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Bonjour à tous. En ce mercredi 24 novembre 2010, nous entamons la 42
e séance du Comité permanent de la sécurité publique et nationale.
Nous poursuivons aujourd'hui l'étude du projet de loi C-23B, Loi modifiant la Loi sur le casier judiciaire et d'autres lois en conséquence, et nous examinons aussi la Loi sur le casier judiciaire en vertu de la motion d'initiative parlementaire no 514 de la députée de Surrey-Nord, Dona Cadman.
Nous accueillons aujourd'hui Sheldon Kennedy, cofondateur de Respect Group Inc. Bienvenue au comité.
Michael Ashby, directeur des communications, et Nicole Levesque, directrice générale, représentent le Centre du Pardon national.
De l'Association des services de réhabilitation sociale du Québec, nous accueillons François Bérard, représentant du comité politique.
George Myette, directeur exécutif, représente le Seventh Step Society of Canada.
M. Lorne Waldman comparaît de nouveau et le fait à titre personnel. Il me semble que nous vous avons rencontré il y a à peine une semaine, monsieur.
Nous avons reçu une lettre Mme Rosenfeldt, de Victimes de violence, qui ne peut être présente.
Une voix: Non, elle est là.
Le président: Désolé. La lettre vient de Krista Gray-Donald, directrice de la promotion des droits et de la sensibilisation au Centre canadien de ressources pour les victimes de crimes. Elle est retenue par la maladie. Elle avait espéré pouvoir se présenter, mais elle n'est pas ici
Mes excuses à Mme Rosenfeldt, présidente de Victimes de violence. Elle prend place de ce côté. Bienvenue à vous, de nouveau, sur la colline du Parlement et au comité.
Vous êtes nombreux à savoir comment les délibérations se déroulent. Chaque témoin pourra faire une déclaration d'ouverture, après quoi nous aurons un premier tour de questions, chaque membre ayant sept minutes. Aux tours suivants, chacun a cinq minutes.
Les témoins pourraient intervenir à tour de rôle. Peut-être pourriez-vous commencer, madame Rosenfeldt, puis, si cela vous convient, nous irons dans ce sens-ci.
Madame Rosenfeldt.
Bonjour. Je m'appelle Sharon Rosenfeldt et je suis présidente de Victimes de violence.
Victimes de violence est une organisation nationale qui a été lancée il y a 26 ans par mon regretté mari, Gary, et moi, avec un certain nombre de personnes dont un être cher avait été assassiné. Nous avons constaté qu'il n'existait aucun service pour les personnes qui étaient dans notre situation. Nous avons tous été jetés dans un système de justice que nous ne comprenions pas. L'organisation a grandi et grandi parce que d'autres gens des quatre coins du Canada communiquaient avec nous, à la recherche de réponses dans leur situation propre de victimes. Nous n'avions pas les réponses, mais nous avons fait le maximum pour les aider à les trouver, et la plupart du temps, il fallait modifier des lois, le plus souvent le Code criminel.
Inutile de dire que les problèmes de justice pénale sont nombreux et, la plupart du temps, complexes. Nous avons remarqué une chose importante: les questions que nous abordions et pour lesquelles nous demandions des modifications prêtaient toujours à controverse et soulevaient parfois les passions, simplement parce que, d'habitude, des vies humaines sont touchées, la vie des délinquants et celle des innocentes victimes.
Au nom de nos membres, je vous remercie de nous donner l'occasion de faire valoir au comité l'importance du projet de loi C-23B et de la motion 514. Notre exposé sera bref, car nous comparaissons pour appuyer tant les modifications proposées à la Loi sur le casier judiciaire que la motion 514.
Le projet de loi C-23 initial a été scindé en deux. Le C-23A a déjà été adopté et il a reçu la sanction royale le 29 juin dernier. Toutefois, il y a des modifications du nouveau projet de loi C-23A qui se retrouvent dans le C-23B, et notre organisation voudrait commenter seulement quelques-unes des modifications proposées.
L'article 3 remplacera par l'expression « suspension du casier » le terme « réhabilitation ». Les modifications remplaceront donc ce dernier terme par « suspension du casier ». Le terme « réhabilitation » ne sera plus employé. Nous acceptons cette modification. Selon nous, la loi n'a pas été adoptée pour signifier le pardon, comme le terme anglais le laisse entendre, mais comme moyen d'aider ceux qui ont un casier judiciaire à atténuer la stigmatisation associée au casier judiciaire. La nouvelle expression traduit clairement l'intention du législateur. Nous sommes d'accord avec M. Bill Siksay, député néo-démocrate de Burnaby—Douglas, qui a dit au cours du débat aux Communes: « Je crois que c'est un élément très important. » Il a ajouté: « Certains ont dit dans le débat que c'était une modification mineure, mais je trouve au contraire que c'est un changement très important de la loi et de notre vision d'ensemble du régime de réhabilitation. »
Article 4 et motion 514: le libellé actuel de l'article 2.1 de la Loi sur le casier judiciaire dispose que la Commission nationale des libérations conditionnelles « a compétence exclusive en matière d’octroi, de refus et de révocation des réhabilitations ». L'article 4 du projet de loi propose de modifier cet article en précisant que la commission « a toute compétence et latitude pour ordonner, refuser ou révoquer la suspension du casier ». Le libellé modifié insiste davantage sur le rôle de prise de décisions de la commission et sur le fait que la suspension du casier n'est pas automatique. Il appartient à la commission de décider si la suspension du casier est méritée. Notre organisation est d'accord, estimant que la Commission nationale des libérations conditionnelles a besoin de ces modifications parce qu'elle semple un peu gênée par le libellé actuel, si bien que le système de réhabilitation semble être devenu un dispositif automatique.
On peut certes soutenir qu'il est justifié de revoir la Loi sur le casier judiciaire, et nous convenons qu'il y a lieu de revoir le système de réhabilitation, mais nous sommes d'accord avec un journaliste d'Edmonton selon qui il ne faut pas prendre une décision précipitée sans examiner la question à fond. Nous approuvons et appuyons sans réserve la motion 514 de la députée de Surrey-Nord, Dona Cadman, dont voici le texte:
Que le Comité permanent de la sécurité publique et nationale reçoive instruction d’entreprendre un examen de la Loi sur le casier judiciaire et de faire rapport à la Chambre dans les trois mois sur la manière de renforcer cette loi afin que la Commission nationale des libérations conditionnelles fasse passer la sécurité publique en premier dans toutes ses décisions.
