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Bienvenue tout le monde.
La 53e séance du Comité permanent de la sécurité publique et nationale du jeudi 10 février 2010 est ouverte. Nous poursuivons notre étude du projet de loi C-17, Loi modifiant le Code criminel (investigation et engagement assorti de conditions).
Les membres du comité se souviendront que le ministre de la Justice, l'honorable Rob Nicholson, a témoigné devant le comité avec son personnel le 15 décembre 2010, nous expliquant les objectifs et caractéristiques de ce projet de loi.
Comparaissent aujourd'hui l'Association canadienne des juristes musulmans, représentée par Ziyaad Mia, président du Comité de représentation et de recherche. Bienvenue. Ensuite, de la British Columbia Civil Liberties Association, Carmen Cheung, avocate. Aussi, du Congrès juif canadien, Eric Vernon, directeur, Relations gouvernementales et affaires internationales. Merci de répondre si rapidement à une invitation envoyée seulement hier. Enfin, de l'Association canadienne des libertés civiles, Nathalie Des Rosiers, avocate générale. Une fois de plus, merci d'être venus malgré le court préavis.
Le comité remercie les témoins d'avoir accepté l'invitation et d'avoir fait l'effort de venir comparaître devant nous aujourd'hui.
Je crois que chacun d'entre vous va faire une déclaration préliminaire; nous passerons ensuite aux séries de questions. Nous avons deux heures aujourd'hui ou presque. Il y a aura deux séries de questions. Commençons donc sans plus tarder par les témoins assis au bout de la table.
Monsieur Mia.
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Merci, monsieur le président.
Bonjour, monsieur le président, membres du comité et autres invités et témoins. Je suis Ziyaad Mia et je représente aujourd'hui l'Association canadienne des juristes musulmans. Je vous remercie de m'avoir invité à participer à vos travaux sur l'importante question dont vous êtes saisis.
Notre association représente divers juristes musulmans du Canada. Comme certains d'entre vous le savent, nous nous intéressons de près aux questions de sécurité nationale et de lutte contre le terrorisme qui ont été soulevées depuis environ une décennie. Nous avons un certain nombre de préoccupations et nous les avons exprimées au cours des 10 dernières années. Certaines ont été prises en compte, d'autres non. Nous espérons qu'aujourd'hui, vous écouterez et que nous pourrons avoir un bon dialogue au sujet de nos préoccupations.
L'une de nos principales inquiétudes au sujet de la législation et du ton qui règne sur les lois et politiques dans ce domaine, c'est qu'elles sont principalement inspirées par la peur. Le problème, c'est que la crainte n'est pas propice à la rédaction de bonnes lois et de bonnes politiques. Au bout du compte, dans cet environnement de la guerre contre le terrorisme, la culture de la crainte est malheureusement associée à la xénophobie. Les Canadiens musulmans et les musulmans de partout dans le monde en sont les victimes.
Ce n'est pas essentiellement ce dont je vous parlerai aujourd'hui mais c'est l'une de mes préoccupations.
J'ai aussi des craintes liées au fait que des pouvoirs insuffisamment ciblés soient conférés par la loi, et puissent servir contre d'autres minorités vulnérables à l'avenir. Au bout du compte, quand les lois sont mal conçues, des erreurs sont commises et la vie d'innocents est ruinée. C'est une réalité. Les journaux nous en parlent, mais dans les faits, ce sont de vraies personnes, des enfants, des familles dont la vie est détruite. Et l'indemnisation ne suffit pas à leur rendre leur vie normale.
Nous avons deux principales préoccupations. Premièrement, les lois dont vous êtes saisis aujourd'hui ne sont pas nécessaires. Nous avons au Canada un Code criminel solide qui compte de nombreuses dispositions dont je vous reparlerai volontiers. La loi dont vous êtes saisis nous écarte des protections fondamentales prévues dans le Code criminel et la Constitution canadienne qui sont précisément destinées à arriver à un juste équilibre entre le respect des droits et la lutte contre les criminels et les terroristes, puisque essentiellement, les terroristes sont des criminels. Nous atteignons, et dans certains cas, éliminons, des garanties historiques fondamentales, qui existent depuis des siècles, relatives à la détention arbitraire, à l'habeas corpus, à l'indépendance de la magistrature et à la séparation des pouvoirs. Elles ne sauraient être prises à la légère et dans le cas qui nous occupe, elles sont gravement compromises.
Deuxièmement, ce type de pouvoir peut faire l'objet d'abus. Nous y reviendrons plus tard, et nous pouvons donner des exemples d'erreurs qui ont été commises au cours des 10 dernières années et qui ont ruiné la vie de citoyens innocents. Je ne pense pas que ce soit là votre objectif, et ce n'est certainement pas celui de l'Association canadienne des juristes musulmans. Comme tous les autres Canadiens, nous sommes résolus à tuer le terrorisme dans l'oeuf, mais nous devons nous assurer de ne pas, ce faisant, nuire à des tas d'innocents. Il ne faut pas stigmatiser des communautés. Je le répète, un glissement est à craindre, une fois qu'on commence à altérer la nature même de nos lois et de notre Constitution.
Vous avez reçu beaucoup de témoins qui parlaient d'arriver à un équilibre entre la sécurité nationale et les droits de la personne. Je tiens à vous dire une chose: je ne pense pas qu'il soit nécessaire d'arriver à cet équilibre. En effet, nous avons une Constitution et un droit pénal qui permettent déjà d'arriver à cet équilibre. Nous n'avons pas un régime de droits absolus; l'article 1 de la Charte est précisément destiné à trouver un équilibre. C'est ce que nous avons décidé, collectivement.
On vous demande de faire pencher la balance pour donner plus d'importance à la sécurité. Très bien, si c'est ce que vous voulez vraiment. Mais ce n'est pas ainsi qu'on nous présente les choses. On nous dit qu'on veut arriver à un équilibre, et s'écarter de la situation actuelle, alors que nous avons déjà un équilibre et qu'on veut faire pencher la balance, modifier le contrat social fondamental du pays sans débat public.
Quand on parle d'arriver à un équilibre, on cherche à nous leurrer.
Nous l'avons déjà dit, ici même et à maintes reprises, devant d'autres comités: ces dispositions sont inutiles. En rédaction législative, un principe de base veut qu'une loi doit être utile et précise.
Nous avons le Code criminel et nous pourrons parler tout à l'heure des dispositions dont vous avez entendu parler.
L'article 495 du Code criminel nous permet d'arrêter les activités criminelles avant même qu'elles ne se produisent. Il était erroné de la part du gouvernement précédent, ainsi que de ceux qui le disent maintenant, que nous n'avions pas les outils pour arrêter les terroristes avant qu'ils ne prennent l'avion. Car nous avions bel et bien les outils pour le faire. Il s'agit du Code criminel et des techniques d'enquête. Il nous faut les utiliser ces outils, nous devons même les exploiter. Il n'est donc pas nécessaire de faire des arrestations préventives afin d'éviter le pire. En effet, nous avons déjà les outils pour éviter le pire.
