Bon après-midi et bienvenue à cette 47e réunion du Comité permanent de la sécurité publique et nationale. Nous sommes le lundi 13 décembre 2010.
Au cours de notre première heure, nous allons recevoir six témoins — en fait, ils vont passer une heure et trois quarts avec nous, si je ne m'abuse. Nous réservons les 15 dernières minutes pour parler des travaux du comité, conformément à la décision que nous avons prise la semaine dernière.
Nous entamons aujourd'hui notre étude du projet de loi . Le ministre de la Justice et ses hauts fonctionnaires comparaîtront devant le comité mercredi. En prévision de cette rencontre, nous accueillons cet après-midi une série de témoins qui vont nous faire part de leurs préoccupations concernant le projet de loi. Nous pourrons ensuite interroger le ministre à ce sujet lorsqu'il sera devant nous.
Nous accueillons donc M. Denis Barrette, de la Coalition pour la surveillance internationale des libertés civiles. Bienvenue.
Du Conseil canadien en relations islamo-américaines, nous accueillons Ihsaan Gardee, directeur exécutif, et Khalid Elgazzar, membre du conseil de direction. Bienvenue.
De l'Université d'Ottawa, nous accueillons Craig Forcese, professeur agrégé, Faculté de droit. Bienvenue.
De la Law Union of Ontario, nous accueillons Paul Copeland, avocat et, du Congrès islamique canadien, nous accueillons James Kafieh, avocat-conseil.
Les porte-parole de chacun de ces organismes ont préparé un exposé liminaire. Avant de permettre aux membres de poser leurs questions, nous vous invitons à présenter vos exposés liminaires. Peut-être pourrions-nous commencer par M. Barrette.
Monsieur Barrette, bienvenue.
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Bonjour. Je m'appelle Denis Barrette. Je suis ici aujourd'hui en tant que membre de la section québécoise de la Ligue des droits et libertés, mais également à titre de porte-parole de la Coalition pour la surveillance internationale des libertés civiles. Je vous ai distribué quelques citations. Je vais en parler dans ma présentation.
La Coalition pour la surveillance internationale des libertés civiles, ou CSILS, est une coalition pancanadienne d'organisations de la société civile créée dans la foulée des attentats terroristes survenus aux États-Unis le 11 septembre 2001. La coalition est composée de 40 ONG, syndicats, associations professionnelles, groupes religieux, organismes voués à la protection de l'environnement, associations de défense des droits de la personne et des libertés civiles ainsi que de groupes qui représentent des communautés d'immigrants et de réfugiés au Canada.
D'abord, je dois vous dire que nous avons déjà témoigné à plusieurs reprises devant les comités de la Chambre des communes et du Sénat. Notre position n'a pas changé quant à la Loi antiterroriste, notamment à l'égard des deux dispositions dont nous parlons aujourd'hui.
Pour la coalition, les dispositions concernant les investigations judiciaires et les arrestations préventives ayant pour objet d'imposer des engagements assortis de conditions sont dangereuses et trompeuses. Les débats du Parlement sur cette question doivent s'appuyer sur un examen rationnel et éclairé de la Loi antiterroriste. Comme on le sait, cette loi a été adoptée à la hâte après les événements du 11 septembre 2001 dans un climat de peur et sous une très grande pression de la part des États-Unis.
Neuf ans plus tard, soit en 2010, la menace terroriste existe toujours, mais ce n'est pas la seule menace à laquelle fait face l'humanité. Toutefois, les deux dispositions discutées ici reposent sur une définition très large de l'activité terroriste et de la participation à une activité terroriste. Elles permettent donc d'arrêter préventivement et de forcer à témoigner des personnes qui participent à des activités de contestation et de dissidence et qui n'ont rien à voir avec ce que l'on entend normalement par terrorisme.
De plus, ces dispositions actuelles encouragent le profilage racial et le profilage fondé sur des motifs religieux, politiques et idéologiques. Dans son rapport sur le Canada en novembre 2005, le Comité des droits de l'homme des Nations Unies faisait part de sa vive préoccupation quant à la portée trop large de la définition de l'activité terroriste incluse dans la Loi antiterroriste. Le comité écrivait ceci au paragraphe 12:
L'État partie devrait adopter une définition plus précise des infractions de terrorisme de façon à ne pas cibler des individus pour des motifs politiques, religieux ou idéologiques, dans le cadre des mesures de prévention, d'enquête et de détention.
En 2007-2008, le Sénat avait recommandé de restreindre et de modifier la portée de cette définition, notamment lors de l'étude des dispositions du projet de loi S-3 . Je vous renvoie aux recommandations 2 et 3 du Sénat. Pourtant, le projet de loi , ne modifie en rien cette définition, ce qui aura un impact certain sur l'application des deux dispositions à l'étude.
Au moment où l'on se parle, quelle est donc la véritable nécessité objective de ces deux dispositions? Depuis leur adoption en 2001 jusqu'à leur abrogation en 2007, le seul cas d'application est relié à l'affaire Air India, qui, comme vous le savez tous, a résulté en un fiasco total et triste.
Entre 2007 et aujourd'hui, des enquêtes policières ont réussi à démanteler des complots terroristes en n'ayant à recourir à aucune des dispositions qui sont discutées ici. On note d'ailleurs que même depuis 2001, soit depuis 10 ans, parmi les enquêtes ayant mené à des accusations ou à des condamnations, aucune n'a nécessité l'utilisation de ces pouvoirs extraordinaires, qu'il s'agisse de l'affaire Khawaja, des « 18 de Toronto » ou, plus récemment, du cas des quatre personnes de la région de Toronto.
La première disposition permet d'obliger une personne à comparaître devant un juge et à témoigner lorsque le juge estime qu'il y a des motifs de croire que cette personne possède des informations concernant un acte terroriste qui a été commis ou qui va l'être. Le refus de coopérer peut entraîner l'arrestation et l'emprisonnement pour une période d'un an. De plus, la disposition concernant l'investigation judiciaire octroie à l'État un nouveau pouvoir de perquisition. On n'en parle pas assez. En effet, cette disposition peut obliger l'individu à déposer un objet devant le juge, devant le tribunal, qui le remettra à la police.
