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SECU Réunion de comité

Les Avis de convocation contiennent des renseignements sur le sujet, la date, l’heure et l’endroit de la réunion, ainsi qu’une liste des témoins qui doivent comparaître devant le comité. Les Témoignages sont le compte rendu transcrit, révisé et corrigé de tout ce qui a été dit pendant la séance. Les Procès-verbaux sont le compte rendu officiel des séances.

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CANADA

Comité permanent de la sécurité publique et nationale


NUMÉRO 053 
l
3e SESSION 
l
40e LÉGISLATURE 

TÉMOIGNAGES

Le jeudi 10 février 2011

[Enregistrement électronique]

(0850)

[Traduction]

    Bienvenue tout le monde.
    La 53e séance du Comité permanent de la sécurité publique et nationale du jeudi 10 février 2010 est ouverte. Nous poursuivons notre étude du projet de loi C-17, Loi modifiant le Code criminel (investigation et engagement assorti de conditions).
    Les membres du comité se souviendront que le ministre de la Justice, l'honorable Rob Nicholson, a témoigné devant le comité avec son personnel le 15 décembre 2010, nous expliquant les objectifs et caractéristiques de ce projet de loi.
    Comparaissent aujourd'hui l'Association canadienne des juristes musulmans, représentée par Ziyaad Mia, président du Comité de représentation et de recherche. Bienvenue. Ensuite, de la British Columbia Civil Liberties Association, Carmen Cheung, avocate. Aussi, du Congrès juif canadien, Eric Vernon, directeur, Relations gouvernementales et affaires internationales. Merci de répondre si rapidement à une invitation envoyée seulement hier. Enfin, de l'Association canadienne des libertés civiles, Nathalie Des Rosiers, avocate générale. Une fois de plus, merci d'être venus malgré le court préavis.
    Le comité remercie les témoins d'avoir accepté l'invitation et d'avoir fait l'effort de venir comparaître devant nous aujourd'hui.
    Je crois que chacun d'entre vous va faire une déclaration préliminaire; nous passerons ensuite aux séries de questions. Nous avons deux heures aujourd'hui ou presque. Il y a aura deux séries de questions. Commençons donc sans plus tarder par les témoins assis au bout de la table.
    Monsieur Mia.
    Bonjour, monsieur le président, membres du comité et autres invités et témoins. Je suis Ziyaad Mia et je représente aujourd'hui l'Association canadienne des juristes musulmans. Je vous remercie de m'avoir invité à participer à vos travaux sur l'importante question dont vous êtes saisis.
    Notre association représente divers juristes musulmans du Canada. Comme certains d'entre vous le savent, nous nous intéressons de près aux questions de sécurité nationale et de lutte contre le terrorisme qui ont été soulevées depuis environ une décennie. Nous avons un certain nombre de préoccupations et nous les avons exprimées au cours des 10 dernières années. Certaines ont été prises en compte, d'autres non. Nous espérons qu'aujourd'hui, vous écouterez et que nous pourrons avoir un bon dialogue au sujet de nos préoccupations.
    L'une de nos principales inquiétudes au sujet de la législation et du ton qui règne sur les lois et politiques dans ce domaine, c'est qu'elles sont principalement inspirées par la peur. Le problème, c'est que la crainte n'est pas propice à la rédaction de bonnes lois et de bonnes politiques. Au bout du compte, dans cet environnement de la guerre contre le terrorisme, la culture de la crainte est malheureusement associée à la xénophobie. Les Canadiens musulmans et les musulmans de partout dans le monde en sont les victimes.
    Ce n'est pas essentiellement ce dont je vous parlerai aujourd'hui mais c'est l'une de mes préoccupations.
    J'ai aussi des craintes liées au fait que des pouvoirs insuffisamment ciblés soient conférés par la loi, et puissent servir contre d'autres minorités vulnérables à l'avenir. Au bout du compte, quand les lois sont mal conçues, des erreurs sont commises et la vie d'innocents est ruinée. C'est une réalité. Les journaux nous en parlent, mais dans les faits, ce sont de vraies personnes, des enfants, des familles dont la vie est détruite. Et l'indemnisation ne suffit pas à leur rendre leur vie normale.
    Nous avons deux principales préoccupations. Premièrement, les lois dont vous êtes saisis aujourd'hui ne sont pas nécessaires. Nous avons au Canada un Code criminel solide qui compte de nombreuses dispositions dont je vous reparlerai volontiers. La loi dont vous êtes saisis nous écarte des protections fondamentales prévues dans le Code criminel et la Constitution canadienne qui sont précisément destinées à arriver à un juste équilibre entre le respect des droits et la lutte contre les criminels et les terroristes, puisque essentiellement, les terroristes sont des criminels. Nous atteignons, et dans certains cas, éliminons, des garanties historiques fondamentales, qui existent depuis des siècles, relatives à la détention arbitraire, à l'habeas corpus, à l'indépendance de la magistrature et à la séparation des pouvoirs. Elles ne sauraient être prises à la légère et dans le cas qui nous occupe, elles sont gravement compromises.
    Deuxièmement, ce type de pouvoir peut faire l'objet d'abus. Nous y reviendrons plus tard, et nous pouvons donner des exemples d'erreurs qui ont été commises au cours des 10 dernières années et qui ont ruiné la vie de citoyens innocents. Je ne pense pas que ce soit là votre objectif, et ce n'est certainement pas celui de l'Association canadienne des juristes musulmans. Comme tous les autres Canadiens, nous sommes résolus à tuer le terrorisme dans l'oeuf, mais nous devons nous assurer de ne pas, ce faisant, nuire à des tas d'innocents. Il ne faut pas stigmatiser des communautés. Je le répète, un glissement est à craindre, une fois qu'on commence à altérer la nature même de nos lois et de notre Constitution.
    Vous avez reçu beaucoup de témoins qui parlaient d'arriver à un équilibre entre la sécurité nationale et les droits de la personne. Je tiens à vous dire une chose: je ne pense pas qu'il soit nécessaire d'arriver à cet équilibre. En effet, nous avons une Constitution et un droit pénal qui permettent déjà d'arriver à cet équilibre. Nous n'avons pas un régime de droits absolus; l'article 1 de la Charte est précisément destiné à trouver un équilibre. C'est ce que nous avons décidé, collectivement.
    On vous demande de faire pencher la balance pour donner plus d'importance à la sécurité. Très bien, si c'est ce que vous voulez vraiment. Mais ce n'est pas ainsi qu'on nous présente les choses. On nous dit qu'on veut arriver à un équilibre, et s'écarter de la situation actuelle, alors que nous avons déjà un équilibre et qu'on veut faire pencher la balance, modifier le contrat social fondamental du pays sans débat public.
    Quand on parle d'arriver à un équilibre, on cherche à nous leurrer.
    Nous l'avons déjà dit, ici même et à maintes reprises, devant d'autres comités: ces dispositions sont inutiles. En rédaction législative, un principe de base veut qu'une loi doit être utile et précise.
(0855)
    Nous avons le Code criminel et nous pourrons parler tout à l'heure des dispositions dont vous avez entendu parler.
    L'article 495 du Code criminel nous permet d'arrêter les activités criminelles avant même qu'elles ne se produisent. Il était erroné de la part du gouvernement précédent, ainsi que de ceux qui le disent maintenant, que nous n'avions pas les outils pour arrêter les terroristes avant qu'ils ne prennent l'avion. Car nous avions bel et bien les outils pour le faire. Il s'agit du Code criminel et des techniques d'enquête. Il nous faut les utiliser ces outils, nous devons même les exploiter. Il n'est donc pas nécessaire de faire des arrestations préventives afin d'éviter le pire. En effet, nous avons déjà les outils pour éviter le pire.
    Il y a les ordonnances de bonne conduite. l'article 810 du Code criminel, comme vous le savez, prévoit ce genre de protections, y compris pour le terrorisme. Ces dispositions sont peut-être appliquées trop largement, du point de vue des libertés civiles, mais elles existent néanmoins. Et ces dispositions sont fondées sur des motifs raisonnables, non pas des doutes raisonnables; c'est un point très important qui devrait faire l'objet d'une discussion aujourd'hui. La partie 13 du code envisage toutes sortes d'infractions préparatoires — complots, tentatives, etc. — bref, elle fait de la prévention.
    Bref, je crois que nous mettons la charrue avant les boeufs. Ces lois sont mal ficelées, elles sont trop larges, elles sont vagues, et elles donnent des pouvoirs trop rudimentaires à la police et aux agences de sécurité, qui sont mal préparées à s'en servir. Cela dit, je sais que le SCRS n'utilise pas ces pouvoirs, puisqu'il se limite aux enquêtes préparatoires.
    De plus, il y a toutes sortes d'enquêtes sur les tablettes qui accumulent de la poussière: l'enquête Arar, l'enquête Air India, l'enquête Iacobucci. Il y a notamment deux affaires, les affaires Almrei et Charkaoui, dans lesquelles le SCRS et la GRC ont été dénoncés comme étant incompétents, mal renseignés sur la géopolitique, de façon qu'il était impossible d'attraper les vrais terroristes car on perdait notre temps sur des détails. C'est ce que nous disait le juge Mosley.
    De plus, sans parler de la sécurité nationale, c'est la confusion à la GRC. Il y a l'affaire Dziekanski, qui est vraiment tragique, une tragédie pour notre pays. En effet, un innocent a été tué par la GRC, qui a ensuite menti pour se protéger. C'est une insulte à notre intelligence, pis encore, c'est entièrement répréhensible.
    Il y a beaucoup de choses qui ne tournent pas rond à la GRC. À cette même table, il y a à peine deux jours, la haute direction de la GRC même vous disait ce qui n'allait pas chez eux. Nous savons que le SCRS ne comprend rien comme le disait le juge Mosley. Ils ne comprennent absolument pas ce qu'est le jihad. Ils se sont complètement trompés dans la première affaire Almrei. Ils poursuivent des innocents au lieu de poursuivre les vrais terroristes, une fois de plus, on met la charrue avant les boeufs.
    Il faut faire le grand ménage au SCRS et à la GRC. Il faut mettre en application les recommandations de la Commission Arar sans plus tarder. Il faut de la surveillance, de la transparence et des protections afin que la police et les agences de sécurité poursuivent les vrais terroristes — ce que nous souhaitons tous — tout en respectant la loi. Bref, on a un service de sécurité et une police nationale dysfonctionnels et embrouillés, et il faut tout d'abord collaborer avec ces agences afin d'y faire le ménage avant même de songer à leur attribuer de nouveaux pouvoirs extraordinaires.
    Il y a des dispositions échues que vous cherchez à ramener. Si ces dispositions ont une date d'échéance, c'est qu'elles octroient des pouvoirs exceptionnels. Si nous continuons de renouveler ces dispositions, ces pouvoirs ne sont plus exceptionnels. Le juge Binnie de l'affaire Air India a examiné l'enquête et a soulevé la même préoccupation. Il l'a dit lui-même: si un pouvoir est constamment renouvelé, il n'est plus exceptionnel. Et du point de vue démocratie et primauté du droit, on s'engage sur une pente très glissante. Nous en sommes au point où il pourrait y avoir des lois d'urgence permanentes, des lois exceptionnelles permanentes. Je ne suis pas spécialiste en théorie constitutionnelle, mais je pense qu'il y a contradiction entre notre système de gouvernement et la primauté du droit. C'est ce qu'a fait M. Mubarak depuis 30 ans: 30 ans de lois exceptionnelles d'urgence. C'est absurde, car il s'agit d'une urgence permanente.
    Je ne nous compare pas à Mubarak ni aux nazis — loin de là — mais si je soulève la question, c'est qu'il faut absolument éviter d'adopter des mesures qui nous rappellent ce genre de sociétés. L'Allemagne nazie possédait des théoriciens juridiques qui estimaient que c'était le leader qui devait décider quand il y avait exception et quand cette exception devait se terminer. Nous n'avons pas ce genre de disposition dans notre société, car nous avons la primauté du droit, et le contrôle du gouvernement. Nous avons des tribunaux, des freins et contrepoids, et le contrôle de la police et des services de sécurité.
    Ne vous leurrez pas en vous disant que vous n'allez renouveler ces pouvoirs que pour cinq ans. Les agences de sécurité réclameront toujours davantage de pouvoirs. Toute agence gouvernementale et toute institution réclameront davantage de pouvoirs et davantage d'argent. C'est la nature humaine.
(0900)
    J'achève, et je termine sur une citation. Vous connaissez sans doute Edmund Burke, le grand parlementaire. Il était en fait le père du conservatisme moderne, et je le respecte énormément. Il y a plus de 200 ans, il a dit, et je cite, « Le véritable danger survient lorsque la liberté est rongée peu à peu, par commodité  ». Et je pense que c'est ce qui nous arrive aujourd'hui: on ronge les libertés par commodité, en se disant que ce n'est pas si grave, et finalement il ne reste plus rien.
    Merci de votre attention, je me ferai un plaisir de répondre à vos questions.
    Merci, monsieur Mia.
    Nous passons maintenant à Mme Cheung, qui aura 10 minutes.
    Bonjour, je m'appelle Carmen Cheung, je suis avocate auprès de la British Columbia Civil Liberties Association. Au nom de la BCCLA, je remercie les membres du comité de leur invitation de nous exprimer sur le projet de loi C-17.
    La BCCLA est un groupe de défense non partisan sans but lucratif fondé à Vancouver en Colombie-Britannique. Depuis son incorporation en 1863, la BCCLA s'est donnée comme mandat de promouvoir, défendre, et appuyer les libertés civiles et les droits de la personne partout au Canada.
    Nous nous exprimons sur les principes de promotion des droits et des libertés individuelles, y compris des questions d'application régulière de la loi et de justice fondamentale de situations où les intérêts des particuliers sont touchés par l'État.
    En décembre, le comité a entendu nos collègues de l'International Civil Liberties Monitoring Group, de la Ligue des droits et libertés, du Canadian Council on American-Islamic Relations, entre autres. La BCCLA se fait l'écho de préoccupations déjà éloquemment exprimées ici même, à savoir que la loi envisagée ne protège pas les Canadiens tout en compromettant des mesures de protection démocratiques pourtant chèrement acquises.
    Je parlerai d'abord de la disposition sur l'arrestation préventive, qui autorise la détention d'une personne sans porter d'accusation pendant 72 heures pour motif de suspicion de danger. Lorsque cette disposition était en vigueur dans le Code criminel, on n'y a jamais eu recours. Les défenseurs de la détention préventive estime qu'il s'agit là d'un brillant exemple de la précaution employée par les agences d'application de la loi; nous estimons, pour notre part, que des changements si importants dans la détention préventive sont tout simplement superflus.
    La protection des libertés personnelles est une valeur de base de notre société canadienne, et de toute société libre. C'est pourquoi il faut scruter à la loupe toute proposition d'étendre les pouvoirs de détention du gouvernement. Les principes canadiens de la justice fondamentale imposent des limites procédurales et substantives sur toute privation de liberté. Cela signifie que, d'abord, le processus de détention doit répondre aux exigences de la justice fondamentale; ensuite, les raisons substantives de toute détention doivent être justifiables et justifiées dans une société libre et démocratique.
    La détention sans accusation ou inculpation pose problème, car elle est fondée sur une hypothèse. Elle se fonde sur un hypothétique futur danger posé par l'individu en raison de velléité présumée. La détention préventive est donc fondée sur un raisonnement velléitaire, car s'il y avait des preuves de préparation à commettre un acte terroriste ou des preuves de complot pour commettre un acte terroriste, alors on aurait des motifs de porter des accusations pour un crime effectif, et les suspects pourraient être détenus en vertu des procédures criminelles habituelles. Aussi, priver une personne de sa liberté en l'absence d'une infraction ou en l'absence même d'un soupçon d'infraction est contraire aux principes de base de la justice fondamentale.
    Le Code criminel, tel qu'il existe actuellement, contient déjà des mécanismes qui permettent de poursuivre des terroristes effectifs ou éventuels. En fait, le Code criminel ratisse très large en ce qui concerne les infractions liées au terrorisme. Telle qu'elle est définie dans le Code criminel, l'activité terroriste englobe tout du complot, la tentative ou la menace de commettre un acte de terrorisme, jusqu'à l'acte terroriste.
    Le code confère aux autorités de larges pouvoirs pour imposer des conditions aux personnes qui posent un danger à la sécurité publique. Comme il a déjà été dit, on retrouve ces pouvoirs à l'article 810.2, et en ce qui concerne les infractions liées au terrorisme, à l'article 810.01. Comme il a déjà été dit, des enquêtes policières récentes démontrent l'efficacité des dispositions du Code criminel. Elles ont déjà été utilisées avec succès pour défendre et protéger les Canadiens et pour éviter des attaques terroristes potentielles.
    Détenir des personnes pour motif de dangers futurs est très problématique. Puisque le fardeau de la preuve est allégée, il y a une meilleure chance non seulement d'erreurs et d'abus, mais également que de tels erreurs et abus ne soient ni détectés ni remédiés.
    Par exemple, il peut être difficile d'établir si une prédiction de menace se concrétise. Disons qu'une personne est détenue de façon préventive et qu'il n'y a pas d'attaque terroriste. Le fait qu'il n'y ait pas eu d'attaque pourrait certainement vouloir dire qu'en mettant en détention cette personne, la police a effectivement empêcher un acte terroriste. Mais cela peut également signifier que la personne détenue n'était aucunement impliquée dans l'attaque prévue. Ce genre d'incertitude ne peut tout simplement pas justifier l'emprisonnement de qui que ce soit.
    Par ailleurs, la poursuite d'infractions inchoatives comme les complots permettent au gouvernement d'immobiliser des personnes potentiellement dangereuses et d'entraver des attaques terroristes avant même qu'elles ne se produisent, mais les exigences liées à la preuve avant même que l'on puisse porter des accusations nous protègent des erreurs ou des abus.
(0905)
    Bien à part la privation de liberté liée à une détention préventive, il y a également l'effet stigmatisant d'être étiqueté comme suspect de terrorisme ou de personne liée à des activités terroristes. Nul ne contestera que le stigmate lié à une accusation de terrorisme est assez grave. Pourtant, le système de détention préventive envisagé dans le projet de loi étiquetterait une personne comme étant un terroriste même si la police n'avait aucun motif justifié pour porter des accusations, ou encore de preuve pour poursuivre le présumé terroriste. Il ne faut surtout pas minimiser les préjudices potentiels causés à la réputation d'une personne ou les autres effets négatifs de cette accusation.
    En ce qui concerne le deuxième aspect substantif du projet de loi C-17, la réintroduction de l'investigation, il faut savoir qu'un tel mécanisme fait des tribunaux un outil d'enquête du SCRS et de la GRC. En effet, d'après les juges LeBel et Fish de la Cour suprême du Canada, de telles investigations compromettent l'indépendance judiciaire des tribunaux par rapport aux autres branches du gouvernement, ce qui constitue pourtant le fondement de notre démocratie.
    Dans leur jugement dissident, les mots des juges LeBel et Fish résonneront chez quiconque adhère au principe de la primauté du droit et de l'indépendance des tribunaux. Je cite:
Bien qu'un juge puisse être indépendant de fait et se conduire avec la plus rigoureuse impartialité, l'indépendance judiciaire n'existera que si le tribunal auquel il appartient est indépendant des autres organes du gouvernement sur le plan institutionnel.

