FEWO Réunion de comité
Les Avis de convocation contiennent des renseignements sur le sujet, la date, l’heure et l’endroit de la réunion, ainsi qu’une liste des témoins qui doivent comparaître devant le comité. Les Témoignages sont le compte rendu transcrit, révisé et corrigé de tout ce qui a été dit pendant la séance. Les Procès-verbaux sont le compte rendu officiel des séances.
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CANADA
Comité permanent de la condition féminine
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TÉMOIGNAGES
Le jeudi 23 novembre 2006
[Enregistrement électronique]
[Traduction]
Je déclare ouverte notre réunion du Comité permanent du statut de la femme.
Nous sommes très heureux de finalement pouvoir compter sur la présence de M. Victor Malarek parmi nous et d’avoir la chance de l’écouter, de lui soumettre nos questions et d’entendre ses réponses.
Nous comptons vous réserver une heure, à compter de maintenant, plutôt que 45 minutes, parce que nous avons bien hâte d’entendre votre exposé, pour ensuite vous soumettre nos questions.
Monsieur Malarek, à vous la parole.
Je vous remercie de m’avoir invité. Je crois qu’il s’agit d’une question très importante. Je sais que c’est une question très importante, et j’ai l’intention de m’arrêter à la question de savoir pourquoi il faut faire quelque chose dans ce dossier.
Au cours de la dernière décennie, l’alerte a été donnée un peu partout dans le monde à propos d’une catastrophe des droits humains qui atteint des proportions gigantesques — et je veux parler de la généralisation de la traite des femmes et des enfants, dans le commerce du sexe à l’échelle mondiale. Toutefois, pour la majorité des nations de la planète, depuis les plus hauts échelons du pouvoir politique jusqu’à celui du policier sur le terrain, ce dossier n’est toujours pas considéré comme une priorité. En un clin d’œil, et du revers de la main, le sort de ces femmes qui font la rue et qui travaillent dans les bordels est balayé sous le tapis au motif que la prostitution est le plus vieux métier du monde, comme le veut le vieux cliché rebattu.
Je tiens aujourd’hui à rétablir les faits sur au moins une chose, concernant la prostitution. La prostitution n’est pas le plus vieux métier du monde. La prostitution est la plus vieille oppression à affliger les femmes dans le monde. Les raisons qui expliquent l’explosion de cette traite des esclaves des temps modernes sont nombreuses : la pauvreté abjecte; l’Internet; la demande insatiable, les hommes en étant le principal moteur, faut-il le préciser; sans parler du fait que des gouvernements, à l’échelle mondiale, tentait de la légaliser.
Aujourd’hui, j’aimerais précisément parler de la question de la légalisation.
Alors même que le viol collectif se poursuit, jour après jour, partout dans le monde, on ne compte plus les leaders politiques qui se sont laissés séduire par l’idée que l’une des façons de mettre fin au trafic ou d’endiguer la traite des femmes et des filles serait de légaliser la prostitution. C’est ainsi que certains pays se sont joints à ce mouvement de légalisation, sans réfléchir à la question. Les arguments mis de l’avant par les promoteurs de la légalisation sont, pour dire les choses modérément, pure foutaise. Tout ce que la légalisation permet de faire est de rendre la vie plus facile aux proxénètes et aux clients des prostituées, et à rendre la vie encore plus difficile aux femmes et aux filles qui souhaitent s’arracher à la prison de la prostitution. Une chose est sûre : très peu de femmes prennent jamais la décision de faire la rue, nuit après nuit, pour rendre service à des hordes de pauvres types étranges, adipeux, malpropres, hirsutes et d’âge mûr sous l’effet du Viagra, pour devoir ensuite remettre presque tout, sinon tout, l’argent ainsi gagné à quelque répugnant proxénète.
Vous risquez de m’entendre employer souvent les expressions « la majorité » et « la vaste majorité ». Ce qui incite la vaste majorité des femmes à s’adonner à la prostitution, c’est leur pauvreté abjecte. Ce fait est incontestable. Et les proxénètes, les trafiquants et les propriétaires de bordel profitent du désespoir tragique que connaissent ces femmes et ces filles, en les attirant dans le piège de la prostitution.
Il y a ceux aussi qui soulignent, d’un air supérieur que de nombreuses femmes et filles victimes de la traite s’engagent dans cette voie en toute connaissance de cause. Eh bien, lorsque vous mourez de faim, que vos enfants n’ont rien à manger, que votre enfant ou vos parents âgés ont besoin de soins médicaux urgents, offrir à ces femmes des emplois comme prostituées est-elle la meilleure solution que l’on ait à leur offrir? Est-ce à cela que notre société moderne en est réduite, à savoir que pour trouver 50 ou 100 $, on a le choix entre se prostituer ou mourir de faim?
Cela dit, on me permettra de revenir à cette solution-miracle que font miroiter les promoteurs de la prostitution dans leurs prétendus efforts pour mettre fin au trafic. Je suis outré quand je vois le lobby favorable à la légalisation formuler sa position, déclarer, dans un discours émaillé de préoccupations moralisatrices à l’égard des prostituées, que le commerce du sexe est une profession essentielle à la subsistance de nombreuses femmes et que celles-ci, comme tout autre membre de la société, ont droit à la sécurité au travail et au respect social.
C’est une chose de penser que la légalisation de la prostitution contribuera à mieux protéger ces femmes contre le danger; mais c’en est une autre de laisser entendre que la prostitution est une carrière valable, digne du respect de la société. Et tant qu’à y être, pourquoi ne pas envoyer des recruteurs dans les écoles secondaires et les universités, aux journées de promotion de la carrière, promouvoir auprès de nos filles les avantages de devenir une prostituée?
Je suis conscient que le commerce du sexe existe et qu’il ne va pas disparaître, mais je crois que la plupart d’entre nous conviendront que réduire le nombre de femmes qui sont aspirées vers cette existence pathétique devrait être la plus haute des priorités de tout gouvernement et de tout élu ayant le moindre sens de la moralité et de l’éthique. Personnellement, je refuse de croire un seul instant qu’une jeune fille ou jeune femme lucide puisse rêver de la prostitution comme d’une vocation, et je refuse encore davantage d’imaginer que l’on puisse les encourager à envisager la chose comme une vocation.
Et puis, qui sont exactement ces défenseurs de la légalisation? Voilà la question que chacun devrait se poser. Dans la plupart des cas, il s’agit d’un ramassis d’anciennes prostituées qui louent les vertus de la vie dans les rues en tant que joyeuses aguicheuses. Et derrière ces femmes, toujours, on voit se profiler dans l’ombre, ceux qui tirent les ficelles, c’est-à-dire les proxénètes, les propriétaires de bordel et les criminels de bas étage. Ce sont eux qui font l’argent, et je parle ici de quantités énormes d’argent, et qui font cet argent sur le dos de ces femmes. Une fois les vannes ouvertes après la légalisation, ils savent qu’ils pourront faire plus d’argent encore sans s’inquiéter des conséquences criminelles, car la légalisation ferait de ces minables personnages des gens d’affaires respectables.
Qu’est-ce qui autorise ces soi-disant défenseurs de la légalisation à parler au nom des prostituées, où qu’elles soient? Mais plus encore, quelqu’un s’est-il arrêté à se poser cette question ou à se demander ce qui explique le silence assourdissant qui émane des bordels et de ces ruelles où la vaste majorité des prostituées travaillent? Car ce silence s’explique par le fait que les femmes ont peur de parler, parce qu’elles vivent dans un climat de terreur, d’intimidation et de honte.
Je sais pertinemment que la majorité de ces mêmes défenseurs et promoteurs n’ont jamais rencontré ces femmes et encore moins parlé à ces femmes introduites dans le milieu de la prostitution par le trafic. Et cela, je le sais, parce que ces soi-disant défenseurs ne parlent pas la langue thaïlandaise; ils ne parlent pas le russe; ils ne parlent pas non plus l’espagnol. Et ces femmes étrangères ne donneraient jamais leur confiance à ces soi-disant promoteurs.
Aujourd’hui, ce sont des femmes étrangères issues de pays pauvres qui forment la vaste majorité des femmes présentes dans le commerce du sexe dans toutes les nations occidentales de la planète. Plus encore, toutes les études dont j’ai pris connaissance et qui sont fondées sur des entrevues avec des prostituées de par le monde font ressortir un message d’une absolue clarté. La vaste majorité des femmes prises dans les filets du commerce du sexe souhaitent désespérément en sortir. Elles ne veulent pas faire ce travail. Elles veulent s’échapper, mais elles n’y arrivent pas. Elles sont piégées.
Toutes les études que j’ai lues au sujet de la prostitution et toutes les entrevues que j’ai eues avec des femmes impliquées dans ce commerce en viennent à la même conclusion sans appel. La vaste majorité d’entre elles détestent leur travail. Elles ont encore davantage en horreur les hommes pour qui elles travaillent, et elles ne souhaitent à aucune autre femme leur sort tragique. Pourtant, il nous arrive d’entendre le refrain de ces putains soi-disant heureuses ici et là et un peu partout, qui prétendent parler au nom des femmes prostituées de partout. Sans qu’on puisse s’expliquer pourquoi, des politiciens et des comités leur déroulent le tapis rouge et écoutent attentivement leur position, sans même tenter de les cuisiner un peu.