Ce qui est plus important et plus pernicieux encore, c'est que la notion d'une justice inquisitoire est introduite par cette disposition. En droit criminel au Canada, la justice inquisitoire est un nouveau concept. C'est un nouveau paradigme entre l'État, la police, la magistrature et les citoyens. On sait qu'au Canada, comme dans tous les pays de common law, lorsqu'on parle de droit criminel, on parle de justice accusatoire. Ce n'est pas le cas en France, où il s'agit d'un processus inquisitoire. Il est à craindre que cette nouveauté soit introduite plus tard dans d'autres dispositions du Code criminel et qu'elle soit appliquée à d'autres crimes ou d'autres délits. Ça veut dire qu'à moyen ou à long terme, la présomption d'innocence pourrait être menacée.
Nous sommes aussi d'avis que la disposition relative à l'investigation judiciaire risque de déconsidérer l'indépendance de la magistrature et, par la même occasion, le système de justice lui-même. Avec le concept d'investigation judiciaire, on évacue tout le concept des débats contradictoires. Je vous invite à lire attentivement les motifs dissidents des juges Fish et LeBel, de la Cour suprême, dans le cadre d'une affaire intitulée Demande fondée sur l’art. 83.28 du Code criminel. Ces juges concluent leur jugement de la façon suivante au paragraphe 191:
La mise en œuvre de l’art. 83.28, qui entraîne cette perception de non-séparation des pouvoirs, risque dès lors d’entraîner la perte de la confiance du public dans le système de justice canadien. Les tensions et les craintes que suscite la montée du terrorisme ne justifient pas cette association. Il importe que le droit criminel soit appliqué fermement et que les mesures d’enquête et de répression nécessaires soient mises en œuvre, mais dans le respect des valeurs essentielles de notre régime politique. La préservation de l’indépendance institutionnelle des tribunaux demeure l’une de celles-ci.
Je note aussi qu'un peu partout dans les deux dispositions, on renforce encore le critère de soupçon pour justifier la rétorsion à l'encontre des citoyens. Quant à la disposition relative à la crainte qu'une personne commette un acte terroriste, l'article 810.2 du Code criminel existe déjà. Il permet d'imposer des conditions assez larges à une personne qui représente un péril sérieux pour la sécurité du public. Plus encore, l'article 810.01 traite spécifiquement des risques d'activités terroristes et permet à un juge d'imposer des conditions pour éviter qu'un acte terroriste soit commis. Ces dispositions existent déjà dans le Code criminel, mais dans la deuxième disposition discutée, soit l'article 83.3, on permet une période de détention supplémentaire de 72 heures et le fichage de personnes innocentes par l'entremise de la Loi sur l'identification des criminels, qui inclut spécifiquement l'article 83.3 en tant que motif de bertillonnage.
On se rappellera la nécessité d'appliquer un mécanisme pour surveiller les activités de la GRC et du SCRS en matière de sécurité nationale, qui a été soulevée dans le cadre de la commission relative à Maher Arar. On se rappellera aussi son absence actuelle et la dangerosité que peuvent représenter ces deux dispositions.
Finalement, nous tenons à souligner que ces deux dispositions, même si elles ne sont pas appliquées dans le système judiciaire, risquent toujours de devenir un formidable et inquiétant outil d'intimidation. Cet outil sera hautement préjudiciable pour les individus concernés. Même si les individus concernés ne sont pas traînés devant un tribunal, les impacts de ces dispositions ne seront pas banals. Leur utilisation aura pour effet d'étiqueter et de marquer des citoyens qui ne seront pourtant jamais accusés du moindre délit.
Tout comme à l'époque du maccartisme, la crainte de voir sa réputation ternie dans un tel processus, d'être détenu pendant 72 heures, puis amené devant un juge pour répondre à des questions téléguidées par la police, constituera un procédé redoutable de dénonciation d'autrui. Mais qui dit dénonciations sous la contrainte, sans le caractère libre et volontaire propre au droit criminel, dit aussi dénonciations peu fiables, biaisées et fallacieuses. Tous les avocats connaissent le peu de fiabilité des témoins réticents. On sait, surtout depuis l'enquête sur Maher Arar, qu'une simple enquête peut détruire la réputation, la carrière et l'avenir d'une personne innocente qui n'est même pas accusée.
On sait que ces dispositions pourraient donner lieu à une utilisation qui, selon nous, serait abusive. Je pense ici au cas d'Air India. Nous croyons que les Canadiens seront mieux servis et protégés en ayant recours aux dispositions usuelles du Code criminel plutôt qu'à des dispositions inutiles. L'utilisation de pouvoir arbitraire et d'un rabaissement du niveau de preuve ne peut pas remplacer le travail du policier fait selon les règles de l'art. Au contraire, ces pouvoirs ouvrent la porte au déni de justice et à la probabilité marquée d'entacher la réputation d'individus innocents, comme ce fut le cas pour MM. Arar, Abou-Elmaati, Almalki et Nureddin.
Merci.
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Je vous remercie de l'invitation à comparaître devant le comité aujourd'hui pour vous faire part de nos vues sur le projet de loi C-17, Loi modifiant le Code criminel (investigation et engagement assorti de conditions). Je m'appelle Ihsaan Gardee, et je suis le directeur exécutif du Conseil canadien en relations islamo-américaines, appelé CAIR-CAN. Je suis accompagné aujourd'hui de Khalid Elgazzar, membre du conseil d'administration de CAIR-CAN. Il tentera de répondre à vos questions de nature juridique.
CAIR-CAN est un organisme à but non lucratif national qui travaille à la base depuis une dizaine d'années pour habiliter les musulmans canadiens pour ce qui est de la protection de leurs droits et de leurs libertés civiles, de l'antidiscrimination et des relations communautaires, et de la défense d'intérêts publics.
