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FEWO Réunion de comité

Les Avis de convocation contiennent des renseignements sur le sujet, la date, l’heure et l’endroit de la réunion, ainsi qu’une liste des témoins qui doivent comparaître devant le comité. Les Témoignages sont le compte rendu transcrit, révisé et corrigé de tout ce qui a été dit pendant la séance. Les Procès-verbaux sont le compte rendu officiel des séances.

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CANADA

Comité permanent de la condition féminine


NUMÉRO 021 
l
1re SESSION 
l
39e LÉGISLATURE 

TÉMOIGNAGES

Le jeudi 2 novembre 2006

[Enregistrement électronique]

(1110)

[Traduction]

    Je déclare ouverte la 21e réunion du Comité permanent de la condition féminine.
    Je voudrais attirer votre attention sur la motion de Mme Smith que nous devions étudier au début de la réunion. Mme Smith demande plutôt que nous le fassions durant les quinze dernières minutes de la séance. De plus, vous avez devant vous le calendrier des travaux du comité.
    Monsieur Stanton, il y a six semaines, vous avez posé une question au sujet des finances du comité, et, pour une raison ou pour une autre, je n’arrive jamais à vous donner de réponse. Le budget total du comité est de 166 400 $. Jusqu’à ce que nous commencions à entendre les témoignages, nous n’avions pas engagé de dépenses supplémentaires. Nous vous tiendrons au courant de l’état du budget, comme l’exige notre travail.
    Passons maintenant aux témoins. Nous entendrons Mme Crawford de l’agence Panache Model and Talent Management. Soyez la bienvenue, madame Crawford.
    De l’Association des femmes autochtones du Canada, comparaîtra Mme Erin Wolski en remplacement de Mme Beverly Jacobs.
    De Help Us Help The Children, nous recevons Mme Irena Soltys, coordonnatrice. Soyez la bienvenue.
    De la Concertation des luttes contre l'exploitation sexuelle, nous recevons Mme Rhéa Jean, doctorante en philosophie, de l’Université de Sherbrooke, et Mme Diane Matte, ex coordonnatrice du Secrétariat international.
    Je souhaite la bienvenue à toutes. Nous apprécions beaucoup que vous preniez le temps de venir nous parler ce matin.
    Je laisse la parole à la personne qui aimerait passer en premier.
    Madame Crawford, vous êtes arrivée la première, si vous le désirez, vous pouvez commencer.
    Si j’avais su que c’était premier arrivé, premier servi, je serais arrivée la dernière.
    Sentez-vous bien à l’aise. Nous sommes ici entre amis.
    Merci. Je vous remercie tous de m’avoir invitée ici, aujourd’hui.
    Votre ordre du jour indique que je suis de l'agence Panache Model and Talent Management. De fait, je suis toujours mannequin, bien qu’on me considère probablement comme préhistorique dans l’industrie, vu mon âge. Je suis toujours mannequin et je travaille tant au Canada qu’à l’étranger.
    Je tiens à préciser que je suis en faveur de la profession de mannequin, et non pas contre. Je ne suis vraiment pas ici, aujourd’hui, pour critiquer ce secteur d'activité. Toutefois, je veux vous parler des problèmes qui existent dans ce secteur, des problèmes auxquels font face les mannequins canadiens tant au Canada qu’à l’étranger.
    Je n’ai pas rédigé de document à vous remettre et je m’en excuse. Lorsque j’ai préparé mon témoignage, j’ai fait de nombreux appels téléphoniques et j’ai été tout à fait étonnée par l’information que j’ai découverte en fouillant. Il y a tant de choses dans ce domaine qu’on ignore, même moi qui y travaille depuis 20 ans.
    J’aurais aimé rédiger un document que vous auriez conservé, mais à dire vrai, il y avait tant d’information que cela m’aurait probablement pris plus de deux mois. Je vais faire tout mon possible cependant pour vous parler de mon expérience personnelle, des choses dont j’ai été témoin, de ce que j’ai vu et de ce qu’on m’a dit.
    Je vais commencer de cette façon. Mon exposé n’est pas très formel, mais je vous parlerai franchement et honnêtement.
    Je suis mannequin depuis l’âge de 13 ans. J’en ai maintenant 33. Je travaille donc dans ce secteur depuis 20 ans, ce qui ne s’est pour ainsi dire jamais vu. Mon premier travail à l’étranger s’est passé à Vienne, en Autriche, lorsque j’avais 18 ans. Évidemment, cela a été une expérience formidable. C’était mon premier voyage à l’étranger. J’étais éblouie et ravie par le prestige de travailler comme mannequin sur la scène internationale, un métier dont toutes les petites filles rêvent un jour ou l’autre.
    Peu de temps après mon arrivée à Vienne, j’ai pris conscience d’un côté plus sombre de la profession. À 18 ans, je n’avais probablement pas la sagesse ni l’expérience nécessaires pour vraiment comprendre cet aspect ou pour y faire face.
    J’avais une camarade de chambre, une jolie jeune fille de 18 ans peut-être. Elle était roumaine. Elle et moi avons vécu ensemble environ deux semaines. Pendant la première ou la deuxième semaine, j’ai participé à beaucoup de présentations et de lancements, et j’ai rencontré des photographes, tout allait bien.
    Par contre, pour ma camarade de chambre, j’ai constaté que les choses n’allaient pas aussi bien. En observant son comportement et certaines choses qu’elle faisait, comme sortir tard la nuit, j’ai vite compris qu’elle était venue à Vienne pour une tout autre raison que le travail de mannequin, mais plutôt pour divertir les clients de l'agence. C’était la première fois que je me rendais compte que les modèles pouvaient faire autre chose que du travail de mannequin. Certaines filles, qu’on qualifie de party girls, étaient amenées pour d’autres buts.
    Cette fille était très jolie. Elle venait d'un milieu très pauvre. Pour elle, c’était l’occasion de sortir de la Roumanie, de travailler comme mannequin, de faire de l’argent et d’en envoyer une partie à sa famille. Elle n’avait aucune idée de ce qui l'attendait.
    Je ne sais pas ce qui est advenu de cette fille. J’ai quitté l’Autriche après deux mois et elle s’y trouvait toujours. Elle passait d’un client à un autre. C’était désolant. J’avais 18 ans, je ne pouvais pas comprendre et je ne savais pas quoi faire.
    Plus j’ai voyagé, plus j’ai réalisé qu’il n’était pas seulement question de filles en provenance de la Roumanie ou des pays de l’Est, comme l’Ukraine. Il y avait des filles de partout dans le monde qui vivaient la même expérience, y compris des filles en provenance du Canada et des États Unis.
    Je me demandais comment une telle chose était possible. Comment se faisait-il que les filles n’étaient pas au courant? Pourquoi personne ne leur disait ce qui se passait? Même les filles ne comprenaient pas ce qui leur arrivait, ne savaient pas qu’elles étaient des cibles. Un grand nombre d’entre elles étaient des proies faciles, ciblées pour des raisons précises: elles étaient belles, et les plus vulnérables recevaient peu de soutien de leur famille ou entretenaient peu de liens avec elle. Elles n’avaient peut-être pas d’agence au Canada ou aux États-Unis qui s’occupait d’elles. Ces filles n’avaient probablement pas les ressources ou les moyens financiers pour retourner chez elles.
    Ces filles sont devenues... Je dis « filles », mais je suis sûre que cela arrive également aux mannequins mâles, bien que je ne l’aie pas constaté aussi souvent, et je dis « filles » et pas « femmes » parce qu’il s'agit bien de filles. Comme l’âge moyen d’un mannequin qui commence dans la profession est de 14 ans, j’hésite beaucoup à parler de femme.
    Je m’excuse, je suis émue en racontant cette histoire et vraiment cela me bouleverse.
(1115)
    Ces jeunes filles obtenaient ce genre d’emplois. Elles n’avaient pas le choix. Elles voulaient les quitter, mais le seul moyen de le faire était de gagner assez d'argent. Elles étaient la proie idéale.
    J’ai rencontré une jeune fille cet été. Pour une raison ou pour une autre, je suis devenue comme une sorte de mère poule dans l’industrie. Lorsque les filles ont des problèmes, souvent elles m’appellent. Elles me téléphonent pour obtenir des recommandations auprès de nouvelles agences. Elles me téléphonent pour obtenir des conseils sur divers sujets. J’ai rencontré une jeune fille originaire d’une petite ville — je ne dirai pas de quelle province canadienne — et elle avait entendu parler de moi par une amie. Elle connaissait mon travail de promotion pour l’établissement de restrictions et de lignes directrices à l’intention des agences. Elle m’a raconté qu’on l'avait récemment envoyée en Grèce.
    J’ai été mannequin en Grèce, je sais ce qui s’y passe. On commence par confisquer notre passeport parce que, nous dit-on, les vols de passeport constituent dans ce pays un grave problème. En descendant de l’avion, vous leur remettez votre passeport. Ils le mettent sous clé, et vous vous trouvez sans passeport.
    On a acheté un billet simple à cette fille pour Athènes. Elle avait 18 ans. Elle ne savait pas que c’est quelque chose à ne pas faire. Si quelqu’un m’offrait du travail à l’étranger et qu’il m’achetait un billet simple, je refuserais. Vous devez avoir un billet de retour, et l’aller simple n’est pas suffisant. Donc, la jeune fille avait un billet simple et elle n’a pas les moyens de retourner chez elle.
    Dans ces cas, quelques heures après l'arrivée à destination, le premier appel que vous recevrez provient souvent d’un relationniste. Les relationnistes travaillent pour des clubs de nuit. D’ailleurs, souvent, les agences sont propriétaires de clubs de nuit et de restaurants. Elles possèdent parfois des magazines. Elles sont quelquefois propriétaires de clubs qui présentent des spectacles de danseuses. Elles sont propriétaires de divers genres d’entreprise, en plus des agences de mannequins. Comme les agences possèdent toutes ces entreprises, elles y font travailler les mannequins.
    La jeune fille se retrouve à Athènes, sans passeport ni billet de retour ni argent. On lui dit qu’elle doit travailler dans un bar parce qu’on n’a pas pu lui trouver une affectation de mannequin. Je doute qu’elle ait été amenée à Athènes pour travailler comme mannequin. Je ne pense pas que ce soit une coïncidence. Je pense qu’elle a probablement été amenée dans ce pays pour faire ce genre de travail. Il lui a fallu quatre semaines pour amasser l’argent nécessaire pour revenir au Canada.
    C’est une histoire qu’on m’a racontée souvent. Ce n’est là qu’un des nombreux problèmes.
    Nous avons aussi des problèmes dans notre pays, et, encore une fois, quand j’ai commencé à me pencher sérieusement sur la question, ce que j’ai appris m’a troublée. À Winnipeg, d’où je viens, une agence a dernièrement fermé ses portes. Elle existait depuis cinq ans. Le propriétaire était un policier. Vingt et un chefs d’accusation ont été portés contre lui pour exploitation sexuelle et agression. La moitié des victimes étaient de jeunes mineures âgées de 15 et 16 ans.
    Il les recrutait. J’ai déjà fait du recrutement. Il n’y a rien de mal à cela, mais un recruteur doit avoir du cœur en plus d’une carte de visite. Si vous avez du cœur, vous pouvez être agent ou recruteur. C’est horrifiant étant donné que l’âge moyen d’un mannequin est de 14 ans. Aucun permis n’est exigé. Il n’y a aucune norme à respecter, aucune restriction. C’est facile. Tout le monde peut le faire, moi, Irena, n’importe qui.
    Il faisait du recrutement et possédait une agence. Il avait un appareil photo. C’est une combinaison très dangereuse: des mineures, des appareils photo, des agences de mannequins plus les promesses d’argent et de célébrité. Ce recruteur est maintenant dans le pétrin. Les 21 filles qui se sont fait connaître ne sont probablement que la moitié des filles impliquées dans l’affaire. Je suis certaine qu’un grand nombre d’entre elles n’ont pas voulu en parler à leurs parents. J’entends ce genre d'histoire tout le temps. Je leur demande pourquoi elles ne veulent pas en parler à leurs parents. Elles disent que leurs parents ne savent pas qu’elles veulent devenir mannequin et qu’elles ne veulent pas en parler. S’il a officiellement fait 21 victimes, je suis certaine qu’elles sont en réalité 41 ou 50. Et il était policier.
    La sensibilisation des gens à la situation qui existe dans notre secteur d'activité est un vrai problème. Les gens ne sont pas au courant. Ils ignorent ce qui s’y passe.
    C’était un policier. Pour mettre sur pied une agence, il a dû obtenir l'autorisation du chef de la police et d’un comité formé de 14 policiers. Il a obtenu leur accord.
    Si un homme de 40 ans vous dit: « J’aimerais ouvrir une agence de mannequins. Je n’ai aucune expérience dans ce secteur. Je vais recruter des jeunes filles et je vais travailler à partir de mon domicile. » Une telle déclaration ne soulèverait-elle pas des questions dans votre esprit? Ne douteriez-vous pas qu’il y a anguille sous roche? Il a été en affaires pendant cinq ans. On cherche maintenant à savoir où il a distribué les photographies. Où sont les photos de ces jeunes filles?
(1120)
    C’est une zone très très grise du monde de la mode. Entre nudité et mode, la ligne est floue. Qu’est-ce qui relève de la mode et qu’est-ce qui relève de la pornographie? Il a su se montrer très convaincant.
    Il y a donc de nombreux problèmes dans notre secteur d'activité.
    Le travail à l’étranger n’est pas surveillé. Les filles ne sont pas informées. Des filles entrent au Canada et en ressortent comme de la marchandise, tout le temps. Personne n’est au courant. Personne ne sait où elles vont, d'où elles viennent. Personne ne sait rien. Les filles n’ont pas la moindre idée de ce qui les attend. Elles quittent le pays, font confiance à leur agence ici et croient que tout va bien se passer. Elles arrivent à l’étranger — et ce n’est pas le cas de toutes. J’ai travaillé à l’étranger et j’ai eu quelques mauvaises expériences, mais j’avais les moyens de revenir chez moi. Les mauvaises expériences arrivent et elles arrivent trop souvent.
    Nous avons plusieurs problèmes. Nous avons un problème concernant l’importation et l’exportation des mannequins. Nous avons un problème parce qu’un grand nombre de mannequins n’ont pas encore 18 ans, ces jeunes sont envoyées à l’étranger sans savoir ce qui les attend. Elles ne savent pas où se trouvent les ambassades du Canada. Personne ne les informe. Elles remettent leur passeport aussitôt qu’elles descendent de l'avion. Elles ne sont pas informées, c’est l’un de nos problèmes.
    Au Canada, le problème vient du fait que nous n’avons aucune norme relative au recrutement des mannequins et aux agences, pourtant c’est un secteur d'activité qui génère des revenus d’un million de dollars. Nous avons beaucoup d'agences qui font du recrutement et qui offrent des services de mannequins. On entend tout le temps des annonces à la radio, mais il n’y a pas de restrictions. Quiconque peut mettre sur pied une agence. N’importe qui dans cette salle peut le faire, sans problème.