La question de la réhabilitation a été examinée en 2006, et une ou deux modifications ont alors été apportées. Nous estimons néanmoins que le moment est venu d'étudier la question, comme la motion 514 permettra de le faire, croyons-nous. Cette motion a ceci de bon qu'elle mettra fin à l'approbation automatique de la réhabilitation.
En ce qui concerne l'article 9, le président de la Commission nationale des libérations conditionnelles a déclaré que le système de réhabilitation présentait un double avantage: aider la personne qui a un casier judiciaire à progresser dans sa réadaptation et renforcer la sécurité des collectivités en incitant la personne à se tenir loin du crime et à avoir une bonne conduite.
Allonger la période pendant laquelle le criminel doit avoir une bonne conduite tombe sous le sens. L'ancien système antérieur au projet de loi C-23A, permettant la réhabilitation au bout de cinq ans après des crimes graves, ne prévoyait pas une période d'attente assez longue pour qu'on puisse voir si la personne s'était amendée. Une attente plus longue serait plus significative et témoignerait d'un engagement à respecter la loi de façon durable.
Toujours à propos de l'article 9, nous croyons que la réhabilitation ne convient peut-être pas à certains délinquants. Depuis deux ans que les délits sexuels constituent une catégorie à part, il y a eu 1 530 infractions de cette catégorie pour lesquelles il y a eu réhabilitation: agressions sexuelles, contacts sexuels, viols, incestes, pornographie juvénile et grossière indécence.
Il faudrait tenir compte dans les modifications du fait que certains ont commis des actes qu'il ne faut pas pardonner. L'actuelle Loi sur le casier judiciaire ne fait pas de distinctions entre des actes criminels dont la gravité et le caractère odieux sont variables. Aucun crime n'est considéré comme impardonnable.
L'auteur d'un article récent du Maclean's attribue les propos suivants au ministre de la Sécurité publique, Vic Toews: « Il est particulièrement difficile de réadapter les pédophiles, pour peu qu'on y parvienne. » Le ministre semblait laisser entendre que le gouvernement pourrait prolonger les délais d'attente de la réhabilitation pour les infractions particulièrement odieuses. Je crois que c'est déjà fait. Le journaliste cite encore le ministre Toews: « J'estime qu'il faut faire une distinction entre une introduction avec effraction et un viol. »
Le journaliste ajoute ensuite ceci, qui est de son cru: « Nous élisons les législateurs pour régler précisément ce genre de question politique, et nous comptons sur eux pour les régler. Il est peut-être temps, après 40 ans d'expérimentation en criminologie et de changements sociaux, qu'ils peaufinent le système. »
Nous sommes tout à fait d'accord.
Et nous ne pensons pas qu'il soit irréaliste de faire reposer sur les délinquants la charge de montrer pourquoi la suspension de leur casier contribuerait à leur réadaptation ou de refuser ce privilège à ceux qui ont été reconnus coupables de plus de trois crimes graves ou qui ont agressé sexuellement des enfants.
Enfin, Victimes de violence est d'avis que les nouvelles modifications qu'on propose d'apporter à la Loi sur le casier judiciaire ne vont pas assez loin et qu'il ne faudrait pas se limiter aux cas des enfants. L'application devrait s'étendre à toutes les victimes qui ont été blessées et ont souffert à cause de délinquants sexuels.
Merci.
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Je suis plus ou moins une recrue, ici. Je m'appelle Sheldon Kennedy, et je suis cofondateur de Respect Group Inc.
Je me présente à vous aujourd'hui non comme une victime en quête de justice, mais comme quelqu'un qui comprend l'engagement nécessaire au quotidien pour continuer à changer. Je me suis inquiété lorsque j'ai appris que, tout de suite après sa libération, Graham James, celui qui m'avait agressé, se trouvait à l'étranger, à la tête de tout un programme de hockey, ayant des contacts avec des enfants de tous âges, de six ans jusqu'à l'âge des jeunes hommes qui font partie de l'équipe nationale. C'était avant qu'il obtienne sa réhabilitation. Un changement s'impose.
Cet homme a été exclu du hockey dans le monde entier par la Fédération internationale de hockey sur glace, mais, comme les agresseurs savent très bien le faire, il a décelé des gens peu avertis et il a manigancé pour s'implanter dans l'organisation. Il se retrouvait de nouveau en relation de pouvoir avec des jeunes, de retour, 12 ans plus tard, dans la situation pour laquelle il a été incarcéré.
Il semble clair, comme l'a montré l'indignation que les Canadiens ont ressentie lorsque la question de la réhabilitation a été soulevée, que la vaste majorité de la population canadienne veut savoir et a le droit de savoir qui est leur voisin, l'enseignant de leur enfant, son entraîneur, etc. Je comparais aujourd'hui comme parent inquiet, voisin, défenseur des jeunes, collègue de travail et surtout porte-parole de tous ceux qui partagent les mêmes sentiments.
Lorsque, adulte et joueur de hockey professionnel, j'ai fini par dénoncer en 1997 l'entraîneur qui m'avait agressé lorsque j'étais jeune joueur, il s'en est trouvé dans les médias, le milieu du hockey et la localité où les incidents avaient eu lieu pour douter de ma parole. Il m'a fallu non seulement lutter contre la crainte et la honte qui accompagnent les agressions, mais aussi affronter l'incrédulité. Les enfants victimes passent leur vie à essayer d'expliquer ce qui leur est arrivé et de retrouver leur bien-être affectif. Mais les agresseurs se font réhabiliter.
Les victimes éprouvent souvent des difficultés émotives, des problèmes d'alcool ou de toxicomanie ou peuvent se suicider. Elles doivent chercher leur propre forme de réadaptation. Le plus souvent, les agresseurs sont contraints de se soumettre à une thérapie et beaucoup se réadaptent, du moins en théorie. Or, les recherches montrent que les pédophiles se réadaptent rarement. Curieux. Alors comment peut-on les réhabiliter?
Mon agresseur a été condamné à trois ans et demi de prison pour ses crimes et il a été libéré au bout de 18 mois seulement. Puis, il a obtenu une réhabilitation automatique et il est parti pour le Mexique, où il n'avait pas de casier, où il a changé son nom et trouvé la possibilité de récidiver. Y a-t-il un seul parent au Canada qui trouverait à redire si on protégeait ses enfants de cet être immonde et de ceux qui lui ressemblent? Ces agresseurs ne devraient jamais pouvoir obtenir la réhabilitation.
