:
Merci beaucoup, monsieur le président.
Permettez-moi d'abord de vous présenter mes deux collègues, M. Andy Ellis, directeur adjoint de Politiques, et John Dunn, le directeur de Communications de notre service.
Je vous remercie de m'avoir donné l'occasion de me présenter devant le comité pour fournir des précisions sur les propos que j'ai tenus lors des reportages sur le SCRS diffusés par la chaîne CBC et qui ont soulevé de nombreuses questions. J'aimerais, pendant les quelques minutes qui me sont accordées, formuler des observations sur les points suivants: premièrement, la décision du SCRS de s'ouvrir davantage au public; deuxièmement, la nature et la portée des activités d'ingérence étrangère au Canada; troisièmement, le contexte dans lequel j'ai mentionné deux cas précis d'ingérence étrangère possible; quatrièmement, la mesure dans laquelle des personnes à l'extérieur du service étaient au courant de l'ingérence étrangère en général et des deux cas que j'ai mentionnés en particulier.
Permettez-moi d'abord de vous dire pourquoi j'estime que les Canadiens devraient être mieux informés au sujet des menaces qui pèsent sur le Canada. Bien que le SCRS soit assujetti à un ensemble de mécanismes de reddition de comptes, de surveillance et de contrôle en vertu de la Loi sur le SCRS — le ministre, la Cour fédérale, le Comité de surveillance des activités de renseignement de sécurité et le Bureau de l'inspecteur général —, ses activités et, plus particulièrement, les menaces auxquelles il fait face sont pratiquement inconnues. Lorsqu'elles sont connues, ces menaces et activités s'inscrivent dans le contexte d'enquêtes ou de dossiers particuliers dans lesquels il est souvent difficile pour le service, en tant que principal organisme canadien chargé de protéger la sécurité nationale, de faire connaître son point de vue.
À l'exception de la tragédie d'Air India, de quelques autres attentats terroristes et de certains complots qui ont pu être déjoués — par exemple, celui des 18 de Toronto —, peu d'actes terroristes ont été commis en sol canadien. En tant que pays, nous ne nous penchons pas souvent sur les menaces liées à l'espionnage, au terrorisme et à l'ingérence étrangère. Selon moi, le fait de sensibiliser davantage les Canadiens aux menaces qui pèsent sur le pays est une bonne politique gouvernementale.
À ce moment-ci, monsieur le président, j'aimerais expliquer au comité comment la partie la plus controversée de ma récente entrevue en est venue à être diffusée au public. Je parle des cas d'ingérence étrangère. J'avais formulé ces observations lors d'une séance de questions suivant mon allocution devant le Royal Canadian Military Institute à l'occasion d'une soirée organisée dans le but de rendre hommage au travail des services de police, le 24 mars dernier. Le service avait accepté que la CBC filme ma visite au RCMI dans le cadre d'une entente qu'il avait conclue avec cette chaîne en vue de la diffusion de reportages visant à commémorer son 25e anniversaire.
Je pensais que seule mon allocution serait filmée. C'est pourquoi, vu que je m'adressais à un auditoire de policiers, de spécialistes du renseignement et d'experts militaires, j'ai fourni, dans ma réponse à une question, des précisions que je n'aurais pas partagées avec le grand public. À la fin du mois de juin, devant les questions précises de la CBC sur la teneur d'une remarque enregistrée trois mois plus tôt, j'ai eu l'impression de n'avoir autre choix que de répondre franchement. J'avoue que le contexte dans lequel ces informations ont été communiquées au public n'était pas idéal et j'aurais aimé que les choses se passent autrement.
[Français]
Permettez-moi, monsieur le président, de soulever deux points: mes remarques n'ont menacé d'aucune façon la sécurité nationale et c'est par pur manque d'attention de ma part que ces informations ont été rendues publiques. Je ne suis pas d'accord sur toutes les critiques qui ont été formulées, mais si mes remarques ont perturbé qui que ce soit, je le regrette. Sachez qu'à l'avenir je m'abstiendrai de fournir de telles informations. Cela dit, je m'en tiens à mon message général sur l'ingérence étrangère — il s'agit d'une source de préoccupations et d'une menace ici et ailleurs beaucoup plus réelle que bien des gens ne le pensent et il y a lieu de faire état de cette menace et d'en discuter. En fait, comme je l'indiquerai plus loin, la question n'est pas nouvelle et a été soulevée à maintes reprises dans nos récents rapports publics, qui sont accessibles à tous les Canadiens.
Comme je l'ai mentionné tout à l'heure, les exemples que j'ai donnés ne pouvaient pas et ne peuvent pas aujourd'hui être considérés, selon nos critères, comme une menace immédiate pour la sécurité du Canada. C'est pourquoi le n'en a pas été informé, bien qu'il soit au courant de façon générale des activités d'ingérence étrangère au Canada. Il en va de même pour le Bureau du Conseil privé.
