Mesdames et messieurs, le présent comité occupe une position stratégique pour offrir une réponse canadienne au mal que constitue le trafic sexuel. Je crois que vous pouvez renforcer la lutte pour les droits de la personne sur la planète et garantir la beauté, la liberté et la valeur pour tous ceux et celles qui vivent de sa sphère d'influence. Et je veux vous assurer que nous prions pour vous.
Tous les dirigeants internationaux de l'Armée du Salut se sont réunis en 2004 et ils ont convenu que l'abolition de la traite des personnes à des fins d'exploitation sexuelle était une priorité internationale de l'Armée du Salut et du monde. Dans le cadre de cet engagement international, nous avons tourné notre regard vers le sol canadien et sur la façon dont nous pouvons lutter contre cette chose abominable dans notre propre pays. Et c'est ici que nos chemins se croisent.
Nous avons entrepris de lutter contre le trafic sexuel sur le terrain. Plusieurs obstacles et problèmes persistants sont apparus dont j'aimerais discuter avec vous, et je voudrais peut-être suggérer certaines réponses potentielles au présent comité.
Sur une note spéciale, j'ai remarqué que toutes les personnes que j'ai rencontrées et qui semblent travailler au niveau de la base et dans une politique pour mettre fin au trafic sexuel -- à la GRC, dans les services aux victimes, dans les ONG de la base sur le terrain -- souffrent d'une crise de paralysie lorsqu'il est question de ce problème. Il semble si complexe, caché et secret -- vraiment, le mal tout simplement -- et cette grande paralysie a tendance à s'installer. Je voulais vous assurer que le temps de la paralysie est terminé. Nous n'avons plus cette possibilité maintenant. Il s'agit d'un problème répandu dans le monde et c'est un mal que le Canada, je pense, est en mesure de stopper. Alors, je veux vous dire que je crois que nous pouvons faire des progrès dans ce domaine, que nous pouvons nous y attaquer, et qu'en fait, nous pouvons faire des gains. Je ne crois pas que c'est une lutte sans espoir.
Alors, je veux vous dire que la lutte en soi vaut la peine d'être menée et je veux également me présenter devant vous avec une solide conviction. Je travaille souvent dans des endroits désespérés et j'ai cette solide conviction, que partage l'Armée du Salut, que la lumière est plus puissante que les ténèbres et que Dieu est de notre côté. Alors, courage; nous avons mobilisé le ciel. Je suis allée directement au plus haut échelon dans ce cas particulier et j'ai demandé à Dieu de nous prêter sa force. Vous n'êtes pas seuls dans cette aventure.
Pour les détails précis, il y aura un mémoire formel, mais mes observations seront un peu plus informelles. Cela ressemble beaucoup à ce que je fais.
Sans vouloir trop simplifier, je pense qu'il s'agit d'un monstre à deux têtes. Je pense que nous pouvons attaquer chacune de ces deux têtes séparément au moyen d'une combinaison gauche-droite.
Alors, la première tête du monstre du trafic sexuel au Canada, ce sont les victimes réelles, les survivants de la traite des personnes et les mesures d'aide destinées à ces survivants, à l'échelle internationale et nationale. À l'heure actuelle, des victimes de la traite sont exploitées sexuellement tous les jours dans notre pays. C'est un fait reconnu; cela se fait en ce moment même.
En raison de leur valeur intrinsèque, nous devons fournir un endroit où les survivants du trafic sexuel ont accès à leurs droits fondamentaux en tant qu'êtres humains. Le protocole de Palerme des Nations Unies, dont le Canada est signataire, a déjà expliqué clairement à quoi cela ressemble. L'article 6 recommande : « de mettre en oeuvre des mesures en vue d'assurer le rétablissement physique, psychologique et social des victimes de la traite des personnes », comprenant un logement convenable, des conseils et des informations concernant notamment les droits que la loi leur reconnaît, dans une langue qu'elles peuvent comprendre; une assistance médicale, psychologique et matérielle; et des possibilités d'emploi, d'éducation et de formation.
Au Canada, nous ne respectons pas ce protocole. Mais il y a plusieurs façons que nous pouvons honorer le protocole et assurer ces droits de la personne fondamentaux avec expertise et rapidité. Ce n'est pas difficile.
