:
Je déclare ouverte la 24e séance du Comité permanent de la condition féminine.
Bonjour à toutes et tous, et surtout à nos témoins. Je vous suis très reconnaissante d’avoir pris le temps de comparaître devant le comité aujourd’hui pour nous parler du sujet très important que nous examinons, la traite des personnes.
Nous allons directement passer aux exposés de nos témoins. Nous réserverons les 15 dernières minutes de la séance à des travaux dont le comité doit s’occuper.
Membres du comité, avant d’entendre les témoins, avez-vous des observations à formuler? Non? Très bien.
Je voudrais souhaiter la bienvenue aujourd’hui aux Sœurs de Notre-Dame de Charité du Bon Pasteur, représentées ici par Deborah Isaacs, coordonnatrice de projet; à la Coalition contre la traite des femmes, représentée par Barbara Kryszko, coordonnatrice de l’appel à l’action; au Congrès ukrainien canadien, représenté par Irene Sushko; ainsi qu’au Future Group, représenté par Benjamin Perrin, conseiller auprès du conseil d’administration. Il est toujours agréable d’avoir des hommes parmi nous lorsque nous étudions ces sujets intéressants.
Je vous saurais gré de limiter vos exposés à environ cinq minutes. Nous vous écouterons successivement, après quoi nous ferons des tours de table pour vous poser des questions. Je vous prie donc d’utiliser vos cinq minutes pour nous en dire le plus possible.
Nous allons commencer par quiconque souhaite parler en premier. C’est votre choix.
Madame Isaacs.
:
Honorable présidente, honorables députés, j’aimerais, au nom du projet SCION, vous remercier de m’avoir invitée à venir vous parler de la traite des personnes.
Le projet SCION est le produit d’une collaboration entre MOSAIC, organisme de Vancouver voué à l’aide à l’établissement des immigrants qui, depuis trente ans, facilite l’intégration des nouveaux arrivants au Canada, et les Sœurs du Bon Pasteur, congrégation religieuse catholique internationale ayant des antennes dans plus de 70 pays et ONG à rôle consultatif spécial auprès du Conseil économique et social des Nations Unies.
Depuis la fin de 2002, nous nous préoccupons de plus en plus de la question de la traite des personnes, de concert avec le Conseil canadien pour les réfugiés, la GRC, le ministère provincial du Solliciteur général et d’autres ONG de la région de Vancouver.
Notre travail nous a amenés à constater des problèmes majeurs dans la protection des victimes de la traite. La définition courante de la traite est une adaptation de celle du Protocole de Palerme. Toutefois, beaucoup d’ONG ont vivement critiqué le Protocole, notamment parce qu’il aborde la question de la traite dans le contexte du crime organisé et non pas dans celui des droits des migrants. Le Protocole ne reconnaît pas la responsabilité des États dans la création des conditions propices à la traite. Il inscrit les mesures de lutte contre la traite des personnes dans les mesures de contrôle de la migration. C’est pour ces raisons que beaucoup d’ONG adoptent un point de vue beaucoup plus large que les autorités pour définir la coercition, de sorte qu’on ne sait pas exactement qui est victime et qui ne l’est pas aux fins de la réglementation.
Le Canada a signé la Convention sur la criminalité transnationale et ses protocoles, mais il n’en a pas incorporé les éléments de protection dans le droit canadien. Dans les premières années, les victimes de la traite ont continué d’être considérées comme des criminelles (certaines le sont encore) ou, dans le meilleur des cas, comme des migrantes clandestines, et étaient rapidement expulsées. Ainsi, les seuls qui étaient protégés étaient les trafiquants eux-mêmes.
En 2004, la GRC a pu, en Colombie-Britannique, offrir une certaine protection ponctuelle à des victimes et, en mai 2006, un premier pas modeste a été fait lors de la publication de lignes directrices sur les permis de séjour temporaire délivrés aux victimes de la traite des personnes. Malheureusement, le gouvernement ne s’est pas préalablement concerté avec les ONG et, comme ces lignes directrices ne renvoient pas à une réglementation, il y a des lacunes et des problèmes qui en limitent l’application. On ne reconnaît pas non plus les besoins spéciaux des enfants, qui sont également protégés par la Convention relative aux droits de l’enfant.
La signification automatique de l’ASFC, ou de la police sur demande, sera considérée avec méfiance par les victimes potentielles, qui ne sont pas sûres de leur statut, et surtout par celles qui s’identifieraient elles-mêmes. Beaucoup d’ONG craignent déjà qu’une décision négative entraîne l’expulsion, puisque l’intéressée aurait déjà attiré l’attention de l’ASFC. Ce ne serait pas un problème pour celles qui seraient découvertes par la police.
Deuxièmement, il y a un autre problème peut-être plus grave, dont beaucoup d’ONG n’ont pas encore pris conscience, parce qu’il n’est pas explicitement prévu dans les lignes directrices: ces permis ne seront délivrés qu’aux personnes qui n’ont pas de statut au Canada. Celles qui ont un visa valide de visiteur, d’étudiant, etc. n’obtiendront pas de permis de séjour temporaire, mais conserveront leur visa. Toutefois, elles n’auront pas accès aux services prévus pour les victimes, qui ne leur seront donc pas très utiles.
Les victimes détentrices d’un permis de séjour temporaire de six mois ou moins ne peuvent pas demander un permis de travail. Je sais bien que le premier permis n’est fourni qu’en attendant, mais dans quelle mesure sera-t-il facile d’obtenir des permis de plus longue durée si la décision est laissée à l’agent?
Troisième problème, mais non le moindre, les services aux victimes ne sont pas financés, de sorte qu’il n’y a toujours pas de services.
Je crois que la Colombie-Britannique et le Québec sont les deux seules provinces qui envisagent sérieusement de fournir des services. La Colombie-Britannique s’est dotée d’un plan, qui figure à l’annexe A, mais, sans ressources financières, il ne peut être mis en œuvre. Alors comment les victimes détentrices d’un permis de séjour temporaire qui ne leur permet même pas de travailler peuvent-elles subvenir à leurs besoins pendant des mois?
Quatrièmement, les lignes directrices ne prévoient rien pour les victimes qui désirent rentrer dans leur pays. Elles ne comportent pas de dispositions prévoyant le retour dans la dignité de ces personnes. En fait, ces personnes risquent de se retrouver devant un dilemme: elles peuvent obtenir un permis de séjour temporaire et demander que leur pays d’origine assume les frais de leur retour, mais beaucoup de pays refusent de faire leur part pour toutes sortes de raisons. Elles peuvent être expulsées du Canada, mais ce n’est pas possible si elles possèdent un permis de séjour temporaire: il leur faut donc laisser expirer leur permis, ce qui les laisserait sans services. Par ailleurs, l’expulsion ne permet pas un départ dans la dignité. Ces personnes seraient considérées comme des immigrantes illégales et n’auraient plus la possibilité de revenir au Canada sans permission ministérielle. Dans tous les cas, le Canada n’assume pas ses responsabilités et le fait que c’est une demande canadienne qui a amené ces personnes ici.
