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Merci beaucoup, monsieur le président. Je pensais que je n'avais droit qu'à trois minutes. Mon exposé sera donc bref. Je vous remercie de votre aimable invitation à comparaître devant vous aujourd'hui.
Comme vous le savez sans doute, l'Institut a présenté, en janvier, des commentaires à Industrie Canada en réponse au décret modifiant la décision Telecom CRTC 2006-15. Permettez-moi de résumer brièvement notre réponse.
Nous appuyons la proposition de remplacer le critère de la part du marché par celui des installations concurrentielles, ou celui de la concurrence, et d'adopter comme base géographique des décisions de déréglementation des zones plus petites que les régions visées par l'abstention locale, telles que définies par le CRTC. Le cadre établi par le Conseil est trop timide et retarde inutilement les avantages de la pleine concurrence pour les consommateurs.
Le territoire intégral de la province de l'Île-du-Prince-Édouard constitue une seule région visée par l'abstention locale selon la définition du CRTC, et il fournit un exemple intéressant à cet égard. L'Île-du-Prince-Édouard compte environ 140 000 habitants, et la ville où j'ai grandi, Charlottetown, 65 000. Supposons qu'un concurrent pénètre le marché du service téléphonique de Charlottetown et capte 51 p. 100 des clients, de sorte qu'il constitue désormais le plus important fournisseur de service de la ville. Selon les règles du CRTC, le marché de Charlottetown resterait réglementé et l'entreprise titulaire de services téléphoniques, qui deviendrait alors le deuxième fournisseur, serait toujours assujettie à des restrictions touchant ces décisions de commercialisation et d'établissement de prix, contrairement à sa concurrente dorénavant plus importante.
Lorsque la réglementation a pour effet d'entraver la capacité de la deuxième entreprise de soutenir la concurrence de celle qui détient la plus grande part du marché, il y a quelque chose qui cloche. Il faut aussi se rappeler qu'une part importante du marché ne se traduit pas nécessairement de façon directe par une position dominante sur le marché. La question consiste réellement à savoir si une part importante du marché résisterait à une tentative d'imposer des prix élevés et de faire des profits monopolistiques.
Étant donné le degré de concurrence que nous avons déjà vu naître ces dernières années, nous ne croyons pas que cela se produirait dans un marché où interviendraient trois concurrents s'appuyant sur leurs installations. Il existe amplement de preuves démontrant que les consommateurs sont disposés à changer de fournisseur s'ils considèrent qu'une entreprise concurrente peut offrir une meilleure valeur que l'entreprise titulaire.
Pour revenir à la question de la géographie, les zones plus petites sont préférables, car elles permettent l'établissement d'une réglementation plus précise et plus efficace. Le fait de déréglementer une grande région où il n'y a aucune concurrence dans certains secteurs pourrait présenter des risques pour certains consommateurs. Inversement, ne pas déréglementer une grande région comportant des secteurs où des concurrents ont fait des percées importantes prive le consommateur de ces secteurs des avantages de la pleine concurrence. En subdivisant le territoire en zones plus petites, on peut maintenir la réglementation là où il y a absence de concurrence, et assurer aux consommateurs les pleins avantages de la concurrence là où il existe des entreprises concurrentes.
Nous appuyons également la suppression des interdictions en matière de reconquête. Les offres concurrentes des fournisseurs de service constituent l'essence même de la concurrence. Si l'entreprise A sait que sa concurrente B sera limitée dans sa capacité de réagir, il semble raisonnable de penser que la première ne cherchera pas à offrir des termes aussi avantageux qu'elle le pourrait.
Dans le secteur canadien des communications, la libéralisation, la déréglementation et l'instauration de la concurrence ont trop souvent constitué des demi-mesures hésitantes. L'inertie en matière de réglementation prive les consommateurs des avantages de la pleine concurrence. Nous appuyons la proposition d'accélérer la déréglementation d'un marché local de la téléphonie où la concurrence est implantée.
Merci.
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Je vous remercie, monsieur le président, mesdames et messieurs, de m'avoir invité à prendre la parole devant le comité sur des questions intéressant les clients résidentiels et les groupes de consommateurs particulièrement vulnérables, à savoir les mesures de déréglementation du gouvernement touchant le CRTC en particulier, et les télécommunications en général.
Le Centre pour la défense de l'intérêt public est un organisme à but non lucratif qui offre des services d'aide juridique et de recherche aux consommateurs, notamment aux consommateurs vulnérables, qui se rapportent à la prestation des services publics essentiels.
Le Centre a présenté des observations au ministre en réponse à l'avis publié dans la Gazette du Canada concernant son projet de décret annulant la décision CRTC 2006-15. Ces observations figurent en annexe. Elles font état des réserves que soulèvent le critère utilisé par le ministre et le précédant que crée le renversement de la décision de la CRTC.