[Traduction]
Puisque la partie de mon entrevue qui a soulevé le plus de questions avait trait aux activités d'ingérence étrangère, permettez-moi de parler brièvement de la nature, de la portée et de la gravité de ces activités.
Le Parlement avait manifestement reconnu l'existence de ce problème au moment de l'adoption de la Loi sur le SCRS en 1984. Ainsi, le SCRS a le mandat précis de faire enquête sur les activités d'ingérence étrangère, celles-ci étant considérées comme une menace potentielle pour la sécurité du Canada. Je dis bien « menace potentielle » parce que, contrairement au terrorisme ou à l'espionnage, qui représentent une menace plus immédiate pour la sécurité nationale et dont les conséquences peuvent être extrêmement sérieuses — perte de vies ou de secrets nationaux importants —, le « degré de gravité » des activités d'ingérence étrangère varie, de sorte que seuls les cas les plus graves menacent la sécurité nationale. Je fournirai des exemples dans quelques instants.
Mais avant, j'aimerais définir ce qu'est l'ingérence étrangère. En termes simples, il s'agit d'une tentative de la part d'agents d'un État étranger en vue d'influer sur les opinions et les décisions des Canadiens dans le but d'en tirer un avantage sur le plan politique, stratégique ou économique. Selon la Loi sur le SCRS, constituent une menace envers la sécurité du Canada
les activités influencées par l'étranger qui touchent le Canada ou s'y déroulent et sont préjudiciables à ses intérêts et qui sont d'une nature clandestine ou trompeuse ou comportent des menaces envers quiconque.
Il s'agit là, bien sûr, d'une définition générale qui peut s'appliquer à de nombreuses activités, mais il est important de noter qu'une véritable activité influencée par l'étranger doit être préjudiciable aux intérêts du Canada et de nature trompeuse.
[Français]
Il importe aussi de signaler que, contrairement à l'espionnage et au terrorisme dont les conséquences néfastes pour la sécurité nationale sont susceptibles d'être plus immédiates, l'ingérence étrangère constitue plutôt un processus par lequel l'entité étrangère tente d'établir une relation avec la personne visée. Ce n'est ni simple ni évident à repérer. Les entités étrangères agissent souvent d'une manière qui, au départ, paraît innocente, mais qui finit par être préjudiciable aux intérêts du Canada. Il s'agit d'un processus très subtil.
L'ingérence étrangère constitue une importante source de préoccupations parce que nous croyons fermement que les décisions touchant le Canada doivent être prises par des Canadiens pour des raisons canadiennes, c'est-à-dire par des personnes qui sont loyales envers le Canada — qu'elles soient ici depuis des générations ou qu'elles aient obtenu leur citoyenneté la semaine dernière.
[Traduction]
Les citoyens sont parfois impliqués inconsciemment dans des activités d'ingérence étrangère, mais nous partons du principe qu'ils sont loyaux. Ce qui nous préoccupe surtout, c'est ce que les puissances étrangères tentent de faire au Canada et pourquoi.
Le service comprend aussi qu'étant donné la vaste diversité de notre pays, la plupart des Canadiens ont des liens avec d'autres patries, que ces liens soient réels et récents ou qu'ils remontent au passé. C'est tout à fait normal pour un pays qui joue un aussi grand rôle dans le monde et dont les citoyens proviennent littéralement de tous les coins de la planète.
Pour les fins qui nous intéressent ici aujourd'hui, je limiterai mes remarques aux activités d'ingérence étrangère dans le processus politique canadien. Permettez-moi de fournir quelques explications. Contrairement au terrorisme ou à l'espionnage, les personnes qui se livrent à l'ingérence étrangère n'enfreignent pas toujours la loi. Cependant, tout comme le terrorisme ou l'espionnage, au moins une partie des activités d'ingérence étrangère sont menées secrètement ou discrètement. Ce qui inquiète le SCRS, c'est le risque qu'un État étranger porte atteinte secrètement au processus démocratique du Canada, à moins, bien sûr, que le Canadien qui est la cible d'ingérence ne commette une infraction particulière à la loi canadienne.
Le SCRS vise trois objectifs: 1, identifier l'agent étranger et mettre fin à ses activités d'ingérence; 2, identifier la cible d'ingérence afin de pouvoir informer les autorités compétentes; 3, protéger de façon générale les Canadiens contre l'ingérence. Les personnes qui sont la cible d'ingérence sont souvent des Canadiens avec lesquels l'agent étranger peut établir assez facilement une relation.
Maintenant que j'ai présenté les principales caractéristiques de l'ingérence étrangère, permettez-moi d'expliquer le « degré de gravité » que j'ai mentionné plus tôt. Les contacts diplomatiques réguliers et ouverts, courants dans le milieu des affaires internationales, ne suscitent pas de préoccupations, à moins qu'ils ne s'inscrivent dans un plan ou une série de gestes à plus long terme, préjudiciable aux intérêts du Canada.