On propose souvent de décriminaliser la prostitution pour réduire la traite des personnes. Je crois à la décriminalisation des victimes, qui leur permettrait de dénoncer plus librement les responsables. Mais la décriminalisation complète de l’industrie du sexe n’a pas permis d’aider les victimes dans les pays où cette solution a été essayée. En fait, la situation a empiré dans bien des cas. Dans l’ensemble, environ 15 p. 100 seulement d’entre elles se sont inscrites, parce que, même si le travail est légal, beaucoup ne souhaitent pas être identifiées comme travailleuses du sexe. Il y aura aussi celles qui ont des problèmes médicaux et ne peuvent pas s’inscrire, mais cela ne signifie pas qu’elles cesseront de travailler. Beaucoup ne souhaitent pas non plus assumer des dépenses supplémentaires en impôts, frais d’inscription, frais médicaux, etc.
Il est naïf de penser que les proxénètes et les clients, qui sont souvent violents, deviendront moins violents parce que le travail est légal. Les victimes qui les craignent ne seront pas disposées à les dénoncer, tout comme les femmes battues dénoncent rarement leur conjoint. Ce sera plus dangereux, parce que la police aura plus de difficulté à obtenir des mandats pour vérifier les bordels, puisqu’ils seront désormais légaux. Les propriétaires de bordel pourront obtenir des permis de travail pour des travailleuses étrangères qui, en réalité, sont des victimes de la traite des personnes, tout comme le sont certaines danseuses de table. Cela ne fera que leur donner une meilleure couverture.
Enfin, il y a un groupe dont il n’est jamais question dans la décriminalisation: ce sont les familles des clients. Elles aussi ont le droit d’être protégées. Je suggère plutôt de se tourner vers le modèle suédois, qui semble avoir fait ses preuves.
Voici nos recommandations: Que l’on consulte les ONG au sujet des lignes directrices, règlements et services envisagés pour l’avenir; que des ressources financières soient réservées pour les services aux victimes de la traite des personnes; que des dispositions sûres et dignes soient prévues pour le retour des victimes qui désirent rentrer chez elles; que la protection des victimes et les services qui leur sont destinés fassent partie du droit canadien; que les personnes qui ne sont pas des victimes au sens étroit de la traite des personnes, mais qui sont victimes d’exploitation et d’autres infractions criminelles soient automatiquement protégées de l’expulsion lorsqu’elles s’identifient.
:
Merci, madame la présidente.
La Coalition contre la traite des femmes accueille avec enthousiasme cette occasion d’aborder le problème de la traite à des fins d’exploitation sexuelle. La Coalition est une ONG internationale qui travaille à la promotion des droits des femmes depuis plus de 18 ans.
La traite des femmes et des filles à des fins d’exploitation sexuelle constitue une forme de violence contre les femmes. Lorsqu’une femme ou une fille est réduite au rang de produit qu’on peut acheter et vendre, violer, battre et ruiner psychologiquement, il y a violation répétée de sa dignité et de ses droits fondamentaux en tant qu’être humain.
Le trafic à des fins d’exploitation sexuelle et la prostitution sont inextricablement liés. La demande de prostitution est le moteur ou la cause profonde qui alimente la crise sévissant à l’échelle de la planète en matière de traite à des fins d’exploitation sexuelle. En coupant la demande des acheteurs, le gouvernement élimine la plus importante source de profits et de revenus illicites des trafiquants, les paiements versés par les acheteurs, réduisant ainsi l’incitation financière à la traite.
La Coalition a collaboré à la rédaction de lois contre la traite des personnes dans plusieurs pays du monde. Elle a également participé à toutes les étapes de la rédaction du Protocole additionnel à la Convention des Nations Unies contre la criminalité transnationale organisée, visant à prévenir, réprimer et punir la traite des personnes, en particulier des femmes et des enfants. Cet instrument, connu également sous le nom de Protocole de Palerme, a été signé par 110 États parties, dont le Canada.
Avec le Protocole de Palerme, la communauté internationale s’est entendue sur une définition de la traite des personnes. Nous ne saurions trop insister sur l’importance d’utiliser et d’appliquer cette définition dans son intégralité. Malheureusement, le Canada n’a pas utilisé la définition complète dans les lois qu’il a adoptées jusqu’ici. Par exemple, la définition du Protocole protège non seulement les victimes soumises à la traite par la force, la contrainte, l’enlèvement, la fraude ou la tromperie, mais également celles qui ont été poussées dans l’exploitation par abus de leur vulnérabilité.
La récente Convention du Conseil de l’Europe sur la lutte contre la traite des êtres humains, qui est conforme au Protocole de Palerme, comprend la note explicative suivante:
Par abus de position de vulnérabilité, il faut entendre l’abus de toute situation dans laquelle la personne concernée n’a d’autre choix réel et acceptable que de se soumettre. Il peut donc s’agir de toute sorte de vulnérabilité, qu’elle soit physique, psychique, affective, familiale, sociale ou économique. Cette situation peut être, par exemple, une situation administrative précaire ou illégale, une situation de dépendance économique ou un état de santé fragile. En résumé, il s’agit de l’ensemble des situations de détresse pouvant conduire un être humain à accepter son exploitation.
Plus loin, le rapport explicatif établit que les moyens envisagés en vertu de la définition doivent comprendre:
[L’]enlèvement de femmes en vue d’exploitation sexuelle, [la] séduction d’enfants en vue de les utiliser dans des réseaux pédophiles ou de prostitution, [les] violences commises par des proxénètes pour maintenir des prostituées sous leur joug, [l’]abus de la vulnérabilité d’un(e) adolescent(e) ou d’une personne adulte victime de violences sexuelles ou non, ou [l’]abus de la précarité et de la pauvreté d’une personne adulte désirant pour elle-même ou sa famille une situation qu’elle espère meilleure.
À vrai dire, en reconnaissant la portée large et inclusive de la définition de la traite ainsi que le lien étroit entre la prostitution et la traite à des fins d’exploitation sexuelle, la Rapporteuse spéciale des Nations Unies sur les droits fondamentaux des victimes de la traite des êtres humains, a révélé ce qui suit.
Dans la plupart des cas, la prostitution telle qu’elle est actuellement pratiquée dans le monde répond aux critères constitutifs de la traite. Il est rare de trouver un cas où le chemin vers la prostitution et/ou l’expérience d’une personne dans la prostitution sont exempts de tout abus d’autorité ou situation de vulnérabilité, à tout le moins.
L’autorité et la vulnérabilité dans ce contexte doivent être comprises comme incluant les inégalités de pouvoir fondées sur le sexe, la race, l’origine ethnique et la pauvreté. En d’autres termes, le chemin qui mène à la prostitution et à la vie sur « le trottoir » est rarement caractérisé par l’autonomie ou des possibilités de choix appropriées.