Comme on vous l'a indiqué, l'annulation elle-même et la décision qui fait l'objet de l'annulation sont très inhabituels. Les conditions qui indiquent si un marché est suffisamment concurrentiel pour protéger les intérêts des consommateurs sans recours à la réglementation ne peuvent être rétablis de façon arbitraire. Il s'agit d'une question importante pour laquelle l'expérience pratique de l'organisme de réglementation doit être utilisée de concert avec les concepts théoriques associés à la présence ou à l'absence d'une emprise sur le marché. La décision CRTC 2006-15 s'appuyait sur un nombre important de témoignages d'experts, des témoignages qui ont été entièrement attestés au cours d'une audience devant un tribunal indépendant. Le projet de décret du ministre ne s'appuie pas sur un tel processus.
Nous sommes préoccupés par l'éventualité que le gouvernement joue volontairement les apprentis sorciers en donnant libre cours aux forces du marché et en créant, pour l'industrie, des problèmes là où le cadre de protection des consommateurs qui était en vigueur parvenait à établir des mesures de contrôle adéquates. La principale question consiste à déterminer si des mécanismes appropriés seront mis en place pour cerner les problèmes ou même trouver des solutions.
Il convient de souligner les répercussions qu'ont eues les mesures du gouvernement jusqu'à présent. Premièrement, elles n'ont pas créé de concurrence dans les marchés où il n'y avait pas déjà de concurrence. En fait, la plupart des principaux services de télécommunications sont déjà visés par une abstention de réglementation par le CRTC.
Deuxièmement, elles n'ont pas libéré les entreprises de services locaux titulaires, les ESLT, de l'obligation de maintenir leurs tarifs locaux à des niveaux tarifaires. Ces entreprises ont toujours pu abaisser leurs tarifs pour l'ensemble de leurs tranches de tarification. Il s'agit d'un point très important qui semble avoir été laissé de côté dans bon nombre des observations formulées par le public sur la question.
Troisièmement, elles ont créé un malheureux précédent en permettant à la réglementation des télécommunications par le biais de politiques d'éclipser les procédures administratives établies de longue date. Il s'agit d'un précédent qui peut s'avérer coûteux pour les gagnants à long terme. Dans de nombreux cas, les ESLT rejettent maintenant ouvertement l'examen règlementaire dans les procédures actuelles devant le CRTC, s'appuyant sur les actions de leur nouveau champion, le ministre de l'Industrie, pour se justifier.
Quatrièmement, elles ne reflètent pas les volontés des Canadiens. Un sondage Pollara réalisé en septembre 2006 révèle que 80 p. 100 des Canadiens s'opposent à ce que les ESLT fixent leurs propres tarifs locaux. Une grande majorité des répondants ont déclaré être contre cette perspective, même dans les régions urbaines densément peuplées où l'on offre des services de téléphonie par câble. En fait, la plupart des Canadiens, à cause, peut-être, des problèmes que connaît l'industrie des services Internet sans fil et à large bande, ne croient pas que les services par câble créent suffisamment de concurrence pour les ESLT.
Cinquièmement, ces mesures, de même que les modifications proposées à la Loi sur la concurrence, ne rassurent pas les clients qui se plaignent de la surfacturation ou des conditions exigeantes imposées par un fournisseur dominant. En théorie, la Loi sur la concurrence protège le concurrent éventuel contre agissement anticoncurrentiel. Elle ne fait rien pour le consommateur.
Nous croyons qu'il serait préférable de créer des conditions grâce auxquelles les problèmes associés au nouveau régime proposé seraient rapidement cernés et réglés plutôt que de discuter sans cesse des conséquences.
Ces conditions engloberaient au minimum: des recherches exhaustives, continues et indépendantes combinées à des consultations avec des intervenants concernant le contexte de la concurrence dans industrie des télécommunications, y compris les questions liées au choix, aux prix, à la pénétration du marché, à la capacité de payer, à l'accès et à la pénétration de la clientèle en fonction de données démographiques appropriées sur les clients; la mise sur pied d'un ombudsman indépendant servant les intérêts des consommateurs, tel qu'il est proposé dans la recommandation 6-2 du rapport du Groupe d'étude des télécommunications, afin de trouver des solutions pour les consommateurs dans un environnement déréglementé et de se pencher sur les problèmes liés à la protection des consommateurs et sur les solutions possibles; la mise en place d'un processus qui permettra d'établir rapidement et efficacement des mesures de protection du consommateur lorsque le marché n'est pas suffisamment concurrentiel pour protéger les intérêts des utilisateurs.
Je vous remercie de votre indulgence. Je répondrai volontiers à vos questions.