Le premier coup de poing à asséner à cette tête consiste à créer immédiatement un fonds fédéral pour financer des structures sûres pour venir en aide aux survivants du trafic sexuel. On ne peut tarder un seul instant. De nombreuses victimes du trafic n'ont pas la sécurité dont elles ont besoin au Canada, et cette situation a des effets multiples. Je ne vais pas tous les décrire, mais un des effets, c'est la revictimisation de la personne ayant fait l'objet de la traite de personnes. Un autre effet, c'est de donner du pouvoir aux trafiquants, parce qu'ils offrent ce que nous n'offrons pas. Alors, les trafiquants ont effectivement du pouvoir, et nous le leur donnons en ne fournissant pas des choses raisonnables.
Sur le terrain à Vancouver, là où je travaille, par le biais de partenariats et d'initiatives provenant de la base, y compris -- et écoutez bien cela, car c'est excitant -- des communautés confessionnelles et des mouvements féministes, nous travaillons ensemble sur cette question. Cela démontre à quel point c'est important -- que nous soyons réunis ensemble autour de cette cause commune pour offrir de l'aide aux survivants de la traite de personnes au Canada.
Il nous manque à l'heure actuelle les fonds pour assurer même la réponse la plus élémentaire. Nous avons la volonté, nous avons l'expertise, mais nous n'avons pas l'argent pour le faire. Ces victimes méritent mieux que cela.
À cause de la nature même du trafic sexuel et des effets catastrophiques qu'il a sur ses victimes, il est crucial de répondre par des soins spécialisés et culturellement adaptés. À l'heure actuelle, si une victime de la traite de personnes qui a été exploitée sexuellement se manifeste, ce qui est arrivé très souvent, la seule possibilité qui existe dans son cas, c'est de lui trouver un abri dans les centres existantes.
Le problème dans ce cas, en particulier dans ma ville, Vancouver -- et je ne peux parler pour le reste Canada au niveau de la base --, c'est qu'il n'y a pas de place. Il n'y a tout simplement pas de place dans les abris. Il y a un manque de financement, de sorte que je ne peux même pas retenir un lit dans un abri parce que cela va à l'encontre de la vocation, et du financement, de cet abri. Alors, la victime ne peut aller nulle part. J'ai hébergé des victimes dans des maisons privées, littéralement, parce qu'il n'y a pas de place où peuvent aller les victimes. Les abris qui ont de la place ne conviennent pas aux victimes du trafic sexuel. Ils ne conviennent tout simplement pas.
Alors, ce genre de choses fait qu'il est encore plus difficile de se rendre dans les endroits cachés du trafic. Ce qui arrive, c'est que ces victimes du trafic sexuel, en particulier, sont tellement traumatisées et ont été soumises à la peur et à la violence pendant si longtemps qu'elles ne font plus confiance à personne, et par nature, elles redoutent toute forme d'autorité, ou toute forme de structure, ou même toute forme d'aide gouvernementale. Si nous offrons des soins et des mesures d'aide appropriés à ces victimes, je crois que nous allons en libérer suffisamment pour qu'elles commencent à nous révéler certains des secrets du trafic, ce qui nous aiderait, plus qu'on peut l'imaginer, dans cette lutte contre le trafic sexuel.
Alors, les mesures d'aide seraient le coup de poing de la gauche, si vous voulez.
Le coup de poing de la droite asséné à ce monstre, et sur cette tête, c'est l'adoption d'une nouvelle loi fédérale conçue expressément pour donner aux victimes du trafic sexuel le droit d'obtenir un visa dans notre pays. En mars de cette année, CIC a annoncé que les personnes victimes de la traite de personnes étaient admissibles à un permis de séjour temporaire. Bien que nous soyons heureux que le ministère ait fait un effort, nous avons constaté, sur le terrain, que le PST n'était pas approprié.
Premièrement, bien qu'il permette de régulariser la situation de la personne au pays, il ne lui donne accès a rien de plus qu'à l'aide fédérale provisoire. Alors, on donne à ces victimes un statut juridique, mais aucun moyen de survivre. Elles n'ont pas le droit de travailler, à moins qu'on leur accorde un permis de séjour prolongé de six mois, ce qui n'arrive jamais. Deuxièmement, la durée minimale de 120 jours que comporte le visa est trop courte pour permettre à une survivante de se rétablir et de planifier les prochaines étapes de sa vie.