Par conséquent, il est impératif que les politiques et les pratiques qui abordent la traite à des fins d’exploitation sexuelle s’attaquent également à la prostitution, étant donné que tant de victimes de la prostitution proviennent de la traite.
Un autre aspect important de la définition de la traite en vertu du Protocole de Palerme concerne l’article 3b) qui prévoit que « le consentement d’une personne » est indifférent lorsque l’un quelconque des moyens énoncés à l’article 3a) a été utilisé. En vue de protéger toutes les victimes de la traite, y compris celles qui peuvent avoir donné leur « consentement » au départ et qui ont été abusées en raison de leur vulnérabilité, il est essentiel de respecter la définition de la traite dans son intégralité afin que les trafiquants ne puissent pas se servir du consentement de la victime comme moyen de défense.
Il est donc possible que certaines femmes victimes de la traite sachent qu’elles seront soumises à la prostitution dans le pays de destination et peuvent même avoir l’avoir pratiquée dans leur pays d’origine. Ce prétendu « consentement » reflète la situation profondément désespérée de nombreuses femmes et ne devrait certainement pas soustraire les trafiquants à leur responsabilité légale en présence de facteurs d’exploitation et du recours à la traite.
Le Protocole des Nations Unies indique clairement que les victimes de la traite, y compris celles qui pratiquent la prostitution, doivent être perçues non plus comme des criminelles, mais comme les victimes d’un crime, et avoir droit à une protection complète. Par exemple, l’article 6 demande à chaque État partie d’envisager de mettre en œuvre des mesures d’aide au rétablissement des victimes, y compris l’accès à une assistance médicale, psychologique et matérielle, à un logement et à des possibilités d’emploi, d’éducation et de formation. Le Canada devrait fournir cette assistance aux victimes, mais ses lois actuelles et son financement n’y suffisent pas, comme l’a signalé ma collègue.
Comme le temps me manque, je me limiterai à noter que le Protocole de Palerme comprend une disposition sur la demande. L’approche qu’un pays choisit d’adopter en matière de prostitution est un facteur décisif quant à l’impact sur la demande. Nous appuyons le modèle suédois, dont vous avez déjà entendu parler à plusieurs reprises, et nous inquiétons de l’exemple donné par les pays qui ont légalisé la prostitution et qui ont depuis connu une hausse de la demande de prostitution légale et illégale ainsi qu’une augmentation des incidences de la traite. Bien que certaines administrations locales du Canada aient pris des mesures pour cibler la demande, des efforts plus globaux sont nécessaires à l’échelle nationale afin de lutter contre la traite en éradiquant la demande.
Je voudrais enfin formuler quelques recommandations fondées sur des recherches approfondies et une vaste expérience.
Nous exhortons le comité à recommander la mise en œuvre de mesures préventives telles que les campagnes de sensibilisations du public aux préjudices de la traite et de la prostitution, y compris des campagnes ciblant les hommes et les garçons et stigmatisant les attitudes et les pratiques de ceux qui pourraient se livrer à l’exploitation sexuelle.
Nous appuyons le renforcement du soutien et des services aux survivants de la traite et de la prostitution nationale et internationale, ainsi que la promotion de lois efficaces contre la traite, la prostitution et les autres formes d’exploitation, conformément au Protocole des Nations Unies, y compris des dispositions criminalisant la demande de traite et de prostitution.
Nous recommandons d’élaborer des programmes de formation à l’intention des organismes gouvernementaux, comme ceux qui sont chargés de l’exécution de la loi et de l’immigration, pour tenir les auteurs, y compris les trafiquants, les proxénètes et les acheteurs, responsables de leurs actes au lieu de criminaliser les victimes.
Nous vous exhortons enfin à rejeter toute politique gouvernementale qui favorise la prostitution, que ce soit en légalisant ou en décriminalisant l’industrie du sexe.
Je vous remercie.
:
Honorable présidente, honorables députés, le
Hamilton Spectator a récemment publié, dans son cahier Canada/Monde, un article portant le titre, en gros caractères noirs,
12 millions de personnes dans la servitude. Ce titre capte immédiatement l’attention du lecteur, qui se pose la question: « Quel problème peut maintenir 12 millions de personnes dans la servitude? » Il ne faut pas beaucoup de temps au lecteur pour se rendre compte, avec le plus grand étonnement, que ces personnes dans la servitude sont en fait les victimes de la traite des personnes.
Le problème de la traite inquiète beaucoup le Congrès ukrainien canadien, ses 27 organismes membres, l’ensemble de la communauté ukrainienne du Canada et, j’en suis sûre, tous les citoyens canadiens. La traite des personnes est une entreprise à grand profit et à faible risque, souvent très liée au crime organisé. La traite internationale, nous le savons, touche plus de 800 000 personnes par an, qui sont pour la plupart intégrés dans l’industrie du sexe contre leur volonté ou sous contrainte. Il est triste de constater que 80 p. 100 de ces personnes sont des femmes et des filles et que le pourcentage des mineurs peut atteindre 50 p. 100. Le trafic des personnes constitue un horrible acte d’esclavage, une honteuse agression contre la dignité des enfants, l’exploitation des vulnérables à des fins commerciales. Il se classe maintenant deuxième parmi les crimes qui augmentent le plus rapidement dans le monde.
De plus en plus de femmes quittent leur pays à la recherche d’une vie meilleure et finissent par devenir les victimes de la traite des personnes et de la prostitution. On leur promet un emploi honnête, mais, dès leur arrivée, on les force à se prostituer pour rembourser le prix du voyage. Cherchant à réaliser leur rêve, elles se retrouvent dans un vrai cauchemar.
Dans son livre, The Natashas, Victor Malarek décrit d’une façon très explicite les nombreux moyens auxquels recourent les éléments criminels. Les incidents authentiques qu’il raconte sont aussi choquants qu’incroyables.
Permettez-moi de citer un bref passage de ce livre:
Ce qu’on fait à la plupart des femmes victimes de la traite est criminel, qu’elles aient été trompées, enlevées ou aient donné leur consentement. Elles sont acculées à des situations de profonde terreur, comparable à celle de personnes prises en otages. On leur enlève immédiatement leurs documents de voyage et chacun de leurs mouvements est soumis à la plus étroite surveillance. Les acheteurs éventuels peuvent « essayer » ces femmes, tout comme nous essayons de nouvelles voitures.
Nous ne pouvons pas tolérer plus longtemps de telles atrocités. Même si nous avons été heureuses d’apprendre, l’été dernier, que le ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration prenait de nouvelles mesures pour aider les victimes de la traite des personnes au Canada, il reste encore beaucoup à faire dans ce domaine.
À la suite d’une table ronde sur le sujet dirigé par Irena Soltys, présidente de la Coalition contre la traite des femmes, le Congrès ukrainien canadien a adopté une résolution, en octobre 2004, lui enjoignant de sensibiliser les gouvernements du Canada et les organismes fédéraux compétents à cette question et d’appuyer des projets communautaires de sensibilisation à cet horrible crime.