Il y a les ordonnances de bonne conduite. l'article 810 du Code criminel, comme vous le savez, prévoit ce genre de protections, y compris pour le terrorisme. Ces dispositions sont peut-être appliquées trop largement, du point de vue des libertés civiles, mais elles existent néanmoins. Et ces dispositions sont fondées sur des motifs raisonnables, non pas des doutes raisonnables; c'est un point très important qui devrait faire l'objet d'une discussion aujourd'hui. La partie 13 du code envisage toutes sortes d'infractions préparatoires — complots, tentatives, etc. — bref, elle fait de la prévention.
Bref, je crois que nous mettons la charrue avant les boeufs. Ces lois sont mal ficelées, elles sont trop larges, elles sont vagues, et elles donnent des pouvoirs trop rudimentaires à la police et aux agences de sécurité, qui sont mal préparées à s'en servir. Cela dit, je sais que le SCRS n'utilise pas ces pouvoirs, puisqu'il se limite aux enquêtes préparatoires.
De plus, il y a toutes sortes d'enquêtes sur les tablettes qui accumulent de la poussière: l'enquête Arar, l'enquête Air India, l'enquête Iacobucci. Il y a notamment deux affaires, les affaires Almrei et Charkaoui, dans lesquelles le SCRS et la GRC ont été dénoncés comme étant incompétents, mal renseignés sur la géopolitique, de façon qu'il était impossible d'attraper les vrais terroristes car on perdait notre temps sur des détails. C'est ce que nous disait le juge Mosley.
De plus, sans parler de la sécurité nationale, c'est la confusion à la GRC. Il y a l'affaire Dziekanski, qui est vraiment tragique, une tragédie pour notre pays. En effet, un innocent a été tué par la GRC, qui a ensuite menti pour se protéger. C'est une insulte à notre intelligence, pis encore, c'est entièrement répréhensible.
Il y a beaucoup de choses qui ne tournent pas rond à la GRC. À cette même table, il y a à peine deux jours, la haute direction de la GRC même vous disait ce qui n'allait pas chez eux. Nous savons que le SCRS ne comprend rien comme le disait le juge Mosley. Ils ne comprennent absolument pas ce qu'est le jihad. Ils se sont complètement trompés dans la première affaire Almrei. Ils poursuivent des innocents au lieu de poursuivre les vrais terroristes, une fois de plus, on met la charrue avant les boeufs.
Il faut faire le grand ménage au SCRS et à la GRC. Il faut mettre en application les recommandations de la Commission Arar sans plus tarder. Il faut de la surveillance, de la transparence et des protections afin que la police et les agences de sécurité poursuivent les vrais terroristes — ce que nous souhaitons tous — tout en respectant la loi. Bref, on a un service de sécurité et une police nationale dysfonctionnels et embrouillés, et il faut tout d'abord collaborer avec ces agences afin d'y faire le ménage avant même de songer à leur attribuer de nouveaux pouvoirs extraordinaires.
Il y a des dispositions échues que vous cherchez à ramener. Si ces dispositions ont une date d'échéance, c'est qu'elles octroient des pouvoirs exceptionnels. Si nous continuons de renouveler ces dispositions, ces pouvoirs ne sont plus exceptionnels. Le juge Binnie de l'affaire Air India a examiné l'enquête et a soulevé la même préoccupation. Il l'a dit lui-même: si un pouvoir est constamment renouvelé, il n'est plus exceptionnel. Et du point de vue démocratie et primauté du droit, on s'engage sur une pente très glissante. Nous en sommes au point où il pourrait y avoir des lois d'urgence permanentes, des lois exceptionnelles permanentes. Je ne suis pas spécialiste en théorie constitutionnelle, mais je pense qu'il y a contradiction entre notre système de gouvernement et la primauté du droit. C'est ce qu'a fait M. Mubarak depuis 30 ans: 30 ans de lois exceptionnelles d'urgence. C'est absurde, car il s'agit d'une urgence permanente.
Je ne nous compare pas à Mubarak ni aux nazis — loin de là — mais si je soulève la question, c'est qu'il faut absolument éviter d'adopter des mesures qui nous rappellent ce genre de sociétés. L'Allemagne nazie possédait des théoriciens juridiques qui estimaient que c'était le leader qui devait décider quand il y avait exception et quand cette exception devait se terminer. Nous n'avons pas ce genre de disposition dans notre société, car nous avons la primauté du droit, et le contrôle du gouvernement. Nous avons des tribunaux, des freins et contrepoids, et le contrôle de la police et des services de sécurité.
Ne vous leurrez pas en vous disant que vous n'allez renouveler ces pouvoirs que pour cinq ans. Les agences de sécurité réclameront toujours davantage de pouvoirs. Toute agence gouvernementale et toute institution réclameront davantage de pouvoirs et davantage d'argent. C'est la nature humaine.
J'achève, et je termine sur une citation. Vous connaissez sans doute Edmund Burke, le grand parlementaire. Il était en fait le père du conservatisme moderne, et je le respecte énormément. Il y a plus de 200 ans, il a dit, et je cite, « Le véritable danger survient lorsque la liberté est rongée peu à peu, par commodité ». Et je pense que c'est ce qui nous arrive aujourd'hui: on ronge les libertés par commodité, en se disant que ce n'est pas si grave, et finalement il ne reste plus rien.
Merci de votre attention, je me ferai un plaisir de répondre à vos questions.
Bonjour, je m'appelle Carmen Cheung, je suis avocate auprès de la British Columbia Civil Liberties Association. Au nom de la BCCLA, je remercie les membres du comité de leur invitation de nous exprimer sur le projet de loi .
La BCCLA est un groupe de défense non partisan sans but lucratif fondé à Vancouver en Colombie-Britannique. Depuis son incorporation en 1863, la BCCLA s'est donnée comme mandat de promouvoir, défendre, et appuyer les libertés civiles et les droits de la personne partout au Canada.
Nous nous exprimons sur les principes de promotion des droits et des libertés individuelles, y compris des questions d'application régulière de la loi et de justice fondamentale de situations où les intérêts des particuliers sont touchés par l'État.
En décembre, le comité a entendu nos collègues de l'International Civil Liberties Monitoring Group, de la Ligue des droits et libertés, du Canadian Council on American-Islamic Relations, entre autres. La BCCLA se fait l'écho de préoccupations déjà éloquemment exprimées ici même, à savoir que la loi envisagée ne protège pas les Canadiens tout en compromettant des mesures de protection démocratiques pourtant chèrement acquises.
