NDDN Réunion de comité
Les Avis de convocation contiennent des renseignements sur le sujet, la date, l’heure et l’endroit de la réunion, ainsi qu’une liste des témoins qui doivent comparaître devant le comité. Les Témoignages sont le compte rendu transcrit, révisé et corrigé de tout ce qui a été dit pendant la séance. Les Procès-verbaux sont le compte rendu officiel des séances.
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Comité permanent de la défense nationale
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TÉMOIGNAGES
Le mardi 1er novembre 2016
[Enregistrement électronique]
[Traduction]
Bienvenue. Nous allons aujourd’hui passer en revue la Marine royale canadienne, la disponibilité opérationnelle des Forces maritimes et la défense de l’Amérique du Nord.
Nous avons aujourd’hui avec nous M. Robert Huebert, professeur agrégé, Département des sciences politiques, Université de Calgary.
Nous avons aussi Mme Andrea Charron, professeure adjointe, Université du Manitoba, et directrice du Centre d’études sur la sécurité, le renseignement et la défense à l’Université Carleton.
Nous vous remercions de votre présence ici aujourd’hui.
M. Huebert, puisque vous êtes avec nous en vidéoconférence et par crainte de perdre la connexion à un certain moment, commençons avec vous.
Monsieur la parole est à vous pour les 10 prochaines minutes.
Merci beaucoup. D’abord, je suis très honoré qu’on me donne l’occasion de me présenter devant vous pour partager avec vous ma réflexion sur la question de l’Amérique du Nord et de la puissance maritime.
Je vais commencer par une question cruciale que nombre de Canadiens oublient souvent. Le fait est que les Canadiens dépendent de la puissance maritime depuis au moins la Deuxième Guerre mondiale. Nous souffrons d’un certain aveuglement quand il s’agit de notre proximité aux océans, le nœud du problème étant que les éléments principaux de notre puissance maritime se trouvent à Victoria et à Halifax, et que, en conséquence, le reste du Canada a tendance à oublier l’importance du rôle de la capacité navale.
Ce comité se réunit à un moment idéal, alors que la Marine canadienne a atteint un point de transformation majeure. Nous sommes en train de devenir, ou de planifier de devenir, ce qui est identifié dans le milieu de la Marine comme « la prochaine Marine ». En raison de particularités qui caractérisent le processus d’approvisionnement actuel de la Marine canadienne, nous nous retrouvons parfois à un carrefour où nous devons nous réinventer tant sur le plan de la stratégie que de l’approvisionnement en soi. Ainsi nous nous retrouvons face à certains obstacles, mais nous avons également la possibilité de réfléchir à ce à quoi la marine devrait ressembler.
De plus, nous amorçons une période pendant laquelle nous devrons réfléchir sérieusement au sens que nous souhaitons donner à la puissance maritime au Canada. La raison est que, d’un point de vue international, la situation actuelle semble plutôt positive. Les autres pays semblent prêts à collaborer, mais si on gratte sous la surface et que l’on examine certaines des raisons pour lesquelles nous devons avoir une puissance maritime, qu’on parle au passé ou au futur, divers événements inquiétants se pointent à l’horizon.
Dans la perspective d’une alliance, nous commençons à voir que certaines personnes remettent en question les éléments fondamentaux de l’OTAN. Pendant la campagne électorale américaine, nous avons entendu le candidat Trump avancer l’idée que les États-Unis n’allaient peut-être pas se conformer à l’article 5, à moins que tous les membres assument une plus grande part financière. Espérons que nous n’aurons pas à nous préoccuper de cela après l’élection, il reste que ce débat est troublant.
Ce qui est encore plus troublant cependant, c’est que nous voyons actuellement que même les fondements économiques de l’alliance sont contestés; nous avons aussi observé les difficultés que le Canada a connues dans les négociations de l’accord de libre-échange avec les Européens. Les deux candidats aux élections américaines ont tous deux adopté une approche très protectionniste dans leur politique économique, et j’oserais dire que la sortie des Britanniques de l’Union européenne est dans la même lignée.
En même temps, nous observons la Chine et la Russie, deux puissances montantes, qui affirment leurs pouvoirs d’une manière qui aura des répercussions directes sur la Marine.
D’un point de vue géographique, j’estime que les deux régions où la Marine devra se concentrer davantage sont la région Asie-Pacifique, pour des motifs que je vais préciser un peu plus tard, et l’Arctique. Bien sûr, le côté européen continue d’être relativement bien servi par l’infrastructure maritime fournie par l’OTAN, et ce, tant que nous ne perdrons pas de vue l’importance de l’OTAN.
Pour ce qui est de l’Arctique, même si plusieurs s’efforcent de faire valoir que les actions que pose la Russie en Géorgie, en Ukraine et en Syrie sont complètement séparées du type de mesures que seront entreprises dans l’Arctique, je dois dire que je ne suis pas de cet avis. Néanmoins, certains des grands éléments de reconstruction des capacités russes portaient sur les forces sous-marines dans la région arctique. Certes, à court terme, il n’y a pas de menace immédiate, mais à long terme, avec la Russie qui multiplie ses efforts pour récupérer son statut de grande puissance, je suis d’avis que le Canada devra repenser ce qu’il compte faire dans le contexte de l’Arctique et de l’établissement de ses capacités navales.
Concurremment, en 2015 les Chinois nous ont transmis un avertissement lorsqu’ils ont envoyé une force d’intervention navale dans les îles Aléoutiennes et fait des escales dans plusieurs États arctiques. Donc, nous sommes tous d’accord pour dire que les Chinois semblent préparer des plans à long terme et que nous pouvons nous attendre à une certaine participation dans une forme quelconque de Marine, autre que leur garde côtière et leur brise-glace.
Que signifie tout cela pour la Marine, et quand devrons-nous commencer à réfléchir? J’avancerais également que nous ne pouvons penser uniquement qu’en termes de Marine. Nous devons aussi penser à la garde côtière qui joue un rôle essentiel pour la sécurité maritime canadienne.
Au Canada, nous avons tendance à séparer les deux, contrairement, par exemple, aux États-Unis, qui considèrent les deux corps de manière beaucoup étroite. Compte tenu du fait que notre Marine et notre garde côtière sont de plus petite taille et que, en fait, nombre des défis et des tensions sont les mêmes, je crois qu’il serait essentiel, comme nation, de penser en terme de puissance navale et de celle de la garde côtière.
À quoi devrons-nous réfléchir pour élaborer un scénario de puissance maritime nord-américaine? D’abord et avant tout, je pense qu’historiquement, il est très clair que nous devons nous assurer que toute forme que prendra la Marine que nous allons créer doit conserver sa capacité de combat afin de se mesurer aux meilleurs. Traditionnellement et historiquement, nous avons toujours été parmi les grandes puissances navales du siècle dernier et de l’actuel. Il faut compter, évidemment, avec les Britanniques et les Américains. Nos intérêts maritimes sont le mieux protégés quand nous pouvons combattre aux côtés de nos alliés, qu’il s’agisse de la guerre de Corée, de la Première ou de la Deuxième Guerre mondiale, de la guerre froide et ainsi de suite.
Le deuxième volet sera beaucoup plus difficile et se rapporte directement au rapport intermédiaire que vous venez de rendre public. Il s’agit, bien sûr, des mesures de dissuasion. On parle beaucoup dans les sources publiées du fait que la majorité de la capacité antimissiles balistiques est désormais conçue de manière à intégrer une capacité maritime, ou, autrement dit, il s’agit de mettre en place des ressources maritimes dotées de la capacité antimissiles balistiques. Comme vous l’avez indiqué dans votre excellent rapport, vous reconnaissez la nécessité pour le Canada d’examiner de nouveau la possibilité de joindre ses forces ou non avec les Américains pour ce qui touche sa capacité antimissiles balistiques. L’une des possibilités pour l’avenir, et c’est une chose que les Norvégiens pensent sérieusement à faire, est de déterminer le rôle de la capacité maritime d’un pays en termes de dissuasion.
En même temps, les nouvelles avancées russes dans le monde sous-marin pourraient nous obliger à revoir certaines des mesures de coopération secrètes que nous avions établies avec la Marine américaine afin de contrer la menace sous-marine nucléaire russe. J’ajouterais que nous devrons tenter de savoir si les Chinois comptent doter leurs nouveaux sous-marins d’une capacité de naviguer sous la glace, ce qui, évidemment, exigerait une capacité de dissuasion encore plus rigoureuse.
Nous ne devons jamais oublier le fait que nous sommes un pays commerçant et que nous devons aussi jouer notre rôle de conservation et de protection du commerce maritime.
Il y a un quatrième élément que nous devons ajouter à la liste de ce que la Marine doit faire, et c’est de répondre à la menace et aux problèmes croissants associés aux changements climatiques. La preuve scientifique ne laisse plus aucun doute sur le fait que le climat est en train de changer. Il se réchauffe à un rythme que personne n’était prêt à envisager il y a à peine dix ans. Le réchauffement climatique se traduit automatiquement par l’accroissement des exigences relatives au rôle de la Marine.
La Marine doit maintenir ses capacités de combat et de dissuasion à un niveau élevé en créant une force navale solide, et en même temps, elle doit s’assurer d’avoir la capacité d’action nécessaire pour réagir aux crises environnementales qui seront, à notre avis, de plus en plus nombreuses. Ce n’est malheureusement qu’une question de temps avant de voir des tempêtes de force grandissante et l’élévation de la mer atteindre un niveau inégal, ce qui affectera plusieurs nations dont la nôtre; la Marine devra être prête à réagir.
En conclusion, de quoi avons-nous besoin? D’abord, nous devons nous assurer que nous avons une stratégie maritime robuste. La Marine a déployé de grands efforts pour élaborer le type de stratégie qui est nécessaire, qu’on parle de Point de mire un ou de Point de mire deux, ou de toute autre stratégie subséquente qu’elle a tenté d’élaborer pour combler les besoins d’une puissance maritime canadienne. Nous devons nous assurer qu’il s’agit là d’un processus permanent libre, ouvert à la critique, et qui, en fait, n’est pas étouffé par l’effort de former un gouvernement général neutre adapté à tous.
Le deuxième élément que nous devons maintenir en place est la stratégie de construction navale. Pendant trop longtemps, la construction navale au Canada a avancé par à-coups, ce qui s’est avéré cher et problématique. La stratégie de construction maritime doit être maintenue afin que nous soyons en mesure de reproduire ce que font les Américains, les Japonais et les Français pour s’assurer que leur chantier produit continuellement et sans interruption des navires à la fine pointe de la technologie.
Troisièmement, nous devons nous assurer que nous avons les capacités marines et sous-marines les plus modernes et les plus imposantes possible, tant en termes de missiles, comme vous l’avez entendu, qu’en termes de capacité sous-marine. Les torpilles actuelles, qui peuvent probablement atteindre la vitesse des missiles, constituent une menace que nous devons être en mesure de contrer. Je recommande que nous commencions sérieusement à penser au maintien de notre force sous-marine.
Finalement, nous devons avoir la capacité de contrer la très grande majorité de ces importantes menaces. Nous devons veiller à ce que les dirigeants politiques se souviennent du fait que le Canada est une puissance maritime. Non seulement nous devons nous assurer que nous avons effectivement une Marine, mais en plus, nous devons nous souvenir que notre Marine est capable de répondre à la grande majorité des besoins et de contrer une aussi grande majorité de menaces.
Merci beaucoup.
Merci de l’invitation. C’est toujours un honneur d’être invitée ici.
Conformément à mon domaine d’étude, je vais limiter mon commentaire à la disponibilité opérationnelle des forces navales et à la défense de l’Amérique du Nord dans trois secteurs. Le premier est la connaissance du domaine maritime. Le deuxième est l’alerte maritime, particulièrement dans le contexte du Commandement de la défense aérospatiale de l’Amérique du Nord (NORAD). Le troisième est le contrôle maritime, lequel est actuellement exercé de manière bilatérale avec les É.-U., mais qui pourrait devenir binational à l’avenir. Ces trois secteurs sont souvent négligés, mais j’estime que lorsqu’on parle de disponibilité opérationnelle, il est essentiel de bien connaître l’environnement, les acteurs, les activités et les menaces potentielles dans les approches de l’Amérique du Nord.
Je constate aussi que les discussions au sujet de la disponibilité opérationnelle ont tendance à se limiter à la taille de la flotte et à la capacité à l’étranger et négligent l’importance du partage de l’information et des renseignements avec d’autres ministères, qui détiennent potentiellement 90 % de l’information disponible sur les navires d’intérêt dans les zones maritimes canadiennes.
Le premier secteur est la connaissance du domaine maritime, ce qui est représenté par la compréhension de quoi que ce soit dans le milieu maritime qui pourrait affecter défavorablement la sécurité, l’économie ou l’environnement du Canada. Ce défi est permanent. Il est très dépendant de la technologie, comme la disponibilité des constellations RADARSAT, de l’information et des renseignements d’autres ministères, et d’éléments aussi simples que le nombre d’heures de vol consacrées à la surveillance et la capacité de la Marine à entrer en concurrence avec d’autres ministères pour l’obtention de ces heures de vol.
Pour améliorer la connaissance du domaine maritime, le Canada a créé en 2004 trois Centres des opérations de la sûreté maritime (COSM), dans le contexte qui a mené aux événements de 9/11. Les COSM de la côte est et de la côte ouest sont dirigés par la Marine; ils hébergent d’autres ministères du gouvernement; leur fonction est la fusion et l’échange de renseignements pour aider à tracer un tableau des opérations maritimes canadiennes. L’exactitude et l’utilité de ce tableau sont fonction de l’exhaustivité, de l’exactitude et de l’évaluation de l’information fournie par tous les participants.
Si, par exemple, d’autres ministères décidaient de ne pas participer, cette décision compromettrait une partie de ce tableau ainsi que les options disponibles pour la Marine.