Troisièmement, en raison même de la classification de ce permis, les femmes sont encore considérées comme des criminelles. Ce permis est conçu pour ceux et celles qui ont violé la LIPR et il sert à les criminaliser comme des délinquantes plutôt que des victimes. Les victimes de la traite de personnes sont des victimes, et non des criminels, et nous devons reconnaître ce fait légalement. Pour cela, nous avons besoin d'une nouvelle loi qui crée un visa spécialisé pour les personnes victimes de la traite de personnes.
De plus, sur le terrain -- ce n'est qu'un aparté --, il est à peu près impossible de trouver quelqu'un qui connaît les lignes directrices régissant les PST ou qui sait quoi faire pour obtenir un tel permis. Littéralement, on ne peut répondre à des questions élémentaires comme celles-ci : comment faire la demande, qu'est-ce qui est couvert et qui dois-je contacter. Et tout ceux que j'ai rencontrés ayant cette expertise, ce qui se résume jusqu'ici à une seule personne pour toute la ville de Vancouver, recommandent de ne pas utiliser le PST à cause de son manque inhérent de mesures d'aide. Je pense qu'il est clair que nous pouvons faire mieux, et que nous devons le faire.
L'Armée du Salut s'est engagée à travailler en partenariat avec vous pour assurer la sécurité et venir en aide aux personnes qui ont survécu à la traite de personnes. C'est une des têtes du monstre, cette approche axée sur les victimes, les survivants et les mesures d'aide aux survivants. C'est une combinaison gauche-droite, n'est-ce pas? Le coup de la gauche, ce sont les mesures d'aide pour combler leurs besoins fondamentaux, comme l'indique le protocole, par l'attribution d'un financement fédéral; et le coup de la droite, c'est un statut juridique et une nouvelle loi fédérale.
L'autre tête de ce monstre, c'est la demande. Ce que je veux dire par demande, ce sont les hommes qui achètent du sexe et profitent de l'exploitation sexuelle des femmes et des enfants. Il y a deux combinaisons gauche-droite essentielles que l'on peut administrer à cette deuxième tête.
Le premier coup, c'est reconnaître que la prostitution est une forme d'esclavage sexuel qui permet au trafic sexuel d'être florissant et de croître. C'est un élément essentiel.
Le dernier rapport spécial de l'ONU de la Rapporteuse spéciale sur les droits fondamentaux des victimes de la traite des êtres humains, Mme Sygma Huda, indique très clairement que la légalisation de la prostitution est intimement liée a l'augmentation vraisemblable de la traite de personnes. Je cite :
...nous devrions prendre en considération les liens entre la traite de personnes et la prostitution et reconnaître que la prostitution est en soi une forme de traite de personnes, comme le définit le protocole de Palerme, puisqu'il s'agit d'une forme d'exploitation sexuelle. Même si aucune force extérieure visible n'est utilisée, le consentement de la victime prévue à l'alinéa 3 b du protocole est non pertinent. On ne peut pas dire que la prostitution est une activité volontaire dénuée de facteurs contraignants ou moteurs, comme la question de la survie ou le fait que la femme n'a pas d'autre choix, dont profitent les recruteurs, trafiquants et proxénètes.
J'ai vécu et travaillé dans les rues de la partie est du centre-ville de Vancouver pendant plusieurs années. Avec d'autres organismes, nous venions en aide aux femmes, aux enfants et aux jeunes qui ont été victimes d'agressions sexuelles et qui se sont retrouvés un jour à vendre leur corps dans la rue. Je peux vous le dire, une histoire après l'autre, une femme après l'autre, il y a toujours des situations désespérées et horribles dans leur vie. Pour qu'elles continuent de faire ce qu'elles font, on les a forcées, dupées, persuadées, battues et menacées. Elles vivent tous les jours une réalité dégradante et horrible. Cessons d'utiliser des termes qui normalisent la prostitution et qui donnent de la prostitution l'image qu'il s'agit tout simplement d'une forme de travail. Est-ce que vous voulez que le travail du sexe soit quelque chose à laquelle les jeunes femmes aspirent? Est-ce que vous voulez que vos propres filles envisagent le travail du sexe comme une carrière de choix?