    Pourtant, si je veux être bénévole dans la classe de ma fille, qui est en prématernelle, je devrai suivre une formation d’une journée. On vérifiera mes antécédents, pourtant je ne ferai que servir des petits gâteaux et verser du jus de pomme, et je comprends que c’est nécessaire.
    Je peux aller sans problème rencontrer des jeunes filles de 14, 15 ou 16 ans et les recruter comme mannequin. Les agences de mannequins constituent une zone grise, où la différence entre mode et pornographie n’est pas claire.
    Voilà les problèmes qui existent dans notre pays.
    Je suis désolée, je ne veux pas prendre trop de temps. Je tiens seulement à attirer votre attention sur le fait qu’au Canada, le travail de mannequin est de plus en plus populaire. Des phénomènes comme Project Runway et Canada’s Next Top Model en sont la preuve. Il y a tellement de filles, de jeunes filles, qui veulent devenir mannequins.
    Il est impératif, et c’est notre responsabilité comme Canadiens, de donner l’exemple, d’établir des normes, de proclamer qu’il est inacceptable que des jeunes filles soient exploitées de quelque manière que ce soit. Les agences de mannequins sont une façade derrière laquelle il est si facile de se cacher. C’est un terrain de jeu pour les prédateurs.
    Nous avons fait des recherches sur 20 sites Web d’agences, en demandant « Comment devenir un mannequin? » et en utilisant les mots « industrie agences Canada » et aucun avertissement n’est apparu. Au Canada, aucun avertissement n’est affiché concernant ce genre de sites.
    Les États-Unis ont commencé à prendre des mesures, mais pas le Canada. Tout ce qu’on a obtenu au cours de nos recherches sur Internet — est-ce prudent? — c’est le message suivant: « Fournissez votre photo, votre numéro de téléphone et votre adresse, et nous vous dirons si vous avez le potentiel nécessaire pour devenir mannequin. » On vous le dira en se présentant à votre porte. C’est ce qui est arrivé cette année à Terre-Neuve. Un homme a créé une agence sur Internet. Les enfants n’ont aucune idée de ce qui se cache derrière de tels sites. Personne ne leur a expliqué. Pourtant je suis à peu près certaine qu’une fille sur quatre a déjà fait des recherches sur le sujet.
    Les mannequins en provenance du Canada sont de plus en plus connues sur la scène internationale, en raison de notre diversité ethnique et de notre environnement. Nous avons belle apparence. Nos mannequins sont très recherchés.
(1125)
    Merci beaucoup.
    Nous allons entendre chacun des témoins puis nous passerons aux questions. Je peux vous assurer qu'elles seront nombreuses.
    Madame Soltys, voulez-vous prendre le relais?
    Je voudrais vous dire que je suis très honorée d’être ici, aujourd’hui. Je voudrais vous faire part de certaines de mes expériences comme bénévole concernant un sujet qui est plus que troublant, beaucoup plus que méprisable.
    Je me suis rendu compte que la Coalition Against Trafficking in Women — Stop Human Trafficking et Help Us Help The Children sont seulement deux des nombreux organismes qui luttent contre la traite des personnes. Nous unissons nos forces parce que nous avons à cœur de défendre les droits des personnes contre une telle chose. Nous sommes tous très préoccupés par le sujet et nous comptons vraiment apporter notre contribution.
    De nombreux témoins vous ont parlé de la traite des personnes. Vous connaissez certainement les statistiques ainsi que les mesures adoptées par la GRC. On vous a sûrement dit que c’était devenu une crise à l’échelle mondiale.
    Comme je ne suis pas un agent chargé de l’application de la loi ni un politique ni un professeur d’université, je vais me permettre de faire appel davantage à vos sentiments pour juger de ce qui est de manière incontestable condamnable et de ce qu’il faut faire pour contrer ce mal. Pour ceux qui ne craignent pas de faire face à la dure réalité, permettez-moi de vous lire un passage du livre de Victor Malarek, The Natashas: The New Global Sex Trade. Beaucoup d'entre vous connaissent déjà ce livre. Je vais vous lire l’histoire de Sophia, une jeune Roumaine de 18 ans, enlevée sous la menace d'un couteau, sur un chemin de campagne, à environ un kilomètre de chez elle, un soir qu’elle revenait à la maison.
    Je parle de la Roumanie, mais la même chose est arrivée récemment au Canada. Une jeune fille du Nouveau-Brunswick a été enlevée et victime d'exploitation sexuelle.
Deux hommes armés de couteaux m’ont forcée à monter dans leur voiture. J’ai cru qu’ils allaient me violer et me tuer. J’ai prié pour qu’on me laisse en vie. J’ai plutôt été conduite près d’un cours d'eau où ces hommes m’ont vendue à un Serbe. Celui-ci m’a amenée dans un petit bateau sur le Danube puis dans un appartement situé dans une ville dans les montagnes. J’ignorais le nom de l’endroit, mais j’ai vite compris que je me trouvais en Serbie.
Beaucoup de jeunes filles s’y trouvaient également. Elles provenaient de la Moldavie, de la Roumanie, de l’Ukraine et de la Bulgarie. Certaines pleuraient. D’autres étaient terrifiées. On nous a dit de ne pas parler entre nous, de ne pas donner notre nom ni de dire d’où nous venions. Tout le temps, des hommes, laids et méchants, venaient et entraînaient les filles dans les chambres. Quelquefois, ils violaient des filles devant nous. Ils criaient, ils leur ordonnaient de bouger d’une certaine manière, de simuler l’excitation, de gémir. C’était ignoble.
Celles qui résistaient étaient battues. Si elles ne collaboraient pas, elles étaient enfermées dans des caves sombres, avec les rats, sans nourriture ni eau pendant trois jours. Une fille a refusé de se soumettre. Elle hurlait et hurlait. Toutes, nous criions. Le jour suivant, la fille a tenté de se pendre.
    La plus grande crainte de Sophia était de sombrer. Dans ses mots, elle écrit:
J’appréhendais ce moment. Le premier jour, je me suis dit que j’allais lutter. Puis j’ai vu ce qu’ils ont fait à une fille qui avait refusé d'obéir. Elle venait d’Ukraine, elle était très jolie, très déterminée. Deux des propriétaires ont essayé de la forcer à faire certaines choses, mais elle a refusé. Ils l’ont battue, l’ont brûlée avec des cigarettes partout sur les bras. Elle refusait toujours. Les propriétaires n’arrêtaient pas de la harceler. Elle continuait à refuser, à se battre. Ils l’ont frappée avec leurs poings. Ils lui ont donné des coups de pied, encore et encore. Puis, elle a perdu conscience. Elle restait étendue. Ils ont continué à la battre. Elle ne bougeait pas. Elle ne respirait plus. Les visages des propriétaires étaient impassibles. Ils l’ont simplement transportée à l’extérieur.
    Ce que je viens de vous lire n’est pas un simple fait. Ce n’est absolument pas une fiction. C’est un petit exemple des horreurs qui surviennent dans le monde, et même ici, au Canada. C’est ce livre, The Natashas, qui a sonné l'alarme pour nombre d'entre nous. Nous nous sommes sentis coupables d’ignorer les graves situations que vivent des centaines de milliers de femmes esclaves. Nous sommes bien en sécurité dans le cocon de notre existence, de notre vie parfaite.
    Je pense que des personnes ordinaires peuvent accomplir de grandes choses. C’est pourquoi je suis devenue bénévole. Je crois fermement que les gouvernements peuvent former des partenariats avec des ONG et des groupes communautaires en vue de jouer un rôle à l’échelle internationale.
    Permettez-moi maintenant de vous faire part de certaines des réalisations de nos bénévoles. Help Us Help The Children est un projet du Children of Chernobyl Canadian Fund. Nous travaillons en Ukraine depuis 12 ans. Nous offrons des soins médicaux et de l’enseignement dans les orphelinats ukrainiens.
(1130)
    Lors du 10e gala anniversaire, Victor Malarek était notre conférencier invité. Il a attiré notre attention sur le fait que les orphelins constituent une proie toute désignée pour les prédateurs, en ce qui concerne les enfants qui quittent l’orphelinat, les enfants qui peuvent être vendus par des directeurs d’orphelinat corrompus. C’est à ce moment-là que nous avons décidé de créer le projet de lutte contre la traite des personnes Help Us Help The Children.
    J’ai mentionné certaines de nos activités en Ukraine parce que je pense sincèrement que notre expérience à l’échelle internationale, comme celle des ONG qui se trouvent à cette table, peut également être utile ici, au Canada. Nous avons entre autres travaillé avec des groupes de femmes et mis sur pied des programmes éducatifs, etc. Cette expérience peut facilement s’intégrer au système canadien.
    Nous avons organisé des événements de sensibilisation au Canada, aux États-Unis et en Ukraine. J’ai déjà mentionné les programmes éducatifs qui sont offerts dans les orphelinats ukrainiens lors de nos camps d’été ainsi qu’aux directeurs d’orphelinats. C’est avec plaisir que nous avons appris que ces programmes, créés ave l’aide de l’Organisation internationale pour les migrations (OIM), seront intégrés au système d’enseignement secondaire en Ukraine. Nous pourrions modifier ces programmes pour les adapter aux écoles secondaires du Canada, dans le but d’informer les jeunes Canadiennes des dangers auxquels elles peuvent s’exposer, par exemple, dans les agences de mannequins.
    Nous sommes également fiers de notre projet de sensibilisation à la traite des personnes, qui a été financé par l’OIM et qui, à l’avenir, fera appel aux partenaires de l’ACDI. Dans le cadre de ce programme, une équipe formée d’instructeurs et de bénévoles se rend dans divers orphelinats situés dans les villes frontalières de l’Ukraine, où on croit que les orphelins pourraient être davantage menacés par la traite des personnes. Nous sommes également reconnaissants à Son Excellence l'ambassadrice Dann pour son écoute et son soutien à nos projets et à nos aspirations en Ukraine comme au Canada.
    Je vais maintenant vous parler de la situation au Canada.
    Ce n’est pas seulement la communauté ukrainienne du Canada qui a besoin de prendre conscience des problèmes liés à la traite des personnes. C’est pourquoi on a créé la Stop the Trafficking Coalition, dont les activités s’étendent de Vancouver à Montréal. Pour commencer, nous avons élaboré un plan d'action détaillé pour contrer la traite des personnes au Canada. Les enjeux sont si vastes que nous ne savions par où commencer. Nous avons donc rassemblé tous les faits et nous avons examiné ce que nous pouvions faire. Ce n’était pas extrêmement réjouissant. Nous avons retenu quelques problèmes importants auxquels nous pourrions nous attaquer et qui nous permettraient d’aller de l'avant. Il s'agissait de problèmes liés aux lois, à leur application et à l’aide à apporter aux victimes.
    De concert avec d’autres organismes, nous avons entretenu des liens avec les représentants de la Sous-direction des questions d’immigration et de passeport de la GRC afin de nous assurer de meilleurs résultats dans l’aide apportée aux victimes de la traite des personnes. Nous avons mis sur pied un groupe d’interprètes bénévoles, qui offre ses services aux programmes d'aide aux victimes administrés par les autorités policières.
    Nous avons pris contact avec des centres d’hébergement et des ONG de Toronto dans le but de les sensibiliser davantage aux victimes éventuelles qui pourraient s’adresser à eux. De fait, nous n’avons pas trouvé de centres d’hébergement vraiment en mesure de s'occuper des victimes de la traite des personnes, c'est-à-dire des centres qui ont les moyens de traiter les problèmes d’ordre social, spirituel et sécuritaire des victimes en vue de leur fournir une protection adéquate.
    Nous avons organisé plusieurs campagnes épistolaires. Certains d’entre vous ont peut être reçu une lettre de ma part. Je remercie ceux qui ont répondu.
    Nous avons également participé au Forum sur la traite des personnes, qui s’est tenu à Ottawa, en mars 2004. L’événement a été commandité par le ministère de la Justice et Condition féminine Canada. Le lendemain, nous avons participé à une réunion animée par le Groupe de travail interministériel sur la traite des personnes, au cours de laquelle nous avons présenté notre plan d'action et proposé un projet de loi d'intérêt privé. Pour ceux qui le désirent, nous pouvons leur remettre des copies de ce projet de loi. Nous sommes comblés, puisque le projet de loi C-49 et les récentes lignes directrices répondent en partie à nos désirs.
    Nous nous sommes également occupés des problèmes d'ordre médical que les victimes de la traite des personnes peuvent avoir. Je travaille dans un grand hôpital universitaire de Toronto où j’ai rencontré deux collègues qui ont rédigé plusieurs documents traitant de la question. Je les ai mis en contact avec le Groupe de travail interministériel sur la traite des personnes. Ils sont prêts à donner de l’information aux médecins et aux travailleurs de la santé sur la question, puisque des victimes peuvent les consulter. Nous attendons toujours une réponse.
(1135)
    Nous nous sommes concentrés sur les victimes provenant des pays de l’Est, mais nous sommes conscients qu’il s'agit d’un problème social et économique plus vaste qui a des échos partout dans le monde. C’est une crise d'envergure mondiale. Nous avons établi des liens avec divers groupes afin de tirer profit de leurs connaissances.
    Vous avez déjà entendu parler de beaucoup de ces groupes, et certains sont représentés ici aujourd’hui. Permettez-moi d’en mentionner deux en particulier. Nos amis du Congrès des Ukrainiens canadiens témoigneront devant vous. Nous avons eu le privilège de travailler étroitement avec les gens de cet organisme en 2004 pour l’élaboration de nouvelles résolutions sur les mesures à prendre contre la traite des personnes.
    J’aimerais également mentionner The Future Group. Beaucoup d’entre vous connaissent son étude de 40 pages, publiée en mars 2006 et intitulée « Falling Short of the Mark ». Ce rapport a été affiché sur Internet.
    D’après ce rapport, le Canada n’offre pas aux victimes la possibilité d’un séjour temporaire pour qu’elles puissent se remettre de leurs épreuves et obtenir des soins médicaux de base. L’étude a été diffusée au Canada et à l’étranger. Comme on sait, le 11 mai, Citoyenneté et Immigration Canada a annoncé l’adoption de nouvelles mesures visant à aider les victimes de la traite des personnes, des mesures qui doivent maintenant être mises en œuvre de manière efficace.