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Merci. Je m'excuse, mais j'ai un peu de mal à m'exprimer en français.
Nous appuyons l'idée d'utiliser des régions plus petites pour les décisions de déréglementation, car cela permet d'établir une réglementation plus précise et aussi d'éviter les problèmes éventuels que pourrait entraîner une décision réglementaire, ou l'absence d'une telle décision, dans une région plus grande.
Supposons que nous avons une grande région où la moitié seulement des clients sont desservis par plusieurs concurrents. Si vous décidez de déréglementer cette région, il va y avoir une partie de celle-ci qui ne sera pas desservie par les concurrents et qui ne sera pas déréglementée, ce qui risque de poser problème. Inversement, si vous décidez de maintenir la réglementation, alors la moitié de la région desservie par des concurrents se verra privée des avantages qu'offre la pleine concurrence parce que le cadre réglementaire restera en place.
Si, au lieu de cela, vous imposez une décision réglementaire sur chacune des deux moitiés, de manière indépendante, vous pourrez déréglementer la région où les concurrents sont présents et permettre aux consommateurs de bénéficier des pleins avantages de la concurrence dans l'autre partie de la région où il y a absence de concurrence.
Voilà pourquoi nous croyons que les zones plus petites sont préférables. Elles sont plus faciles à administrer.
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On a passé beaucoup de temps et d'énergie à tenter de définir le concept des régions visées par l'abstention locale lors de la procédure initiale. Cette définition, franchement, n'a rien de scientifique; tout est dans le libellé. Les opinions là-dessus sont partagées.
Le problème, bien entendu, est le suivant: si la région définie est trop petite, la déréglementation, dans les faits, n'aura lieu que dans un petit secteur d'un centre urbain, ce qui veut dire que les autres régions seront assujetties à la réglementation pendant très longtemps parce que le secteur déréglementé ne sera pas inclus dans la zone plus vaste. Si la région définie est trop grande, alors certaines collectivités rurales risquent d'être incluses du fait qu'elles comptent moins d'habitants que les centres urbains. Elles seront automatiquement déréglementées même si cela ne sert pas leurs intérêts.
La région visée par l'abstention locale peut être divisée en zones plus petites ou plus grandes, ce qui risque de profiter ou nuire aux intérêts des entreprises de téléphonie titulaires, ou de profiter ou nuire aux intérêts des clients qu'elles tentent de desservir. Le CRTC a essayé de trouver une solution qui tient compte de la communauté d'intérêts, et notamment de la communauté d'intérêts économiques de la région.
La solution retenue, disons-le franchement, est loin d'être parfaite. On peut trouver, au Canada, d'autres exceptions dont l'application soulève des questions. Toutefois, de manière générale, je pense qu'il aurait été préférable de laisser ce modèle en place et de trouver une formule adaptée aux besoins particuliers des régions.
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Monsieur Carrie, si je puis me permettre, il faut bien préciser ce que le décret d'abstention veut dire. Les entreprises de téléphonie ont toujours été en mesure de livrer concurrence aux nouveaux arrivants. Elles peuvent, par exemple, pour ce qui est des services locaux, abaisser leurs tarifs, si elles veulent, pour l'ensemble de leurs tranches de tarification.
Ce que l'on a dit dans ce cas-ci, c'est qu'il n'y a pas lieu de s'inquiéter au sujet des garanties habituelles qui sont offertes aux consommateurs dans une région en particulier, car il y a suffisamment de concurrence à cet endroit. Ce sont les forces du marché qui vont dicter le prix à imposer.
De manière générale, cela veut dire, pour les gros consommateurs, plus de produits, plus de bouquets de services, peu importe. Par exemple, je suis moi-même un gros consommateur de services de télécommunications. Ma famille et moi dépensons probablement plus de 300 $ par mois en services comme Internet, le sans fil, ainsi de suite. Je suppose qu'il existe de meilleures offres combinées. Par ailleurs, nous prévoyons que les clients qui consomment peu de services de télécommunications ou qui vivent dans des collectivités rurales ne bénéficieront pas de rabais ou ne se verront pas offrir des rabais, en raison de la déréglementation.
Ensuite, dans un milieu réglementé, les tarifs de l'entreprise de téléphonie titulaire doivent être abaissés dans l'ensemble des tranches de tarification. Dans un marché déréglementé, ces baisses peuvent être négociées au cas par cas avec les clients, et c'est de cela dont il est question ici. La concurrence n'est pas nécessairement un facteur, même si elle fait partie de l'équation. L'objectif ici est de cibler les clients que vous voulez attirer.
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Prenons l'exemple de l'industrie sans fil au Canada, où l'on a effectivement essayé de mettre sur pied des réseaux numériques en attribuant des licences à Microcell et Clearnet. Ces entreprises ont été avalées par les fournisseurs auxquels elles étaient censées livrer concurrence.