....
        En l'espèce, l'article 83.28, en vertu duquel les juges sont de fait amenés à présider des enquêtes policières qui relèvent de l'exercice du pouvoir exécutif, ne peut qu'entraîner chez la personne raisonnable et bien informée une perception que les juges sont devenus alliés du pouvoir exécutif.
    Bien que la version précédente de la disposition sur l'investigation ait pu « résister à la Charte », comme le disait le professeur Kent Roach, cela ne veut pas dire que ces mesures sont réellement compatibles avec le droit de ne pas s'incriminer soi-même. Dans le projet de loi C-17, les investigations ont tout l'air de respecter ce droit, toutefois, nous estimons qu'elles ne respectent pas l'esprit du droit au silence.
    Nous estimons que le professeur Roach de l'École de droit de l'Université de Toronto l'a expliqué de façon très éloquente en parlant de la version 2001 de cette disposition.
Sans égards au fait qu'une investigation puisse ou non résister au scrutin en vertu de la Charte, ces enquêtes demeurent néanmoins superflues, contraires au principe et mal avisées. Ceux qui veulent parler le feront sans avoir à se faire menacer d'une poursuite. Ceux qui refusent de parler ou qui mentent ne seront pas dissuadés par la menace d'une prolongation de leur détention ou d'une poursuite pour outrage au tribunal. Qui plus est, il est malséant d'abroger une tradition centenaire de respect pour le droit au silence et le droit à ne pas s'incriminer soi-même dans le cadre d'enquêtes policières. Faire imposer des autorisations judiciaires pour faire résister à la Charte le droit d'avoir recours à un avocat et l'utilisation d'immunité ne doit pas nous distraire du préjudice fondamental causé par ces investigations à notre tradition de justice criminelle contentieuse.
    Bien que la Cour suprême ait effectivement statué en 2001 que les dispositions sur les investigations étaient bel et bien constitutionnelles, elle ne l'a conclu qu'après avoir rajouté dans la loi ce que le Parlement n'avait pas prévu expressément. En d'autres mots, elle a limité l'utilisation de telles investigations en stipulant que toute information recueillie ne pouvait pas servir dans d'autres affaires, y compris des affaires d'extradition ou d'expulsion ou encore à l'étranger. Malheureusement, telle qu'elle est rédigée actuellement, la disposition sur les investigations ne tient pas compte de ces limitations et ouvre la porte à des abus juridiques. Étant donné que l'information recueillie dans le cadre de ces investigations pourrait potentiellement être utilisée contre des Canadiens au Canada ou à l'étranger, y compris dans des pays où les droits de la personne ne sont pas aussi respectés qu'au Canada, nous nous inquiétons du fait que les critères de la Cour suprême n'aient pas été codifiés dans cette disposition.
    Enfin, il faut noter que même si ces dispositions, tout comme leurs prédécesseurs en 2001, sont assorties de limites temporaires, nous craignons que la réactivation de ces mesures ne soit absolument pas temporaire. Nous vous exhortons à ne pas adopter des lois qui se transformeront en lois permanentes de facto au Canada. Le Canada a toujours été un exemple à suivre en matière de démocratie, de liberté, et de l'application de la loi. Toutefois, nous devons défendre et protéger ces valeurs. Les mesures proposées dans ce projet de loi n'offrent aucun avantage dans notre combat contre le terrorisme et, au contraire, saboteraient les principes et idéaux démocratiques que l'on cherche à protéger.
(0910)
    Je m'arrêterai ici pour l'instant. Merci encore.
    Merci, madame Cheung.
    Nous passons maintenant à M. Vernon. Allez-y, je vous prie.
    Je vous remercie de l'invitation, quoi que tardive, de comparaître devant le comité dans le cadre de son étude sur cette importante mesure législative.
    Je suis ravi d'être ici au nom du Congrès juif canadien, qui depuis maintenant plus de 90 ans défend la communauté juive du Canada et les droits de tous les Canadiens.
(0915)

[Français]

    Je vous remercie de l'invitation de vous présenter le point de vue de la communauté juive sur la lutte antiterroriste au Canada et sur le projet de loi C-17.

[Traduction]

    J'aimerais d'abord affirmer clairement que le Congrès juif canadien appuie le projet de loi C-17. Je pense que c'est une bonne chose que je sache ce que c'est que d'être une minorité, parce que c'est de toute évidence mon cas ici. Par ailleurs, nous examinerons avec intérêt les modifications que le comité pourrait recommander à la suite de son examen dans le but de renforcer la loi, qui est l'un des éléments du régime antiterroriste au Canada.
    Vous ne serez pas étonné, j'en suis certain, d'apprendre que le Congrès juif canadien, le CJC, défend, depuis de nombreuses années et depuis bien avant le 11 septembre, un régime antiterroriste étendu et efficace au Canada, et ce, au nom d'une communauté qui possède deux identités, juive et canadienne, ce qui fait d'elle une cible sur deux plans.
    Dans son mémoire sur les mesures législatives ayant entraîné la création du Service canadien du renseignement de sécurité, le CJC affirmait:
    
Si nous laissons le terrorisme prendre racine au Canada parce que nous n'osons pas mettre en place des mesures réalistes pour le prévenir, il risque de toucher non pas une communauté en particulier, mais bien tout le Canada, sur la scène nationale et internationale. Les groupes terroristes sont de plus en plus organisés et oeuvrent à l'échelle mondiale; c'est pourquoi nous devons prendre des mesures plus efficaces, plus solides et plus organisées pour les maîtriser.
    Chers membres du comité, ce mémoire a été présenté en avril 1984, soit il y a près de 27 ans. Pourtant, les événements du 11 septembre ont fait clairement ressortir que le Canada n'était pas prêt à faire face à la menace du terrorisme international et à ses manifestations au pays. Le Congrès juif canadien s'est donc réjoui du dépôt, par le gouvernement, du projet de loi C-36, y compris les deux dispositions de temporarisation qui sont maintenant au coeur du projet de loi C-17.
    Jusqu'à présent, heureusement, le Canada n'a pas eu à subir les attaques et les attentats-suicides à la bombe, qui sont devenus, du moins au cours des dernières années, une arme couramment utilisée par les terroristes, mais il n'a pu se protéger tout à fait du terrorisme; pensons, par exemple, aux événements tragiques entourant l'explosion d'une bombe à bord du vol 182 d'Air India.
    Des personnes comme Ahmed Ressam et Jamal Akal ont menacé la communauté juive canadienne de terrorisme. En plus de cette menace, nous devons envisager la sécurité de la communauté en tenant compte de la vulnérabilité des autres communautés juives ailleurs dans le monde, et des attaques qu'elles ont subi avant et après le 11 septembre 2001.
    Dans un monde où les frontières s'estompent de plus en plus, le Canada, de par la nature multiculturelle et pluraliste de sa société, est particulièrement susceptible d'être infiltré par des terroristes. La grande majorité des groupes communautaires, culturels et ethniques, ainsi que leurs membres, ne constituent pas une menace, mais les terroristes sont en bonne position pour exploiter, intimider ou attirer des membres de certains groupes ethniques et religieux afin d'obtenir leur soutien financier ou autre et de les utiliser pour dissimuler leurs activités d'une façon ou d'une autre. Nous avons déjà eu un aperçu du potentiel de la radicalisation au pays, et si cela ne suffit pas, nous en avons des exemples au Royaume-Uni et ailleurs en Europe qui portent à réfléchir.
    À notre avis, l'une des principales forces de la Loi antiterroriste, c'est qu'elle vise d'abord à prévenir les actes terroristes, et non à arrêter et punir ceux qui les commettent. Les activités terroristes potentielles, et celles qu'on découvre pendant qu'elles sont en cours, doivent être jugulées immédiatement. Les engagements assortis de conditions et les investigations prévues par la loi demeurent des outils importants pour y parvenir. Bien que ces pouvoirs n'aient que rarement été utilisés, comme on le sait, il demeure important que nos forces de sécurité et de police les aient à leur disposition, puisque la meilleure façon de se défendre contre le terrorisme, celle à privilégier, c'est la surveillance opportune efficace et la collecte de renseignements, même s'il s'agit de méthodes parfois intrusives.
    Nous croyons, depuis 2001, qu'il est important d'octroyer plus de pouvoirs aux services de sécurité et de leur permettre d'utiliser les investigations et les engagements assortis de conditions pour effectuer une surveillance étroite des personnes et des groupes suspects et pour recueillir des renseignements pertinents longtemps à l'avance.
    Depuis l'adoption de la Loi antiterroriste, les Canadiens se sont prononcés sur la mesure dans laquelle elle permet au pays de relever le défi le plus fondamental qui se pose aux sociétés démocratiques, soit de garantir la sécurité et la protection de ses citoyens tout en empiétant le moins possible sur les libertés civiles fondamentales qui sont le fondement de ces sociétés.
    Les deux dispositions de temporarisation constituent assurément une épreuve rigoureuse pour toute société démocratique. Ces deux dispositions semblent être la parfaite illustration du meilleur compromis possible entre la protection de la sécurité et la protection des droits de la personne. Comme nous le savons tous, ces dispositions sont finalement mortes au Feuilleton devant la Chambre des communes.
(0920)
    À notre avis, il n'est pas nécessaire de voir cette question comme une opposition entre la sécurité et les droits. Si le terrorisme est considéré, à juste titre, comme une atteinte aux droits de la personne, il va de soi que l'adoption de mesures antiterroristes permet de protéger les droits les plus fondamentaux, soit le droit à la vie, à la liberté et à la sécurité, puisque c'est sur ces droits que s'appuient les autres droits et libertés.
    En conséquence, évidemment, les mesures qui sont prises doivent toujours respecter la primauté du droit et s'abreuver à celle-ci. Une politique antiterroriste bien encadrée et bien appliquée permet d'accroître les libertés civiles et d'appuyer les valeurs fondamentales qui sont au coeur de la Charte; elle permet de protéger ces libertés et ces valeurs sur lesquelles s'appuie notre mode de vie, dont l'essence même est menacée par le terrorisme.
    Il n'y a qu'à observer la situation mondiale pour constater que les actes terroristes demeurent un véritable danger et que nos forces policières et de sécurité doivent avoir suffisamment de pouvoir pour agir dans le but de prévenir des attaques avant qu'elles ne se matérialisent. Quoi qu'il en soit, nous reconnaissons tout à fait la gravité de ces mesures et estimons que le projet de loi C-17 prévoie d'autres mesures de protection qui rassureront les Canadiens préoccupés par les répercussions néfastes possibles de ces mesures.
    Chers membres du comité, le rôle fondamental d'un État est de garantir la sécurité et la protection de ses citoyens et de leur mode de vie. Des gouvernements tels que les nôtres doivent contrecarrer les efforts de ceux qui souhaitent retourner l'ouverture de notre société contre nous et ensuite la murer, tout en veillant à saper les fondements démocratiques de cette société. Toutefois, cela serait vraiment très ironique si, au nom des libertés civiles, nous retirions aux autorités les pouvoirs dont ils ont besoin pour arrêter les extrémistes et les terroristes qui souhaitent détruire notre société libre et ouverte.
    À notre humble avis, le projet de loi C-17 devrait être adopté le plus rapidement possible puisqu'il rétablit les pouvoirs permettant d'avoir recours aux investigations et aux engagements assortis de conditions, tout en prévoyant des mesures qui protègent les libertés civiles et les droits fondamentaux de la personne.
    Je vous remercie de m'avoir écouté, et je répondrai avec plaisir à vos questions.
    Merci beaucoup, monsieur Vernon.
    Passons maintenant à Mme Des Rosiers. Je vous souhaite à nouveau la bienvenue.