    Ce que nous demandons au gouvernement canadien? Quelles doivent être les responsabilités des pays d’où proviennent les victimes, des pays où elles sont envoyées et des pays où elles passent en transit? Le Canada fait partie de toutes ces catégories.
     Pouvez-vous conclure rapidement, madame Soltys? Nous pourrons aborder certains éléments de votre exposé lors de la période des questions.
    Très bien. Je vais juste résumer les actions que, selon moi, le gouvernement devrait entreprendre: relancer les activités du Groupe de travail interministériel sur la traite des personnes; revoir son mandat; établir une collaboration entre ce groupe et les ONG afin de mettre en œuvre des stratégies de réadaptation à l’intention des victimes, et fournir le financement adéquat.
    Nous devons nous assurer que les victimes reçoivent des services complets dans leur langue. Ces services doivent porter sur la santé, la réadaptation sociale et spirituelle, la protection et l’hébergement des victimes.
    Par « hébergement », j’entends des maisons sûres financées par le gouvernement fédéral, dans lesquelles les victimes seront protégées contre les trafiquants. Nous recommandons vivement la mise en œuvre rapide et efficace des lignes directrices. Si les victimes savent qu’elles seront en sécurité dans ces maisons d’hébergement, elles seront probablement plus enclines à porter plainte, ce qui permettra aux personnes responsables de faire les arrestations qui s’imposent.
    Nous encourageons les agents chargés de l'application de la loi à continuer de surveiller activement les sites de clavardage, les sites de mariage par correspondance, les agences de mannequins, les salons de massage, les publicités des agences d’hôtesses et les petites annonces dans les journaux. Nous savons que les apparences sont trompeuses et que certaines entreprises ne sont pas ce qu’elles prétendent être. Si des hommes ou des utilisateurs peuvent trouver des femmes par ces moyens, les policiers peuvent également les trouver. De plus, je recommande fortement que la GRC obtienne les fonds nécessaires pour accomplir sa mission efficacement.
    Madame Soltys, pourriez-vous nous faire part de vos recommandations un autre jour, afin de nous assurer que le comité obtiendra tous les éléments? Nous pourrons peut-être aborder certaines de vos recommandations durant la période des questions.
    Je comprends que c'est difficile. Le problème est que le comité ne se réunit que pendant deux heures. L’information que vous avez à nous transmettre est très utile et très importante, mais nous devons entendre les autres témoins. Essayons de garder vos commentaires pour la fin de la période des questions.
    Nous passerons à Mme Wolski.
    Madame Wolski, essayez de faire votre témoignage en dix minutes, s'il vous plaît.
    Merci beaucoup.
    Merci beaucoup.
    Je m'appelle Erin Wolski. Je représente aujourd'hui la présidente de l'Association des femmes autochtones, Beverley Jacobs, qui vous prie de l'excuser car elle était dans l'impossibilité de venir témoigner devant votre comité.
    Je suis membre de la Première nation crie de Chapleau dans le Nord de l'Ontario, où je suis née et j'ai grandi. Encore une fois, merci de nous permettre de venir témoigner devant votre comité aujourd'hui.
    D'abord, je tiens à reconnaître le territoire algonquin sur lequel nous nous trouvons actuellement.
    Je vais centrer mon exposé sur trois grands thèmes qui touchent le trafic des personnes. Premièrement, je vais faire des commentaires généraux sur la question, et attirer votre attention sur le fait que le Canada est un pays source. Deuxièmement, je vais mettre en évidence certaines lacunes de la recherche et faire des suggestions sur les meilleurs moyens de combler ces lacunes. Et troisièmement, j'aimerais attirer votre attention sur certains des liens que l'on pourrait faire entre le trafic de personnes et la situation des femmes autochtones au Canada aujourd'hui. Et quatrièmement, je conclurai en présentant des recommandations précises sur la façon dont le Canada, à notre avis, devrait aller de l'avant et agir de façon proactive pour contrer cette activité criminelle rampante.
    Qu'est-ce que le trafic de personnes?
    Le problème du trafic de personnes est une question qui nous inquiète particulièrement, tout comme l'ensemble des femmes autochtones au Canada. Le trafic de personnes, c'est l'esclavage des temps modernes, qui prive les êtres humains de leur dignité fondamentale, favorise la corruption et le crime organisé et menace la santé individuelle et publique. Ce trafic est constitué de diverses violations des droits de la personne à l'échelle mondiale. C'est une tendance inquiétante que le Canada, malheureusement, n'a que très peu tenté de contrer.
    Le trafic de personnes est aussi un commerce extrêmement lucratif qui génère jusqu'à 10 milliards de dollars par année à l'échelle internationale. C'est l'activité criminelle la plus rampante, que l'on considère même comme plus lucrative que le trafic de stupéfiants. De fait, les sanctions imposées à ceux qui font le trafic d'êtres humains au Canada sont beaucoup moins rigoureuses que celles qui sont imposées pour le trafic de stupéfiants. Il s'agit d'une activité criminelle à faible risque, mais très lucrative, qui touche les secteurs les plus marginalisés de la population canadienne. Il est extrêmement troublant de savoir que des criminels peuvent acheter et vendre des êtres humains et que les conséquences de leurs gestes sont moindres que s'ils faisaient le commerce des drogues illicites.
    Les Nations Unies estiment qu'un million de personnes font l'objet de trafic d'êtres humains dans le monde entier chaque année. Au Canada, la majorité des personnes visées par ce phénomène sont les filles et les femmes de moins de 25 ans. On dit que le Canada est à la fois un pays de transit et de destination. Cela veut dire que le Canada sert de pays de transition pour le trafic d'êtres humains et que certaines personnes sont amenées au Canada en tant que travailleurs immigrants.
    La question que je pose aujourd'hui est la suivante: quelle est l'ampleur du trafic d'êtres humains en partance du Canada vers d'autres pays? C'est là un enjeu essentiel. Nous ne possédons pas de connaissances sur le Canada en tant que pays source.
    Est-ce que les femmes et les filles canadiennes elles-mêmes sont ciblées par les trafiquants? C'est là une question qui nous inquiète particulièrement, étant donné que les femmes autochtones sont les plus vulnérables à ce genre d'activité. Si, en fait, les femmes et les filles canadiennes sont victimes de trafic de personnes, il y a fort à parier que les femmes autochtones sont les cibles de ce trafic.
    En ce qui concerne les lacunes de la recherche et les mesures à prendre pour les combler, disons qu'il faut accroître la recherche. Il ne fait aucun doute que l'on manque de connaissances rigoureuses sur la question du trafic de personnes au Canada. Cependant, la recherche doit aller bien au-delà des définitions du phénomène pour aborder le problème en regard des droits de la personne et de l'élément socio-économique, ce qui nous permettra d'en découvrir les causes profondes.
    Les méthodes que nous choisirons détermineront les stratégies que nous utiliserons pour faire face à ce problème et, en bout de ligne, réussir à l'enrayer. Les mesures qu'a adoptées le Canada pour contrer ce phénomène sont axées sur le contrôle frontalier et la sécurité nationale. Cependant, la portée du phénomène du trafic de personnes est beaucoup plus large et il nous faut le définir tel qu'il est. C'est un problème qui repose sur les disparités sociales et économiques. C'est un problème qui touche les droits de la personne.
    À notre avis, les lacunes décelées dans l'information et l'approche restrictive adoptée par le Canada jusqu'à maintenant sont tout à fait inacceptables. Nous espérons amener les gens aujourd'hui à mieux comprendre les racines de ce phénomène. Cette approche, bien que décourageante, est nécessaire si l'on veut espérer un jour venir à bout du problème du trafic de personnes au Canada.
    Il est aussi extrêmement important de concevoir et de mettre en oeuvre un système de surveillance du phénomène à l'échelle nationale. Les activités doivent être quantifiées, mesurées et surveillées. Il faut faire de la recherche dans le domaine qui soit concentrée spécifiquement sur les Autochtones et les sexes.
    J'aimerais discuter des liens qui existent entre le trafic de personnes et les femmes autochtones. Je crois qu'il est important de déterminer les indicateurs qui permettent de montrer que les femmes et les filles autochtones canadiennes, en particulier, sont des proies faciles pour les criminels et les organisations qui font le trafic d'êtres humains.
(1140)
    Parmi les 500 dossiers et plus de femmes autochtones manquantes et assassinées au Canada, combien ont été victimes de ce phénomène international? Nombre de nos soeurs ont simplement disparu de la face de la terre, leurs familles et leurs parents s'accrochant désespérément à l'espoir qu'elles reviendront un jour ou qu'on les trouvera.
    Il est évident, au fur et à mesure que le nombre de femmes autochtones déclarées disparues augmente et que la grande majorité de ces cas ne font pas l'objet d'une enquête, que ce genre de trafic doit être examiné et perçu comme une source possible d'information. Nous ne pouvons pas dire que le trafic de personnes est une tendance qui ne touche pas nos femmes, dont certaines, comme vous le savez, sont dans des situations d'extrême vulnérabilité.
    Il faut reconnaître ici qu'il y a des liens entre les deux. D'après la recherche, les victimes de trafic de personnes proviennent des groupes les plus pauvres et les plus défavorisés de la société. Les femmes autochtones cadrent bien dans cette description car 40 p. 100 d'entre elles vivent dans la pauvreté au Canada. Plus de la moitié d'entre elles âgées de 15 ans et plus sont sans emploi. Plus de la moitié d'entre elles sont chefs de famille monoparentale dont les besoins en matière de logement sont criants.
    Les femmes autochtones courent un risque plus grand de devenir alcooliques et toxicomanes, et leur espérance de vie est de cinq à six ans de moins que celle des femmes non autochtones.
    Amnistie Internationale a signalé que le Canada n'assure souvent pas un niveau de protection adéquat aux femmes autochtones. On en veut pour preuve les statistiques suivantes.
    Les femmes autochtones sont trois fois plus susceptibles d'être victimes de violence. Les jeunes femmes sont huit fois plus susceptibles de se suicider. Les femmes autochtones constituent près de 30 p. 100 de la population carcérale féminine au Canada. Le nombre de femmes autochtones dans les établissements fédéraux augmente à un rythme supérieur à celui des hommes autochtones.
    Beaucoup de femmes autochtones, ce qui constitue un phénomène alarmant, subissent la violence au Canada à cause de leur sexe et de leur race. Les femmes autochtones affichent le taux de mobilité le plus élevé. Près de 60 p. 100 de nos femmes ont changé de lieu de résidence au cours des cinq dernières années.
    Les femmes autochtones ont hérité de cette discrimination prévue par la loi qui a des répercussions sur tous les aspects de nos vies et de celle de nos enfants.
    On constate une activité assez importante en provenance de la Colombie-Britannique, ce qui indique que cette région du pays est souvent utilisée par les trafiquants pour transporter leurs victimes. Le lien à faire ici est le nombre sans cesse croissant de femmes autochtones déclarées disparues de la Colombie-Britannique. Les chiffres sont élevés et continuent d'augmenter, comme vous le savez.
    Dans le quartier Downtown East Side, 70 femmes sont actuellement déclarées manquantes. Nous estimons que le tiers de ces femmes sont des Autochtones.
    Comme vous le savez peut-être, le secteur de l'Autoroute 16 est le secteur où les résidents de la Colombie-Britannique estiment que le nombre de femmes manquantes est supérieur à 30 — et toutes sont Autochtones, sauf une.
    Compte tenu des preuves de plus en plus nombreuses que les femmes autochtones doivent relever les défis les plus difficiles sur le plan socio-économique au Canada, on peut se demander dans quelle mesure les liens avec le trafic d'êtres humains sont solides. Et compte tenu du peu d'information dont on dispose sur le Canada en tant que pays source, nous sommes en droit de nous poser des questions.
    Manifestement, nous ne pouvons nier les liens qui existent entre la discrimination, la pauvreté, la violence, la toxicomanie et l'incarcération. Les femmes autochtones sont forcées de vivre des situations désespérées afin de subvenir aux besoins de leurs familles et de survivre.
    Je vais maintenant vous faire part de nos recommandations. Comme il a été précisé, les mesures adoptées jusqu'à maintenant ne constituent pas une véritable solution au problème, et ne mettent pas non plus l'accent sur les causes structurelles du trafic d'êtres humains. Il arrive trop souvent que notre société choisisse de s'attaquer aux symptômes plutôt que de découvrir et d'aborder les facteurs sous-jacents, c'est-à-dire les causes mêmes du problème.
    Nous aimerions que le gouvernement fédéral s'engage à long terme à appuyer la recherche probante portant spécifiquement sur les femmes autochtones. Il nous faut mieux comprendre l'ampleur du phénomène du trafic de personnes pour être en mesure de déterminer s'il s'agit d'un phénomène qui nécessite une attention particulière, car il concerne un nombre élevé de femmes autochtones déclarées manquantes au Canada.
    Nous aimerions que soit adoptée une stratégie nationale sur le trafic de personnes. Outre le Groupe de travail interministériel sur le trafic de personnes, on devrait adopter des approches axées sur la collaboration.
    Nous aimerions participer à l'élaboration et à la mise en oeuvre de cette stratégie nationale.
    Enfin, nous demandons que l'on mette fin à la pauvreté. L'Assemblée des Premières nations mène actuellement une campagne nationale de lutte contre la pauvreté. Dans certains cas, la pauvreté est sans aucun doute une cause première qui force les femmes autochtones à vivre des situations où les risques sont élevés. L'APN en fait un enjeu dont il faut discuter. Le Canada doit reconnaître et aborder certaines des causes premières de cette situation.
    Voilà. Je tiens à vous remercier de m'avoir écoutée aujourd'hui, et j'espère sincèrement que nous pourrons travailler ensemble pour trouver des solutions à ces problèmes.
(1145)
    Merci beaucoup.
    Madame Jean et madame Matte, si vous voulez bien continuer...

