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Je vous remercie pour l'invitation. Je ne répéterai pas le texte qui vous a été distribué en français et en anglais, dans lequel on estime que la traite des êtres humains à l'échelle internationale varie entre 700 000 et 4 millions de personnes, plus vraisemblablement 4 millions par année. C'est peut-être une sous-estimation, car une partie de la traite est légale. L'an passé, par exemple, le Japon a délivré 77 000 visas d'artiste danseuse pour son industrie du sexe. Cela n'est pas pris en compte pour ce qui est de la traite des êtres humains, puisque c'est légal et que souvent, on considère la traite uniquement d'un point de vue criminel.
Au cours des trois dernières décennies, les pays de l'hémisphère Sud ont connu une croissance vertigineuse de la prostitution et de la traite des femmes et des enfants à des fins de prostitution. Depuis plus d'une décennie, c'est le cas aussi dans d'anciens pays dits socialistes, tels que l'Union soviétique, l'Europe de l'Est et les Balkans. Mais le même phénomène de croissance des industries du sexe et, partant, de la traite, affecte les pays d'Europe de l'Ouest et du Pacifique Sud qui ont légalisé la prostitution dans les années 1990 et 2000.
Les êtres humains victimes de la traite internationale à des fins de prostitution sont nettement plus nombreux que ceux qui font l'objet d'un trafic aux fins d'exploitation domestique ou de main-d'oeuvre à bon marché. Les organisations internationales, comme l'Organisation internationale du travail, OIT, estiment que 92 p. 100 des personnes victimes de la traite le sont à des fins de prostitution, et que 98 p. 100 d'entre elles sont des jeunes femmes et des fillettes. Les 2 p. 100 restants sont des garçons et des travestis.
Plus l'industrie de la prostitution se développe, plus les personnes prostituées sont jeunes, qu'elles soient victimes de la traite ou non, c'est-à-dire recrutées à l'étranger ou localement. Selon l'Organisation internationale pour les migrations, de nos jours, les victimes sont plus jeunes qu'auparavant et les enfants sont de plus en plus présents dans le processus.
La prostitution et la traite à des fins de prostitution ne sont pas des phénomènes nouveaux. Ce qui est nouveau, c'est leur internationalisation et leur industrialisation. Par conséquent, la demande de femmes et d'enfants pour les industries du sexe est en croissance pratiquement partout dans le monde.
La légalisation ou la réglementation de l'industrie de la prostitution, proxénétisme y compris, a pour effet d'engendrer une croissance importante des industries du sexe et, par conséquent, entraîne une expansion de la traite à des fins de prostitution. Les Pays-Bas sont un bon indicateur de l'expansion de l'industrie du sexe et de la croissance de la traite à des fins de prostitution.
Il y avait 2 500 personnes prostituées en 1981; en 2004, le gouvernement évalue leur nombre à 30 000. En 1960, 95 p. 100 des personnes prostituées des Pays-Bas étaient néerlandaises. En 1999, elles n'étaient plus que 20 p. 100. Autrement dit, 80 p. 100 des personnes prostituées proviennent de l'étranger, et 70 p. 100 d'entre elles sont sans papiers.
Le même phénomène peut être observé en Allemagne. Dans le milieu des années 1990, on estimait le nombre de personnes prostituées en Allemagne à 200 000; aujourd'hui, le gouvernement l'estime à 400 000. Donc, en quelques années, le nombre de personnes prostituées a doublé. En Allemagne, de 85 à 90 p. 100 des personnes prostituées proviennent de l'étranger, donc sont des victimes d'une traite à des fins de prostitution.
La traite des êtres humains est une conséquence du système de la prostitution. L'officialisation institutionnelle, c'est-à-dire la légalisation des marchés du sexe, renforce les activités de proxénétisme et celles du crime organisé, mais surtout, elle légitime l'inégalité entre les hommes et les femmes.
Là où cette industrie est légitime depuis des décennies, on a assisté à ce qu'on pourrait appeler une « prostitutionnalisation » du tissu social. Je ne crois pas que le mot existe en anglais; je souhaite bonne chance à l'interprète.
Je vais prendre l'exemple de la Thaïlande. À la fin des années 1950, plus précisément en 1957, on dénombrait 20 000 personnes prostituées en Thaïlande. Aujourd'hui, on en compte plus de 2 millions, dont au moins le tiers est constitué d'enfants, surtout de fillettes. Je rappelle que quand j'emploie le terme « enfant », j'utilise la définition internationale de l'enfance, c'est-à-dire une personne âgée de moins de 18 ans. Dans ce pays, la quasi-totalité des jeunes femmes et des fillettes prostituées, qu'elles aient été victimes d'une traite à des fins de prostitution ou non, qu'elles soient donc originaires de l'étranger ou non, ont été intégrées à cette industrie à un âge mineur. Quelque 75 p. 100 des hommes sont désormais des clients occasionnels ou réguliers de personnes prostituées. Pour 5,4 millions de touristes sexuels par an en Thaïlande, on compte désormais 450 000 clients locaux par jour.
Dans les tribus du nord du pays, on célèbre la naissance d'une petite fille parce que sa prostitution anticipée est promesse de revenus futurs. Cette société a été largement « prostitutionnalisée », devenant l'un des endroits les plus importants du monde pour les touristes sexuels de tout acabit. La Thaïlande est un pays important de destination et de transit de la traite des êtres humains. En fait, ce pays a été transformé en paradis sexuel pour les clients internationaux et locaux, les proxénètes et les trafiquants, et en enfer sexuel pour les femmes et les enfants, non seulement du pays mais également des nations limitrophes de toute la région du Mékong. Aujourd'hui, plus du tiers des femmes et des fillettes du nord de la Thaïlande souffrent du sida.