[Français]

    Je remercie le comité d'avoir invité l'Association canadienne des libertés civiles. Je vais faire la première partie de mes remarques en français et la deuxième en anglais.
    L'Association canadienne des libertés civiles existe depuis 1964. Elle a toujours travaillé à la défense des droits et libertés des Canadiens et Canadiennes. Nous allons faire quatre propositions dans le cadre des soumissions.
     La première est que, tel qu'il est présenté, le projet de loi C-17, Loi modifiant le Code criminel (investigation et engagement assorti de conditions) présente des problèmes et des failles importantes qui doivent être corrigées.
     La deuxième, à l'instar d'autres groupes de protection des droits et des libertés, est que nous questionnons la nécessité de procéder de cette façon et d'adopter le projet de loi tel qu'il est présenté.
     Finalement, je ne répéterai pas ce qui a été dit par mes collègues, mais je vais simplement présenter le contexte international dans lequel s'inscrit ce projet de loi. Je commencerai par cette proposition.
    Il s'agit d'un contexte où nous avons l'occasion de jeter un regard sobre sur des dispositions qui ont été adoptées en 2001, qui sont mortes en 2007 à cause d'une disposition et qui nous permettent maintenant de vérifier si elles étaient appropriées et nécessaires.
    Cela se fait dans un contexte où on entend que le Royaume-Uni s'apprête à revoir l'utilisation des ordonnances de contrôle qui avaient été utilisés de façon caractéristique dès 2001.
    Une des raisons pour lesquelles plusieurs se disent que le projet de loi C-17 n'est pas si dangereux que ça est que ces mesures n'ont pas été utilisées de façon excessive par notre police. Malgré cela, il crée un précédent sur le plan de l'engagement et dans l'appareil du droit international. Il devient un précédent pour d'autres nations du monde qui vont regarder et utiliser le précédent canadien.
    La seule garantie que les Canadiens et les Canadiennes ont eu face à ces pouvoirs est qu'on n'en a pas abusé ou qu'ils n'ont presque pas été utilisés. Ce ne sera pas la même chose dans d'autres pays. C'est important, dans le contexte du rôle de leadership du Canada sur le plan des droits de la personne, de s'interroger si c'est le bon moment de présenter un tel appareil juridique qui questionne de façon fondamentale quelques principes organisationnels de notre système. Ce sera une de nos propositions.
(0925)

[Traduction]

    Je ne répéterai pas ce que mes collègues ont dit. Je veux seulement mettre l'accent sur certaines façons dont le projet de loi exerce des pressions sur notre système et ses principes fondamentaux. Selon moi, trois principes de notre système vont à l'encontre de la prémisse et de l'économie du projet de loi, et je crois que c'est pourquoi nous, à titre de défenseurs des libertés civiles, cherchons des garanties dans ce projet de loi.
    D'abord, évidemment, nous avons un système dans lequel les juges ne sont pas inquisitoires. Certains juges travaillent et sont formés dans le contexte de la preuve contradictoire. En effet, je crois que l'une des façons grâce auxquelles nous avons pu peaufiner notre système de contre-terrorisme... Les libertés civiles canadiennes soutiennent l'idée selon laquelle le gouvernement a un devoir en matière de contre-terrorisme. Nous nous interrogeons ici simplement pour savoir s'il s'agit de la meilleure approche. Nous ne remettons pas les efforts déployés en question; nous voulons simplement vérifier que les résultats escomptés sont atteints.
    Dans d'autres contextes, nous avons insisté pour qu'il y ait des défenseurs spéciaux, pour faire en sorte que les juges ne soient pas placés dans une position inquisitoire. Ils n'y sont pas formés; cette pratique va à l'encontre de la façon dont ils procèdent. Mais ce n'est pas le cas ici. Contrairement à ce qui est arrivé après la décision Charkaoui, nous ne demandons pas reconnaissance du besoin de... Si on arrête quelqu'un et qu'on menace de lui retirer sa liberté devant un juge dans un contexte où le juge doit se fier à l'information fournie, il faut atteindre un équilibre en ayant à tout le moins un défenseur spécial. C'est ce que nous avons appris dans d'autres contextes, et je crois que cette approche doit en effet être examinée dans ce contexte également.
    Le second principe de notre système qui est fondamentalement remis en question dans le projet de loi C-17 est celui dont j'ai parlé plus tôt. Il s'agit du principe fondamental selon lequel on ne peut être détenu, arrêté, ou soumis à une punition à moins qu'il y ait un format ou un cadre par lequel les accusations et la preuve contre vous puissent être mises à l'épreuve; au bout du compte, vous êtes déclaré coupable ou innocent.
    Ce processus permet la détention préventive, qui menace le concept de protection solide au moyen de l'habeas corpus. Cette pratique crée une fracture dans notre cadre de pensée juridique, et c'est pourquoi les gens réagissent avec une telle peur viscérale. Ce fut une avancée considérable en droit et dans le domaine juridique lorsqu'on a insisté pour dire qu'un roi ne pouvait pas simplement emprisonner les gens par peur que quelque chose menace l'ordre public. Le bref d'habeas corpus a été une avancée considérable en ce sens qu'il est inapproprié de détenir quelqu'un sans processus permettant de contester la preuve à la base de la détention. C'est pourquoi les gens réagissent avec crainte à ce cas où la détention préventive est normalisée dans le processus.
    Finalement, le troisième principe de notre système est que les Canadiens n'ont pas l'obligation de coopérer avec la police. Ici, ils sont forcés de donner un témoignage devant un juge. Comme Kent Roach l'a dit à de nombreuses reprises, certaines personnes disent la vérité, d'autres mentent, et en effet, ils ne coopéreront pas davantage parce qu'il y a menace d'incarcération.
    Je vais maintenant examiner diverses dispositions et me pencher sur certains des défis qu'ils présentent.
    À notre avis, ce projet de loi ne devrait pas aller de l'avant. Il n'est pas nécessaire et ne présente pas de solution. Mais s'il doit aller de l'avant, il doit être assorti de garanties supplémentaires qui n'y figurent pas actuellement.
(0930)
    La première garantie serait à l'article 83.28 proposé. Rien ne garantit qu'on ne se fiera pas à des preuves obtenues par la torture. Il s'agit d'un enjeu considérable. Nous proposons qu'un engagement soit pris d'inclure une référence précise selon laquelle il y aurait un affidavit du SCRS, un affidavit de la police, reconnu par le juge, certifiant que la preuve n'a pas été obtenue par la torture.
    Nous insistons là-dessus non seulement parce qu'il y a une interdiction générale dans le monde contre la torture et le Canada devrait y souscrire, être un instrument, un modèle à cet égard. Il s'agit aussi d'un bon message envoyé aux autres pays: que toute preuve de la sorte sera inacceptable. Mais, fait également intéressant, on protégerait ainsi notre système d'être souillé par le fait que certaines preuves obtenues par la torture ont été présentées. Si tous les intervenants du système devaient garantir qu'à leur connaissance — ils procèdent à l'enquête — la preuve n'a pas été obtenue par la torture, on améliore la garantie que le système ne deviendra pas involontairement un instrument qui favorise la torture.
    Une préoccupation qui a été soulevée, je crois que ma collègue ou mon collègue l'a soulevée, est que rien n'empêche le témoignage d'être utilisé dans le cadre de procédures à l'extérieur du Canada. La Cour suprême en a parlé. Ce n'est pas dans le projet de loi; il faut changer cette situation.
    Aussi, le témoignage ne devrait pas être utilisé contre les membres de la famille de la personne qui témoigne. Il s'agit d'un autre aspect. De nombreuses personnes contraintes de participer seront bannies certainement de leur collectivité et s'exposeront à de graves dangers, et il n'y a aucune disposition ici pour assurer leur protection.
    Je sais que je n'ai presque plus de temps, et je voulais simplement veiller à ce que... Voyons: aucune procédure relative à un conseiller juridique spécial n'a été... Il n'y a eu aucune garantie qu'aucune preuve ne sera obtenue par la torture...
    Il n'y a pas de limite aux conditions qui peuvent être imposées par le juge, et je crois qu'il devrait y avoir un processus d'examen de ces conditions si elles ne sont pas nécessaires.
    Finalement, il n'y a pas de droit d'appel. Il devrait y en avoir un.
    Merci beaucoup à tous nos témoins.
    Nous allons commencer la première série de questions.
    Monsieur Holland, vous avez sept minutes.
    Je vous remercie monsieur le président, et je remercie les témoins, chacun d'entre eux, pour leur témoignage convaincant.
    Je crois que nous reconnaissons que les dispositions initiales ont été adoptées immédiatement après le 11 septembre. À cette époque, nous avions l'impression de devoir agir aussi rapidement que possible, de donner des pouvoirs supplémentaires à la police, mais je crois qu'il a été sage d'assortir ces dispositions d'un mécanisme de temporarisation pour permettre au pays — au Parlement, aux Canadiens et à la magistrature — d'examiner à la fois la nécessité et les conditions d'application de ces dispositions.
    Pendant cette période, nous avons entendu, comme les témoins l'ont dit, la Cour suprême. Nous avons aussi entendu l'ancien chef du SCRS, qui dit que ces dispositions ne sont pas nécessaires et n'offrent pas une sécurité accrue.
    Mais je dois dire que j'ai aussi été ému de voir les visages qu'on associe aux échecs de la sécurité et du renseignement: Maher Arar, M. El Maati, M. Nureddin, M. Almalki, et d'autres. M. Mia a parlé d'autres cas également.
    J'aimerais dire à M. Vernon que je dois rejeter la prémisse selon laquelle la suspension de l'application régulière de la loi ou des libertés civiles pour peut-être donner lieu à une sécurité collective accrue n'est pas suffisant en soi, parce qu'il y a un risque qui découle du fait qu'il n'y a pas de limite. L'argument pourrait prendre de l'ampleur jusqu'à la destruction fondamentale des choses les plus fondamentales et importantes que nous tentons justement de protéger.
    La question est la suivante: allons-nous suspendre les libertés civiles d'une personne? Si vous suspendez le recours normal à la loi, pouvez-vous démontrer deux choses: d'abord, que vous améliorez réellement la sécurité collective; ensuite, que vous avez des mesures de surveillance rigoureuses et robustes pour faire en sorte dans ces circonstances que les pouvoirs ne soient pas abusés ou que les pouvoirs soient limités ou que, en cas d'erreur, celle-ci sera immédiatement décelée et corrigée?
    Relativement à mon premier point, au cours des trois séances que nous avons tenues, je n'ai toujours pas entendu d'exemples concrets expliquant précisément comment ces dispositions y arriveraient. En fait, nous avons entendu l'ancien directeur du SCRS, qui était responsable de la surveillance de tous les services de renseignement au pays, dire — pas devant le comité, mais en public tout de même — que ces dispositions sont insuffisantes à cet égard.
    Quant au deuxième point, qui est selon moi plus important, j'aimerais d'abord poser une question à M. Vernon. La deuxième question porte sur la surveillance. Nous avons O'Connor, Iacobucci, Brown, le Comité permanent de la sécurité publique et nationale, M. Kennedy, M. Major, qui ont tous formulé des recommandations sur la surveillance, dont la majorité n'ont pas fait l'objet d'un suivi. Nous avons de nombreux ministères qui jouent un rôle en matière de renseignement aujourd'hui qui ne font pas l'objet de surveillance: Immigration, par exemple: l'Agence des services frontaliers du Canada, comme exemple également.
    Ne seriez-vous pas d'accord avec moi, monsieur Vernon, pour dire qu'avant de poursuivre ou de réinstaurer toute mesure extraordinaire, il faudrait d'abord faire en sorte que les mesures de surveillance de la sécurité et du renseignement, les échecs et les lacunes d'aujourd'hui soient corrigés?
(0935)
    Monsieur Vernon.
    Je vous remercie de votre question, monsieur Holland.
    Je crois qu'il serait certainement dans l'intérêt du pays d'examiner soigneusement ces recommandations et de mettre en oeuvre celles qu'on considère efficaces, mais selon moi il ne s'agit pas d'une première étape nécessaire au maintien de ces pouvoirs. Nous ne parlons pas du tout de pouvoirs qui ont été exploités ou abusés. La notion selon laquelle ces pouvoirs constituent de façon quelconque la première étape d'une pente glissante vers le fascisme ou tout autre changement musclé à notre mode de vie fondamental ne tient pas la route selon moi.
    Alors je ne crois pas que les changements recommandés dans ce projet de loi doivent être retardés en attendant la mise en oeuvre de recommandations découlant d'autres enquêtes.
    Ce que je disais, cependant, monsieur Vernon, est qu'il ne s'agit pas d'exemples abstraits; il s'agit d'exemples très concrets. Je vous ai donné des noms très précis de Canadiens qui ont été détenus et torturés à l'étranger. Selon les enquêtes canadiennes, des erreurs du côté du renseignement et de la sécurité canadienne ont mené à leur détention et à leur torture. Ces personnes ont dû faire face à des circonstances horribles en raison d'erreurs commises ici au Canada et en raison du manque de surveillance au pays.
    Alors je vous demande, non pas de façon vague et abstraite, mais de façon très précise, ne devrions-nous pas faire en sorte de régler ces lacunes avant de donner ou même de penser à donner d'autres pouvoirs extraordinaires qui auraient le potentiel, s'ils ne sont pas assortis d'un mécanisme de surveillance rigoureux et robuste, de mener à d'autres échecs?
    Je crois que la deuxième partie de votre intervention est plus susceptible d'obtenir notre accord. Évidemment, les conséquences sur la vie des gens dont vous avez parlé ne doivent pas être prises à la légère, mais il me semble que la mise en place de ces pouvoirs n'implique pas nécessairement qu'ils seront mal utilisés ou qu'ils favoriseront la destruction de notre style de vie démocratique.
    Si vous avez des suggestions précises pour améliorer le mécanisme de surveillance parlementaire, je crois qu'il peut s'agir de quelque chose de très important. Nous serions certainement prêts à examiner ces suggestions.
    Évidemment, nos services de police et de sécurité sont composés d'êtres humains. Des erreurs sont commises. Il y a des lacunes. Mais les systèmes sont en place. Le projet de loi comporte d'autres mécanismes de protection. Si vous avez une ou deux autres recommandations clés, nous serions ravis de les examiner.
    Je sais que mon temps est très limité, mais j'aimerais entendre ce que d'autres témoins ont à dire là-dessus, parce que je crois que la question de la surveillance en est une qui est importante.
    Je suis d'accord, monsieur Vernon, nous sommes tous humains. Il arrive que des erreurs soient commises. C'est pourquoi nous devons avoir un mécanisme rigoureux et robuste de surveillance. Selon mon évaluation, pour les raisons que j'ai énoncées, nous n'avons pas ce mécanisme actuellement, et j'aimerais entendre d'autres témoins se prononcer sur son importance.
    Monsieur Mia.
(0940)
    Je vous remercie de la question.
    Très rapidement, monsieur Mia. Nous avons déjà pris une minute de trop, alors allez-y très rapidement.
    J'ai parlé de l'équilibre. Pour répondre à votre première question, le recours normal à la loi et le processus de confrontation atteignent l'équilibre entre la recherche de la vérité tout en évitant que des erreurs soient commises lors de l'arrestation de criminels.
    Pour revenir à ce que M. Vernon disait, ce n'est pas une question de surveillance parlementaire, monsieur. L'enquête Arar a fait état d'erreurs monumentales en matière de sécurité, de renseignement et de services policiers — le SCRS, la GRC et d'autres — des erreurs monumentales qui ont mené à la destruction d'un être humain, de la vie d'un Canadien. Tout le monde commet des erreurs, et c'est pourquoi il faut avoir un mécanisme de surveillance. Il n'a pas recommandé une solution à la pièce. Il a recommandé un système de surveillance robuste pour tous les organismes de sécurité, parce que si nous voulons jouer au jeu de la sécurité nationale et de la terreur dans le monde, il faut avoir un système de freins et contrepoids, et voilà ce dont on parle.
    Je vous remercie, monsieur Mia.
    Nous allons maintenant passer à Mme Mourani, s'il vous plaît.