Je laisserai tomber les exemples de gravité moyenne pour passer à l'autre extrême. Voici donc un cas qui intéresserait le SCRS: un agent d'une puissance étrangère offre à un Canadien sur plusieurs mois ou années des avantages de plus en plus importants et de moins en moins officiels. La relation entre les deux personnes comprend de nombreux échanges d'informations et d'opinions orientées par les intérêts de l'État étranger. À un moment donné, de manière consciente ou non, les opinions du Canadien changent et il commence à les soutenir ou à les présenter comme si elles venaient de lui, ce qui pourrait avoir des conséquences sur les décisions auxquelles il participe. Il est très important de retenir que le Canada s'oppose intrinsèquement à l'ingérence étrangère, peu importe si l'État étranger réussit à atteindre l'objectif visé, parce qu'une telle activité est préjudiciable aux intérêts du Canada.
[Français]
J'aimerais vous rappeler les points suivants, monsieur le président.
Tout d'abord, la sécurité nationale n'est pas toujours menacée directement ou immédiatement par les cas d'ingérence étrangère, mais lorsque l'ingérence peut menacer la sécurité nationale et que le service a des motifs raisonnables de soupçonner que c'est bien le cas, il doit mener une enquête.
Deuxièmement, le mandat du service est de protéger les Canadiens et le processus démocratique canadien contre l'ingérence secrète et les actes trompeurs.
Troisièmement, tout Canadien capable de faire pencher des décisions en faveur d'un État étranger peut être la cible d'ingérence.
[Traduction]
Je ne peux pas donner de précisions sur les deux exemples mentionnés pendant les reportages de la CBC, mais j'aimerais faire trois autres remarques. D'abord, les cas mentionnés n'ont jamais représenté une menace immédiate pour la sécurité nationale. Le SCRS prend donc le temps d'achever son analyse avant de présenter un rapport au gouvernement. En deuxième lieu donc, pour cette raison, il n'était pas nécessaire, et il ne l'est encore pas, d'en informer le ministre avant que le SCRS ait achevé son analyse et consulté d'autres ministères. Enfin, c'est seulement une fois les consultations terminées que le SCRS mettra au courant le ministre de la Sécurité publique et formulera des recommandations quant à la voie à suivre.
Depuis la diffusion des reportages des médias, la surprise générale quant à l'existence et à la portée de l'ingérence étrangère au Canada et ailleurs a étonné de nombreuses personnes dans le milieu du renseignement et de la sécurité. Je ne veux pas trop insister sur ce point, mais comme je l'ai mentionné plus tôt, depuis sa création, le SCRS a informé les gouvernements qui se sont succédé des menaces et en a fait mention dans ses cinq derniers rapports annuels. De plus, tous les ans, le Parlement alloue des fonds au SCRS pour qu'il enquête sur l'ingérence étrangère. Il s'agit d'une menace non seulement pour le Canada, mais aussi pour ses proches alliés, qui en sont également la cible. Je souhaite aussi souligner qu'au fil des ans, les deux organismes responsables de surveiller les activités du SCRS ont régulièrement examiné et commenté les enquêtes du SCRS sur l'ingérence étrangère, tout comme ils l'ont fait pour les enquêtes sur le terrorisme.
Monsieur le président, permettez-moi de conclure en résumant quelques-uns des points que j'ai présentés ce matin. Tout d'abord, nous croyons que les Canadiens auraient avantage à être mieux informés des menaces pour la sécurité nationale. Deuxièmement, l'ingérence étrangère, comme le précise la Loi sur le SCRS, constitue une menace au Canada et je crois que les Canadiens devraient en être conscients. Troisièmement, l'objectif premier du SCRS en ce qui concerne l'ingérence étrangère est de protéger les Canadiens et le pays contre les activités de puissances étrangères. Quatrièmement, n'importe qui peut être la cible d'ingérence étrangère, qui commence dans bien des cas sans que les personnes ciblées ne s'en rendent compte ou ne le veuillent. Cinquièmement, l'ingérence étrangère ne menace pas toujours directement ou visiblement la sécurité nationale. Il s'agit plutôt d'une activité qui, avec le temps, peut influencer secrètement le processus démocratique canadien. Enfin, en ce qui concerne les deux exemples que j'ai donnés, ni mon ministre ni le Bureau du Conseil privé n'ont été informés des cas précis. Ils sont toutefois conscients de la menace générale que représente l'ingérence étrangère.
Monsieur le président, j'espère que ces observations auront été utiles. Elles ont été préparées à la lumière des commentaires du public et du Parlement. Je tenterai volontiers de répondre à toute autre question.
Je vous remercie.