Nous sommes conscients de l'accent particulier qui est mis sur la sécurité publique et national depuis une dizaine d'années face à la menace du terrorisme. Nous tenons donc à déclarer publiquement que les musulmans canadiens, comme leurs concitoyens, sont résolument déterminés à protéger la sécurité de leur nation. Nous sommes également conscients des risques importants que présentent pour notre société libre et démocratique les réactions excessives et la peur lorsqu'elles sont à l'origine de lois et de politiques d'intérêt public. Nous risquons en fin de compte de saper les valeurs fondamentales qui sont au coeur du Canada, sans pour autant être mieux protégés contre le terrorisme. Bref, personne n'y trouverait son compte.
Nous rejetons vivement le propos de ceux qui prétendent qu'établir un juste équilibre entre la protection des droits de la personne et la sécurité constitue une tâche insurmontable. En plus de partager bon nombre des inquiétudes exprimées par d'autres au sujet du projet de loi qui est proposé, les musulmans canadiens ont certaines appréhensions concernant la possibilité qu'un régime comme celui que propose le projet de loi C-17 ait sur les membres de nos communautés un impact disproportionné qui peut être jugé discriminatoire.
À notre avis, le projet de loi C-17 soulève un certain nombre de graves préoccupations et nous espérons que le comité et le Parlement en tiendront compte en acceptant de ne pas adopter ce projet de loi. Notre principale inquiétude concerne l'incidence du projet de loi sur les droits de la personne et les libertés civiles au Canada. Nous avons également des réserves concernant les dangers que présente la collecte de renseignements qui pourraient ensuite être communiqués à des gouvernements étrangers ayant un bilan douteux en matière de protection des droits de la personne. L'absence de restrictions ou de contrôles en ce qui concerne la communication des renseignements a déjà eu un effet dévastateur sur la vie de nombreux musulmans canadiens. Enfin, nous doutons également de l'efficacité et de la nécessité de ladite loi, et nous nous soucions de la possibilité d'abus, malgré les mesures proposées par d'autres en vue d'atténuer ce risque.
S'agissant maintenant de l'incidence sur les libertés individuelles, depuis les événements du 11 septembre, tous les grands actes criminels liés au terrorisme, qu'on parle du groupe des 18 de Toronto ou de Momin Khawaja, ont pu être réprimés sans que l'on ait besoin d'invoquer des mesures comme la détention préventive ou les enquêtes d'investigation. Certains commentateurs juridiques sont d'avis que la détention préventive n'a d'utilité que dans un contexte bien restreint au Canada. Par contre, cette mesure présente des risques importants en ce qui concerne l'outrepassement des pouvoirs conférés à l'État, par exemple, la capacité de détenir une personne pendant 72 heures. Mettre en péril les libertés civiles face à un danger potentiel qui ne s'est pas encore concrétisé finit par gommer les limites entre les droits civils et des préoccupations concrètes en matière de sécurité nationale.
Le conseil est d'avis que les dispositions déjà inscrites au Code criminel sont amplement suffisantes pour permettre à nos tribunaux et forces policières d'empêcher la perpétration d'infractions liées au terrorisme avant qu'elles ne soient commises. Aux termes de l'article 495, une personne détenue pour des motifs raisonnables doit être amenée devant un juge, qui peut imposer les mêmes conditions que celles que prévoient les mesures antiterroristes proposées. Le juge peut même refuser la mise en liberté sous caution s'il croit que la libération de l'intéressé pourrait constituer un danger pour le public. À notre avis, l'expérience des 10 dernières années a démontré que les contrecoups de l'abandon des libertés civiles seront subis de façon disproportionnée par les communautés musulmanes du Canada.
Le doute plane encore sur la façon dont on fera la distinction, dans la pratique, entre les actes liés au terrorisme et d'autres actes criminels. Par exemple, le récent attentat à la bombe incendiaire contre une succursale de la Banque Royale du Canada à Ottawa avant le sommet du G20 a été traité comme un acte d'incendie criminel, si bien qu'aucune accusation n'a été déposée en vertu des dispositions antiterroristes. Nous ne préconisons pas l'élargissement de la définition du terrorisme; nous désirons simplement attirer votre attention sur le fait que l'application des mesures antiterroristes n'a pas touché tous les groupes de la même façon.
S'agissant des dangers que présente la communication de renseignements à autrui sans restriction, le conseil a également de profondes réserves concernant la façon dont les renseignements obtenus dans le contexte d'audiences d'investigation pourraient être utilisés, ou l'ont déjà été, contre des Canadiens musulmans. Nous savons que, dans certains autres pays du monde, la peine capitale ou d'autres formes de traitement cruel et inhumain sont acceptables, voire même fréquentes, dans certains cas.
Il suffit de se rappeler le cas de Maher Arar pour comprendre à quel point la communication de renseignements à autrui en l'absence de restrictions, de mesures de sauvegarde ou d'une procédure de recours appropriée aura eu des effets dévastateurs et irréversibles sur lui en tant qu'individu et sur la communauté à laquelle il appartient.
Non seulement le projet de loi C-17 n'aborde-t-il aucunement la question des procédures de recours et de réparation mais, en réalité, même s'il prévoyait des mécanismes appropriés à cet égard, ces derniers ne pourraient jamais faire disparaître les effets dévastateurs profondément personnels qui subsistent longtemps pour ceux et celles qui, après avoir été disculpés d'avoir participé à des actes terroristes, continuent à souffrir de la déconsidération et de l'opprobe de la société du fait d'avoir été précédemment catalogués comme terroristes par l'État canadien et ses organismes de sécurité.
Comme nous l'a fait remarquer le juge Dennis O'Connor dans son rapport sur les événements relatifs au cas Arar, et je cite:
« La réputation d'une personne étiquetée comme un terroriste dans les médias nationaux est sévèrement affectée. Comme je le mentionne ailleurs, les étiquettes, mêmes celles qui sont injustes et inexactes, ont tendance à coller. »
Même si son histoire personnelle n'attire pas l'attention des médias nationaux, être qualifié de « terroriste potentiel » a nécessairement un effet paralysant sur la personne concernée et aussi, par extension, sur sa communauté.