Vous me permettrez de vous faire part des horreurs que la légalisation a engendrées dans des pays comme l’Australie, l’Allemagne et les Pays-Bas. Des études montrent que dans chaque pays où il y a eu légalisation, il en a résulté un accroissement dramatique dans tous les aspects de l’industrie du sexe. Ces pays ont assisté à une hausse spectaculaire de l’activité du crime organisé. On avait espéré que la légalisation y mettrait un frein, or, la légalisation a fait la preuve, pour le moins spectaculaire, de son échec à le stopper. Partout où la légalisation a été faite, la prostitution illégale l’a emporté sur la prostitution légale.
Loin de contenir la prostitution, dans chacun de ces pays où la légalisation a été faite, celle-ci a mené à une explosion du nombre de femmes et de filles étrangères et pauvres prises dans le trafic du sexe dans ces pays parce que — et c’est là la clé — il est impossible de trouver des femmes du pays pour combler la demande toujours croissante de corps de femmes toujours plus nombreux.
En Allemagne et dans les Pays-Bas, ce ne sont pas des femmes hollandaises et allemandes qui attendent leur tour pour faire leur entrée dans cette industrie. Les femmes hollandaises et allemandes occupent de vrais emplois qui ne les obligent pas à se dévêtir et à avoir des douzaines d’hommes leur passer sur le corps chaque jour. En fait, le rapport de l’Organisation internationale pour les migrations indique qu’aux Pays-Bas, près de 80 p. 100 des quelque 85 000 travailleuses du sexe de ce pays sont des étrangères issues de pays pauvres. En Allemagne, les étrangères représentent 87 p. 100 des quelque 400 000 travailleuses du sexe que l’on y trouve. Comme on le voit, les chiffres en disent long.
L’argument par excellence qu’invoquent les défenseurs de la légalisation réside est la préoccupation qu’ils disent avoir pour la sécurité des femmes. Cet argument est absolument absurde. La légalisation n’a rien fait pour stopper la violence dont ces femmes sont victimes. La prostitution constitue l’un des plus dangereux emplois sur la planète, si tant est qu’on puisse parler d’emploi. Je ne connais aucun autre métier dans lequel autant de femmes, tous les ans, sont régulièrement battues, estropiées ou tuées, que ce n’est le cas dans la prostitution. Il n’existe pas l’ombre d’une preuve montrant que la légalisation ait pu contribuer le moindrement à freiner la violence. Quel que soit l’angle sous lequel on examine la légalisation de la prostitution, jamais ne rendra-t-elle ce travail sans danger. Par sa nature même, la prostitution est le paroxysme du harcèlement sexuel. Laisser entendre que la légalisation pourrait d’une certaine façon contribuer à mieux protéger les femmes n’est rien de moins qu’un mensonge éhonté.
Un autre argument que fait valoir le lobby de la légalisation réside dans la protection de la santé. Voilà bien une autre absurdité. Dans les régimes légalisés qui existent en Allemagne et aux Pays-Bas, on procède à des vérifications de santé de routine, mais seulement auprès des femmes, et non auprès des acheteurs de sexe. En d’autres mots, les examens de santé visent uniquement à protéger les hommes contre les maladies transmises sexuellement. On voit bien, pour peu qu’on examine cette soi-disant approche en matière de santé publique, que cela n’a absolument aucun sens.
Examiner les femmes pour déterminer si elles sont porteuses de maladies transmises sexuellement ne protège pas ces dernières de leurs clients, qui peuvent transmettre et qui effectivement transmettent leur maladie aux femmes qu’ils achètent. Pourquoi ceux qui font appel à des prostituées ne sont-ils pas tenus de porter une carte médicale démontrant qu’ils ne sont pas porteurs de maladie? Pourquoi est-ce la femme qui devrait être contrainte de jouer sa vie à la roulette russe chaque fois qu’un homme se présente pour acheter ses services?
Par ailleurs, même s’il est vrai que certaines femmes choisissent effectivement cette soi-disant profession, la plupart n’en font pas un choix — les études le démontrent — et aucune fille ne fait ce choix. Si ces femmes disposaient réellement du libre choix de leur vie, pratiquement chacune d’elle opterait pour un véritable emploi qui ne l’obligerait pas à se dévêtir et à se mettre au service de véritables hordes d’étrangers. Légaliser la prostitution alimente la croissance de l’esclavage moderne que l’on appelle maintenant la traite, la légalisation procurant aux trafiquants, aux proxénètes et aux propriétaires de bordel une façade derrière laquelle ils peuvent opérer.
Si les chefs de gouvernement s’inquiètent vraiment du sort de ces femmes, ils devraient offrir des programmes convenablement financés pour aider les femmes qui le veulent à abandonner la prostitution plutôt que de s’employer à faire en sorte que des hommes émoustillés puissent trouver à satisfaire leur appétit. Tout ce débat se ramène à un mot : la dignité, la dignité des femmes dans notre société. Dans la prostitution, il n’y a pas de dignité, car essentiellement, ce que les hommes achètent est en fait le droit de dégrader, de pénétrer et de violer les corps des femmes, à leur guise. Légaliser et instituer ce droit ne contribue en rien à assainir la prostitution ou à atténuer la violence ou la dégradation dont les femmes sont victimes.
Au fond, la légalisation de la prostitution n’est rien d’autre qu’un cadeau que l’on fait à ceux qui font la traite des femmes, aux proxénètes, aux propriétaires de bordel et aux clients de prostituées. La légalisation contribue à une seule chose, c’est-à-dire à faire augmenter la demande. La légalisation a fait augmenter la demande de prostitution en Allemagne, dans les Pays-Bas et en Australie comme dans aucune autre industrie, en envoyant un message puissant aux hommes, à savoir qu’il est correct d’acheter le corps d’une femme pour du sexe. Pour la vaste majorité des femmes et des filles qui sont prises dans l’industrie du sexe, la prostitution est un moyen de survie, un pis-aller au suicide. Chaque nation ayant légalisé la prostitution est complice de la souffrance que connaissent ces victimes, et de l’assujettissement qu’elles continuent de subir.
Personne ici, j’en suis convaincu, et personne, où que ce soit — et certainement pas les clients et les proxénètes ni même les propriétaires de bordel à qui j’ai parlé dans ma recherche pour The Natashas — ne souhaite voir sa fille devenir une prostituée. Jamais ne devrait-il nous venir à l’esprit que l’on puisse légaliser l’abus sexuel à l’endroit de la fille de quelqu’un d’autre.
Je crois que j’ai atteint les dix minutes que l’on m’avait accordées. Je peux continuer.
D’accord. Si vous voulez quelques minutes de plus, je crois que le comité est tout disposé à vous les accorder.
Une large part de ce dont j’ai parlé en matière de légalisation, je l’ai appris lorsque j’ai commencé à examiner le trafic de ces jeunes femmes et de ces jeunes filles. J’essayais constamment de trouver ce qui clochait. Ce qui cloche, c’est que nous nous en prenons à ces nations où règne une absolue pauvreté. Ces filles n’ont rien, ces jeunes femmes n’ont rien pour elles, et elles sont la cible privilégiée de ceux qui en font la traite.
La réponse que j’entends aujourd’hui, et c’est cette réponse qui me fait le plus frémir, est que nous pouvons mieux freiner ce phénomène et que nous pouvons mieux le contrôler en légalisant le système. Légaliser le système ne fait rien d’autre qu’emprisonner ces femmes encore plus, parce qu’il n’est plus possible dès lors, de distinguer ce qui est légal de ce qui est illégal. La police, que ce soit en Allemagne, dans les Pays-Bas ou en Australie, a baissé les bras. La police ne sait plus si la femme qu’elle voit dans la rue est dans la légalité ou dans l’illégalité.
Nous nous trouvons, et nous existons, dans une société patriarcale. Cette société semble se dire : fermons les yeux, et payons-nous du bon temps avec ces jeunes femmes. Personne ne se pose la question de savoir quelle est la cause de cette demande et pourquoi cette demande a explosé. L’une des raisons pour lesquelles la demande a effectivement explosé est l’Internet. Quand je regarde Internet, j’y vois le bordel le plus fumant de la planète, car tout ce qu’on y trouve est incroyable, quand on pense au nombre de sites qui ouvrent et au fait que vous pouvez trouver une femme dans n’importe quel village, petite ville ou cité de la planète. C’est à faire peur.
Cette réponse que les gens nous servent en disant que la légalisation permettra de contrôler le phénomène est pur mensonge. C’est complètement faux. C’est très dangereux. Les hommes doivent assumer la responsabilité de ce qui se passe. Ce sont les hommes qui sont à l’origine de la demande, et les hommes doivent examiner la question bien en face. Les femmes doivent mener la charge, mais les hommes doivent les épauler en leur disant que cela est mal, que cela est très mal. Je ne comprends pas comment le phénomène a pu atteindre l’ampleur que nous lui connaissons aujourd’hui.