Pour mettre en œuvre cette résolution, nous avons décidé, entre autres, de former un partenariat avec la députée Joy Smith afin de sensibiliser les gens à ce crime contre l’humanité. Nous avons en outre abordé le problème avec le ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration ainsi qu’avec le ministre des Affaires étrangères.
Voici quelques-unes des préoccupations évoquées au cours de nos discussions, ainsi que quelques recommandations.
Ceux qui se rendent coupables de tels crimes doivent être recherchés et punis. Les lois en vigueur doivent être appliquées d’une manière stricte, de même que les peines prévues qui peuvent atteindre la prison à vie et un million de dollars d’amende, en cas de condamnation pour traite de personnes.
Les victimes de la traite peuvent hésiter à s’adresser à la police ou à un médecin pour obtenir de l’aide. Il faut donc créer un service téléphonique d’urgence 1-800 et en faire connaître l’existence. Des refuges doivent être aménagés pour accueillir et protéger les victimes. Les trousses d’accueil doivent comprendre les renseignements que j’ai mentionnés et des directives pour la protection du passeport.
Les douaniers doivent être sensibilisés aux moyens utilisés par les trafiquants et à l’influence qu’ils peuvent exercer sur leurs victimes, de façon à pouvoir les reconnaître. Un programme de formation obligatoire doit être mis en place à l’intention de tous les agents des douanes.
Nous avons également proposé de faire passer l’âge du consentement de 14 à 16 ans.
Au niveau international, le gouvernement du Canada devrait rechercher une plus grande coopération en vue d’éliminer la traite transnationale et les réseaux établis par le crime organisé. Il devrait collaborer avec les consulats des pays d’origine pour les sensibiliser à la traite lors de l’examen des demandes de visa et pour assurer le rétablissement des victimes et leur retour, saines et sauves, dans leur pays. Le rôle du Canada, à titre de signataire du Protocole des Nations Unies visant à prévenir, réprimer et punir la traite des personnes, doit bénéficier d’une très haute priorité.
Nous devons tous nous efforcer ensemble d’éradiquer la traite des personnes. Nous n'aiderons pas les générations futures en fermant les yeux aujourd’hui sur ce crime odieux. Nous avons des obligations à cet égard et ne pouvons pas nous croiser les bras face à ces atrocités. Nous devons exprimer notre colère dans des mesures concrètes. Nous exhortons le gouvernement du Canada à devenir un chef de file à cet égard.
Je vous remercie.
:
Merci beaucoup, madame la présidente. Bonjour.
Est-ce que tous les membres du comité ont un exemplaire de notre mémoire? Je m’y reporterai pour gagner du temps. C’est parfait. Je vous le présente donc pour étude. Je me concentrerai aujourd’hui sur ce que je considère comme les grandes recommandations et propositions du Future Group.
Tout d’abord, nous sommes honorés d’être ici. Notre organisation a été fondée en 2000 par un groupe d’étudiants d’université qui, réunis au bord d’un lac, ont discuté de ce problème de traite de personnes dont ils avaient entendu parler six ans auparavant. C’est un honneur de comparaître finalement à Ottawa pour vous en parler. Je vous remercie encore de cette occasion et je vous félicite d’avoir entrepris l’examen de ce problème.
Comme beaucoup d’entre vous le savent, notre organisation a commencé son travail à l’étranger. Nous avons réalisé des projets sur le terrain pour aider les victimes au Cambodge, au Myanmar, en Roumanie, au Moldova et, très récemment cet été, en Équateur et au Cameroun. Notre attention s’est reportée sur le Canada et, plus particulièrement, Calgary – dont je suis originaire – lorsque la police a fait une descente dans un studio de massage et y a découvert, ô surprise, des femmes d’Asie du Sud-Est. Cette histoire est déjà oubliée. C’était en 2003.
Depuis, nous avons commencé à nous intéresser à ce problème au Canada, au niveau des politiques. Nous fondant sur notre expérience à l’étranger, nous avons élaboré un cadre comprenant essentiellement trois points, qui figure à la page 1 du mémoire. Ce cadre traite de certaines des préoccupations exposées au comité par les témoins précédents sur la question de savoir comment équilibrer les aspects de mise en vigueur de la loi et de respect des droits de la personne et les considérations économiques. C’est l’approche que nous avons adoptée.
Nous avons, premièrement, la prévention de la traite des personnes en travaillant avec les pays d’origine pour lutter contre les causes profondes de ce phénomène, qui sont liées au manque de connaissance. Il faut donc éduquer les enfants à risque. Ainsi, différentes organisations œuvrent en vue de sensibiliser 80 000 enfants à risque dans les régions rurales du Cambodge. Il faut également se servir de l’aide directe à l’étranger pour élargir les perspectives économiques des jeunes femmes. C’est la première partie de notre cadre.
La deuxième porte sur la protection des victimes de la traite. Il faut d’abord les délivrer, puis les réadapter et, s’il y a lieu, les rapatrier et les réintégrer dans la société. Il faut aussi déterminer s’il est souhaitable, pour elles, de rentrer ou non dans leur pays.
Le dernier élément est la poursuite devant les tribunaux des trafiquants et des clients de l’industrie du sexe. Il est nécessaire de s’occuper des trois éléments à la fois. Autrement, les efforts seraient vains et les progrès, difficiles sinon impossibles.
Beaucoup d’entre vous connaissent sans doute le rapport que notre organisation a fait paraître en mars dernier sous le titre Falling Short of the Mark. Il s’agissait d’une étude internationale sur le traitement des victimes de la traite des personnes. J’ai un peu honte de dire que le Canada a essuyé un échec à ce chapitre. Vous trouverez un résumé de notre rapport aux pages 3 à 5 du mémoire. Si vous souhaitez voir la version intégrale du rapport, avec tous les exemples comparatifs, vous la trouverez sur notre site Web, à www.thefuturegroup.org. Je m’excuse, madame la présidente, de la publicité éhontée que nous avons faite sur notre site.
Je tiens à attirer votre attention d’une façon particulière sur la page 4 de notre mémoire. Il s’agit d’un cas mentionné dans une note de bas de page de notre rapport. Après la parution de celui-ci, on nous a dit que non, rien ne prouve que des victimes de la traite ont été expulsées, qu’il ne s’agit que d’anecdotes et que cela n’arrive pas en réalité. Vous trouverez là la décision officielle de la Cour fédérale, qui procédait à une révision judiciaire d’une décision de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié.
Il s’agit de Katalin Varga, dont le cas est l’un des rares qui soit allé aussi haut. On peut se demander comment elle a eu les moyens d’obtenir une décision de la Cour fédérale. Je ne le sais pas. Elle a dû bénéficier de l’aide de quelqu’un. J’aimerais vous lire un passage de la page 4, tiré du résumé de l’affaire figurant dans le jugement.