Depuis 13 ans, je m'occupe de ces questions, et j'ai appris que les enfants victimes d'agression sexuelle sont marqués pour la vie. Ils ne se réadaptent pas en 18 mois. La police, les services sociaux et les organisations d'aide aux victimes le constatent quotidiennement. Ils doivent travailler avec ces victimes et ils voient de leurs propres yeux les effets terribles à court et à long terme sur les victimes et les séquelles dont elles souffrent. Je ne connais aucun spécialiste qui travaille avec ces victimes et qui peut voir la moindre logique, la moindre justification à la réhabilitation des agresseurs d'enfants, et j'admire ces spécialistes profondément.
Le terme « pardon », en anglais, me dérange aussi. Comme s'il fallait pardonner aux auteurs de ces crimes horribles. Les lois qui régissent le Canada n'ont pas le pouvoir de pardonner. À mon sens, ce sont les victimes et leurs familles qui pardonnent. L'expression « suspension du casier » me semble plus raisonnable. Bien entendu, aucun agresseur sexuel d'enfant ne devrait jamais avoir droit à une suspension de son casier, mais, pour les autres crimes pris en considération dans l'étude du projet de loi, l'expression « suspension du casier » semble convenir.
Pour moi, la raison fondamentale pour laquelle nous ne voulons pas de réhabilitation pour les agresseurs sexuels d'enfants est simple: nous ne pouvons pas laisser ces agresseurs se promener librement dans les organisations pour les jeunes, les écoles, les quartiers, les lieux de travail. Il faut qu'ils soient clairement identifiés de façon que nous puissions gérer le risque et que notre société soit mieux protégée des crimes commis contre les enfants. À mes yeux, la protection de l'enfant est primordiale.
Au nom de tous les adultes inquiets et de notre élément le plus vulnérable et confiant, les jeunes, j'appuie sans réserve le projet de loi C-23B, qui élimine la possibilité que les personnes reconnues coupables d'activités sexuelles avec des mineurs obtiennent une réhabilitation ou une suspension de leur casier.
Merci.
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Merci de m'avoir invité de nouveau. Je suis heureux d'avoir cette deuxième occasion d'intervenir et ce que je viens d'entendre me plaît.
Je suis un avocat spécialiste de l'immigration et je comparais parce que, à ce titre, je me soucie particulièrement de l'effet de cette mesure sur mes clients. Qu'il soit bien clair que, comme avocat qui s'occupe de réfugiés, dont beaucoup sont victimes des pires crimes imaginables, je comprends le point de vue des victimes, et il est important de le comprendre. Mais je traite aussi avec bien des gens qui ont commis des crimes, et je peux vous dire que, dans l'étude de cette mesure, nous devons tenir compte de l'impact non seulement sur les victimes, mais aussi sur les auteurs des crimes. Nous devons être sûrs que, au bout du compte, la mesure proposée renforcera la sécurité publique.
Le projet de loi m'inspire de très graves inquiétudes, car certains de ses éléments ne vont pas du tout améliorer la sécurité publique. Le premier témoin a parlé de l'article 4 du projet de loi et de l'article 2.1 de la Loi sur le casier judiciaire. L'article substitue à la notion de latitude des décisions de la commission des libérations celle de latitude absolue. Et il est clair, comme nous l'avons vu la semaine dernière à propos d'une autre mesure législative, qu'il semble exister une volonté d'écarter les autorités judiciaires de tout contrôle de la révision des décisions de la Commission des libérations ou encore du ministre, dans le cas des dispositions sur le transfert. Cela me semble inacceptable.
Dans notre régime constitutionnel, les tribunaux, le Parlement et l'exécutif ont un rôle important. Les tribunaux ont un rôle de surveillance important à jouer pour veiller à ce que la Commission nationale des libérations conditionnelles, dans ce cas-ci, agisse correctement et tienne compte de tous les facteurs dans ses décisions. Je ne suis pas d'accord pour dire que la loi actuelle ne lui donne pas assez de latitude. Lui accorder la latitude absolue, c'est essayer de mettre ses décisions à l'abri de tout contrôle judiciaire, ce qui va à l'encontre de la primauté du droit. Voilà ma première préoccupation.
Si on considère la réadaptation et les auteurs de crimes — et je ne suis pas forcément en désaccord avec le premier témoin —, il se peut que la réhabilitation soit exclue dans le cas de certains crimes. Je dirais qu'il doit s'agir de cas très exceptionnels, mais il est probable que les cimes dont le témoin précédent a parlé seraient de ceux-là.
En général, toutefois, mon expérience auprès des délinquants m'apprend qu'ils ont besoin d'une incitation à s'amender. L'une des incitations les plus importantes que je puisse proposer à mes clients qui risquent d'être expulsés, c'est que, s'ils obtiennent la réhabilitation, leur casier disparaîtra et il leur sera plus facile de trouver un emploi. Et il sera plus difficile de les expulser.
Il faut comprendre qu'actuellement, vu le temps qu'il faut pour obtenir la réhabilitation, si on compte la période écoulée entre la perpétration du crime et le prononcé de la sentence et la durée de la peine, lorsqu'il s'agit d'un acte criminel, il faut attendre cinq ans. Il faut habituellement attendre le procès un ou deux ans, si le prévenu a plaidé coupable. Il faut ensuite ajouter la durée de la peine, qu'il s'agisse de probation ou d'emprisonnement ou des deux, si bien que la personne est restée loin de toute activité criminelle pendant sept, huit ou neuf ans au moment où elle a le droit de demander la réhabilitation. Il faut ensuite ajouter un ou deux ans pour l'étude de la demande. En somme, il faut compter dans la plupart des cas un minimum de huit à dix ans entre la perpétration de l'infraction et l'octroi de la réhabilitation.
J'ai travaillé pendant de longues années auprès de nombreux délinquants, et mon expérience m'apprend que, si une personne est en mesure de s'abstenir de tout acte criminel pendant si longtemps, le risque de récidive est extrêmement faible. Toutes les études statistiques le confirmeront.
Je ne vois donc rien qui justifie des délais d'attente plus longs que les cinq années prévues maintenant. D'une part, si on allonge la période, on fait disparaître une incitation importante pour les délinquants, un objectif à atteindre sur le plan de la réadaptation. Ce serait une grave erreur de faire de la réhabilitation un objectif impossible à atteindre.
À propos de ce que le témoin précédent a dit, je ne suis pas en désaccord. Cet examen semble utile en ce sens que bien des gens tenaient le système de réhabilitation pour acquis. Il est important de reconnaître que notre société doit s'assurer que celui qui obtient la réhabilitation la mérite. Je ne suis pas contre l'idée que la Commission nationale des libérations conditionnelles soit incitée à étudier les demandes avec le plus grand soin et je suis d'accord pour dire que l'approbation ne doit pas être automatique.