Pendant mes 36 années de carrière dans le journalisme, j’ai pu parcourir le monde et me rendre dans des zones de guerre. J’ai écrit à propos des abus commis contre les enfants, contre les femmes et contre les vieillards. Je n’ai jamais vu rien de tel, que cette explosion. Ces hommes semblent penser que c’est leur droit, et personne ne lutte pour ces femmes. Nous devons nous montrer prudents au Canada, car le phénomène explosera aussi en nos murs, si nous continuons à nous montrer tolérants face au phénomène.
Il existe aussi un autre phénomène, à savoir que nous avons tendance à porter un regard blasé sur les prostituées. Elles portent des vêtements aguichants, elles portent un maquillage tapageur, des talons aiguilles, des vêtements vaporeux, et lorsque nous passons à côté d’elles nous employons des mots méprisants à leur endroit tels que prostituée, putain, salope, agace, tandis que les mots que nous employons à l’endroit des hommes sont bénins-clients, proxénètes et autres. Nous devons cesser de penser ainsi et nous attaquer au phénomène, car celui-ci pourrait atteindre nos filles; la chose peut arriver à nos petites filles et à nos nièces. La chose peut se produire ici. Le phénomène commence à se manifester ici, et nous devons nous en préoccuper.
Merci beaucoup pour cette présentation très percutante et très importante.
Nous allons maintenant passer à notre période de questions; nous commencerons par Mme Neville.
Merci, monsieur Malarek. On peut certainement dire que vous ne mâchez pas vos mots. J’ai déjà eu l’occasion de vous entendre à quelques reprises auparavant, et j’apprécie au plus haut point votre présence ici aujourd’hui.
Vous soulevez de nombreuses questions. Je sais que vous avez parlé beaucoup de la question de la légalisation, mais dans votre exposé, vous avez aussi soulevé un certain nombre d’autres questions. Je suis frappée par votre commentaire concernant l’explosion du phénomène, et aussi par cette autre observation concernant la pauvreté abjecte qui conduit les femmes à la prostitution.
Laissez-moi vous poser quelques questions, et je vous laisserai ensuite la chance d’y répondre.
Pouvez-vous nous parler du lien entre la pauvreté abjecte et l’explosion de la prostitution? Vous avez fait référence à Internet dans vos deux ou trois premières phrases, et c’est quelque chose qui m’intéresse. Nous n’avons pas beaucoup discuté du rôle que l’Internet joue dans tout le domaine du trafic humain. J’aimerais entendre vos observations à ce sujet. Comme je l’ai dit avant que nous nous assoyions, je suis toujours intéressée lorsque l’on dit que le Canada est un pays source pour le trafic humain. Qu’avez-vous à dire à ce sujet et ici encore, peut-être pourriez-vous établir un lien avec les questions de la pauvreté et de la traite des humains?
La pauvreté et l’explosion du phénomène, oui.
Lorsque j’ai commencé à m’intéresser à la question pour écrire The Natashas, j’ai d’abord examiné l’effondrement du Rideau de fer et la chute du Mur de Berlin, en Allemagne de l’Est. Le filet de sécurité sociale en Russie, en Ukraine, en Lettonie, en Estonie et dans tous les anciens pays soviétiques s’est complètement effiloché; il n’en subsiste plus rien.
Ce qui s’est produit, c’est que l’alcoolisme et le démembrement des familles ont dévasté ces pays. La Russie, par exemple, compte plus d’un million d’enfants en établissement — d’orphelins abandonnés. L’Ukraine en compte 100 000. Cela s’explique parce que les femmes se sont fait dire qu’elles devaient se taper la responsabilité de la famille, tout en étant aux prises avec un mari alcoolique ou avec un mari absent. Les femmes constituent la vaste majorité des chômeurs en Russie et en Ukraine, et dans tous ces anciens pays du bloc soviétique.
Ce qui se produit, c’est que les criminels de ces pays ciblent toutes les ressources qu’ils peuvent utiliser et exploiter. Ils en sont donc venus à cibler les jeunes femmes et les jeunes filles.
L’une des choses qui m’a amené à faire ce livre découle du fait que je me suis rendu compte qu’un grand nombre des jeunes filles qui ont abouti dans des orphelinats d’Ukraine et de Russie et d’autres pays ont été ciblées, parce que personne ne parle pour elles. Elles sortent de ces établissements sans même savoir comment faire bouillir de l’eau; alors que dire du reste. Une fois que vous avez vécu dans ce genre d’établissement et que vous en partez — et je le sais parce que j’ai grandi dans un établissement semblable au Québec — rien d’autre ne compte. Vous n’avez personne vers qui vous tourner, vous êtes laissé à vous-même et vous tentez de vous en sortir par vous-même.
Ces filles et ces jeunes femmes ont été ciblées — délibérément ciblées. Certaines d’entre elles savent peut-être dans quoi elles s’engagent, mais lorsque vous êtes vraiment affamé... Je suis allé en Russie, en Ukraine et dans d’autres pays, et le type de pauvreté qu’ils connaissent jour après jour, nous n’en avons pas idée; nous ne pouvons même pas comprendre ce que c’est. Nos assistés sociaux ont la vie facile, par comparaison avec ce que ces gens vivent. Ils sont ciblés de manière répétée et sont envoyés dans des pays étrangers. Il est très facile de faire entrer illégalement ces gens en Allemagne, en Espagne, en Turquie, au Moyen-Orient, et partout ailleurs.
Mon chapitre sur l’Internet s’intitule « D’un clic de souris », parce que, d’un clic de souris, vous pouvez obtenir tout ce que vous voulez. Le commerce du sexe sur l’Internet défie l’imagination. Il y a deux ans environ, sur W-FIVE, j’ai produit un documentaire pour CTV, après être allé au Costa Rica. Je n’ai pas eu à faire beaucoup de recherche. Je me suis tourné vers mon producteur et je lui ai dit, veux-tu voir à quel point c’est rapide? Je suis allé à l’ordinateur et nous y avons vu des villages et des petites villes un peu partout au Costa Rica, avec des photos et des bandes vidéos de jeunes adolescentes et de jeunes femmes. Il suffisait de cliquer avec la souris, pour accéder à n’importe quel pays, n’importe quelle ville, n’importe quel village de ces pays.
D’un clic de la souris, je peux voir des images, des bandes vidéos, des prix. Tout ce que je veux, l’Internet le fournit. Vous n’avez pas idée de tout ce qui se trouve sur Internet. Peu importe ce que vous inscrivez dans Internet... J’ai mal au dos, donc je tape « massage », et 90 p. 100 des sites auxquels j’accède sont des sites de sexe. Ces femmes sont ciblées par l’Internet.
Dans certains des bordels où je suis allé afin de découvrir ce qui pouvait bien s’y passer, dans différents pays, les gars avaient leur ordinateur sur place, avec les photos des filles, et il y avait des gars qui écrivaient du Canada, des États-Unis, du Japon, d’Israël, de France, d’Allemagne, d’Espagne, de partout. Il leur suffisait de taper quelque chose, de voir ce qu’ils voulaient, et ils pouvaient partir en « voyage d’affaires », et se rendre là-bas.
Rappelez-vous que la demande ne vient pas d’hommes sordides ou de voyous de bas étage, ou de types de ce genre; les gars qui vont dans ces pays sont des hommes mariés et des professionnels qui se déplacent en avion pour affaires au nom des sociétés qu’ils représentent, qui vont là-bas, abusent des femmes, et leur font des choses qu’ils ne pourraient se permettre de leur faire ici, sans s’attirer de graves ennuis.
Le Canada en tant que source? Il y a des années, j’ai écrit un livre intitulé Haven's Gate: Canada's immigration Fiasco, dans lequel je disais que nous devions nous inquiéter de ce qui se produit en Europe, de l’afflux de demandeurs du statut de réfugié et de toutes les autres choses qui se produisent avec l’immigration économique, à défaut de quoi, nous aurons à en subir les conséquences.
Eh bien, nous n’avons pas fait attention et nous commençons déjà à vivre les mêmes conséquences. Ce qui se produit en Europe se produira ici. Ce qui se produit aux États-Unis maintenant se produira ici, parce que des gens se pointeront ici, si nous continuons à détourner les yeux et à tolérer ces choses. Nous y sommes déjà maintenant, mais il y a des années, lorsque j’avais coutume de lire le magazine NOW et le magazine Eye Weekly à Toronto, le volet sur la prostitution faisait une demi-page, peut-être les trois quarts d’une page. Aujourd’hui, on trouve quatre, cinq voire six pages. Mais regardons-y de plus près; nous y voyons des femmes étrangères — thaïlandaises, philippines, ukrainiennes, russes, sud-américaines, de n’importe quel pays d’Amérique du Sud que vous souhaitez. Alors, nous voyons le phénomène commencer à se manifester ici.
Bien des gens ne se posent jamais la question de savoir qui sont ces filles. Pourquoi avons-nous toutes ces femmes étrangères en provenance de pays pauvres, et tous ces hommes qui sont à la fête? Personne ne se pose la question de savoir comment ces filles ont abouti ici, ni celle de savoir si elles souhaitent vraiment faire ce qu’elles font.