Il s'agit d'un problème de taille, car, dans les faits, ce sont les gains d'efficacité qui servent de base aux fusions. Souvent, les entreprises sont en mesure de démontrer que les gains d'efficacité entraînent des économies de coûts — pas nécessairement dans l'intérêt du consommateur, mais dans celui de l'actionnaire. Je pense qu'il y a un danger, sauf qu'il ne vient pas de la remonopolisation, mais plutôt de la formation d'un duopole ou d'un oligopole où les entreprises, extrêmement à l'aise avec la position qu'elles occupent, ne se livrent qu'une faible concurrence.
J'ai rencontré, le mois dernier, à une conférence, le président de la plus importante compagnie de téléphone en Inde. Il me disait à quel point il était difficile, dans son pays, de livrer concurrence dans le marché sans fil, car les fournisseurs offraient des services sans fil à vie pour 20 $ par mois. Les entreprises de services sans fil se livrent, là-bas, une concurrence féroce. On n'assiste pas au même phénomène au Canada. Le niveau de concurrence entre les entreprises de télécommunications sans fil et à large bande n'est pas du tout le même, ici. Je pense qu'un marché duopolistique va finir par s'instaurer, un marché où les câblodistributeurs et les compagnies de téléphone vont être satisfaits de la part de marché qu'ils détiennent et du rendement qu'ils offrent aux actionnaires.
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Merci, monsieur le président.
Je tiens à remercier les témoins d'être venus nous rencontrer.
Pourrais-je avoir des précisions au sujet des recommandations du Groupe d'étude? Leur mise en application se ferait en deux temps. D'abord, le gouvernement annoncerait qu'il les endosse. Ensuite, il procéderait à la mise en oeuvre des recommandations et des modifications requises aux lois existantes.
J'aimerais avoir des éclaircissements là-dessus. On a laissé entendre que les recommandations du Groupe d'étude soulèvent certaines réserves, mais encore une fois, leur mise en oeuvre se ferait en deux temps.
J'aimerais aussi parler des recommandations qui sont retenues. On parle beaucoup du fait que le ministre ne choisit que les recommandations du Groupe d'étude qui l'intéressent.
Monsieur Munro, je crois comprendre que la région de l'Atlantique représente le marché où la concurrence est la plus vive au Canada. Cela en dit long sur les possibilités qu'offre cette région, car il existe une volonté manifeste de la part des intervenants de l'industrie d'investir dans ce marché. Vous l'avez vous-même démontré.
Concernant les recommandations du ministre, pouvez-vous nous dire si elles ont fait l'objet de consultations? Pouvez-vous nous dire brièvement quelques mots à ce sujet?
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Bonjour et merci beaucoup pour votre invitation.
Je suis professeur de droit à l'Université d'Ottawa, où je dirige la chaire de recherche du Canada en droit d'Internet et du commerce électronique. Je suis également journaliste indépendant et, à ce titre, j'écris toutes les semaines des articles sur le droit et les technologies pour le Toronto Star et le Ottawa Citizen. En outre, j'ai siégé au Groupe de travail sur les pourriels en 2004-2005 ainsi qu'au conseil de l'Autorité canadienne pour les enregistrements Internet, ou AECI, qui gère le domaine.ca au Canada, et ce pendant six ans, soit de 2000 à 2006.
J'aimerais aborder brièvement trois questions concernant Internet qui, selon moi, ont un lien direct avec la réglementation des télécommunications, à savoir: la neutralité du réseau, l'accès à la large bande et les pourriels.
Permettez-moi de commencer par la neutralité du réseau, un sujet qui a suscité une attention grandissante au cours des derniers mois et a fait l'objet d'un bref échange question-réponse lorsque le ministre a comparu devant votre comité la semaine dernière.
Même si la définition de la neutralité du réseau est sujette à débat, à la base, il y a l'engagement de veiller à ce que les fournisseurs de services Internet traitent tous les contenus et toutes les applications de la même manière, sans accorder de privilèges, ni négliger le service ou établir un ordre de priorité en fonction de la source du contenu, de l'auteur ou du destinataire. La neutralité du réseau soulève souvent plusieurs préoccupations. La première est la crainte d'avoir un réseau Internet à deux vitesses.
Nous savons que comme les fournisseurs créent des réseaux de plus en plus rapides, il y a tout lieu de croire qu'ils chercheront des compensations additionnelles pour placer certains contenus sur une voie rapide, laissant ceux qui ne veulent pas payer sur une voie lente. Étant donné que les consommateurs, évidemment, paient déjà pour différentes vitesses, nous parlons ici de tout autre chose. Il s'agirait d'un monde dans lequel, par exemple, Chapters pourrait être concurrentiel dans l'espace de vente de livres en ligne parce que son contenu serait sur une voie lente, pendant qu'Amazon paierait pour être sur la voie rapide.