Le médecin de Varga a indiqué qu’elle souffrait du syndrome de stress post-traumatique et qu’elle serait victime d’une dépression nerveuse si elle était renvoyée en Hongrie.
Il a donc été établi qu’elle était une victime de bonne foi de la traite de personnes. Réaction du Canada: À la porte! Voilà où nous en sommes sur le plan législatif. Nous avons maintenant des lignes directrices provisoires qui commencent à s’attaquer au problème. Notre organisation a applaudi le ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration lorsqu’il les a annoncées. Je suis d’accord sur ce qui a été dit plus tôt: c’est un bon point de départ, mais il faut en faire davantage.
Certains d’entre vous savent que j’ai participé à ce processus. Je ne suis pas ici pour parler de mes réalisations. Je veux tout simplement dire que, sur le plan international, notre approche a consisté à préconiser l’adoption de mesures concrètes. Je voudrais mettre en garde le comité contre la tentation d’élaborer un grand plan national d’un seul coup. Tout d’abord, d’ici le moment où vous aurez mis au point ce plan, les trafiquants seront déjà passés à autre chose.
Nous devons appuyer des projets qui marchent et concentrer nos efforts sur les secteurs les plus importants, tant sur le plan géographique que... Permettez-moi de mentionner en particulier Vancouver. À l’approche des Jeux olympiques d’hiver, le comité devrait accorder une importance particulière à Vancouver. D’ici 2010, si le Canada ne s’est pas concerté pour combattre la traite des personnes, il y aura une grande flambée de ce phénomène en Colombie-Britannique. L’expérience acquise à l’échelle internationale au cours des dix dernières années montre qu’à part les missions de maintien de la paix, les grandes manifestations sportives engendrent le plus grand afflux de devises et d’étrangers ayant beaucoup de temps à perdre et persuadés de jouir de l’impunité, ce qui représente une véritable manne pour cette industrie. Il faut souvent envisager le problème sous l’angle commercial pour comprendre que les trafiquants y verront une parfaite occasion de réaliser des bénéfices extraordinaires.
Je vous laisse examiner nos recommandations, qui figurent à la page 8 du mémoire. Nous préconisons la création d’un bureau de lutte contre la traite. J’aimerais répondre à des questions, si vous voulez savoir pourquoi il est nécessaire d’établir ce bureau, mais je vais attendre la période des questions puisque mon temps de parole est écoulé.
Merci encore de m’avoir donné l’occasion de vous présenter cet exposé aujourd’hui.
:
Merci, madame la présidente. Je vous remercie tous et toutes de vos témoignages.
Ma question s'adresse à M. Perrin. Dans vos recommandations, à la page 8 de votre mémoire, vous dites, et je cite:
Grâce aux modifications apportées récemment au Code criminel et aux directives provisoires élaborées par CIC, il existe désormais un cadre législatif de base qui permet aux autorités canadiennes d'aborder le problème de la traite des êtres humains.
Nous avons rencontré un enquêteur des moralités du Service de police de la Ville de Montréal la semaine dernière, je crois bien. Il semblait dire que la loi n'était pas très efficace pour les aider à faire leur travail. D'ailleurs, il nous a bien spécifié que l'article du Code criminel sur la traite des personnes était carrément inutilisé par le SPVM.
La loi est-elle vraiment efficace? Y-a-t-il y a des améliorations à apporter au Code criminel? De quel article de droit s'agit-il? Est-ce celui qui touche le proxénétisme, la traite ou le fait d'avoir une maison de débauche? D'une part, qu'est-ce qu'on doit modifier, concrètement, dans la loi, dans le Code criminel?
D'autre part, que devons-nous faire pour que le tourisme sexuel à l'étranger et les gestes des personnes qui s'adonnent à ce tourisme sexuel ne restent pas impunis? Que devons-nous changer dans la loi?
En dernier lieu, vous dites que le Groupe de travail interministériel sur la traite des personnes, le GTITP — et vous me corrigerez si je me trompe — est inefficace, d'une certaine manière, ou qu'il n'aurait pas bien rempli son mandat. Vous proposez de le remplacer par le bureau canadien de lutte contre la traite des êtres humains.
J'aimerais comprendre ce que serait ce bureau et ce qu'il ferait différemment du GTITP pour être plus efficace.
Premièrement, au sujet du tourisme sexuel impliquant des enfants, il est vraiment très difficile de mener des enquêtes extraterritoriales. La seule poursuite qui ait réussi était celle de Donald Bakker en Colombie-Britannique. Il a été le premier homme jugé coupable aux termes des dispositions relatives au tourisme sexuel impliquant des enfants, mais il s’agissait d’une enquête accidentelle. On n’a découvert qu’il exploitait sexuellement des enfants à l’étranger que lorsque son ordinateur a été saisi.
Que font les autres pays? Notre approche consiste à nous poser cette question. Les autres pays poursuivent régulièrement leurs pédophiles qui vont à l’étranger. Mais la plupart s'en tirent impunément. Au Cambodge, vous pouvez voir des pédophiles marcher dans la rue en compagnie de petites filles de 8, 9 ou 10 ans, et vous ne pouvez absolument rien faire.
Les autres pays placent des agents de liaison dans leurs ambassades. La police fédérale australienne a des agents de liaison. Les Américains ont des policiers, pas dans toutes les ambassades, mais dans les régions à risque élevé. Ces agents s’occupent non seulement de la traite des personnes et du tourisme sexuel impliquant des enfants, mais aussi de la drogue et de la criminalité transnationale organisée. Par conséquent, il s’agit essentiellement d’une affaire de police.
La GRC dispose de renseignements sur les pédophiles canadiens qui vont à l’étranger. Elle a des copies de passeport, des itinéraires de voyage et même des dépositions de témoins. Nous avons été en mesure de lui fournir ce genre de preuves. En fait, nous avons participé aux poursuites intentées contre un pédophile américain dans le cadre du même modèle. Les Américains ont pu envoyer une équipe qui a mené une enquête, ce qui leur a permis d’obtenir une condamnation.
Malheureusement, avec les lois que nous avons, si un pédophile opère ainsi à l’étranger, passant d’un pays à l’autre sans jamais rentrer au Canada, il n’y a aucun moyen de le prendre. De plus, on ne peut pas retenir un citoyen canadien à la frontière à son retour, à moins de disposer de preuves suffisantes pour obtenir un mandat d’arrestation. Ainsi, c’est très difficile, mais faisable. La solution, à notre avis, réside dans des ressources et un programme d’agents de liaison.
Au sujet du groupe de travail interministériel, vous voulez savoir pourquoi un bureau serait préférable. Nous avons besoin d’un service central pour le financement de la lutte contre la traite des personnes. À l’heure actuelle, il est très difficile de savoir si des fonds quelconques y sont affectés, autrement que pour les réunions du groupe de travail interministériel et la campagne d’affiches au niveau fédéral. Nous avons donc besoin d’un service central, qui jouerait également un rôle important du point de vue de la responsabilité.