Cela dit, si nous voulons appliquer ce genre de politique et rendre la Commission nationale des libérations conditionnelles plus responsable, l'inciter à faire un examen plus minutieux, il importe de lui donner des ressources suffisantes. Compte tenu du processus actuel — et certains diront que le processus de sélection n'est pas assez efficace —, le manque de ressources a pour conséquence qu'il faut déjà beaucoup trop de temps.
Un autre point à souligner. Pour bien des gens, le casier judiciaire est une question très grave. Au moins une fois par mois, je reçois des gens, parfois des personnalités très en vue, qui ont commis une infraction il y a 20 ou 30 ans. Ils ont essayé d'aller aux États-Unis pour une importante réunion de conseil d'administration, et ils ont été refoulés à la frontière. À cause de la communication des renseignements qui se pratique de nos jours, les autorités américaines ont découvert qu'ils avaient un casier.
Il ne faut pas minimiser l'importance d'une approche équilibrée. D'une part, il faut reconnaître le droit des victimes. D'autre part, il faut éviter de rendre l'obtention de la réhabilitation difficile au point de pénaliser ceux qui ont réussi à se réadapter.
Il est vraiment important que la réhabilitation soit accessible. Bien des gens ont des antécédents qui ne sont pas sans taches. Les conséquences actuelles d'un casier judiciaire, dans une société où tant de renseignements sont communiqués entre pays... Je pourrais vous raconter des choses incroyables à propos de cette communication de renseignements. J'ai vu hier une personne qu'on a fait descendre de son avion à Toronto sur la foi de renseignements venus de Londres. Il se trouve que ces renseignements étaient faux.
Avoir un casier judiciaire, sans disposer de moyens efficaces afin de laver son nom, c'est extrêmement important, c'est un lourd handicap dans le village planétaire d'aujourd'hui.
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Merci, monsieur le président.
Merci aux membres du comité de m'avoir invité.
Je vais lire une partie de mon texte, mais je risque de m'en éloigner à l'occasion. Je crois que vous avez tous reçu ce texte.
Je comparais devant vous aujourd’hui au nom de la Seventh Step Society of Canada ainsi qu’en qualité de personne qui a été réhabilitée après avoir commis des infractions criminelles. La Seventh Step Society est un organisme d’entraide pour les ex-délinquants qui joue un rôle actif au sein du système de justice pénale canadien. En collaboration avec ses associations provinciales, elle fournit depuis le début des années 1970 les services suivants : centres résidentiels communautaires, groupes d’entraide, sensibilisation du public et formation de bénévoles. La société est née aux États-Unis dans les années 1960.
L'organisation est dirigée par un conseil d’administration formé de bénévoles dont beaucoup sont des ex-délinquants qui ont réussi à abandonner leurs anciennes habitudes et à se réinsérer dans la société. La majorité des membres du conseil d’administration national sont des ex-délinquants et il est prévu dans l’acte constitutif de l’organisation que le président et le directeur exécutif doivent être eux-mêmes des ex-délinquants.
La Seventh Step Society ne représente pas l’ensemble des ex-délinquants. Nous ne représentons pas les délinquants sexuels, car nous estimons ne pas avoir les compétences voulues pour travailler avec des gens qui ont eu ce genre de difficulté ou gérer les problèmes en cause. Mais un grand nombre de ses membres ont commis diverses infractions allant de l’introduction par effraction jusqu'au meurtre. Ils se sont toutefois amendés et ont à coeur d’aider d’autres personnes qui sont prêtes à faire de même. Leur démarche se fait de concert avec des non-délinquants bénévoles qui font partie du personnel de l’organisation.
En 1969, à 16 ans et en 1971, à 17 ans, juste avant d'avoir 18 ans, j'ai été reconnu coupable en tout de trois infractions criminelles, des infractions contre les biens. Pendant que je purgeais la peine après ma dernière infraction, je me suis rendu compte que je ne souhaitais pas rester dans cette voie toute ma vie. J'ai pu me réinsérer dans la société et obtenir un diplôme du Mount Royal College de Calgary en 1975. J’ai ensuite collaboré à la création de l'Alberta Seventh Step Society et de la Seventh Step Society of Canada. En 1980, j'ai demandé ma réhabilitation, qui m’a été accordée. Cette démarche a été décisive dans mon parcours. Lorsque j'ai quitté l’organisation comme employé rémunéré, j'ai fait mon entrée dans le secteur pétrolier et gazier. Depuis, je travaille comme bénévole. Cette année, cela fait 37 ans que je travaille comme bénévole dans le domaine correctionnel, ce qui correspond à quelques cycles dans le système de justice. Depuis mon entrée dans le secteur pétrolier et gazier, j'ai occupé divers postes de cadre, dont celui de président-directeur général d’une entreprise de services dont j'étais actionnaire. Je suis maintenant conseiller-cadre en gestion au sein d’une société d’ingénierie reconnue, où je suis chargé de la recherche de clientèle dans les différentes régions du monde.
Je peux dire d’expérience que l’obtention de la réhabilitation a grandement contribué à me donner le sentiment d’être de nouveau accepté dans la société et à me redonner une partie de la crédibilité que j'avais perdue lorsque j'ai été reconnu coupable de mes infractions. Au cours d’une déclaration publique faite l’été dernier, l’actuel ministre de la Sécurité publique, Vic Toews, a affirmé que ce n’est pas à l’État, mais à la société qu’il incombe d’accorder la réhabilitation après la perpétration d’infractions criminelles. Je ne suis pas de cet avis et j'en ai informé M. Toews par courriel peu après sa déclaration qui a été rapportée dans les médias. J'estime en effet que l’État représente la société et doit jouer un rôle de premier plan pour assurer la sécurité du public. Je crois que la population compte sur l’État pour voir à l’administration de la justice, qui comprend l’exonération des personnes qui se comportent bien et l’imposition de sanctions dans le cas de comportements indésirables. La population se fie à l’État pour assurer sa sécurité et également pour nous informer lorsqu'une personne ne constitue plus une menace.
Il est important que les délinquants qui demandent leur réhabilitation fassent l’objet d’une évaluation complète avant de l'obtenir. J’estime que la Commission nationale des libérations conditionnelles a fait un excellent travail à cet égard au fil des ans. Le taux de récidive chez les personnes réhabilitées, qui est très faible, ne devrait aucunement ternir l’excellent bilan de toutes celles qui ont bien repris leur vie en main. Quelques cas exceptionnels ont malheureusement eu de sérieuses répercussions sur l’actuel processus de réhabilitation et, à mon avis, il n’est pas nécessaire de le réviser de fond en comble et d’instaurer un système susceptible de décourager bon nombre d’ex-délinquants qui devraient pouvoir bénéficier de la structure actuelle.