La prostitution et la traite à des fins de prostitution sont des activités traditionnelles du crime organisé, et l'explosion des marchés sexuels est largement contrôlée par le crime organisé. On ne peut pas imaginer la traite des êtres humains, y compris celle qui a un caractère légal, comme celle des visas d'artiste ou de danseuse exotique, telle que pratiquée par de nombreux pays, dont le nôtre, sans que celle-ci soit organisée de façon criminelle. Des femmes et des enfants sont achetés, vendus, revendus par des réseaux organisés sur les marchés locaux, régionaux et internationaux, et à chaque étape de leur transport d'un pays à un autre, ils sont loués aux clients. Ces femmes et ces enfants sont achetés, vendus et transportés clandestinement ou, selon les circonstances, ouvertement et légalement à l'intérieur et au-delà des frontières nationales sur le marché du sexe du monde entier, des pays les plus pauvres vers les pays les moins pauvres et jusqu'aux pays les plus riches.
Un tel trafic à l'échelle mondiale ne se fait pas au petit bonheur la chance. Il exige des pots-de-vin, de la corruption du plus bas au plus haut niveau de la société. Il exige également des moyens qui vont de l'achat des femmes et des enfants sous de fausses représentations à l'enlèvement, de la tromperie aux faux papiers. Ce sont des réseaux internationaux de proxénètes qui opèrent ce commerce bien organisé. Ces réseaux disposent de complicités politiques et de ressources économiques, tant dans les pays d'origine et de transit que de destination.
À l'échelle planétaire, la prostitution et la traite des femmes et des enfants à des fins de prostitution ne sauraient donc être spontanées. Des mouvements de population qui concernent des centaines de milliers voire des millions de personnes chaque année supposent obligatoirement des organisations bien structurées aux ramifications internationales, aux complicités innombrables, aux moyens financiers énormes, avec ses lots de recruteurs, de rabatteurs, de convoyeurs, de gardes-chiourmes, de « dresseurs » — je vais vous expliquer ce que cela veut dire —, de tôliers et de tueurs. Des filières criminelles recrutent les femmes et les enfants sur place, fournissent les visas et les faux papiers et organisent leur transport.
Les méthodes de recrutement varient, mais les trafiquants utilisent pratiquement toujours la tromperie et la violence. La méthode la plus répandue consiste à faire paraître des petites annonces proposant un emploi dans un autre pays comme coiffeuse, gardienne d'enfants, domestique, serveuse, jeune fille au pair, mannequin ou danseuse.
Une autre méthode consiste à les recruter au moyen de bureaux de placement, d'agences de voyages, d'agences de rencontres et de mariage, qui sont souvent de simples paravents pour les rabatteurs.
Des victimes de la traite ont également été vendues par leur famille, leur petit ami ou des institutions comme des orphelinats.
Une fois recrutée, la personne est placée dans une situation de dépendance tout au long de sa traite. Cette personne passe alors de main en main jusqu'à son arrivée dans le pays de destination.
Les trafiquants se succèdent lors du déplacement des victimes de la traite, mais le sort des filles ne varie pas. Les viols et les autres formes d'assujettissement sont fréquemment employés, même pour la minorité de jeunes femmes qui connaissent le but de leur traite, à savoir la prostitution.
Sitôt arrivées dans le pays de destination, ces personnes voient leurs papiers confisqués par les trafiquants et sont immédiatement mises sur les marchés du sexe. Au Canada, c'est la prostitution, la danse nue, etc. Les récalcitrantes passent par un camp de dressage. Il y en a plusieurs en Europe qui sont connus; en Italie, entre autres, mais aussi en France. Elles y sont violées par les proxénètes, puis elles doivent subir 50, 60 ou même davantage de clients par jour, jusqu'à ce qu'elles soient cassées psychologiquement.
La traite des êtres humains à des fins de prostitution est une source de gains très importante pour les organisations criminelles, qui se sont toutes lancées, selon les différentes sources policières internationales — Interpol, Europol, etc. — dans ce commerce hautement lucratif. Les profits, qui sont souvent recyclés dans les activités licites, débouchent sur la création de sociétés-écrans et, dans les pays qui ont légalisé la prostitution, ces sociétés-écrans poursuivent leurs affaires dans les industries du sexe, mais les profits blanchis sont également utilisés pour des activités illicites.
Dans le pays de destination, la victime de la traite, qu'elle soit ou non une personne déjà prostituée dans son pays, verra son passeport et ses autres papiers confisqués par ceux qui organisent sa prostitution. Elle devra rembourser la dette du voyage. À cela s'ajoutent les frais de logement, de nourriture, d'habillement, de maquillage, de préservatifs, lesquels sont déduits de ses revenus. Une fois tous les frais payés, il ne lui reste pratiquement rien. Une récente enquête de l'Organisation internationale du travail évaluait que la personne prostituée victime de la traite gardait à peu près 20 p. 100 des revenus, le reste allant au proxénète.
Si la prostituée ne rapporte pas assez d'argent, elle sera menacée de vente à un autre réseau de proxénètes, à qui elle devra à nouveau rembourser une dette. On la changera fréquemment de lieu, on menacera de représailles sa famille restée au pays, elle subira de la violence psychologique, physique et sexuelle, et si elle réussit à échapper au proxénète, elle risque l'expulsion en tant qu'immigrante illégale. Elle est complètement vulnérable, et rares sont les pays qui donnent des services à ces personnes et qui les protègent contre les proxénètes.
