurs, sauf peut-être à l'OTAN et auprès de l'Union européenne.
Pour contribuer au caractère multinational du quartier général, le Canada pourrait fournir les éléments de base, puis s'entendre avec des pays aux vues similaires en vue d'offrir des éléments supplémentaires de personnel, d'équipement et de ressources. Une fois constitué et formé, il pourrait être offert en tant que quartier général formé en attente, pouvant facilement être déployé dans le cadre du système de préparation des capacités de maintien de la paix des Nations unies.
Mesdames et messieurs, les deux propositions que je vous soumets aujourd'hui portent sur le commandement des OSP, soit d'une part son développement, et d'autre part, l'application pratique de ces compétences en commandement des OSP. Ces deux concepts ont fait leurs preuves, et le Canada les a reconnus dans un passé pas trop lointain. Les connaissances et l'expertise nécessaires pour planifier et mettre en œuvre les deux propositions sont toujours disponibles au Canada aujourd'hui. Avec une infusion relativement modeste de ressources, les deux pourraient être réalisées de façon globale et pangouvernementale. L'incidence canadienne sur les OSP pourrait être grandement améliorée, ce qui placerait le Canada dans un rôle de chef de file encore plus important sur la scène internationale des Nations unies.
Merci.
:
Oui, elles sont très, très différentes. Je reviens au fait qu'on a affaire à des gens qui sont en plein conflit et qui n'ont pas de délégation au Siège de l'ONU à New York. Il n'y a pas de drapeau flottant devant un édifice. Il y a des factions. Dans bien des cas, leur quartier général est mobile. Vous rencontrez ces gens, comme je l'ai fait 14 fois, et vous négociez un cessez-le-feu.
Puis quelqu'un rompt le cessez-le-feu. Selon mon expérience, dans bien des cas, il s'agissait du représentant du gouvernement du côté bosniaque musulman, et pour cause. Ils étaient attaqués.
Lorsqu'il faut rencontrer les gens avec qui l'entente a été signée, ils sont impossibles à trouver. Ils ne sont pas présents. Lorsque je suis arrivé à Sarajevo, par exemple, dans toute ma naïveté de vieux soldat du maintien de la paix, j'ai donné des téléphones et des récepteurs radio à chacune des deux factions et au gouvernement sur la même fréquence. Je pensais que, comme c'était normalement le cas dans les opérations de paix précédentes, ils allaient régler les choses entre eux. Cela n'a pas fonctionné du tout. Il a donc été difficile de donner suite à toute violation du cessez-le-feu, que ce soit par mon entremise, ou par celle de lord Carrington, qui était le chef des négociations en vue d'un cessez-le-feu dans les Balkans.
Elles sont tellement différentes qu'on ne devrait même pas les comparer. Elles sont entièrement et absolument différentes. Avant la guerre froide, l'ONU a toujours envoyé le minimum d'effectif pour tenter de faire le travail, sans jamais prévoir le pire scénario, mais toujours le meilleur, ce qui donnait normalement de bons résultats.
Permettez-moi de vous donner un exemple cocasse. En 1965, à Chypre, le Parlement irlandais a retiré ses forces avec un préavis de 30 jours. Elles étaient aux côtés du contingent canadien dans le nord de Chypre. En tant que commandant de peloton de reconnaissance à la tête de 35 soldats, j'ai reçu l'ordre de mon commandant, le général Kirby, qui était lieutenant-colonel à l'époque, d'aller remplacer le contingent irlandais par une trentaine de soldats. Je l'ai fait un mercredi.
Un vendredi — la journée est importante — les dirigeants des Chypriotes grecs et des Chypriotes turcs sont venus me demander pourquoi je ne les avais pas convoqués à une réunion. Je leur ai dit: « Quoi, vous vous réunissez? » Ils m'ont répondu: « Oui, mais c'est aussi pour le 5 à 7. Nous nous réunissons toujours ici pendant quelques heures pour boire un verre. Puis, nous revenons à nos positions. Nous ne nous sommes pas battus au cours des trois derniers mois. » Ce n'est plus le cas. Il est impossible de s'imaginer appeler le groupe État islamique et Al-Qaïda pour s'asseoir avec eux et faire la fête.
La situation est donc incroyablement différente. C'est pourquoi il faut des soldats bien entraînés, bien dirigés et bien équipés, qui ont le temps de travailler ensemble pour former une équipe.