Bien que je n'aie aucune preuve scientifique, j’ai observé pendant mes longues années de bénévolat dans le domaine correctionnel et à la faveur de nombreux témoignages à quel point la réhabilitation avait redonné confiance à des délinquants en voie de réadaptation, les avait aidés concrètement lorsqu’ils ont postulé un emploi ou traversé une frontière, et leur avait donné le sentiment d’avoir accompli quelque chose.
Je sais d'expérience ce que c'est que de traverser la frontière. Je me suis fait demander si j'avais un casier judiciaire. La question est posée le plus souvent comme ceci: « Avez-vous jamais été arrêté par la police où que ce soit dans le monde? » Question très vaste à laquelle il est difficile de ne pas répondre par l'affirmative. J'ai dit que oui et que j'avais été réhabilité. On m'a laissé passer. En fait, j'avais un L1A, c'est-à-dire un permis de travail aux États-Unis. L'interdiction n'était donc pas totale, mais la décision de laisser passer quelqu'un qui a ces antécédents est laissée à la discrétion du département de la Sécurité intérieure.
Être déclaré coupable et incarcéré est humiliant et avilissant. Je parle d'expérience. J'étais jeune. Si la loi actuelle s'était appliquée, je n'aurais pas été condamné à la prison pour adultes pour des infractions mineures contre des biens et je n'aurais pas été placé dans l'aile à sécurité maximale de l'établissement de Fort Saskatchewan. Les choses se seraient passées autrement, mais je peux vous assurer que la situation n'est probablement pas si différente, qu'on ait 18 ou 16 ans.
Ce processus fait perdre beaucoup de confiance en soi et de respect de soi, quoi qu'on ait fait. Il est donc vraiment important que les délinquants qui font ce qu'il faut pour s'amender obtiennent la réhabilitation. Elle représente une caution qui contribue à réduire la honte ressentie. Pour ma part, j'ai eu l'impression que j'avais été sinon exonéré, du moins accepté de nouveau comme membre important de la société.
À propos des modifications proposées par le projet de loi C-23B, voici ce que j'ai à dire. Premièrement, la nouvelle expression « suspension du dossier » proposée est faible et ambiguë et ne comporte pas les avantages du mot « réhabilitation ». C’est une expression administrative qui pourrait aisément être mal interprétée. Le mot « réhabilitation » a un sens très puissant pour la personne à laquelle elle est accordée, ainsi que pour la société.
Deuxièmement, faire passer de trois à cinq ans la période d’attente à partir de la fin de la peine, et à dix ans dans le cas d’actes criminels, est à la fois déraisonnable et inutile. À quelques exceptions près, le programme actuel a donné d’excellents résultats et s’est avéré très pertinent.
Je comprends que des modifications puissent s'imposer pour certains types d'infractions et de délinquants. Je ne suis pas contre, mais imaginez un peu les difficultés supplémentaires qu’occasionnerait un tel prolongement des délais d’attente sur le plan de l’emploi et sur d'autres plans importants dans la vie de la personne. Je crois que cette prolongation pourrait avoir des conséquences très préjudiciables pour les personnes qui se sont amendées et qui sont prêtes à aller de l’avant. Je le répète, je conviens que, pour certains types de délinquants, un examen plus approfondi par la Commission des libérations conditionnelles peut s’avérer nécessaire, mais j’estime que le projet de loi C-23A a déjà apporté une mise en garde dans la loi actuelle. Un remaniement majeur pour quelques cas d’exception est à mon avis déraisonnable et inutile.
Pour conclure, je demande aux membres du comité d’étudier sérieusement l’information que je lui soumets. Des milliers de personnes sont visées par le projet de loi et je suis d’avis que les avantages de la loi actuelle l’emportent largement sur les risques perçus pour la société.
Merci.
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Merci, monsieur le président.
Cet après-midi, je représente l'Association des services de réhabilitation sociale du Québec, qui regroupe une soixantaine d'organismes communautaires québécois qui travaillent notamment à la réinsertion sociale de personnes qui ont eu des démêlés avec la justice. Nos membres travaillent surtout auprès d'une clientèle adulte. Nos organismes rejoignent environ 35 000 personnes par année dans le cadre de leur travail.
D'entrée de jeu, je dois vous dire que l'ASRS s'oppose à l’ensemble du projet de loi , qu'il s'agisse du projet de loi ou du projet de loi . Nous ne pouvons adhérer aux orientations de ce gouvernement du Canada qui est le premier en plus de 100 ans à s'afficher résolument contre le pardon et la réhabilitation des personnes contrevenantes.
Selon les données publiées par la Commission des libérations conditionnelles du Canada, 3,8 millions de Canadiens possédaient un casier judiciaire en 2009-2010. Sur l'ensemble des personnes condamnées, on estimait toutefois à moins de 11 p. 100 le nombre de celles ayant obtenu un pardon ou une réhabilitation. Le pardon ou la réhabilitation demeurent donc l'affaire d'une minorité d'individus.
Toujours selon ces données, la Commission des libérations conditionnelles du Canada a reçu 32 105 demandes de pardon en 2009-2010. Elle a accepté de prendre en considération 24 000 d'entre elles, soit 77 p. 100 des demandes reçues. Au cours de cette même année, la commission a procédé à l'examen de 24 559 demandes, elle a octroyé 16 247 pardons ou réhabilitations et délivré 7 887 pardons ou réhabilitations. C'est donc dire que 24 134 décisions favorables ont été rendues. En d'autres termes, 98 p. 100 de l'ensemble des décisions prises par la commission étaient favorables à l'octroi d'un pardon ou d'une réhabilitation.
Par ailleurs, 97 p. 100 des personnes ayant obtenu un pardon ou une réhabilitation depuis 1970 n'ont pas fait l'objet d'une révocation ou d'une annulation de la part de la commission par la suite. Au cours des 10 dernières années, sur 9 171 pardons octroyés dans le cas de délits sexuels, 268 ont été révoqués pour diverses raisons, sans qu'il s'agisse nécessairement d'une récidive à caractère sexuel. On parle ici de 2,9 p. 100 de l'ensemble des pardons octroyés en matière d'agressions sexuelles. Nous nous demandons où est le problème et comment il se fait que, malgré un taux de succès aussi élevé relativement à l'octroi de pardons, notamment, on nous présente aujourd'hui un projet de loi en vertu duquel il faudrait retourner en arrière et suivre une orientation autre que celle suivie depuis de très nombreuses années.