Un autre rapport de l'Organisation internationale pour les migrations soulignait que l'expulsion vers le pays d'origine des personnes prostituées victimes de la traite parce qu'elles étaient immigrantes illégales ne faisait que renforcer le phénomène de la traite. Ce n'est donc pas une solution.
Quelle est la situation au Canada? On n'en sait pas grand-chose. Il y a eu deux grandes commissions d'enquête dans les années 1980 sur la prostitution et la pornographie, et une autre sur les enfants victimes des industries du sexe, entre autres.
Aucune de ces commissions d'enquête n'a pu évaluer l'ampleur de l'industrie de la prostitution et de la pornographie et, par conséquent, de l'industrie de la traite. On ne sait pas trop pourquoi. Statistique Canada, qui peut nous dire de quelle couleur étaient les sous-vêtements des immigrants de la Sicile en 1951 ou faire des évaluations importantes sur l'économie au noir du pays, n'a jamais pu ou voulu nous dire quel était l'état de l'industrie de la prostitution au Canada. On ne connaît donc ni le nombre de personnes prostituées ni les revenus de cette industrie.
Je vais vous parler de certains faits que nous connaissons un peu. Nous savons qu'en matière de traite des êtres humains à des fins de prostitution et de pornographie, le Canada est un pays de destination, de transit, mais qu'il est également un pays émetteur, ce que peu d'analystes mettent en évidence. En 1999, par exemple, le gouvernement de la Colombie-Britannique a révélé l'existence d'un circuit faisant la traite d'enfants à des fins de prostitution à partir de cette province vers des villes de l'Alberta, de la Saskatchewan et de l'Ouest des États-Unis. En 2001, le rapport du Département d'État américain sur la traite des êtres humains affirmait qu'un certain nombre de personnes mineures d'origine canadienne étaient victimes de la traite à des fins d'exploitation sexuelle. La destination était les États-Unis.
Un groupe criminel de Vancouver, les West Coast Players, était connu pour ses activités de traite à des fins de prostitution d'adolescentes. La destination était, dans ce cas, Los Angeles. En septembre 1997, on apprenait que chaque semaine, 12 jeunes femmes asiatiques âgées de 16 à 30 ans et munies de visas de tourisme étaient victimes de traite à des fins de prostitution au Canada. Elles étaient vendues à des propriétaires de bordels à Markham, Scarborough, Toronto et Los Angeles. Elles étaient asservies par une dette de 40 000 $.
En 1999, le Human Rights Report du Département d'État américain signalait que des fillettes du Costa Rica, transportées à travers l'Amérique Centrale et le Mexique, étaient prostituées aux États-Unis et au Canada. La même source rapportait que des Malaises étaient victimes de la traite pour être prostituées au Canada. Dans son rapport de 2003 sur la traite des êtres humains, le Département d'État américain affirmait que des jeunes filles et des fillettes du Honduras, de la Slovénie et de la Malaisie étaient victimes de la traite à des fins de prostitution au Canada.
À la fin des années 1990, les mafias chinoise et vietnamienne ont accru leurs opérations dans les bordels de Toronto et ont embrigadé des femmes et des fillettes de toute l'Asie du Sud-Est. Les femmes victimes de cette traite étaient achetées par les recruteurs au coût de 8 000 $ ou moins et vendues 15 000 $ aux proxénètes. Plusieurs douzaines de femmes asiatiques ont été « libérées de leur esclavage sexuel » après une série de raids de la police de Toronto qui, à ce moment-là, a fermé 10 bordels. La police a estimé que le réseau de proxénètes fournissait chaque trimestre entre 30 et 40 femmes à 15 bordels de Toronto.
La police canadienne a également arrêté plus de 40 personnes liées à un réseau de prostitution et de traite internationale qui a vendu des centaines de femmes asiatiques en Amérique du Nord. Mais on ne connaît pas exactement le nombre de personnes victimes de la traite. Selon la Gendarmerie royale du Canada, environ 800 personnes, surtout des femmes et des enfants, sont victimes chaque année de la traite à des fins de prostitution au Canada. Or, des organisations non gouvernementales évaluent ce nombre à 15 000. Vous pouvez constater qu'entre 800 et 15 000, il y a un écart considérable. Mais déjà en 1998, selon un rapport soumis au solliciteur général du Canada, on estimait qu'entre 8 000 et 16 000 personnes, un autre très large écart, entraient chaque année au Canada avec l'aide de passeurs.
Pour conclure, disons que la croissance effrénée des industries du sexe a pour effet une remise en cause des droits humains fondamentaux, notamment ceux des femmes et des enfants qui sont traités comme des marchandises sexuelles.
On peut dire que le statut des femmes et des enfants à l'échelle internationale a même gravement régressé. Désormais, dans de nombreux pays, sous l'impact de politiques d'ajustement structurel, les femmes et les enfants sont devenus ce qu'on appelle en anglais, new raw resources, c'est-à-dire de nouvelles matières brutes exploitables et exportables dans le cadre du développement du commerce national et international. La mondialisation des industries du sexe renforce de façon considérable un système d'oppression des femmes et leur asservissement aux plaisirs sexuels d'autrui, aux plaisirs masculins.
En réduisant les femmes et les fillettes à une marchandise susceptible d'être achetée, vendue, louée, appropriée, échangée ou acquise, la prostitution et la traite à des fins de prostitution affectent les femmes en tant que groupe. Elle renforce l'équation entre femmes et sexe, établie par la société machiste, réduit les femmes à une humanité moindre et contribue à les maintenir dans un statut inférieur.