C'est un réseau Internet dans lequel les émissions de télévision et les films américains pourraient être rapidement téléchargés sur les ordinateurs des consommateurs parce que les studios américains auraient payé pour être sur la voie rapide, alors que le contenu canadien et celui programmé par les utilisateurs resteraient sur la voie lente. Finalement, c'est un environnement qui pourrait ressembler à un système de santé à deux vitesses, mais en ligne, dans lequel certains fournisseurs de services pourraient utiliser la voie rapide, laissant la voie lente à ceux qui ne sont pas disposés à payer.
Cette vision d'Internet pourrait très bien devenir réalité. Aux États-Unis, les grandes entreprises de télécommunications, comme Verizon et BellSouth, ont déjà évoqué cette possibilité, alors qu'au Canada, Vidéotron a publiquement parlé d'imposer des frais pour la transmission des contenus.
Le deuxième sujet de préoccupation est que les fournisseurs de services Internet bloqueront ou limiteront l'accès aux contenus et aux applications qu'ils n'aiment pas, souvent pour des raisons de concurrence. Aux États-Unis, un fournisseur de services Internet, Madison River, a bloqué l'accès à des services concurrents de téléphonie sur Internet.
Ici, au Canada, Telus a déjà bloqué l'accès à un site Web favorable à un syndicat pendant un conflit de travail et, par la même occasion, a empêché l'accès à plus de 600 autres sites Web. Il y a aussi Shaw, qui avait annoncé une augmentation des tarifs de 10 $ pour les consommateurs utilisant les services de téléphonie Internet, ouvrant ainsi la porte à la création d'un avantage concurrentiel sur certains autres fournisseurs de services. Il y a également Rogers qui, actuellement, altère la performance de certaines applications, comme BitTorrent, qui est largement utilisée par les développeurs de logiciels ainsi que les cinéastes indépendants pour diffuser leurs travaux.
En réaction à cela, il y a eu un élan de plus en plus grand en faveur d'une loi régissant la neutralité du réseau, c'est-à-dire de dispositions exigeant des fournisseurs de services Internet qu'ils traitent le contenu et les applications sur Internet de manière neutre, de façon à ce que l'accès offert aux compagnies qui réussissent actuellement sur Internet, comme Google, Amazon et eBay, profite aussi à la nouvelle génération de compagnies internautes et aux millions de personnes qui alimentent les contenus en ligne. Le Congrès américain a débattu d'une telle loi l'an passé et, en décembre dernier, AT&T a accepté d'appliquer certaines conditions pour régir la neutralité du réseau dans le cadre de sa fusion avec BellSouth, sous la pression de la Federal Communications Commission.
Il convient de noter que les préoccupations entourant l'adoption d'une loi pour régir la neutralité du réseau se sont amplifiées en raison d'au moins deux problèmes sur le marché canadien. Le premier est l'absence de concurrence. Les consommateurs canadiens ont peu de choix concernant l'accès à la large bande. Cela se limite normalement au câble ou à la DSL, et il arrive même que certaines communautés n'aient accès à aucun des deux. Il est très rare que l'on trouve sur le marché un troisième fournisseur de services viable. Ce qui inquiète aussi, c'est le manque de transparence. Lorsque Rogers altère la performance de certaines applications, c'est pratiquement toujours passé sous silence. En revanche, certains fournisseurs de services Internet, dans d'autres pays, indiquent clairement la façon dont ils traitent toutes les formes de contenus et d'applications.
Enfin, toujours en ce qui concerne la neutralité du réseau, le ministre a fait savoir la semaine dernière qu'il étudiait encore la question. Je pense qu'il est éminemment important de souligner que le Canada joue déjà un rôle actif en matière de politiques relatives à la neutralité du réseau sur la scène internationale. L'OCDE travaille actuellement sur un rapport concernant la priorisation dans la gestion du trafic Internet. Étant donné notre participation active à l'OCDE, j'imagine que les représentants canadiens s'affairent à la rédaction d'un document. D'après la dernière ébauche que j'ai pu voir, l'OCDE reconnaît qu'il existe des problèmes liés à des comportements anticoncurrentiels, à la possibilité que certains fassent obstacle à l'accès à l'information, et s'interroge sur les répercussions que pourrait avoir, au plan de la protection des renseignements personnels, le fait de contrôler le contenu passant par les réseaux de fournisseurs de services Internet.
En outre, on y fait remarquer qu'une vive concurrence peut contribuer à dissiper ces risques, mais cela ne s'applique pas au Canada, semble-t-il.