Je parlerai d'abord de la disposition sur l'arrestation préventive, qui autorise la détention d'une personne sans porter d'accusation pendant 72 heures pour motif de suspicion de danger. Lorsque cette disposition était en vigueur dans le Code criminel, on n'y a jamais eu recours. Les défenseurs de la détention préventive estime qu'il s'agit là d'un brillant exemple de la précaution employée par les agences d'application de la loi; nous estimons, pour notre part, que des changements si importants dans la détention préventive sont tout simplement superflus.
La protection des libertés personnelles est une valeur de base de notre société canadienne, et de toute société libre. C'est pourquoi il faut scruter à la loupe toute proposition d'étendre les pouvoirs de détention du gouvernement. Les principes canadiens de la justice fondamentale imposent des limites procédurales et substantives sur toute privation de liberté. Cela signifie que, d'abord, le processus de détention doit répondre aux exigences de la justice fondamentale; ensuite, les raisons substantives de toute détention doivent être justifiables et justifiées dans une société libre et démocratique.
La détention sans accusation ou inculpation pose problème, car elle est fondée sur une hypothèse. Elle se fonde sur un hypothétique futur danger posé par l'individu en raison de velléité présumée. La détention préventive est donc fondée sur un raisonnement velléitaire, car s'il y avait des preuves de préparation à commettre un acte terroriste ou des preuves de complot pour commettre un acte terroriste, alors on aurait des motifs de porter des accusations pour un crime effectif, et les suspects pourraient être détenus en vertu des procédures criminelles habituelles. Aussi, priver une personne de sa liberté en l'absence d'une infraction ou en l'absence même d'un soupçon d'infraction est contraire aux principes de base de la justice fondamentale.
Le Code criminel, tel qu'il existe actuellement, contient déjà des mécanismes qui permettent de poursuivre des terroristes effectifs ou éventuels. En fait, le Code criminel ratisse très large en ce qui concerne les infractions liées au terrorisme. Telle qu'elle est définie dans le Code criminel, l'activité terroriste englobe tout du complot, la tentative ou la menace de commettre un acte de terrorisme, jusqu'à l'acte terroriste.
Le code confère aux autorités de larges pouvoirs pour imposer des conditions aux personnes qui posent un danger à la sécurité publique. Comme il a déjà été dit, on retrouve ces pouvoirs à l'article 810.2, et en ce qui concerne les infractions liées au terrorisme, à l'article 810.01. Comme il a déjà été dit, des enquêtes policières récentes démontrent l'efficacité des dispositions du Code criminel. Elles ont déjà été utilisées avec succès pour défendre et protéger les Canadiens et pour éviter des attaques terroristes potentielles.
Détenir des personnes pour motif de dangers futurs est très problématique. Puisque le fardeau de la preuve est allégée, il y a une meilleure chance non seulement d'erreurs et d'abus, mais également que de tels erreurs et abus ne soient ni détectés ni remédiés.
Par exemple, il peut être difficile d'établir si une prédiction de menace se concrétise. Disons qu'une personne est détenue de façon préventive et qu'il n'y a pas d'attaque terroriste. Le fait qu'il n'y ait pas eu d'attaque pourrait certainement vouloir dire qu'en mettant en détention cette personne, la police a effectivement empêcher un acte terroriste. Mais cela peut également signifier que la personne détenue n'était aucunement impliquée dans l'attaque prévue. Ce genre d'incertitude ne peut tout simplement pas justifier l'emprisonnement de qui que ce soit.
Par ailleurs, la poursuite d'infractions inchoatives comme les complots permettent au gouvernement d'immobiliser des personnes potentiellement dangereuses et d'entraver des attaques terroristes avant même qu'elles ne se produisent, mais les exigences liées à la preuve avant même que l'on puisse porter des accusations nous protègent des erreurs ou des abus.
Bien à part la privation de liberté liée à une détention préventive, il y a également l'effet stigmatisant d'être étiqueté comme suspect de terrorisme ou de personne liée à des activités terroristes. Nul ne contestera que le stigmate lié à une accusation de terrorisme est assez grave. Pourtant, le système de détention préventive envisagé dans le projet de loi étiquetterait une personne comme étant un terroriste même si la police n'avait aucun motif justifié pour porter des accusations, ou encore de preuve pour poursuivre le présumé terroriste. Il ne faut surtout pas minimiser les préjudices potentiels causés à la réputation d'une personne ou les autres effets négatifs de cette accusation.
En ce qui concerne le deuxième aspect substantif du projet de loi , la réintroduction de l'investigation, il faut savoir qu'un tel mécanisme fait des tribunaux un outil d'enquête du SCRS et de la GRC. En effet, d'après les juges LeBel et Fish de la Cour suprême du Canada, de telles investigations compromettent l'indépendance judiciaire des tribunaux par rapport aux autres branches du gouvernement, ce qui constitue pourtant le fondement de notre démocratie.
Dans leur jugement dissident, les mots des juges LeBel et Fish résonneront chez quiconque adhère au principe de la primauté du droit et de l'indépendance des tribunaux. Je cite:
Bien qu'un juge puisse être indépendant de fait et se conduire avec la plus rigoureuse impartialité, l'indépendance judiciaire n'existera que si le tribunal auquel il appartient est indépendant des autres organes du gouvernement sur le plan institutionnel.
En l'espèce, l'article 83.28, en vertu duquel les juges sont de fait amenés à présider des enquêtes policières qui relèvent de l'exercice du pouvoir exécutif, ne peut qu'entraîner chez la personne raisonnable et bien informée une perception que les juges sont devenus alliés du pouvoir exécutif.
Bien que la version précédente de la disposition sur l'investigation ait pu « résister à la Charte », comme le disait le professeur Kent Roach, cela ne veut pas dire que ces mesures sont réellement compatibles avec le droit de ne pas s'incriminer soi-même. Dans le projet de loi , les investigations ont tout l'air de respecter ce droit, toutefois, nous estimons qu'elles ne respectent pas l'esprit du droit au silence.
Nous estimons que le professeur Roach de l'École de droit de l'Université de Toronto l'a expliqué de façon très éloquente en parlant de la version 2001 de cette disposition.
Sans égards au fait qu'une investigation puisse ou non résister au scrutin en vertu de la Charte, ces enquêtes demeurent néanmoins superflues, contraires au principe et mal avisées. Ceux qui veulent parler le feront sans avoir à se faire menacer d'une poursuite. Ceux qui refusent de parler ou qui mentent ne seront pas dissuadés par la menace d'une prolongation de leur détention ou d'une poursuite pour outrage au tribunal. Qui plus est, il est malséant d'abroger une tradition centenaire de respect pour le droit au silence et le droit à ne pas s'incriminer soi-même dans le cadre d'enquêtes policières. Faire imposer des autorisations judiciaires pour faire résister à la Charte le droit d'avoir recours à un avocat et l'utilisation d'immunité ne doit pas nous distraire du préjudice fondamental causé par ces investigations à notre tradition de justice criminelle contentieuse.