S'il vous plaît, le comité ne doit pas faire l'erreur de séparer la prostitution de la question de l'égalité des femmes. La condition des femmes qui se retrouvent esclaves sexuelles dans nos rues ne s'améliorera pas si on les rentre à l'intérieur pour qu'elles fassent leur travail ou si on construit des cubicules à l'extérieur pour la même raison. Elles méritent mieux qu'un changement de terminologie et une solution superficielle rapide. Nous devons les rétablir dans leur dignité originale en décrivant la prostitution pour ce qu'elle est: un crime sexuel contre les femmes. Elles ont une valeur. Je leur dis cela tous les jours, mais je me demande si mon pays sera d'accord.
Le rapport de l'ONU situe cette position dans le contexte des droits de la personne. Je cite :
Certains milieux ont cru comprendre, à tort, qu'une approche de la traite sous l'angle des droits de l'homme était quelque peu incompatible avec le recours à la loi pénale pour punir les consommateurs de services sexuels. Pour parvenir à cette conclusion, il faut nécessairement prendre pour hypothèse que les hommes ont le droit fondamental d'avoir recours aux services de personnes prostituées. Or, cette hypothèse doit être écartée : le recours à des personnes prostituées n'est pas un droit fondamental des hommes. Dans certains systèmes juridiques, les hommes se sont vu reconnaître le droit d'avoir recours aux services de personnes prostituées mais, comme indiqué plus haut, ce droit peut faire directement obstacle aux droits fondamentaux des personnes prostituées, dont la plupart ont fait l'objet des moyens illégaux énoncés à l'alinéa a du Protocole et, partant, sont des victimes de la traite.
Pour combattre la demande, il est impératif de faire en sorte qu'il soit culturellement inacceptable d'acheter des femmes pour le sexe. Il faut arrêter les hommes qui achètent des femmes pour le sexe et il faut multiplier les programmes particulier à l'intention des délinquants sexuels masculins.
Un tel programme existe déjà à l'Armée du Salut et ce, depuis 10 ans. Les programmes destinés aux délinquants de la prostitution sont communément appelés « john schools » dans les provinces anglophones du Canada. Nous les considérons comme un succès pour éduquer et, par conséquent, réduire la demande pour du sexe acheté de la part de ceux qui participent à ces programmes. C'est ici encore une fois que la prostitution et le trafic du sexe se rencontrent, étant donné que nous constatons que ceux qui achètent du sexe achètent des femmes qui viennent d'un endroit, soit au pays soit à l'étranger, où il y a eu traite de personnes. Il faut continuer de marteler le message qu'acheter du sexe contre de l'argent, des aliments ou un abri constitue de l'exploitation et que, par conséquent, cela est inacceptable à quelque niveau que ce soit.
Les hommes qui ont une relation sexuelle avec des enfants dans le cadre de la prostitution commettent une agression sexuelle contre les enfants et doivent être poursuivi avec toute la rigueur de la loi. Si nous sommes sérieux à l'égard des droits des femmes et des enfants qui sont exploités sexuellement dans notre pays, nous devons faire passer l'âge du consentement de 14 à 16 ans, au strict minimum -- si nous sommes sérieux au sujet des droits de la personne au Canada.
C'est là le premier coup de poing. C'en est un puissant; ce pourrait être la droite.
Le deuxième coup de poing à asséner à ce monstre consiste à criminaliser les utilisateurs de prostituées et à décriminaliser les victimes de l'agression sexuelle. Ne vous y trompez pas, cette mesure est liée à l'égalité des femmes. L'ONU recommande que les utilisateurs de prostituées soient considérés comme des criminels, mais pas les prostituées; qu'elles doivent être traitées comme des victimes et non comme des criminelles. La Suède a adopté ce modèle à cause de son engagement face à la valeur des femmes et des enfants dans sa société, et le succès que ce pays a obtenu dans ce domaine est quelque chose que le Canada, en tant que nation progressiste, pourrait facilement aller chercher.
Je cite Gunilla Ekberg, une Canadienne qui a aidé à façonner la politique suédoise :
Comme c'est le cas de toute loi, la loi a une fonction normative. C'est l'expression concrète et tangible de la croyance qu'en Suède, les femmes et les enfants ne sont pas à vendre. Cela dissipe effectivement le droit que se sont arrogé les hommes de pouvoir acheter des femmes et des enfants pour la prostitution....