[Français]

    Merci, monsieur le président. Bonjour à tous et merci d'être présents ici aujourd'hui.
    Madame Cheung, vous venez de la Colombie-Britannique. Vous avez donc sûrement suivi la saga impliquant M. Fadden. Celui-ci a déclaré dans les médias qu'il y avait des agents d'influence en Colombie-Britannique. Des élus municipaux seraient notamment des agents d'influence de la Chine. J'aimerais...

[Traduction]

    M. Rathgeber invoque le Règlement.

[Français]

    On ne va pas commencer à m'interrompre chaque fois...

[Traduction]

    Monsieur le président, vous noterez qu'à l'ordre du jour figure l'examen du projet de loi C-17. Je ne suis nullement convaincu que cette question pourrait d'une façon ou d'une autre avoir un lien avec notre étude du projet de loi C-17.
    Je vous remercie, monsieur Rathgeber.
    J'aime donner autant de latitude que possible aux questions, mais je dois vous dire, je tente — surtout lorsqu'il est question de projet de loi — d'assurer la pertinence. Alors je vous demanderais de vous en tenir au projet de loi C-17 et à l'idée du terrorisme. Je vais vous donner une certaine latitude, alors poursuivez, madame Mourani.

[Français]

    Monsieur le président, si M. Rathgeber me laissait terminer mon propos, il comprendrait peut-être sa pertinence. D'autre part, j'espère que ça ne sera pas soustrait de mon temps.

[Traduction]

    Non.
    Je vous remercie.

[Français]

    Comme je le disais, M. Fadden a raconté dans les médias que des élus municipaux de la Colombie-Britannique étaient des agents d'influence. Je suis sûre que vous avez suivi cela de près. Pensez-vous qu'on devrait vraiment donner plus de pouvoir à une agence comme celle-là qui est dirigée par une telle personne?

[Traduction]

    Je ne sais pas s'il s'agit précisément de l'enjeu en question ici. Je crois certainement que le SCRS a une fonction importante dans notre société pour ce qui est de la protection des Canadiens. Les accusations faites par M. Fadden relativement aux influences étrangères possibles de la part de la communauté chinoise ou de Chinois sont très troublantes, mais nous sommes vraiment préoccupés de savoir si ces pouvoirs sont même strictement nécessaires. La question n'est pas de savoir si les pouvoirs devraient être accordés au SCRS ou à la GRC ou à d'autres, mais bien de savoir si ces pouvoirs sont nécessaires.

[Français]

    Vous parliez plus tôt de discrimination et c'est à ça que je veux en venir. Monsieur Mia, vous pourriez aussi répondre à cette question.
     J'ai eu vent de certaines situations, notamment à Montréal, mais elles doivent aussi se produire un peu partout ailleurs au Canada. Vous pourrez me dire si c'est faux. J'ai entendu dire que des jeunes de la communauté musulmane se faisaient harceler par le SCRS dans le cadre d'interrogatoires. Dans certains cas, on passait simplement chez eux et on laissait une carte sur laquelle un simple prénom était indiqué et ainsi de suite. Je vous avoue avoir des inquiétudes concernant ce projet de loi qui donne encore plus de pouvoirs à un organisme qui semble en avoir déjà beaucoup. Ces jeunes musulmans m'ont dit qu'on ne les avait pas convoqués pour leur dire quels étaient leurs droits, qu'on ne les accusait de rien.
    Il y a déjà de la discrimination à l'égard de la communauté musulmane. Pouvez-vous me dire comment ce projet de loi risque d'en susciter davantage?

[Traduction]

    Madame Mourani, je vous remercie de votre question.
    Les communautés musulmanes et arabes sont très préoccupées depuis le 11 septembre 2001, depuis l'entrée en vigueur de la Loi sur l'antiterrorisme. Nous ne nions pas que, oui, les gens ont des soupçons. Il y a des problèmes dans le monde aujourd'hui qui pourraient faire en sorte qu'un être humain normal... Voilà ce qu'on appelle les préjudices et la discrimination; nous en sommes tous coupables. Ce que je dis, c'est qu'il faut se prendre en main. Je crois que nous sommes tous d'accord pour dire que nous voulons prévenir tout tort commis à l'endroit de quiconque au Canada de par des actes de violence illégaux, y compris le terrorisme, puisqu'il s'agit de violence à grande échelle.
    Mais pour revenir à ce que vous dites, je sais que dans un témoignage précédent, si je peux donner une introduction, des gens ont dit: ces pouvoirs n'ont pas été utilisés, alors comment peuvent-ils être discriminatoires? Il n'est pas réellement question de l'utilisation comme telle. Vous verrez probablement qu'ils ne serviront pas beaucoup. Mais ce que nous avons constaté au cours des 10 dernières années, c'est que le SCRS, la GRC et d'autres organismes policiers, mais surtout ces deux organismes, ont « légèrement abusé » de ces pouvoirs. Ils s'adressent à des gens vulnérables — des immigrants, des réfugiés, ceux qui sont les plus vulnérables, mais aussi d'autres Canadiens qui sont musulmans, ou arabes, ou qui selon leur apparence pourraient l'être — et leur disent: « Vous savez, nous avons ces nouveaux pouvoirs, alors si vous ne coopérez pas... ». Bref, on leur fait comprendre que s'ils ne coopèrent pas, ils devront en subir les conséquences.
    Les gens ne connaissent pas tous la loi. Je suis allé dans de nombreuses mosquées et j'ai participé à des événements dans des centres communautaires où des jeunes, des moins jeunes, n'importe qui... leurs ordinateurs ont été saisis. Le SCRS n'a pas de pouvoirs policiers. Il n'a pas le droit de saisir des biens, de procéder à des arrestations, de faire des fouilles — rien. On peut leur dire de s'en aller. Des gens m'ont dit qu'ils ont simplement remis leurs ordinateurs au SCRS parce que c'est ce qu'on leur avait dit de faire.
(0945)

[Français]

    C'est parce qu'ils ne connaissent pas leurs droits.

[Traduction]

    Exactement.

[Français]

    Beaucoup de ces gens ne sont même pas des citoyens canadiens. Ils ne savent pas quels sont leurs droits et ont peur du SCRS, qui se permet d'entrer dans leurs maisons et, en voyant le Coran, prend un air soupçonneux et leur demande s'ils sont du Jihad. Bref, je trouve tellement incompétent le fait de fonder sur des symboles une analyse sur le risque de passage à l'acte terroriste. J'ai des inquiétudes concernant le SCRS. Cela fait un petit moment que je le surveille. Il surveille, mais je le surveille aussi, et cette incompétence m'inquiète. Si nous devons compter sur ces gens pour nous protéger, je me demande si nous allons être protégés comme il se doit. À mon avis, l'analyse qui se fait présentement sur le risque de terrorisme est fondée non pas sur des renseignements clairs, mais sur des critères culturels. C'est ce que je vois sur le terrain. Est-ce que je me trompe?

[Traduction]