Bien que la Cour suprême ait effectivement statué en 2001 que les dispositions sur les investigations étaient bel et bien constitutionnelles, elle ne l'a conclu qu'après avoir rajouté dans la loi ce que le Parlement n'avait pas prévu expressément. En d'autres mots, elle a limité l'utilisation de telles investigations en stipulant que toute information recueillie ne pouvait pas servir dans d'autres affaires, y compris des affaires d'extradition ou d'expulsion ou encore à l'étranger. Malheureusement, telle qu'elle est rédigée actuellement, la disposition sur les investigations ne tient pas compte de ces limitations et ouvre la porte à des abus juridiques. Étant donné que l'information recueillie dans le cadre de ces investigations pourrait potentiellement être utilisée contre des Canadiens au Canada ou à l'étranger, y compris dans des pays où les droits de la personne ne sont pas aussi respectés qu'au Canada, nous nous inquiétons du fait que les critères de la Cour suprême n'aient pas été codifiés dans cette disposition.
Enfin, il faut noter que même si ces dispositions, tout comme leurs prédécesseurs en 2001, sont assorties de limites temporaires, nous craignons que la réactivation de ces mesures ne soit absolument pas temporaire. Nous vous exhortons à ne pas adopter des lois qui se transformeront en lois permanentes de facto au Canada. Le Canada a toujours été un exemple à suivre en matière de démocratie, de liberté, et de l'application de la loi. Toutefois, nous devons défendre et protéger ces valeurs. Les mesures proposées dans ce projet de loi n'offrent aucun avantage dans notre combat contre le terrorisme et, au contraire, saboteraient les principes et idéaux démocratiques que l'on cherche à protéger.
Je m'arrêterai ici pour l'instant. Merci encore.
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Merci beaucoup, monsieur le président.
Je vous remercie de l'invitation, quoi que tardive, de comparaître devant le comité dans le cadre de son étude sur cette importante mesure législative.
Je suis ravi d'être ici au nom du Congrès juif canadien, qui depuis maintenant plus de 90 ans défend la communauté juive du Canada et les droits de tous les Canadiens.
[Français]
Je vous remercie de l'invitation de vous présenter le point de vue de la communauté juive sur la lutte antiterroriste au Canada et sur le projet de loi .
[Traduction]
J'aimerais d'abord affirmer clairement que le Congrès juif canadien appuie le projet de loi . Je pense que c'est une bonne chose que je sache ce que c'est que d'être une minorité, parce que c'est de toute évidence mon cas ici. Par ailleurs, nous examinerons avec intérêt les modifications que le comité pourrait recommander à la suite de son examen dans le but de renforcer la loi, qui est l'un des éléments du régime antiterroriste au Canada.
Vous ne serez pas étonné, j'en suis certain, d'apprendre que le Congrès juif canadien, le CJC, défend, depuis de nombreuses années et depuis bien avant le 11 septembre, un régime antiterroriste étendu et efficace au Canada, et ce, au nom d'une communauté qui possède deux identités, juive et canadienne, ce qui fait d'elle une cible sur deux plans.
Dans son mémoire sur les mesures législatives ayant entraîné la création du Service canadien du renseignement de sécurité, le CJC affirmait:
Si nous laissons le terrorisme prendre racine au Canada parce que nous n'osons pas mettre en place des mesures réalistes pour le prévenir, il risque de toucher non pas une communauté en particulier, mais bien tout le Canada, sur la scène nationale et internationale. Les groupes terroristes sont de plus en plus organisés et oeuvrent à l'échelle mondiale; c'est pourquoi nous devons prendre des mesures plus efficaces, plus solides et plus organisées pour les maîtriser.
Chers membres du comité, ce mémoire a été présenté en avril 1984, soit il y a près de 27 ans. Pourtant, les événements du 11 septembre ont fait clairement ressortir que le Canada n'était pas prêt à faire face à la menace du terrorisme international et à ses manifestations au pays. Le Congrès juif canadien s'est donc réjoui du dépôt, par le gouvernement, du projet de loi C-36, y compris les deux dispositions de temporarisation qui sont maintenant au coeur du projet de loi .
Jusqu'à présent, heureusement, le Canada n'a pas eu à subir les attaques et les attentats-suicides à la bombe, qui sont devenus, du moins au cours des dernières années, une arme couramment utilisée par les terroristes, mais il n'a pu se protéger tout à fait du terrorisme; pensons, par exemple, aux événements tragiques entourant l'explosion d'une bombe à bord du vol 182 d'Air India.
Des personnes comme Ahmed Ressam et Jamal Akal ont menacé la communauté juive canadienne de terrorisme. En plus de cette menace, nous devons envisager la sécurité de la communauté en tenant compte de la vulnérabilité des autres communautés juives ailleurs dans le monde, et des attaques qu'elles ont subi avant et après le 11 septembre 2001.
Dans un monde où les frontières s'estompent de plus en plus, le Canada, de par la nature multiculturelle et pluraliste de sa société, est particulièrement susceptible d'être infiltré par des terroristes. La grande majorité des groupes communautaires, culturels et ethniques, ainsi que leurs membres, ne constituent pas une menace, mais les terroristes sont en bonne position pour exploiter, intimider ou attirer des membres de certains groupes ethniques et religieux afin d'obtenir leur soutien financier ou autre et de les utiliser pour dissimuler leurs activités d'une façon ou d'une autre. Nous avons déjà eu un aperçu du potentiel de la radicalisation au pays, et si cela ne suffit pas, nous en avons des exemples au Royaume-Uni et ailleurs en Europe qui portent à réfléchir.
À notre avis, l'une des principales forces de la Loi antiterroriste, c'est qu'elle vise d'abord à prévenir les actes terroristes, et non à arrêter et punir ceux qui les commettent. Les activités terroristes potentielles, et celles qu'on découvre pendant qu'elles sont en cours, doivent être jugulées immédiatement. Les engagements assortis de conditions et les investigations prévues par la loi demeurent des outils importants pour y parvenir. Bien que ces pouvoirs n'aient que rarement été utilisés, comme on le sait, il demeure important que nos forces de sécurité et de police les aient à leur disposition, puisque la meilleure façon de se défendre contre le terrorisme, celle à privilégier, c'est la surveillance opportune efficace et la collecte de renseignements, même s'il s'agit de méthodes parfois intrusives.
Nous croyons, depuis 2001, qu'il est important d'octroyer plus de pouvoirs aux services de sécurité et de leur permettre d'utiliser les investigations et les engagements assortis de conditions pour effectuer une surveillance étroite des personnes et des groupes suspects et pour recueillir des renseignements pertinents longtemps à l'avance.
Depuis l'adoption de la Loi antiterroriste, les Canadiens se sont prononcés sur la mesure dans laquelle elle permet au pays de relever le défi le plus fondamental qui se pose aux sociétés démocratiques, soit de garantir la sécurité et la protection de ses citoyens tout en empiétant le moins possible sur les libertés civiles fondamentales qui sont le fondement de ces sociétés.
