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Merci beaucoup, monsieur le président.
Je suis vraiment enchantée d'être ici. Je le suis toujours.
J'ai préparé un mémoire que je vais parcourir avec vous, mais évidemment, nous voulons nous garder suffisamment de temps pour les questions concernant ce projet de loi.
J'aimerais simplement vous expliquer les rôles de chacun. Comme vous l'avez indiqué, monsieur le président, je travaille au ministère de la Sécurité publique, où mes responsabilités sont en lien avec la loi proprement dite et la négociation de traités, avec la collaboration du ministère des Affaires étrangères et du Commerce international.
En réalité, le traitement des demandes de transfèrement et le transfert des personnes sont effectués par le Service correctionnel du Canada, mais nous travaillons en étroite collaboration. Les responsables du SCC ne sont pas en mesure d'assister à la réunion d'aujourd'hui, mais mon collègue Michel Laprade, des services juridiques du Service correctionnel du Canada, est un spécialiste de longue date des questions de transfèrement international. Il se peut que nous ne puissions pas répondre immédiatement à certaines questions d'ordre opérationnel, mais je ferai de mon mieux.
La loi actuelle, la LTID, comme nous l'appelons, est entrée en vigueur en 2004. Elle remplaçait la Loi sur le transfèrement des délinquants, qui a été mise en place en 1978. Le Canada était alors un chef de file mondial dans le domaine du développement d'ententes internationales de transfèrement.
Depuis 1978, un certain nombre de traités multilatéraux et bilatéraux et d'arrangements ont été conclus. Nous avons des traités multilatéraux, notamment la Convention sur le transfèrement des personnes condamnées du Conseil de l'Europe, dont le Canada est partie prenante; le Régime de transfèrement des condamnés dans les pays du Commonwealth; et la Convention interaméricaine sur l'exécution des peines pénales à l'étranger. Ces mécanismes permettent de transférer les personnes qui ont été condamnées dans d'autres pays, comme le Japon, le Costa Rica et le Royaume-Uni.
Nous avons également des traités bilatéraux que le Canada a négocié directement avec d'autres pays, comme le Mexique, le Venezuela et les États-Unis. En tout, nous avons mis sur pied des mécanismes de transfèrement avec 82 pays.
Sous l'autorité du ministre de la Sécurité publique, la LTID a pour objet de « faciliter l'administration de la justice et la réadaptation et la réinsertion sociale des délinquants en permettant à ceux-ci de purger leur peine dans le pays dont ils sont citoyens ou nationaux ».
Cet énoncé reflète ce que l'on trouve dans les conventions et les traités internationaux afin que nous ne formulions pas nos projets seuls, mais en faisant appel à d'autres pays du monde pour y arriver.
Par exemple, certaines exigences canadiennes de transfèrement se retrouvent dans beaucoup d'autres traités, comme l'exigence selon laquelle les trois parties, c'est-à-dire le délinquant, le pays de condamnation et le pays d'accueil, doivent consentir au transfèrement. C'est un principe fondamental.
Un autre principe fondamental est celui de la double incrimination, c'est-à-dire que si un citoyen canadien est emprisonné à l'étranger et qu'il veut revenir au Canada, l'infraction doit être punissable dans les deux pays concernés. Elle n'a pas besoin d'être identique, mais s'il s'agit d'une infraction dans un pays étranger, mais que ce n'est pas un comportement que nous considérons comme criminel ici, la personne ne peut pas être transférée au Canada.
Dans l'ensemble, le programme international fonctionne très bien. Certains pays, particulièrement en Europe, ont vu leur population carcérale monter en flèche et dans certains cas, paraît-il, près de la moitié de cette population est composée de délinquants étrangers. Les mécanismes de transfèrement international deviennent donc essentiels pour permettre à ces entités, malgré une situation financière assez difficile, d'assurer une gestion efficace de leur population et de renvoyer les délinquants étrangers dans leur pays d'origine.