Dans une étude publiée par le San Francisco Women's Center, au cours de laquelle 854 soi-disant prostituées ont été interrogées à travers le monde, notamment au Canada, aux États-Unis, en Allemagne, au Japon et dans d’autres pays, on constate que 89 p. 100 de ces femmes souhaitaient désespérément sortir de la prostitution, ont dit qu’elles étaient piégées et n’avaient aucune issue. Que peut-on faire? Nous ne leur offrons rien. Et pourtant, ces chantres de la légalisation ne parlent pas de ces 89 p. 100 de femmes qui souhaitent désespérément s’en sortir. Elles ne se voient nullement comme des putains heureuses. Et nous laissons les choses continuer.
Le Canada pourrait facilement se retrouver devant un problème réel, si nous continuons à fermer les yeux, et si nous commençons à envisager l’idée de légaliser la prostitution; nous verrons rapidement des femmes étrangères combler le vide que les femmes du pays occupant de vrais emplois ne pourront remplir. L’exemple classique de cela est celui de ces stripteaseuses qui ont été amenées de la Roumanie pour faire des choses que les danseuses nues du Canada m’ont dit qu’elles ne feraient jamais, quelles que soient les circonstances, et qu’elles ne consentiraient jamais à se dégrader à ce point, alors que des femmes pauvres qui n’ont rien peuvent facilement s’y résoudre.
[Français]
Je remercie M. Malarek de son témoignage.
J'ai lu que dans les pays où on a légalisé la prostitution, les femmes qui n'avaient jamais été impliquées dans le milieu de la prostitution et qui perdaient leur emploi — des emplois réguliers qui n'étaient pas dans le domaine de l'exploitation sexuelle — avaient de la difficulté à bénéficier de l'assurance-chômage, parce qu'on leur disait qu'elles devaient naturellement aller se prostituer dans de tels endroits. Cette situation est-elle vraie?
Est-ce vrai que seulement que 4 p. 100 des personnes prostituées sont déclarées, dans les pays où la prostitution est légalisée? Comme vous l'avez abordé dans votre témoignage, il existe un énorme marché noir, et ce n'est pas vrai que si on légalisait la prostitution, on enrayerait un peu le crime organisé et on permettrait à ces femmes de vivre de leur « travail » de manière plus sécuritaire?
D'autre part, que peut-on faire au niveau des lois canadiennes pour faire en sorte qu'on ne devienne pas, au Canada et, donc, au Québec, un lieu propice à l'ouverture des marchés pour l'exploitation sexuelle des personnes?
Que pouvons-nous faire afin d'enrayer le tourisme sexuel et afin de faire en sorte que ces compagnies privées et ces multinationales canadiennes et internationales, américaines et autres, ne puissent pas impunément aller dans des pays où il existe une misère incroyable et s'adonner à ce qu'elles ne peuvent pas faire dans leur propre pays?
Que peut-on faire, sur le plan national et sur le plan international, afin d'enrayer ce phénomène?
[Traduction]
Vous me posez beaucoup de questions.
Une des choses que je peux dire à propos des Pays-Bas, c’est que là-bas, on s’est dit, nous allons mieux protéger ces femmes et nous allons former des syndicats, et aussi nous allons mettre un programme en place, dont les femmes pourront se prévaloir, si elles souhaitent échapper à la prostitution. Les femmes ne se sont pas précipitées pour former des syndicats, afin de mieux se protéger. En fait, très peu de femmes adhèrent à un syndicat ou à un autre, pour diverses raisons, mais la raison dominante est la honte. Elles ne veulent pas que les gens sachent qui elles sont, et elles ne veulent pas être enregistrées dans un document du gouvernement en tant que prostituées, en raison de la honte que cela leur inspire. De plus, elles se font dire par leurs proxénètes et les personnes qui les contrôlent qu’ils ne veulent pas d’elles dans aucun syndicat, parce qu’ils ne souhaitent pas que les femmes acquièrent ainsi le moindre droit.
La question de la sécurité est pour ainsi dire devenue une farce aux Pays-Bas; à titre d’exemple, lorsque des fonctionnaires de la santé sont allés dans certains bordels et ont dit : quoi, vous n’avez pas d’oreillers pour ces femmes dans vos lits? Les propriétaires de bordel ont regardé les fonctionnaires et ont dit : « Vous êtes malades? Les clients pourraient se présenter ici et les emporter avec eux en partant ». Voilà quelle était leur préoccupation. Ils ne s’inquiétaient nullement du confort des femmes, mais plutôt du fait que des clients pourraient se présenter et chiper les oreillers. Les conditions de travail dans ces endroits n’ont pas changé le moins du monde.
En ce qui concerne la légalisation au Canada, si nous allons dans cette voie, nous pourrions bien nous retrouver avec ce qui existe aujourd’hui en Allemagne et ce qui existe aussi dans les Pays-Bas, c’est-à-dire avec des communautés qui se disent aujourd’hui : mais qu’est-ce qu’on a fait, et quelle idée avons-nous eu de faire cela? La légalisation ne fait qu’ajouter au désarroi et à l’asservissement des femmes. C’est tout ce qui en est résulté en Allemagne et tout ce qui en est ressorti dans les Pays-Bas. Les femmes qui souhaitent s’en sortir ne peuvent le faire. L’élément criminel continue son activité car les sommes d’argent qu’il est possible de faire sur le dos de ces femmes est incroyable. Le département d’État américain, les Nations Unies, l’Organisation internationale pour les migrations en Europe ont démontré que cette industrie génère des milliards de dollars. Je crois qu’elle génère entre 12 et 16 milliards de dollars, en tant qu’activité commerciale criminelle. Ces criminels ne vont pas déclarer qu’ils vont abandonner ce commerce, que celui-ci soit légal ou illégal. La prostitution vient au troisième rang, derrière le commerce des armes et celui des drogues, et elle en viendra probablement un jour à surpasser l’un des deux premiers pour passer au deuxième rang.
En ce qui concerne le tourisme sexuel parmi les sociétés canadiennes, l’un des choses que j’ai apprises lorsque je faisais ma recherche pour l’ouvrage que je dois publier en Finlande, c’est qu’il existe deux sociétés en Finlande qui, pour récompenser leurs meilleurs vendeurs, leur offrent des voyages sexuels dans une toute petite ville de Russie, qui était en quelque sorte une plaque tournante pour la traite des femmes. Voilà quelle était la récompense offerte à leurs meilleurs vendeurs. Les sociétés doivent savoir et doivent comprendre que leurs représentants représentent effectivement la compagnie, et que s’ils se font attraper à faire ce genre de chose, ils devraient être congédiés. Il devrait exister un code d’éthique, un code de moralité, et un code de conduite personnelle lorsque l’on se trouve hors du pays. Nombreuses sont les sociétés et compagnies qui, pour l’essentiel, n’accordent aucune attention à cette question.
Pendant mon séjour au Costa Rica, je me suis promené dans la rue, comme un badaud parmi tant d’autres, mais avec une caméra cachée — le gars ne savait pas que j’avais une caméra cachée — et il m’a demandé ce que je voulais. Est-ce que je voulais du Viagra? Est-ce que je voulais un peu de drogue? Et est-ce que je voulais une jeune femme? J’ai dit : écoutez, eh bien oui. Il a dit : écoutez, les jeunes femmes se trouvent dans le club juste en face, et elles ont 18, 19 et 20 ans. Je l’ai simplement regardé et lui ai dit: vous savez, je les voudrais plus jeunes. Il m’a regardé, et il a regardé autour de lui — évidemment il n’a pas vu les caméras — et il a dit : Que voulez-vous dire? Je lui ai répondu que je cherchais des filles de 13 ou 14 ans, et il a dit: je vois; je vais vous trouver ça, je peux m’en occuper. Bon. Je suis un Canadien ou un Américain, et il a simplement dit qu’il allait s’en charger, et il s’occupait de tout. Nous ne sommes pas allés, bien entendu; mais plus tard, nous sommes allés dans un refuge et nous avons alors parlé à des filles de 9, 10 et 11 ans qui avaient été brutalement agressées sexuellement et violées par des Canadiens et des Américains, et ce, à répétition. Ces jeunes filles sont à toute fins utiles, vendues, et rien n’existe pour les protéger.
Le tourisme sexuel a véritablement explosé, une fois encore à cause d’Internet, et parce qu’il se fait très peu de choses, en fait de mesures de protection.
Nous avons une loi au Canada qui dit que si vous allez à l’étranger et agressez sexuellement un enfant, vous aurez à en subir les conséquences ici. Malheureusement, nous ne disposons d’aucun agent de la GRC dans ces pays, pour faire enquête.
Nous avons vu une cause très très grave concernant des personnes qui participaient à des voyages sexuels en Finlande, et tous les gars en cause ont été libérés, parce que les filles ne pouvaient pas venir depuis la petite ville de Dubi pour témoigner; alors, il n’y a eu personne pour témoigner contre eux.
Les hommes, canadiens et américains, sont nombreux à participer à des voyages touristiques de nature sexuelle dans des endroits comme la Thaïlande, les Philippines, le Costa Rica, l’Ukraine, l’Allemagne et en tous ces autres endroits réputés pour les services sexuels qu’on y offre. Il faut trouver le moyen de faire passer un message aux sociétés, afin de leur dire que ces comportements sont inacceptables. Si vous vous rendez dans ces pays pour affaires, ce comportement n’est pas acceptable, et vous risquez de perdre votre emploi.