Le deuxième secteur est la nouvelle mission d’alerte maritime du NORAD. Cette mission a été ajoutée en 2006, quand l’accord a été signé à perpétuité. Cette mission n’est toujours pas bien comprise. Elle comporte trois volets; l’image commune de la situation opérationnelle du Canada en est un élément essentiel.
L’alerte maritime porte d’abord sur le traitement, l’évaluation et la diffusion des renseignements et informations opérationnelles relatifs aux approches maritimes de l’Amérique du Nord. Deuxièmement, il faut, pour la préparer, élaborer une compréhension complète et commune des activités qui se déroulent dans l’image commune de la situation opérationnelle du NORAD. Finalement, il faut des alertes et des avis sur les menaces maritimes lancées contre l’Amérique du Nord.
La zone d’opération maritime du NORAD est mondiale, ce qui permet au Canada d’obtenir plus d’information et des alertes plus hâtives que les systèmes nationaux pourraient lui fournir à eux seuls. C’est particulièrement important pour l’Arctique.
L’image commune de la situation opérationnelle du NORAD, générée par les forces américaines des Forces navales alliées Nord (NavNorth), n’est valable qu’en fonction de l’information fournie par le Canada et ses alliés.
Le troisième secteur est le contrôle maritime ou le moyen de dissuader ou de faire échouer une menace. Le NORAD n’est pas encore investi de cette mission, mais elle pourrait lui être confiée à l’avenir. Au cours des prochaines semaines, le NORAD envisagera la direction que prendra son évolution. Il ne fait pas de doute que le 60e anniversaire du NORAD, qui aura lieu en 2018, est un important stimulant.
Notre Marine travaille en étroite collaboration avec les États-Unis et la garde côtière, ainsi qu’avec d’autres ministères canadiens. La Marine travaille de manière bilatérale avec les É.-U. afin d’établir le contrôle maritime, mais si le NORAD acceptait la mission de contrôle maritime et qu’il la mène à terme il faudra réfléchir aux structures de contrôle et de commandement naval du Canada.
La communauté maritime canadienne est petite, et il semble que tous se connaissent, mais si nous voulons que la connaissance du domaine maritime, l’alerte maritime et le contrôle maritime sous toutes leurs formes conservent une longueur d’avance sur les menaces changeantes, il faudra prêter sérieusement attention à ces fonctions parfois orphelines.
Il manque au Canada un bureau national de renseignements-intégration maritimes comme celui qu’il y a aux États-Unis, lequel impose un examen de ces types de fonctions. Au Canada, le partage de l’information entre les autres ministères et la Marine est toujours en chantier. Un lexique maritime commun est également en progression. Le NORAD n’a pas encore formulé officiellement de commentaires sur l’utilité des alertes et des avis, et je crains qu’il y ait un écart grandissant avec les menaces perçues auxquelles les Américains se sentent confrontés. Il y a certainement pour nous un besoin accru de poursuivre les responsables et non l’arme, ce qui pourrait représenter un changement de doctrine pour la Marine et les Forces armées canadiennes.
C’est ainsi que je termine mes observations. Je suis prête à répondre à vos questions.
Monsieur le président, je souhaite présenter un fait survenu à la dernière réunion de jeudi dernier. Je fais référence à un commentaire formulé par ma collègue qui à mon avis était inapproprié et entrait directement en conflit avec l’Annexe I du Règlement, le « Code régissant les conflits d’intérêts des députés ». Étant donné la déclaration qui a été faite, qui insinuait qu’un membre de ce comité et d’autres membres du Parlement... avait enfreint un des principes énoncés dans l’Annexe I du Règlement, probablement les principes 2(b) et 2(c), et que le membre n’a absolument aucune preuve pour appuyer une telle déclaration, je demande que Madame Cheryl Gallant présente ses excuses au comité pour la déclaration fausse suivante qu’elle a faite jeudi dernier. Je cite :
Mme Romanado a mentionné que en tant que parent d’une membre des Forces armées canadiennes.... Il se pourrait que les enfants des membres actifs du Parlement, particulièrement ceux au sein du gouvernement, puissent être libérés de la vie militaire et intégrés immédiatement au sein des anciens combattants, mais la personne ordinaire moyenne qui quitte l’armée pour raisons médicales n’a pas cette chance.
Je demande donc que ce membre retire sa déclaration et présente ses excuses.
Merci.
D’accord. Je considère le sujet clos.
Passons aux questions de sept minutes sur ce qui a été dit aujourd’hui par nos témoins.
M. Spengemann, la parole est à vous.
Professeure Charron et professeur Huebert, c’est formidable de vous revoir. Merci pour votre temps.
J’aimerais commencer par présenter la question de fond en nous ramenant aux deux principales menaces que vous avez mentionnées, professeur Huebert, à savoir la Russie et la Chine, et en mettant cette question dans le contexte de nos besoins afin de jeter un coup d’œil à notre programme de sous-marins, en particulier.
Je veux aussi attirer l’attention sur les nouvelles récentes selon lesquelles la Chine s’aligne de plus en plus sur l’Iran, comparativement à ce que nous avons pu voir dans l’histoire récente. Lorsque vous parlez de réinventer notre marine et notre stratégie navale, je me demande si vous pourriez commenter les paramètres plus précis que vous voyez à l’égard de la Russie et de la Chine, en matière de plateformes et de chiffres, et notre besoin d’anticiper plutôt que de réagir. De plus, lorsque nous jetons un œil sur nos amis en Australie, qui forment une nation du Pacifique beaucoup plus petite avec un littoral beaucoup plus court — nous avons le plus long littoral au monde —, nous voyons que les Australiens ont un programme qui, sur le plan des chiffres, regroupe maintenant de 6 à 12 sous-marins. Je me demandais si vous pourriez commenter là-dessus.
J’aimerais également entendre la professeure Charron là-dessus. Du point de vue de cette menace stratégique que représentent la Russie et la Chine, sur quoi précisément devrions-nous garder un œil et que devrions-nous faire à moyen terme?
C’est une question très importante, car elle nous permet de parler des vraies choses et d’essayer d’établir pourquoi nous avons besoin de la marine.
Dans le contexte de la capacité de la Russie, il y a un endroit où nous voyons les Russes investir la majeure partie de leur argent et réussir, et cet endroit, c’est leur programme de sous-marins nucléaires. Il s’agit de l’exigence de sécurité de base pour la Russie. C’est inscrit dans ses documents. C’est inscrit dans son dispositif militaire. Il s’agit de maintien de la dissuasion nucléaire. Les Russes appellent cela la stabilité nucléaire.
Cette situation crée un problème, à savoir que les Russes travaillent également à élargir leur rayon d’action maritime. Nous l’avons vu récemment avec le déploiement de leur porte-avions sur les fronts syriens. Ils ne sont pas obligés d’y envoyer un porte-avions, mais cela leur permet de montrer qu’ils projettent de se doter d’une capacité de surface. Ce que cela signifie pour le Canada, c’est que nous aurons un nouveau problème, et ce problème, c’est qu’à mesure que nous faisons face à une Russie de plus en plus agressive, nous devons composer avec le fait que notre plus proche allié, les États-Unis, s’inquiète de plus en plus de la flotte de sous-marins nucléaires lanceurs d’engins, SNLE, russes.
Publiquement, les Américains nous disent que tout est beau et que tout va bien. Cependant, nous pouvons voir, dans leurs efforts d’approvisionnement, en particulier pour leurs sous-marins de classe Virginia, qu’ils continuent à se doter de sous-marins aptes à effectuer des missions anti-sous-marines. Nous allons devoir répondre à ce type d’exigence, même si nous ne pensons pas que les Russes soient passés en mode agressif, ce qui, je pense, constitue un faux contexte pour cet élément. Mais nous le voyons dans les achats effectués par les États-Unis, et nous le voyons dans le dispositif militaire américain. Cela nous renvoie directement à ce que disait la professeure Charron sur la mission maritime du Commandement de la défense aérospatiale de l’Amérique du Nord, NORAD.
En ce qui concerne les Chinois, probablement l’une des menaces les plus importantes auxquelles nous ferons face — et c’est quelque chose à laquelle les Australiens sont très sensibles, vous pouvez le lire dans tous leurs documents et vous pouvez le voir dans leur récente décision d’acheter 12 sous-marins de la France — est le fait que la Chine devrait devenir une nation maritime avec laquelle les nations occidentales devront composer. Les Chinois sont déjà en voie de devenir un concurrent de notre niveau. Nous pouvons le voir dans la composition de leurs forces et dans leurs déclarations. Nous pouvons voir qu’ils sont de plus en plus mécontents de la dimension juridique actuelle de la sphère internationale. Il suffit d’examiner la récente décision d’arbitrage qui a été prise très clairement à leur encontre. À la lumière du type de missiles et de sous-marins dont la Chine se dote, nous soupçonnons que la Chine menacera de plus en plus les intérêts occidentaux.
S’il faut s’attendre à une telle menace à long terme, le Canada aura besoin de la meilleure capacité de réponse face à une menace sous-marine, donc de sous-marins qui lui appartiennent. Nous ne sommes pas dans un film de la Deuxième Guerre mondiale, où nous avons des destroyers pour nous défendre en surface. Il faut des sous-marins pour combattre des sous-marins. Afin de nous mesurer aux unités de classes 094 et 096 qui sont en cours de préparation et que les Chinois construiront en nombre croissant, il est impératif que nous maintenions une flotte de sous-marins, tout comme celle des Australiens.
Certains Canadiens diraient que nous avons des amis au sud qui s’en occuperont et que nous avons des alliés de l’autre côté de l’Atlantique qui ont des flottes. Que nous disent nos alliés, précisément, que nous devrions faire plus en matière de développement des forces navales, et particulièrement à l’égard du programme de sous-marins? Nous a-t-on dit que nous devons combler des lacunes?
Pour l’heure, il est très ardu de répondre à cette question. Comme je l’ai dit dans mon allocution d’ouverture, ce que nous voyons de plus en plus parmi bon nombre de nos plus proches amis et alliés, c’est un regard porté vers l’intérieur, et je ne pense pas que cela leur permet d’adopter la perspective d’une alliance puisqu’il leur faudrait regarder vers l’extérieur et voir le type de menaces auxquelles nous faisons face. À ce stade, je ne suis pas au courant ou au fait des types de conversations qui ont lieu au sujet des menaces précises auxquelles le Canada doit répondre.
La raison pour laquelle je dis que nous devons avoir une flotte indépendante de sous-marins, c’est que, comme nous l’avons vu au cours de l’actuelle campagne électorale, nous ne pouvons être sûrs que les États-Unis auront toujours à cœur les intérêts du Canada. À long terme, nous devons être sensibles à ce fait. N’oubliez pas, quels que soient les résultats du scrutin pour Trump, une partie importante de la population a des visées isolationnistes. Et ceci, à mon avis, est également une menace. Nous devons nous assurer d’avoir une flotte indépendante si le pire type d’environnement, c’est-à-dire un retour à l’isolationnisme américain, est ce qui nous attend au bout du chemin.
Habituellement, lorsque vous assistez à une séance d’information du NORAD sur les menaces stratégiques que représentent la Russie et la Chine, son personnel a tendance à mettre l’accent sur la menace aérospatiale, donc, sur le fait que la Russie investit des ressources considérables dans les forces nucléaires stratégiques ou qu’elle dispose maintenant d’une force de frappe de précision à l’échelle mondiale. Dans le cas de la Chine, il est question de la modernisation rapide des forces nucléaires de ce pays.
En ce qui concerne les sous-marins canadiens, il ne s’agit pas de quelque chose que je peux forcément commenter, mais je pourrais en quelque sorte réitérer la réflexion de John Mearsheimer. L’avantage que les États-Unis ont sur la Russie et la Chine en ce moment, c’est que les États-Unis ont la liberté de se déplacer, liberté dont la Russie et la Chine ne jouissent pas encore. Ça s’améliore pour eux, mais ces pays n’ont pas encore cette liberté. À titre d’un des plus importants alliés des États-Unis, le Canada réfléchit à la façon dont ses capacités en croissance égaleront celles des États-Unis à conserver cette liberté de déplacement.
Bienvenue de nouveau à nos témoins. Nous sommes très honorés de vous revoir. En fait, vous faites mieux que notre chef d’état-major de la Défense, à qui nous demandons une séance d’information depuis que le présent comité a vu le jour. Je ne sais pas pourquoi le gouvernement ne le laisse pas venir ou ce qu’il pourrait éventuellement nous dire et qu’on ne veut pas nous faire entendre. Nous n’avons eu aucune séance d’information sur les déploiements, malgré nos questions répétées. Qui plus est, nous n’avons eu aucune séance d’information, même à huis clos, sur la protection des forces et sur ce qui a été fait pour protéger nos membres des forces armées depuis l’attaque contre un centre de recrutement.
Je suis très déçue de voir que, malgré la promesse d’un gouvernement public ouvert et transparent, non seulement nous sommes privés d’une audience du chef d’état-major de la Défense, mais qu’en plus, les députés ne peuvent même plus prendre la parole. Le comité et la Chambre des communes sont censés être des lieux sacrés où un député peut poser des questions ou faire des déclarations sans crainte de représailles.
Ma première question s’adresse à la professeure Charron.
Que dites-vous de l’exercice de simulation d’attaque nucléaire en Russie dont les médias ont parlé et auquel ont participé 40 millions de personnes?
Je ne suis pas au fait d’informations classifiées. Je ne sais rien de plus que ce qui a été rapporté dans les nouvelles. Certes, c’est quelque chose que les gens suivent, mais il faut se rappeler qu’il y a deux parties à toute menace. Il y a une capacité, mais il faut aussi une intention. Je pense que, parfois, nous sommes prompts à présumer l’intention, mais c’est quelque chose que, je pense, nous devons étudier plus à fond.
En ce qui concerne la visite prévue d’un sous-marin nucléaire américain à Guam, quelles seraient, à votre avis, les ramifications éventuelles qu’aurait la Russie ou toute autre entité du même secteur avec l’exercice qui a été planifié?