[Français]

    Bonjour. Mon nom est Rhéa Jean. Je suis doctorante en philosophie à l'Université de Sherbrooke. Ma thèse porte sur les questions éthiques relatives à la prostitution. Je ne suis pas une spécialiste de la traite des personnes, mais j'ai participé, avec Diane, à une recherche sur le trafic sexuel des femmes au Québec. Je parlerai davantage de la prostitution de façon générale, mais en établissant des liens avec la traite des personnes. Diane, pour sa part, abordera davantage de celle-ci.
    Ma position, dite abolitionniste, est également celle de l'ensemble des membres de la CLES, soit la Concertation des luttes contre l’exploitation sexuelle. Cette coalition, fondée en mai 2005, rassemble des groupes de femmes et des universitaires. Elle cherche à sensibiliser la population au problème de l'exploitation sexuelle, notamment à la prostitution et à la traite des femmes à des fins sexuelles.
    Je considère, tout comme les membre de la CLES, que la traite des femmes à des fins de prostitution est liée directement au fait que notre société banalise la prostitution. À mon avis, la nature du geste d'un client qui paie les services d'une femme trafiquée et celui d'un autre qui paie les services d'une femme locale est le même. Les gestes sont les mêmes et sont à mon avis tout aussi répréhensibles. Pourquoi? Parce qu'en payant pour des services sexuels, l'individu oublie qu'il a devant lui une autre subjectivité, un individu qui a son propre vécu, ses émotions, etc. En payant, il croit qu'il peut exiger des rapports sexuels, que cela fait partie d'un contrat. Il ne se rend pas compte que la prostitution affecte la vie de ces femmes, hommes, jeunes ou enfants.
    Une des grandes avancées du féminisme a consisté à faire prendre conscience aux gens qu'on ne pouvait exiger du sexe, sous aucune considération. Prenons l'exemple de la loi qui porte sur le harcèlement sexuel. Elle a permis qu'on se sensibilise au fait que le sexe ne devait pas faire partie du travail. Je vous pose la question: en considérant la prostitution comme un travail, comme le font certains individus et certains groupes, ne sommes-nous pas en train de détruire nos acquis et de rendre légitime l'idée que le sexe peut faire partie du travail, d'un emploi?
    Le féminisme a permis une autre avancée, et c'est la criminalisation du viol conjugal. Cette loi a permis à la société de prendre conscience que la sexualité ne pouvait pas être exigée, même dans un contexte conjugal. À mon avis, criminaliser l'achat de services sexuels — et non de la vente, je le précise — est dans le même ordre d'idées que ces deux avancées du féminisme. Il s'agit de sensibiliser la population au fait que la sexualité est trop importante, intime et personnelle pour qu'on puisse l'exiger, l'acheter, en faire un travail ou l'objet d'un contrat.
    Je crois qu'une réflexion de fond s'impose, non seulement sur la traite des femmes mais aussi sur la prostitution. Selon moi, nous devons évaluer la prostitution en termes d'éthique, considérer ce qu'elle présuppose de rapports de force entre les individus, d'inégalité économique et d'inégalité entre les sexes. Il faut remettre en question la prostitution pour développer une éthique sexuelle aussi bien qu'une éthique de travail. Le sexe peut-il faire partie du travail sans que la vie des travailleurs en soit aliénée? Le travail peut-il faire partie du sexe sans que la sexualité des individus en soit aliénée? À ces deux questions, je réponds non.
    La Suède a refusé de considérer la prostitution comme un travail. En effet, pour plusieurs citoyens de ce pays socialement avancé, l'opposition à la prostitution constituait une étape normale de la lutte contre l'exploitation sexuelle. Du coup, la Suède a réussi à diminuer considérablement la traite des femmes sur son territoire. Je crois qu'au Canada, nous devrions suivre l'exemple de la Suède et lutter contre l'exploitation sexuelle plutôt que tenter de la ménager.
    Je cède maintenant la parole à Diane Matte.
(1150)
    Je vais me concentrer sur deux points, soit le travail du groupe de recherche sur le trafic sexuel au Québec et les propositions de la CLES concernant la traite des personnes et la prostitution au Canada.
    Je veux d'abord préciser que la mise sur pied de CLES a été, entre autres, une initiative de la Marche mondiale des femmes, un réseau dont j'étais, jusqu'à tout récemment, la coordonnatrice. Il s'agit d'un réseau d'action mondiale qui est présent dans 68 pays et qui lutte contre la pauvreté et la violence envers les femmes. Dans l'actuel contexte de mondialisation néo-libérale, qui s'alimente d'inégalités, notamment entre les hommes et les femmes, nous sommes particulièrement préoccupés, depuis quelques années, par la militarisation accrue, qui force de plus en plus de personnes, particulièrement des femmes, à se déplacer à l'intérieur de leur propre pays ou d'un pays à un autre. Selon nous, la marchandisation du corps des femmes est devenue un des enjeux primordiaux du début de ce millénaire.
    Pour cette raison, on a travaillé à la mise sur pied de la CLES et contribué à établir un groupe de recherche sur le trafic sexuel au Québec. On se demande souvent s'il y a du trafic sexuel, quelle forme il prend, etc. Le rapport du groupe de recherche sera disponible sous peu, mais je veux dès aujourd'hui vous donner quelques exemples de cas que nous avons été à même de documenter et qui montrent la complexité à laquelle on fait face quand on veut intervenir.
    Le premier exemple est celui d'une femme que j'appellerai Maria. Originaire de l'Éthiopie, elle souhaitait quitter son pays parce qu'elle y vivait une situation de violence. Elle a rencontré l'ami d'un ami qui a dit pouvoir la faire entrer au Canada et lui trouver un travail. Elle a accepté de le suivre, même si elle n'avait pas l'argent nécessaire pour le payer. Il lui avait dit à ce sujet que ce n'était pas grave, qu'une fois rendue, elle aurait un bon travail et pourrait le rembourser de façon sporadique. Elle l'a suivi et a réussi à passer les douanes avec lui.
    Aussitôt sur le territoire canadien, il l'a amenée dans un motel où deux complices les attendaient. Pendant une semaine, on l'a battue et violée. On lui a expliqué que son travail au Canada serait la prostitution. Après cinq jours de ce traitement, elle a eu la chance de réussir à s'enfuir et de rencontrer quelqu'un dans la rue qui lui a indiqué comment se rendre à un centre d'aide pour immigrants. On a pu alors l'aider à entamer le processus visant à obtenir le statut de réfugié. Or, les trafiquants ont réussi à la retracer et à prendre contact avec elle, même au centre pour immigrants. Elle a donc dû disparaître dans la nature, pour sa propre sécurité. Au moment où on se parle, elle est quelque part au Canada. On espère qu'elle est saine et sauve, mais on n'a plus de nouvelles d'elle.
    Le deuxième exemple est celui d'une femme de la Jamaïque qui a réussi à obtenir un visa, probablement à titre de touriste, pour venir au Canada. Elle est restée après l'expiration de son visa, devenant par le fait même une immigrante illégale. Dans la rue, à Montréal, elle a rencontré un homme, qu'on appellera Robert. Ils sont devenus amis. Elle est par la suite tombée amoureuse de cet homme. Quelques semaines ou quelques mois après le début de leur relation, il l'a amenée dans un bar de danseuses et lui a dit qu'elle était une immigrante illégale et qu'elle devrait faire comme ces filles, c'est-à-dire danser pour lui. Pendant six ans, elle a été sous l'emprise de ce proxénète, qui l'a fait circuler partout au Canada. Cette femme a elle aussi décidé d'agir. Elle a dénoncé le proxénète à la police. Après les premiers contacts avec les policiers, elle a décidé qu'elle ne voulait pas continuer et elle s'est elle aussi évanouie dans la nature ici, au Canada.
    La troisième situation est celle d'une femme d'origine russe qui est entrée ici dans le cadre du programme de réunification des familles. Son père — du moins on suppose que c'était son père — était ici, au pays. Aussitôt qu'elle est arrivée au Canada, on lui a offert du travail dans un salon de massage. Elle y travaille présentement sept jours par semaine, 17 heures par jour, dans le seul but de faire venir sa mère au Canada.
(1155)
(1200)