Deux justifications sont avancées par le gouvernement. Selon la première, l'État n'a pas à pardonner: c'est aux victimes de le faire. Rappelons qu'en matière criminelle, c'est à l'État que notre société a donné la responsabilité d'agir lorsqu'un acte criminel était commis. L'idée est de confier la chose à une entité plus neutre que les victimes et les contrevenants. En suivant la même logique, on pourrait revenir à un système voulant que les victimes et les contrevenants règlent leur cas entre eux. À compter du Moyen Âge, les sociétés occidentales ont choisi de laisser l'État, en tant qu'entité plus neutre, apaiser les conflits entre les victimes et les contrevenants quand un acte criminel était commis. Pour nous, le fait de dire que le pardon incombe à la victime est un sophisme.
Le deuxième argument avancé veut qu'il faille dorénavant penser d'abord aux victimes. Cet argument laisse entendre que les droits des personnes victimes et ceux des personnes contrevenantes sont opposés. Or, rien n'est plus faux. Ce n'est pas en réduisant les droits des uns que l'on améliore ceux des autres. Par ailleurs, nous estimons que rien dans ce projet de loi ne répond aux besoins véritables des victimes. Pardonner est l'une des pratiques non officielles les plus courantes en société. Quand certaines situations surviennent, les gens disent « pardon », « je m'excuse », etc. Ça fait partie du savoir-vivre collectif.
Le pardon peut toutefois prendre un caractère beaucoup plus officiel dans des situations considérées comme étant plus problématiques. Tel a été le cas en 2008 lorsque le Harper a formulé officiellement les regrets les plus sincères de la société canadienne et a fait une demande de pardon aux Premières nations dans le cadre du dossier des pensionnats indiens. C'est aussi dans ce contexte plus officiel qu'il faut situer l'application du pardon relatif aux actes de délinquance.
La question du pardon ou de la réhabilitation nous ramène fondamentalement à un choix, celui entre la vengeance et la réconciliation. Malheureusement, le gouvernement, de par son discours, alimente le conflit entre victimes et contrevenants. C'est pourquoi nous ne pouvons soutenir les orientations mises en avant dans ce projet de loi. En lieu et place, nous invitons plutôt les parlementaires, quel que soit leur parti politique, à trouver d'autres voies permettant de réformer le système du pardon ou de la réhabilitation afin qu'il soit mieux à même de restaurer les liens sociaux qui ont été mis à mal par la commission d'un délit.
Merci beaucoup.
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Bonjour à tous. Merci de nous accueillir, Nicole et moi. J'espère que nos compétences vous seront de quelque utilité.
Avant de commenter le projet de loi C-23B, il y a peut-être lieu de présenter brièvement notre centre.
Nicole et moi avons fondé le Centre du Pardon National en septembre 2002. Je précise que nous sommes non seulement associés en affaires, mais aussi mariés, ce qui veut dire, vous en conviendrez, qu'elle est la patronne. C'est pourquoi l'exposé d'aujourd'hui m'a été délégué. Pis encore, Nicole connaît bien mieux que moi les complexités du programme de réhabilitation. Si vous avez des questions à ce sujet, je lui demanderai peut-être de répondre à certaines d'entre elles.
Notre centre traite entre 2 000 et 3 000 demandes par année. Nous avons donc une bonne idée de ceux avec qui nous traitons et qui demandent une réhabilitation.
J'espère vous présenter le programme de réhabilitation sous un autre jour, car il est regrettable que le projet de loi et les observations qu'il a suscitées dans les médias lui aient donné, pour des raisons qu'on peut comprendre, un visage sinistre.
Il vaut la peine de rappeler des chiffres. Sur 400 000 demandes environ, exactement deux cas ont défrayé la manchette. Selon moi, ces deux cas avaient plus à voir avec les procédures de détermination de la peine et le système de justice qu'avec le programme de réhabilitation en soi.
J'espère donc que nous pourrons donner un autre visage au programme, un visage qui est au fond celui du Canadien ordinaire, comme M. Myette, qui s'en prévaut pour faire suspendre son casier.
Un mot d'abord sur un élément qui ne figure pas dans le projet de loi. Il se trouve dans le résumé législatif. Il s'agit des droits de réhabilitation, qui passeraient de 50 $ à 500 $. Je présume que c'est une modification au niveau de la procédure à la Commission nationale des libérations conditionnelles plutôt qu'une modification législative. J'espère qu'il est acceptable que j'en parle aujourd'hui, même si cela ne se trouve pas dans le projet de loi.
Il me semble justifiable d'augmenter les frais, car ils sont à 50 $ depuis que nous sommes en affaires. J'espère toutefois que, en examinant une mesure semblable, vous n'oublierez pas que l'étude d'une demande de réhabilitation coûte toujours plus cher que 50 $. J'en parle dans mon mémoire. Je ne crois donc pas avoir besoin de m'attarder. Pour bien des gens, la hausse des frais est déjà un obstacle insurmontable. Selon moi, il n'est pas dans l'intérêt supérieur de la société de rendre le programme inabordable pour ceux qui en ont le plus besoin. De plus, si on considère les avantages résiduels de l'obtention de la réhabilitation, il faut constater qu'elle est suivie souvent de l'obtention d'un emploi. Et celui qui travaille paie des impôts. D'un point de vue strictement financier, il est donc logique de subventionner au moins un peu le programme de réhabilitation.
À cause d'une augmentation de cette ampleur, il sera très difficile à ceux qui ont du mal à décrocher un emploi et éprouvent des ennuis d'argent de présenter une demande. C'est comme augmenter les impôts pour les chômeurs et les gagne-petit. Si le comité étudie cette question, je l'incite à la prudence.
Je voudrais maintenant aborder la question des délais d'attente, élément du projet de loi qui est abondamment discuté. Sur ce plan, le projet de loi C-23A a trouvé un meilleur équilibre que le C-23B. Je n'ai entendu personne déplorer que les délais d'attente soient de trois ans pour les déclarations de culpabilité par procédure sommaire. Par ailleurs, il est difficile de s'opposer à ce qu'on fasse passer l'attente de cinq à dix ans pour des infractions graves contre la personne et les délits sexuels. Cette hausse à 10 ans pour certaines infractions est un excellent moyen de tenir compte du fait que la catégorie des actes criminels comprend un large éventail de crimes de gravité variable.
Je signale aussi un point que M. Waldman a fait ressortir: les délais de trois, cinq ou dix ans avant d'obtenir l'admissibilité peuvent être trompeurs, car il n'a jamais été beaucoup question de la façon dont la détermination de la peine influe sur l'admissibilité à la réhabilitation.