La lutte contre la traite des être humains ne peut connaître le succès que si elle s'attaque à la cause même de cette traite: la prostitution. Une telle lutte s'inscrit dans l'objectif plus général du combat pour l'égalité des femmes et des hommes. Et cette égalité restera inaccessible tant que les hommes pourront acheter, vendre et exploiter sexuellement des femmes et des enfants en les prostituant.
Je vous remercie.
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Merci, madame Sgro, et permettez-moi de remercier le comité de m'avoir invitée à comparaître aujourd'hui.
Je vais commencer par vous faire part de certaines réserves, et ensuite je vais développer mes principaux arguments. D'abord, il y a un certain nombre d'éléments qui nous incitent à faire preuve de circonspection dans toute discussion de la traite des personnes. Premièrement, il faut se rappeler que le concept de la traite des personnes pose encore problème et fait l'objet d'énormément de débats. En général, on considère que cela suppose le recours à la force ou à la tromperie afin de transporter des personnes qui seront ensuite exploitées dans le cadre d'un certain travail ou service. Voilà la définition générique. Mais la définition de ce en quoi consiste le recours à la force et l'exploitation demeure problématique.
Deuxièmement, il faut se rendre compte que nous ne savons que très peu de choses sur la traite des personnes et sur l'ampleur de ce problème, étant donné qu'il s'agit d'un phénomène essentiellement caché et clandestin, et que la définition est si vague. Si vous examinez les différents documents, vous allez voir que les chiffres qu'on y présente varient énormément. L'Organisation internationale du travail a publié un certain nombre de documents qui remettent en question les méthodologies qu'on emploie ici.
Troisièmement, nous avons tendance à mettre l'accent sur les femmes qui se livrent au commerce du sexe, alors que la traite des personnes peut viser de nombreux secteurs différents qui dépendent du travail des migrants, tels que l'agriculture, le secteur du vêtement, et le travail ménager. Par conséquent, le groupe concerné est beaucoup plus important.
Enfin, il faut bien se rendre compte que les mesures de lutte contre la traite des personnes, qui existe depuis déjà un moment, ont tendance à se transformer en mesures antimigration, et surtout en mesures antimigration de femmes, plutôt qu'en instruments de protection des droits de la personne. En conséquence, je voudrais voir ce qu'on peut faire pour adopter une approche différente qui s'attaque aux problèmes que soulève la traite des personnes en renforçant le droit des victimes en tant que migrants et travailleurs.
D'abord, j'insiste sur le fait que la traite des personnes fait partie intégrante du phénomène beaucoup plus généralisé qu'est la migration mondiale des travailleurs. De plus en plus, ce sont les femmes à la recherche d'un travail mieux rémunéré leur permettant de gagner leur vie et de faire vivre également leur famille qui sont à l'origine de ce phénomène de migration.
En même temps, il devient de plus en plus difficile de s'assurer que cette migration se fasse de façon indépendante et sécuritaire, et avec facilité. Il convient de se rappeler que la grande majorité des travailleurs migrants, y compris les travailleurs du sexe ont cherché à s'établir ailleurs pour travailler -- ils cherchent du travail -- mais ont pu évidemment être exploités par des gens qui ont facilité le processus de migration. Ces derniers peuvent donc se retrouver dans une situation où on les exploite sur le plan du travail mais à laquelle ils peuvent difficilement échapper.
Donc, le premier élément du problème concerne les obstacles à la migration pour les fins du travail -- encore une fois, notamment pour les femmes. Si la traite des personnes et la migration clandestine se développent comme phénomène, c'est à cause du manque de concordance entre la demande de travailleurs dans les pays riches et la capacité des travailleurs des pays pauvres à accéder à ces emplois. La demande de travailleurs de ce genre et la nécessité pour ces travailleurs d'obtenir ces emplois dépassent de très loin la disponibilité des migrants à l'heure actuelle en passant par la filière normale. Ainsi il est devenu normal, pour les travailleurs migrants qui cherchent un emploi à l'étranger, de se faire aider par des intermédiaires ou de passer par la filière irrégulière. Les personnes qui facilitent le processus de migration peuvent être des membres de la famille, des agences de recrutement, ou encore des groupes de crime organisé.
Par exemple, si une femme décide, devant les différentes possibilités qui s'offrent à elle pour gagner sa vie et soutenir sa famille, que le travail dans l'industrie du sexe dans un pays riche constitue la meilleure option, souvent il lui est tout à fait impossible d'obtenir ce travail de façon indépendante. En conséquence, les travailleurs migrants de l'industrie du sexe peuvent se trouver dans une situation de servitude pour dettes. Ces derniers peuvent effectivement contracter des dettes de l'ordre de 30 000 $ ou de 40 000 $ auprès des agents qui organisent leur voyage et leur obtiennent des documents. Ces dettes peuvent ensuite être transmises à des propriétaires de bar ou des patrons qui défalquent les sommes dues des salaires des femmes concernées, sans qu'un contrat ne soit jamais négocié.
Ces femmes peuvent également se trouver en situation d'irrégularité en ce qui concerne leur statut d'immigration au Canada, par exemple, ce qui signifie qu'elles devront toujours craindre d'être arrêtées et expulsées. Les propriétaires peuvent ainsi menacer d'informer les autorités de leur statut d'immigrant clandestin, afin d'obtenir encore plus de travail gratuitement ou à bon marché.