La bonne nouvelle au sujet des exercices est que, généralement, ils sont bien communiqués. Il est certain que tout le monde les observe. Tant qu’ils sont prévus et planifiés, ces exercices sont loin d’être aussi inquiétants que lorsqu’ils sont organisés de façon soudaine et que les gens sont pris au dépourvu.
Voilà pour mes commentaires sur ce que je sais du domaine maritime. Il est très important de toujours être au fait de ces événements et d’être capable de les mettre plus ou moins en contexte. Autrement, nous risquons de prendre certaines décisions précipitées qui pourraient donner lieu à des événements que nous ne pourrions pas inverser, ce qui n’est jamais une bonne chose non plus.
Monsieur Huebert, nous n’avons pas, dans notre marine, de sous-marin qui peut aller sous la glace, alors je vais vous poser une question à deux volets. Premièrement, pensez-vous que nous avons besoin de ce type de sous-marin? Deuxièmement, la politique nucléaire du Canada est de ne faire aucune utilisation de l’énergie nucléaire dans un objectif militaire. Si vous pensez que nous avons besoin d’un sous-marin qui peut aller sous les glaces de l’Arctique et que la seule façon d’y parvenir serait d’utiliser un sous-marin à propulsion nucléaire, pensez-vous que le Canada devrait songer à modifier sa politique afin de pouvoir utiliser cette application de l’énergie nucléaire?
Nous avons envisagé deux fois d’acquérir des sous-marins à propulsion nucléaire et, chaque fois, c’est le coût qui a mis un terme à nos projets. Il ne fait aucun doute qu’un sous-marin à propulsion nucléaire nous permettrait d’aller sous la glace, mais le problème, pour tous les planificateurs, a toujours été ce qu’il faut sacrifier pour obtenir cette capacité. Autrement dit, il n’a pratiquement jamais été possible pour les Canadiens, autant libéraux que conservateurs, d’accorder un budget pour la défense qui nous permettrait de répondre à toutes les exigences que nous avons déjà vues pour une flotte de surface et, en même temps, d’investir dans le nucléaire. Depuis toujours, le facteur du coût a toujours mis un terme à nos projets.
Est-ce que j’aimerais personnellement nous voir disposer d’un ou de deux sous-marins à propulsion nucléaire? Bien sûr, mais je suis un universitaire. Je n’ai pas à examiner la question plus large dans ce contexte particulier.
De manière réaliste, la meilleure chose que nous pouvons faire est de travailler aussi étroitement que possible avec les Américains, ce que nous avons fait, afin qu’ils puissent assurer une protection sous la glace. En même temps, le Canada doit conserver sa capacité sous-marine afin que les Américains nous tiennent pleinement informés de leurs actions. Et nous savons maintenant, ajouterais-je, que cela a été le cas.
Nous avons beaucoup spéculé sur le fait que cela n’a pas été le cas par le passé. Toutefois, l’un de nos étudiants à l’Université de Calgary a trouvé des documents démontrant qu’il y a eu un accord entre le Canada et les États-Unis quant à la façon de procéder sous la glace, ce qui indique clairement qu’il n’y a pas eu de violations de la souveraineté.
En ce qui concerne les capacités nucléaires, n’oubliez pas que durant la guerre froide, le Canada, en tant que membre de l’OTAN, a toujours dû souscrire au principe selon lequel il convenait d’éviter de frapper en premier. Nous étions parfaitement conscients que si les Soviétiques avaient attaqué, nous aurions été obligés de songer au nucléaire.
Vous entrez dans une zone floue avec votre seconde question quant à savoir la portée de ce que nous pouvons faire, et ce que nous pouvons et ne pouvons pas faire.
Je vais dire une autre chose quant à votre remarque sur la question des informations. Il est aussi souvent ardu, pour nous, comme universitaires, d’obtenir des informations. Par exemple, nous ne savons pas combien de vols de patrouilles de bombardiers à long rayon d’action que les Russes ont réalisés jusqu’à l’espace aérien canadien. Ces renseignements sont généralement classifiés, et il est très difficile pour nous de savoir si nous devons ou non nous inquiéter, parce que cette information n’est pas rendue largement disponible.
Beaucoup de documents qui constituent le fondement de ce qui nous intéresse sont, en effet, des documents classifiés. Certains d’entre eux sont classifiés pour de très bonnes raisons. J’oserais dire que certains le sont pour des raisons politiques et parce que nous avons hérité de l’usage britannique qui dit qu’il faut classifier à moins qu’il soit possible de prouver l’absence de danger, contrairement aux Américains qui disent qu’il faut classifier seulement s’il est possible de démontrer qu’il y a effectivement un danger. C’est un problème qui, je pense, nous touche tous.
Je remercie les deux témoins d’être revenus nous voir aujourd’hui.
Vous avez dit que le deuxième besoin était de maintenir notre stratégie de construction navale. Ma question pour vous est la suivante: de quelle stratégie est-il question? Ce que nous avions, au départ, était une stratégie où il était question de construire des navires de patrouille dans l’Arctique, à l’origine au nombre de huit, puis de six et maintenant de cinq. Nous avions l’habitude de parler d’un minimum de 15 combattants de surface, et maintenant, nous parlons d’un plafond de 15. Nous avons parlé des navires de ravitaillement. Nous parlions de trois navires, et maintenant, nous parlons de deux, peut-être de trois.
Mon inquiétude est que, tandis que tout le monde dit soutenir la stratégie de construction navale, cette stratégie est en fait en train de se transformer en une version amoindrie de sa version originale. Elle devient un plafond plutôt que de constituer un plancher pour les besoins militaires.
Avez-vous des commentaires sur cela?
Absolument. C’est une très bonne question.
C’est une réaction typiquement canadienne. Au lieu de comprendre que la stratégie — telle qu’elle a été conçue et telle que les experts l’ont demandée — doit être vue comme un processus continu plutôt qu’une fin, et comme vous l’avez souligné, nous avons de plus en plus tendance à dire qu’il n’est pas question d’un processus continu. Nous nous demandons comment parvenir à un produit final de cinq, six ou sept navires de patrouille dans les eaux extracôtières de l’Arctique avec 14 ou 15 combattants de surface.
Nous savons, et c’est la partie qui est si frustrante pour nous, que d’un point de vue technologique, d’un point de vue économique et, surtout, d’un point de vue militaire, nous ne pouvons pas nous arrêter lorsqu’il est question de technologie. La seule façon de nous assurer que nos ressources navales disposent de la meilleure marine, et de la marine la plus moderne, est de mettre nos technologies à niveau de façon constante et continue.
La seule façon dont les Américains, les Japonais et les Français ont pu y parvenir, c’est en adoptant une stratégie de construction navale qui dit: « Nous aurons toujours un bateau en construction. Nous allons constamment améliorer la technologie, en gardant à l’esprit que nous voulons être en mesure de moderniser nos équipements de manière rétroactive. Nous voulons avoir un seul porte-avions qui sorte à la fois et un seul sous-marin qui sorte à la fois ». C’est un processus continu qui ne connaît jamais de fin.
De notre perspective actuelle, sur les plans économique et industriel, l’idée de construire une classe entière de navires, comme nous l’avons fait pendant la Deuxième Guerre mondiale, est tout simplement dépassée. Nous nous trouvons à payer pour ces très nombreux navires équipés d’une technologie de pointe pour leur temps, puis les laissons tomber en morceaux parce que nous ne pouvons assurer la main-d’œuvre nécessaire.
En théorie, la stratégie de construction navale, telle qu’elle a été présentée, doit être considérée comme un processus continu. Nous construisons les navires de patrouille extracôtiers pour l’Arctique, mais au lieu d’essayer de compresser la stratégie comme nous le faisons actuellement — et c’est là le problème — nous l’échelonnons, puis nous nous préparons à déployer nos combattants de surface.
Le problème auquel nous faisons face, bien sûr, est le fait que nous avons toujours tout fabriqué en série, et c’est pourquoi nous devons faire face aux problèmes posés par cette obsolescence aujourd’hui. Nous avons donc deux contraintes devant nous. Nous avons, d’une part, le besoin immédiat et, d’autre part, la reconnaissance que nous avons une rare occasion de bien faire les choses, mais nous devrons souffrir un peu, et il nous faudra de la patience sur le plan de la politique. C’est, bien sûr, l’un des aspects qui nous posera des difficultés, comme État démocratique.
Ma deuxième question concerne la tendance à tout remplacer par la stratégie. La stratégie de construction navale devait remplacer certaines capacités. Les sous-marins, dont vous avez parlé, ou les aéronefs de patrouille à long rayon d’action ne font pas partie de la stratégie de construction navale, mais nous parlons de cette stratégie comme si c’était la solution.
Comme représentant d’une base où des sous-marins ont été remis en état, j’ai été heureux de vous entendre parler de sous-marins. Pourriez-vous nous parler davantage de la nécessité, en particulier dans la région Asie-Pacifique, de maintenir notre capacité sous-marine?
Absolument.
L’une des grandes difficultés auxquelles nous devons faire face quand nous parlons des sous-marins — et il faut alors retourner aux commentaires de vos collègues sur le secret —, c’est le fait que nous ne connaissions pas leur dossier de réussite.
En d’autres termes, si vous parliez au contre-amiral John Newton ou à quiconque a occupé un poste de commandement opérationnel de sous-marins, ni lui ni personne de ce rang ne pourraient vous raconter leur réussite. Cependant, nous entendons parler de chaque défaillance, chaque fois qu’un sous-marin heurte quelque chose la nuit ou qu’il se produit un incident. Nous ne pensons pas souvent au fait que d’autres pays conservant des sous-marines ont eu des accidents bien pires que ceux que nous avons eus.
Ceci dit, la raison pour laquelle nous avons besoin de sous-marins concerne en premier lieu ce que M. Charron mentionnait, c’est-à-dire la connaissance du domaine. Le seul moyen pour nous d’obtenir de l’information de nos alliés et de nos pays amis sur ce que font et découvrent leurs sous-marins consiste à détenir nous-mêmes des sous-marins. Si nous n’avons pas de sous-marins, nous n’aurons pas de connaissance partagée du domaine sous-marin.
En second lieu, nous devons disposer d’une capacité indépendante afin que les Chinois ou tout autre pays représentant une menace ne pense pas dans les termes suivants: « Eh bien, nous avons seulement à nous soucier des Américains. Nous n’avons pas à nous préoccuper des Canadiens parce qu’ils n’ont pas de capacité. » C’est un facteur dont ils tiennent compte dans leurs calculs.
Le troisième facteur, et je crois qu’il s’agit d’un facteur dont, nous Canadiens, n’aimons pas parler, c’est que dans le futur, vu l’évolution rapide de la capacité des torpilles, le seul moyen qui permettra d’assurer une défense contre un sous-marin armé de torpilles ayant une portée de 100 milles et pouvant atteindre une vitesse pratiquement équivalente à celle des missiles de surface consistera à avoir son propre sous-marin.
Si vous vous contentez d’avoir des bâtiments de surface, cela signifie qu’à un moment donné vous n’offrirez que des cibles flottantes pour les sous-marins, compte tenu de la direction que prend la technologie. Si vous voulez vous défendre contre les sous-marins, vous devez avoir des sous-marins vous-mêmes.
Je vais attendre une autre séance de discussion avant de parler à Mme Charron.
J’ai seulement une question de suivi.
En ce qui concerne la question du recours à une conception disponible immédiatement sur le marché pour les navires canadiens, pensez-vous qu’il s’agit d’un élément pertinent pour le débat, compte tenu du fait que vous insistez davantage sur la technologie que sur les coques?
La réalité, c’est que nous, les universitaires et les politiciens, nous avons du mal à traiter des nuances. Nous aimons ce qui est blanc ou ce qui est noir, n’est-ce pas?
L’enjeu évidemment consiste à déterminer ce que l’on veut dire par technologie disponible immédiatement ou technologie de série. Voilà où un grand nombre d’entre nous bloque. Nous nous disons qu’il s’agit d’une sorte de technologie pure et faite au pays. Nous songeons à un ensemble de caractéristiques de style albanais. Nous savons où cela peut nous mener. Quand nous disons disponible sur le marché jusqu’où pouvons-nous aller? Même si votre propre pays se charge de la conception, les experts qui réalisent cette conception sont inévitablement influencés par des experts d’ailleurs.
J’ai toujours de la difficulté lorsque quelqu’un me pousse un peu et me dit: « Voulez-vous le construire au Canada ou voulez-vous vous procurer un sous-marin disponible sur le marché? » Je réponds invariablement: « D'accord, dites-moi la différence entre les deux. » Je pense qu’il faut avant tout s’assurer que nous avons la capacité d’assembler nos unités navales sur le territoire canadien.
Il importe peu que le nouveau navire soit un navire de conception berlinoise, dans la mesure où nous disposons de la capacité voulue pour le construire au Canada et que nous ne devenons pas esclaves d’autres forces armées qui soudainement veulent nous imposer des choses. Je pense que c’est ainsi qu’il faut procéder.
C’est la voie que les Australiens empruntent, car leurs sous-marins vont être de conception française. Ce sera des navires de conception française, mais ils pourront les construire dans les chantiers australiens à un moment donné du processus. Pour parler franchement, l’histoire nous dit que c’est la meilleure façon de faire les choses. C’est de cette façon que les Japonais sont devenus une puissance navale après la Première Guerre mondiale, précisément en travaillant de cette manière avec les Britanniques.
Cette combinaison de moyens est la solution. Voilà la réponse que vous et moi n’aimons pas, mais c’est pourtant le chemin à suivre.
Je tiens à remercier nos deux témoins qui se sont joints à nos discussions une fois de plus. C’est un véritable plaisir de vous revoir ici.
Ma première question s’adresse à Mme Charron.
Vous avez effleuré un sujet qui me préoccupe grandement. À l’heure actuelle, notre accord du NORAD fait uniquement mention de la connaissance du domaine et non du contrôle du domaine en ce qui touche notre territoire maritime. Vous y avez fait une petite allusion quand vous avez parlé du fait qu’il s’agissait d’une occasion compte tenu du fait que ce sera bientôt le 60e anniversaire de l’accord du NORAD.