Si je puis me permettre, j'aimerais aborder rapidement deux ou trois questions en marge de la neutralité du réseau. La première concerne la large bande. Nous reconnaissons de plus en plus l'importance cruciale de la large bande ou de l'accès aux services Internet haute vitesse. Que ce soit en matière de communication, de commerce, de création, de culture, d'éducation, de santé ou de diffusion des connaissances, l'accès à la large bande est incontournable. Il fut un temps où le Canada était un chef de file dans ce domaine. À la fin des années 1990, il est devenu le premier pays au monde à s'assurer que chacune des écoles de notre territoire, d'un océan à l'autre, ait accès à Internet. Dans la foulée, nous avons créé le Groupe de travail sur les services Internet à large bande afin de mettre au point une stratégie destinée à veiller à ce que tous les Canadiens puissent accéder à des réseaux Internet haute vitesse. Dans les années qui ont suivi la création de ce groupe de travail, notre position dans le monde n'a cessé de reculer. Beaucoup de pays européens ont dépassé le Canada à ce chapitre, et le Groupe d'étude sur le cadre réglementaire des télécommunications a entrepris une analyse approfondie du marché canadien dans le but de déterminer si celui-ci était suffisamment fiable pour garantir à tous les Canadiens l'accès à la large bande. Ce groupe d'étude a conclu que ce n'était pas le cas et que, sans l'aide du gouvernement, au moins 5 p. 100 de Canadiens, c'est-à-dire des centaines de milliers de personnes, n'auront pas accès à la large bande. Il convient de mettre en oeuvre une stratégie à cet égard.
Enfin, sur une période de 12 mois, entre 2004 et 2005, j'ai siégé au Groupe de travail national sur le pourriel, aux côtés de représentants de tous les grands groupes influents, dont des compagnies de télécommunications, des câblodistributeurs, des offices commerciaux, des fournisseurs de services Internet et des associations de consommateurs. La conclusion unanime à laquelle nous sommes arrivés est que le Canada doit se doter d'une loi anti-pourriels. Le cadre législatif actuel, qui englobe les lois sur les télécommunications, sur la protection de la vie privée et le Code criminel, est tout simplement inefficace. Étant donné que la plupart de nos principaux partenaires ont déjà adopté des lois anti-pourriels, si nous ne faisons rien, nous risquons de devenir un paradis pour les polluposteurs. En outre, les coûts associés à la déferlante de pourriels sont assumés par les petites entreprises, les fournisseurs de services, les établissements d'enseignement ainsi que la population canadienne. La loi seule ne résoudra pas le problème, mais elle est nécessaire.
Merci.
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Bonjour. J'aimerais remercier les honorables députés de l'occasion qu'ils me donnent de témoigner devant ce comité aujourd'hui.
Je suis professeur au département d'économie de l'Université de Calgary, et je suis également membre de l'Institute for Advanced Policy Research de cette même université, où je coordonne un groupe de travail sur l'institution et la réglementation des marchés. Je jouis donc d'une certaine expertise dans le domaine puisque cela fait au moins 12 ans maintenant que je m'intéresse à la guerre dans le secteur des télécommunications, notamment comme membre de l'équipe s'occupant des télécommunications au Bureau de la concurrence. J'étais là en 1995 et 1996, en tant que membre de la Chaire T.D. MacDonald en économie industrielle — il se trouve que j'ai une expérience théorique en économie des réseaux —, et c'est à cette époque que nous travaillions sur la décision 97-8.
Je suis ici pour vous parler de différentes choses. La première est que le décret du Cabinet visant à renverser la décision relative à l'abstention de réglementation dans la téléphonie locale cause deux problèmes qu'il ne faut pas perdre de vue.
Le premier vise le contexte institutionnel de cette décision. En général, quand un ministre renverse la décision d'un organisme de réglementation, cela a des conséquences tout à fait indésirables. Toutefois, si l'organisme de réglementation a pris une décision plutôt déconnectée de la réalité ou inefficace ou encore préjudiciable pour les consommateurs, il convient de se demander: « Comment se fait-il qu'un organisme de réglementation ait pu prendre pareille décision? » Dans ce cas, cela démontre qu'il y a des problèmes fondamentaux au sein du CRTC et dans la Loi sur les télécommunications.
Le deuxième, bien sûr, c'est l'évaluation du cadre réglementaire décisionnel relatif à l'abstention de réglementation du CRTC et à ces quatre éléments clés.
Pour comprendre mon insatisfaction à l'égard du cadre décisionnel du CRTC, vous devez connaître deux détails intéressants concernant cette décision. Le premier est la flexibilité des prix à la baisse. On autorise donc les entreprises de services locaux titulaires, les ESLT, à baisser leurs tarifs. Selon le régime réglementaire actuel, il est soit impossible soit peu rentable pour les ESLT de casser les prix pour s'aligner sur la concurrence.