Ce bureau devrait, à notre avis, pouvoir élaborer et proposer des initiatives liées aux ministères intéressés. Ainsi, au lieu d’avoir autour de la table des représentants de 17 ministères discutant de programmes qui ne touchent que deux ou trois d’entre eux, pourquoi ne pas établir un bureau central doté de compétences en traite des personnes, qu’on aurait recruté parmi les meilleures du Canada, lui accorder le financement nécessaire et lui donner le mandat de faire la liaison avec les ministères intéressés?
Nous considérons que c’est une nouvelle approche qui pourrait marcher. D’autres pays ont procédé de cette façon, ce qui a renforcé la responsabilité. Je dois ajouter que le bureau présenterait des rapports au Parlement sur le nombre de victimes aidées et rapatriées, le nombre de trafiquants ayant fait l’objet d’enquêtes et de poursuites, etc. Vous ne disposez pas actuellement de renseignements de ce genre à l’échelle nationale.
:
Merci, madame la présidente.
Je voudrais remercier tous les témoins. Je crois vraiment que votre présence aujourd’hui est très importante. Vous nous éduquez et nous aidez au sujet de ce crime odieux auquel nous devons mettre fin.
Je voudrais poser ma première question à M. Perrin.
Je trouve très intéressant ce que vous dites au sujet du bureau de la traite des personnes. Je conviens avec vous qu’il n’existe actuellement aucun service central compétent auquel on puisse s’adresser pour obtenir de l’aide.
Nous avons parlé de financement. Si un tel bureau était établi, il aurait son mot à dire sur le financement et sa répartition.
Je me suis entretenue ce matin avec un groupe qui s’occupe de refuges pour les sans-abri. Comme nous le savons, les victimes de la traite ont besoin d’un refuge, mais ceux que nous avons actuellement ne conviennent pas. À mon avis, elles ont besoin d’un refuge parce qu’il faut leur donner un certain temps. On ne peut pas simplement appréhender ou sauver une victime, puis lui demander immédiatement de témoigner. Ce serait impossible. Beaucoup d’entre elles craignent beaucoup la police. Elles ont été intimidées pendant des mois et des années. Cela ne marcherait pas.
Avec un bureau de ce genre, de quelle façon croyez-vous que les fonds devraient être répartis pour lutter utilement contre la traite?
Je suis bien d’accord avec vous. Premièrement, l’âge de consentement devrait être relevé. Deuxièmement, le consentement devrait être sans conséquence lorsque les gens sont appréhendés. Ce sont des victimes sans défense d’un horrible crime.
Nous avons dans ce cas une situation très particulière parce que certaines de ces femmes tombent enceintes et ont de petits enfants. À Toronto, j’ai aidé une femme qui venait du Mexique et qui avait une fille de dix mois. Les besoins des victimes sont donc très variés.
Que pouvez-vous nous dire à ce sujet, monsieur Perrin, pour ce qui est des refuges et des différences entre ce que nous avons et ce que nous devrions avoir?
:
Je commencerai par la question du financement. Comme vous l’avez signalé, c’est aujourd’hui le point le plus important à régler. Je ne sais pas combien d’argent il faudrait affecter. Thomas Axworthy a dit qu’il faudrait consacrer 100 millions de dollars aux initiatives de lutte contre la traite des personnes. J’ai l’impression que c’est un chiffre raisonnable, mais je ne suis pas sûr de ce que cela comprenait.
À notre avis, la meilleure façon d’utiliser les fonds consisterait à se baser sur notre cadre en trois points. Dans l’idéal, l’argent devrait suivre la victime. C’est ce qu’on recherche dans tout programme social. Ce serait très difficile à réaliser dans le cas du système de santé, par exemple, parce que tous les Canadiens sont en cause. Dans le cas de la traite des personnes, où nous n’avons que quelque 25 à 30 victimes dans la première année, les lignes directrices fonctionnent bien. C’est ainsi que cela se fait en Australie et aux États-Unis. Il faudrait en fait concevoir des groupes de services pour différentes victimes. Certaines auront besoin d’un permis de travail et d’un logement, d’autres n’en voudront pas parce qu’elles préfèrent rentrer dans leur pays le plus tôt possible. Il faudra élaborer le programme. Le bureau dont nous parlons pourrait jouer un rôle à cet égard.
On devrait pouvoir prélever sur les 100 millions de dollars un financement suffisant pour ce programme. L’aide aux victimes ne devrait pas en fait coûter très cher. Le gouvernement fédéral pourrait décider de payer la facture, mais il n’est pas obligé de le faire dans le cadre de ses responsabilités.
Sur le plan des poursuites, ce n’est pas grand-chose si on parle seulement des victimes. Voici comment le système de justice pénale pourrait fonctionner. Dans le cas des meurtres, des cambriolages et des vols à l’étalage, nous n’enverrons plus les victimes au tribunal. Nous dirons par exemple: Quelqu’un s’est introduit dans votre voiture par effraction? Adressez-vous au gouvernement, nous vous aiderons à la réparer. Si quelqu’un a été tué, nous offrirons des séances de counselling. Non, ne vous inquiétez pas du meurtrier qui court les rues ni du cambrioleur qui s’attaque à votre maison.
C’est essentiellement ce qui se produit aujourd’hui dans le cas de la traite des personnes, et ce n’est pas parce que les organismes d’application de la loi ne travaillent pas très fort. Ils savent ce qui se passe et nous ont dit qu’ils n’ont pas suffisamment de ressources pour faire autrement. C’est une tâche énorme, qui nécessitera probablement des fonds très importants pour infiltrer les réseaux du crime organisé.
:
Tout d’abord, il faudrait de l’argent. La plupart d’entre nous ont déjà des difficultés financières, surtout dans les zones d’établissement de certaines provinces.
Je sais qu’en Colombie-Britannique, la police cherche, lorsqu’elle fait des descentes, à se faire accompagner de représentants d’ONG et du gouvernement pour s’occuper des victimes, afin qu’elles ne soient pas encore plus traumatisées et effrayées par le contact avec la police.
On parle également d’efforts de défense des droits que les ONG pourraient déployer au nom des victimes, qui ne bénéficient pas toujours de l’aide juridique nécessaire. C’est d’ailleurs un autre domaine que j’ai oublié de mentionner plus tôt, lorsque nous avons parlé des services.
Comme je l’ai dit, l’organisme pour lequel je travaille à Vancouver a été désigné comme le principal responsable en Colombie-Britannique pour faire du traitement de cas et fournir ce qu’il faut aux victimes, quand il arrive à trouver un peu d’argent.