Le Canada est particulièrement actif au sein de la Convention sur le transfèrement des personnes condamnées du Conseil de l'Europe. En fait, j'ai eu l'honneur d'assister à diverses réunions du Conseil tenues à Strasbourg au cours des années, et ce, afin de discuter de nos difficultés mutuelles et de tenter de résoudre les problèmes soulevés. Le dialogue se poursuit. Les choses sont en constante évolution.
De plus, les membres du personnel du ministère des Affaires étrangères contribuent énormément aux discussions et aux dossiers de transfèrements. Je dois dire que ce sont des partenaires exceptionnels. Les agents consulaires qui visitent les Canadiens incarcérés à l'étranger accomplissent un travail remarquable.
J'ai quelques chiffres à vous donner, et nous avons également d'autres statistiques, si cela vous intéresse. Depuis la création du programme, en 1978, 1 557 délinquants canadiens ont été ramenés au pays, alors que le Canada a renvoyé dans leur pays de citoyenneté 127 délinquants étrangers. De ce nombre, environ 85 p. 100 ont été renvoyés aux États-Unis, notre principal partenaire. Je crois que ce pourcentage s'explique facilement, puisque nous partageons une frontière commune.
Bon an mal an, environ 2 000 Canadiens sont incarcérés à l'étranger. Le Service correctionnel reçoit environ 264 nouvelles demandes chaque année. Le report des années antérieures est d'environ 308 demandes, ce qui fait en sorte que le nombre total de dossiers à traiter est d'environ 572 par année.
Par ailleurs, certains Canadiens incarcérés à l'étranger qui décident de ne pas revenir au Canada par l'entremise du mécanisme de transfèrement; des 2 000 Canadiens incarcérés à l'étranger, il y en a donc une grande proportion qui choisissent de ne pas demander de transfèrement. Si un délinquant n'est pas rapatrié dans le cadre d'un transfèrement, il sera habituellement renvoyé du pays de condamnation pendant qu'il purge sa peine ou à la fin de sa peine. Il reviendra au Canada si c'est son seul pays de citoyenneté, ou alors il pourra continuer de voyager dans tout pays qui lui permet d'entrer.
Évidemment, les Canadiens incarcérés à l'étranger ont souvent de la difficulté à s'adapter aux conditions locales, qui peuvent être très différentes de celles du Canada. Les problèmes les plus courants sont les barrières linguistiques, le choc culturel, une mauvaise alimentation, des soins médicaux inadéquats et, bien entendu, l'incapacité de communiquer avec leur famille et leurs amis au Canada.
Je tiens également à souligner que des motifs liés à la sécurité publique justifient leur transfèrement dans leur pays. S'ils reviennent au Canada durant leur peine, ce sera sous le contrôle et la garde du Service correctionnel du Canada et de la Commission des libérations conditionnelles du Canada. Ainsi, ils pourront avoir accès à différents programmes. Lorsqu'un Canadien reste à l'étranger, il n'a bien souvent accès à aucun programme en prison. De plus, la condamnation des délinquants prononcée à l'étranger sera inscrite dans la base de données des condamnés de la GRC. Cela ne serait pas le cas s'ils revenaient au pays après avoir été libérés.
Comme je l'ai mentionné, la loi a été modifiée en 2004, et le gouvernement va de l'avant avec le projet de loi dans le but d'apporter d'autres modifications.
En vertu des mesures législatives actuelles, le ministre doit prendre en considération plusieurs facteurs lors d'une demande de transfèrement au Canada. Je ne vais pas tous les lire; ils sont dans la loi actuelle. Ils visent notamment à déterminer si le retour du délinquant au pays constitue une menace pour la sécurité du Canada et si le délinquant a encore des liens sociaux et familiaux au Canada. Il y a quatre facteurs.
Ce sont tous des facteurs importants à considérer, mais la LTID, dans sa forme actuelle, ne mentionne pas précisément la protection de la sécurité des Canadiens, ni les victimes, leur famille et leurs enfants. Le gouvernement considère qu'il s'agit là de graves omissions. Voilà pourquoi il propose une série de modifications aux facteurs décisionnels ainsi qu'à l'objet de la loi.