Quand les femmes peuvent migrer vers d'autres pays en toute légalité et en toute indépendance, le trafic diminue. Certains analystes de l'Union européenne ont signalé que, même si des femmes d'origine hongroise, polonaise, tchèque et slovaque étaient souvent victimes de bandes de trafiquants il y a quelques années, depuis que ces pays ont réussi à devenir membres de l'Union européenne les chiffres relatifs à la traite des personnes ont chuté de façon dramatique. Les femmes peuvent à présent profiter de leur accès facile aux pays de l'Union européenne pour trouver du travail informel, quelle qu'en soit la nature, et peuvent ensuite s'en aller si la situation devient difficile, sans craindre de ne pouvoir réintégrer leur pays pour gagner de l'argent.
Donc, il existe un problème d'obstacles à la migration, et le deuxième élément du problème est les conditions de travail déplorables dans bon nombre des secteurs où existe ce genre d'exploitation. Encore une fois, il peut s'agir de l'industrie du vêtement, qui est connue pour cela; du travail agricole, du travail ménager, et du commerce du sexe.
Comme la traite des personnes dépend de l'existence de conditions de travail insuffisantes ou illégales, ce phénomène est surtout présent dans le contexte du travail informel ou non réglementé. C'est là que les trafiquants peuvent en profiter le plus sans craindre de faire l'objet de sanctions -- il n'y a pas de syndicats pour les forcer à respecter certaines conditions de travail, par exemple. Comme les femmes ont normalement moins de possibilités professionnelles et que la plupart des débouchés se trouvent dans les secteurs du travail non réglementé ou informel, comme le travail ménager et l'industrie du sexe, les femmes sont plus susceptibles de faire l'objet d'exploitation.
De nombreux travailleurs du sexe migrants au Canada finissent par travailler dans le secteur criminalisé mais toléré du commerce du sexe à l'intérieur. Dans ce contexte, elles se trouvent confrontées à de multiples problèmes, comme le non-respect des contrats, de longues heures de travail, et surtout des conditions de travail dangereuses. Les travailleurs du sexe migrants peuvent avoir conclu des accords informels au sujet de leur travail. Ils peuvent avoir signé des contrats qu'ils n'ont pas compris, et ils n'ont aucun moyen de faire respecter ces contrats, de se plaindre, ou d'obtenir réparation s'il y a de la violence, s'ils ne sont pas payés, ou s'ils deviennent des esclaves sexuels. Il n'y a personne à qui s'adresser.
Par conséquent, les travailleurs migrants de l'industrie du sexe, tout comme les travailleurs du sexe qui sont ressortissants du pays ont intérêt à pouvoir faire respecter leurs contrats, à pouvoir revendiquer une juste rémunération, à contrôler le rythme de leur travail, à choisir les clients qu'ils ont envie de voir, et à demander d'être protégés contre la violence qui, comme vous le savez fort bien, présente un problème de taille dans l'industrie du sexe. Cependant, en raison de la nature criminalisée du travail sexuel au Canada, tout cela est pour ainsi dire impossible, et ne fait qu'accroître les risques de violence qui sont déjà endémiques au travail sexuel au Canada.
Nous avons déjà adopté des mesures qui touchent notre régime pénal et la sécurité à la frontière, et de nombreux pays sont déjà signataires de la nouvelle convention transnationale sur le trafic. Mais cela peut en réalité aggraver les problèmes, et cela correspond justement à ce que nous observons en ce moment. Le trafic est surtout considéré comme un problème pénal ou de sécurité, plutôt qu'une question des droits de la personne, si bien que les mesures adoptées jusqu'à présent ont surtout visé à arrêter et à punir les trafiquants et à stopper le mouvement des victimes de ce trafic.
Or de telles mesures peuvent en soi contribuer à aggraver le problème, étant donné qu'elles créent des obstacles encore plus insurmontable à la migration, et donc, un plus grand besoin d'assistance et un potentiel d'exploitation accrue. Donc, en raison de restrictions plus strictes touchant l'obtention des visas, de plus fréquentes vérifications de sécurité touchant les migrants, et le recours accru à la détention et à l'expulsion, qui sont devenus monnaie courante, les migrants qui ne possèdent pas les moyens juridiques de migrer de façon indépendante se voient bien obligés de payer des frais plus importants et de chercher davantage pour obtenir de l'aide. Ils finissent par avoir une dette plus importante, si bien qu'on peut plus facilement en profiter.
De plus, les tentatives des forces policières ou des agents d'immigration pour retrouver les victimes de la traite des personnes et leur venir en aide ont peut-être eu des conséquences négatives. Les descentes sur les établissements ou se pratique le commerce du sexe, par exemple, ont souvent pour résultat de faire expulser les femmes, même si elles n'ont pas envie de quitter le pays. Certaines d'entre elles veulent bien souvent continuer à travailler, mais dans de bien meilleures conditions, et elles veulent également être rémunérées.
Dans plusieurs pays, les personnes qui se chargent de faire de l'action sociale indiquent qu'elles ont perdu tout contact avec les personnes qui font l'objet de ce trafic, étant donné que les descentes ont forcé les établissements à se cacher encore plus, de sorte que les travailleurs du sexe sont plus difficiles à rejoindre. Ces descentes peuvent en réalité perturber le bon travail accompli par les organismes d'action sociale pour ce qui est de la promotion de la santé, la prévention de la violence, et l'établissement de liens de communication avec les travailleurs migrants de l'industrie du sexe, qu'ils soient ou non victimes de la traite des personnes.