Prenez en considération cette affirmation d'une ancienne prostituée qui travaille maintenant à la défense des droits des femmes :
Nous, les survivantes de la prostitution et de la traite de personnes, sommes réunies aujourd'hui à cette conférence de presse pour déclarer que la prostitution constitue de la violence faite aux femmes.
Les femmes qui sont dans la prostitution ne se lèvent pas un bon matin pour « choisir » d'être prostituées. Le choix est fait pour elles, par la pauvreté, par les abus sexuels du passé, par les proxénètes qui prennent avantage de nos vulnérabilités, et par les hommes qui nous achètent pour le sexe de la prostitution.
L'Armée du Salut est fortement engagée face à a valeur intrinsèque des femmes et s'est engagée à travailler pour l'abolition de l'esclavage sexuel.
Je termine par une dernière citation. À une certaine époque, Martin Luther King, jr., a enflammé une nation avec cette citation :
La lâcheté demande : "Est-ce que c'est sûr? " L'opportunisme demande : "Est-ce que c'est politique? " La vanité demande : "Est-ce que c'est populaire?" Mais la conscience demande : "Est-ce que c'est juste?" Et vient le temps où il faut prendre une position qui n'est ni sûre, ni politique, ni populaire, mais on doit la prendre simplement parce que notre conscience nous dit que c'est juste.
Je crois que ce moment est venu pour le Canada. Nous pouvons décider de faire ce qui juste pour les survivants du trafic sexuel en leur assurant la sécurité, de l'aide et un asile légal au Canada. Faisons ce qui est bien pour le Canada en choisissant d'appeler la prostitution par ce qu'elle est: de la violence sexuelle faite aux femmes. Que le pays se lève pour dire que nous n'allons pas tolérer plus longtemps l'exploitation sexuelle des femmes et des enfants dans notre pays. Plaise à Dieu que les femmes et les enfants ne soient pas à vendre au Canada.
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Au Canada, la question des mariages frauduleux se manifeste souvent dans la communauté de l'Asie du Sud. Les mariages arrangés sont monnaie courante dans les communautés hindoues, sikhes et musulmanes en Inde. Il faut souligner que la pratique des mariages arrangés n'est pas synonyme de mariage forcé, même s'il y a toujours un danger que les femmes soient forcées d'accepter un mariage arrangé.
La logique derrière cette pratique veut que des antécédents linguistiques, scolaires et religieux semblables garantiront un mariage solide. Les mariages en Asie du Sud sont considérés comme l'union non seulement de deux personnes, mais également de deux familles. Le choix de bons candidats est de la plus haute importance pour les familles, étant donné qu'il reflète directement leur statut social dans leur communauté.
En Inde, on exige habituellement que les mariages soient enregistrés, mais cette pratique n'est pas toujours observée, notamment dans les petites villes et dans les régions rurales. En conséquence, aucune preuve valide n'existe du mariage hormis le témoignage oral des témoins, qui peuvent être soudoyés ou menacés. Parmi les autres formes de preuve du mariage figurent les photographies et les enregistrements vidéo, qui peuvent être endommagés, trafiqués, voire même effacés.
Les mariages arrangés en Asie du Sud font habituellement intervenir une transaction monétaire entre les deux familles. Par exemple, dans le cas des mariages musulmans, une des caractéristiques essentielles est la dot, un montant déterminé à l'avance donné par le mari à son épouse. Dans les mariages hindous, la transaction financière qui a lieu entre deux familles prend la forme d'une dot, qui est définie en vertu de la loi indienne comme toute propriété ou sécurité disponible accordée directement ou indirectement à la famille du marié par les parents de la mariée. Selon la loi indienne, le paiement de la dot est illégal et ceux qui le pratiquent sont passibles d'emprisonnement. Néanmoins, il arrive très souvent, la veille de la cérémonie, que les mariés et leur famille fassent pression sur les mariées et leur famille pour payer des dots pouvant s'élever à 20 000 ou 30 000 $ canadiens. Les mariées et leur famille acceptent fréquemment de payer cette somme, même au risque de s'endetter, pour éviter la honte qu'entraîne un mariage annulé.