Pouvez-vous nous parler des pièges résultant du fait que nous ne disposons pas du contrôle maritime dans le cadre de notre accord actuel du NORAD? Quels éléments devrions-nous songer à modifier dans l‘accord. Que devrions-nous examiner, compte tenu des menaces actuelles et des menaces envisagées?
Bien que le NORAD assume la responsabilité de l’alerte maritime, la connaissance du domaine maritime demeure essentiellement la responsabilité des deux états.
Je viens tout juste d’entreprendre une étude visant à déterminer quelles seraient les répercussions si le NORAD englobait le contrôle maritime. L’administration du NORAD elle-même procède à cet examen. Ce processus est désigné sous le nom EVONORAD. L’administration examine non seulement l’aspect du contrôle maritime, mais aussi l’aspect cybernétique et peut-être d’autres éléments.
Voici mon commentaire à propos de la date butoir de 2018. Je suis préoccupée par le fait que cette date imminente peut accélérer la prise de décision avant que nous ayons vraiment eu le temps de réfléchir à toutes les implications. Nous sommes structurés différemment des États-Unis. Eux disposent du NORTHCOM, qui peut assurer le commandement des forces maritimes, terrestres et aériennes, mais au Canada nous disposons d’un système à plusieurs embranchements. Nous avons le COIC, mais nous avons aussi la 1re Division aérienne du Canada à Winnipeg, qui s’occupe de tous les aspects de l’élément aérien, en particulier les aspects concernant le NORAD. Le COIC assume le commandement des forces expéditionnaires maritimes et aériennes. Nous ne disposons pas d’un système intégré comme ils aiment le dire au NORAD, un seul bouton à appuyer.
Nous avons aussi les FMAR(A) et les FMAR(P). Nous avons aussi l’Arctique. Les FMAR(A) s’occupent de l’Arctique et jouent le rôle de principal centre de communication pour l’image commune de la situation opérationnelle. Si nous entendons transférer le contrôle maritime au NORAD, nous devons examiner ces structures de commandement et de contrôle C2, pour nous assurer qu’ils ne seront pas un obstacle pour la coordination de nos réactions avec le NORAD.
Par ailleurs, le NORAD examine divers points notamment quel devrait être son rôle. Si le rôle du NORAD devient stratégique par rapport à son rôle opérationnel, il faudrait envisager de déterminer qu’une des régions du NORAD devrait essentiellement être commandant de composante de combat; ce qui aurait alors des répercussions intéressantes sur la relation de la région NORAD du Canada, RC NORAD avec CONR. Nous devons aussi tenir compte de la région de l’Alaska du NORAD.
Toutes les personnes intéressées commencent à penser à ces répercussions, et nous devons encore nous pencher sur les divers aspects. Cela équivaut un peu à tenter de changer les pneus d’une automobile qui roule encore. Nous ne pouvons nous payer le luxe de demander si tout le monde peut prendre un temps d’arrêt afin que nous puissions y réfléchir. Nous devons continuer de réagir aux menaces tout en envisageant les changements à apporter au commandement et au contrôle de nos capacités et à notre relation avec les États-Unis.
Vous avez mentionné que vous commenciez une étude à ce sujet. Je suis curieux de savoir quand cette étude sera terminée.
Merci. Je vous reviendrai là-dessus si j’en ai le temps.
Ma prochaine question s’adresse à M. Huebert.
Vous avez parlé d’une manière différente d’examiner notre approvisionnement, qui, excusez le jeu de mots, est en quelque sorte un pipeline d’approvisionnement. Vous créez cette chaîne d’approvisionnement permanente de navires ou d’actifs de tous les types faisant partie de notre défense militaire. C’est différent, comme vous l’avez dit, de ce que nous avons fait dans le passé, alors que nous passions la grosse commande, que nous faisions la grosse annonce, à grand bruit, nous espérons que les actifs seront livrés à temps et ensuite nous n’y toucherons pas pendant quelques années.
Puisque dans le cadre de l’examen de la politique de défense nous nous penchons sur ces questions, que nous recommanderiez-vous? Recommanderiez-vous que nous adoptions une stratégie à long terme avec des objectifs à court terme pour combler nos lacunes actuelles relativement à notre capacité navale — bien sûr, maintenant nous nous penchons sur la capacité navale —, mais qu’en est-il de notre capacité aérienne et terrestre? Alors, si nous voulons une stratégie à long terme, il faudra adopter une nouvelle façon de penser au gouvernement, parce que chaque fois qu’un nouveau gouvernement est élu, il fait un examen des projets et ainsi de suite. Comment cette planification et cette stratégie à long terme conviendraient-elles pour notre approvisionnement militaire?
C’est une très bonne question. La réponse globale dans l’immédiat, c’est que ce ne sera pas une solution universelle. Quand nous en arrivons à certains éléments de l’approvisionnement, le fait demeure que vous devez acheter tout immédiatement. Par exemple, nous devons décider si nous voulons conserver les blindés lourds, dont nous pensions nous délester à un certain moment, alors que les Américains et tous les autres pays ont encore tendance à acheter tous leurs chars Leopard 1 et Leopard 2 en grandes quantités. Il y a un peu d’étalement, mais on n’obtient pas l’avantage technologique possible avec les actifs du secteur naval.
Dans une très large mesure, le transport naval est unique en raison des vastes étendues d’eau, en raison aussi des capacités industrielles et en raison des nombreuses difficultés. Quand j’ai commencé à parler, comme vous le dites si bien, d’un approvisionnement de style à bande transporteuse, je parle en réalité du contexte d’un actif naval et je tente notamment de déterminer quel pays a vraiment réussi à moderniser sa marine.
Les Britanniques n’ont pas réussi. Soyons bien clairs à cet égard. Les Britanniques commencent maintenant à éprouver des graves problèmes. Essentiellement, ils ont suivi la même procédure que nous.
Les Japonais ont clairement adopté un style américain, qui consiste en une chaîne d’approvisionnement; en d’autres termes, il faut assurer un approvisionnement constant. En réalité, si vous examinez la flotte de sous-marins japonais, vous constaterez qu’ils mettent au rancard chacun de leurs sous-marins après 20 ans d’utilisation. Ils sont très stricts sur ce point. Ils ont toujours un nouveau sous-marin pour le remplacer à ce moment. Ils soutiennent qu’il s’agit d’un processus concurrentiel, soit dit en passant, mais en réalité, ils font appel à deux compagnies qui construisent un sous-marin à tour de rôle. Ainsi chaque compagnie sait qu’elle va obtenir l’occasion de construire le prochain sous-marin la prochaine fois et elle peut ainsi conserver sa main-d’oeuvre. En d’autres mots, ils nous disent: « Eh bien, nous sommes concurrentiels dans ce secteur. » En réalité, ce n’est pas compétitif, mais cela fonctionne très bien. Je crois que Mitsubishi est l’une des deux compagnies qui construisent les sous-marins et je ne peux me rappeler du nom de l’autre compagnie. Ces compagnies conservent ces vieux sous-marins ayant 20 ans d’usage, et finalement, c’est comme cela qu’elles fonctionnent dans ce contexte.
Lorsque j’aborde cet aspect particulier, je parle surtout de la perspective navale. Cela ne fonctionne pas ainsi, par exemple avec les avions de chasse, car nous connaissons tous les défis que représente ce contexte. Si nous examinons les forces terrestres, là encore c’est une tout autre histoire dans ce contexte.
Le défi que nous devons toujours relever — et vous l’avez décrit brillamment, et je vous félicite de votre honnêteté à ce sujet —, c’est bien sûr, l’avantage politique. Comme vous l’avez souligné, quiconque d’entre nous ayant examiné les livres blancs ou consulté les nouvelles stratégies sait que, dans le contexte canadien, le seul moment où nous avons un libre blanc c’est lors du premier mandat de tout gouvernement. Pour dire bien franchement, nous devrions toujours avoir des livres blancs pour répondre aux enjeux, mais d’un point de vue politique, nous avons des livres blancs seulement lorsqu’un nouveau gouvernement entre en fonction. Un livre blanc est fait durant le premier mandat d’un gouvernement. Le nouveau gouvernement change tout et ensuite lors du deuxième mandat tout revient comme c’était avant, parce que certains impératifs stratégiques limitent les gestes que l’on peut vraiment poser.
Selon moi — et je parle en tant que politicologue —, nous devons tenter de trouver un avantage politique pour le gouvernement. C’est la réalité politique, vous devez être capable de dire: « Nous avons accompli ceci. » La question qui se pose alors est comment y êtes-vous parvenus? La question à laquelle je pense est, comment les Américains font-ils pour réussir à faire ce qu’ils font avec leurs transporteurs? Comment peuvent-ils s’assurer que suffisamment de démocrates et de républicains peuvent retourner à la maison en disant: « Regardez, nous sommes derrière les succès de la classe Ford et les autres gars sont à blâmer pour tous les échecs »? Nous savons comment fonctionne le système. Les Américains ont trouvé une solution à cette valse politique dans ce contexte.
Je pose cette question sérieusement parce que si vous n’avez pas d’accord politique selon lequel vous obtiendrez du crédit pour ce que vous avez fait, nous avons tendance à ne pas aller de l’avant. Ce n’est pas un comportement canadien, mais bien un comportement américain. Cela fait partie du processus démocratique. Cela doit être intégré au système de telle sorte qu’il n’est pas nécessaire que ce soit une priorité majeure, mais cela doit être une fonction du processus démocratique.
Cependant, le point essentiel, et vous l’avez bien ciblé, c’est que pour certaines unités vous devez avoir une capacité permanente afin de pouvoir conserver la main-d’oeuvre. Cela devient une partie essentielle de tout navire futur. En outre, vous devez être en mesure d’absorber le choc du ralentissement des activités à moyen terme de même que le choc d’expansion à court terme pour s’adapter aux cycles de construction qui se présentent dans le secteur naval, et c’est là le vrai défi maintenant.
Merci.
Nous allons passer à une période de questions d’une durée de cinq minutes.
Monsieur Gerretsen, à vous la parole.
Monsieur Huebert, j’aimerais examiner un commentaire que vous avez émis plus tôt à propos de la possibilité d’une approche plus isolationniste qui pourrait être adoptée par le gouvernement des États-Unis, indépendamment, je crois, du résultat de l’élection. Il pourrait y avoir une tendance vers cette orientation et vous l’avez bien souligné. Si vous remontez le fil du temps jusqu’à la période qui a suivi la Deuxième Guerre mondiale, vous constaterez que c’était une période d’isolationnisme aux États-Unis, cependant la relation entre le Canada et les États-Unis s’est solidifiée et a grandi durant cette période. Je pense qu’on pourrait soutenir que les motifs pour lesquels les États-Unis sont un défenseur du Canada, en l’absence d’une meilleure expression, ne tiennent pas tant au fait que les Américains y voient une occasion de faire preuve de bonne volonté, mais plutôt parce qu’ils y voient une occasion de se protéger eux-mêmes tout en participant à la défense du continent.
Je me demande si vous ne pourriez pas nous préciser votre pensée à cet égard. Je ne veux pas insinuer du tout que cela devrait être l’excuse du Canada. Je conviens que notre force militaire devrait être accrue, pour utiliser vos propres mots. Cependant, pourriez-vous nous fournir davantage d’explications sur l’approche isolationniste et sur la comparaison que vous avez utilisée, par rapport à ce que je viens de mentionner?
Absolument.
Nous pourrions en discuter longuement. Je dirais que les Américains, surtout sous le gouvernement Roosevelt, se sont opposés de façon très décisive à l’isolationnisme durant la période qui a suivi la Deuxième Guerre mondiale. Nous pourrions en discuter tout en sirotant un café ou une bière.
De notre point de vue, sur ce que cela représente pour le Canada, vous avez absolument raison. Les Américains, en ce qui touche tous les aspects de l’isolationnisme, vont bien sûr affirmer que la défense de l’Amérique du Nord est l’élément le plus important. Là où cela aura le plus gros impact sur le Canada ce sera sur notre liberté d’action. En d’autres termes, chaque fois qu’ils ont opté pour l’isolationnisme, les Américains se sont retournés et ont dit: « D’accord, Canada, nous faisons ceci pour l’Amérique du Nord. Cela va vous coûter ce montant supplémentaire. »
M. Charron s’est avéré notre principal chercheur expert sur le NORAD aujourd’hui. Si nous faisons une rétrospective, nous verrons que certains des experts antérieurs sur le NORAD, comme M. Sokolsky et M. Jockel, ont souligné que nous bénéficions d’un excellent accord. Ainsi, parce qu’ils avaient tendance à croire qu’ils retireraient des avantages en établissant des relations étroites, les Américains ont souvent assumé la large part des dépenses du NORAD pour l’équipement requis.
Une Amérique plus isolationniste, principe que Trump a résumé, je crois, lorsqu’il a parlé des états baltiques et affirmé ce qui suit: « Vous devez contribuer davantage pour être membre de l’OTAN », va à l’encontre de tout ce que nous avons dit en ce qui concerne la dissuasion appropriée. Cette attitude selon laquelle vous devez payer davantage. Je pense que c’est la première chose dont vous devez vous soucier.
Le deuxième aspect de l’isolationnisme est le suivant, si vous n’avez pas la capacité de dire: « Non, nous voulons faire ceci; nous voulons nous assurer que nous avons la capacité de prendre des décisions importantes » lorsqu’il s’agit des sous-marins ou des missiles d’interception ou de tout autre élément de cette nature, cela signifie que vous devez disposer d’une plus grande capacité de sorte que si les Américains décident d’adopter un mode de pensée plus insulaire, vous serez prêt à dire relativement à la protection de l’Amérique du Nord: « Nous avons déjà ces actifs. C’est le rôle que nous jouons et, soit dit en passant, vous ne pouvez dicter notre ligne de conduite à cet égard parce que nous dépensons déjà beaucoup d’argent à ce chapitre. » Heureusement, des voix plus raisonnables aux États-Unis comprendront que nous ne nous plierons pas aux directives d’une Amérique isolationniste comme la suivante: « Vous ne devez pas faire ceci », avec toutes les connotations de souveraineté que cela peut impliquer. C’est là ma plus grande crainte.