Ce genre de message fera vraiment réfléchir les hommes, car le phénomène est alimenté par les hommes. Les hommes ont un choix. Les hommes ont le choix de dire qu’ils ne se livreront pas à ce genre d’activité. Les femmes pauvres et les femmes qui sont contraintes à cette activité — et je signale au passage que beaucoup d’entre elles y sont contraintes par l’intimidation et par la peur — n’ont pas de choix. Elles n’ont aucun choix.
Merci, madame la présidente.
Merci de comparaître devant nous aujourd’hui, monsieur Malarek. Votre exposé est vraiment troublant, je dois dire.
J’ai quelques questions pour vous, mais je veux d’abord revenir sur le dernier sujet que vous avez abordé, c’est-à-dire la question de la demande.
J’ai du mal à croire qu’il n’y a pas... Comment dire? Que pouvons-nous faire pour changer l’attitude des hommes à cet égard? Je crois que vous avez bien décrit la situation, avec beaucoup d’éloquence. Que va-t-il falloir faire pour changer les attitudes? Il y a probablement différentes mesures que l’on peut prendre. Que pouvons-nous faire selon vous, à titre de gouvernement, pour insister sur le fait que certains comportements sont inacceptables et que la société ne devrait pas les tolérer? Quelle est selon vous la meilleure façon de corriger la situation, d’amorcer un changement pour faire diminuer la demande? Car, au bout du compte, c’est la racine du problème.
Nous sommes à étudier la question de la traite des personnes. Vous-même et d’autres témoins nous avez mentionné que si la traite des personnes existe, c’est d’abord et avant tout pour répondre aux besoins de l’industrie de la prostitution, du commerce du sexe et des diverses formes d’esclavage sexuel. Donc en définitive, à la source du problème, à la source de ce phénomène, il y a la demande, c’est-à-dire les hommes. Que pourrait être selon vous une bonne solution?
Le phénomène est tellement omniprésent. Quand je parle d’explosion, je parle d’explosion à l’échelle planétaire. Il est extrêmement difficile de trouver une solution pour freiner ce phénomène.
Les hommes doivent modifier leur attitude à l’égard des femmes. Les femmes ne sont pas un bien que les hommes peuvent acheter pour leur plaisir personnel. Cette manière de penser est une abomination pour moi et pour les hommes de mon entourage. Je ne comprends pas pourquoi cette attitude s’est répandue au point que les hommes croient maintenant que s’ils ont 50 $ dans leur poche, ils peuvent faire ce qui leur plaît, sans avoir à subir de conséquences. Car il y a des conséquences.
Cela dit, s’il y a une chose que les hommes craignent, c’est la dénonciation. Je le répète, la grande majorité des hommes visés ne font pas partie de la classe inférieure de la société, où les revenus sont faibles. Ils font partie de la classe moyenne; ce sont des maris, des pères, des fils et des hommes d’affaires. Il faut les dénoncer. C’est à eux qu’il faut s’en prendre, pas aux soi-disant prostituées. Car en matière de prostitution, les femmes sont les victimes, alors que les hommes sont les auteurs de l’acte. On leur donne toujours les jolis noms : clients, consommateurs, etc. De beaux mots empreints de complaisance. En fait, tout semble empreint de complaisance à l’égard des hommes.
La façon dont les hommes sont conditionnés à penser aujourd’hui pose un grave problème. Il en a toujours été ainsi dans l’histoire. Maintenant, à cause de l’Internet et de la télévision et de nombreuses émissions, même à cause de ces foutus vidéos rap où les femmes et les jeunes filles sont présentées dans toutes sortes de positions sexuelles, les hommes en viennent à penser que c’est acceptable.
J’ai parlé à des hommes qui sont allés dans des bordels et qui m’ont dit: « Écoute, c’est plus facile d’aller là que d’établir une relation. » Que reste-t-il du romantisme et de la façon traditionnelle d’établir des relations, quand il suffit d’aller dans ces maisons et que vous pouvez acheter ce que vous voulez pour 50 $ ou 100 $, et que ça finit là ensuite?
Je ne veux pas vous interrompre, mais à ce sujet, pourquoi selon vous ne dénonçons-nous pas davantage ces criminels?
C’est parce que nous vivons dans une société patriarcale contrôlée par les hommes.
Réfléchissez, nous dénonçons les prostituées. Pourquoi? On les voit à la télévision. On prend leur photo. C’est comme si nous disions: « Regardez ces femmes dégoûtantes qui corrompent nos hommes biens. » Allons, il ne faut pas exagérer, nous sommes au XXIe siècle.
Est-ce que cela nous ramène une fois de plus aux lois — à la criminalisation, ou à une meilleure criminalisation? Je ne veux pas vous mettre des mots dans la bouche; dites-moi si je me trompe. Mais nous faut-il revenir à la criminalisation de ce comportement pour obtenir des résultats?
Les femmes sont les victimes; il faut éliminer les peines à leur endroit. Les hommes sont les auteurs de l’acte; c’est à eux qu’il faut imposer les peines. Certains parlent de décriminalisation. Il s’agit toutefois d’un couteau à deux tranchants, parce que si l’on décriminalise sans criminaliser les gestes posés par les hommes, cela revient à légaliser; ce n’est qu’une autre façon de le faire.
Il faut rendre les hommes responsables de leurs actes et des conséquences de ces actes. Ils doivent être responsables, nous ne pouvons tout simplement plus vivre dans une société où toutes les barrières semblent être tombées et où les hommes semblent croire qu’ils peuvent faire tout ce qu’ils veulent aux femmes.
Pensons à ce qui est arrivé en Europe, en Russie, en Ukraine et dans tous ces pays où des centaines de milliers et des millions de jeunes femmes sont prises dans les mailles de ce filet parce qu’elles n’ont d’autres choix; ce sont les hommes qui en profitent – Ils doivent assumer les conséquences de leurs actes.
Les femmes sont les victimes. Elles ont toujours été les victimes. C’est pourquoi je dis toujours que la prostitution est la plus vieille forme d’oppression des femmes. Ce n’est pas un métier; c’est de l’oppression.
Parlons un peu de l’Internet; il y a un lien ici. Il ne fait aucun doute, les commentaires que vous avez formulés tout à l’heure au sujet de l’Internet rejoignent ceux d’autres intervenants, notamment quand vous parlez de la mesure dans laquelle cet outil a véritablement ouvert le monde à ce type d’activités.
Existe-t-il une façon, ou devrions-nous chercher une façon, de freiner cette tendance? Je sais qu’en ce qui concerne l’Internet, toute tentative visant à limiter les libertés permises dans le monde numérique est accueillie par un tollé de protestations de la part des défenseurs des libertés des citoyens. Quoi qu’il en soit, ce type d’activités constitue un fléau pour la société.
Alors existe-t-il une façon, ou pouvez-vous imaginer une façon, d’amorcer un mouvement visant à réduire la capacité des fournisseurs de services Internet d’autoriser l’existence même de ces sites? Vous avez travaillé sur la question.
Oui, je sais. En ce moment, je vous assure, il est presque impossible d’exercer quelque contrôle que ce soit. C’est possible quand il s’agit de pornographie juvénile, parce que cela est illégal partout. Mais lorsqu’il s’agit du monde des adultes et du comportement des adultes, les gens réclament la liberté; c’est l’information qu’ils ont. C’est impossible à contrôler alors, encore une fois, on en revient à la conclusion que c’est aux hommes de faire le choix de ne pas visiter ces sites.
Il y a cependant une proposition que je me plais à faire; et je m’adresse ici à tous les pirates informatiques de ce monde qui s’attaquent à des sites sans reproche et y propagent des vers et des chevaux de Troie – J’ai une idée pour vous. Je vous suggère de diriger vos attaques vers les sites de pornographie et de faire ainsi une bonne action sur le plan social.
J’aimerais remercier monsieur Malarek de son exposé. J’aime quand vous utilisez des mots très évocateurs comme « oppression » et « esclavage des temps modernes » et quand vous mentionnez que ce qui pousse les femmes dans cet enfer, c’est la pauvreté abjecte. Ce sont des mots très forts; je vous félicite de les utiliser et je vous encourage à continuer de les utiliser. C’est un aspect où nous ne sommes pas assez forts à mon avis, dans notre pays.
J’ai failli vous applaudir, littéralement, quand vous avez prononcé ces paroles, car vous m’avez touché au coeur. J’ai vu votre documentaire, The Natashas. C’était très émouvant, très bien fait.
Je veux parler du Canada, où la prostitution n’est pas légale mais quand même bien présente partout, dans toutes les villes. Quand on marche dans les centres-villes, la nuit, on rencontre des victimes. On voit les annonces dans les journaux, comme vous le mentionnez. On peut aller sur Internet.
J’ai malheureusement pu le constater moi-même. Je cherchais quelque chose et j’ai tapé le mot « femmes ». Ça alors, je vous jure! J’ai obtenu toutes sortes de sites qui ne m’intéressaient pas. Ces sites existent, et comme vous le dites, ils sont très faciles à trouver. J’ai vu dans mon journal local des annonces vantant les mérites de « filles belles et propres » et de « femmes exotiques » — vous savez, ce genre d’annonces. Comme vous le dites, si vous cliquez sur « massage », vous obtenez des annonces pour des prostituées. Même si cela est illégal au Canada, c’est bien présent. Comment pouvons-nous contrer ce fléau? Comment lever le voile — car je suppose que c’est ce qu’il faut faire — et cesser de se mettre la tête dans le sable?