    Je crois que votre évaluation est bonne. Nous ne disons pas que le SCRS et la GRC sont inutiles. Ils servent à certaines fonctions, comme M. Cheung l'a indiqué. Le SCRS doit protéger le Canada contre les menaces. Oui, c'est son rôle.
    Mais le SCRS en fait a été créé en raison d'actes répréhensibles commis à la GRC. La Commission McDonald a donné lieu à la création du SCRS. La Loi sur les mesures d'urgence a été créée en raison d'une mauvaise utilisation de la Loi sur les mesures de guerre, parce que nous voulions un contrôle lorsque nécessaire pour protéger le Canada dans des situations extrêmes... Nous avons des mécanismes fondés sur la primauté du droit à cette fin.
    La réserve que j'ai relativement à ce type de loi, aux certificats de sécurité et autres choses, c'est qu'il n'y a pas beaucoup de surveillance. La Cour suprême a annulé des certificats de sécurité parce qu'il n'y avait pas cette surveillance. Cette lacune donne lieu à un abus de ces pouvoirs. Il ne faut pas mettre la charrue devant les boeufs. Je m'explique: le SCRS et la GRC connaissent de graves problèmes; ils doivent retourner à la base réfléchir un peu et faire venir un facilitateur pour tout régler, avant de pouvoir mériter de nouveaux pouvoirs.
    Le juge Mosley, dans le cadre de la décision Almrei...
     Allez-y très rapidement, s'il vous plaît.
    ... elle est en partie citée dans le document de Craig Forcese — les a écrasés sans ambages. Ils ne savent même pas ce qu'est le jihad. Ils ne font pas la différence entre les rebelles tchétchènes et al-Qaïda. Ils commettaient des erreurs fondamentales dans des cas où il aurait suffit de lire le journal pour en savoir un peu sur la région. Mais ils ne veulent pas travailler avec la communauté musulmane du pays, et c'est pourquoi ils ne comprennent pas.
    Alors pendant qu'ils tournent en rond, de vrais terroristes s'échappent peut-être.
    Je vous remercie, monsieur Mia.
    Nous allons maintenant passer à M. Davies.
    Je vous remercie, monsieur le président.
    Je dois soulever certains arguments qui me semblent évidents depuis le début. D'abord, je suis également préoccupé par ce que je perçois être un cercle vicieux, c'est-à-dire que pour protéger les libertés civiles il nous faudra peut-être violer les libertés civiles.
    Excusez-moi, monsieur le président je ne m'entends pas moi-même.
    Un peu de silence, s'il vous plaît?
    Allez-y, monsieur Davies.
    Je vous remercie.
    Alors ça semble être un cercle vicieux.
    Je pense aussi que nous sommes sur une pente glissante lorsqu'on commence à dire que pour protéger notre mode de vie et nos libertés civiles, il faut peut-être violer les libertés civiles d'autres personnes.
    Le second concept qui me vient en tête est celui de la preuve. Il me semble que l'un des aspects fondamentaux du tissu de la société canadienne et des démocraties occidentales est celui voulant que les personnes ont certains droits fondamentaux. Ces droits sont fondamentaux et il incombe à l'État de monter un dossier lorsque ces droits sont abolis.
    Il a été question de la Charte des droits et libertés. Oui, on nous a accordé des droits fondamentaux en tant que personnes, et ces droits peuvent être abolis, si l'État peut le justifier « dans le cadre d'une société libre et démocratique » les personnes n'ont pas à justifier pourquoi elles ont ces droits. Du fait d'être citoyens canadiens, à titre de liberté fondamentale dans notre concept de démocratie, nous avons ces droits jusqu'à ce que l'État puisse démontrer le contraire.
    J'aimerais parler un peu de ce dont nous sommes saisis ici. Nous parlons du concept de donner aux policiers le droit d'arrêter de façon préventive en fonction de soupçons, de même que de contraindre les gens à témoigner — les forcer. Dans les deux cas, ces idées sont contraires à notre système juridique actuel. En fait, je vais citer l'Association du barreau canadien:
    Ces pouvoirs, en particulier celui de tenir une audience d'investigation, représentent une dérogation considérable aux pouvoirs d'enquête traditionnels en matière d'infractions pénales.
    Je vais tenter de donner certains faits. Si nous parlons du bien-fondé de ces pouvoirs, je crois qu'il faut commencer par examiner la preuve objective. Nous connaissons tous certains faits de base, mais je crois qu'ils valent la peine d'être répétés.
    Voici ce que nous savons jusqu'à maintenant: que ces pouvoirs ont été instaurés en 2001, et qu'en 10 ans ils ont été utilisés une fois pour être précis — une fois en une décennie. Nous savons que depuis la temporisation du projet de loi original — depuis 2007, alors que ces pouvoirs n'étaient plus du tout en place, nous n'avons pas eu l'occasion de recourir à ces pouvoirs. Nous savons aussi que depuis la temporarisation de ces dispositions, le droit criminel canadien a continué de fonctionner efficacement.
    J'aimerais aussi vous citer un mémoire que nous avons reçu de l'Association du barreau canadien, et je vais vous demander vos commentaires, si vous le permettez. Selon l'association, nous devons:
    ... reconnaître que les règles et procédures du droit criminel canadien existant avant l'ajout des articles 83.28 et 83.3 étaient efficaces pour protéger la population au Canada contre les conséquences néfastes des infractions criminelles, y compris celles associées au terrorisme.
    Et l'ABC se qualifie de voix nationale pour la profession juridique.
    Voici ma question. Si nous mettons ces lois en place et qui ont été utilisées une fois, nous avons l'Association du barreau canadien, la voix nationale de la profession juridique, qui nous dit que les lois criminelles que nous avions à l'époque et depuis sont totalement efficaces pour prévenir le terrorisme. Nous savons aussi que, sachant que ces lois se démarquent du fait qu'elles n'ont été utilisées qu'une fois seulement, je peux vous nommer cinq cas de violations graves des droits canadiens de la personne: MM. Arar, El Maati, Almalki, Nureddin et Charkaoui.
    Est-ce que l'un parmi vous aimerait commenter sur la base de la preuve, la base objective que nous, à titre de parlementaires, pourrions avoir pour aller de l'avant avec une loi qui change fondamentalement notre système juridique canadien?
(0950)
    Merci, madame Davis.
    Allez-y, madame Des Rosiers.
    C'est à cela que sert la disposition de temporarisation. À l'expiration de la disposition, on évalue les preuves quant au danger que les changements visaient à éliminer. Ce n'est pas par hasard qu'en même temps que nous faisons cet examen — et nous devons faire un examen approfondi, en examinant les preuves d'abus d'une part et les lacunes de ces dispositions d'autre part... Il y avait eu des poursuites relatives à des actes terroristes, surtout depuis 2007, depuis que ces dispositions ont été temporarisées et qu'elles ont cessé de s'appliquer. Les policiers n'ont pas été empêchés d'agir pour autant. Au contraire, ils ont été en mesure de le faire.
    Il n'est pas étonnant de voir qu'au Royaume-Uni, à l'heure actuelle, on se demande si ces outils rigoureux et dangereux, dont les mesures de contrôle, ne devraient pas être réévalués.
    Il n'est plus nécessaire de prendre du recul pour se demander s'il vaut mieux investir dans le renseignement de sécurité ou conférer simplement plus de pouvoirs — c'est peut-être une meilleure façon d'évaluer les choses à cette étape.
(0955)
    Je vous remercie de votre question.
    Je suis d'accord avec Mme Des Rosiers.
    Je n'aime pas les pronostics, tant proactifs que rétroactifs. Mais je vais vous donner un exemple; le ministre et les organismes de sécurité, dont la GRC, vous ont dit que ces nouveaux pouvoirs leur étaient nécessaires. Ils ont déjà de grands pouvoirs, mais ils ne les utilisent pas très bien.
    Remontons 25 ans en arrière. La seule véritable attaque terroriste livrée contre les Canadiens — une tragédie qu'il a fallu 10 ans au Canada pour reconnaître comme telle, ce que je trouve un peu insultant à titre de Canadien d'origine indienne — a été l'attaque terroriste contre le vol de Air India. Supposons que l'on puisse remonter dans le temps et donner au SCRS et à la GRC de tels pouvoirs. Cela aurait-il permis de sauver la vie de ces Canadiens et des autres victimes? Je ne le crois pas. Voyons ce qu'a dit le juge Major, dans sa décision. Je vais vous en donner quelques petits extraits qui ont retenu mon attention. Il a dit que la surveillance effectuée par le SCRS était inefficace et que « les agents de surveillance étaient incapables de distinguer un sikh habillé de façon traditionnelle d'un autre. »
    Je vais vous demander d'être bref, monsieur Mia.
    Il a dit en outre que « le SCRS n'a pas inclus des renseignements importants... »; que « la GRC a gaspillé des ressources... »; que « le concept de la “menace précise” a été mal compris... »; qu'il y a eu « un manque de collaboration » entre la GRC et le SCRS.
    La GRC a échoué sur tous les tableaux.
    Merci.
    En fin de compte, c'est là qu'est le problème, pas du côté des nouveaux policiers.
    Merci, monsieur Mia.
    Excusez-moi, monsieur Vernon. Je vais devoir vous interrompre.
    Passons maintenant à M. Rathgeber, s'il vous plaît.
    Merci, monsieur le président.
    Je remercie tous nos témoins d'être venus nous rencontrer aujourd'hui et de nous faire part de leur intérêt et de leur préoccupation quant à ce sujet très important et parfois difficile.
    Monsieur Mia, êtes-vous d'accord avec ce qu'a dit M. Vernon et les déclarations d'autres personnes, selon lesquelles le premier devoir d'un État est de protéger la sécurité publique et de garantir la sécurité de ses citoyens?
    Je ne crois pas qu'il y ait là une alternative. C'est l'un des nombreux devoirs de l'État. Si le seul devoir de l'État était de protéger votre sécurité, on pourrait vous retirer tous vos droits, et la sécurité ne manquerait pas. Mais ce n'est pas dans une société comme cela que nous vivons.
    Le véritable enjeu, c'est que l'État doit garantir la sécurité de ses citoyens afin qu'ils puissent jouir de leur liberté. La sécurité est le fondement de ce que nous jugeons précieux: la liberté, le droit d'aller où bon nous semble et de faire tout cela sans crainte d'être persécutés parce nous nous exprimons librement.
    D'accord, mais vous conviendrez avec moi que sans sécurité, on ne peut pas profiter de la vie, de la liberté, de la sécurité des personnes, de la poursuite du bonheur ou de quoi que ce soit d'autre.
    C'est un élément fondamental. Il faudrait toutefois éviter de jeter le bébé avec l'eau du bain, simplement pour garantir la sécurité. On ne peut pas avoir un État dans lequel il y a une sécurité totale mais une absence aussi totale de droits. Nous voulons garantir notre sécurité physique, mais dans une démocratie comme la nôtre, la société accepte de prendre certains risques. Nous acceptons tous de prendre certains risques. Autrement, les policiers pourraient arrêter tous les citoyens dans les rues pour s'assurer qu'ils ne sont pas des criminels. Nous tolérons certains risques dans la société. Cela fait partie de la nature de la vie. L'édifice dans lequel nous sommes pourrait s'effondrer demain. Il y a toujours possibilité de risque. On peut garantir la sécurité à 98 p. 100, mais pas à 100 p. 100, c'est impossible. C'est la vie.
    Est-ce que vous ou d'autres témoins savez que le 20 janvier de cette année, on a arrêté une personne dans ma ville, à Edmonton? Cette personne était recherchée par les autorités américaines et faisait l'objet d'accusations d'actes terroristes et de meurtres au sujet d'actes qui auraient été commis en Afghanistan.
    Je ne connais pas les détails de l'affaire, mais j'en ai entendu parler à...
    Est-ce que quelqu'un d'autre est au courant de cette affaire?
    Je suis troublé par un certain nombre de commentaires que vous avez faits, monsieur Mia, ainsi que vous, madame Cheung, au sujet des arrestations préventives. Vous dites que le projet de loi dont nous sommes saisis, le projet de loi C-17, est inutile et qu'il pourrait entraîner des abus. Vous avez cité correctement un certain nombre de dispositions du Code criminel relatives aux accusations qui peuvent être déposées dans les cas de complot ou de tentatives d'attentat. Mais vous reconnaîtrez avec moi que ces dispositions du Code criminel portaient expressément sur des problèmes et des allégations qui ont existé dans le passé, n'est-ce pas?
    Non.
    Vous n'êtes pas d'accord?
    Non, je ne suis pas d'accord.
    Vous croyez que les dispositions actuelles du Code criminel permettront aux services policiers, que ce soit la GRC ou le SCRS, de détenir une personne à partir d'informations relatives à des choses qui pourraient se produire à l'avenir?
    Oui, ils le pourront, si une personne se prépare à commettre un acte criminel. Si je participe à un complot en vue de faire exploser le Parlement et que les policiers en sont informés, ils n'ont pas besoin d'attendre que je passe aux actes. Cela fait partie des rudiments du droit pénal.
(1000)
    En ce qui concerne les abus qui pourraient être commis, cette mesure législative — ou du moins une mesure essentiellement identique — a été présentée par un autre gouvernement après les événements tragiques du 11 septembre 2001. Nous avons débattu de cette mesure législative. Elle n'a été appliquée qu'à une seule reprise, dans des circonstances différentes, pour l'enquête sur la tragédie d'Air India. Les services policiers canadiens n'ont jamais abusé de ce genre de mesure législative, du moins par le passé, n'est-ce pas?
    Je suis d'accord avec vous sur le fait que ces dispositions n'ont été appliquées qu'une fois. C'est vrai, effectivement, et la Cour suprême a statué sur cette affaire. Toutefois, je ne suis pas d'accord avec vous sur le fait qu'il n'y a pas eu d'abus.
    S'il y avait eu des abus, j'imagine que cette mesure législative aurait été appliquée à de nombreuses reprises et que des dizaines, sinon des milliers de personnes auraient été détenues et amenées devant des juges pour obtenir l'information qu'elles auraient possédée. Mais cela ne s'est pas produit.
    Il y a eu des abus mais ils ne sont pas toujours perceptibles. Le but n'est pas de faire un coup de filet en interceptant une foule de gens, même si c'est un risque qui nous préoccupe. Le véritable risque, c'est que ces pouvoirs pourraient devenir insidieux. Cela s'est déjà vu. De tels cas nous ont déjà été signalés par la collectivité. À nous comme à la Coalition pour la surveillance internationale des libertés civiles, à CARE Canada et à d'autres groupes de défense des libertés civiles. On m'en a personnellement parlé. J'ai un collègue avocat qui travaille avec des membres de la collectivité à qui le SCRS et la GRC téléphonent. Bien entendu, tous les agents ou les membres de ces organismes ne se comportent pas de cette façon, mais certains le font. On menace les gens de sanctions s'ils n'acceptent pas de collaborer avec l'organisme, et on vise tout particulièrement les personnes vulnérables comme des réfugiés ou des migrants.