La plus grande crainte que j’ai, si l’on envisage une perspective vraiment extrême, c’est le type de réaction émotionnelle que nous commençons à voir de plus en plus. Examinez ce qui se passe en Grande-Bretagne alors qu’ils se préparent à se séparer de l’Union européenne. Alors que nous assistons à la montée de l’extrême droite en France, nous voyons que la question qui se pose c’est que l’isolement a tendance à être associé à de l’extrémisme d’un point de vue national. Je ne crois pas que nous voulions accorder trop d’attention à cet aspect, mais nous devons en être conscients dans le contexte canadien également.
Merci.
Je veux vraiment arriver à la deuxième partie de ma question. Vous avez beaucoup parlé d’augmenter les moyens des forces navales, mais pour le profane, je crois que cela signifie dépenser plus d’argent pour plus de navires et de sous-marins.
Mme Charron a présenté un très bon argument. Elle a dit que l’état de préparation va beaucoup plus loin que le simple achat de matériel et l’infrastructure physique. Elle a aussi évoqué l’échange d’information, un état de préparation plus holistique, et il ne s’agit pas seulement de dépenser plus d’argent pour y parvenir. Êtes-vous d’accord avec sa position, qu’en pensez-vous?
Oh, je suis toujours en désaccord avec Mme Charron à mes risques et périls.
Tout cela fait partie d’un ensemble. Voici le problème auquel nous sommes confrontés: ce n’est pas une chose ou l’autre. Mme Charron a absolument raison quand elle souligne l’importance d’échanger les renseignements et de se doter de capacités. Pour être pris au sérieux à ce sujet, il faut avoir les ressources sur le terrain, mais je ne parlerai pas de terrain puisqu’il s’agit des forces navales. Le problème est que nous avons besoin des capacités nécessaires pour échanger de l’information, et que nous avons besoin de tout cela.
Vous avez dit que pour les Canadiens, cela signifie d’investir plus d’argent, mais il convient d’ajouter que nous serons aussi en mesure de faire plus d’argent. Sans le maintien du système de commerce maritime ouvert dont nous faisons partie, et nous avons tendance à perdre de vue ce fait, nous n’avons pas les moyens d’offrir cette protection advenant une situation plus difficile causée par la présence d’une marine puissante comme celle de la Chine. Nous commencerons à constater les conséquences économiques néfastes pour le Canada. Autrement dit, un système de transport maritime stable est dans notre intérêt économique.
La question à se poser maintenant est: quel est notre rôle dans ce contexte? Nous ne pourrons jamais être le joueur principal. Nous ne serons jamais la Marine britannique ni la Marine américaine. Nous devons nous demander quelle est notre place tout en sachant que si nous ne la trouvons pas, cela pourrait éventuellement nous coûter très cher.
De même, j’aime votre observation: combien, sont trop de dépenses?
[Français]
Merci, monsieur le président.
Monsieur Huebert, vous avez mentionné qu'en tant qu'universitaire, il vous est parfois difficile d'obtenir l'information juste concernant les différentes menaces qui peuvent peser sur le Canada. Je peux vous affirmer que c'est mon cas également. Depuis que je suis député, je reçois beaucoup moins d'information que lorsque j'étais officier supérieur des Forces canadiennes. Dans les Forces, nous avions accès à des informations beaucoup plus sensibles que celles qui nous sont transmises ici. Nous allons essayer ensemble de cerner le problème.
Madame Charron, vous avez mentionné trois différents aspects: la connaissance maritime, l'alerte maritime et le contrôle maritime. En ce qui concerne la connaissance maritime, j'aimerais revenir sur les menaces. On entend souvent parler de menaces, mais je crois que le problème réside dans le fait de bien cerner l'intention.
En matière de menaces, les Canadiens en général ont tendance à croire que cela n'est pas possible, que personne ne viendrait attaquer le Canada, que nous sommes gentils, beaux et fins. Je crois que la menace n'est pas nécessairement une menace militaire de premier niveau — et je veux avoir votre avis à ce sujet —, mais qu'il s'agit probablement davantage d'une menace visant le contrôle du territoire à des fins économiques. Il s'agit d'assurer un passage sur notre territoire, d'y implanter une présence qui peut alors devenir une menace militaire si le Canada y réagit.
Peut-on amener les Canadiens à percevoir la menace autrement qu'une possible attaque de la part des Russes ou des Chinois, et beaucoup plus comme une menace territoriale contre la souveraineté canadienne? J'aimerais avoir votre avis là-dessus.
[Traduction]
Autrefois, nous classions les menaces dans des silos: les menaces de sûreté étaient du ressort de la Garde côtière, les menaces de sécurité relevaient de la GRC et la Marine se chargeait des menaces militaires.
Nous nous apercevons que les frontières entre les menaces sont floues. N’importe quel incident de sécurité peut se transformer rapidement en menace pour la sécurité puis en menace militaire.
Autre facteur à prendre en compte: non seulement les menaces peuvent se transformer rapidement, mais les rôles des gouvernements changent aussi. La Marine assume un rôle quasi policier lorsqu’elle se voit accorder des pouvoirs en matière de pêches, par exemple.
Il est très difficile de définir les menaces, de pointer du doigt une menace en particulier et de dire qu’elle appartient à cette catégorie. Vous avez raison: il y aura toujours une préoccupation au sujet de l’exagération des menaces provenant de la Chine et de la Russie. À mon avis, les États-Unis ressentent ces menaces beaucoup plus profondément que nous. Que le Canada sous-estime les menaces ou que les États-Unis les surestiment, cela reste à voir. Lorsqu’il est question des intérêts nationaux du Canada, j’ai tendance à les classer selon un ordre de priorité différent de celui d’autres personnes. Oui, la défense du Canada et de l’Amérique du Nord, mais au bout du compte, nous avons constaté que notre sécurité est intimement liée à l’économie. Notre 11 septembre s’est produit le 12 septembre lorsque les frontières ont été fermées, lorsque les Américains n’avaient plus confiance en nous, lorsque nous ne pouvions plus faire entrer au Canada des trains, des camions et des navires. C’est un problème qui peut alors devenir important très rapidement. Une économie saine est un élément de défense et la Marine a assurément un rôle à jouer à cet égard.
Je ne réponds peut-être pas à votre question, mais vous avez raison: il y a toujours moyen de biaiser chaque menace. Au Canada, on apprend que les divers organismes gouvernementaux devront adapter leur mandat dans toute la mesure du possible. Je crois que quelqu’un a parlé plus tôt de la Garde côtière, en tant qu’organisme lié à la sécurité. Il faudra peut-être s’en préoccuper à l’avenir parce que cet organisme détient environ 80 % des renseignements maritimes dont nous avons besoin sur les navires d’intérêt qui approchent de nos côtes nord-américaines, et parce que le mandat de la Garde côtière est limité sur le plan de l’intervention.
[Français]
Merci.
Cela confirme ce que je pense à propos de la relation très importante avec la Garde côtière. Je sais que nos Forces spéciales sont actuellement formées pour arraisonner des bateaux civils, pas seulement des navires militaires russes ou chinois. Ces bateaux peuvent provenir d'autres pays et représenter des menaces différentes.
En ce qui touche les menaces, on regarde souvent du côté de l'Ouest et de l'Arctique, mais il y a aussi l'Atlantique. J'ai mentionné au Comité, la semaine dernière, qu'à Halifax, il y avait un trafic énorme en provenance de l'Atlantique. Selon vous, est-ce que la menace civile de différentes natures pourrait être importante?
[Traduction]
Je crois que la raison pour laquelle l’Atlantique est assurément favorisé, en particulier dans le cadre de la structure maritime.... le commandant des Forces maritimes atlantiques est aussi le commandant de l’élément maritime, ce qui signifie qu’il commande et contrôle les forces navales. Nous avons toujours eu tendance à nous tourner davantage vers l’Atlantique en raison de nos relations avec le Royaume-Uni et de nos échanges commerciaux avec l’Europe de l’Ouest. En outre, il y aura toujours plus de trafic venant de l’Atlantique.
Notre regard semble maintenant se tourner davantage vers le Pacifique et nous devons réfléchir à la structure de la Marine, à la structure de la Garde côtière, etc. pour faire face à un accroissement éventuel du trafic provenant du Pacifique.
Concernant ce que vous avez dit aussi, il y a une raison pour laquelle la Chine s’est finalement dotée d’une garde côtière. La Chine s’est rendu compte qu’en envoyant sa Marine chaque fois qu’il y avait un problème, la tension montait en flèche. Il faudra peut-être réfléchir à cela. Les menaces évoluent et les mandats des ministères s’élargissent; quand on envoie la Marine, la réaction n’est pas du tout la même que lorsqu’on envoie la Garde côtière, par exemple. Cela s’applique à la Chine tout autant qu’au Canada et aux États-Unis. Faire cette distinction est parfois très utile.
[Français]
Merci, monsieur le président.
Je remercie les témoins de leur présence et de nous transmettre de nouveau leurs précieuses connaissances.
Monsieur Huebert, vous avez mentionné, au début, qu'on entendait peu parler de la Marine parce qu'elle était concentrée à Vancouver et à Halifax. On semble faire une différence entre l'eau salée et l'eau douce. Je pense principalement au fleuve Saint-Laurent. L'an dernier, deux vaisseaux de guerre ont pénétré dans le fleuve Saint-Laurent, mais on s'est seulement rendu compte de leur présence alors qu'ils étaient déjà à proximité de Québec. On leur a alors demandé de s'identifier.
Est-ce que la Marine assure bien la surveillance et la défense de toutes les voies navigables, qu'elles soient d'eau douce ou salée?
[Traduction]
Une difficulté à laquelle la Marine canadienne est toujours confrontée est le nombre limité de navires. Nous revenons bien sûr à la question des navires dans ce contexte.
Quiconque a déjà vécu à Victoria ou Halifax connaît la distinction entre une marine d’eau douce et une marine d’eau salée qui est censée être spécialisée dans les opérations en eaux côtières, ce qui signifie avoir les capacités nécessaires pour affronter le type de tempête qui frappe les côtes Atlantique et Pacifique. La distinction est importante.
Votre question concerne la connaissance du domaine maritime mentionnée par Mme Charron. Comment intégrer un système de capteurs permettant de...? Le système dont je parle englobe les personnes et la technologie de pointe, y compris le matériel de la surveillance satellite, la constellation de satellites, et l’intégration de tous ces éléments.
Comme le disait Mme Charron, la question est de savoir comment utiliser nos ressources limitées pour être en mesure de détecter les navires qui entrent dans nos eaux et il s’agit d’une exigence permanente. Encore, la réponse à cette question est plutôt insatisfaisante. Pour avoir une capacité adéquate de surveillance, il ne suffit pas de dire que nous avons résolu le problème, car d’autre part, la technologie évolue constamment, c’est donc une façon de penser.
Selon moi, bon nombre des recommandations formulées par Mme Charron à propos de la création d’un centre du renseignement naval doivent faire l’objet d’une réflexion. Cette capacité peut alors être intégrée aux ressources dont nous disposons réellement.
[Français]
Madame Charron, vous avez commencé à nous parler de la Garde côtière. Comment voyez-vous son rôle au Canada? Doit-elle, selon vous, intervenir davantage dans des situations de nature économique, de commerce maritime? C'est ce que la garde côtière de Chine semble vouloir faire.
Comment évaluez-vous actuellement le rôle de la Garde côtière canadienne?
[Traduction]
Je suis étonnée par ce qu’accomplit la Garde côtière compte tenu de tout ce qu’elle doit faire avec si peu de financement et de navires. Elle joue un rôle crucial. Elle n’a qu’une flotte et elle doit être en mesure de fonctionner durant deux saisons. Elle doit notamment veiller à ce que le réapprovisionnement ait lieu dans l’Arctique et à ce que les navires commerciaux soient en mesure de naviguer le long du Saint-Laurent et elle doit assurer le sauvetage maritime. Ce sont des responsabilités incroyables, donc de songer à rajouter plus de tâches me rend un peu nerveuse, car je crois que la Garde côtière fonctionne à plein régime et qu’elle ne peut pas en faire beaucoup plus, mais cela fait partie d’une conversation que le Canada a peut-être besoin d’avoir et tout est interrelié.
Notre Garde côtière diffère de celle des États-Unis qui a des capacités de titre 10 et de titre 14. Selon le titre 10, la Garde côtière américaine peut être placée sous le commandement des Forces américaines et se transformer en flotte de navires de guerre. En vertu du titre 14, la Garde côtière américaine est affectée à la défense intérieure et se voit confier plus de tâches policières. Notre Garde côtière n’a pas ce rôle policier, sauf en ce qui a trait à la Loi sur la prévention de la pollution des eaux arctiques dans l’Arctique.
Je crois qu’il est maintenant temps d’avoir cette discussion avec la nouvelle commissaire à propos de sa vision de la Garde côtière à l’avenir. Bien des gens sont surpris de savoir que le mandat de la Garde côtière est limité à l’aspect de la sécurité, même si c’est très important. Compte tenu de l’environnement ainsi que du trafic commercial qui est si crucial pour le Canada, je serais très prudent quant à l’élargissement du rôle de la Garde côtière de manière précipitée, car les autres fonctions essentielles, de la Garde côtière en subiraient les conséquences.
[Français]
La question s'adresse à Mme Charron ou à M. Huebert.
On me disait que l'ensemble des navires canadiens qu'on retrouve sur nos océans, que ce soit les bateaux de pêche, ceux de la Garde côtière, de l'armée, des lanceurs d'engins balistiques, peuvent être identifiés rapidement. Est-ce le cas?