Les mariages arrangés frauduleux sont de plus en plus fréquents dans la communauté de l'Asie du Sud au Canada. L'ONFIFAMVC soutient que ces mariages devraient être considérés comme des actes de traite de personnes.
Il y a deux raisons à cela. Premièrement, les membres des deux sexes contractent ces mariages uniquement pour obtenir un statut d'immigré au Canada afin d'obtenir les avantages associés au fait d'être immigrant reçu et, un jour, citoyen canadien. Les mariages sont arrangés entre les citoyens canadiens et les citoyens indiens en se fondant sur l'hypothèse que le mariage à un citoyen canadien entraînera un niveau de vie plus élevé et que les parents vivant en Inde pourront un jour immigrer au Canada. L'ONFIFAMVC est convaincue que, dans plusieurs cas, des hommes et des femmes se marient uniquement pour entrer au Canada.
La deuxième raison pour laquelle l'ONFIFAMVC considère ces mariages frauduleux comme des cas de trafic humain, c'est que ces mariages sont arrangés par et pour les hommes, qui sont soit des citoyens canadiens soit des immigrants reçus, qui se rendent en Inde expressément pour se marier et qui demandent ensuite des dots astronomiques aux femmes et à leur famille la veille du mariage. Une fois le mariage consommé, l'homme retourne habituellement au Canada en affirmant qu'il parrainera l'entrée de sa femme au Canada le plus tôt possible pour ensuite couper tout contact avec cette dernière une fois de retour au Canada. Parfois, il fait parvenir des documents de divorce à son épouse et, parfois, il disparaît de sa vue. Étant donné qu'aucun enregistrement formel du mariage n'est requis en Inde, il n'y a jamais de preuve formelle qu'un mariage a eu lieu ou qu'une dot a été donnée ou reçue. Par conséquent, il devient impossible de prouver qu'il y a eu extorsion.
Même s'il était démontré devant les cours indiennes que la personne en question a commis un acte d'extorsion lié à la dot, cette dernière peut tout de même échapper à la justice en Inde parce que, à titre de citoyen canadien, elle n'a pas commis une offense passible d'extradition. Ce qui est commun à ces deux cas de mariage frauduleux, c'est que les lois canadiennes sont manipulées pour obtenir un avantage financier et que le Canada sert d'asile aux personnes qui ont enfreint la loi indienne.
Il est difficile de déterminer la fréquence des mariage frauduleux dans la communauté de l'Asie du Sud au Canada. Bien que l'information de l'ONFIFAMVC soit anecdotique, la fréquence de ces mariages frauduleux est suffisamment alarmante. L'ONFIFAMVC a la capacité et la volonté d'aborder cette question positivement en effectuant des recherches sur les nombreux aspects du problème, en réalisant des consultations auprès de diverses communautés de l'Asie du Sud, par exemple, à Toronto ou à Vancouver. À partir de ce travail, l'ONFIFAMVC pourrait fournir de la formation aux agents d'immigration, aux travailleurs des services d'établissement et aux avocats, et offrir des conseils judicieux en matière de politique aux ministères concernés. Cependant, les restrictions budgétaires récentes qui ont frappé le budget de Condition féminine Canada et de Développement social Canada ont réduit la capacité de l'ONFIFAMVC d'aborder cette question de façon efficace.
Nous sommes conscients qu'il s'agit d'une question difficile et c'est pourquoi nous croyons également qu'il doit y avoir une collaboration proactive entre CIC, Justice Canada, Affaires étrangères et Commerce international Canada, Condition féminine Canada et Développement social Canada pour résoudre ces deux problèmes liés aux mariages frauduleux.
L'ONFIFAMVC croit que le gouvernement du Canada devrait prendre des mesures immédiates, à moyen et à long terme pour empêcher ces mariages frauduleux. Elles sont précisées dans notre mémoire et en voici quelques-unes: exiger un certificat d'enregistrement de mariage parmi les documents de parrainage; s'assurer que les agences de services aux émigrants et les dirigeants principaux des communautés religieuses sont au courant de cette exigence; accorder des visas de visiteur aux femmes qui pourraient vouloir poursuivre leurs maris en fuite qui sont de retour au Canada; conclure un traité d'extradition avec l'Inde pour retourner les hommes accusées d'abandon après avoir reçu une dot; et établir une meilleure coordination entre CIC, Justice Canada et les associations du barreau.