[Traduction]

    Madame Matte, pourriez-vous conclure, s'il vous plaît?

[Français]

    Oui.
    Ces exemples vous donnent une idée de la complexité du problème. Ils nous indiquent aussi qu'on ne peut pas dissocier la traite de la prostitution. La CLES insiste particulièrement sur le fait qu'on ne peut pas — et ça concerne avant tout le gouvernement canadien — adopter une loi qui, d'un côté, dénonce le trafic sexuel et fournit des outils pour le combattre et, d'un autre côté, reste floue et incite à se cacher la tête dans le sable en ce qui concerne l'industrie de la prostitution. On sait en effet que la traite alimente cette industrie. Le Code criminel du Canada est plus que déficient sur ce plan.
    Je pourrai à cet égard vous laisser notre document. La CLES a en effet commencé à déterminer à quoi pourrait ressembler la loi cadre canadienne. Elle traiterait de la question de l'exploitation sexuelle et prévoirait des mesures dans les quatre domaines suivants: l'importance de l'éducation et de la sensibilisation auprès des femmes et des jeunes femmes, particulièrement celles d'ici mais aussi celles d'autres pays; la protection et l'offre d'autres choix aux femmes qui travaillent dans le domaine de la prostitution et qui sont sous l'emprise de réseaux de trafiquants; la criminalisation des proxénètes — il y a malheureusement une très grande tolérance au proxénétisme au Canada présentement —; et, le dernier mais non le moindre des aspects, la criminalisation des clients. En effet, la traite et l'industrie de la prostitution existent parce que des hommes veulent consommer des corps de femmes et de jeunes filles.
    Merci.

[Traduction]

    Merci beaucoup à tout le monde. Si vous souhaitez remettre des recommandations à la greffière, nous nous assurerons que tous les membres du comité en auront une copie ou encore si vous voulez faire des commentaires additionnels pour lesquels, malheureusement, nous n'avons pu vous donner assez de temps. Mais je pense qu'avec la période des questions, nous aurons la possibilité de les entendre. Nous allons entreprendre une première ronde de sept minutes. Sept minutes, c'est à la fois pour la personne qui pose la question et celle qui y répond. Alors s'il vous plaît, donnez des réponses les plus brèves possible et du mieux que vous pouvez le faire dans une situation difficile.
    Madame Minna.
    Merci, madame la présidente.
    D'abord, je tiens à remercier toutes les personnes qui ont fait un exposé. Chaque groupe nous ouvre les yeux sur une réalité légèrement différente à chaque jour, mais certains thèmes reviennent. Je vais les mentionner, sans peut-être les remettre en question, parce que je les accepte, en me basant sur ce que vous avez toutes dit, vous et les autres, au sujet de la nécessité de maisons d'hébergement capables d'apporter le soutien et la protection dont les femmes ont besoin.
    En ce qui concerne l'immigration, 120 jours... ce n'est pas assez long. Cette disposition devrait être revue, de sorte que les femmes ne craignent pas d'être expulsées du pays.
    En ce qui concerne la criminalisation de l'utilisateur, comme je le répète depuis des années... les gens commencent enfin à écouter. Je parle de cette question depuis longtemps parce que j'ai toujours estimé que cela aurait dû être le contraire.
    Cela mis à part, j'aimerais poser certaines questions précises. Madame Crawford, vous avez parlé du monde des mannequins, qui prend de l'expansion, et vous avez fait certaines recommandations. Si vous aviez une seule recommandation à faire, quelle serait-elle, pour réglementer cette activité commerciale et en resserrer les modalités?
    Quand on dit resserrer les modalités, cela veut dire qu'il existe déjà un mécanisme de surveillance. Il n'y a rien, donc la première étape serait d'informer les gens, la deuxième serait...
    Réglementer le secteur, c'est ce que vous dites.
    Oui. Il faudrait des permis, il faudrait respecter des normes pour représenter les mineurs, un point c'est tout.
    C'est tout à fait sensé, à mon avis.
    J'aimerais m'adresser à Mme Soltys et à la représentante des femmes autochtones, Mme Wolski.
    La sécurité économique des femmes au Canada était l'une des choses que nous devions discuter au sein de notre comité. Il s'agit ici de la sécurité économique des femmes canadiennes — tant les femmes autochtones que les autres.
    D'après ce que vous avez toutes les deux dit, il me semble que le fond du problème, c'est la sécurité économique. Vous avez dit, madame Soltys, que certaines femmes sont enlevées — c'est criminel. Mais il y a aussi un problème sous-jacent au problème économique. Madame Wolski, vous avez dit... et j'ai toujours pensé que c'était le cas, j'ai donc deux questions à vous poser.
    Si vous deviez formuler deux recommandations qui faciliteraient les choses dans le domaine économique et en ce qui concerne les autorités policières... parce que les femmes autochtones ne s'adressent peut-être pas à la police. Elles ont peur d'être jetées en prison, car elles sont très nombreuses à être incarcérées. On ne fait pas d'enquêtes sur celles qui ont disparu. Il y a donc un problème racial, qui s'ajoute au problème économique.
    J'aimerais bien comprendre certaines recommandations que vous avez présentées. Nous savons que le fond du problème est de nature économique. J'aimerais entendre certaines suggestions quant à la façon dont nous pourrions aborder ce problème de façon plus dynamique. J'ai certaines idées, mais j'aimerais entendre certaines des vôtres.
    Bien sûr, l'autre problème est alors le système juridique, le système policier, et la façon dont nous pourrions le changer et le structurer pour nous assurer qu'il y a enquête, à tout le moins qu'on assure la sécurité. Et bien sûr, les maisons d'hébergement, j'imagine, sont l'autre volet de la question... Mais comment pourrions-nous arrêter ce cycle?
(1205)
    Vos questions sont très intéressantes.
    Je vais commencer par les policiers. Je pense qu'il y a actuellement un manque flagrant de sensibilisation à la situation autochtone au Canada et un manque de connaissances à cet égard. Toutes les recrues qui sortent du centre de formation de Regina... Je sais pertinemment qu'il se donne très peu de cours de sensibilisation sur les peuples autochtones — sur les perspectives historiques — afin de mieux sensibiliser les recrues aux personnes avec qui elles vont traiter et mieux les comprendre. On doit mettre davantage l'accent sur les recrues et, en corollaire, donner des cours de mise à niveau aux agents qui sont sur le terrain.
    À mon avis, l'éducation et la sensibilisation sont deux éléments très importants, en ce qui concerne la GRC, pour améliorer les relations entre les peuples autochtones et ce corps policier. Ces relations remontent à 130 ans ou à peu près. Je pense qu'il y a beaucoup d'obstacles qui devraient être abolis.
    En ce qui concerne la question économique, comme je l'ai mentionné dans mon exposé, l'Assemblée des Premières nations est en train de mettre le gouvernement fédéral au défi d'abolir la pauvreté. Je n'ai pas eu la chance d'examiner son plan en détail, mais je pense qu'on doit avoir une stratégie nationale pour mettre un terme à la pauvreté, stratégie qui porte spécifiquement sur les peuples autochtones au Canada. Cette stratégie comprendrait plusieurs volets, j'en suis certaine — qui porteraient notamment sur les possibilités économiques, les possibilités d'éducation, les problèmes dans les collectivités et les raisons pour lesquelles les femmes en particulier quittent leurs territoires à la recherche d'une vie meilleure dans les centres urbains et qu'elles se retrouvent dans des situations semblables dans ces villes, où elles ne peuvent pas avoir accès à un logement, elles ne sont pas capables de nourrir leurs enfants et de leur assurer un toit; elles se retrouvent dans des situations où elles sont forcées de vivre un mode de vie fortement risqué.
    Selon moi, l'élément pauvreté est crucial.
    Madame Mourani.

[Français]

    Je voudrais vous remercier de vos témoignages. J'aimerais poser une question à Mme Wolski.
    Vous avez parlé du trafic des femmes autochtones, qui continue d'augmenter. Peut-être pourriez-vous m'éclairer sur un sujet sur lequel je me questionne depuis longtemps.
    Pensez-vous qu'il existe un groupe de crime organisé autochtone, qu'il s'agisse de trafic de drogues, de prostitution ou de trafic de jeunes, qui tient en otage une communauté? Le cas échéant, est-ce que ce type de crime organisé, comme tous les autres, d'ailleurs, contrecarre parfois des initiatives de la police?
    L'année dernière, bien avant l'affaire Gabriel, le gouvernement du Québec a mis sur pied une opération visant à régler le compte de certains groupes criminels organisés. Or, elle est tombée à plat.
    Pensez-vous que ce trafic de femmes soit lié au crime organisé autochtone, qui est ancré dans une communauté?
(1210)

[Traduction]

    En fait, rien n'indique que c'est le cas. Il se fait beaucoup de trafic de personnes en Colombie-Britannique, et nous savons que certaines organisations de cette province ciblent les enfants de 13 et 14 ans dans les collectivités autochtones. Or, il se fait très peu de recherche sur la question. Malheureusement, je ne suis pas en mesure de répondre à votre question de façon très intelligente. On peut échafauder des hypothèses sur la situation dans nos collectivités, mais tant que nous ne nous concentrerons pas spécifiquement sur le problème, votre évaluation de la situation est aussi bonne que la mienne.

[Français]

    C'est plus difficile.
    Une partie de ma question visait à savoir si, à votre avis, il existait un crime organisé autochtone.

[Traduction]

    Je ne crois même pas être en mesure de répondre à cette question.

[Français]

    Ça va.
    J'aimerais poser une question à Mme Crawford.
     Vous avez dit qu'il fallait réglementer les normes relatives aux agences de mannequins. Pensez-vous que l'interdiction de recruter des mineurs pourrait être imposée? Avez-vous des normes bien spécifiques à proposer?

[Traduction]

    La question est un peu tendancieuse. À l'échelle internationale dans le secteur, l'âge moyen est de 14 à 17 ans. Donc, si nous devions établir une norme précisant que nous ne pouvons recruter des mineurs, cela viendrait décimer notre secteur d'activités à l'échelle internationale. Je ne sais pas si c'est réaliste d'agir ainsi, si nous voulons demeurer concurrentiels au niveau mondial. Je pense que tous les groupes qui travaillent avec des enfants devraient être assujettis aux mêmes normes, que ce soit la vérification des antécédents, l'enregistrement obligatoire, ou autre chose.
    Je ne suis pas avocate. Je ne connais pas grand-chose à l'enregistrement d'une entreprise, mais je crois que la plupart des sociétés qui emploient des enfants devraient faire l'objet de certaines vérifications. Il y a des vérifications des antécédents. Beaucoup de choses sont imposées aux personnes qui travaillent avec les enfants. Pour moi, c'est très important.
    Est-ce que je souhaiterais que les mannequins aient plus de 14 ans? Absolument. Est-ce que cela reflète la situation actuelle de notre industrie dans le monde? Non. Donc c'est une question à laquelle il est difficile de répondre.