[Traduction]
Oui et non. Nous disposons de systèmes d’identification des navires, et pour les navires qui se conforment à nos exigences, ces systèmes sont très utiles. Mais ce ne sont pas ceux-là qui nous inquiètent, ce sont plutôt les navires qui, pour diverses raisons, éteignent leur transpondeur. Ces navires ont parfois de très bonnes raisons. Par exemple, un navire de pêche ne voudra pas attirer l’attention pour ne pas être suivi par les autres navires de pêches et perdre les meilleures prises. Il y a aussi des raisons plus répréhensibles de vouloir éteindre les transpondeurs. Nous disposons de systèmes d’identification des navires et de radars. Nous pouvons compter sur le renseignement humain, HUMINT et des systèmes de surveillance ainsi que des patrouilles régulières. Toute cette information est examinée régulièrement et traitée par les Centres des opérations de sécurité maritime de manière à ce que nous ayons le meilleur tableau possible des opérations au Canada, le plus complet et le plus utile.
L’une des difficultés à laquelle nous sommes souvent confrontés est qu’il n’est pas toujours utile d’avoir davantage d’information parce qu’il devient alors de plus en plus difficile de discerner les valeurs aberrantes dans ce vaste tableau. C’est aussi un défi constant d’examiner les types de filtres que nous avons, la qualité de l’information communiquée, et transformer cette information en renseignement exige une fonction d’évaluation. C’est souvent la première chose qui disparaît quand on veut économiser, sur le plan de l’argent ou du personnel. Il s’agit d’un travail vraiment difficile et spécialisé. Par conséquent, avoir davantage d’information sans la capacité d’analyse pose problème; c’est comme être au courant d’une situation sans avoir la capacité de réagir. Il y a donc des lacunes tout au long du processus.
Concernant les observations formulées plus tôt par Mme Charron à propos du rôle de la Garde côtière, je crois que nous devrions inciter la commissaire à venir témoigner. J’espère que celle-ci est sur notre liste de témoins. Nous pourrions lui demander si elle croit que la Garde côtière devrait avoir plus de responsabilités et de fonctions policières en vertu de diverses mesures législatives.
Je veux tout d’abord remercier nos deux témoins d’être venus ici aujourd’hui et de contribuer à notre étude.
Monsieur Huebert, vous avez expliqué comment cela fonctionnait au Royaume-Uni, au Japon et aux États-Unis dans le secteur de la construction de navires et des ressources maritimes auxquelles ils ont recours. J’aimerais savoir quelle est la situation en Australie. Les Australiens semblent aussi avoir une approche bipartisane à l’égard de leur livre blanc. Ils ont un programme de construction navale ambitieux, notamment la construction d’au moins six sous-marins.
Je me demande si vous pourriez nous présenter le modèle australien et nous dire si le Canada devrait envisager l’adoption de ce modèle pour notre Marine.
Oui, tout à fait.
En fait, il s’agit d’un programme encore plus ambitieux. Il est question dans des articles de l’achat de 12 sous-marins, essentiellement des sous-marins nucléaires français conventionnels.
Selon le modèle australien, ce qui anime les gens lorsque le système d’approvisionnement fonctionne bien, c’est ce que l’on peut lire dans les articles, plus le décideur estime que la menace pour la sécurité est importante et réelle, plus il y a de possibilités qu’un accord bipartisan soit conclu. Ce n’est pas une critique de notre système en soi. Toutefois, on peut constater qu’à partir de 1965 jusqu’à nos jours, l’Australie rédige des livres blancs et que la menace plus forte de l’Indonésie semble correspondre à la conclusion d’un accord bipartisan. Autrement dit, la menace a semblé rassembler les idées. Il en va de même pour le Japon relativement à la Corée du Nord et certains des enjeux. Il semble y avoir une corrélation entre la bipartisanerie et les états démocratiques et la perception de la menace qui existe dans ce contexte particulier.
Quant au modèle australien, ce qui fonctionne le mieux d’après moi, c’est le processus continu de rédaction de livres blancs et d’examens et les autres mécanismes de définition des menaces. L’Australie est un pays du Commonwealth tout comme le Canada. Il a recours aux livres blancs comme nous, mais cela ne s’arrête pas là. Il y a un processus de réévaluation constante des menaces et des mesures à prendre.
C’est important pour deux raisons. D’abord, cela nous permet de traiter des enjeux en cours de façon à réagir aux changements beaucoup plus rapidement que si nous réalisions un examen en début de mandat d’un nouveau gouvernement. Deuxièmement, et c’est un facteur crucial, ce processus guide les décideurs.
Autrement dit, si vous êtes obligé d’examiner constamment les questions et que vous n’avez pas beaucoup de temps à consacrer à un quelconque enjeu, il faut repenser le processus et le voir comme un mécanisme d’information pour les responsables de la gouvernance. C’est en partie la raison pour laquelle des pays comme l’Australie, la France, le Japon et la Corée du Sud sont capables de procéder ainsi; il faut avoir recours aux décideurs plus régulièrement.
Cela va au-delà du simple examen de la Marine; il faut être en mesure de composer constamment avec le contexte de la menace. Cela permet de renseigner les décideurs quant aux menaces perçues.
Pour poursuivre la discussion sur les menaces, Madame Charron, vous êtes la spécialiste du NORAD, cet organisme chargé principalement de lutter contre les menaces aériennes, notamment les bombardiers russes qui traversent l’Arctique.
À quel point la menace maritime de la part d’intervenants étatiques et non étatiques est-elle préoccupante pour le Canada?
Je crois que c’est une préoccupation croissante.
Certains de nos systèmes de détection fonctionnent selon la taille du navire de sorte que nous sommes préoccupés actuellement par les embarcations rapides, les minuscules baleinières qui peuvent être très destructeurs, mais qui ne sont pas tenus par la loi d’avoir un système d’identification des navires, ou qui ne peuvent avoir un tel système. De manière générale, le trafic maritime augmente. Quant à savoir si cette augmentation est attribuable à la mondialisation ou au plus grand nombre de partenaires commerciaux, cela reste à voir.
Si l’on se reporte au nombre d’avis et d’avertissements donnés par NORAD, on peut affirmer qu’il y a une diminution peut-être attribuable au fait que le Canada ou les États-Unis ou les deux pays sont en mesure de détecter la menace assez rapidement pour pouvoir la neutraliser avant d’être obligés de lancer un avertissement.
Par ailleurs, notre définition de la menace évolue pour devenir plus large. Par exemple, l’une des grandes innovations de NORAD a été de suivre les navires en provenance d’Afrique de l’Ouest en raison de la menace causée par le virus Ebola. Il y a 10 ans, nous n’aurions jamais pensé que NORAD aurait pu jouer ce genre de rôle. Cela a donné le temps au Canada et aux États-Unis de dresser un plan de mesures à prendre au cas où une personne ayant été exposée à ce virus arriverait en Amérique du Nord.
Est-ce qu’il y a eu une augmentation des incursions de navires étrangers ayant des intentions malhonnêtes? Je ne sais pas. On pourrait croire qu’il n’y a pas eu d’augmentation puisque les avis et les avertissements donnés par NORAD sont à la baisse, mais peut-être aussi que nous détectons plus rapidement ce genre de situation et que nous empêchons la situation de dégénérer.
D’accord, il s’agit des menaces non étatiques. Qu’en est-il des menaces étatiques venant de la Chine, de la Russie et d’autres États qui veulent tirer profit des ressources dans l’Arctique canadien ou contester notre application des dispositions de la Convention des Nations unies sur le droit de la mer afin de naviguer dans le passage du Nord-Ouest ou les eaux arctiques, ou des États qui auraient encore des idées plus ambitieuses pour contester notre défense maritime?
Je vois les choses un peu différemment par rapport à M. Rob Huebert lorsqu'il est question de l'Arctique, en ce sens que cela demeure selon moi une région de coopération. À mon avis, la Russie et la Chine connaissent très bien les limites maritimes du Canada. Elles n'ont exercé aucune pression. Aucun pays n'a plus à perdre dans l'Arctique que la Russie et les Russes préfèrent que la région soit stable, car c'est la stabilité qui leur sera le plus bénéfique sur le plan économique.
Et, jusqu'à maintenant, le même constat peut se faire en ce qui concerne la Chine. Ce ne sera peut-être pas le cas à l'avenir, mais, tout comme c'est le cas de nos côtes Atlantique et Pacifique, lorsque nous nous efforçons d'en faire des zones de paix et d'y permettre le transport commercial, la même chose devrait probablement être dite de l'Arctique. Il y a donc une incohérence pour le Canada là. À l'opposé, nous sommes d'avis que les navires devraient y être interdits.
Il sera très intéressant de voir ce qui ressortira des rapports sur le Crystal Serenity et combien il en coûtera au Canada pour que tout se déroule sans anicroche. C'est quelque chose que nous devons continuer de surveiller.
Je suis heureux de me voir accorder cette occasion, car l'enjeu d'un relèvement de la sécurité maritime dans l'Arctique, d'abord, Mme Charron et d'autres ont tout à fait raison lorsqu'ils affirment qu'il y a de la coopération en surface. Je partage leur avis. Il ne sera pas question du recours à la force militaire par un pays pour contester l'extension du plateau continental ou la prise des ressources. Il existe absolument une coopération.
Là où nos points de vue divergent profondément est que je prétends que nous observions un renouvellement des capacités dans l'Arctique au niveau stratégique. C'est la partie que nous ne voyons pas. C'est la partie qui réside sous la surface. Ce sont des menaces aériennes. Nous en observons une utilisation accrue par les Russes, et je m'attends à voir les Chinois se mettre de la partie. Ce seront les grands jeux, façon de parler, là où la dissuasion nucléaire commencera à jouer un plus grand rôle.
Le problème ne concerne pas le fait de se battre pour accaparer les ressources dans l'Arctique, mais plutôt le fait que les Russes représentent une puissance dans l'Arctique et que les Américains possèdent l'Alaska. C’est lorsqu’il est question des ressources stratégiques et que les enjeux font surface dans le contexte d'une détérioration des relations, disons par exemple en raison de la Syrie, de la Géorgie ou de l'Ukraine, que nous commençons à observer ces tensions.
Autrement dit, absolument, nous pouvons nous féliciter et penser que les choses vont bien sur le plan de la coopération, car tout se déroule en surface, mais dans le vrai monde de la puissance navale, le type de situations où nous avons traditionnellement recours à la marine, depuis 2008, nous observons une augmentation de l'utilisation des passages maritimes dans la région par les Russes.
Nous le constatons aussi du côté des Américains, très discrètement, au moyen de leurs sous-marins, particulièrement ceux de la classe Virginia, mais ils restent sous la surface. Nous, Canadiens, pouvons affirmer que nous ne voyons rien, alors cela ne se produit pas. Le fait que nous ne voyons pas que cela se passe ne signifie pas que les enjeux n'existent pas. Et, lorsqu'ils font surface, ils deviennent sérieux, et il y a escalade assez rapidement dans un tel contexte.
Monsieur Bezan, vos 10 minutes sont écoulées.
Monsieur Fisher a droit de parole pendant cinq minutes.
Je vous remercie tous les deux de votre présence aujourd'hui et de partager votre expertise ainsi que vos perspectives.
Professeur Huebert, vous avez invoqué les besoins en matière de puissance navale selon votre perspective; vous avez indiqué que nous avons besoin d'une force de frappe, vous avez parlé de l'entretien des sous-marins, des impacts des changements climatiques. Et vous croyez que nous devons nous doter d'une solide stratégie maritime.
J'ai posé cette question à d'autres universitaires ainsi qu'à certains représentants du ministère de la Défense nationale pour connaître leur liste d'épicerie, les besoins de la Marine et d’une puissance maritime. Pouvez-vous me dire ce que vous feriez à compter d'aujourd'hui si je vous remettais le chéquier?
Si vous me remettiez le chéquier, la première chose que je ferais serait d'institutionnaliser et de systématiser une capacité navale sur le plan politique afin de permettre un examen en continu des enjeux maritimes.
Autrement dit, la Marine est très bonne à mener des examens en continu. Elle a sa stratégie maritime, sa stratégie navale, mais il doit y avoir un processus en continu, parfois un système de comités dirigé par le Cabinet du premier ministre, mais quelque chose qui se déroule en continu dans les plus hautes sphères de l'appareil politique.
Sans comprendre ce pour quoi vous développez vos capacités, pourquoi faisons-nous cela? Il n'est pas juste question de maintenir des navires en bon état, mais ultimement de comprendre la puissance navale dont le Canada a besoin, pas qu'il souhaiterait ou qu'il serait bon d'avoir, mais dont il a besoin. Ce serait ma priorité absolue.
En deuxième lieu — et cela renvoie à ce qu'un de vos collègues a appelé la bande convoyeuse —, il faut reconnaître que l'approvisionnement doit se faire en continu en réponse à l'évolution de l'environnement. Le type de navires dont nous pensons avoir besoin en ce moment... Mme Charron a fourni plusieurs excellents exemples de ce dont nous avons besoin pour répondre aujourd'hui et de ce que nous menons bien. Alors, la question à savoir est, dans 10 ans, aurons-nous besoin de capacités additionnelles des navires? Encore une fois, il nous faut de la souplesse dans les capacités.
Quant au troisième aspect, la mécanique, quels sont nos besoins? Nous avons besoin de quelque chose qui nous donne accès à la surface et sous la surface dans nos trois océans. Nous sommes un pays bordé par trois océans et nous l'oublions souvent. Il nous faut quelque chose. Si ce ne sont pas des patrouilleurs océaniques pour l'Arctique, nous aurions besoin de quelque chose de très semblable.
Nous avons besoin de capacité de patrouiller sous la surface et au-dessus de la surface. Il nous faut donc des moyens aériens. C'est quelque chose dont nous n'avons pas parlé; par exemple, le remplacement des Aurora est essentiel dans ce contexte. Ils finiront par s'user. Cela nous prend donc de la capacité et de la flexibilité.
Le quatrième aspect est la possibilité de se rendre n'importe où dans le monde. Une des ironies est que, même si nous ne le réalisons pas, nous sommes un pays de haute mer. Nos intérêts en dépendent. Nous avons besoin d'une telle capacité de réapprovisionnement que nous tentons de bâtir dans les chantiers navals de Vancouver. Ultimement, nous devrons nous doter de tels moyens.