Pour illustrer la situation, le meilleur moyen est une étude de cas. Un jeune homme avec qui j'ai discuté il n'y a pas longtemps étudiait en génie à McGill. Il avait un casier judiciaire. À sa première année d'université, pendant la semaine d'initiation, il est sorti. Vous aurez du mal à me croire, mais les étudiants ont trop bu. Pendant la soirée, ce jeune homme a été mêlé à une bagarre au sujet d'une futilité, mais une bagarre qui a été lourde de conséquence, de toute évidence, puisqu'il s'est retrouvé avec un casier pour voies de fait simple et possession de drogue, puisqu'il avait sur lui une petite quantité de marijuana.
Je ne veux pas donner l'impression que la violence ou les drogues sont pour moi sans importance, mais il me semble qu'il faut un peu de pragmatisme, lorsqu'on étudie la question des délais d'attente.
Nous ne sommes pas ici en présence d'un jeune homme qui a été arrêté et pourra demander la réhabilitation trois ans plus tard et entrer sur le marché du travail après ses études universitaires. En fait, il a été arrêté, a attendu 12 mois pour comparaître devant le tribunal et a eu une peine de deux ans de probation. Ces trois ans terminés, il devra attendre encore trois ans avant de pouvoir demander la réhabilitation.
Pour résumer, les délais d'attente prévus dans le projet de loi C-23A étaient préférables, à mon avis, même si 10 ans, c'est peut-être excessif. Je vous exhorte donc à laisser les délais d'attente inchangés et à écarter la disposition qui se trouve dans le projet de loi C-23B.
Je voudrais maintenant dire un mot de la question de l'inadmissibilité. C'est le coeur du débat qui est en cause. M. Kennedy a livré un témoignage très passionné. Je suis père également, et il m'est très difficile de ne pas être d'accord avec lui. Lorsqu'il s'agit de légiférer, cependant, il y a une raison de rester objectif.
En dehors de la question de l'inadmissibilité, il y a également la loi des trois fautes, qui exclurait uniformément tous ceux qui n'ont pas réussi à se reprendre en main aussi rapidement que nous le souhaiterions. Ce qui me semble étrange, dans cette proposition d'inadmissibilité, c'est que, une fois de plus, on oublie la question de la détermination de la peine dans le comportement criminel. En réalité, il existe déjà un critère permettant de refuser la réhabilitation, et c'est ce qu'on appelle une peine à perpétuité.
Je suis porté à penser que, si un tribunal n'a pas conclu qu'un délinquant était irrécupérable au moment de la détermination de la peine, il est justifié de maintenir au moins la possibilité qu'il demande la réhabilitation.
J'irais plus loin. C'est une erreur flagrante, selon moi, de présumer que ce type de mesure peut améliorer la sécurité publique. S'il y a une catégorie de délinquants dont on craint qu'ils ne récidivent, leur laisser au moins la possibilité de demander la réhabilitation est une occasion d'apprendre quelque chose sur leur comportement.
Le fait est que la Commission des libérations conditionnelles n'a plus l'obligation d'accorder la réhabilitation. Si nous voulons la refuser, pourquoi ne pas profiter d'une demande pour apprendre quelque chose sur le délinquant? Si nous refusons la réhabilitation, il me semble plus logique d'exiger une justification très claire au lieu d'un simple refus non motivé.
L'idée d'une inadmissibilité d'application uniforme pour certaines catégories est à mes yeux une fausse solution qui consiste à escamoter le problème et à prétendre qu'il n'existe pas. C'est une mesure qui est non seulement injuste et injustifiée, mais qui a aussi, c'est mon opinion sincère, un effet négatif sur la sécurité publique.
Comme l'a dit un des autres témoins aujourd'hui, l'idée de pouvoir obtenir une réhabilitation est une source de motivation indéniable pour mener une vie exempte de criminalité. Si cette possibilité s'envole, la motivation disparaît également.
Je voudrais parler d'un dernier point, soit l'expression « suspension du casier ». Si le but du comité est d'améliorer la sécurité publique, j'ai du mal à imaginer une mesure plus inefficace que ce remplacement du terme « réhabilitation » par l'expression « suspension du casier ».
Ce n'est pas que l'expression ne me semble pas très bonne. Elle l'est. Mon objection, c'est qu'elle ne sera pas adoptée par le public. À dire vrai, je ne crois pas que le changement de terminologie ait quelque effet que ce soit, et je pense pouvoir le prouver.
Il est possible que tous ne sachent pas que cette expérience du changement de terminologie a déjà été tentée — peut-être pas un changement de terme, mais l'adoption d'un terme différent. En français, le pardon n'est pas une « demande de pardon » mais une « demande de réhabilitation ». Or, dans les faits, les Canadiens francophones, d'après ce que nous observons, ne connaissent généralement pas l'expression et optent plutôt pour l'expression populaire, c'est-à-dire « demande de pardon ».
On trouvera dans mon mémoire des statistiques provenant de notre site Web. Le site de notre entreprise, nationalpardon.org, est un excellent indicateur des termes employés, y compris par les Canadiens francophones, pour trouver de l'information sur la réhabilitation. Nous arrivons au premier rang aussi bien pour « demande de pardon » que pour « demande de réhabilitation ».
Simplement pour situer cette question de modification de terminologie et de son adoption par les gens, je dirai que nous recevons plus de 12 000 visites par année d'internautes qui ont cherché « demande de pardon ». Par contre, nous en avons 77 par an de gens qui ont utilisé l'expression correcte du gouvernement, « demande de réhabilitation », ce qui représente environ 0,05 p. 100.
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Merci beaucoup, monsieur le président, et merci aux témoins.
Un merci spécial à vous, monsieur Kennedy. Ce n'est pas facile pour vous. Vous avez mené la charge pour attirer l'attention sur des domaines où il est légitime d'apporter des changements.
À cet égard, il faut scinder le débat en deux parties. À dire vrai, les choses ont été présentées avec une malhonnêteté répugnante. Quand nous avons commencé à délibérer, nous avons parlé d'abord de crimes odieux et extrêmes, notamment la violence et les violences sexuelles infligées à des enfants. Nous avons dit au départ que, selon nous, et beaucoup de témoins ont dit la même chose, il y a des cas où la réhabilitation doit être exclue. Mais ce n'est qu'un aspect.
L'autre aspect, M. Myette l'a fait valoir aujourd'hui et trois autres témoins l'ont fait l'autre jour: bon nombre de gens qui seraient prisonniers du nouveau régime ne sont pas ceux qui étaient visés, même par les députés conservateurs, sans doute. Dans leur témoignage, il y a un ou deux jours, ils ont exprimé de la sollicitude et une certaine préoccupation, disant que ce n'était pas le genre de personne après qui ils en avaient. Bien sûr, le lendemain, ils m'attaquaient aux Communes, me reprochant de me ranger du côté des condamnés.