Toute cette question de mariages frauduleux ne donne pas, je pense, une image nécessairement bonne du Canada pour deux raisons: premièrement, parce que nous sommes en train de devenir un asile pour un certain nombre de personnes qui enfreignent la loi indienne; et deuxièmement, parce qu'à notre avis, cela ternit l'image du Canada à l'échelle internationale en tant que défenseur des droits de la personne, de façon générale, et des droits des femmes en particulier.
L'ONFIFAMVC croit que le Comité permanent de la condition féminine est dans une position unique pour parler au gouvernement de ces fameuses pratiques et ainsi, nous l'espérons, pour rétablir la confiance des femmes de l'Asie du Sud et de leurs familles dans le gouvernement comme défenseur des droits ici au Canada et dans le sous-continent.
Merci.
:
Merci, madame la présidente, de m'accueillir aujourd'hui ainsi que de fières représentantes du ministère, Sandra Ginnish et Holly King, de même que Christine Aubin, du ministère de la Justice, qui s'occupent toutes de ce dossier.
Je suis ravi d'être ici non seulement avec vous, les parlementaires, mais aussi avec Wendy Grant-John, avec laquelle vous aurez le plaisir de vous entretenir aujourd'hui. Elle est l'un des leaders les plus respectés parmi les collectivités des premières nations au Canada et certainement l'une des femmes les plus respectées au pays. J'ai été honoré lorsqu'elle a accepté de remplir cette fonction et de prêter non seulement son engagement personnel, mais aussi son intégrité et sa réputation à ce que nous essayons de faire. Vous aurez la chance de lui parler.
Merci pour vos bons mots concernant le fait que je réponde rapidement à vos demandes. Vous le devez davantage à mon personnel qu'à moi, mais je suis ravi de venir ici en tout temps.
Je suis heureux de l'occasion qui m'est donnée de m'adresser au comité.
[Français]
Je suis heureux de l'occasion qui m'est donnée de m'adresser au Comité permanent de la condition féminine.
[Traduction]
Avant tout, permettez-moi de remercier les membres du comité pour leur excellent travail sur la question épineuse des biens immobiliers matrimoniaux dans les réserves.
Le septième rapport du comité fait bien ressortir le problème; il apporte un éclairage utile sur ce qui doit être fait et met en évidence le vide juridique qui existe actuellement au pays.
[Français]
Je partage entièrement l'opinion du comité, à savoir que ce vide équivaut en fait à une violation des droits de la personne pour beaucoup de membres des Premières nations, surtout les femmes. Le problème est aussi étroitement lié à d'autres maux sociaux, comme la violence dirigée contre les femmes.
[Traduction]
Je sais que Wendy vous parlera de cette question.
La nature complexe des biens immobiliers matrimoniaux est bien documentée dans de nombreux rapports produits par le Sénat, des comités parlementaires, des représentants de mon ministère et des groupes indépendants et internationaux qui se sont penchés sur ce dossier et ses différents aspects. Je suis du même avis que le comité quand il affirme que la question a été suffisamment étudiée et qu'il est grand temps de passer à l'action.
En fait, le gouvernement actuel a déjà commencé à agir. Je suis heureux d'annoncer que nous avons entamé un processus de consultation, que Wendy dirige et qui mènera à une solution judicieuse, efficace et durable au problème des biens immobiliers matrimoniaux dans les réserves. Wendy vous entretiendra à ce sujet. Je crois que nous observons un très haut niveau d'engagement de la part des organisations autochtones nationales ainsi que des chefs et des conseils partout au pays.
Les biens immobiliers matrimoniaux — ou le foyer familial — constituent normalement le bien le plus précieux que possède un couple dans une réserve. Dans ce sens, ils le sont aussi pour n'importe quelle famille canadienne. En cas de rupture d'un mariage, le partage de ce bien se répercute donc nécessairement sur toutes les personnes concernées, soit les deux conjoints, homme et femme, leurs enfants, leurs familles et, par extension, la collectivité toute entière.