Si vous descendez un peu plus bas dans la liste, le navire de combat de surface doit être un élément critique. En passant, le programme Projet de prolongation de la vie de l'équipement des frégates s'est avéré un énorme succès. Nous parlons toujours des échecs d'approvisionnement au Canada, mais nous oublions souvent que les frégates ont été modernisées en deçà du budget et, en fait, plus rapidement que prévu. Cela témoigne d'une bonne planification.
Nous devons penser à avoir ces moyens aux premières lignes, et ils doivent être souples. Encore une fois, nous pensons aux menaces qui planent aujourd'hui et nous devons le faire. Cependant, si nous ajoutons les changements climatiques au portrait, puis-je vous poser la question? Comment réagissons-nous comme pays si, en fait, les changements climatiques font en sorte que 60 % du Bangladesh cesse d'exister en raison de la hausse de niveau de la mer, disons dans 10 ans d'ici, et qu'il en résulte l'éclatement d'une guerre entre le Bangladesh et l'Inde, suivie de l'intervention du Pakistan?
Vous pouvez imaginer toutes sortes de scénarios. Que faisons-nous comme nation, en tenant compte particulièrement de notre réalité démographique, nos alliances et ainsi de suite, et de quel type de marine avons-nous besoin? Ensuite, vous avancez que certains modèles danois pourraient s'appliquer parce qu'ils ont des capacités de combat, mais ils ont aussi des capacités d'intervention en cas d'urgence grâce à leurs frégates de classe Absalon. Nous devons comprendre les changements constants qui s'opèrent et nous doter des moyens nécessaires.
Mon quatrième souhait est celui d'une grande sensibilité, pour veiller à ce que nous soyons légèrement en avance des demandes des Américains à notre endroit. Nous ne voulons jamais nous trouver dans une situation... Ce n'est pas politiquement correct de le dire, mais nous devons toujours faire preuve de sensibilité. C'est un moyen de défense contre l'aide. Nous voulons nous assurer que les Américains n'ont jamais l'impression que nous les avons abandonnés. C'est difficile à accepter du point de vue de notre souveraineté, mais encore une fois, en tenant compte du portrait nord-américain, c'est une exigence.
Voilà donc mes quatre priorités si vous deviez me remettre le chéquier.
Professeur, vous avez soulevé la question que je gardais en réserve pour cette ronde, et elle porte sur les Aurora.
Dans la Stratégie de défense Le Canada d'abord, les conservateurs promettaient de construire entre 10 et 12 nouveaux patrouilleurs à long rayon d'action, pour ensuite conclure que le Canada n'en avait pas les moyens financiers. Ils ont donc opté pour une révision générale des Aurora dans le but d'en prolonger la vie utile jusqu'en 2030, auquel moment ils auront 50 ans. Cependant, ils n'en ont remis à neuf que 14, alors que les militaires en avaient demandé 18.
En termes de vigilance, quelle est notre situation avec les patrouilleurs Aurora, vu que nous n'avons que 14 des 18 avions demandés, ce qui me semble problématique, et qu'il est possible qu'ils ne durent pas jusqu'en 2030, les cellules ayant 50 ans?
Vous avez probablement raison. Je veux dire que je...
M. Robert Huebert: Wow, c'est...
Mme Andrea Charron: Allez-y, monsieur Huebert.
Allez-y? C'est bien.
Comme je disais à propos de l'Aurora, un des éléments cruciaux que nous avons trouvé — et que les Russes et les Américains ont trouvé —, si vous avez une cellule assez robuste et qu'elle n'est pas supersonique, il est possible de le faire. Les nouvelles capacités industrielles font en sorte que nous réussissons à prolonger la vie utile de ces avions au-delà de toute attente. Si vous les comparez aux B-52 américains et aux avions russes de type Bear, ce sont des appareils encore plus vieux. À la fois les Russes et les Américains ont découvert que certains aspects, en termes de la fatigue des cellules que tout le monde jugeait comme un problème majeur, font en sorte que la cellule elle-même est beaucoup plus durable que nous le pensions.
Cela fait partie du problème qui ajoute à la complexité de cette situation. Nous avons appris que nous pouvons prolonger la vie utile des Aurora. Bien entendu, la question est de combien de temps optimalement? Habituellement, la plupart des études indiquent entre 12 et 24 environ, mais tout dépend vraiment de ce que nous faisons. Le problème est que, chaque fois que nous procédons à une révision générale d'Aurora, nous réussissons, obtenons de nouveaux actifs et trouvons de nouvelles utilisations pour les avions. Le problème est que, chaque fois que nous les améliorons, en bons Canadiens, nous les utilisons à plus de fins. « En passant, nous allons le faire et nous allons le faire beaucoup plus. » Et cela devient une partie du problème.
Je ne peux pas commenter le chiffre, mais le nombre d'Aurora soulève aussi la question de l'état du système d'alerte du Nord ainsi que des enjeux de cybersécurité, etc. Fixer le nombre, c'est un peu l'équivalent de regarder à travers une paille: vous limitez votre champ de vision et ne voyez aucunement les autres enjeux. Je laisserais certainement au ministère de la Défense nationale le soin d'indiquer s'il juge avoir assez d'avions ou pas. L'autre aspect est le nombre d'heures de vol financées. Vous pouvez avoir tous les avions du monde, mais si vous n'avez pas les budgets nécessaires pour les faire voler à des fins de surveillance, cela devient également problématique. C'est souvent le dernier aspect considéré au moment de dresser un budget.
Voilà ce qui met fin à la ronde formelle de questions. Il nous reste du temps, alors nous allons procéder à trois autres échanges. Donc, conservateurs, libéraux et néo-démocrates, cinq minutes chacun. Nous allons commencer avec M. Bezan.
Merci, monsieur le président.
J'aimerais reprendre la discussion sur l'actuelle demande de propositions concernant la conception du navire de combat de surface. La demande de propositions renferme une clause qui équivaut essentiellement à un bâillon pour quiconque dépose une proposition au stade de la conception ainsi que pour ses sous-traitants et ses employés. Comme l'a affirmé la Société Radio-Canada, tout commentaire public, toute réponse à une question dans un cadre public ou toute activité visant à critiquer un autre soumissionnaire ou une soumission ou faire publiquement la promotion de ses qualifications, cela est interdit.
Maintenant, M. Danny Lam — et je lui en ai parlé — dans le reportage de la Société Radio-Canada ce matin, a affirmé que la clause aura pour effet d'étouffer tout débat public sur l'approvisionnement.
M. David Perry, que vous connaissez tous les deux très bien... Après notre rencontre vendredi, il a tenté de préciser le tout. Il a dit qu'il ne comprenait pas comment l'erreur d'interprétation ait pu survenir: « Vous ne devez pas parler en public. C'est une tentative de porter ombrage à la concurrence. »
Croyez-vous que cette clause de la demande de propositions pourrait se retrouver dans d'autres demandes de propositions du ministère de la Défense nationale allant de l'avant? Quelle sera l'incidence sur le débat public et sur le débat à la Chambre des communes? Serons-nous capables de bien analyser les différentes options allant de l'avant? De plus, quel est l'impact sur vous deux en ce qui concerne votre recherche sur la politique de défense?
Qui veut commencer?
Je peux commencer avec cela. Oui, je commencerai avec cela.
David Perry a absolument raison. Comment l'interpréter autrement que comme une limitation du débat? Le problème qui survient est qu'il ne limite pas le débat. Ce qu'il limite est le débat éclairé. Vous cherchez à savoir ce que nous faisons comme universitaires? À la fois Mme Charron et moi-même avons beaucoup de collègues qui inventeront les faits s'ils ne les ont pas. Vous savez comment cela fonctionne en termes de débats. Les gens se rabattront sur des informations anecdotiques. Il en résulte pour nous un débat très étouffé. C'est malheureusement quelque chose dont nous avons hérité et cela se poursuit. C'est une des questions qui nous déroute beaucoup comme chercheurs. C'est peut-être cette clause en particulier, mais, ultimement, les gens n'échangeront de l'information que s'ils sentent qu'ils ne courent aucun risque. Je pense que tout le danger de créer de l'information de toute pièce est de désinformer tout réel débat que nous cherchons à avoir sur la défense. Cela étant dit, vu l'état de l'industrie, nous devons garder à l'esprit qu'ils protègent certains renseignements exclusifs qu'ils ne veulent pas voir divulgués. C'est la question d'équilibre entre ces deux exigences, à mon avis, qui devient la plus problématique.
J'ai parfois la nausée lorsque je pense à toutes ces questions d'approvisionnement et ces clauses en petits caractères. Je ne sais vraiment pas.
J'aimerais parler de la conception.
Monsieur Huebert, vous avez dit que nous construisions un ensemble de navires plutôt que d'échelonner les travaux sur une longue période. Dr Lam et moi en avons aussi parlé, qu'il serait préférable de procéder par petits groupes afin de pouvoir tirer parti de la technologie.
Un témoin, présent à la table ici, nous a dit que nous devrions envisager la possibilité de simplement acheter la coque, et de faire en sorte que le reste à l'intérieur soit modulaire de manière à pouvoir, au besoin, remplacer la technologie beaucoup plus facilement, et modifier le navire pour répondre aux besoins des différents protocoles de mission si nécessaire.
Est-ce quelque chose sur laquelle nous devrions nous concentrer à l'avenir en ce qui a trait à la construction navale, surtout compte tenu des nouvelles technologies émergentes, comme les lasers — je sais qu'on parle de canons électromagnétiques à rails, des choses comme cela — qui n'existe pas à l'heure actuelle, mais qui pourrait exister au cours des 10 prochaines années?
Les pays scandinaves ont massivement adopté l'approche modulaire. Si on examine la Marine et la Garde côtière norvégiennes, ils peuvent configurer leurs navires de garde côtière de manière à ce qu'ils soient équivalents à un navire de combat en adoptant une approche modulaire pour les systèmes de missiles, de torpilleurs, etc.
Historiquement, au Canada, chaque fois que nous avons envisagé cette approche, nous tentons toujours de réduire les dépenses en ce qui a trait à la modularité future. Si on examine les navires de classe Kingston, nous avons fait quelques expérimentations pour leur donner une certaine capacité de déminage, avec l'idée que nous pourrions décharger et charger ces dispositifs au besoin. Mais ce que nous avons fini par faire, après avoir acheté les navires de classe Kingston — et encore une fois, en raison de notre mentalité canadienne, une fois que c'est fait, c'est terminé, et nous n'y pensons plus — nous ne les avons jamais dotés de la capacité de déminage qu'ils auraient pu avoir.
Si nous devions adopter une approche modulaire, ce qui est tout à fait concevable et qui, selon plusieurs, fonctionne bien pour les marines de taille moyenne, nous devrions changer notre façon de penser et accepter que nous avons besoin de ces modules maintenant, et qu'ils coûtent de l'argent. Nous n'avons pas encore démontré que nous avions la capacité de le faire. Si nous pouvions le faire, en théorie, je pense que c'est une excellente idée, mais je n'ai pas encore eu l'impression que ce genre d'ajouts suscite l'intérêt des Canadiens, quelle que soit leur allégeance politique. Ils ne véhiculent pas de message politique fort pour cela, et c'est problématique.
Merci beaucoup à vous deux pour cette discussion très intéressante.
Pour apporter un éclaircissement, j'ai eu une discussion avec un haut responsable de l'approvisionnement hier, et il n'y avait aucune intention de nuire aux conversations pouvant découler du processus d'appel d'offres. L'idée était d'essayer d'avoir un processus d'appel d'offres méthodique, mais ils se sont retirés depuis et nous revenons à la manière dont nous avions l'habitude de faire les choses. Je souhaitais simplement clarifier ce point.
Votre conversation concernant la Marine et la Garde côtière m'a amené à penser à une rencontre que j'ai eue récemment à Miami avec un groupe de l'OTAN sur un navire de la Garde côtière absolument magnifique. Notre Garde côtière ou notre Marine seraient ravies d'avoir un tel navire, et je pense que les Américains en ont récemment acheté environ 55. Sa zone d'opération était au large des côtes de la Floride, dans le golfe du Mexique, où, par coïncidence, quelques-uns des navires de notre Marine se trouvaient. Cela m'a amené à me demander si nous devions continuer à faire cette distinction entre la Garde côtière et la Marine, et si nous ne devions pas plutôt voir toutes ces fonctions maritimes, comme la connaissance de la situation, le contrôle, les alertes, les fonctions policières, la lutte au terrorisme et les combats armés, comme faisant partie d'une même gamme de fonctions.
Vos échanges ont fait ressortir cela un peu plus. C'est une question générale. Je me demande simplement si nous pouvons toujours nous permettre de faire la distinction entre la Garde côtière et la Marine, compte tenu du spectre de la menace, venant ou non d'autres pays, et aussi, inévitablement, de notre responsabilité croissante dans l'Arctique.
N'importe lequel d'entre vous peut répondre. Je sais que c'est une question générale, mais je pense que nous devrions l'aborder le plus tôt possible.
J'hésite à dire que nous devrions simplement fusionner la Garde côtière et la Marine.
Une voix: Cela pourrait être un peu chaotique.
Mme Andrea Charron: Vous parlez de prendre un organisme spécialisé ayant comme mandat la sécurité et de le fusionner à la Marine; ce qui ne résoudrait pas le problème des fonctions policières, car ni la Marine ni la Garde côtière ne jouent ce rôle à l'heure actuelle. C'est Transports Canada, la Gendarmerie royale du Canada, etc.
Mais nous commençons à le faire d'une certaine manière dans l'Arctique, selon la plateforme que nous avons. Les navires de patrouille extracôtiers de l'Arctique seront dirigés par la Marine, mais auront à leur bord des représentants de la Garde côtière, de Transports Canada, de la Gendarmerie royale du Canada, etc., selon les besoins. C'est peut-être ce que nous devrions faire, adopter une approche pangouvernementale plutôt que de fusionner la Garde côtière et la Marine et d'en faire une sorte d'hybride.