Au cours des 10 dernières années pendant lesquelles nous n'avons cessé d'instaurer des mesures criminelles de plus en plus strictes, nous avons continué à entendre parler d'un nombre de plus en plus important de personnes qui sont victimes du trafic des personnes. Or très peu de gens ont fait l'objet de poursuites pour la traite des personnes, y compris aux États-Unis, ce qui prouve que ces mesures n'ont pas eu l'effet escompté.
Il y a pourtant d'autres solutions. Nous avons adopté certaines mesures criminelles; il ne nous en faut pas davantage. Par contre, pour nous attaquer aux problèmes dont il est question dès lors qu'on parle de la traite des personnes, nous pourrions chercher à accroître les débouchés et les choix qui s'offrent aux travailleurs migrants et à réduire l'influence du crime organisé, plutôt que de mettre l'accent sur les mesures pénales ou punitives.
Dans un premier temps, il convient d'accroître la capacité des femmes de migrer vers d'autres pays de façon indépendante et en toute sécurité en leur fournissant de l'information et un accès accru aux filières de migration sécuritaires. Le trafic des personnes est surtout présent là où les femmes ne savent guère ce qu'il faut faire pour venir au Canada afin de se procurer un travail, quel qu'il soit, qui soit à la fois sécuritaire et légal.
Vu la demande grandissante, je crois, de travailleurs migrants au Canada, notamment dans le contexte du boom économique que connaît actuellement l'ouest du pays, de plus en plus de travailleurs migrants voudront décrocher des emplois dans cette région, et il importe donc qu'on leur donne la capacité d'y accéder de façon indépendante et en toute sécurité.
Une analyse différenciée selon les sexes de notre politique sur la migration constituerait peut-être une intervention opportune nous permettant de déterminer dans quelle mesure et de quelle façon la politique canadienne sur l'immigration limite la capacité des femmes de migrer vers d'autres pays à titre de travailleuses indépendantes dans un domaine comme dans l'autre. Les mesures visant à prévenir la traite des personnes -- et elles sont courantes -- en les dissuadant d'opter pour la migration ne font que dresser des obstacles injustes qui compromettent la capacité des femmes de réaliser l'égalité économique.
De plus, le Canada doit absolument s'attaquer au problème du statut des migrants irréguliers par l'entremise des mesures que propose la Convention des Nations Unies sur la protection des travailleurs migrants, convention dont nous ne sommes pas encore signataire.
Deuxièmement, il nous faut nous attaquer au problème des conditions de travail déplorables dans l'industrie du sexe et dans les différents secteurs du travail informel au Canada -- soit l'industrie du vêtement, le travail ménager, etc. -- afin que les femmes qui accomplissent ce type de travail soient moins facilement exploitées. Par exemple, la nature criminalisée et clandestine du commerce du sexe au Canada fait que ce travail est potentiellement très dangereux et que les travailleurs peuvent facilement être exploités par les gérants et les propriétaires de maisons de prostitution et de bars.
Le comité voudra peut-être s'inspirer du travail effectué par le comité d'examen de la Loi sur le racolage, et des rapports établis par le Réseau juridique canadien du VIH/sida, la société Pivot en Colombie-Britannique, l'Association des libertés civiles de la Colombie-Britannique, et tous les organismes représentant le commerce du sexe au Canada. Au Québec, par exemple, Stella a fait un excellent travail dans ce domaine. Cet organisme prépare des rapports sur la façon de rendre l'industrie du sexe plus sécuritaire et moins axée sur l'exploitation, et sur ce qu'il faut faire pour que les travailleurs du sexe eux-mêmes -- y compris les migrants -- aient le droit et la capacité de se battre pour obtenir des conditions de travail sécuritaires et justes et de s'assurer que ces conditions sont respectées.
Dans cet ordre d'idées, il convient de soutenir le travail accompli par les organismes d'action sociale qui travaillent auprès des travailleurs du sexe et qui ont pris contact avec les femmes migrantes et les femmes qui sont victimes de la traite des personnes, et ce afin qu'ils puissent poursuivre leur travail. Il est certain qu'aucune mesure de lutte contre la traite des personnes ne devrait être prise sans que l'on consulte les travailleurs du sexe et les groupes de défense des droits des migrants.
En conclusion, il faut se rappeler que les préoccupations soulevées dans le contexte d'une discussion sur la traite des personnes concernent le fait que d'autres contrôlent et exploitent les femmes. Par conséquent, il faut trouver des solutions qui aideront les femmes -- y compris les travailleuses de l'industrie du sexe -- et les femmes migrantes à mieux contrôler leur propre vie. Il faut habiliter les femmes, plutôt que l'inverse.
Deux chercheurs hollandais ont bien résumé la situation, à mon avis, en disant que seule la justice permet de réparer une injustice. Je vous remercie.
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Je vous remercie tous les deux pour vos exposés.
Jusqu'à un certain point, vous nous avez présenté des renseignements à la fois nouveaux et intéressants, même si je connais déjà bien le domaine grâce au travail que j'ai fait par le passé et aux discussions auxquelles j'ai participé sur le sujet, ayant fait partie d'un groupe de défense des travailleurs domestiques pendant un certain temps avec une collègue du nom de Judith Ramirez. Vous avez peut-être déjà entendu parler d'elle par rapport à son travail de défense des droits des femmes immigrantes, etc.
Monsieur Poulin, vous, aussi, vous nous avez fourni de bonnes informations dans votre exposé, mais ce qui m'a le plus frappée, c'est votre affirmation selon laquelle il nous faut nous attaquer aux causes profondes de la prostitution. Jusqu'à un certain point, Mme Jeffrey dit la même chose, à savoir que la réification des femmes et des enfants pose problème et que pour permettre l'égalité des hommes et des femmes, il va falloir démolir ce schéma en s'y attaquant directement.