Notre engagement d'aller de l'avant et notre volonté de régler ce problème s'appuient sur des principes et des justifications très simples. Nous tenons à donner aux membres des premières nations vivant dans des réserves — hommes et femmes — les mêmes garanties juridiques et recours judiciaires que ceux offerts aux Canadiens hors réserve. Nous voulons qu'un cadre soit mis en place pour assurer un partage équitable des biens lorsqu'il y a malheureusement rupture de mariage.
[Français]
Les récits malheureux que nous avons entendus au fil des ans nous touchent énormément et ne sont désormais que trop bien connus.
[Traduction]
Nous devons trouver, pour combler ce vide juridique, une solution que les intéressés jugeront acceptable, ce qui, j'en conviens, est un enjeu complexe. Toutefois, les membres des premières nations — en particulier les femmes et les enfants — et les collectivités des premières nations doivent être au coeur de cette initiative.
[Français]
C'est pourquoi j'estime que le processus de consultation en cours amènera les résultats espérés, c'est-à-dire un équilibre entre les droits individuels et les droits collectifs.
[Traduction]
Dans le cadre des consultations menées jusqu'à maintenant , certains membres des premières nations ont dit craindre que l'objectif sous-jacent de ce processus soit l'érosion des réserves. L'objectif poursuivi — et je veux que ce soit clair — est de régler l'éternelle question des droits de la personne. Le gouvernement du Canada n'a aucunement l'intention de faire disparaître le statut de réserve ou de compromettre le statut collectif des avoirs des réserves par une loi portant sur les biens immobiliers matrimoniaux.
Un des principes réitérés par mon ministère tout au long de ce processus est que les terres de réserve ne sont pas aliénables. Je peux vous assurer que les réserves continueront d'être utilisées par et pour les membres des premières nations, pour qui elles ont été mises de côté. Ce processus est mené par Mme Grant-John, dirigeante respectée, entrepreneure prospère et habile négociatrice, en partenariat avec l'Association des femmes autochtones du Canada et l'Assemblée des Premières nations. Je suis convaincu qu'il mènera à des solutions à la fois innovatrices et efficaces, qui assureront la protection des droits relatifs aux biens immobiliers matrimoniaux dans les réserves, le respect des intérêts de la collectivité et la protection des terres de réserve pour les générations à venir.
Christine Aubin pourra parler de cette question, mais la common law peut à la fois protéger les biens matrimoniaux et assurer la continuité des réserves des premières nations et le statut des terres de réserve.
S'il est beaucoup trop tôt pour prédire la forme exacte que revêtiront les options législatives issues de ce processus, les importantes recherches et analyses déjà effectuées laissent entrevoir tout un éventail de possibilités. D'un côté, il pourrait s'agit de quelques modifications à la Loi sur les Indiens qui permettraient d'appliquer, dans les réserves, les lois provinciales actuelles sur la famille et les biens. À l'autre extrémité, il pourrait s'agir de mesures législatives qui conféreraient à chacune des premières nations toutes les compétences voulues en matière de droit de la famille et de droit des biens dans les réserves.
[Français]
Comme ces options opposées posent des difficultés, je crois qu'il doit exister une solution intermédiaire raisonnable.
[Traduction]
J'ai bon espoir, à la lumière de l'engagement manifesté par tous les principaux intervenants, que le processus portera fruit. Mon optimisme repose aussi en bonne partie sur les grands talents de Mme Grant-John, notre représentante.
[Français]
Madame la présidente, je suis persuadé que le processus en cours, en plus de mener à la solution législative qui convient, profitera du soutien nécessaire pour réaliser une mise en oeuvre efficace de cette solution.
[Traduction]
En outre, afin de régler les situations souvent délicates dans lesquelles se retrouvent les femmes des premières nations, j'annonce qu'un investissement additionnel de 6 millions de dollars sera disponible cette année, montant qui permettra aux 35 refuges pour victimes de violence familiale financés par AINC d'être mieux équipés pour fournir les services indispensables aux femmes et aux enfants dans les réserves. Il permettra aussi de financer des ressources, notamment pour la formation du personnel, et d'offrir un soutien direct aux clients, entre autres sous forme de nourriture et de vêtements.
Madame la présidente, je vous remercie de m'avoir donné la possibilité de comparaître devant vous aujourd'hui. Je m'efforcerai de répondre à toutes vos questions.