Les deux dispositions de temporarisation constituent assurément une épreuve rigoureuse pour toute société démocratique. Ces deux dispositions semblent être la parfaite illustration du meilleur compromis possible entre la protection de la sécurité et la protection des droits de la personne. Comme nous le savons tous, ces dispositions sont finalement mortes au Feuilleton devant la Chambre des communes.
À notre avis, il n'est pas nécessaire de voir cette question comme une opposition entre la sécurité et les droits. Si le terrorisme est considéré, à juste titre, comme une atteinte aux droits de la personne, il va de soi que l'adoption de mesures antiterroristes permet de protéger les droits les plus fondamentaux, soit le droit à la vie, à la liberté et à la sécurité, puisque c'est sur ces droits que s'appuient les autres droits et libertés.
En conséquence, évidemment, les mesures qui sont prises doivent toujours respecter la primauté du droit et s'abreuver à celle-ci. Une politique antiterroriste bien encadrée et bien appliquée permet d'accroître les libertés civiles et d'appuyer les valeurs fondamentales qui sont au coeur de la Charte; elle permet de protéger ces libertés et ces valeurs sur lesquelles s'appuie notre mode de vie, dont l'essence même est menacée par le terrorisme.
Il n'y a qu'à observer la situation mondiale pour constater que les actes terroristes demeurent un véritable danger et que nos forces policières et de sécurité doivent avoir suffisamment de pouvoir pour agir dans le but de prévenir des attaques avant qu'elles ne se matérialisent. Quoi qu'il en soit, nous reconnaissons tout à fait la gravité de ces mesures et estimons que le projet de loi prévoie d'autres mesures de protection qui rassureront les Canadiens préoccupés par les répercussions néfastes possibles de ces mesures.
Chers membres du comité, le rôle fondamental d'un État est de garantir la sécurité et la protection de ses citoyens et de leur mode de vie. Des gouvernements tels que les nôtres doivent contrecarrer les efforts de ceux qui souhaitent retourner l'ouverture de notre société contre nous et ensuite la murer, tout en veillant à saper les fondements démocratiques de cette société. Toutefois, cela serait vraiment très ironique si, au nom des libertés civiles, nous retirions aux autorités les pouvoirs dont ils ont besoin pour arrêter les extrémistes et les terroristes qui souhaitent détruire notre société libre et ouverte.
À notre humble avis, le projet de loi C-17 devrait être adopté le plus rapidement possible puisqu'il rétablit les pouvoirs permettant d'avoir recours aux investigations et aux engagements assortis de conditions, tout en prévoyant des mesures qui protègent les libertés civiles et les droits fondamentaux de la personne.
Je vous remercie de m'avoir écouté, et je répondrai avec plaisir à vos questions.
Je remercie le comité d'avoir invité l'Association canadienne des libertés civiles. Je vais faire la première partie de mes remarques en français et la deuxième en anglais.
L'Association canadienne des libertés civiles existe depuis 1964. Elle a toujours travaillé à la défense des droits et libertés des Canadiens et Canadiennes. Nous allons faire quatre propositions dans le cadre des soumissions.
La première est que, tel qu'il est présenté, le projet de loi présente des problèmes et des failles importantes qui doivent être corrigées.
La deuxième, à l'instar d'autres groupes de protection des droits et des libertés, est que nous questionnons la nécessité de procéder de cette façon et d'adopter le projet de loi tel qu'il est présenté.
Finalement, je ne répéterai pas ce qui a été dit par mes collègues, mais je vais simplement présenter le contexte international dans lequel s'inscrit ce projet de loi. Je commencerai par cette proposition.
Il s'agit d'un contexte où nous avons l'occasion de jeter un regard sobre sur des dispositions qui ont été adoptées en 2001, qui sont mortes en 2007 à cause d'une disposition et qui nous permettent maintenant de vérifier si elles étaient appropriées et nécessaires.
Cela se fait dans un contexte où on entend que le Royaume-Uni s'apprête à revoir l'utilisation des ordonnances de contrôle qui avaient été utilisés de façon caractéristique dès 2001.
Une des raisons pour lesquelles plusieurs se disent que le projet de loi C-17 n'est pas si dangereux que ça est que ces mesures n'ont pas été utilisées de façon excessive par notre police. Malgré cela, il crée un précédent sur le plan de l'engagement et dans l'appareil du droit international. Il devient un précédent pour d'autres nations du monde qui vont regarder et utiliser le précédent canadien.
La seule garantie que les Canadiens et les Canadiennes ont eu face à ces pouvoirs est qu'on n'en a pas abusé ou qu'ils n'ont presque pas été utilisés. Ce ne sera pas la même chose dans d'autres pays. C'est important, dans le contexte du rôle de leadership du Canada sur le plan des droits de la personne, de s'interroger si c'est le bon moment de présenter un tel appareil juridique qui questionne de façon fondamentale quelques principes organisationnels de notre système. Ce sera une de nos propositions.
[Traduction]
Je ne répéterai pas ce que mes collègues ont dit. Je veux seulement mettre l'accent sur certaines façons dont le projet de loi exerce des pressions sur notre système et ses principes fondamentaux. Selon moi, trois principes de notre système vont à l'encontre de la prémisse et de l'économie du projet de loi, et je crois que c'est pourquoi nous, à titre de défenseurs des libertés civiles, cherchons des garanties dans ce projet de loi.
D'abord, évidemment, nous avons un système dans lequel les juges ne sont pas inquisitoires. Certains juges travaillent et sont formés dans le contexte de la preuve contradictoire. En effet, je crois que l'une des façons grâce auxquelles nous avons pu peaufiner notre système de contre-terrorisme... Les libertés civiles canadiennes soutiennent l'idée selon laquelle le gouvernement a un devoir en matière de contre-terrorisme. Nous nous interrogeons ici simplement pour savoir s'il s'agit de la meilleure approche. Nous ne remettons pas les efforts déployés en question; nous voulons simplement vérifier que les résultats escomptés sont atteints.
Dans d'autres contextes, nous avons insisté pour qu'il y ait des défenseurs spéciaux, pour faire en sorte que les juges ne soient pas placés dans une position inquisitoire. Ils n'y sont pas formés; cette pratique va à l'encontre de la façon dont ils procèdent. Mais ce n'est pas le cas ici. Contrairement à ce qui est arrivé après la décision Charkaoui, nous ne demandons pas reconnaissance du besoin de... Si on arrête quelqu'un et qu'on menace de lui retirer sa liberté devant un juge dans un contexte où le juge doit se fier à l'information fournie, il faut atteindre un équilibre en ayant à tout le moins un défenseur spécial. C'est ce que nous avons appris dans d'autres contextes, et je crois que cette approche doit en effet être examinée dans ce contexte également.