Je voudrais maintenant aborder la question de l'efficacité du projet de loi . Comme d'autres l'ont déjà affirmé lors d'audiences tenues précédemment au sujet de ces dispositions, les policiers peuvent déjà invoquer les pouvoirs qui leur sont conférés par le Code criminel pour arrêter une personne qui, d'après ce qu'ils croient, est sur le point de commettre un acte criminel.
L'article 495 du Code criminel se lit ainsi:
Un agent de la paix peut arrêter sans mandat… une personne qui a commis un acte criminel ou qui, d'après ce qu'il croit pour des motifs raisonnables, a commis ou est sur le point de commettre un acte criminel;
Reid Morden, l'ancien responsable du Service canadien du renseignement de sécurité, ou SCRS a fait part de ses graves inquiétudes concernant l'impact des dispositions du projet de loi sur notre système judiciaire. J'attire votre attention sur les observations suivantes qu'il a faites dans une interview avec CBC:
S'agissant de ces deux dispositions en particulier, j'avoue que je n'ai jamais pensé qu'il convenait de les inclure au départ, mais le fait est qu'elles sont passées dans la loi dans le contexte de l'après-11 septembre où le gouvernement cherchait à prendre rapidement des mesures… Il me semblait qu'on avait en quelque sorte détourné notre système judiciaire de sa véritable finalité. Je regrette donc d'apprendre que le gouvernement a décidé de réintroduire ces mesures.
En résumé, CAIR-CAN est d'avis que notre droit pénal et les principes de la justice naturelle sont amplement suffisants pour nous permettre d'empêcher les actes terroristes d'être commis. Ainsi le projet de loi n'est pas nécessaire, surtout qu'en fin de compte il met en péril les libertés civiles et la primauté du droit.
En conclusion, la prise de position irréfléchie et énergique du conseil, qui s'appuie sur la nécessité de protéger la primauté du droit, amène le conseil à exhorter nos élus à se prononcer de façon claire et non ambiguë sur la nécessité de s'assurer que les droits fondamentaux que garantit la Charte sont protégés contre les risques très réels que présentent les nouveaux pouvoirs exceptionnels et inutiles conférés à la police par ce projet de loi.
Nous insistons de nouveau sur notre conviction qu'il est fort probable que les dispositions proposées aient une incidence disproportionnée sur les membres de communautés musulmanes au Canada.
Nos organismes de sécurité ont déjà réussi à réprimer et à empêcher la commission d'actes terroristes grâce à des techniques ordinaires de sécurité et d'enquête. Le conseil estime que nos forces policières devraient continuer à bénéficier de l'appui nécessaire pour exécuter leurs tâches de maintien de l'ordre de façon intelligente et efficace tout en respectant la primauté du droit et les limites qu'impose la Charte.
Je vous remercie.
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Merci, monsieur le président.
Je dois présenter mes excuses au comité. J'espérais pouvoir vous présenter un document écrit, mais je n'ai pas réussi à faire grand-chose. J'ai un tout petit document à vous remettre, malheureusement, en anglais seulement, qui explique l'expérience que j'ai acquise au cours des 40 dernières années environ pour ce qui est de traiter des questions liées à la sécurité nationale. Depuis deux ans et demi, je suis également l'avocat spécial désigné pour représenter Hassan Almrei et Mohamed Harkat dans les procédures relatives aux certificats de sécurité dont ils font l'objet.
Tout d'abord, je voudrais faire une observation au sujet du dossier d'Air India, car il s'agit bien de la seule fois où les dispositions de la loi antiterroriste ont été invoquées, alors que les circonstances entourant tout cela sont assez bizarres. On a qualifié cette épisode de fiasco, et cette description me semble tout à fait appropriée.
Quand cette loi est entrée en vigueur, personne, me semble-t-il, n'envisageait qu'elle serait appliquée de la manière dont elle l'a été dans le cas du dossier d'Air India. Une requête a été déposée en vertu des dispositions de la loi relative aux enquêtes d'investigation.. Cette requête a été entendue par la Cour suprême du Canada le 10 décembre 2003, et le jugement de cette dernière a été diffusé en juin 2004.
Il convient que vous compreniez un peu les circonstances du dossier.
Inderjit Reyat avait été extradé par l'Angleterre et avait plaidé coupable à une accusation d'homicide involontaire lié à l'attentat à la bombe survenu à l'aéroport de Narita. Il a été condamné à 17 ans de prison pour ce crime. Il a ensuite été poursuivi, de même que Bagri et Malik, pour l'attentat à la bombe contre le vol d'Air India, attentat qui a causé la mort de tous les passagers au-dessus de l'océan Atlantique.
Il y avait une personne qui avait travaillé avec M. Malik à l'une des écoles de Khalsa. Il s'agissait d'un témoin qui n'a pas été nommé et qui ne l'a jamais été pendant toutes ces procédures. Elle avait eu un affrontement avec M. Malik à l'école, et selon ses témoignages à elle, M. Malik avait avoué son implication dans l'attentat à la bombe contre le vol d'Air India.
Mme Reyat avait été engagée par M. Malik pour travailler à l'école. Le gouvernement voulait savoir si ses témoignages confirmeraient les affirmations du témoin non nommé. Le gouvernement avait déposé un acte d'accusation direct, si bien qu'il n'y a pas eu d'enquête préliminaire et les autorités n'ont jamais pu savoir ce que Mme Reyat allait dire. Elles ont eu recours au mécanisme de l'enquête d'investigation afin de savoir ce qui s'était produit. En réalité, c'était comme si elles essayaient de procéder à une enquête préalable dans le contexte d'une audience criminelle.
Comme je vous l'expliquais il y a quelques instants, M. Reyat avait été accusé de l'attentat à la bombe contre le vol d'Air India, avait négocié le plaidoyer d'homicide involontaire, et avait été condamné à 5 ans d'emprisonnement de plus. Comme vous le savez, il a par la suite été reconnu coupable de parjure relativement à ses témoignages dans l'affaire de l'attentat à la bombe contre le vol d'Air India.