Il faut aussi parler des répercussions sur les premières nations de notre pays, compte tenu de la situation, de la pauvreté abjecte dans laquelle se trouvent certaines réserves du Canada. Je viens de la Colombie-Britannique. Vous avez probablement déjà entendu parler du quartier downtown eastside de Vancouver, où un grand nombre de femmes, en raison de problèmes de prostitution, de drogue et de pauvreté qui les amènent dans les villes, se font prendre dans cet engrenage, deviennent victimes et, bien souvent, se font tuer.
Alors il y a tous ces facteurs. Je crois qu’il nous faut reconnaître la situation qui existe à l’intérieur de notre pays; ce n’est pas tout de regarder à l’étranger. Alors il y a ça.
Mais je veux également parler de notre politique commerciale, qui a en quelque sorte fait naître en nous le désir d’obtenir davantage de produits à moindre coût et qui a ni plus ni moins entraîné la création d’ateliers clandestins dans d’autres pays et de la pauvreté; des travailleurs ne sont tout simplement pas payés suffisamment pour manger et pour vivre et pour élever une famille, tout cela parce que nous voulons des prix toujours plus bas... Nous savons bien qu’il existe des ateliers de pressurage et que c’est probablement notre avarice et notre taux de consommation qui a entraîné cette situation dans le monde — pas seulement au Canada, mais dans tout le monde occidental en général.
Les pays occidentaux doivent jouer un rôle important à cet égard, et le Canada est en position pour montrer l’exemple. Les États-Unis comptent, au sein de leur département d’État, un Office to Monitor and Combat Trafficking in Persons, qui fait du bon boulot pour ce qui est de mettre au jour les foyers de débauche autour du monde. Toutefois, cet organisme se trouve dans une situation plutôt délicate sur le plan diplomatique. Par exemple, il s’abstient de nommer les pays qui sont à la racine des problèmes sur la planète, parce que cela pourrait froisser bon nombre de partenaires des États-Unis au sein de l’OTAN et causer des incidents diplomatiques. Au chapitre des droits de la personne, le Canada a toujours été un chef de file et nous devrions continuer dans cette veine. Nous défendons la dignité des femmes. Nous défendons la dignité des enfants. Nous défendons la dignité des personnes âgées. Nous défendons ces personnes. Il est important que nous continuions d’exercer notre rôle de défenseur.
Quand on regarde la situation au Canada, la réalité, il faut reconnaître que nous avons un grave problème dans la rue, dans certaines parties de Vancouver, dans la partie nord de Winnipeg, à Toronto, à Edmonton et à bien d’autres endroits. Bon nombre des victimes qui se trouvent dans ces rues ont été recrutées par les trafiquants dans les réserves autochtones. Il s’agit de traite interne, fléau considérable dans le monde. Il y a de la traite interne en Russie et en Thaïlande et en d’autres endroits de ce genre. Il faut s’attaquer à ce problème également. Encore une fois, nous laissons ces femmes devenir victimes parce que nous ne pourchassons pas les auteurs du crime. Dans ce cas, l’auteur du crime est l’homme, celui qui détient l’argent. Quant aux femmes, elles n’ont pas d’autres choix que de se retrouver dans de telles situations; nous revenons une fois de plus à la question de la société patriarcale. Les femmes doivent se tenir debout et les hommes doivent les appuyer et dire : « Nous ne laisserons pas une telle chose se produire! » Encore une fois, quand les femmes sont très pauvres ou se retrouvent contre leur gré dans de telles situations, elles n’ont pas le choix. C’est l’homme qui a l’argent qui a le choix. Il faut arrêter cela.
Les pays occidentaux doivent eux aussi offrir des programmes et des incitatifs aux pays comme la Thaïlande, la Russie, l’Ukraine, les Philippines et les pays sud-américains, où les femmes sont victimes de la traite des personnes. Il faut donner à ces femmes une chance dans la vie. Une femme qui veut devenir prostituée peut facilement obtenir un visa ou entrer aux Pays-Bas ou en Allemagne en 48 heures, mais la même femme n’obtiendrait jamais un visa pour travailler dans un McDonald. Cela n’a aucun sens. Je n’arrive pas à comprendre. Par contre, au sujet de ces pays, allez dans des endroits comme l’Ukraine ou la Russie et dites que vous avez du travail pour leurs filles parce que les femmes du pays ont déjà du travail. Si elles ont du travail et que c’est ce que vous voulez leur offrir, et bien cela en dit long sur notre société moderne.
Nous, au Canada, devons être vigilants et ne pas jouer ce jeu. Les femmes sont et seront toujours les victimes de ce commerce. La grande majorité d’entre elles ont la prostitution en horreur. Parmi toutes celles à qui j’ai parlées, il y en a bien quelques-unes qui disent y trouver leur compte. Tant mieux pour elles, si c’est ce qu’elles souhaitent faire. Mais la plupart du temps, quand on creuse un peu, ces filles nous disent qu’elles aimeraient s’en sortir mais qu’elles en sont incapables. Les Pays-Bas ont un programme qui permet aux femmes de s’en sortir, mais ils ne l’appliquent pas. Ils ne l’appliquent pas. La Suède a un programme elle aussi et un grand nombre de femmes y ont fait appel et ils s’en sont sorties.
Merci, madame la présidente.
Tout d’abord, merci. J’apprécie beaucoup votre franchise et votre franc parlé.
Il y a quelques sujets que j’aimerais aborder avec vous.
Il existe un autre comité de la Chambre des communes qui examine la question de la prostitution, c’est-à-dire le comité de la justice. Je discutais de la question avec l’une des membres de ce comité. Ils examinent actuellement la pertinence de la légalisation, je dirais, et ce n’est pas une bonne idée car la Suède a fait le choix contraire. Elle a imposé des peines aux utilisateurs et éliminé les peines... Et la personne en question me disait que le système suédois ne fonctionne pas. Pouvez-vous nous expliquer un peu les avantages et les inconvénients de ce système? Savez-vous s’il fonctionne ou non et pourquoi? Peut-être qu’il n’est pas parfait mais qu’il a de bons côtés. Vous en savez certainement plus que moi sur ce système puisque vous en avez justement parlé il y a à peine quelques minutes, mentionnant notamment qu’il offrait aux femmes des moyens de s’en sortir et que cela fonctionnait particulièrement bien. Quelles mesures ont-ils mis en place pour aider les femmes qui veulent s’en sortir?
J’ai quelques autres questions sur d’autres sujets. Pourriez-vous s’il-vous-plaît vous en tenir à une réponse courte?
Lorsque le modèle suédois a été mis en œuvre, étrangement, rien n’a changé dans les deux années suivantes. La traite des femmes s’est maintenue et le commerce de la prostitution a continué de tourner à un train d’enfer. Les femmes membres des comités et autres groupes de travail ne pouvaient expliquer cette absence de résultat. La raison en était la suivante : le message devait d’abord être compris des échelons supérieurs des procureurs et des juges, puis descendre jusqu’aux policiers sur le terrain, dont la grande majorité sont des hommes. Il fallait que ces hommes comprennent l’objectif du nouveau système et comprennent également, à la base, ce qu’est la prostitution — il fallait qu’ils réalisent que la prostitution n’est pas un crime sans victime et qu’il était temps d’agir.
Le gouvernement suédois a finalement mis en oeuvre un programme visant à sensibiliser les policiers sur le terrain, les procureurs et les juges. Une fois cela fait, ces intervenants sont repartis faire leur travail, c’est-à-dire arrêter les clients — les consommateurs de prostitution — et non s’en prendre aux prostituées. Résultat : aujourd’hui, le nombre de femmes victimes de la traite des personnes et introduites en Suède est très petit, presque négligeable. Et pourtant il était auparavant très élevé. Les trafiquants se disent maintenant que le marché de la Suède pose trop de difficultés et trop de problèmes, alors ils ne s’en occupent plus et se concentrent sur d’autres pays, comme la Finlande.
Cela fonctionne, parce qu’ils ont offert des programmes aux jeunes femmes qui voulaient s’en sortir. Environ 60 p. 100 des femmes actives dans le domaine de la prostitution voulaient s’en sortir, elles se sont tournées vers ces programmes et s’en sont sorties.
Les clients sont passibles d’amendes et s’ils retournent sur les lieux où se tiennent des activités de prostitution, ils sont passibles de six mois de prison, en plus d’être dénoncés. Ce n’est pas très intéressant d’être dénoncé. Alors cela fonctionne.
Très bien. Je suis contente d’entendre ça, car ça fait longtemps que je dis qu’il faut imposer des peines aux clients. Je sais que certains pays ont essayé, pas au moyen de mesures législatives, mais à titre volontaire.