Le second principe de notre système qui est fondamentalement remis en question dans le projet de loi est celui dont j'ai parlé plus tôt. Il s'agit du principe fondamental selon lequel on ne peut être détenu, arrêté, ou soumis à une punition à moins qu'il y ait un format ou un cadre par lequel les accusations et la preuve contre vous puissent être mises à l'épreuve; au bout du compte, vous êtes déclaré coupable ou innocent.
Ce processus permet la détention préventive, qui menace le concept de protection solide au moyen de l'habeas corpus. Cette pratique crée une fracture dans notre cadre de pensée juridique, et c'est pourquoi les gens réagissent avec une telle peur viscérale. Ce fut une avancée considérable en droit et dans le domaine juridique lorsqu'on a insisté pour dire qu'un roi ne pouvait pas simplement emprisonner les gens par peur que quelque chose menace l'ordre public. Le bref d'habeas corpus a été une avancée considérable en ce sens qu'il est inapproprié de détenir quelqu'un sans processus permettant de contester la preuve à la base de la détention. C'est pourquoi les gens réagissent avec crainte à ce cas où la détention préventive est normalisée dans le processus.
Finalement, le troisième principe de notre système est que les Canadiens n'ont pas l'obligation de coopérer avec la police. Ici, ils sont forcés de donner un témoignage devant un juge. Comme Kent Roach l'a dit à de nombreuses reprises, certaines personnes disent la vérité, d'autres mentent, et en effet, ils ne coopéreront pas davantage parce qu'il y a menace d'incarcération.
Je vais maintenant examiner diverses dispositions et me pencher sur certains des défis qu'ils présentent.
À notre avis, ce projet de loi ne devrait pas aller de l'avant. Il n'est pas nécessaire et ne présente pas de solution. Mais s'il doit aller de l'avant, il doit être assorti de garanties supplémentaires qui n'y figurent pas actuellement.
La première garantie serait à l'article 83.28 proposé. Rien ne garantit qu'on ne se fiera pas à des preuves obtenues par la torture. Il s'agit d'un enjeu considérable. Nous proposons qu'un engagement soit pris d'inclure une référence précise selon laquelle il y aurait un affidavit du SCRS, un affidavit de la police, reconnu par le juge, certifiant que la preuve n'a pas été obtenue par la torture.
Nous insistons là-dessus non seulement parce qu'il y a une interdiction générale dans le monde contre la torture et le Canada devrait y souscrire, être un instrument, un modèle à cet égard. Il s'agit aussi d'un bon message envoyé aux autres pays: que toute preuve de la sorte sera inacceptable. Mais, fait également intéressant, on protégerait ainsi notre système d'être souillé par le fait que certaines preuves obtenues par la torture ont été présentées. Si tous les intervenants du système devaient garantir qu'à leur connaissance — ils procèdent à l'enquête — la preuve n'a pas été obtenue par la torture, on améliore la garantie que le système ne deviendra pas involontairement un instrument qui favorise la torture.
Une préoccupation qui a été soulevée, je crois que ma collègue ou mon collègue l'a soulevée, est que rien n'empêche le témoignage d'être utilisé dans le cadre de procédures à l'extérieur du Canada. La Cour suprême en a parlé. Ce n'est pas dans le projet de loi; il faut changer cette situation.
Aussi, le témoignage ne devrait pas être utilisé contre les membres de la famille de la personne qui témoigne. Il s'agit d'un autre aspect. De nombreuses personnes contraintes de participer seront bannies certainement de leur collectivité et s'exposeront à de graves dangers, et il n'y a aucune disposition ici pour assurer leur protection.
Je sais que je n'ai presque plus de temps, et je voulais simplement veiller à ce que... Voyons: aucune procédure relative à un conseiller juridique spécial n'a été... Il n'y a eu aucune garantie qu'aucune preuve ne sera obtenue par la torture...
Il n'y a pas de limite aux conditions qui peuvent être imposées par le juge, et je crois qu'il devrait y avoir un processus d'examen de ces conditions si elles ne sont pas nécessaires.
Finalement, il n'y a pas de droit d'appel. Il devrait y en avoir un.
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Je vous remercie monsieur le président, et je remercie les témoins, chacun d'entre eux, pour leur témoignage convaincant.
Je crois que nous reconnaissons que les dispositions initiales ont été adoptées immédiatement après le 11 septembre. À cette époque, nous avions l'impression de devoir agir aussi rapidement que possible, de donner des pouvoirs supplémentaires à la police, mais je crois qu'il a été sage d'assortir ces dispositions d'un mécanisme de temporarisation pour permettre au pays — au Parlement, aux Canadiens et à la magistrature — d'examiner à la fois la nécessité et les conditions d'application de ces dispositions.
Pendant cette période, nous avons entendu, comme les témoins l'ont dit, la Cour suprême. Nous avons aussi entendu l'ancien chef du SCRS, qui dit que ces dispositions ne sont pas nécessaires et n'offrent pas une sécurité accrue.
Mais je dois dire que j'ai aussi été ému de voir les visages qu'on associe aux échecs de la sécurité et du renseignement: Maher Arar, M. El Maati, M. Nureddin, M. Almalki, et d'autres. M. Mia a parlé d'autres cas également.
J'aimerais dire à M. Vernon que je dois rejeter la prémisse selon laquelle la suspension de l'application régulière de la loi ou des libertés civiles pour peut-être donner lieu à une sécurité collective accrue n'est pas suffisant en soi, parce qu'il y a un risque qui découle du fait qu'il n'y a pas de limite. L'argument pourrait prendre de l'ampleur jusqu'à la destruction fondamentale des choses les plus fondamentales et importantes que nous tentons justement de protéger.
La question est la suivante: allons-nous suspendre les libertés civiles d'une personne? Si vous suspendez le recours normal à la loi, pouvez-vous démontrer deux choses: d'abord, que vous améliorez réellement la sécurité collective; ensuite, que vous avez des mesures de surveillance rigoureuses et robustes pour faire en sorte dans ces circonstances que les pouvoirs ne soient pas abusés ou que les pouvoirs soient limités ou que, en cas d'erreur, celle-ci sera immédiatement décelée et corrigée?
Relativement à mon premier point, au cours des trois séances que nous avons tenues, je n'ai toujours pas entendu d'exemples concrets expliquant précisément comment ces dispositions y arriveraient. En fait, nous avons entendu l'ancien directeur du SCRS, qui était responsable de la surveillance de tous les services de renseignement au pays, dire — pas devant le comité, mais en public tout de même — que ces dispositions sont insuffisantes à cet égard.