:
C'est une question intéressante. Merci.
[Français]
Si vous me le permettez, je vais répondre en anglais.
[Traduction]
Pour ce qui est de la transmission des valeurs canadiennes, tout d'abord, je crois qu'elle va bien au-delà de nos attributions. Nous ne sommes pas des politiciens ni des diplomates, loin de là. Nous ne faisons que des observations à un certain niveau dans le cadre de certaines missions.
Simplement par notre participation, notre présence dans les zones d'influence, etc., les valeurs canadiennes vont être transmises grâce à la transformation que nous opérons ou à l'influence que nous exerçons sur ceux qui nous entourent. Ce n'est pas nous qui prêchons en disant que nous nous démarquons des États-Unis. Nous sommes là parce que nous voulons créer un environnement pacifique, ou pour une autre bonne raison. Nous n'y sommes pas parce que nous nous intéressons au pétrole. Nous ne sommes pas intéressés par les ressources, nous ne sommes pas intéressés par ceci, et nous ne le sommes pas par cela non plus. Nous sommes là pour aider à créer la paix. La façon dont nous agissons, discrètement et professionnellement, influence les représentants d'autres pays, que ce soit d'autres pays en développement ou même d'autres pays de l'alliance. Il faut voir la situation sous un autre angle, à mon avis, et aider à changer les choses.
Par exemple, lorsque je coprésidais un comité militaire mixte entre le nord et le sud du Soudan, et que nous traitions de choses comme les échanges de prisonniers, l'interception des enfants soldats, la réouverture de routes et tout le reste, vous pouviez voir la différence de valeurs par les différentes réponses aux questions que nous posions. Nous disions après 20 ans de guerre: « Des centaines de milliers de personnes ont été tuées et il faut maintenant parler d'échanges de prisonniers. Combien de prisonniers avez-vous? ». D'un côté, on nous répondait: « Nous en avons 14. » Nous demandions ensuite aux autres: « Combien en avez-vous? » Ils nous répondaient: « Nous n'en avons pas. » Cela signifiait que tous les prisonniers avaient été tués. Ce sont des valeurs différentes. Nous devons diffuser nos valeurs dans le monde entier.
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Le premier était une brigade. Il était composé de troupes en disponibilité, et non de troupes en disponibilité à temps plein. Par exemple, si le Canada disait qu’il allait fournir un escadron d’hélicoptères, il s’acquittait de ses fonctions normales et de tout le reste. Une ou deux fois par année, ses dirigeants suivaient une formation organisée par le quartier général de la brigade, le personnel de la planification. Ils donnaient une formation sur les procédures les politiques de l’ONU, et ainsi de suite.
Nous pouvions accepter une mission particulière. Nous pouvions la visiter, et ce genre de choses. Nous renvoyions les gens et ils faisaient ensuite leur travail en hélicoptère pendant le reste de l’année. S’il était déployé et que le Canada acceptait de le déployer, cet escadron d’hélicoptères se déployait.
Ce que je propose, c’est d’oublier la brigade. Je ne pense pas que cela se reproduira dans ces pays. Ils ne sont pas intéressés.
Le joyau de la Couronne de cette brigade était son quartier général multinational. Ce quartier général a été déployé à de nombreuses occasions dans un délai de sept jours pour mettre sur pied une nouvelle mission ou élargir une mission en cours. Il était composé de tous les éléments d’un quartier général de mission militaire. Il comprenait même des policiers. Ils se rendaient sur place et organisaient le tout, y compris les communications, le jour même, peu importe l’endroit.
Ils connaissaient les politiques et les procédures de l’ONU. Ils savaient comment faire tous les rapports et toutes les déclarations. Ils savaient qu’après trois mois, lorsqu’un pays fournissait l’officier principal des opérations — cette personne venait de l’Inde, du Bangladesh ou d’ailleurs —, notre officier des opérations prenait ses distances et devenait le numéro deux à appeler à l'aide en cas de besoin, et ce genre de choses.
Ce que je dis, c’est que ce noyau d’un quartier général de brigade pourrait être composé de 10 ou d’une douzaine de personnes, à temps plein au Canada, qui feraient de la planification, prépareraient de la formation, tendraient la main aux autres pays, visiteraient les missions, resteraient en contact avec New York et établiraient la structure. Ce serait notre participation, à très peu de frais. Il s’agit davantage d’un potentiel de planification et de capacité. C’est ce que je propose.