Voilà donc les circonstances — les seules — dans lesquelles un article de cette loi a été invoqué. Ces articles sont uniques en droit canadien. Bien que la Cour suprême du Canada ait déclaré qu'ils sont constitutionnels, leur effet est tout à fait dramatique: une personne n'a plus le droit de garder le silence, et elle peut être détenue ou mise en liberté en ayant l'obligation de respecter des conditions extrêmement strictes.
Il y a eu de nombreuses réactions, y compris les observations faites aujourd'hui, celles de députés à la Chambre, celles de témoins devant le comité sénatorial et celles de Reid Morden également. Tous ceux qui se sont prononcés sur la question sont d'avis que ce projet de loi est inadéquat et ne devrait pas être adopté.
J'ai peut-être manqué quelque chose dans ma lecture du projet de loi, étant donné que la décision rendue sur M. Harkat m'occupe un peu depuis jeudi dernier, mais dans tout ce que j'ai lu jusqu'à présent, je n'ai encore vu quelque explication que ce soit qui justifierait que le système judiciaire au Canada soit modifié de façon aussi draconienne.
J'ai appris que, en janvier 2008, le comité sénatorial parlait des recommandations de la Commission d'enquête O'Connor — sur Maher Arar — relativement au contrôle de la GRC. Or, nous attendons toujours des mesures de contrôle.
Donc, nous n'avons toujours rien en matière de contrôle et de surveillance, et je me permets d'affirmer devant le comité que la GRC a une mauvaise réputation en ce moment relativement à la sécurité nationale, entre autres.
Le traitement réservé par le commissaire Elliott à certains membres de son personnel supérieur suscite des controverses. Le départ du commissaire Zaccardelli et la façon dont les autorités ont traité les informations reçues d'Abdullah Almalki, informations qu'elles ont communiquées aux Américains avec restrictions, a donné lieu à la torture de M. Arar. L'enquête sur l'affaire Arar, l'enquête de M. le juge Iacobucci et l'enquête sur l'attentat contre le vol d'Air India ont toutes porté sur des problèmes liés à la GRC et au projet A-O Canada.
John Major a recommandé la création d'un poste de conseiller à la sécurité nationale en vue d'assurer la bonne coordination des activités du SCRS et de la GRC. Or, il a été annoncé la semaine dernière que le gouvernement n'a pas donné suite à cette recommandation.
En décembre 2006, Dennis O'Connor a recommandé la création d'un organisme indépendant de traitement des plaintes et d'examen des activités en matière de sécurité nationale qui aurait pour mission de surveiller les activités de la GRC en matière de sécurité nationale, activités à l'égard desquelles aucune autorité n'exerce pour le moment des pouvoirs ou responsabilités de surveillance.
À mon humble avis, le comité ne devrait pas se préoccuper de ces dispositions; il devrait plutôt se demander si le SCRS remplit bien son rôle, si la GRC remplit bien son rôle, et dans quelle mesure il existe des mécanismes qui nous permettent de nous assurer qu'ils remplissent bien leur rôle.
Je vous invite dans ce contexte à vous demander si une audience d'investigation serait d'une utilité quelconque par rapport à un problème de ce genre. Si vous avez affaire à un véritable terroriste qui a vraiment été impliqué dans des actes terroristes, si vous l'amenez devant un juge en lui demandant de répondre aux questions, qu'il ait ou non un conseiller juridique, il vous répondra, poliment ou non, qu'il n'a aucunement l'intention de répondre à vos questions, ou encore il vous racontera des mensonges. Je vois mal que des audiences de ce genre puissent déboucher sur quoi que ce soit d'utile.
La question que je vous invite à vous poser est de savoir si ces dispositions méritent qu'on apporte des changements aussi considérables à notre système judiciaire.
J'étais en Angleterre en septembre dernier à l'occasion d'une rencontre avec des avocats spéciaux anglais à laquelle assistaient un certain nombre d'avocats spéciaux venus d'ailleurs. Nous avons finalement eu l'occasion de rencontrer le lord Carlile, qui est en quelque sorte le responsable qui surveille l'application des dispositions antiterroristes en Angleterre. Assis dans son bureau, nous avons discuté de choses et d'autres. Nous avons parlé des cinq personnes visées par des ordonnances de contrôle en Angleterre, ces dernières étant infiniment pires que ce dont on parle ici. Lord Carlile nous a raconté sa visite à une personne visée par une telle ordonnance qui se trouvait dans le Midlands. Il était plus ou moins détenu à domicile, sauf qu'il avait la possibilité de travailler dans certaines conditions. Lord Carlile nous racontait que, au cours de sa discussion avec l'intéressé, il lui avait dit ceci: « En fait, pour moi, ce n'est pas si mal. La seule chose, c'est que cela m'empêche vraiment de faire la tournée des pubs et de lever des filles. » J'ai dû demander ce qu'il voulait dire par « lever », et on m'a expliqué que cela voulait dire draguer les filles.
Selon moi, les dispositions que vous examinez ici en comité auront pour résultat de modifier le paysage juridique au Canada, et ce d'une manière qui n'est pas utile. Il ne faut pas les adopter, et à mon avis, elles ne sont pas nécessaires. D'autres dispositions du Code prévoient différents mécanismes permettant de traiter de telles personnes.
Je voudrais mentionner en passant ce que dit M. Forcese dans son document d'analyse au sujet de ce qu'il faut faire lorsqu'on croise sur la Colline du Parlement un type dont le manteau a l'air d'être bien rembourré. Si vous êtes membre de la GRC, vous devriez lui dire: « Bonjour. Je suis membre de la GRC. Je voudrais vous poser des questions. » Selon la réaction du type, il peut y avoir certaines conséquences.
Pour moi, la police a recours à certains mécanismes dans le contexte d'une enquête qui permettent d'éviter des modifications aussi radicales que celles qui sont proposées.