Le deuxième problème qui a dominé le débat était qu'on encourageait les agissements anticoncurrentiels. C'est lié à la baisse des tarifs des ESLT. On craignait en effet que les ESLT aient un comportement anticoncurrentiel. La question est de savoir si les dangers sont suffisamment réels pour que l'on condamne, avant le fait, le comportement des ESLT, ou s'il convient plutôt d'adopter une approche après le fait.
Le deuxième problème qui, selon moi, revêt probablement une importance majeure pour les Canadiens, mais était pourtant secondaire dans la liste des sujets traités lors de l'audience, c'est la question de savoir quand il y a suffisamment de concurrence pour compenser les contraintes réglementaires s'appliquant à l'emprise sur le marché des ESLT. Ce que nous nous demandons par là, c'est quand la concurrence est-elle assez développée pour faire baisser les prix plafonds? Ainsi, au lieu que ce soit l'organisme de réglementation qui fait chuter les prix, c'est le jeu de la concurrence.
Le but de toute cette initiative était de mettre au point un processus accéléré qui soit simple du point de vue administratif. Mais qui dit processus administratif simple dit aussi erreurs.
À ce propos, il convient de se poser deux types de questions: la première est de savoir quelle est la probabilité de commettre une erreur, en l'occurence de s'abstenir de réglementer quand il aurait fallu le faire et vice-versa, et ensuite s'interroger sur le coût de ces erreurs. Il faut tenir compte des probabilités que le cadre décisionnel choisi soit mauvais et aussi penser aux coûts associés à ces décisions erronées.
Par ailleurs, il ne faut pas perdre de vue le fait que nous avons connu une révolution dans le domaine de la téléphonie IP; il y a eu ce que l'on appelle la convergence. L'ancien modèle hybride que le CRTC avait tenté de créer, à la suite de la décision 97-8, ne fonctionne tout simplement pas. Il est inadapté; ce n'était qu'une tentative qui a échoué. Il y a maintenant de la concurrence entre les réseaux, et le CRTC doit instituer un cadre réglementaire qui reconnaisse cette concurrence ainsi que l'importance du lancement de la téléphonie numérique par les câblodistributeurs.
Pour ce qui est de la concurrence entre les réseaux à très large bande non réglementés, l'ancien modèle ne fonctionnait absolument pas. C'était une belle expérience à tenter, mais il était très difficile de viser juste, même si nous n'avons ménagé aucun effort pour y arriver. Le CRTC a fait son possible pour soutenir les ESLT en vertu de l'ancien modèle. Mais cela n'a pas marché.
Dans cette décision, ce qui préoccupait beaucoup le CRTC, c'était le comportement anticoncurrentiel. On a réfléchi aux conditions relatives à l'abstention et, ce faisant, on a rendu ces conditions, à mon avis, beaucoup trop compliquées. On a adopté la position de l'ACCT proposant la création de très grandes régions géographiques. Avec ces très vastes régions géographiques établies en fonction d'un seuil de parts de marché élevé, on retarde ou on finit par éliminer toute possibilité d'abstention.
Le principe de définition du marché qu'a utilisé le CRTC est totalement contraire à une saine politique de la concurrence et à une bonne gestion économique. Le taux de 25 p. 100 est également inadapté dans le cadre de la concurrence entre réseaux. Les parts de marché, dans l'évaluation de la nature de la concurrence, servent à se demander ce qu'il adviendra des consommateurs si une entreprise a tenté d'augmenter ses tarifs. Si vous avez deux réseaux concurrents dont l'un essaie de monter les prix, il faudra savoir si les consommateurs touchés pourront facilement aller chez l'autre et si ce dernier dispose de la capacité suffisante pour accueillir ces nouveaux clients et offre de bas tarifs.
À cet égard, lorsque deux réseaux qui offrent des services très semblables se livrent concurrence, il convient de mesurer la part de marché sous l'angle des capacités — c'est-à-dire le nombre de câbles interactifs à large bande ou d'accès au réseau téléphonique qu'il y a dans les maisons ou endroits concernés.
De façon générale, je dirais que le décret du ministre constitue un changement opportun et bienvenu à la proposition du CRTC. Je remarque que le prix plafond est maintenu; le décret permet donc aux entreprises titulaires d'avoir une certaine marge de manoeuvre pour fixer les prix à la baisse; les consommateurs et les ESLT tireront profit de cette souplesse, qui met par ailleurs un terme à la protection des câblodistributeurs.