Et c'est justement dans ce contexte que je voudrais faire publiquement l'observation suivante: cela concerne les motions dont nous discutions tout à l'heure. Ce qui m'a le plus découragée, c'est la décision du gouvernement la semaine dernière de priver Condition féminine Canada et les femmes canadiennes de cet outil, comme si nous avions déjà réalisé l'égalité des sexes. Voilà ce que le gouvernement nous dit: les femmes au Canada sont égales, et par conséquent nous n'avons plus à nous préoccuper de ce problème.
Or ce sont les organismes qui ne seront plus du tout financés qui mènent les recherches qui sont nécessaires pour informer les femmes de leurs droits, pour habiliter les femmes et les inciter à défendre leurs droits, et pour nous attaquer aux problèmes causés par leur plus faible situation économique.
Je trouve que ce que vous dites, et c'est justement l'une des questions que nous débattons autour de cette table depuis un moment... vous dites qu'il faut s'attaquer aux causes profondes de la prostitution et de la traite des personnes. Mais dans le fond, il faut aussi s'intéresser à la culture qui sous-tend notre système judiciaire, car il s'agit de s'assurer que les femmes et les hommes sont sur un pied d'égalité et que les femmes se sentent habilitées, comme on l'a dit récemment. Malheureusement, le gouvernement actuel préfère aller dans le sens inverse au Canada.
J'ai donc des questions pour vous deux.
La première vous semblera peut-être injuste, mais je dois vous la poser parce qu'elle nous permettra justement d'explorer les causes des problèmes actuels. Que pensez-vous de l'orientation actuelle au Canada, eu égard à ce qui est prévu pour Condition féminine Canada, qui constitue en réalité notre principal outil pour nous attaquer à ces problèmes? C'est une question politique, et je m'en excuse. Vous pouvez toujours décider de ne pas y répondre, si vous préférez, mais je dois vous la poser. Telle sera l'incidence des compressions budgétaires et des changements annoncés dernièrement sur la capacité des femmes canadiennes de faire des recherches, de s'informer sur leurs droits, et de se battre pour les défendre et pour arriver à prendre elles-mêmes le contrôle?
C'est une question chargée, j'en conviens. Si vous préférez ne pas y répondre, je peux vous en poser d'autres.
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Non. C'est justement ça le problème que pose la définition du terme « traite ». Nous n'arrivons pas à nous entendre sur la réalité qu'elle décrit.
Il est très facile de dire que ce sont des gens qui sont enlevés, forcés à travailler, envoyés à l'étranger, et qui deviennent des esclaves. Mais ces personnes correspondent à une toute petite proportion, à moins que vous ne croyiez que toute la prostitution soit forcée, et que les gens sont toujours obligés de se prostituer. Ça, c'est l'aspect du débat auquel on peut facilement appliquer le terme « traite ».
Bien sûr, il arrive des choses horribles aux travailleurs migrants; il peut leur arriver d'être gardés comme esclaves, d'être forcés à rembourser des dettes, de se faire enlever leur passeport, ou encore de se faire dire qu'ils doivent travailler gratuitement. Voilà des choses qui arrivent aux travailleurs migrants dans le secteur agricole, mais également dans l'industrie du sexe.
Mais quand nous parlons de traite, les gens vont dire: « Voyez-vous, c'est ça la traite; c'est lorsqu'on enlève le droit d'un travailleur de donner son consentement. » Et là on fait intervenir la question de la prostitution, qui constitue, pour certains, de l'esclavage pur et simple. Donc, il devient difficile dans ce contexte de définir le vrai problème.
Si le problème est celui de la prostitution, et si vous estimez que la prostitution ne peut être que de l'esclavage, à ce moment là, tous ceux qui s'adonnent à la prostitution sont victimes de la traite des personnes. C'est très simple. Mais si vous parlez aux personnes qui travaillent dans l'industrie du sexe, la grande majorité d'entre elles vous diront: « Vous savez, ce n'est peut-être pas le genre de travail que je souhaitais faire, mais dans les circonstances actuelles, c'est tout ce qui me permet de gagner beaucoup d'argent. »
J'ai passé une année en Thaïlande, pendant laquelle j'ai beaucoup parlé avec les travailleurs d'action sociale et les travailleurs de l'industrie du sexe, et voilà ce qu'ils m'ont dit. Ils me disaient: « Je pourrais travailler dans une usine, où je toucherais un salaire de misère, où on m'enfermerait la nuit et on abuserait de mes droits, ou encore je peux travailler dans l'industrie du sexe, gagner plus d'argent, et peut-être un jour devenir coiffeuse. Voilà les choix qui s'offrent à moi. Je fais le choix de travailler dans l'industrie du sexe. Ces choix ne sont pas bien intéressants, mais ce sont les seuls qui s'offrent à moi. »
Donc, si vous estimez que cette personne qui m'a dit: « Ce sont les seuls choix qui s'offrent à moi » est une victime de la traite des personnes, à ce moment-là, la police intervient et lui dit: « Sortez d'ici, vous êtes une victime. » Et elle répondra: « Non, j'essaie simplement de gagner ma vie. Vous allez me renvoyer dans mon village, où je n'aurai ni emploi, ni argent. Je vais m'endetter. Vous prétendez me secourir, mais ce n'est pas ce que je considère comme du secours. »
Par contre, d'autres organismes, y compris l'Organisation internationale du travail et l'Organisation internationale pour les migrations, ont plutôt essayé de déterminer, non pas quelles personnes sont victimes de la traite, mais quels actes correspondent à la traite, y compris le fait de profiter de personnes qui essaient de migrer vers d'autres pays pour trouver du travail. À l'heure actuelle, la grande majorité des travailleurs migrants, qui ne font pas partie d'un programme spécial, doivent avoir recours à une autre personne pour les aider à traverser la frontière. Et ces aides leur diront: « J'ai un emploi pour vous au Canada ou au Royaume-Uni. » Il peut ou non s'agir d'un mensonge, et ces aides peuvent ou non profiter des gens. Mais certains le font -- et c'est ça la traite des personnes.