Merci beaucoup.
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Merci, monsieur le président et membres du comité.
Dans les observations que je vous fais aujourd'hui, je n'ai pas l'intention de me prononcer sur l'opportunité d'adopter le projet de loi dans sa forme actuelle. Comme vient de vous le mentionner M. Copeland, j'ai préparé une longue étude dans laquelle j'ai exposé mon appui à une forme limitée et soigneusement circonscrite de détention préventive à court terme en droit canadien, à titre de mesure de dernier recours lorsqu'un organisme chargé d'appliquer la loi a des motifs raisonnables de craindre que soit commis un acte grave de violence terroriste — ce qui ne comprend pas une situation où l'on croise une personne sur la Colline du Parlement qui porte un manteau bien rembourré.
L'étude en question décrit les éléments qui assureraient l'efficacité d'un tel système, tout en respectant les attentes en matière de libertés civiles découlant du droit international et du droit canadien. J'estime que le régime de détention préventive qui fait partie du projet de loi sous la forme d'un engagement assorti de conditions est modeste, si on le compare aux dispositions internationales analogues qui s'en rapprochent le plus. Je doute qu'il s'avérera très utile dans la pratique pour les forces policières, mais je crois également que les efforts déployés pour renforcer l'efficacité de cette disposition, considérée comme un outil d'application de la loi, devraient s'appuyer sur un mécanisme renforcé de protection des droits civils. Pour que ces efforts puissent être utiles, il faudrait revoir la structure fondamentale du projet de loi, opération que le comité n'aura pas, je le crains, envie d'effectuer et ne disposera pas non plus du temps nécessaire pour le faire.
En revanche, j'entretiens des préoccupations plus vives au sujet du champ d'application des dispositions actuelles en matière d'engagement, à savoir l'engagement de ne pas troubler l'ordre public. Surtout, le projet de loi et la jurisprudence constitutionnelle ne fournissent guère de directives claires au sujet de la portée des conditions qui peuvent être imposées par le biais d'un tel engagement de ne pas troubler l'ordre public. Si la mise en oeuvre du régime des certificats de sécurité d'immigration est une indication, les conditions antiterroristes peuvent être très rigoureuses et contraignantes, sur le plan de la liberté.
Par le passé, j'ai invité le législateur à examiner le genre de restrictions que l'on pourrait imposer par le biais d'un engagement de ne pas troubler l'ordre public, à la fois dans le contexte de ce projet de loi, et de son prédécesseur, et dans celui des dispositions parallèles de l'article 810.01 du Code criminel. Encore une fois, un tel examen exigerait que le comité consacre pas mal de temps à cette question. Si le comité décide de ne pas procéder à un examen aussi approfondi qui exigerait beaucoup de temps, je pense qu'il y a au moins un changement qu'il devrait apporter au projet de loi, un changement qui touche les dispositions relatives à l'enquête d'investigation.
Le projet de loi reprend, pour l'essentiel, les dispositions originales de la Loi antiterroriste de 2001. Cependant, avec l'évolution du droit constitutionnel depuis 2001, les dispositions que l'on trouve à la fois dans la loi originale et maintenant dans le projet de loi C-17, ne peuvent s'interpréter littéralement. Elles doivent être interprétées en tenant compte de la jurisprudence constitutionnelle de la Cour suprême si l'on veut les appliquer en respectant le droit constitutionnel.
Exprimé autrement, le Parlement se propose d'adopter une mesure législative qui ne peut s'interpréter en fonction de son seul texte. Les personnes chargées de l'appliquer devront désormais tenir d'une main le projet de loi et de l'autre, les différents volumes des recueils de la Cour suprême. Cela va, à mon avis, semer la confusion et est fondamentalement incompatible avec ce qui me paraît être le but de toute mesure législative, soit fournir des directives claires au sujet du droit applicable.
J'examine maintenant la modification qui me semble nécessaire si l'on veut répondre à cette préoccupation. Comme vous le savez, et comme l'a mentionné Paul, la Cour suprême a examiné en 2004 les dispositions relatives à l'enquête d'investigation adoptées en 2001 et a finalement conclu qu'elles étaient constitutionnelles. La Cour suprême en est toutefois arrivée à cette conclusion en imposant certaines conditions au recours aux enquêtes, la principale étant l'élargissement de l'immunité fondée sur l'usage connexe, garanti dans le projet de loi actuel par le paragraphe 82.28(10).
Cette disposition étend l'immunité aux poursuites pénales ultérieures, mais la Cour suprême a déclaré qu'elle devait aller plus loin. Les éléments de preuve obtenus ne devraient pouvoir être utilisés dans aucune autre instance, y compris les instances en extradition et en immigration. C'est une obligation constitutionnelle qui devrait figurer, pour cette raison, dans le projet de loi.
Je vais m'arrêter là, et je serais très heureux de répondre à vos questions sur ce sujet ou sur d'autres.
Le président: Merci.
M. James Kafieh: Cette loi comptait, entre autres, des dispositions conférant les mêmes droits que nous voyons de nouveau au projet de loi en matière d'audience d'investigation et d'engagement assorti de conditions. Or, dans une large mesure, l'hystérie de la lutte contre le terrorisme s'est dissipée.
S'agissant des audiences d'investigation, la disposition du projet de loi qui porte là-dessus nous rappelle les procédures secrètes et arbitraires de la Star Chamber d'autrefois. Même si le projet de loi donne l'impression d'offrir une certaine protection contre l'auto-incrimination aux personnes contraintes à se présenter, cette protection disparaît dès lors que la police ramasse deux personnes ou plus. Par exemple, ces personnes peuvent finir par être poursuivies sur la base, non pas d'information qu'elles ont fournie elles-mêmes, mais d'information qu'elles ont fournie les unes au sujet des autres.