Je me trouvais en Italie il y a quelques années — car je voyage beaucoup — et il y avait un système là-bas. Mais, comme mon collègue le mentionnait, ce sont les hommes qui établissaient les règles qui étaient dénoncés; or il se trouve que ces hommes sont justement ceux qui ont l’argent, et donc qui ont l’influence. Ils se sont alors dit qu’ils ne pouvaient pas faire ça. Mais il n’était même pas question de leur imposer des peines; il était simplement question de les dénoncer publiquement. Bien sûr, ils ont tué ce programme dans l’œuf assez rapidement, à cause de la pression des hommes qui se disaient : « Pourquoi serions-nous dénoncés? Nous avons le pouvoir, non? »
Cela ne peut fonctionner si on se fie uniquement à la volonté — c’est l’autre point que je voulais mentionner.
Quand, en fin de soirée, je cherche une émission de télévision à regarder et que je parcours les différentes chaînes, cela me dérange vraiment de voir toutes ces filles qui se présentent avec un air suggestif… les infopubs. À mon avis, cela n’a pas sa place sur mon écran; je me fous de l’heure à laquelle on les diffuse. Il ne s’agit même pas d’un film de pornographie douce comportant un quelconque scénario. Il est uniquement question de téléphoner – J’aimerais avoir votre avis là-dessus.
Il y a deux questions. S’agit-il du premier avantage pris, ou peut-être qu’on ne peut rien y faire?
Mon autre question porte sur le fait que, comme l’ont mentionné quelques-uns de nos témoins, il peut être difficile de porter des accusations en matière de prostitution car la défense peut toujours invoquer qu’il s’agit d’une relation entre deux personnes consentantes. Comment aborderiez-vous la question du consentement et du non-consentement en cour; par exemple si un homme fait valoir qu’il y avait effectivement consentement–?
La question du consentement ne se pose pas si vous en faites une affaire criminelle pour les hommes. Si vous criminalisez les actes des hommes, il ne peut y avoir de consentement.
Dans les systèmes légalisés en Allemagne et aux Pays-Bas, les proxénètes et le crime organisé existent toujours.
C’est ridicule de penser autrement. Ils sont là; je les ai vus agir et ça ne fait pas de différence.
De plus, le côté criminel de la chose relègue le côté légal au second plan, parce qu’ils connaissent la quantité d’argent en jeu et qu’il savent qu’ils font venir ces femmes par autobus entiers, par camions entiers, par dizaines toutes les nuits.
N’oubliez-pas que la triste réalité, pour ces jeunes femmes, c’est qu’elles ne sont utiles à ces hommes que pour quelques années. Ensuite on s’en débarrasse en les retournant dans des pays pauvres qui ne les voient que comme des prostituées, des putains, des salopes, des putes, etc. En clair, elles sont mises au ban de la société, deux fois plutôt qu’une, et beaucoup en viennent au suicide parce qu’elles se retrouvent devant rien quand elles retournent à la maison.
L’une des choses que je dis — et j’en ai parlé au président de l’Ukraine quand je l’ai rencontré à ce propos — c’est que les pays qui permettent le trafic en gros de leurs jeunes femmes devraient avoir honte de ne pas se battre avec suffisamment d’ardeur pour faire quelque chose pour ces femmes et protéger les plus faibles dans leur société. La honte la plus vive revient aux pays occidentaux qui font venir ces femmes par avions entiers, par camions entiers et par bateaux entiers, et qui les soumettent aux fantasmes sexuels des hommes et au tourisme sexuel.
L’Allemagne et les Pays-Bas remplissent leurs coffres avec d’énormes sommes d’argent grâce au tourisme sexuel. C’est la raison pour laquelle j’estime que l’Allemagne est maintenant l’une des plus grandes maisons de prostitution au monde, avec ses 400 000 femmes qui font le trottoir. Il faut se poser des questions.
J’ai perdu le fil de mes pensées.
Oui, les infopubs. Savez-vous quoi? Je les ai vues et je change de chaîne. Je sais ce qui se cache derrière ces publicités. On voit une jeune fille sexy mais vraiment vous devriez voir qui est à l’autre bout du fil. Réveillez-vous les gars; ce n’est pas la même fille. Je change simplement de chaîne, tout le monde en a la capacité.
C’est la même chose avec Internet. Vous pouvez aller sur Internet, et là les choses vont plus loin. Vous ne le faites simplement pas. Encore une fois, il faut remonter à l’éducation des hommes. Où est le boulon qui doit être resserré et qui les pousse à descendre à ce niveau?
Quand j’étais jeune, les gars recevaient leurs trucs par la poste dans une enveloppe de papier brun. À l’époque, si vous attendiez après Postes Canada, l’enveloppe mettait environ quatre à cinq ou six semaines à arriver, et le contenu n’était alors plus à jour.
Les hommes ne vont pas dans les bars pour se vanter — « Eh, où je peux acheter une fille? » — parce que ce n’est pas à la mode. Internet leur a donné la possibilité de clavarder sur des sites de messagerie en direct tout à fait anonymement. Ils utilisent des pseudonymes et ils se disent entre eux où aller et quoi faire.
Sur ces divers sites, que j’ai examinés, des gens envoient des messages disant : « Eh, les gars, ce n’est pas ça la réalité. » Mais les visiteurs de ces sites ne s’intéressent pas à la réalité; ils ne s’intéressent qu’à leurs deux, trois ou quatre minutes de bonheur. Ils ne se soucient pas de la misère qu’ils causent, et c’est là le message qui doit être leur être répété avec insistance, mais qui ne l’est pas.
Pour ce qui est des infopubs et des magazines Eye Weekly et Now — et des autres médias qui veulent crier ces messages sur les toits — je dis toujours aux hommes de les ignorer, de ne pas y porter attention.
Vous avez traité de beaucoup de sujets très pertinents. Vous avez parlé de la décriminalisation; du modèle suédois, qui fonctionne; des études sur les prostituées; etc. Mais la seule chose qui me préoccupe vraiment c’est que chaque fois qu’il y a un événement sportif important dans un pays, des filles et des garçons arrivent par camions entiers et par bateaux entiers pour offrir leurs services aux Olympiques. Ça se passe dans l’ombre.
Les Olympiques de Vancouver approchent. D’un côté, j’attends avec intérêt les événements sportifs, mais de l’autre je n’ai pas hâte aux Olympiques parce qu’il y aura des victimes, des femmes et des enfants.
Que pourrions-nous faire précisément en ce moment pour prévenir cette situation? Nous avons déposé un projet de loi devant la Chambre pour augmenter l’âge du consentement, par exemple, et j’espère que le projet sera adopté cette fois. Y a-t-il d’autres genres de mesures légales que nous pourrions prendre? Les Olympiques arrivent à grands pas. Nous sommes le pays hôte et les Jeux feront des victimes parmi nos concitoyens.
Lors des Olympiques en Grèce et de la Coupe du monde de soccer en Allemagne, on a procédé à la traite de dizaines de milliers de femmes pour le plaisir des adeptes du tourisme sexuel.
Le Canada peut facilement contrer ce phénomène pour les Olympiques, simplement en demandant au personnel responsable des visas dans les ambassades et les consulats autour du monde d’être attentifs aux jeunes femmes et aux personnes qui les appuient.
Les États-Uniens le font couramment. Leurs consulats et ambassades sont vigilants à l’endroit des jeunes femmes qui demandent des visas, et des personnes et organisations qui les appuient. Ils ont en fait refusé des milliers de filles qui désiraient entrer aux États-Unis. Avant d’émettre les visas ils disent : « Non, nous savons ce qui se passe ici. »
Pour ce qui est des Olympiques à Vancouver, le même message peut facilement être lancé. Encore une fois, ces filles ne viennent pas d’Angleterre, de France ou d’Allemagne; elles viendront de pays pauvres. Quand vous les verrez faire la file pour solliciter un visa, demandez-vous comment elles ont obtenu l’argent et quel genre de travail elles feront. Vous pourriez arrêter le processus à cet instant.
L’une des choses étranges à propos de l’Allemagne et des Pays-Bas c’est qu’ils disent que les femmes qui vont en Allemagne savent exactement ce qu’elles font. Elles ne parlent pas allemand, elle n’ont pas le sens des affaires et elle ne connaissent pas le nom des rues. Elle ne savent rien quand elles arrivent dans ce pays. Comment sont-elles arrivées en Allemagne? Qui a servi d’intermédiaire? Le crime organisé. C’est toujours lui, l’intermédiaire.
Ces femmes arrivent soudainement et disent : « Bien, nous ne sommes associées à aucun proxénète. » Les maisons de prostitution aux Pays-Bas et en Allemagne prennent 50 p. 100; c’est du proxénétisme, un point c’est tout. Ces femmes n’arrivent pas là toutes seules.
Dans les rues de Rome, de Paris et de Berlin, j’ai vu les proxénètes dans les ruelles sombres et les voitures aux vitres teintées. Ces proxénètes appartiennent à des bandes du crime organisé; ils ne cesseront pas leurs activités parce que c’est payant. Les Pays-Bas et l’Allemagne savent qui sont ces bandes, et les policiers ne peuvent absolument rien faire parce qu’ils n’arrivent pas à déterminer qui est légal et qui ne l’est pas. Une fois cette porte ouverte, essayez de la fermer.
Je vous remercie Victor, votre présentation était absolument incroyable.