[Français]

    Oui, madame la présidente?

[Traduction]

    Vous avez deux minutes.

[Français]

    D'après ce que je comprends, le recrutement des mannequins de 14 à 17 ans est une norme internationale, et si le Canada décidait de son côté de recruter des mannequins de 18 ans et plus, il réduirait la compétitivité canadienne dans ce domaine.
    Il faudrait qu'une discussion se tienne et que tous les pays ratifient un protocole établissant à 18 ans l'âge minimum des mannequins. Si j'ai bien compris, vous seriez d'accord pour qu'on n'ait pas recours à des mineurs.

[Traduction]

    Je suis d'accord, j'aimerais faire de la recherche et vous revenir là-dessus.
    Je sais qu'en Italie, il y a quelques années, la personne devait avoir 16 ans avant de pouvoir travailler à Milan. Je ne sais pas si c'est encore le cas aujourd'hui. Il fut un temps où cela était un problème à cause de certaines choses qui se sont produites à Milan. Certaines des filles avaient 13, 14 et 15 ans, on a donc imposé un âge limite. À ce que je sache, c'est le seul pays qui ait pris une telle initiative, mais il s'agissait là d'une réaction directe à certaines des choses qui se passaient là-bas.
    Je souhaiterais vraiment que l'âge des mannequins soit élevé, parce que je ne crois pas qu'à 15 ou 16 ans, on soit vraiment en mesure de faire face à des choses qui se produisent lorsqu'on voyage et qu'on vit dans un pays étranger tout seul, peu importe que l'on soit mannequin ou pas.
(1215)

[Français]

     J'aimerais poser une dernière question.

[Traduction]

    Je suis désolée, mais votre temps est écoulé.
    Madame Smith.
    Merci, madame la présidente. Je tiens à remercier tous les témoins d'aujourd'hui pour leurs exposés fort inspirants et les efforts que ces dames ont déployés pour venir nous rencontrer.
    Ma première question s'adresse à vous, madame Crawford. La Chambre des communes est actuellement saisie d'un projet de loi visant à hausser l'âge du consentement au Canada. Légalement parlant, une personne âgée de 14 ans et un adulte peuvent avoir des relations sexuelles. Nous avons déjà essayé de hausser l'âge du consentement. Nous voulons essayer de nouveau.
    À votre avis, est-ce que le fait de hausser l'âge du consentement pour l'activité sexuelle serait utile au Canada? Quand vous dites qu'il y a dans votre secteur des hommes plus âgés et des jeunes filles, des mineures, est-ce que cela serait utile? C'est ma première question.
    Ma deuxième question s'adresse à Irena Soltys. Pourrait-elle faire des commentaires sur le rôle des hommes ici? Les hommes que je connais n'achèteraient jamais les faveurs sexuelles de quelqu'un. J'en serais vraiment surprise. Que devons-nous faire pour amener plus d'hommes au Canada à faire adopter cette initiative? Les hommes et les femmes ont des filles, c'est donc un problème pour nous tous; ce n'est pas simplement un problème qui intéresse les femmes.
    Cela dit, peut-être pourriez-vous vous relayer et ensuite j'aimerais poser deux autres questions à nos autres témoins.
    Oui, je pense que le fait de hausser l'âge du consentement serait certainement utile car il n'y aurait plus de confusion lorsqu'un agent ou un dépisteur ou quelqu'un en position de pouvoir par rapport à une jeune fille exerce ce pouvoir et que les choses se gâtent. Je suis convaincue qu'aucune jeune fille de 14 ans ne veut vraiment se retrouver dans une telle situation. Je n'en ai pas encore rencontré.
    Donc, oui, hausser l'âge du consentement serait un bon point de départ. On ne se demanderait plus si cette jeune fille de 14 ans, dans telle ou telle circonstance, à tel moment, voulait vraiment être là.
    Merci.
    Quant à savoir comment intéresser les hommes à la question, c'est un sujet un peu difficile pour eux, parce que ce sont surtout eux qui créent la demande. C'est donc une question d'éthique que les hommes doivent examiner.
    Toute information qui pourrait leur être donnée serait utile. De nombreux éléments portent sur les préjugés à l'égard des femmes, et surtout les préjugés à l'égard des femmes victimes de trafic de personnes. Je ne veux pas pointer du doigt les forces policières, mais je crois qu'elles sont surtout composées d'hommes. Elles ne doivent pas considérer les femmes victimes de trafic comme des prostituées ou des filles de la rue; il faut reconnaître le fait que ces femmes ont été asservies et qu'il ne faut pas les prendre pour des criminelles. Ce changement ne pourra se faire que par le biais de l'éducation ou de l'information qui pourra être donnée chaque fois qu'on pourra le faire.
    Je vous mets au défi de vous adresser à un agent de police, qui est en train de vous donner une contravention de stationnement ou pour excès de vitesse, et de lui demander ce qu'il connaît du trafic d'êtres humains. D'après mon expérience, les gens en connaissent très peu.
    Là encore, c'est une question d'éthique et de religion, et je suis d'accord avec Mme Matte quand elle parle du modèle suédois, qui criminalise effectivement l'utilisateur des services. Bien sûr, nous avons le modèle John School dans le cadre du Streetlight Support Services. Nous ne connaissons pas l'efficacité de ce modèle, mais au moins il incombe à l'utilisateur de trouver lui-même les services de réadaptation.
    Il me reste trois minutes, avec un peu de chance, je pourrai peut-être poser une question qui englobe toutes vos préoccupations.
    Madame Wolski, j'aimerais vous poser une question parce que vous avez dit quelque chose qui m'a beaucoup intéressée. Mon fils est un agent de la GRC, marié à une femme ojibwa, nous sommes donc très au courant de la culture et de tout. C'est un aspect étonnant.
    En ce qui concerne l'éducation, pourriez-vous nous parler de la culture qui doit être comprise par, je dirais, les policiers et les fonctionnaires, quant à savoir comment nous pouvons mettre un terme au trafic d'êtres humains? J'imagine que le travail revient davantage aux victimes, de sorte qu'elles comprennent qu'elles peuvent avoir confiance aux personnes à qui elles parlent, parce qu'à maintes reprises, les jeunes filles autochtones ne font vraiment pas confiance aux personnes qui ne comprennent pas leur culture.
    Pourriez-vous faire des commentaires à ce sujet?
(1220)
    Je pense que cela remonte aux problèmes du colonialisme et de la discrimination que renferment les lois au Canada depuis 200 ans en ce qui concerne les pensionnats, l'interdiction des cérémonies traditionnelles et les efforts déployés pour anéantir nos langues.
    Il y a tellement de choses. Il y a ... Il y a la loi qui exige aujourd'hui — la Loi sur les droits de la personne, par exemple, le projet de loi C-31, la Loi sur les Indiens. La loi est source de discrimination. Et tout cela se traduit par un sentiment de désespoir. Et en bout de ligne, ce qui se produit depuis des générations, c'est qu'il y a parfois incapacité de faire face aux difficultés.
    Donc vous diriez que cet aspect doit être abordé?
    Tout l'aspect historique doit être compris. Les gens sont dans des situations qu'ils n'ont souvent pas choisies.
    Merci.
    Est-ce qu'il me reste encore une minute?
    Votre temps est pratiquement écoulé, madame Smith. Merci.
    Mme Minna aimerait faire un rappel au Règlement.
    Madame la présidente, j'aimerais faire un rappel au Règlement pour une minute. Je vais être très brève, je vous le promets. Je veux simplement apporter une correction.
    Ce n'est pas que le fait de hausser l'âge du consentement n'est pas important, mais il n'est pas exact de dire qu'il est légal pour des jeunes de 14 ans d'avoir des relations sexuelles avec des adultes. Ce n'est absolument pas légal. Avec un entraîneur ou un chef de camp, ce n'est tout simplement pas légal. Lisez la loi, s'il vous plaît, le projet de loi C-2 qui vous a été renvoyé récemment.
    Je suis désolée, mais je ne peux vraiment pas accepter que le compte rendu renferme des renseignements erronés. Ce n'est pas légal; lisez le projet de loi et vous verrez exactement ce qu'il dit.
    Je tenais simplement à préciser les choses, madame la présidente.
    Très bien. Merci de ce rappel au Règlement.
    Madame Mathyssen.
    Merci, madame la présidente.
    J'ai tellement de questions à poser. Je vais commencer par Diane Matte.
     Vous avez dit au début de votre exposé que la mondialisation néolibérale et le militarisme sans cesse accru ont fait augmenter la victimisation des femmes et accroître le trafic d'êtres humains. Je me demande si vous pourriez donner plus de détails et expliquer précisément ce que vous vouliez dire.

[Français]

    Quelqu'un de l'Association des femmes autochtones du Canada, je crois, a parlé des facteurs qui rendent les femmes vulnérables. Il est clair que dans plusieurs pays du monde, la mondialisation néo-libérale a créé de l'appauvrissement, particulièrement chez les femmes. C'est évidemment une des raisons pour lesquelles elles doivent de plus en plus quitter leur pays.
     Par exemple, il est intéressant de voir qu'en Afrique, la migration a complètement changé. C'était, auparavant, surtout les jeunes hommes qui quittaient leur pays pour chercher une meilleure vie ailleurs. Ce sont maintenant les femmes qui le font, dans la plupart des cas. Pour améliorer leur sort et, très souvent, le sort de leur famille, elles sont régulièrement confrontées à la nécessité d'utiliser leur corps. Leur propre survie et celle de leur famille est en jeu. Dans bien des cas, elles risquent d'entrer en contact avec des réseaux de trafiquants.
    Pour ce qui est de la militarisation, on a vu en Afghanistan qu'après les bombardements et la guerre, la pauvreté était immense. Que restait-t-il pour gagner de l'argent? Les familles vendaient leurs petites filles en Arabie Saoudite, là où des gens avaient suffisamment d'argent pour acheter des corps de petites filles. La même chose se produit en Irak à l'heure actuelle: un très grand nombre de femmes, par instinct de survie, se retrouvent dans des réseaux de prostitution qui opèrent partout dans le monde. Je pense que le problème est le même à l'interne.
     Il faut parler aussi de l'égalité entre les hommes et les femmes. Les femmes veulent être mannequins à 13  ou 14 ans, non pas parce que c'est dans leurs gènes, mais parce que c'est ce que la société offre comme possibilité. Ce n'est pas nécessairement une entreprise de libération personnelle. On valorise le corps et la beauté de la femme en tant qu'outil de pouvoir ou que façon d'obtenir de l'amour. Pensez à cette fille, dont je vous ai parlé, qui était tombée amoureuse d'un proxénète.
     On sait qu'au Québec, la présence de réseaux de proxénètes et d'individus qui font le trafic de jeunes femmes est très fréquente autour des centres de jeunesse. Ces gens réussissent à attirer les jeunes filles en leur faisant miroiter une vie facile, en leur disant qu'elles seront belles et qu'elles recevront des cadeaux. Ils leur demandent du même coup de coucher avec leurs amis. C'est très souvent de cette façon que les choses commencent. Les filles acceptent de le faire parce qu'elles aiment celui qui les a approchées. Dans certains cas, elles ne se rendent même pas compte qu'elles sont en réalité utilisées à des fins de prostitution.
(1225)

[Traduction]