    Vous ne faites pas référence à l'ancien projet de loi C-36, vous parlez d'autres tactiques...
     Je fais bel et bien référence au projet de loi C-36.
    Le projet de loi C-36 n'était pas en vigueur parce qu'il était...
    Il est en vigueur depuis 10 ans. Seulement deux de ces dispositions ont cessé de s'appliquer. Le projet de loi C-36 renferme un amas considérable de mesures, ce qui me préoccupe. De plus, le projet de loi C-36 a mis en oeuvres des infractions inchoatives, un très grand nombre de ces infractions. La préparation, la complicité, la participation, des infractions très éloignées d'une activité criminelle. Je conviens qu'il faut appréhender les gens au moment où ils préparent un crime. Il faut éviter que des torts soient causés. Mais comment pensez-vous que les 18 accusés dans l'affaire du complot de Toronto...? La facilitation et la participation à un groupe terroriste et à un complot pour commettre un acte criminel, ces dispositions existent déjà. Elles figuraient dans la Loi antiterroriste et ont été insérées dans le Code criminel. J'ai ces dispositions ici si vous voulez les consulter.
    Ce sont les deux dispositions d'une portée excessive. Même le gouvernement de l'époque avait reconnu qu'elles étaient tout à fait exceptionnelles et qu'à ce titre, elles devaient disparaître après un certain temps. Mais si nous continuons à les renouveler constamment, à cause de réactions instinctives et de motifs spéciaux, elles vont finir par devenir permanentes.
    Monsieur Vernon, vous suivez sans doute avec beaucoup d'intérêt les événements qui se déroulent en Égypte.
    Évidemment.
    Nous espérons tous que la transition à un régime fondé sur le respect des droits démocratiques se fera d'une façon pacifique, mais nous craignons tous aussi que ce ne soit pas le cas, n'est-ce pas?
    J'invoque le Règlement. Nous étudions le projet de loi C-17, la Loi antiterroriste. Je ne vois pas le rapport avec les événements politiques qui se déroulent en Égypte en ce moment.
    J'ai accordé une certaine latitude à Mme Mourani.
    Monsieur Rathgeber, pourriez-vous revenir rapidement au sujet de cette réunion?
    Mon temps de parole est presque écoulé mais j'ai une question à vous poser par curiosité. Si la situation en Égypte évolue à la façon de celle qu'on a vue en Iran il y a une vingtaine d'années, quels risques cela pourrait-il poser pour les Canadiens et pour votre communauté au Canada?
    Ce que nous craignons essentiellement, mis à part les risques éventuels pour la sécurité d'Israël, c'est l'avènement de régimes de non-droit inféodés à l'Iran. On a vu ce que cela a donné chez leurs suppôts dans la région et les attentats terroristes soutenus par l'Iran au Moyen-Orient et ailleurs dans le monde. N'oublions pas que l'explosion d'une bombe au centre communautaire juif de Buenos Aires pendant les années 1990 a été directement attribuée au Hezbollah, qui agissait pour le compte de l'Iran.
    La plus grande menace pour notre communauté et pour l'ensemble des Canadiens serait l'établissement de régimes instables déterminés à implanter des systèmes qui vont à l'encontre de notre mode de vie.
    Merci, monsieur Vernon.
    Monsieur Rathgeber, votre temps de parole est écoulé.
    C'est de nouveau à vous, monsieur Kania.
    Merci, monsieur le président.
    Je suis d'accord avec M. Rathgeber et je crois qu'un des principaux rôles du gouvernement national est de protéger ses citoyens, mais je crois qu'aujourd'hui, nous essayons de déterminer si cette mesure législative s'impose pour protéger les Canadiens et s'il est nécessaire d'empiéter sur les libertés civiles pour y parvenir au Canada.
    Après les événements du 9 septembre, cette loi a été adoptée et je comprends pourquoi; mais aujourd'hui, nous connaissons mieux les circonstances et, en fait, ces dispositions ne devraient plus être en vigueur puisque les dispositions de temporarisation ont pris fin en février 2007. Voici ma question: puisque ces dispositions n'existent plus depuis février 2007, est-ce que les Canadiens ont vraiment souffert parce qu'elles n'existaient pas? C'est ma première question.
(1005)
    Ce n'est pas parce que cette autorisation n'existait pas au cours des trois ou quatre dernières années qu'elles ne seraient pas utiles aux forces de sécurité et aux forces de l'ordre. On pourrait facilement dire que...
    Je ne dispose que de cinq minutes. Je n'ai pas besoin de grandes théories. Je vous demande si vous jugez que nous avons souffert en raison de l'absence de cette autorisation. Puisque ces dispositions n'existent plus depuis février 2007, comment les Canadiens ont-ils été pénalisés?
    Je crois qu'il ne faut pas oublier que ces autorisations sont nécessaires pour empêcher les activités de se produire. Comme on l'a signalé, il existe déjà des autorisations qui permettraient d'agir comme on le prévoit dans ce document, mais l'adoption de ce document permettrait vraiment d'assurer que ce genre d'activités n'ont pas lieu.
    Nous avons parlé des manquements des forces de sécurité en ce qui a trait à certains dossiers...
    Monsieur, sauf le respect que je vous dois, je vous ai demandé...
    Laissez-moi au moins terminer.
    S'il vous plaît laissez-le vous répondre.
    Je ne voudrais pas vous dire aujourd'hui que ces pouvoirs ne sont pas nécessaires puis être témoins d'un échec dramatique en matière de sécurité, simplement parce que ces pouvoirs n'existaient plus et qu'on a fait exploser une synagogue ou une école juive pleine d'enfants.
    Monsieur Vernon, je vous remercie de cette théorie, mais je vous ai demandé si vous aviez des exemples de circonstances où les Canadiens ont été pénalisés simplement parce que ces dispositions n'existaient plus depuis février 2007. Je ne vous demande pas de me donner toutes vos théories sur ce qui pourrait se passer un jour, vos hypothèses. Peut-être qu'on en aura besoin un jour. Mais je vous demande si vous pouvez donner des exemples précis de circonstances où nous aurions eu besoin de ces dispositions mais qu'elles n'existaient plus.
    Mais le fait est que...
    Très bien.
    Monsieur le président, je vais passer à d'autres intervenants parce que j'ai ma réponse.
    Ces pouvoirs sont prévus et existent depuis...
    Monsieur Vernon, j'aimerais demander à d'autres personnes de répondre à cette question. Vous m'avez dit non. Très bien.
    Quelqu'un d'autre veut répondre?
    Nous ne connaissons pas d'exemples particuliers. À ma connaissance, le comité n'a pas entendu parler d'exemples particuliers non plus.
    Quelqu'un d'autre veut répondre?
    Je crois que nous devrions également signaler qu'il y a eu des procès réussis pour des cas de terrorisme dans le cas des 18 de Toronto par exemple. Je crois que l'on peut démontrer le contraire.
    Madame Cheung, monsieur Mia, à ce que vous sachiez, les dispositions actuelles — Code criminel ou autre loi — seraient-elles pour une raison quelconque insuffisantes pour assurer la protection des Canadiens dans ces circonstances? Encore une fois, je suis d'accord avec M. Rathgeber. C'est notre devoir que de protéger les Canadiens. C'est une de nos tâches les plus importantes. La question est de savoir si les lois actuelles sont suffisantes pour cela ou si nous avons besoin d'adopter une autre loi qui porte atteinte aux libertés civiles.
    Nous pouvons tirer des leçons de notre expérience. Ces dispositions ont été adoptées il y a des années. Elle comporte une disposition de temporarisation qui ne s'applique pas depuis  2007 si bien que la loi n'est plus en vigueur depuis quelques années. Je pose la question de nouveau: Puisque nous avons une riche expérience, avons-nous besoin d'autres dispositions? Il faut se demander s'il faut plus que les dispositions actuelles.
    Monsieur Mia, vous avez la parole.
    Contrairement à M. Vernon, je m'abstiendrai de dire « qu'arriverait-il si »... On peut imaginer toutes sortes de scénarios. Dans ces conditions, nous aurions une énorme quantité de lois pour intervenir dans toutes les situations possibles éventuelles, mais concentrons-nous sur les faits, comme vous l'avez dit.
    Dans le cas des 18 de Toronto, dans le cas de M. Khawaja, et dans certains cas plus récents, nous n'avons pas eu besoin de ces pouvoirs extraordinaires même si nous pouvions les utiliser. Et pourquoi? Parce que nous avons intenté des poursuites en vertu du Code criminel et ainsi les prévenus ont pu compter sur un procès équitable. Ainsi, nous sommes assurés de la présentation de preuves et de la tenue d'un contre-interrogatoire. Le processus accusatoire se déroule selon les règles et nous avons pu déclarer coupable ceux qu'ils l'étaient. C'est un processus public qui inspire confiance à la population et ne jette pas le discrédit sur l'appareil judiciaire et d'autres entités.
    Si vous avez la ferme intention d'adopter ce projet de loi, je proposerais une grande quantité d'amendements, notamment sur l'imminence, et aussi de limiter la durée d'application de la disposition à deux ans et non pas cinq ans — mais je n'en parlerai pas maintenant à moins que vous ne souhaitiez que je le fasse — et ce afin de mettre en œuvre la décision de la Cour suprême. Je ne pense pas que ces dispositions soient nécessaires mais en tout état de cause, il y aurait beaucoup d'amélioration à leur apporter. Comme je l'ai dit, il existe toutes ces autres dispositions — faciliter, participer, être complice — et on les a invoquées avec succès sans porter atteinte à nos traditions de primauté du droit et de confiance dans le système.
    Merci beaucoup, monsieur Kania.
    La parole est maintenant à M. Norlock.
(1010)
    Merci à nos témoins d'être venus.
    Je tiens à dire tout d'abord que les questions que je pose et les observations que je fais d'habitude sont pour la gouverne de mes concitoyens qui sont chez eux, plus particulièrement les jeunes, qui suivent nos délibérations pour leur rappeler que ceux qui siègent autour de cette table — pour la plupart — ont déjà formé leurs opinions, à preuve, leurs déclarations, quant à l'opportunité d'édicter ce genre de dispositions. Toutefois, beaucoup de nos concitoyens ne se sont pas encore formé une opinion et nous écoutent, alors que nous tentons de prendre des décisions...
    Excusez-moi, monsieur le président. La séance est-elle télévisée?
    Oui.
    Ce n'est pas indiqué sur l'avis de convocation.
    C'est indiqué sur le mien, monsieur.
    M. Don Davies: À bon?
    M. Rick Norlock: J'espère que ce rappel au Règlement sera défalqué de mon temps de parole.
    Nous vous donnerons une minute supplémentaire.
    Une voix: Une minute supplémentaire?
    Trente secondes seraient bien suffisantes.
    Poursuivez, monsieur Norlock.
    Monsieur Norlock, je vous prie de m'excuser.
    Je vous en prie. Je vous remercie.
    Comme je le disais, je ne pense pas que les témoins que nous entendons se montrent irrespectueux. Ils expriment leurs véritables sentiments, leurs véritables opinions. J'ai pris note de certaines des affirmations qui ont été faites.
    Qui sont les « véritables terroristes »? Je dirais que pour le Canadien moyen... Nous savons qu'il y a eu des poursuites intentées contre des terroristes. Un des actes terroristes les plus épouvantables que nous avons connus au Canada est celui perpétré contre l'avion de Air India. Je dois reconnaître que le terrorisme n'est pas l'apanage d'un seul groupe de gens d'une seule religion. Nous les trouvons sous toutes les bannières, dans tous les pays, et leur activité prend toutes les formes possibles et imaginables.
    Plus d'un témoin et plus d'un parti politique représentés à cette table prétendent que le SCRS est dysfonctionnel, que la GRC fait face à de gigantesques problèmes, etc. Dans ces conditions, nous avons tous la responsabilité de demander si ces organismes sont en mesure d'assurer la sécurité des Canadiens. Je dirais que la preuve qu'ils sont en mesure de le faire tient au fait que nous n'avons pas connu le genre d'actes terroristes épouvantables que la Grande- Bretagne, les États-Unis et bien d'autres pays ont connus. C'est le travail de ces organismes qui assure notre sécurité.
    Y a-t-il eu des erreurs? Bien entendu, il y en a eues. Ces organismes sont constitués d'hommes et de femmes qui sont humains. Ils sont susceptibles de faire des erreurs. Aucun organisme, aucun groupe de gens, qu'il s'agisse de juges chevronnés... ne pourrait prétendre à l'infaillibilité en matière de jugement ou d'erreur.
    Les Canadiens doivent savoir pourquoi nous nous sommes dotés de la Loi antiterroriste et de ces lois. Comme je l'ai dit, l'ONU a demandé à tous les pays membres de revoir leurs lois et règlements pour garantir la prévention ou une tentative de prévention des actes terroristes comme celui que nous avons connu le 11 septembre. Toutefois, on a demandé de ne pas s'en tenir à une seule loi. Le Canada s'est acquitté de cette obligation et a édicté la Loi antiterroriste sous le gouvernement précédent et notre parti et je pense tous les partis... J'oublie comment se sont répartis les votes mais je sais que les deux grands partis politiques au Canada ont appuyé cette loi.
    Cependant, parce que nous sommes en terrain inconnu, et parce que cela représentait une modification considérable de notre droit, nous avons inclus une disposition de temporarisation. Nous avons procédé au réexamen. J'ai siégé au sous-comité sur l'antiterrorisme. Je peux vous assurer que nous avons fait un examen approfondi, qu'il y a eu un débat nourri et l'opinion majoritaire voulait que nous maintenions ces dispositions assorties d'une disposition de temporarisation.
    À propos des 18 de Toronto: On a dit que la police et les autres forces de l'ordre n'avaient pas eu besoin de recourir à ces dispositions précisément. Je dirais quant à moi que c'est là la preuve que la police est très bien renseignée et que le SCRS et les autres entités le sont également si bien que c'est seulement, et vraiment seulement quand le Code criminel ne s'applique pas qu'on a recours à ces dispositions... toutefois, afin d'empêcher un acte terroriste on pourra en présence de preuves suffisantes avoir besoin de recourir aux dispositions du projet de loi C-17.
    J'irais jusqu'à dire que le pouvoir conféré est extrêmement restreint car on ne peut pas détenir une personne plus de 24 heures, sans l'autorisation d'un juge. Si un juge donne son autorisation, il est forcé de limiter la détention à 72 heures au maximum.
    Ainsi, je dirais que ce projet de loi est nécessaire car en effet, il constitue une mesure de sécurité supplémentaire pour les Canadiens et Canadiennes, homme, femme et enfant.
(1015)
    Merci, M. Norlock.
    La parole est de nouveau à Mme Mourani.