Dans un autre ordre d’idées, lorsque vous parlez de sensibilisation, j’ai été personnellement étonnée par le manque de connaissances sur la traite de personnes ici au Canada. En parlant avec des policiers et des agents de la GRC, je constate que plusieurs d’entre eux manquent de formation. Même en parlant avec le commun des mortels et avec des représentants élus, le manque de connaissances à cet égard est vraiment étonnant et renversant.
Pourriez-vous commenter le rôle que doit jouer le comité de la condition féminine pour ce qui est de faire en sorte que les Canadiens prennent conscience de la situation? En ce qui concerne ce que vous avez dit à propos des hommes qui refusent d’être montrés du doigt, des lois doivent être adoptées. Ils doivent être montrés du doigt et recevoir des peines s’ils participent à cette traite. Ce sont les clients qui doivent être pénalisés et non les pauvres victimes. Pourriez-vous vous exprimer sur l’initiative du comité de la condition féminine de présenter la situation à cette session? Nous avons dû nous battre pour le faire, et je voudrais savoir ce que vous en pensez.
Lorsque je regarde la situation partout dans le monde, je suis très triste de constater qu’il ne s’agit pas d’une priorité pour les organismes et les groupes de femmes qui militent pour la protection des droits de la personne. En ce qui concerne les droits de la personne, la traite des personnes est une tragédie des temps modernes qui prend des proportions inimaginables. Telle est la situation. Nous constatons qu’il y a 800 000 jeunes femmes qui sont victimes de la traite chaque année à l’étranger, sans compter les millions d’autres qui sont victimes de la traite interne pour les besoins de l’industrie du sexe, et personne n’en parle et personne ne dénonce cette comédie. Le seul argument que nous entendons à propos de ce débat, est celui de la légalisation et cela m’inquiète. C’est une question de dignité. Je voudrais que l’on agisse et que l’on évite que cette situation touche ma fille. D’ailleurs, personne ne voudrait que cela arrive à leurs filles.
La plupart de ces jeunes femmes que j’ai aidées à sortir de maisons de prostitution dans des endroits comme le Kosovo étaient de pauvres adolescentes. Elles commençaient tout juste leur vie, et maintenant leur vie est détruite par la maladie — psychologiquement, spirituellement et physiquement. Cette situation doit être au premier rang des priorités pour toutes les nations et pour tous ceux qui sont engagés dans la protection des droits de la personne, et particulièrement pour les groupes de femmes puisque ce problème touche des femmes et des jeunes filles.
Au Canada, je suis fier de dire que la GRC a mis cette question à l’avant-plan. J’ai rencontré un certain nombre de personnes à la GRC — dont le sergent Lori Low — qui en font une priorité et qui font tout pour s’assurer que ces choses n’arrivent pas au Canada et que de telles situations ne se produisent pas dans nos rues, mais nous devons être conscients que cette situation existe.
Un des problèmes avec cette question est que nous entendons parler de prostitution et que nous méprisons immédiatement les femmes qui s’y adonnent. Qui se préoccupe d’elles? Ce ne sont que des putains. Mais lorsque vous les regardez dans les yeux, vous constatez qu’elles sont des victimes. La plupart sont des victimes. Elles ne veulent pas être là. C’est notre responsabilité d’essayer de faire quelque chose pour les sortir de la rue et qu’elles ne soient pas recrutées davantage dans les rues du Canada.
Encore une fois, nous devons exercer un leadership sur cette question de la traite et des femmes forcées de se prostituer ou en quelque sorte incitées à le faire, et jouer la carte de la dignité, ce qui est la chose la plus importante dans la vie.
Merci, monsieur Malarek.
Mme Mourani a demandé une minute pour une question. Ensuite nous allons devoir clore cette partie de la séance.
[Français]
Merci beaucoup, madame la présidente, de votre générosité.
Monsieur Malarek, je n'ai qu'une question. Nous avons rencontré beaucoup de témoins qui nous ont dit qu'il faudrait sensibiliser la population aux répercussions du marché du sexe sur la prostitution, les bars de danseuses, etc.
D'autre part, j'ai lu que des groupes défendant le travail du sexe étaient financés par le gouvernement. Parallèlement, on sait que des coupes à Condition féminine Canada font en sorte que la défense des droits sera très compliquée pour les femmes.
Je trouve donc un peu bizarre — vous me direz si je me trompe — que des groupes défendant le travail du sexe soient financés à même l'argent des contribuables, alors qu'on nous dit qu'il faut mettre de l'argent pour sensibiliser la population au fait que la prostitution porte atteinte aux droits des femmes.
Ne croyez-vous pas que, s'il y a financement, on devrait cesser de financer ces groupes et investir davantage notre argent pour sensibiliser la population quant à la prostitution et ses répercussions sur les femmes?
[Traduction]
Si les travailleurs du sexe étaient financés par les contribuables, je trouverais ça choquant et il faudrait que cette situation cesse. Si vous voulez vraiment connaître les répercussions de ce commerce sur la grande majorité des femmes, vous n’avez qu’à consulter Norma Hotaling, qui dirige un organisme à San Francisco. Elle pourrait vous présenter des milliers de femmes et de jeunes filles qui peuvent témoigner de leur expérience et de la réalité de leur vie.
Encore, une fois, je m’interroge. Qui les défend? Qui sont derrière elles? Il n’y a pas de syndicat. Ces filles sont sous le contrôle de proxénètes. Elles ne parlent pas en leur nom personnel. Qui est derrière ce prétendu groupe qui fait la promotion de la prostitution?
Encore une fois, je dis que si des femmes veulent faire cela — d’accord. Mais la grande majorité ne veut pas. Qui parle en leur nom? C’est ça le problème. Qui finance ce commerce? Si le gouvernement le finance, il devrait cesser. Si ces femmes croient que la prostitution est bonne pour elles, pourquoi ne financent-elles pas leur commerce elles-mêmes? Pourquoi les propriétaires de maisons de prostitution et de salons de massage, qui font beaucoup d’argent, ne les financent-ils pas? Nous ne devrions pas financer cela.
Ce que nous devrions financer ce sont les victimes et les personnes qui veulent s’en sortir pour leur donner l’occasion de le faire. Ce qui m’inquiète vraiment, si tout cela est exact, c’est que des sommes d’argent sont distribuées à ces prétendues travailleuses du sexe et qu’on leur dit ensuite : « on va vous écouter parce que vous défendez cette cause. » Elles ne représentent personne. Elles parlent au nom de quelques personnes. Toutes les études démontrent que 89 p. 100 à 92 p. 100 des femmes veulent s’en sortir. Elles veulent s’en sortir. Au nom de qui parlent-elles? Leur donnez-vous de l’argent pour parler au nom de 8 p. 100 ou 9 p. 100 de ces femmes? Laissez-les faire ce qu’elles veulent, mais il faut donner à celles qui ne veulent plus s’adonner à ce commerce, une chance de s’en sortir. Nous devons créer des solutions pour elles; nous ne devons pas faciliter la vie des clients, des proxénètes et des propriétaires de maisons de prostitution. C’est ce que nous faisons. Lorsque nous tolérons, nous créons une très mauvaise situation, et c’est ce que nous avons fait au cours des dernières années. Des sommes d’argent pour faire la promotion du commerce du sexe — oubliez cela.
Monsieur Malarek, avez-vous eu l’occasion de comparaître devant le sous-comité qui étudie toute la question de la décriminalisation de la prostitution? Avez-vous eu l’occasion de vous adresser à ce sous-comité?
Je pense qu’ils ont repris leurs travaux très récemment, et nous pourrions leur suggérer de vous inviter.
Il se trouve que je suis membre de ce sous-comité, et, présentement, aucun nouveau témoin n’a été appelé à témoigner. Beaucoup de témoins ont comparu précédemment et, en ce moment, ce sont les résultats de ces témoignages que le rapport présente.
Je pense assurément que l’exposé que nous avons entendu aujourd’hui est très précieux. C’est phénoménal. J’envisage certainement de prendre les bleus de cette séance du comité et de les faire circuler afin que les membres aient au moins la possibilité de lire le texte de l’exposé, ce qui n’aura certes pas le même effet, car votre présentation était excellente, monsieur Malarek. Je prévois faire cela.
Je pourrais y joindre une lettre, à titre de président, à l’intention de la personne qui préside ce comité en la priant fortement d’accorder à M. Malarek l’occasion de témoigner devant le comité.
J’apprécierais que vous le fassiez. Ce serait vraiment bienvenu. Je vous suggère de le faire rapidement. Le président est M. Maloney.
Monsieur Malarek, il n’y a pas de mots pour vous exprimer à quel point nous avons apprécié non seulement le temps que vous nous avez accordé aujourd’hui mais aussi tout le travail que vous avez accompli sur de nombreuses questions touchant toutes les femmes, pas seulement au Canada mais partout dans le monde. Je vous souhaite la santé et la force pour continuer votre travail. Nous allons rester en contact avec vous au fur et à mesure que nous progresserons dans la rédaction de notre rapport.
Merci beaucoup.
Des voix: Bravo!
La présidente:Le comité poursuivra maintenant à huis clos l’étude des recommandations.
[La séance se poursuit à huis clos]