    Il vous reste deux minutes, madame Mathyssen.
    Madame Wolski, les ministères de la Justice et des Affaires étrangères ont coprésidé le Groupe de travail interministériel sur le trafic de personnes, et je me demande si le Groupe de travail a consulté l'AFAC ou si votre association a été invitée à participer à d'autres activités gouvernementales concernant le trafic des femmes autochtones.
    En fait, non, notre organisation n'a pas été consultée; cependant, nous avons contacté le comité pour lui dire que nous aimerions participer à ses travaux au niveau national. Je crois que ce comité compte des représentants de 17 ministères.
    Nous avons présenté la demande, mais on l'a refusée. On nous a dit qu'on pouvait aller faire un exposé, mais que la politique est de n'autoriser aucune organisation autre que les ministères fédéraux.
    C'est dommage. Je suppose que vous auriez beaucoup d'expertise à transmettre.
    Merci.
    Il vous reste une minute.
    Très rapidement, madame Soltys, vous avez parlé de la formation à donner aux prestataires de soins de santé pour reconnaître les victimes, et je n'ai pas très bien compris tout ce que vous avez dit. Pouvez-vous expliquer la nature du problème, en ce qui concerne les professionnels de la santé qui ne sont pas bien informés?
    Ce ne sont pas seulement les professionnels de la santé qui ne sont pas bien informés, ce sont les professionnels du droit, les juges, les agents de police, etc. Nous devons mener une campagne de sensibilisation de très grande envergure.
    Comme vous l'avez entendu dans ce que j'ai lu, les victimes de trafic sont assujetties à des violences physiques. Le sida augmente à un rythme alarmant parce que les femmes qui sont victimes de trafic n'ont pas le choix d'utiliser ou non le condom. Les hommes vont payer davantage pour une femme victime de trafic s'ils ne sont pas obligés d'utiliser le condom. Une fois que les femmes ont contracté le sida, on s'en débarrasse. Les femmes peuvent tomber enceintes, il y a donc un problème médical au sujet des enfants non désirés. Il y a d'autres problèmes d'ordre médical, comme dans le cas dont j'ai entendu parler récemment où une femme a été mise enceinte 15 fois et les embryons ont été vendus sur le marché noir en Europe de l'Est à une industrie de produits de beauté. Il y a toute une gamme de problèmes médicaux qu'un spécialiste des soins de santé ne pourrait pas déceler.
    Nous avons l'obligation de signaler les cas de violence faite aux femmes et aux enfants. Au minimum, les professionnels de la santé devraient être au courant qu'une femme peut faire l'objet de trafic. Nous avons maintenant une fiche sur laquelle il y a un numéro de téléphone pour contacter la Division de l'immigration de la GRC qui répondra à leurs questions. Les deux professionnels de la santé avec qui je travaille donnent des exposés sur la question. Ils ont rédigé des documents qui ont été publiés dans le Journal de l'Association médicale canadienne. Nous avons au Canada le personnel nécessaire pour entreprendre cette éducation.
    Nous avons effectivement communiqué avec le Groupe de travail interministériel sur le trafic de personnes, et je suis désolée de dire qu'on nous a répondu de ne pas le contacter, qu'il le ferait, lui.
(1230)
    Merci beaucoup.
    Madame Stronach. Nous en sommes maintenant à des rondes de cinq minutes.
    Merci, madame la présidente.
    Merci à tout le monde d'être là aujourd'hui.
    Je pense pouvoir dire, au nom de mes collègues, que nous avons trouvé tous vos exposés extrêmement intéressants. C'est là une question tellement dévastatrice. Nous nous posons beaucoup de questions et nous devons nous concentrer sur les solutions. Vous faites effectivement un très bon travail de défense, et je veux m'assurer que vous pourrez continuer de faire ce merveilleux travail, parce qu'il y a encore du chemin à faire.
    Et parce que vous faites ce travail de défense, est-ce que la politique du gouvernement à Condition féminine Canada vous inquiète car elle pourrait éliminer la capacité de faire ce travail de défense? J'aimerais savoir si elle aura des répercussions sur le travail que vous faites. Est-ce que votre organisation reçoit de l'argent du gouvernement fédéral?
    C'est une excellente question.
    En fait, il est assez inquiétant de voir que le budget principal de Condition féminine Canada a été réduit de 48 p. 100. L'effet domino est inquiétant. Je pense qu'il est important de le préciser dès le départ.
    En ce qui concerne les autres lois ou les problèmes qui ont été mis en relief par le Parlement, dans l'exemple de l'élimination du programme de contestations judiciaires, cela touche directement notre travail de défense également. Nous ne disposons actuellement d'aucun mécanisme pour contester la décision d'un tribunal.
    En ce qui concerne le travail de défense, j'ai lu dans les médias récemment que les groupes de femmes n'auront pas le droit d'utiliser l'argent du gouvernement fédéral pour faire ce travail. Certes, cela aura un effet direct sur notre capacité de soumettre des questions à des forums comme le vôtre. Cela est très menaçant et gênant. Nous sommes tout à fait conscientes de la situation. Nous faisons de notre mieux pour faire ce travail de défense et adopter une approche axée sur la collaboration avec d'autres organisations de femmes au Canada — tant du point de vue juridique que d'autres — pour dire que ce n'est pas correct.
    Merci.
    Ma prochaine question peut sembler un peu simple, mais je pense que c'est certainement une question à laquelle mes collègues, et certains membres du comité, voudraient avoir une réponse, parce que nous voulons nous assurer d'aborder les bonnes priorités et de produire ce rapport dans les délais.
    Pourriez-vous nous aider à définir ce qu'est le trafic de personnes? Cela semble une question de base, mais c'est une question qui cause des problèmes au comité.
    Peut-être que Mme Matte, en tant que professeure d'université...

[Français]

    Il y a différentes définitions du trafic sexuel. On peut considérer celle du Protocole de Palerme, plus particulièrement en ce qui concerne le fait d'amener une personne d'un endroit à un autre ou d'un pays à un autre en utilisant des stratagèmes, par exemple la coercition et la supercherie, qui placent les personnes en situation de victime.
    Dans le cadre de son travail, le groupe de recherche sur le trafic sexuel se rend compte que même cette définition, quand il s'agit de l'appliquer, comporte bien des limites. En effet, comment déterminer s'il y a eu tromperie, par exemple? Ce n'est pas évident. On sait que dans le cas du trafic international, à tout le moins, il s'agit de femmes qui voulaient avant tout quitter leur pays et qui se sont retrouvées dans une situation d'immigration illégale. Il est bien évident que ça ne les incite pas à dénoncer leur trafiquant, étant donné qu'elles dénonceraient du même coup leur propre illégalité.
    C'est très compliqué. Il faudrait qu'à l'intérieur de la définition du trafic sexuel, celle de l'exploitation soit beaucoup plus large.
(1235)

[Traduction]

    Merci.
    Très rapidement, madame Soltys.
    Dans ce contexte, il faut établir une distinction claire entre le passage de clandestins et le trafic de personnes. Les gens peuvent entrer illégalement ici, ils peuvent être ensuite victimes de trafic dans notre pays. Ils peuvent être amenés ici illégalement. Donc il faut être conscient de ces deux différences.
    J'aimerais vous parler de cette fiche de la GRC parce qu'elle donne un définition très facile, on nous dit comment déterminer si une personne est victime de trafic. Est-elle rémunérée pour le travail qu'elle fait? Est-elle forcée de travailler? A-t-elle ses papiers ou ses documents de voyage? Est-elle menacée, ou ses êtres chers le sont-ils aussi de quelque façon que ce soit, et est-elle libre de choisir et de partir en tout temps? Ce sont là des éléments qui décrivent l'essence même d'une personne victime de trafic.
    Les analystes apprécieraient certainement cette aide additionnelle.
    Monsieur Fast, soyez le bienvenu à notre comité ce matin.
    Merci. Je suis certainement très privilégié d'être ici et de pouvoir écouter cette discussion. Je tiens à vous remercier toutes d'être venues nous rencontrer. Une précision: puisque nous avons entendu des commentaires sur l'âge du consentement et la loi actuelle, si une personne de 50 ans a des relations sexuelles avec une personne de 14 ans et que la personne de 50 ans est accusée au criminel, de façon générale, l'avocat de cette dernière va invoquer le consentement comme défense. Si tel est le cas — et souvent ça l'est parce que l'enfant doit témoigner — l'avocat de la défense va cuisiner l'enfant. Il finit par obtenir aveu de consentement, et l'auteur du crime s'en tire indemne. La loi sur l'âge du consentement va supprimer cette défense. Donc en ce sens, ce serait illégal que d'invoquer tel consentement.
    Ma première question s'adresse à Mme Soltys. En ce qui concerne la question du trafic de personnes, non seulement au Canada, mais en Ukraine, j'aimerais savoir si vous êtes au courant du niveau d'implication du crime organisé russe, peut-être du crime organisé du bloc de l'Est, dans le trafic d'enfants, tant au Canada qu'en Europe de l'Est?
    C'est un gros problème, parce que le crime organisé russe et d'autres cercles du crime organisé, la Yakuza, les triades, etc., sont tous lourdement impliqués dans le trafic de personnes. Les Hells Angels sont les principaux trafiquants au Canada, et je pourrais risquer ma vie en disant ceci.
    Ma connaissance du problème en Ukraine et en Russie découle de nos contacts avec le bureau d'Europe de l'Est de l'Organisation internationale pour les migrations. M. Frederick Larson est notre personne-ressource ici. Je n'ai pas beaucoup de statistiques sous les yeux. Mais je vais prendre l'exemple du bureau de Kiev dont le centre de réadaptation traite plus de 1 000 femmes par année. Ce sont là seulement les cas déclarés, et c'est un seul centre dans une seule ville, vous pouvez donc imaginer l'ampleur du problème. On estime qu'il y a actuellement plus de 40 000 Ukrainiennes qui font l'objet d'un trafic. Imaginez. C'est la population d'une petite ville, potentiellement.
    Le problème est très répandu, comme c'est le cas de tout pays qui éprouve des difficultés économiques, qui est en train de vivre une période de transition vers la démocratie. Beaucoup de Roumaines font l'objet de trafic dans notre pays. La GRC pourrait probablement corroborer ces statistiques. Je connais des cas de femmes ukrainiennes également.
    J'admire votre courage.
    J'aimerais poser une question qui s'adresse à Mme Jean ou à Mme Matte, peut-être.
    Dans votre exposé, vous vous décrivez comme des abolitionnistes. Je suppose que vous faites référence au fait d'abolir la distinction entre le trafic de personnes et la prostitution. Est-ce exact?

[Français]

    En fait, il s'agit de l'abolition de l'institution de la prostitution.
    Il va de soi que cela signifie qu'on ne fait pas de distinction entre la question de la traite à des fins de prostitution et la question de la prostitution. Le terme « abolitionniste » est utilisé en ce sens. Nous ne croyons pas que la prostitution a toujours existé, que c'est un métier comme un autre et qu'on ne peut rien y faire. Nous n'acceptons pas la fatalité, pas plus que nous n'acceptons la fatalité de l'existence de la violence envers les femmes et la fatalité de l'inégalité entre les hommes et les femmes.
    Puisque j'ai la parole, j'en profiterai pour parler de la question du consentement. Lorsqu'on parle de la définition de l'expression « trafic sexuel », il est très important de dire que le consentement ne doit pas être un facteur de définition du fait d'être victime ou non. C'est un des enjeux très importants.
    Peu importe l'âge de la victime, les hommes utilisent toujours le fait que les femmes ont consenti à avoir une relation sexuelle pour se prémunir des accusations qui sont portées contre eux. Il est clair que la question du consentement ne doit pas faire partie de notre définition. L'existence ou non du consentement ne devrait pas avoir d'influence sur le fait de décider si une femme a été victime ou non de trafic. Autrement, on obligerait les femmes à prouver qu'elles sont des victimes. Les trafiquants, tout comme les violeurs et les hommes qui veulent abuser de leur pouvoir, clameront que la femme était consentante. C'est un vieux truc.
(1240)

[Traduction]

    Désolée, votre temps est écoulé.
    M. Ménard ou Mme Mourani.