[Français]

    Merci, monsieur le président.
     Je vais adresser ma question à Mme Des Rosiers et, par la suite, à M. Vernon.
    Madame Des Rosiers, des pouvoirs exceptionnels seraient octroyés en vertu de cette loi. Vous parliez plus tôt d'usage abusif, comme l'ont fait tous les autres, sauf peut-être M. Vernon. Comme vous le savez — et ce n'est pas la première fois qu'on en parle-—, le SCRS a reconnu avoir utilisé des renseignements obtenus sous la torture. Je suppose que ceux-ci ne sont pas fiables parce qu'une personne qu'on torture est prête à dire n'importe quoi pour échapper à la douleur.
    Si ce service fonde son analyse du risque sur des renseignements obtenus sous la torture, sur des critères ethniques, sur tout ce qui se dit dans les journaux arabophones ou internationaux, sur ce qu'on voit dans les médias, à la télé et sur Internet, sur des enquêtes dans le cadre desquelles on va apparemment chez les gens pour les interroger encore une fois selon des critères ethniques, croyez-vous que ce service risque non seulement d'abuser de son pouvoir, mais également de viser la mauvaise cible? Je ne mets pas en doute le travail de la GRC qui, à mon avis, est meilleur que celui du SCRS, étant donné qu'elle est tenue de faire des enquêtes réelles en utilisant notamment l'écoute téléphonique. En définitive, il faudrait s'attaquer au service en entier et à sa façon de fonctionner, de sorte que les informations soient fondées sur des faits plutôt que sur des critères ethniques ou sur des renseignements biaisés obtenus sous la torture.
    Ne devrions-nous pas voir au fonctionnement du SCRS de façon à en faire un service qui soit performant dans le monde plutôt que de prolonger cette loi?
    L'avis de l'Association canadienne des libertés civiles est assurément qu'il y a beaucoup de travail à faire pour assurer une bonne responsabilisation. On l'a vu. Des rapports qui ont été faits de façon systématique suggèrent des améliorations. Il y a deux façons de voir les choses. On peut dire qu'il serait important de ne pas mettre de côté les rapports qui ont été faits dans le cadre de ces enquêtes publiques et insister pour qu'ils soient mis en oeuvre de façon prioritaire afin de permettre aux Canadiens et Canadiennes d'en avoir un peu pour leur argent. Des enquêtes publiques ont été tenues. Les gens se sont penchés sur le cas et ont fait des recommandations très précises sur les améliorations à apporter en termes de pouvoirs et de techniques. Évidemment, l'Association canadienne des libertés civiles considère primordial de mettre en oeuvre ces recommandations.
    D'accord. Je vous remercie.
    Monsieur Vernon, vous disiez plus tôt être favorable à ce projet de loi et considérer nécessaire l'octroi de ces pouvoirs exceptionnels, quitte à mettre un peu de côté les droits individuels. Est-ce bien cela? Je ne me trompe pas?
    Non. Vous avez raison.
    L'Angleterre, l'Espagne, la France, l'URSS et même les États-Unis ont tous une loi antiterroriste très sévère, très contraignante. On aurait même tendance à mettre de côté les libertés individuelles. Cela n'a toutefois pas empêché les attentats terroristes. D'ailleurs, j'ai visité la prison de Whitemoor, en Angleterre. J'ai demandé au directeur de cette institution quelle était la clientèle et il m'a répondu qu'elle était à 60 p. 100 ou 70 p. 100 musulmane. Tout le pénitencier était rempli de soi-disant terroristes ou de gens qui avaient commis des actes terroristes. C'est une énorme prison.
    Ne pensez-vous pas que créer des lois de ce genre est finalement un non-sens? Elles ne servent à rien puisqu'il y a toujours des attentats terroristes. On remplit des prisons de présumés terroristes, mais ça ne change rien. La solution n'est-elle pas ailleurs? Oui, il faut des lois, mais des lois qui respectent les droits les individus. Il faut un équilibre entre les deux. Il existe peut-être d'autres solutions qu'on pourrait aborder. Quelles pourraient être ces autres solutions?
(1020)

[Traduction]

    Merci, madame Mourani. Malheureusement, vous avez largement dépassé vos cinq minutes de temps de parole, et vous devrez attendre pour obtenir la réponse.

[Français]

    Est-ce que je peux obtenir une réponse?

[Traduction]

    La parole est maintenant à M. Lobb.
    Merci, monsieur le président.
    Je tiens à remercier nos invités de comparaître devant le comité ce matin pour discuter de cette mesure législative importante.
    Ce qui a attiré mon attention dans le témoignage de M. Mia, c'est qu'il disait que l'adoption de lois ne devrait pas être inspirée par la peur. Je paraphrase probablement un peu. Pourtant, certains des propos que nous avons entendus aujourd'hui de Mme Des Rosiers et de M. Mia suscitent la crainte. Ils descendent la GRC en flammes, fustigent le SCRS et remettent leurs activités en question. Ils parlent de l'établissement d'un précédent au Canada qui lui-même en créerait un dans le droit international.
    À mon avis, ils parlent tout autant de la peur, et déforment légèrement les faits. Je trouve cela malheureux, parce que, comme je le dis toujours, ce n'est pas facile d'être policier. C'est un dur labeur. Les agents de la GRC et du SCRS s'efforcent chaque jour de faire un bon travail. Nous les rencontrons quotidiennement sur la Colline, où ils font de l'excellent boulot.
    Ma question à M. Vernon porte sur les audiences d'investigation. D'autres pays ont déjà adopté cette mesure, il ne s'agit donc pas d'un nouveau concept pour le Canada. L'Angleterre, l'Australie et les États-Unis ont tous des audiences d'investigation. Alors, pour les gens qui nous regardent à la maison, si quelqu'un refuse de répondre à une question, on a le pouvoir de l'y obliger dans le cadre d'une audience d'investigation, n'est-ce pas?
    Oui.
    C'est exact. La Cour suprême, dans une décision de 2004, a reconnu la constitutionnalité des audiences d'investigation, n'est-ce pas exact?
    C'est conforme à la Charte ou ce ne l'est pas. Une femme ne saurait être un peu enceinte, elle l'est ou elle ne l'est pas. Alors oui, on a confirmé que c'est conforme à la Charte.
    Certains de nos témoins aujourd'hui remettent en question sa constitutionnalité, ainsi que certaines de nos institutions les plus sacrées, comme la GRC et le SCRS, et font référence aux tribunaux, mais pourtant, alors que la Cour suprême a statué sur la constitutionnalité des audiences d'investigation, ils ne sont toujours pas satisfaits.
    Me permettriez-vous de dire quelques mots à cet égard?
    Oui, absolument.
    Cela rejoint les propos de M. Norlock. Je pense que les attaques menées contre le SCRS et la GRC sont infondées par rapport à cette mesure législative. On essaie de nous faire croire que c'est Get Smart et Dudley Do-Right. En fait, comme l'a signalé M. Norlock, nous n'avons pas été victimes d'une attaque terroriste massive, mais ce n'est pas faute d'avoir essayé. Le SCRS a clairement indiqué que le Canada est l'hôte d'une intense activité terroriste, puisque des cellules et des groupes font des collectes de fonds, et contribuent à l'organisation à la formation de terroristes ici même au pays.
    L'expérience de la communauté juive auprès du SCRS et de la GRC à l'égard de la sécurité de notre communauté n'a été rien de moins qu'exemplaire. Les deux institutions ont fait preuve de diligence et de professionnalisme dans leurs relations avec nous, n'ont pas sous-estimé l'importance des menaces et ont veillé à la sûreté de notre communauté.
    Ne reste-t-il un peu de temps, monsieur le président?
    Oui, il vous reste deux minutes.
    Monsieur Vernon, j'aurais une autre question pour vous. L'article 83.28 proposé prévoit que les réponses données ou les documents remis par une personne au cours d'une audience d'investigation ne peuvent être utilisés contre elle. La seule chose qu'on peut retenir contre elle, c'est si elle ment au cours de l'audience d'investigation ou présente des témoignages contradictoires. Êtes-vous d'accord?
     Oui, et encore une fois, il s'agit de déterminer si cette faible atteinte aux droits civils suffit à éclipser les avantages que nous tirions de l'attribution de ces pouvoirs à la GRC et au SCRS. Il est vrai que ceux-ci n'ont que rarement été utilisés lorsqu'ils étaient attribués, et qu'on ne s'en sert plus depuis que ces dispositions sont arrivées à échéance, mais cela ne veut pas dire que ces pouvoirs ne soient pas importants et qu'ils ne pourraient pas être utilisés efficacement à l'avenir pour prévenir une faille catastrophique dans les renseignements.
(1025)
    Rassurons les Canadiens. Si on utilisait ces dispositions, les procureurs généraux du gouvernement fédéral et des provinces produiraient un rapport annuel expliquant aux Canadiens dans quels cas on a eu recours aux audiences d'investigation.
    Êtes-vous d'accord? Croyez-vous qu'il s'agit là d'une bonne pratique à adopter?
    C'est une excellente mesure. On doit faire preuve de transparence. Évidemment, il est question de renseignements, où l'information de la population peut être extrêmement dommageable. Toutefois, cela ne veut pas dire qu'on fasse de ces audiences d'investigation des inquisitions.
    Pour revenir à M. Rathgeber, qui parlait de la peur — ou peut-être était-ce vous —, nous ne devrions pas alarmer les Canadiens au sujet des conséquences possibles de ces mesures. Je pense qu'il faut plutôt dire aux Canadiens que l'heure est grave. Notre sécurité est confrontée à des menaces réelles graves et crédibles, et il faut veiller à ce que nos forces de police et de sécurité aient l'autorité et les pouvoirs nécessaires pour empêcher que ces menaces ne se concrétisent.
    Merci, monsieur Vernon.
    Madame Mendes.

[Français]

    Merci, monsieur le président. Merci à tous les témoins.
    J'aimerais poursuivre sur ce qu'a dit M. Vernon, à savoir qu'on ne devrait pas alarmer les Canadiens en ce qui concerne la possibilité de nuire à leurs droits. Avec ce projet de loi, je vous dirais qu'on ne devrait pas alarmer les Canadiens quant aux possibilités de terrorisme. Notre pays n'a quand même pas connu d'événements terroristes d'une telle intensité qu'il serait justifié d'abuser de leurs droits.
    J'aimerais vous entendre, monsieur Mia, madame Cheung et madame Des Rosiers, sur la question des Toronto 18, un événement relativement frais dans nos mémoires. Aucune des dispositions de ce projet de loi n'a été utilisée et on a quand même réussi à déjouer un complot terroriste.
    J'aimerais vous entendre sur le fait que nous avons en effet, tant du côté de la Gendarmerie royale du Canada que de celui du SCRS, des personnes extrêmement compétentes et capables de faire leur travail et qui, sans utiliser ces mesures exceptionnelles, ont déjoué un complot terroriste et ont assuré la sécurité des Canadiens sans qu'il y ait besoin de porter une atteinte extrême aux droits fondamentaux de nos concitoyens. J'aimerais, si possible, vous entendre à ce sujet.

[Traduction]

     Merci, madame Mendes.
    Madame Des Rosiers.

[Français]

    Il est évident qu'il est bien mieux, pour la société canadienne, que des pouvoirs en vertu du Code criminel soient utilisés à bon escient. C'est parce que les policiers connaissent bien ces pouvoirs qu'ils savent comment les utiliser, que le système les connaît bien et que les garanties fonctionnent bien dans ce contexte. Il y a des erreurs qui ont été commises et il va y en avoir d'autres mais, au moins, le système fonctionne dans une certaine dynamique qui offre suffisamment de garanties pour produire de bons résultats. C'est rassurant pour les Canadiens et les Canadiennes de savoir que la preuve était là et que les gens ont été déclarés coupables sur la base d'une preuve qui est suffisante. C'est dans ce contexte que c'est une meilleure approche, non seulement en termes de protection des droits de la personne, mais aussi pour s'assurer qu'il s'agit des bonnes personnes à arrêtées. Cela n'aide en rien si ce sont les mauvaises personnes qui sont incarcérées, arrêtées ou détenues.
    L'idée de protéger la présomption d'innocence ne vise pas seulement à protéger les droits des personnes incarcérées, mais aussi à protéger l'intérêt public pour que ce soit les bonnes personnes et non les mauvaises qui sont soumises à la justice.

[Traduction]