Il faut procéder à des évaluations des besoins. Il faut établir des bases de données sur les services offerts dans chaque province. Il faut en outre créer des moyens de communication entre les provinces. J’ai déjà travaillé à Montréal. Nous avions un jeune garçon qui travaillait comme domestique à l’âge de 13 ans. Après beaucoup d’efforts, une enquête a finalement été ouverte, mais la famille l’a appris et a déménagé en Ontario. S’il n’y a pas de moyen de communication entre les provinces, les dossiers sont classés. Dans certains cas, il faut d’ailleurs envoyer des gens dans une autre province pour les protéger.
Je proposerais également, à cet égard, d’établir des communications d’une forme ou d’une autre entre les services d’immigration et d’éducation, du moins pour les enfants, de façon à savoir qui ne va pas à l’école. À l’heure actuelle, il n’y a absolument aucune communication. Bien sûr, ces victimes ne vont pas à l’école.
Il s’agit simplement de trouver un moyen de mieux contrôler la situation. Tout cela nécessite de l’argent.
:
Je crois qu’il faudrait un peu des deux. Une seule partie ne suffit pas. Il est évident que nous n’avons pas accès à tout le monde.
Je fais partie d’un groupe de travail ONG-CIC sur les enfants séparés de leur famille. Je sais que le groupe ne s’occupe que des réfugiés. Il n’envisage même pas de tenir compte des victimes de la traite. Il compte les enfants séparés en fonction du demandeur principal inscrit dans les demandes de revendication du statut de réfugié. Il y a donc une importante catégorie de personnes qui n’est même pas comptée. Il n’y a aucun moyen de vérifier.
De plus, lorsque des gens arrivent accompagnés de prétendus parents, amis, etc., on ne vérifie pas toujours à la frontière s’ils sont bien ce qu’ils disent.
J’étais allée une fois à La Baie, à Vancouver, pour acheter un maillot. La vendeuse m’a parlé de cet homme qui venait souvent accompagné de différentes jeunes femmes. Il semblait avoir beaucoup de nièces à qui il achetait ces vêtements qui ne cachent pas grand-chose. Il présentait ces femmes comme des membres de la famille, mais personne ne vérifie. C’est un problème.
Nous avons également à Vancouver les enfants et les jeunes honduriens. C’est un autre grand problème. Ces enfants sont encore poursuivis au criminel comme trafiquants de drogue. Ils ont une dette à rembourser et, dans le cas des enfants, la question du consentement ne devrait jamais se poser.
C’est donc un problème.
:
Merci, madame la présidente.
Je voudrais aussi remercier nos témoins. Chaque fois que je pense que nous entendrons des témoignages qui ne sont pas alarmistes, je constate que c’est le cas. Je vous suis vraiment reconnaissant d’avoir pris le temps de venir aujourd’hui pour nous faire profiter de votre expérience.
Dans son exposé, sœur Isaacs a fait certaines observations au sujet de la définition du Protocole de Palerme pour mettre en évidence certains points critiqués par les ONG.
C’était dans votre exposé préliminaire, madame Isaacs. Ensuite, Mme Kryszko a en fait parlé en faveur du Protocole de Palerme, surtout en ce qui concerne l’identification. Il y avait donc certaines divergences à cet égard.
Je me demande, madame Kryszko, si vous pouvez nous en parler. Vous avez dit essentiellement que le Protocole de Palerme situait la traite des personnes dans le contexte du crime organisé plutôt que dans celui des droits des migrants et qu’il inscrivait les mesures de lutte contre la traite parmi les mesures de contrôle de la migration. Vous semblez bien connaître le contexte juridique. Pouvez-vous nous donner des précisions au sujet de ces critiques?
:
Tout d’abord, j’ai dit que la définition utilisée ici est une adaptation de celle du Protocole de Palerme, ce qui n’est pas la même chose. Il y a cependant quelques points douteux.
Les aides familiales à domicile qu’on fait venir au Canada et qui sont parfois exploitées et même violées par leur employeur peuvent toujours partir. Elles ne sont pas menacées de la même façon parce qu’elles ont un statut légal. Par contre, par suite de certaines contraintes, elles hésitent à partir de crainte de ne pas trouver un autre emploi, ce qui est important. Bien sûr, il y a la criminalité et l’exploitation. Je ne dis pas que c’est le cas pour toutes les aides familiales à domicile, mais certaines sont touchées. Elles ne s’inscrivent cependant pas dans la catégorie des victimes de la traite des personnes, telle qu’elle est interprétée par la police, par exemple. Ces personnes sont pourtant victimes d’actes criminels et ont besoin, elles aussi, d’une certaine protection si on ne veut pas qu’elles soient punies quand elles viennent raconter leur histoire.
Dans d’autres domaines, j’ai connu des personnes venant de pays pour lesquels aucun visa n’est exigé. On leur promet des choses comme un travail et la possibilité d’apprendre anglais, puis on leur paie le voyage ainsi que les frais d’une agence qui les place dans une situation d’exploitation. Ces personnes n’apprennent pas l’anglais et n’obtiennent pas ce qu’on leur a promis, mais elles peuvent toujours partir.
J’ai l’impression que nous parlons toujours des conséquences d’un crime odieux. Nous essayons de parer aux effets d’une chose horrible qui affecte des êtres humains.
Dans votre exposé, vous avez parlé de prévention et de décriminalisation, mais il y a aussi un document dans lequel vous évoquez les politiques économiques nationales et internationales, la mondialisation et ses effets sur différents pays, comme le Cameroun, le Cambodge et le Myanmar, c’est-à-dire la Birmanie qui, nous le savons tous, a la pire situation du monde en matière de droits de la personne.
Je me demande si vous avez pu établir un lien entre la prévention et les traités et accords commerciaux que des pays comme le Canada ont conclu avec ces pays. Que devons nous faire – compte tenu de notre acceptation de la main-d’œuvre à bon marché, des marchandises à bas prix qui viennent de ces pays et sont vendues chez Wal-Mart et ailleurs – pour modifier le paradigme économique en faveur des gens, afin qu’ils ne deviennent pas des victimes et qu’ils ne soient pas économiquement défavorisés au point de finir dans des bordels?
:
L’expérience nous a appris qu’à mesure que les pays ouvrent leurs frontières aux idées et au libre-échange, ils ouvrent aussi la porte aux abus. Nous n’avons cependant pas constaté de lien direct entre le libre-échange et la traite des personnes. On ne peut pas dire que le libre-échange cause la traite. Ce n’est pas du tout ce que nous avons constaté.
Au contraire, nous avons remarqué que ce qui marche le mieux, dans nos programmes, c’est d’habiliter les jeunes femmes pour qu’elles lancent leur propre petite entreprise, si elles le souhaitent. Dans l’un de nos programmes au Cambodge, par exemple, elles reçoivent la formation voulue si elles choisissent d’ouvrir un restaurant, de devenir coiffeuses ou autre chose. Ce sont là des commerces courants très faciles à démarrer. Elles recevaient de la formation, mais ni le gouvernement ni les ONG ne leur apprenaient à s’occuper de l’aspect commercial de leur affaire pour qu’elles n’épuisent pas tout leur argent avant la fin du mois, puis meurent de faim. C’est là un domaine dans lequel il y a beaucoup à faire.