[Français]

    Merci, madame la présidente.
     Je suis bien contente que vous ayez abordé la question du consentement. À mon sens, il n'y a aucune relation entre le consentement et la traite des personnes ou la prostitution dans son ensemble.
    J'aimerais avoir une précision. Certaines femmes disent — je ne sais pas s'il s'agit d'une minorité ou d'une majorité — qu'elles se prostituent par choix personnel. Certains groupes, comme le groupe Stella, revendiquent fortement le droit à la prostitution.
    Que pensez-vous de cela? La prostitution est-elle vraiment un droit? Est-ce vraiment un choix?
    D'autre part, on dit que les femmes font cela pour survivre. On en a beaucoup parlé. On dit que c'est une question de pauvreté, entre autres. Ne passe-t-on pas indirectement le message que c'est un travail comme un autre?
    Quelqu'un qui traverse la frontière pour travailler dans un champ agricole — parce que c'est plus payant au Canada que dans un autre pays — le fait pour survivre. On dit qu'il y a une pauvreté incroyable dans un pays, que ces femmes traversent la frontière, sont leurrées et sont victimes de trafic, ce qui est très différent de ce qu'elles pensaient au départ.
    Ce discours contribue-t-il à alimenter ce courant de pensée — auquel adhère Stella — selon lequel il s'agit d'un choix et que, parce qu'elles sont pauvres, elles ont fait le choix de venir ici et de se prostituer?
    Je ferais deux distinctions. D'une part, le droit de se prostituer n'existe dans aucune convention ou charte internationale des droits de la personne. Je pense que ce que les groupes comme Stella réclament, et qui est légitime, est le droit d'être digne et d'être reconnu comme une personne à part entière ayant des droits. De là provient l'idée d'appuyer, comme le fait la Concertation des luttes contre l'exploitation sexuelle, la décriminalisation des femmes qui se prostituent.
    Le problème n'est pas que les femmes se prostituent. Le problème est que notre société, qui est basée sur des préceptes patriarcaux, c'est-à-dire d'inégalités entre les hommes et les femmes, présente l'institution de la prostitution comme quelque chose de banal ou un métier comme un autre — surtout depuis les 10, 15 ou 20 dernières années —, alors que l'on sait que c'est loin d'être le cas. Je suis certaine que les femmes de Stella reconnaissent combien les femmes qui se prostituent, à l'heure où on se parle, sont plus susceptibles que n'importe laquelle d'entre nous d'être violées, d'être battues, d'être victimisées d'une façon ou d'une autre. Elles pensent que la solution serait de légaliser la prostitution, car de cette façon, ces femmes deviendraient des belles petites travailleuses autonomes et seraient libérées.
     Nous avons une autre perception. Nous considérons que l'institution de la prostitution ne concerne pas seulement les femmes qui se prostituent, car elle est un obstacle à l'égalité entre les hommes et les femmes. À ce titre, on doit considérer la prostitution autrement. Il ne faut pas se demander si les femmes qui se prostituent, individuellement, se sentent bien, mais plutôt si notre société veut développer ou tolérer l'existence de la prostitution.
    Il est aussi question de survie. Je ne sais pas quel autre terme utiliser. De toute façon, c'est la réalité des femmes d'ici ou d'ailleurs, malheureusement, à cause des inégalités entre les hommes et les femmes. Très souvent, une des façons d'obtenir à manger est effectivement de se prostituer. Pour moi, on parle de survie, à ce moment-là. Cela n'a rien à voir avec la question de savoir si c'est un travail comme un autre ou non. C'est plutôt une réalité. Notre société ne devrait pas accepter, selon moi, que la seule possibilité ou le seul recours pour se sortir de la pauvreté ou pour manger qu'ait une partie de la population soit de se prostituer.
(1245)
    Si je comprends bien ce que vous me dites, un choix est fait.
    C'est-à-dire que c'est un non-choix.
    On doit choisir entre travailler dans une usine et aller...
    On doit choisir entre mourir et avoir quelque chose à manger.
    C'est le cas dans certaines parties d'Afrique, particulièrement. Je lisais récemment qu'en Afrique du Sud, les femmes se prostituent pour un repas. On peut bien appeler cela un travail si on veut, mais la réalité est que, pour pouvoir manger, tout ce qu'on lui offre est de faire une pipe au monsieur qui est là. Elle ne sait pas si le monsieur va la tuer en passant ou s'il va la battre, mais elle espère qu'elle va pouvoir manger son prochain repas.

[Traduction]

    Merci beaucoup, madame Mourani.
    Je dois vous dire que nous avons encore certaines questions à régler au comité. Nous allons avoir vraiment besoin de beaucoup plus de temps, et je ne sais pas comment nous allons nous y prendre.
    Je demande donc à toutes, si vous voulez nous faire part de certaines observations additionnelles, de les remettre à la greffière et celle-ci veillera à ce que ce soit distribué à tous les membres du comité. Nous l'apprécierions beaucoup. Je crois que nous avons entendu les ténors de la discussion et du débat aujourd'hui, et tout ce que vous pourriez nous donner comme aide supplémentaire serait très apprécié. Les analystes vont peut-être communiquer avec vous au fur et à mesure que l'on procédera à la rédaction d'un rapport provisoire avant Noël.
    Madame Smith.
    Madame la présidente, pourrais-je faire une suggestion et la proposer au comité? Nous avons des témoins tellement crédibles ici aujourd'hui. Je me demandais si nous pourrions régler la question de la motion à la prochaine réunion et prendre les 12 prochaines minutes. Pourrions-nous continuer d'interroger nos invitées?
    Le comité est d'accord pour donner à une autre personne la possibilité de poser des questions? Très bien.
    Qui est alors le suivant ou la suivante sur la liste?
    Très bien. Vouliez-vous finir de répondre à cette question puisque tout le monde veut faire des commentaires? C'est ainsi qu'on utilisera le mieux notre temps.
    Madame Soltys.
    Je vais simplement mentionner les trois choses que Mme Mourani a soulevées.
    La première concerne la prostitution perçue comme une carrière. Soyons réalistes. J'ai deux enfants, et beaucoup d'entre vous en ont probablement aussi. Est-ce que vous aimeriez vous présenter à la soirée des carrières de votre école secondaire et voir que la prostitution fait partie des choix de carrière? À mon avis, ce n'est même pas un choix.
    Deuxièmement, il y a la question de la pauvreté. Mme Matte a parlé des femmes qui entrent dans la pauvreté de leur plein gré, littéralement pour survivre. C'est un problème.
    Ensuite, il y a celles qui traversent la frontière. Peut-être ont-elles une petite idée de ce qu'elles vont faire, peut-être savent-elles bien qu'elles entrent ici parce qu'elles vont faire de la prostitution, mais une fois ici, c'est les conditions dans lesquelles elles vont travailler: elles peuvent entrer ici avec l'impression qu'elles vont être libres d'aller et venir à leur guise alors qu'en réalité, elles seront des esclaves, leurs documents leur seront confisqués, elles vont servir un certain nombre de clients par soir, sept jours sur sept, qu'elles soient menstruées ou non, qu'elles soient malades ou non. Ça c'est un autre aspect de tout le problème que nous devons examiner.
    L'autre chose qui me dérange vraiment, c'est la question de la légalisation. Prenons les rapports de pays où la prostitution a été légalisée — la Hollande, par exemple. Les bordels obtiennent leur cachet d'approbation, tout comme les certificats de restaurant que nous avons ici qui indiquent que tel ou tel établissement est autorisé. Mais les responsables de l'application de la loi en Hollande eux-mêmes ont rédigé des rapports dans lesquels ils disent qu'ils ne peuvent suivre le courant; ils ne savent pas si la légalisation a amené plus de femmes qui sont victimes de trafic ou non.
    Nous croyons que la légalisation ouvre la porte au trafic d'êtres humains, parce que nous n'avons pas la capacité de le contrôler ou d'en faire le suivi.
    Merci.
(1250)
    Est-ce que quelqu'un d'autre voulait faire des commentaires?
    Madame Jean.

[Français]

    Je veux simplement ajouter un mot sur la question du choix. En fait, il faut considérer quelles sont les diverses options, quand on fait un choix.
     Il suffit de lire les journaux. Le nombre d'annonces pour les agences d'escortes, les danseuses nues et tout ce milieu est souvent disproportionné par rapport aux autres emplois dignes et normaux. Par conséquent, quels sont les choix qui s'offrent à une jeune femme qui, par exemple, n'a pas beaucoup d'éducation? Il y en a peu. La jeune femme non éduquée a peu de possibilités d'emploi. Il faut donc examiner cet aspect et arrêter de se dire que c'est son choix et qu'elle fait vraiment cela parce qu'elle le veut.

[Traduction]

    M. Stanton voulait poser une question rapidement. Ce sera la dernière.
    Merci, madame la présidente...
    Je m'excuse. Si le comité veut suivre le processus à la lettre, ce serait Mme Mathyssen et ensuite M. Stanton.
    Madame Mathyssen, vouliez-vous poser une question?
    Oui, merci.
    Je vais commencer par Mme Crawford, mais j'aimerais certainement entendre la réponse de tout le monde.
    Nous effectuons cette étude sur le trafic de personnes depuis nombre de semaines, et nous avons entendu divers témoins. L'un des thèmes qui revient semble être le fait que les femmes et les jeunes filles deviennent des biens et des objets. Certains témoins ont même suggéré qu'il fallait qu'il soit socialement inacceptable de traiter les femmes et les filles comme des objets sexuels.
    Pouvez-vous nous dire si à votre avis le secteur des mannequins fait des femmes des objets de vente et des objets sexuels, en les décrivant comme des objets qui peuvent être achetés et consommés?
    Je suis tout à fait d'accord avec vous, mais je ne suis pas d'accord pour dire que c'est la faute des mannequins et de l'industrie. C'est l'offre et la demande. Ce sont les gens qui achètent les magazines. Ce sont les consommateurs qui ont acheté cette image. Les agences de mannequins n'ont pas tellement de pouvoirs. Elles ne contrôlent pas les magazines de la mode; elles ne contrôlent pas ce que vous voyez dans les annonces publicitaires ou dans la publicité ou encore sur l'autoroute. Ce n'est pas elles.
    Il y a la publicité, les designers, les magazines de mode. Ce sont eux qui font de la femme un objet. Je ne dirais pas que ce sont les agences de mannequins. C'est l'industrie de la mode, donc ça va au-delà de l'industrie du modelling.
    Donc, ce sont les médias et...
    Certains médias, certains designers, et oui, quiconque travaille dans l'industrie de la mode. Les agences de mannequins et l'industrie offrent un produit, c'est-à-dire de toute évidence des modèles.
    Très bien.
    Je peux répondre très rapidement. Il y a beaucoup de cultures en cause dans le scénario du trafic de personnes. Toutes ces femmes viennent de climats totalement différents, lorsqu'il s'agit d'en faire des objets, de nous couvrir le visage... La question revêt plusieurs aspects. Il est difficile de faire un énoncé général, mais la réalité existe effectivement.
    Je peux dire qu'en Ukraine, un pays qui lutte pour sa démocratie, où l'on commence à peine à prendre conscience de tous les conforts du monde matériel, cela exerce une forte influence. Nous avons fait des études sur les différences entre les sexes auprès des enfants. Nous leur avons demandé de faire un collage de la femme idéale et un collage de l'homme idéal. Le collage de la femme idéale comprenait des parfums, un aspirateur, une famille, un chien et un survêtement. L'homme avait la voiture, l'emploi, le pouvoir et ainsi de suite. Nous avons réalisé que c'était un gros problème. Je sais que ça existe à des degrés divers dans toutes nos cultures.

[Français]

    Comme je l'ai mentionné au début de ma présentation, selon moi, la question de la marchandisation du corps des femmes est probablement un des enjeux les plus importants pour les groupes de femmes partout dans le monde.
    Pour moi, cela est aussi relié à un débat qu'on n'a jamais réussi à conclure au cours des années 1980, soit celui sur la pornographie, sur l'utilisation du corps des femmes, sur notre sexualité, sur une sexualité propre aux femmes, etc.
    Présentement, on voit surtout l'imposition d'un modèle masculin de la sexualité, modèle selon lequel les femmes sont au service des hommes de façon générale. Dans ce cadre, la recherche de la beauté et du corps parfait est devenue capitale, du moins dans les pays occidentaux et dans les pays du Sud, où de plus en plus de femmes s'endettent.
    Au Brésil, les chirurgies plastiques constituent la première cause d'endettement chez les femmes. Les femmes s'endettent pour correspondre au fameux modèle des femmes plantureuses. Dans certains pays du Sud, être la plus blanche possible, donc se blanchir la peau, est très à la mode.
    Pensons uniquement aux régimes amaigrissants et à combien ce qui est valorisé est le corps qui répond à des normes de désir masculin. Dans une société néo-libérale, l'industrie et le marché sont considérés rois et maîtres. Il faut questionner ce qu'il y a derrière, questionner l'industrie. À l'heure actuelle, les trafiquants profitent d'une plus grande marchandisation du corps des femmes.
(1255)

[Traduction]

    À nos témoins, merci de votre temps, de votre énergie et d'avoir abordé certaines questions très importantes. Vous nous avez fourni beaucoup d'information et vous nous avez aidés beaucoup.
    La séance est levée.