Afin d'éviter de faire disparaître par un moyen détourné le droit des gens de garder le silence et d'être protégés contre l'auto-incrimination, un droit qui existe depuis les pouvoirs liés à l'audience d'investigation devrait comprendre l'immunité en matière de poursuites judiciaires pour les personnes contraintes à témoigner au sujet de questions concernant lesquelles elles fournissent exclusivement des renseignements véridiques. Bref, de telles personnes seraient fortement incitées à dire la vérité, toute la vérité et rien que la vérité. Qu'est-ce que nous sommes en droit de demander de plus?
Il convient également de se rappeler que tous ceux qui décident de garder le silence dans ce contexte ne sont pas nécessairement coupables, et que le choix de garder le silence n'est pas un aveu ou une preuve de culpabilité. Par exemple, les gens peuvent avoir des inquiétudes légitimes pour eux-mêmes, des membres de leur famille et leur collectivité.
On ne devrait pouvoir recourir à un mécanisme aussi exceptionnel que l'audience d'investigation que pour empêcher la perpétration d'un acte de terrorisme imminent. Il faut absolument éviter qu'on y ait recours pour enquêter sur des actes antérieurs. L'actuel libellé du projet de loi prévoit au contraire la possibilité de tenir des audiences d'investigation sur des événements antérieurs, de sorte que l'impératif de la protection de vie innocente, face à un attentat terroriste imminent, est totalement absent. Déjà nous assistons à un renforcement des pouvoirs, par rapport à l'ancienne disposition, ce qui indique bien que nous sommes déjà en présence d'un certain débordement en ce qui concerne l'usage qu'en font les autorités devant un tribunal.
De plus, la disposition sur les audiences d'investigation modifie et déforme notre système judiciaire de façon fondamentale, en ce sens qu'elle accorde aux procureurs le rôle d'enquêteurs et oblige la magistrature à présider des enquêtes criminelles.
S'agissant de l'engagement assorti de conditions, l'étude du professeur Craig Forcese, intitulée « Catch and Release », présente un certain nombre d'extraits de jugements de la Cour d'appel d'Angleterre qui indiquent bien que l'un des droits humains les plus fondamentaux, les plus anciens, les plus difficilement obtenus et les plus universellement reconnus est le droit de ne pas être assujetti à la détention exécutive; or, c'est justement ce droit qui est supprimé par le projet de loi . La disposition relative à l'engagement assorti de conditions permet à un agent de la paix, avec le consentement préalable du procureur général, de déposer une dénonciation devant un juge de la Cour provinciale s'il croit qu'un acte terroriste risque d'être commis et soupçonne que l'imposition d'un engagement assorti de conditions ou l'arrestation de l'intéressé est nécessaire pour empêcher cela de se produire.
Ainsi cette disposition permet l'arrestation et la détention de personnes sans qu'il soit nécessaire de prouver le bien-fondé des allégations qui les concernent. Elle pourrait même faire en sorte que la liberté personnelle de gens dont la mise en liberté est assortie de conditions soit gravement limitée, même si ces derniers n'ont jamais été déclarés coupables d'un crime. Quiconque refuse d'accepter les conditions de l'engagement et de s'y conformer est passible d'une peine d'emprisonnement d'un maximum de 12 mois. Le projet de loi ne limite aucunement le nombre de fois où on peut appliquer cette disposition.
En quoi cette façon de faire est-elle conforme aux valeurs et aux principes sur lesquels s'appuie notre système judiciaire au Canada? L'exemple des certificats de sécurité permet d'ores et déjà aux Canadiens de comprendre l'impact que peut avoir ce genre de disposition. Les cas les plus récents, soit cinq hommes qui ont été détenus, dans certains cas, pendant huit ans, sans jamais être accusés ou trouvés coupables d'un crime, devraient pour nous tous, constituer un sujet d'inquiétude.
Le projet de loi crée un régime législatif en vertu duquel tous les Canadiens seront assujettis à des mesures plus ou moins identiques à celles liées aux certificats de sécurité, un mécanisme généralement discrédité à l'heure actuelle, alors que celles-là visaient uniquement les immigrants et les revendicateurs du statut de réfugié.
Le Congrès islamique canadien est d'avis que ces dispositions nuisent aux valeurs et aux principes juridiques fondamentaux du Canada, d'une part, et qu'elles ne sont pas nécessaires. En 2005, le Congrès islamique canadien a publié un exposé de principe intitulé « Security with Rights: Justice is the Ultimate Guarantor of Security ». Dans ce document, le CIC a fait état de la détermination des Canadiens musulmans à défendre l'insécurité du Canada. De plus, le CIC a exprimé ses inquiétudes concernant la possibilité que les pouvoirs nouvellement élargis du SCRS et de la GRC puissent conduire à des abus et à l'érosion des libertés civiles. Les préoccupations du CIC restent entières. Cependant, nous avons maintenant 10 ans d'expérience nous permettant de comprendre, entre autres, de quelle manière les inquiétudes liées à la sécurité dans l'après-11 septembre ont généralement miné nos valeurs et libertés civiles au Canada.
Les mesures de sécurité dans les aéroports internationaux que la plupart des gens qualifient à présent de « cinéma » ont suscité la désaffection d'un nombre grandissant de Canadiens. Les listes d'interdiction de vol, les bourdes commises par les autorités relativement aux certificats de sécurité, et même leur responsabilité indirecte à l'égard de la torture de Canadiens à l'étranger, comme l'ont conclu l'enquête du juge Iacobucci et d'autres encore, sont autant de choses qui ont sapé la confiance du public, même s'il convient de constater que les Canadiens musulmans ont joué un rôle critique dans ce contexte en déclarant qu'ils partageaient les préoccupations des Canadiens en matière de sécurité. S'il a été possible de déjouer les plans du groupe des 18 de Toronto, par exemple, c'est surtout parce que certains membres de la communauté musulmane ont fait part de leurs inquiétudes aux autorités. Ce qui manque dans l'actuel plan de sécurité, c'est un véritable partenariat entre les responsables de la sécurité au Canada et la communauté musulmane.