Nous avons une petite Marine et une petite Garde côtière. D'une part, peut-être que cela nous permettrait de réaliser des économies d'échelle, mais il faudrait complètement revoir la formation, le mandat. C'est peut-être quelque chose qui pourrait être fait dans un avenir lointain, mais cela me rend nerveuse pour toutes sortes de raisons. Je pense que c'est une conversation à laquelle devraient prendre part la commissaire et le commandant de la Marine, qui sont beaucoup mieux placés pour discuter des limites.
Toutefois, la véritable innovation en ce qui a trait aux navires de patrouille extracôtiers de l'Arctique est qu'ils peuvent le faire. Vous pouvez faire une gamme d'interventions, de la sécurité, aux fonctions policières et militaires, sur une seule et même plateforme. Pour un petit pays comme le Canada, et pour nos forces navales, notre Garde côtière et Transports Canada, cela est très novateur.
Si vous le permettez, il y a aussi quelque chose d'essentiel ici. Bien sûr, je suis d'accord jusqu'à un certain point. Vous ne voulez pas simplement les amalgamer. Sur le plan opérationnel, il y a toutes sortes de problèmes.
Un des problèmes majeurs, cependant, est le fait que la garde côtière s'est toujours considérée comme une organisation d'opérateurs. Ils se considèrent eux-mêmes comme des intervenants répondant aux besoins immédiats et ayant, comme le diraient plusieurs, une approche tactique. Je pense que ce qui a été nécessaire, et ce que Jody Thomas a réussi à faire de façon remarquable, a été d'inclure la garde côtière dans la planification stratégique. En d'autres termes, il faut que l'unification se fasse dans un contexte autre que tout ce à quoi nous nous attendons de la Garde côtière dans des situations précises. Elle doit plutôt faire partie intégrante de la réponse stratégique, des interventions par niveau progressif, en commençant par les fonctions policières jusqu'aux fonctions de défense en situation de guerre et aux fonctions de dissuasion.
En réalité, l'intégration dont vous parlez doit se faire aux échelons supérieurs. Encore une fois, je n'ai que des félicitations à faire à la commissaire actuelle pour l'orientation qu'elle essaie de donner à la Garde côtière dans ce contexte. Voilà ce qui se produit: comme personne ne pense que la Garde côtière travaille au niveau stratégique, on a tendance à les ignorer en raison de leur excellent rendement. Nous pouvons le constater en examinant les difficultés financières dans lesquelles elle se trouve constamment.
Encore une fois, il faut faire un effort de conscientisation. Il faut inclure les enjeux dont vous parlez, concernant l'intégration, dans la vision stratégique nécessaire à la défense maritime du Canada. Une fois que vous aurez amené la Garde côtière à penser dans ce contexte, vous aurez l'intégration nécessaire.
Je pense que c'est l'orientation qu'elle adopte et je pense que cela permettrait de résoudre des problèmes comme ceux que vous avez soulevés, monsieur.
Je ferai ceci même au risque de paraître trop perspicace ou futé. Ces deux témoins ont déjà été ici avec nous. Un des témoins précédents qui est déjà venu ici deux fois a dit qu'il y avait des questions qu'il aurait souhaité qu'on lui pose. Je vais donc vous poser à tous les deux la question suivante: quelle est la question que vous auriez souhaité que l'on vous pose aujourd'hui? Puis, répondez-y.
Je commencerai par vous, monsieur Huebert.
La question que j'aimerais qu'on me pose est: comment pouvons-nous faire en sorte que la classe politique ait une compréhension durable de la situation? En d'autres termes, je suis content du travail que le Comité fait et des questions qu'il pose, mais vous connaissez le système dans lequel le Comité travaille: vous passerez à d'autres questions.
Comment pouvons-nous avoir une institution politique qui nous permet de nous rappeler constamment que le Canada a un réel besoin en matière de sécurité et que nous sommes en fait une puissance maritime, et non seulement une force maritime qui a de jolis navires et qui nous permet de porter de beaux uniformes? Comment faire en sorte que les dirigeants politiques en soient constamment conscients lorsqu'ils abordent les problèmes actuels et nous obligent à envisager des solutions très coûteuses mais nécessaires?
Voilà l'une des questions que je voudrais qu'on me pose dans ce contexte.
Mais vous nous posez toujours tant de bonnes questions; comment pouvons-nous vous dire qu'on ne nous a pas posé de questions?
Ce n'est pas vraiment une question, mais une chose que j'essaie de faire depuis deux ans; c'est de rappeler à tout le monde que nous avons un accord binational avec les États-Unis nommé Commandement de la défense aérospatiale de l’Amérique du Nord, ou NORAD. Lorsque nous n'en entendons pas parler, il peut être facilement marginalisé. Je commence également à voir des signes qui indiquent qu'on se demande comment NORAD pourrait évoluer et changer, ce qui aurait des répercussions sur le Canada. J'espère que nous pourrons suivre le rythme et évaluer ces suggestions, afin de ne pas être obligés d'improviser plus tard.
Je pense qu'une des réussites de NORAD est le fait que le Canada et les États-Unis se sont entendus et ont vu la nécessité de conclure cet accord. En fait, nous devons nous rappeler que les militaires sont allés de l'avant avant même la signature officielle du traité. Nous ne voulons pas que cela se reproduise.
Nous devons plutôt être attentifs, aller à NORAD et leur poser des questions... Par exemple, lorsque nous nous sommes penchés sur les navires de patrouille extracôtiers de l'Arctique, nous aurions pu nous demander quel serait leur rôle au sein de NORAD? C'est une question que nous ne nous posons pas souvent, et je pense qu'il serait important que nous le fassions.
J'en ai une.
Que souhaiteriez-vous voir faire pour améliorer l'interopérabilité de la Marine royale canadienne avec les forces navales alliées, dont la marine et la Garde côtière américaines, et la marine des pays de l'OTAN et des autres pays alliés?
Je vais répondre à celle-là, parce que c'est un sujet qui m'intéresse beaucoup. Il s'agit de faire en sorte que la marine de nos amis et alliés soit consciente de nos capacités.
Notre intégration aux groupes de combat américains découle d'une initiative du commandant de la flotte de la côte Ouest, les Forces maritimes du Pacifique, qui entretenait tout simplement de bonnes relations avec le commandant de la force américaine et qui a déclaré: « Nous avons de très bonnes frégates. Pourquoi n'envisagerions-nous pas leur intégration? » C'est à ce moment-là que le NCSM Ottawa a été intégré pour la première fois; je pense que c'était avec le groupe naval Lincoln.
Le fait à retenir est que nous devons montrer ce que nous pouvons faire, parce que nous avons l'une des marines les plus compétentes, en ce qui a trait à la formation, à nos capacités, aux hommes et aux femmes à bord des navires... Nous sommes l'une des grandes puissances navales, dans ce contexte. Mais nous devons nous assurer qu'ils en sont conscients et qu'ils peuvent voir les possibilités d'intégration.
Lorsqu'ils voient les possibilités d'intégration, il ne reste qu'à sauter sur les occasions, comme l'intégration dans un groupe naval américain ou toute autre formation, comme la force opérationnelle multinationale 151 pour les patrouilles antipiraterie, à montrer aux gens la manière dont nous travaillons, puis à travailler ensemble de façon à pouvoir intégrer nos systèmes, de sorte que lorsque des difficultés d'intégration se présentent, nous sommes en mesure de les surmonter.
Je veux être bien clair. Tout porte à croire que le Canada est probablement unique en ce qui concerne sa capacité à s'intégrer à tous les pays de l'OTAN et aux Américains au plus haut niveau, y compris en ce qui a trait à la sécurité. Mais il est aussi l'un des meilleurs pays en ce qui a trait à l'intégration dans les forces navales des pays auxquels il n'a jamais été intégré, comme la marine indienne ou la marine chinoise. Cela s'explique par la souplesse de la formation et des capacités de nos forces navales.
C'est l'un des secrets bien gardés, mais si vous examiniez la force opérationnelle multinationale 151 de plus près, ou le RIMPAC, et la manière dont nous sommes appelés à participer, vous constateriez que nous nous intégrons toujours aux niveaux supérieurs. Nous sommes l'un des rares pays à nous voir confier le commandement d'une force opérationnelle, par exemple, dans certains conflits au Moyen-Orient.
Cela témoigne de ce que nous sommes capables de faire, et cela signifie essentiellement que nous devons permettre à la marine de faire cela de plus en plus souvent, pour que les gens soient au courant.
J'ajouterais que, en plus de la compatibilité du matériel et des logiciels, à laquelle nous pensons souvent d'emblée, il y a aussi les compétences générales, les exercices et les formulaires très importants qui manquent souvent en quantité suffisante.
Par exemple, lorsque la séquestration a frappé aux États-Unis, la première chose que nous avons constatée est qu'ils ne pouvaient plus participer à des exercices conjoints. Ce n'est pas bon sur le plan de l'interopérabilité, cela nous nuit. Nous devons nous assurer que nous sommes en mesure de financer des exercices.
Il faut aussi tenir compte de choses comme le Collège des Forces canadiennes, qui réunit des militaires et des représentants d'autres ministères, surtout à l'échelle du Programme de sécurité nationale, non seulement de l'intérieur du Canada, mais aussi d'ailleurs. Ce sont ces liens qui, à l'avenir, peuvent se révéler très importants pour amorcer des conversations. Nous ne devrions pas sous-estimer l'importance du système de collège de l'état-major de l'OTAN.
Je vous remercie.
En fait, Mme Charron, c'est vous qui avez soulevé la question dont je souhaiterais parler.
Nous avons beaucoup parlé d'approvisionnement et du fait que les Forces canadiennes ont assez bien réussi à gérer une lacune capacitaire, compte tenu de nos problèmes d'approvisionnement. Nous ne parlons pas beaucoup des hommes et des femmes qui sont actuellement au service du pays. Vous avez mentionné le Collège des Forces canadiennes.
Vous avez parlé des heures de vol financées. Sur le plan de la vigilance, c'est une chose, mais cela concerne aussi le recrutement et la rétention. Nous en avons entendu parler de la part du commandant de la Marine royale canadienne, à savoir qu'une partie de l'enjeu est que nous avons des marins qui veulent aller en mer. Ils veulent être sur l'eau. Ils ont besoin de se pratiquer. Ils ont besoin d'être en mer pour faire ce qu'ils font de mieux.
J'aimerais vous offrir l'occasion d'y revenir, de revenir sur ce que nous devrions faire en termes de formation et de perfectionnement de nos hommes et femmes en service actif, malgré cette lacune capacitaire, en termes de futurs projets d'approvisionnement, ce que nous devrions examiner pour nous assurer qu'ils sont en mesure d'utiliser ces nouveaux systèmes, car c'est un système de systèmes, l'interopérabilité et ainsi de suite. À mon avis, ce serait utile si nous pouvions vous entendre nous expliquer l'importance de cela.
Comme vous êtes deux universitaires, je suis sûre que vous aimeriez parler de formation et ainsi de suite.
Je dirais simplement oui. Tout leader cherche continuellement des occasions de formation, des occasions qui permettront à ses subalternes de faire ce pour quoi ils se sont enrôlés. Souvent, la formation peut être compromise parce que c'est un poste budgétaire facile à comprimer, mais surtout lorsqu'il est question de la marine et des Forces canadiennes, ou de la Gendarmerie royale du Canada ou de la Garde côtière et ainsi de suite, c'est cette répétition; c'est savoir quoi faire en situation de crise. C'est pourquoi nous avons des forces professionnelles et la police, et nous faisons l'envie d'une bonne partie de la planète. Alors, oui, veuillez continuer.
Oui, absolument. C'est un point critique. Comme vous et Mme Charron avez souligné, souvent, lorsque nous sommes aux prises avec une crise financière, la première chose dans laquelle nous coupons est la formation, car c'est un poste budgétaire où les gens peuvent accepter des coupures, pourvu que les projets d'approvisionnement suivent leurs cours et que le personnel est payé. Nous n'avons pas à nous soucier de la formation et cela devient facile de couper.
À mon avis, un mécanisme doit être en place. J'ai observé quelques situations où des commandants ont tenté d'expliquer à leurs supérieurs politiques qu'ils avaient besoin d'offrir plus de formation et que leurs budgets de formation n'étaient pas suffisants.
La Garde côtière fait face au même problème. Je veux être très clair sur ce contexte. Ils avaient tendance à répondre qu'ils acquiesceraient à l'ordre de couper dans la formation.
Il doit sûrement y avoir un mécanisme à un certain point, et cela ne peut pas être ouvert ou arbitraire, où le commandant affirme qu'il y a une crise, qu'il faut continuer et que la mauvaise décision a été prise. Je ne sais pas si nous avons les capacités nécessaires pour obtenir la rétroaction des commandants dans ce contexte.
Nous avons aussi un développement intéressant d'une perspective à plus long terme en matière de nos nouvelles méthodes d'approvisionnement. Dans la plupart des cas, les capacités maritimes sont allouées à des équipages très réduits. Nous risquons donc de nous trouver dans une situation où les marins envoyés en mer font partie d'équipages plus petits, ce qui pourrait accroître nos capacités d'envoi de ces plus petits équipages en mer. Bien entendu, encore une fois, comment cela fonctionne dans la réalité, et je ne suis pas un expert en la matière, je dois dire, si dans les faits nous réussissons à réduire considérablement la taille des équipages, nous devrions très sérieusement envisager comment nous élargissons, mais si nous élargissons, nous devons aussi tenir compte des réparations et de l'entretien à mi-parcours. Autrement dit, plus vous faites de formation, plus c'est difficile sur l'équipement en mer, et plus cet équipement devra être réparé dans ce cadre particulier.
Je sais que tous les professeurs se préoccupent de l'employabilité de leurs étudiants à la fin de leurs études, alors le professeur Huebert doit savoir qu'un de ses étudiants, un de ses meilleurs étudiants, travaille pour moi aujourd'hui.
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