    Monsieur Vernon.
    Si me le permettez, il existe une superbe phrase latine — post hoc ergo propter hoc —, qui signifie que parce que quelque chose s'est produit ne veut pas dire que cela aurait dû se produire ainsi.
    En ce qui concerne les 18 de Toronto, nous avons été très chanceux. Il s'agit d'un complot qui n'attendait que d'être mis à jour. Le prochain groupe pourrait...
    Ils ont fait preuve d'un très grand professionnalisme. Ils ont fait leur travail.
    Qui?
    Notre personnel de sécurité, il a fait son travail.
    C'est exact.
    Ce n'était pas de la chance.
    Non, mais nous avons été chanceux qu'ils n'aient pas eu à recourir à ces pouvoirs. Le prochain groupe pourrait bien être beaucoup plus expérimenté et beaucoup plus difficile à infiltrer. Je souhaiterais alors que nos autorités puissent avoir recours à ces pouvoirs.
    Madame Cheung.
    La seule chose que j'ajouterais aux propos de ma collègue, Mme Des Rosiers, c'est que le procès entourant les 18 de Toronto est un excellent exemple de cas où on a déjoué une attaque terroriste, ce qui veut dire qu'on n'a pas seulement entamé des poursuites pour actes de terrorisme après coup, mais on peut les empêcher de se produire.
(1030)
    Monsieur Vernon, si nous préparons pour chaque éventualité, il ne nous restera plus grand-chose, et nous serons ensevelis sous les lois. Ce n'est pas ainsi qu'on conçoit les mesures législatives. Nous devons nous baser sur la logique et la primauté du droit.
    Madame Mendes, il est vrai que le SCRS et la GRC ont bien travaillé, tout comme les forces de police locales de la région du Grand Toronto, d'ailleurs. Dans le cas des 18 de Toronto, on a bien fait. Je ne dis pas que des erreurs sont toujours commises, ce n'est pas ce que je veux laisser entendre. Mais nous devons, et ce n'est pas... Mme Des Rosiers et moi-même n'essayons pas de semer la peur; c'est faux. Nous vous répétons ce qui est ressorti de la Commission Arar, de la Commission Air India, ce que le juge Mosley a dit dans le cas Almrei, soit qu'il y a de graves problèmes. Pour faire preuve de respect envers nos organisations, il faut être honnête et reconnaître que ces graves problèmes existent. Prenez tous ces parents qui nous regardent à la télévision; lorsque leur enfant fait mal quelque chose, ils ne font pas comme si de rien n'était, ils lui disent plutôt: « Corrigeons cette erreur pour que tu puisses t'améliorer ». Il faut continuellement s'améliorer. Vous avez tous un ombudsman, une autorité de surveillance. C'est mon cas, puisque je suis juriste. Il faut donc surveiller ces organisations pour qu'elles puissent mieux faire leur travail.
    Merci, monsieur Mia.
    Passons maintenant à M. McColeman.
    Merci, monsieur le président.
    Je tiens à remercier les témoins d'être ici. Je tiens également à signaler la comparution de M. Vernon bien qu'il ait été invité très tardivement.
    Deux proches de victimes devaient témoigner aujourd'hui. Malheureusement, ils ont tous deux la grippe et ne pouvaient se présenter. Je pense que cela vaut la peine de le signaler. Ce n'est pas que votre présence ne soit pas importante, loin de là, et je ne souhaite en rien la minimiser. Toutefois, nous souhaitons entendre les victimes de terrorisme et connaître le point de vue sur la question. Nous espérons pouvoir y arriver ultérieurement.
    Ce qui ressort de la discussion aujourd'hui, c'est que nos forces d'application de la loi ont été descendues en flammes par ceux qui souhaitent enterrer le projet de loi. Je tiens à souligner les observations de mon collègue selon lequel il s'agit d'êtres humains, d'hommes et de femmes. Ils commettent des erreurs de temps à autre, mais de façon générale ils font un bon travail et garantissent notre sécurité nationale. Comptons-nous chanceux de n'avoir pas été victimes d'attaques terroristes telles que celles subies par de nombreuses autres démocraties occidentales.
    Lorsque je pense aux organisations terroristes et aux raisons pour lesquelles nous devons fournir une force d'application de la loi les outils que prévoie ce projet de loi, je pense à al-Qaïda et aux groupes de cet acabit qui survivent grâce à deux importantes ressources, financière et humaine. Ils sont comme n'importe quelle grande organisation, c'est-à-dire qu'ils ont besoin d'argent et de recrues. Ils doivent également former ces nouvelles recrues, qui se préparent pour quelque chose, peu importe que vous pensiez qu'il s'agisse d'une attaque terroriste ou d'un simple débat.
    Si nous avons déjà entendu des témoignages et que nous devons aller de l'avant avec cette initiative, c'est que nous devons mettre fin au terrorisme en suivant la piste de l'argent. Nous devons trouver et arrêter ceux qu'on soupçonne de recueillir des fonds dans notre pays et ailleurs dans le monde. Pour y arriver, nos forces d'application de la loi doivent avoir à leur disposition tous les outils nécessaires, pas juste quelques-uns. C'est ainsi qu'ils pourront déjouer ces plans, c'est certain. Or, voilà un autre outil.
    Le 15 décembre, nous avons entendu le témoignage de M. Forcese, professeur à l'Université d'Ottawa. Il a étudié en profondeur cette mesure législative et il l'a comparée aux lois d'autres pays, comme le Royaume-Uni et l'Australie, qui ont des pouvoirs de détention beaucoup plus étendus. Il a indiqué qu'il s'agissait là d'une lacune dans notre système.
    Nous avons demandé aux fonctionnaires qui ont rédigé les lois quelles étaient leurs intentions. Essayaient-ils de combler cette lacune en adoptant une approche équilibrée respectant les droits de la personne? Ils ont répondu que c'est exactement ce qu'ils essayaient de faire — remédier à cette lacune.
    On nous a induits en erreur sur un autre point aujourd'hui, puisque le SCRS est surveillé par un comité de civils.
(1035)
    Ce n'est pas ce que nous avons dit.
    Mais l'un de vos collègues à la table a dit que l'organisation n'était pas supervisée, et qu'on devait ajouter un organisme de surveillance civile, alors que le SCRS est déjà supervisé par une organisation civile indépendante du gouvernement le CSARS, soit le Comité de surveillance des activités de renseignement de sécurité. Je tenais à le signaler.
    Monsieur Vernon, j'aimerais que vous réagissiez à mes observations.
    Soyez bref, je vous prie.
    Monsieur Vernon, notre pays adopte une approche moins rigoureuse que celle d'autres pays. Qu'en pensez-vous?
    J'aimerais bien savoir ce que vous en pensez, mais nous n'avons plus de temps.
    Merci.
    Passons maintenant à M. Holland.
    Peut-être puis-je d'abord répéter les propos de M. Forcese.
    Il a dit: « Je ne sais pas si la mesure proposée permettra vraiment de combler cette lacune », celle à laquelle vous faisiez référence plus tôt, monsieur McColeman. Il poursuit:
Je ne serais pas favorable à l'inclusion dans ce projet de loi de pouvoirs aussi exceptionnels et énergiques en l'absence de freins et contrepoids très robustes permettant de mieux protéger les libertés civiles.
    Il poursuit en disant qu'il n'est pas d'accord et qu'il n'irait pas de l'avant sans l'ajout de ces freins et contrepoids.
    Revenons maintenant à un commentaire répété maintes fois, soit que nous apprécions le travail des hommes et des femmes qui travaillent pour la police et le SCRS. Convenons que tous ici, témoins et politiciens, témoignons d'un profond respect envers le travail que font les hommes et les femmes qui servent notre pays. Cela va de soi, et je pense que tout le monde serait d'accord avec moi.
    Là où le bât blesse, c'est que dans toute société humaine on trouve erreurs, lacunes et faiblesses; c'est la raison pour laquelle il nous faut de la surveillance. Je pense que nous avons tous vu des exemples de la noirceur dans laquelle on s'abîme lorsqu'on érode ce pouvoir de surveillance. Voilà ce qu'il faut retenir.
    Donc, sur la question de la surveillance, dans quelle mesure devrait-on réparer ce qui cloche avant d'ajouter des pouvoirs extraordinaires?
    Merci, monsieur Holland.
    Madame Cheung.
    Je répondrai brièvement, puisque je pense que nous voulons tous nous faire entendre sur ce sujet.
    Je pense qu'il est primordial que des mécanismes adéquats de surveillance soient prévus. Évidemment, nous reconnaissons la surveillance civile du SCRS par le CSARS, mais il me semble que les recommandations issues des enquêtes précédentes voulaient l'établissement d'un mécanisme de surveillance interorganisationnel pour les questions de sécurité nationale, tout simplement étant donné la nature de ces enquêtes et leur fonctionnement. Il est essentiel d'établir ces mécanismes avant d'élargir la gamme de pouvoirs d'investigation déjà très vastes dans le cas des infractions liées au terrorisme.
    M. Mia, puis M. Vernon.
    Tout d'abord, je tiens à dissiper un malentendu. Je pense que le SCRS et la GRC font un assez bon travail dans la plupart des cas et que ces institutions sont nécessaires, dans une certaine mesure, dans les limites imposées par leur loi habilitante. Toutefois, M. Holland insiste sur la surveillance.
    Mon organisation réclame une surveillance interorganisationnelle de toutes les agences en matière de sécurité nationale. Depuis le 11 septembre, tout a été intégré, on a mis en commun tous les renseignements —, on s'est retrouvé avec une commission des plaintes impuissante à la GRC, au CSARS, et ailleurs. Il faut rassembler tout. Si on veut intégrer les fonctions de sécurité nationale, il faut aussi intégrer la surveillance et la reddition de comptes. La Commission Arar a signalé d'importantes erreurs. L'erreur est humaine, et c'est la raison pour laquelle nous avons besoin de freins et de contrepoids. Nous avons versé une indemnité à M. Arar, et c'était selon moi approprié. Nous avons contrevenu à ses intérêts et à sa liberté. Il a été torturé en raison de ce que nos agences ont fait.
    Au bout du compte, il faut se pencher sur le cas Arar. Rien n'a été fait. Parmi ceux qu'on a identifié comme ayant contribué au sort de M. Arar, aucun n'a souffert; en fait, nombre de ces gens ont été promus au sein de la GRC. C'est le genre de choses auxquelles il faut réfléchir.
    Commençons par corriger la situation. La mesure législative ne peut être adoptée telle quelle; elle doit être corrigée. Je pense que M. Forcese et d'autres ont signalé ce qui devait être amélioré, mais commençons par la surveillance. Il faut remettre de l'ordre dans les organisations pour que ça fonctionne, puis on pourra déterminer si nous avons besoin de nouveaux pouvoirs.
(1040)
    Merci, monsieur Mia.
    Monsieur Vernon.
    Merci beaucoup, monsieur le président.
    Tout d'abord, je ne vois pas très bien comment nous pouvons parler de l'érosion de nos libertés civiles alors que rien ne le prouve durant les dix dernières années, en ce qui concerne ces deux dispositions. Je ne suis pas convaincu que nous soyons dans une situation de crise.
    Cela étant dit, nous croyons que les freins et contrepoids prévus dans le projet de loi sont bons. Si quelqu'un en propose d'autres, nous serions prêts à les examiner.
    En ce qui concerne la surveillance d'une manière plus générale, nous appuyons l'idée d'élargir le rôle du Parlement dans la surveillance de l'appareil de sécurité au sens le plus large, peut-être en créant un poste de haut fonctionnaire du Parlement dont ce serait la responsabilité et qu'il veillerait à ce que tous les éléments du régime de contre-terrorisme soient mis en oeuvre efficacement et correctement. Un sous-comité du comité pourrait s'occuper de cela. Il y a des méthodes et des modalités pour renforcer la surveillance que vous pourriez examiner.
    Merci.
    Mais cela ne veut pas dire que ces pouvoirs doivent être abrogés.
    Merci, monsieur Vernon.
    Madame Mourani.

[Français]

     Merci, monsieur le président.
    Monsieur Vernon, avez-vous une solution autre que législative à nous proposer?

[Traduction]

    Il y a de nombreuses discussions dans des pays comme le Canada et le Royaume-Uni sur le visage du multiculturalisme au 21e siècle. Je pense qu'il y a certains éléments de notre façon d'aborder la diversité au sein de nos collectivités, de promouvoir l'intégration et le maintien de son identité tout en adhérant à un ensemble de valeurs nationales fondamentales. Je pense qu'il y a certains aspects de notre comportement en tant que Canadiens qui devraient certainement être examinés.
    Pour faire face au problème de la radicalisation de la deuxième génération, je pense que nous devons examiner ces situations et nous demander pourquoi des personnes au sein de certaines collectivités n'ont pas le même attachement envers le Canada qu'avaient peut-être leurs ancêtres au moment de leur arrivée ici.
    Donc, il faudrait examiner ces composantes socioéconomiques, mais au fond, le terrorisme est un acte criminel et nous devons pouvoir l'interdire et, malheureusement, si quelque chose arrive, nous devons pouvoir arrêter les responsables et les punir.

[Français]

    Pensez-vous aussi qu'il faudrait un peu plus de justice à l'échelle mondiale? Faudrait-il permettre, de part et d'autres, la résolution de certains conflits dans le monde, notamment au Moyen-Orient?

[Traduction]

    Je pense qu'il est faux de prétendre que le terrorisme naît d'un manque de justice. Prenez l'exemple des personnes qui ont participé aux attentats du 11 septembre, ce n'est pas des gens qui avaient vécu dans une misère affreuse. Bien sûr, nous voulons tous la justice et la reconnaissance des droits humains pour tous les peuples, mais je ne pense pas que cette idée des causes profondes du terrorisme n'empêche qu'il y a des gens qui ont des intentions malfaisantes. Nous devons avoir le pouvoir de nous assurer, premièrement, qu'ils sont mis hors d'état de nuire — car ce sont des personnes dont les valeurs sont entièrement incompatibles avec notre façon de vivre — mais aussi pour nous assurer qu'ici au Canada nous sommes protégés contre les ravages de ces attaques.

[Français]

    Pensez-vous que la torture soit une bonne chose? Êtes-vous en faveur de la torture?

[Traduction]

    On ne peut pas être en faveur de la torture.

[Français]

    Pensez-vous qu'une agence comme le SCRS, ou toute autre agence, est en droit d'utiliser la torture pour obtenir de l'information?
    Non.
    Très bien. Pensez-vous que le fait que le SCRS ait utilisé de l'information obtenue par la torture est un signe de compétence?
(1045)

[Traduction]

    Je ne dirai pas que c'est un signe de compétence ni d'incompétence. Je pense que cela montre que certaines personnes ont outrepassé leurs pouvoirs ou ont peut-être fait preuve d'un excès de zèle pour obtenir des renseignements importants.

[Français]

    En ce qui concerne l'affaire Omar Khadr, vous avez peut-être vu les vidéos des interrogatoires à Guantánamo Bay de ce jeune d'âge mineur, de cet enfant. Quel que soit le crime qu'on lui reproche, l'attitude des agents du SCRS vous a-t-elle semblé convenable?

[Traduction]

    Sauf votre respect, je ne suis pas sûr que mon opinion à ce sujet soit particulièrement pertinente.
    Je pense qu'il y a un monde de différence entre le genre de renseignements obtenus par la torture et le genre de renseignements qu'on propose d'obtenir au moyen des deux dispositions prévues dans ce projet de loi. La différence est énorme.
    Je pense que ce n'est pas nous rendre service que de mettre tout cela dans la même catégorie...

[Français]

    Avez-vous une opinion à ce sujet?

[Traduction]

    Très rapidement, madame Mourani.

[Français]

    C'est votre opinion que je voudrais connaître. Quand vous avez vu les vidéos des interrogatoires de ce jeune garçon, qu'en avez-vous pensé?

[Traduction]

    Merci, madame Mourani.
    Allez-y, monsieur Vernon.
    Je crois que ce qui lui est arrivé est malheureux. Mais je suppose qu'il y a des cas où ce genre de choses vont se produire et nous devons faire tout notre possible pour que ce genre d'activités ne se répète pas.
    Cela étant dit, les accusations portées contre lui étaient très graves. Nous devons permettre à la justice de suivre son cours.
    Merci beaucoup.
    Je remercie tous les témoins de leur comparution sur ce projet de loi très important. Votre contribution est grandement appréciée.
    Comme l'heure est écoulée, la séance est levée.
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