Quant au deuxième point, qui est selon moi plus important, j'aimerais d'abord poser une question à M. Vernon. La deuxième question porte sur la surveillance. Nous avons O'Connor, Iacobucci, Brown, le Comité permanent de la sécurité publique et nationale, M. Kennedy, M. Major, qui ont tous formulé des recommandations sur la surveillance, dont la majorité n'ont pas fait l'objet d'un suivi. Nous avons de nombreux ministères qui jouent un rôle en matière de renseignement aujourd'hui qui ne font pas l'objet de surveillance: Immigration, par exemple: l'Agence des services frontaliers du Canada, comme exemple également.
Ne seriez-vous pas d'accord avec moi, monsieur Vernon, pour dire qu'avant de poursuivre ou de réinstaurer toute mesure extraordinaire, il faudrait d'abord faire en sorte que les mesures de surveillance de la sécurité et du renseignement, les échecs et les lacunes d'aujourd'hui soient corrigés?
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Madame Mourani, je vous remercie de votre question.
Les communautés musulmanes et arabes sont très préoccupées depuis le 11 septembre 2001, depuis l'entrée en vigueur de la Loi sur l'antiterrorisme. Nous ne nions pas que, oui, les gens ont des soupçons. Il y a des problèmes dans le monde aujourd'hui qui pourraient faire en sorte qu'un être humain normal... Voilà ce qu'on appelle les préjudices et la discrimination; nous en sommes tous coupables. Ce que je dis, c'est qu'il faut se prendre en main. Je crois que nous sommes tous d'accord pour dire que nous voulons prévenir tout tort commis à l'endroit de quiconque au Canada de par des actes de violence illégaux, y compris le terrorisme, puisqu'il s'agit de violence à grande échelle.
Mais pour revenir à ce que vous dites, je sais que dans un témoignage précédent, si je peux donner une introduction, des gens ont dit: ces pouvoirs n'ont pas été utilisés, alors comment peuvent-ils être discriminatoires? Il n'est pas réellement question de l'utilisation comme telle. Vous verrez probablement qu'ils ne serviront pas beaucoup. Mais ce que nous avons constaté au cours des 10 dernières années, c'est que le SCRS, la GRC et d'autres organismes policiers, mais surtout ces deux organismes, ont « légèrement abusé » de ces pouvoirs. Ils s'adressent à des gens vulnérables — des immigrants, des réfugiés, ceux qui sont les plus vulnérables, mais aussi d'autres Canadiens qui sont musulmans, ou arabes, ou qui selon leur apparence pourraient l'être — et leur disent: « Vous savez, nous avons ces nouveaux pouvoirs, alors si vous ne coopérez pas... ». Bref, on leur fait comprendre que s'ils ne coopèrent pas, ils devront en subir les conséquences.
Les gens ne connaissent pas tous la loi. Je suis allé dans de nombreuses mosquées et j'ai participé à des événements dans des centres communautaires où des jeunes, des moins jeunes, n'importe qui... leurs ordinateurs ont été saisis. Le SCRS n'a pas de pouvoirs policiers. Il n'a pas le droit de saisir des biens, de procéder à des arrestations, de faire des fouilles — rien. On peut leur dire de s'en aller. Des gens m'ont dit qu'ils ont simplement remis leurs ordinateurs au SCRS parce que c'est ce qu'on leur avait dit de faire.
Alors ça semble être un cercle vicieux.
Je pense aussi que nous sommes sur une pente glissante lorsqu'on commence à dire que pour protéger notre mode de vie et nos libertés civiles, il faut peut-être violer les libertés civiles d'autres personnes.
Le second concept qui me vient en tête est celui de la preuve. Il me semble que l'un des aspects fondamentaux du tissu de la société canadienne et des démocraties occidentales est celui voulant que les personnes ont certains droits fondamentaux. Ces droits sont fondamentaux et il incombe à l'État de monter un dossier lorsque ces droits sont abolis.
Il a été question de la Charte des droits et libertés. Oui, on nous a accordé des droits fondamentaux en tant que personnes, et ces droits peuvent être abolis, si l'État peut le justifier « dans le cadre d'une société libre et démocratique » les personnes n'ont pas à justifier pourquoi elles ont ces droits. Du fait d'être citoyens canadiens, à titre de liberté fondamentale dans notre concept de démocratie, nous avons ces droits jusqu'à ce que l'État puisse démontrer le contraire.
J'aimerais parler un peu de ce dont nous sommes saisis ici. Nous parlons du concept de donner aux policiers le droit d'arrêter de façon préventive en fonction de soupçons, de même que de contraindre les gens à témoigner — les forcer. Dans les deux cas, ces idées sont contraires à notre système juridique actuel. En fait, je vais citer l'Association du barreau canadien:
Ces pouvoirs, en particulier celui de tenir une audience d'investigation, représentent une dérogation considérable aux pouvoirs d'enquête traditionnels en matière d'infractions pénales.
Je vais tenter de donner certains faits. Si nous parlons du bien-fondé de ces pouvoirs, je crois qu'il faut commencer par examiner la preuve objective. Nous connaissons tous certains faits de base, mais je crois qu'ils valent la peine d'être répétés.
Voici ce que nous savons jusqu'à maintenant: que ces pouvoirs ont été instaurés en 2001, et qu'en 10 ans ils ont été utilisés une fois pour être précis — une fois en une décennie. Nous savons que depuis la temporisation du projet de loi original — depuis 2007, alors que ces pouvoirs n'étaient plus du tout en place, nous n'avons pas eu l'occasion de recourir à ces pouvoirs. Nous savons aussi que depuis la temporarisation de ces dispositions, le droit criminel canadien a continué de fonctionner efficacement.
J'aimerais aussi vous citer un mémoire que nous avons reçu de l'Association du barreau canadien, et je vais vous demander vos commentaires, si vous le permettez. Selon l'association, nous devons:
... reconnaître que les règles et procédures du droit criminel canadien existant avant l'ajout des articles 83.28 et 83.3 étaient efficaces pour protéger la population au Canada contre les conséquences néfastes des infractions criminelles, y compris celles associées au terrorisme.
Et l'ABC se qualifie de voix nationale pour la profession juridique.
Voici ma question. Si nous mettons ces lois en place et qui ont été utilisées une fois, nous avons l'Association du barreau canadien, la voix nationale de la profession juridique, qui nous dit que les lois criminelles que nous avions à l'époque et depuis sont totalement efficaces pour prévenir le terrorisme. Nous savons aussi que, sachant que ces lois se démarquent du fait qu'elles n'ont été utilisées qu'une fois seulement, je peux vous nommer cinq cas de violations graves des droits canadiens de la personne: MM. Arar, El Maati, Almalki, Nureddin et Charkaoui.
Est-ce que l'un parmi vous aimerait commenter sur la base de la preuve, la base objective que nous, à titre de parlementaires, pourrions avoir pour aller de l'avant avec une loi qui change fondamentalement notre système juridique canadien?
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Je vous en prie. Je vous remercie.