Je voudrais revenir sur ce que M. Poulin vient de dire.
Bien que je comprenne et accepte l'idée selon laquelle le commerce du sexe et la prostitution des enfants et des femmes s'articulent autour du pouvoir et du contrôle qu'exercent les hommes par rapport aux femmes, et que ce n'est pas simplement une question économique, je me dis aussi qu'à la base, il s'agit bien, malgré tout, d'une question économique. Comme d'autres l'ont déjà dit, dans les pays d'Europe de l'Est, une fois qu'elles avaient accès à un emploi, elles n'avaient plus besoin de...
Dans certains cas, elles sont venues au Canada en se disant qu'elles pourraient y travailler, mais elles ont fini par être victimes de la traite des personnes à la place et être obligées de s'adonner à cette activité, comme vous l'avez expliqué tout à l'heure. Ou alors, elles se sont peut-être dit qu'elles pourraient travailler comme danseuses exotiques parce qu'elles n'obtiendraient rien de mieux, et que cela leur permettrait de contourner les lois sur l'immigration. Autrement dit, ces personnes ne peuvent venir ici, car nos lois en matière d'immigration sont telles que les femmes originaires de certains pays, surtout si elles n'ont pas d'éducation ou de compétences particulières, ne seront pas admises au Canada pour travailler. Par conséquent, elles y entrent illégalement.
Donc, à la base, c'est le même problème pour les femmes. Par contre, la motivation des hommes et des gens qui sont les auteurs de ce trafic est différente. Ces derniers sont cupides et sont à la recherche du pouvoir. Mais je comprends que la motivation des femmes peut être assez semblable à certains égards.
Voilà qui m'amène à revenir sur certains éléments soulevés par Mme Jeffrey, au sujet des lois sur l'immigration. Nous savons pertinemment que nous avons besoin de travailleurs domestiques au Canada. Nous savons également qu'il nous faut des travailleurs temporaires, et qu'il nous en faudra encore davantage à l'avenir. Or nous dressons des obstacles devant les femmes qui veulent obtenir un visa d'immigrante normal, afin d'être en situation régulière et de pouvoir travailler. Au contraire nous les forçons à opter pour des situations qui ne sont pas sécuritaires et qui ne leur offrent aucune protection en vertu de nos lois canadiennes. Comme vous nous l'avez signalé, les travailleuses domestiques peuvent ne pas avoir été forcées à travailler dans une maison de prostitution, mais elles peuvent subir des sévices sexuels aux mains de leur employeur, auquel cas elles ne sont toujours pas libres même s'il s'agit d'un trafic d'un autre genre.
Lorsque j'étais au Sri Lanka, par exemple, j'ai rencontré des femmes qui changeaient de pays tous les trois mois. Elles allaient travailler en Arabie saoudite, où elles n'arrêtaient pas de faire l'objet d'abus sexuels et d'être victimes de la traite des personnes aux mains de types qui avaient de l'argent, et ce en plus de leur travail dans les usines. Elles n'en parlaient jamais quand elles rentraient chez elles. Elles allaient travailler dans les usines parce qu'on avait besoin de femmes là-bas, et les hommes restaient à la maison pour s'occuper de la famille. Donc, pour moi, la traite des personnes n'est pas quelque chose de linéaire.
Madame Jeffrey, pourriez-vous nous faire parvenir par écrit le nom d'organismes comme Stella que nous devrions consulter, selon vous? Je pense qu'il serait bon qu'on essaie d'en parler avec autant d'organismes de ce genre que possible.
De plus, pourriez-vous nous dire quelles modifications nous devrions peut-être apporter à nos lois en matière d'immigration? Il semble que lorsqu'on découvre qu'une femme a été victime de la traite des personnes, il ne convient pas de l'inculper et de la renvoyer chez elle. Il nous faudrait adopter des lois qui infligent des sanctions criminelles aux hommes canadiens qui sont à l'origine de ces activités.
Si vous prenez de la cocaïne ou autre chose, vous serez inculpé comme consommateur. Comment se fait-il que les hommes échappent aux sanctions criminelles alors qu'ils exploitent les femmes et les enfants? Il faudrait que ce soit l'inverse. Ce sont les hommes qui devraient faire l'objet de sanctions criminelles. Si les juges, les avocats et les hommes puissants qui ont recours à leurs services finissaient par voir leur nom sur l'acte d'accusation, et s'ils savaient que leur nom y figurerait et qu'ils feraient l'objet de sanctions criminelles, si les femmes connaissaient leur nom ou arrivaient à les décrire, peut-être serait-il possible de faire diminuer le niveau d'activité dans cette industrie.
J'ai deux choses à dire à ce sujet: il faut inculper les hommes, et il faut donner aux femmes le droit de rester au Canada, au lieu de les renvoyer chez elles. Par conséquent, je me dis que ce serait tout de même utile de modifier nos lois sur l'immigration.