De plus, la Cour fédérale a récemment revu un certain nombre de décisions ce qui, de toute évidence, a été également instructif. On croit qu'il est important d'expliquer les facteurs encore plus clairement dans la loi. Ils donneront au ministre un cadre de prise de décisions plus souple et étendu, dans lequel il pourra étudier les demandes de transfert. Ils permettront de s'assurer que les Canadiens qui demandent un transfert sont traités de façon impartiale et équitable, mais qu'ils ne peuvent pas échapper à la responsabilité des infractions qu'ils ont commises à l'étranger.
Voici un aperçu des modifications proposées à la loi. La première concerne l'objet de la loi. Elle ferait expressément référence à la sécurité publique dans la loi.
La deuxième modification permet d'inclure dans la loi un certain nombre de facteurs additionnels dont pourrait tenir compte le ministre afin de décider si un délinquant peut obtenir un transfert au Canada. Encore une fois, il s'agit d'une liste qui figure dans le projet de loi, alors je ne vais pas la lire au complet, mais elle comprend des questions comme le fait de savoir si le délinquant met en péril la sécurité publique au Canada; s'il est susceptible de participer à des activités criminelles à son retour au Canada; s'il a participé à des programmes à l'étranger; s'il a reconnu la responsabilité de ses actes à l'étranger; si le délinquant a coopéré avec les autorités chargées de l'application des lois dans le pays étranger; et finalement, tout autre facteur que le ministre juge pertinent.
Voici maintenant quelques exemples de la façon dont ces amendements seraient mis en pratique. Si un délinquant représentait une menace pour un membre de la famille, le ministre pourrait en tenir compte avant de prendre une décision. De même, si le délinquant a coopéré avec les responsables de l'application de la loi, si sa santé est fragile, s'il a reconnu sa responsabilité par un plaidoyer de culpabilité, par exemple, ou une coopération avec les autorités, le ministre pourrait prendre ces facteurs en considération. Actuellement, la loi confère au ministre un pouvoir discrétionnaire reconnu par les tribunaux pourvu qu'il soit exercé conformément à l'objet de la loi; il n'est donc pas illimité. Ces amendements visent à exprimer plus clairement dans la loi en quoi consistent ces facteurs additionnels.
Voilà un bref résumé de la teneur du projet de loi. Comme je l'ai dit, c'est avec plaisir que M. Laprade et moi répondrons à vos questions.
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Merci beaucoup, monsieur le président.
Je tiens à remercier les témoins de comparaître à très court préavis et aussi d'avoir attendu patiemment que nous commencions au début de la séance.
Je dois dire d'emblée que c'est un projet de loi épouvantable, à mon avis, et que l'on aura fort à faire pour me convaincre du contraire.
Vous avez commencé votre exposé en nous expliquant en détail les raisons pour lesquelles le transfèrement international des délinquants est nécessaire et à quel point il a une fonction importante sur le plan de la sécurité publique. Ce qui me préoccupe, c'est l'idée que nous devrions donner carte blanche au ministre, qu'il devrait pouvoir faire comme bon lui semble, selon son humeur du moment, en ce qui a trait au transfèrement international d'un délinquant. Et c'est sans parler du fait que c'est très arbitraire, car tout repose maintenant entre les mains du ministre.
Ce qui me préoccupe également — et corrigez-moi si j'ai tort —, c'est que ces gens reviennent au Canada, mais est-ce qu'ils sont transférés dans une prison canadienne pour purger leur peine, en ayant accès à un programme de réadaptation, et qu'ils ont un casier judiciaire canadien après leur libération? Ou encore, sont-ils déportés après avoir purgé leur peine à l'étranger, peut-être sans possibilité de réadaptation, dans des conditions bien pires qu'ici, et reviennent-ils ensuite au Canada, bien plus dangereux qu'auparavant?
Je tente de comprendre comment une loi efficace, qui constitue un outil important de sécurité publique, peut être améliorée en donnant au ministre des pouvoirs très arbitraires relativement à la prise de décisions pour lesquelles il ne sera pas tenu responsable.