Comme je le disais, je ne pense pas que les témoins que nous entendons se montrent irrespectueux. Ils expriment leurs véritables sentiments, leurs véritables opinions. J'ai pris note de certaines des affirmations qui ont été faites.
Qui sont les « véritables terroristes »? Je dirais que pour le Canadien moyen... Nous savons qu'il y a eu des poursuites intentées contre des terroristes. Un des actes terroristes les plus épouvantables que nous avons connus au Canada est celui perpétré contre l'avion de Air India. Je dois reconnaître que le terrorisme n'est pas l'apanage d'un seul groupe de gens d'une seule religion. Nous les trouvons sous toutes les bannières, dans tous les pays, et leur activité prend toutes les formes possibles et imaginables.
Plus d'un témoin et plus d'un parti politique représentés à cette table prétendent que le SCRS est dysfonctionnel, que la GRC fait face à de gigantesques problèmes, etc. Dans ces conditions, nous avons tous la responsabilité de demander si ces organismes sont en mesure d'assurer la sécurité des Canadiens. Je dirais que la preuve qu'ils sont en mesure de le faire tient au fait que nous n'avons pas connu le genre d'actes terroristes épouvantables que la Grande- Bretagne, les États-Unis et bien d'autres pays ont connus. C'est le travail de ces organismes qui assure notre sécurité.
Y a-t-il eu des erreurs? Bien entendu, il y en a eues. Ces organismes sont constitués d'hommes et de femmes qui sont humains. Ils sont susceptibles de faire des erreurs. Aucun organisme, aucun groupe de gens, qu'il s'agisse de juges chevronnés... ne pourrait prétendre à l'infaillibilité en matière de jugement ou d'erreur.
Les Canadiens doivent savoir pourquoi nous nous sommes dotés de la Loi antiterroriste et de ces lois. Comme je l'ai dit, l'ONU a demandé à tous les pays membres de revoir leurs lois et règlements pour garantir la prévention ou une tentative de prévention des actes terroristes comme celui que nous avons connu le 11 septembre. Toutefois, on a demandé de ne pas s'en tenir à une seule loi. Le Canada s'est acquitté de cette obligation et a édicté la Loi antiterroriste sous le gouvernement précédent et notre parti et je pense tous les partis... J'oublie comment se sont répartis les votes mais je sais que les deux grands partis politiques au Canada ont appuyé cette loi.
Cependant, parce que nous sommes en terrain inconnu, et parce que cela représentait une modification considérable de notre droit, nous avons inclus une disposition de temporarisation. Nous avons procédé au réexamen. J'ai siégé au sous-comité sur l'antiterrorisme. Je peux vous assurer que nous avons fait un examen approfondi, qu'il y a eu un débat nourri et l'opinion majoritaire voulait que nous maintenions ces dispositions assorties d'une disposition de temporarisation.
À propos des 18 de Toronto: On a dit que la police et les autres forces de l'ordre n'avaient pas eu besoin de recourir à ces dispositions précisément. Je dirais quant à moi que c'est là la preuve que la police est très bien renseignée et que le SCRS et les autres entités le sont également si bien que c'est seulement, et vraiment seulement quand le Code criminel ne s'applique pas qu'on a recours à ces dispositions... toutefois, afin d'empêcher un acte terroriste on pourra en présence de preuves suffisantes avoir besoin de recourir aux dispositions du projet de loi .
J'irais jusqu'à dire que le pouvoir conféré est extrêmement restreint car on ne peut pas détenir une personne plus de 24 heures, sans l'autorisation d'un juge. Si un juge donne son autorisation, il est forcé de limiter la détention à 72 heures au maximum.
Ainsi, je dirais que ce projet de loi est nécessaire car en effet, il constitue une mesure de sécurité supplémentaire pour les Canadiens et Canadiennes, homme, femme et enfant.
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Merci, monsieur le président.
Je tiens à remercier les témoins d'être ici. Je tiens également à signaler la comparution de M. Vernon bien qu'il ait été invité très tardivement.
Deux proches de victimes devaient témoigner aujourd'hui. Malheureusement, ils ont tous deux la grippe et ne pouvaient se présenter. Je pense que cela vaut la peine de le signaler. Ce n'est pas que votre présence ne soit pas importante, loin de là, et je ne souhaite en rien la minimiser. Toutefois, nous souhaitons entendre les victimes de terrorisme et connaître le point de vue sur la question. Nous espérons pouvoir y arriver ultérieurement.
Ce qui ressort de la discussion aujourd'hui, c'est que nos forces d'application de la loi ont été descendues en flammes par ceux qui souhaitent enterrer le projet de loi. Je tiens à souligner les observations de mon collègue selon lequel il s'agit d'êtres humains, d'hommes et de femmes. Ils commettent des erreurs de temps à autre, mais de façon générale ils font un bon travail et garantissent notre sécurité nationale. Comptons-nous chanceux de n'avoir pas été victimes d'attaques terroristes telles que celles subies par de nombreuses autres démocraties occidentales.
Lorsque je pense aux organisations terroristes et aux raisons pour lesquelles nous devons fournir une force d'application de la loi les outils que prévoie ce projet de loi, je pense à al-Qaïda et aux groupes de cet acabit qui survivent grâce à deux importantes ressources, financière et humaine. Ils sont comme n'importe quelle grande organisation, c'est-à-dire qu'ils ont besoin d'argent et de recrues. Ils doivent également former ces nouvelles recrues, qui se préparent pour quelque chose, peu importe que vous pensiez qu'il s'agisse d'une attaque terroriste ou d'un simple débat.
Si nous avons déjà entendu des témoignages et que nous devons aller de l'avant avec cette initiative, c'est que nous devons mettre fin au terrorisme en suivant la piste de l'argent. Nous devons trouver et arrêter ceux qu'on soupçonne de recueillir des fonds dans notre pays et ailleurs dans le monde. Pour y arriver, nos forces d'application de la loi doivent avoir à leur disposition tous les outils nécessaires, pas juste quelques-uns. C'est ainsi qu'ils pourront déjouer ces plans, c'est certain. Or, voilà un autre outil.
Le 15 décembre, nous avons entendu le témoignage de M. Forcese, professeur à l'Université d'Ottawa. Il a étudié en profondeur cette mesure législative et il l'a comparée aux lois d'autres pays, comme le Royaume-Uni et l'Australie, qui ont des pouvoirs de détention beaucoup plus étendus. Il a indiqué qu'il s'agissait là d'une lacune dans notre système.
Nous avons demandé aux fonctionnaires qui ont rédigé les lois quelles étaient leurs intentions. Essayaient-ils de combler cette lacune en adoptant une approche équilibrée respectant les droits de la personne? Ils ont répondu que c'est exactement ce qu'ils essayaient de faire — remédier à cette lacune.
On nous a induits en erreur sur un autre point aujourd'hui, puisque le SCRS est surveillé par un comité de civils.