Voici la question que j'adresse à M. Myette. Vous avez expliqué que, plus jeune, vous aviez commis un certain nombre d'infractions contre les biens. Revenons à cette époque. Si le projet de loi avait été en place et si vous aviez eu 18 ans et aviez commis trois infractions contre les biens qui se sont avérées des actes criminels, et si, à cause du projet de loi, vous n'aviez pas pu demander votre réhabilitation, quel aurait été l'impact sur votre vie. Que serait-il arrivé si elle ne vous avait jamais été accordée, si le projet de loi s'était appliqué et si cette possibilité vous avait été enlevée?
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Je vous remercie beaucoup.
Je voudrais revenir à vous, monsieur Myette. Monsieur Bérard, vous pourriez aussi nous éclairer à ce sujet. Il faut comprendre que le projet de loi a été scindé. Dans le projet de loi , la disposition qui concerne aussi les pédophiles a été discutée et adoptée. Dans le cas du projet de loi , cela touche indirectement et non exclusivement les pédophiles; cela touche toute une gamme de délits.
Prenons l'annexe 1, par exemple. On dit que toutes les personnes coupables des crimes inscrits à l'annexe 1 n'ont plus le droit à une suspension de casier judiciaire. Cela concerne autant les incendies criminels que les voies de fait, les voies de fait graves, les méfaits, etc. Il y a toutes sortes de délits.
Donc, si on voulait amender ce projet de loi conformément aux propos de M. Kennedy, de manière à viser seulement les agresseurs sexuels d'enfants, il faudrait préciser que les agresseurs sexuels d'enfants n'ont pas droit à une suspension de casier judiciaire, point final.
Comme il est question de trois infractions, il pourrait s'agir d'une personne qui s'est déjà fait attraper lors d'un vol à l'étalage et qui, par la suite, se fait prendre en train de vendre de la drogue une fois, deux fois. Dès lors, même si elle veut se réhabiliter, ce sera fini pour elle.
Je voudrais passer à une autre question, celle de la loi des trois fautes. Tous les Canadiens doivent vouloir trouver un moyen d'empêcher ceux qui ne la méritent pas d'obtenir leur réhabilitation, tout en permettant à ceux qui se sont vraiment réadaptés et l'ont montré d'obtenir la leur.
Comme nous le savons tous, en juin dernier, tous les partis ont coopéré afin d'adopter le projet de loi C-23A, qui prévoit un certain nombre de choses. Il faisait passer de cinq à dix ans les délais d'attente pour les personnes reconnues coupables d'un crime sexuel contre des enfants, à dix ans pour homicide involontaire coupable, à dix ans pour lésion physique majeure. Et les délais passaient de trois à cinq ans pour les infractions sexuelles sur des enfants lorsque ces infractions sont punissables par procédure sommaire. Il y avait aussi une autre disposition importante. La Commission nationale des libérations conditionnelles obtenait pour la première fois le pouvoir clair de refuser la réhabilitation dans n'importe quel cas — ceux de M. James, de Karla Homolka, n'importe quel cas — lorsque cela risquait de rejaillir négativement sur l'administration de la justice.
Nous avons donc réglé les problèmes qu'a pu avoir la Commission nationale des libérations conditionnelles par le passé, mais voici maintenant qu'il est question d'interdire la réhabilitation de quiconque est reconnu coupable de trois actes criminels. Je crois que Mme Rosenfeldt a parlé, si j'ai bien entendu, de « trois actes criminels graves ». Il n'est pas question de gravité, mais seulement de « trois actes criminels ».
Voici où je veux en venir. Lundi, nous avons entendu le témoignage de trois délinquants. L'un d'eux avait commis 24 actes criminels. Cela semble catastrophique si on ne connaît pas les faits. Nous avons appris qu'il est maintenant cadre dans une entreprise médiatique. Il a vendu des stéroïdes. Il m'a dit que, après le décès de sa femme, victime du cancer, il était dans le deuil et a eu des problèmes financiers. En une seule vente de stéroïdes, il s'est rendu coupable d'actes criminels multiples. Je crois qu'il a dit sept. Aux termes du projet de loi, cet homme ne pourrait obtenir sa réhabilitation.
Je voudrais connaître le point de vue des témoins et me renseigner là-dessus. Avez-vous rencontré des gens qui avaient commis plus de trois actes criminels et qui ont réussi à s'amender, des gens qui méritaient d'être réhabilités et qui ont réussi à se réadapter?
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Il est certain que les victimes ont une opinion très ferme sur le projet de loi.
M. Davies a soulevé une excellente question. Nous, victimes d'actes criminels, avons beaucoup progressé dans le système de justice. La Commission nationale des libérations conditionnelles nous informe, si nous le souhaitons, au sujet des délinquants incarcérés, au sujet de certaines choses qu'ils font, par exemple s'ils ont droit à des sorties.
Toutefois, en ce qui concerne le système actuel de réhabilitation, ou de suspension de casier, selon la nouvelle loi, je m'y perds. J'ai toujours cru que la réhabilitation était presque secrète. Je peux comprendre que Sheldon n'ait pas été informé. Il n'y a aucune disposition législative à ce sujet.
J'ajoute que je suis tout à fait d'accord avec Sheldon, et tout le monde sans doute, pour dire que la victimisation fait penser à un cercle. Où s'arrête-t-elle? Notre organisation préconise comme Sheldon le refus de réhabilitation pour les délinquants sexuels. Pourtant, j'en ai entendu d'autres soutenir ou convenir que beaucoup de détenus qui ont des problèmes de santé mentale ont eux-mêmes été victimes d'actes criminels.
Comment y mettre un terme? Comment prévenir? Je ne peux pas parler au nom de Sheldon, mais j'ai entendu ce qu'ils ont dit, lui et les victimes avec qui je discute. Mon fils a été tué, et c'était tout à fait un crime sexuel. Il a été enlevé et violé. Au bout de 29 ans, c'est un drame que, comme mère, je n'ai pas encore pu affronter. On dirait que cela continue sans cesse.
Dans le cas qui nous occupe, il faut qu'il y ait une vive opposition contre ceux qui décident de commettre des crimes contre des enfants. Si cela veut dire qu'ils n'auront pas leur réhabilitation, soit. Parfois, notre société doit être assez forte pour reconnaître les faits. Ce serait peut-être, entre autres choses, une façon d'amorcer la prévention, de briser le cercle.