Nous avons beaucoup entendu parler de microcrédit la semaine dernière. Le microcrédit a des avantages et des inconvénients.
Au niveau individuel, je crois que la création d’une petite entreprise peut vraiment aider quelqu’un à éviter le piège de la traite des personnes. C’est à ce niveau qu’il faut travailler, et non à celui des accords commerciaux.
Je voudrais encore remercier tous nos témoins. Vous nous avez certainement présenté des renseignements très intéressants.
Nous avons beaucoup parlé de la protection des victimes, des différents pays dans lesquels vous avez travaillé et ainsi de suite. Il y a cependant une chose que vous n’avez pas souvent mentionnée aujourd’hui, mais dont d’autres témoins nous ont parlé. Quelques-uns nous ont dit que pour combattre efficacement la traite des personnes, nous devons accorder plus d’attention à la demande.
Je voudrais poser rapidement une question à laquelle je vous demanderai tous de répondre, si vous le pouvez. À votre avis, que devrait faire le gouvernement pour réduire la demande et protéger ainsi les victimes? Il s’agit donc de travailler sur l’aspect de la demande qui met en cause les clients, les proxénètes, etc.
Puis-je connaître votre point de vue à ce sujet? N’importe qui peut commencer.
:
Comme je l’ai déjà mentionné, nous appuyons le modèle suédois. Toutefois, ce modèle implique de donner une formation aux forces policières, qui doivent aussi recevoir des cours de sensibilisation à l’égalité des sexes au stade de la mise en œuvre. C’est là un aspect qui devrait faire partie de toute approche adoptée.
Comme je l’ai également dit, il est nécessaire de poursuivre les clients et de leur imposer des peines sévères, probablement plus sévères qu’elles ne le sont actuellement. Nous avons des programmes bien intentionnés, comme celui des clients de l’industrie du sexe, connu sous le nom de john school. Il arrive cependant que les clients ne soient pas pénalisés et n’aient pas de casier judiciaire parce qu’ils ont suivi ce programme. Même s’il existe, nous voudrions que la personne ait un casier judiciaire et ne soit pas simplement obligée de suivre un cours d’une journée.
Nous croyons en outre qu’une campagne nationale de sensibilisation serait importante pour inculquer certains principes. Il faudrait par exemple faire comprendre aux jeunes garçons que les femmes ne sont pas à vendre. Cela doit se faire assez tôt. Nous devons persuader les garçons dès leur jeune âge que la prostitution n’est pas une chose acceptable. À l’heure actuelle, ils grandissent en ayant l’impression contraire. Je crois qu’il est possible d’aborder ce sujet en parlant de la sexualité. Il faut expliquer que la prostitution et le fait de traiter une femme comme un objet sont inacceptables.
Dans des pays comme la Suède, dans des villes comme Madrid, il y a eu des campagnes d’affiches et d’autres campagnes ciblant les hommes et expliquant que la prostitution et la traite existent à cause d’eux, à cause de la demande et que le sexe n’est pas à vendre. Ce message, disant qu’il n’est pas acceptable d’acheter une femme, a été diffusé dans tout le pays. Nous croyons que les campagnes de ce genre sont importantes.
:
Je serai bref car j’ai l’impression qu’il ne reste presque plus de temps.
Il est important de distinguer les différents types d’utilisateurs du sexe. Il y en a essentiellement deux. Il y a d’abord les utilisateurs occasionnels, qui roulent la nuit le long d’une rue et qui décident, pour une raison ou une autre, qu’ils vont se payer une prostituée. Il y a aussi, au Cambodge par exemple, les touristes et les voyageurs qui se promènent sac au dos. Nous les avons vus. Ce sont des hommes jeunes, de mon âge, qui veulent raconter à leurs amis qu’ils l’ont fait. Ce sont les utilisateurs occasionnels. Vous pouvez toucher ces gens avec un message dissuasif ou un programme comme la john school. Nous croyons que vous devriez concentrer vos efforts sur eux, car ils forment la majorité des utilisateurs.
Il y a ensuite les utilisateurs d’habitude, et particulièrement les pédophiles, que vous devez cibler d’une façon très, très claire. Au tribunal, il faut présenter des dépositions d’experts concernant le préjudice infligé à un enfant. C’est ainsi que vous obtiendrez des peines plus sévères. Ce n’est pas nécessairement en augmentant les peines maximales. Il s’agit de donner la bonne information au juge qui rend la décision finale. C’est une chose que la police et les procureurs peuvent faire. Il est certain qu’il y a des circonstances aggravantes dans le cas d’une victime de la traite.
Je vous lance ces idées en espérant que le comité les prendra en considération. Je vais m’en tenir à cela pour le moment.
:
Merci, madame la présidente.
[Français]
Madame la présidente, j'aimerais faire un peu l'historique des événements.
Au début, lorsque nous avons commencé à siéger au comité, nous avons discuté pendant des heures de la possibilité d'entreprendre une étude sur la traite des personnes, mais nous avions d'autres priorités. Nous entrepris d'autres études, entre autres sur la sécurité économique des femmes. Nous en avons parlé amplement.
Je comprends que Mme Smith a déposé une motion au mois de mai parce que c'était une de ses préoccupations. Depuis septembre, notre comité a décidé d'entreprendre l'étude de la traite des personnes. C'est très bien. Un rapport sera déposé.
Alors, quoi de plus normal que de renforcer notre position?
Mme Smith a déposé une motion à la Chambre des communes concernant la traite des femmes entre les pays, et le comité a la même préoccupation pour ce qui est du Canada. Nous pourrions déposer un rapport demandant au gouvernement de tenir compte de notre préoccupation pour décider de sa stratégie globale de lutte contre la traite des personnes.
C'est tout, il n'y a pas de problème là.
:
C’est une question de procédure. Techniquement, nous sommes en plein milieu d’une étude. Au terme de cette étude, notre comité s’entendra et produira un rapport dont la première recommandation sera probablement ceci.
Encore une fois, c’est une question de procédure. Ordinairement, nous attendrions que l’ensemble du comité en convienne. Toutefois, vous avez déposé la motion. Vous en avez le droit. Nous en sommes saisis en conformité des règles.
Est-ce que le comité souhaite tenir un vote, ou bien est-ce unanime?
Des voix: C’est unanime.
(La motion est adoptée. – [Voir le Procès-verbal])
Une voix: Personne n’aurait pu voter contre.
La présidente: C’est unanime. La motion est adoptée.
Jeudi, nous aurons Victor Malarek et nous visionnerons la vidéo de la GRC. Il sera important d’essayer d’en finir assez tôt avec les autres témoins pour que nous ayons du temps à nous, ainsi qu’une heure pour discuter du projet de rapport.
Je vous remercie. La séance est levée.