En ce qui concerne le ministre et le test du Bureau, il convient de noter trois éléments intéressants. Premièrement, on n'est qu'à un pas de ce que les ESLT ont toujours réclamé. J'ai passé 10 ans à affronter ces dernières. Elles ont toujours prétendu qu'il y aurait suffisamment de concurrence si nous réduisions les obstacles à l'entrée. C'était assez pour déréglementer. Nous avons finalement un critère qui repose sur la concurrence réelle. Il n'y aura pas de déréglementation avant que les services de câblodistribution soient disponibles et fournissent la téléphonie numérique, qui s'est avérée équivalente aux services des ESLT.
Le critère du ministre, qui est aussi, d'après ce que je peux voir, le critère du Bureau, soulève trois éléments très controversés; je serai d'ailleurs heureux de répondre à vos questions là-dessus. D'abord, en général, on pourrait croire que deux concurrents ne suffisent pas. Nous avons entendu parler du problème des duopoles; deux entreprises, ce n'est pas assez. En fait, ce nombre peut parfois suffire, surtout lorsqu'il s'agit de trouver le juste milieu entre concurrence imparfaite et réglementation bancale. Vous voudrez peut-être examiner les caractéristiques de l'industrie pour voir si, dans ce cas, deux concurrents suffiraient.
L'autre élément — et je répondrai avec plaisir à vos questions là-dessus — est le potentiel de collusion tacite, ou de parallélisme délibéré coordonné. Une fois ce duopole bien confortablement installé, qu'est-ce qui nous fait croire que les deux intéressés n'agiront pas comme des monopoles?
Le troisième élément, bien sûr, c'est l'approche avant le fait. Pourquoi jugeons-nous qu'on ne sera pas fortement tenté d'adopter un comportement anticoncurrentiel? Les coûts de l'interdiction d'un tel comportement avant le fait sont très élevés, et il serait préférable d'adopter une approche après le fait, une fois que nous aurons appliqué ces mesures, créé un incitatif basé sur des données factuelles et vérifié que ce scénario s'est concrétisé.
Merci, monsieur le président.
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Je tiens à vous remercier tous les deux de votre comparution.
Monsieur Geist, j'aimerais parler de votre dernière remarque concernant les pourriels. J'ai parrainé un projet de loi qui ne s'est pas rendu aussi loin que je l'aurais souhaité, mais c'est probablement parce qu'il y a énormément de questions importantes, et celle-ci, dans son ensemble, est préoccupante.
Monsieur Church, je connais assez bien la Loi sur la concurrence, de même que le CRTC, mais j'ai remarqué que vous n'aviez jamais fait référence au rapport du Groupe d'étude. Vous avez parlé des moyens limités dont dispose actuellement le CRTC pour évaluer les technologies émergentes. Si je vous ai bien compris, vous avez affirmé qu'il était possible, au bout du compte, de se limiter à deux concurrents.
Dans ce type de scénario où nous tentons d'accroître la concurrence, pourquoi seriez-vous d'avis, monsieur, que deux concurrents suffisent? Ce que nous avons constaté ici, tout comme dans d'autres industries, c'est que souvent, advenant une rationalisation, pour des raisons économiques ou autres, il se peut que l'un des deux concurrents abandonne la partie. Nous savons également qu'au chapitre de la téléphonie sans fil, la troisième option, les Canadiens ne sont pas très bien servis en ce moment.
D'après votre expérience, pourriez-vous nous dire pourquoi le gouvernement ne s'est pas occupé d'abord du dossier de la téléphonie sans fil, avant de se lancer tête première en ignorant le rapport du Groupe d'étude ou en choisissant d'en retenir seulement certaines parties? Pourquoi n'y avez-vous pas fait allusion dans votre allocution d'aujourd'hui?
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Merci. C'est une bonne question.
Je pense qu'au fil du temps, nous constatons que les cas s'accumulent. Quand on parlait de la neutralité du réseau, il y a un an ou deux, il n'y avait pas encore eu les exemples de Vidéotron et Shaw. Nous ignorions quel serait exactement l'ensemble des services offerts par Rogers. Ce qui se produit de façon assez régulière, c'est que les fournisseurs eux-mêmes expérimentent tout un éventail d'activités diverses.
À n'en pas douter, c'est un domaine qui évolue à une vitesse fulgurante. YouTube, inconnu il y a un an, s'est développé très rapidement. Avec les types de regroupements auxquels nous assistons, la croissance du phénomène du contenu généré par les utilisateurs et le besoin de contenu canadien en ligne, je pense que nous courons le risque, si nous n'agissons pas rapidement, de nous retrouver coincés dans un environnement Internet à deux vitesses.
De plus, si l'on regarde ce qui s'est produit aux États-Unis, AT&T était prête à accepter ces exigences parce que dans le cadre d'une fusion, il était très logique de faire des compromis concernant la neutralité du réseau. Si nous devons déréglementer le marché, c'est maintenant qu'il faut prévoir une disposition sur la neutralité.