Un exemple de la nature tendue de leurs relations est la récente annulation, par le ministre de la Défense nationale, d'une conférence que devait donner le directeur exécutif du CIC, l'imam Delic, à l'invitation des Forces armées canadiennes. La question fondamentale est de savoir si les mesures draconiennes que propose ce projet de loi sont mêmes nécessaires. Reid Morden, l'ancien responsable du SCRS, est d'avis que ces mesures ne sont pas nécessaires et qu'elles présentent des dangers considérables pour la protection des libertés civiles. Le CIC est d'accord avec lui. Il est intéressant de constater, d'ailleurs, que le pouvoir lié à l'engagement assorti de conditions n'a jamais été invoqué depuis sa création il y a cinq ans, et que le pouvoir lié aux audiences d'investigation a été invoqué une seule fois, avec un résultat peu significatif.
D'ailleurs, il n'existe pas de preuves démontrant que le Code criminel, tel qu'il est actuellement libellé, n'aurait pas permis de répondre aux besoins légitimes du Canada en matière de sécurité et de justice. On peut donc se poser la question que voici: pourquoi a-t-on cru bon de ramener ces dispositions?
Si le comité décidait néanmoins d'aller de l'avant, nous vous ferions les recommandations suivantes.
Nous ne sommes pas d'accord avec ce projet de loi, mais nous désirons vous faire les recommandations suivantes afin de minimiser les préjudices causés à notre système juridique, à nos valeurs canadiennes et au tissu de notre société. Ainsi notre première recommandation est que la disposition relative aux audiences d'investigation devrait être de portée limitée, de façon à ne viser que les actes terroristes imminents.
Deuxièmement, le paragraphe 83.28(2) devrait être modifié afin de préciser qu'un agent de la paix doit avoir des motifs raisonnables de croire qu'un acte terroriste sera commis avant de déposer une requête ex parte.
Troisièmement, il convient de préciser que toute procédure lancée en vertu des articles 83.28 et 83.29 sera jugée constituer une procédure aux termes du Code criminel.
Quatrièmement, les pouvoirs liés à l'audience d'investigation devraient comprendre l'immunité de poursuite complète relativement à toute question au sujet de laquelle des renseignements véridiques seulement ont été fournis.
Cinquièmement, l'accès à l'avocat choisi par la personne contrainte à témoigner devrait être facilité sans délai ou ingérence et les frais y afférents devraient être à la charge du ministère public avant, pendant et après l'audience d'investigation.
Sixièmement, la personne contrainte à témoigner devrait également avoir un accès illimité aux services d'un avocat spécial à qui l'on aura accordé un accès illimité à tous les renseignements que possède ou contrôle le ministère public au sujet de l'intéressé.
Septièmement, la disposition prévoyant la détention de personnes sans que ces dernières ont fait l'objet d'accusations pour une période supérieure à 24 heures devrait être complètement supprimée du projet de loi .
Huitièmement, les pouvoirs que prévoit le projet de loi ne devraient pas être officialisés tant que le cadre de responsabilisation visant la GRC n'est pas en vigueur et pleinement opérationnel.
Neuvièmement, il faut prévoir que les personnes lésées seront indemnisées à la suite de l'exercice illégitime de ces pouvoirs.
Dixièmement, un mécanisme de contrôle indépendant, dont l'application relèverait directement du Parlement, devrait être créé de façon à surveiller l'application des dispositions du projet de loi , tant que ces dispositions continueront de faire partie du Code criminel.
Onzièmement, une disposition de temporarisation assortie d'un cadre d'évaluation, devrait être incorporée dans le projet de loi.
En guise de conclusion, je voudrais faire une ou deux autres observations.
On nous dit souvent, quand les temps sont difficiles, qu'il faut surtout chercher à établir le juste équilibre entre la sécurité et les droits. Je voudrais donc conclure en vous citant les propos de Benjamin Franklin qui, il y a plus de 200 ans, a eu la sagesse de dire que ceux qui compromettent leur liberté afin de protéger leur sécurité découvrent rapidement qu'ils n'ont ni l'une ni l'autre. Le récent exemple du dispositif de sécurité mis sur pied lors du sommet du G20 tenu à Toronto l'été dernier et l'effet dévastateur qu'il a eu sur la qualité de nos libertés civiles, nous rappelle de manière tout à fait opportune que les sages paroles de M. Franklin sont toutes aussi pertinentes aujourd'hui dans le contexte de l'examen de ce projet de loi par le comité.
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Madame Mourani, puis-je me permettre de répondre à votre question?
Mme Maria Mourani: Oui, bien sûr, allez-y.
Me Denis Barrette: Dans un contexte d'utilisation des dispositions antiterroristes, je mets en doute la capacité de l'avocat de la personne concernée de démontrer que les informations qui soutiennent le caractère prétendument imminent d'une attaque terroriste viennent de la torture. La personne ne sera pas en mesure de faire cette preuve. L'enquête Arar a duré des mois pour démontrer cela à tout le public. On s'est battus et plusieurs avocats se sont battus contre le principe de sécurité nationale.
Dans le cas des deux dispositions concernées, il va y avoir aussi le couvert de la sécurité nationale. C'est à ne pas oublier. M. Forcese parle d'enquête publique. Effectivement, il y a une portion qui sera publique dans l'investigation ou dans l'engagement sous conditions, mais une portion risque d'être secrète. Car à partir du moment où on touche à des enquêtes ou à des informations qui viennent de l'extérieur, comme vous dites, comme dans le cas de l'enquête Arar, comme des informations au sujet d'Omar Khadr, on va faire face à la sécurité nationale.
Je mets au défi l'avocat et je lui dis bonne chance dans sa lutte pour démontrer que ces informations ont été obtenues par la torture. Il y a un risque élevé que ces informations aient été recueillies par la torture. Selon moi, le problème n'est pas tellement celui de l'imminence que de la probabilité d'imminence ou du caractère raisonnable de l'imminence. C'est l'abaissement du fardeau de la preuve qui est important.
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Merci beaucoup, monsieur le président.
Merci à tous nos témoins pour leur présence aujourd'hui.
À mon avis, la question clé que le comité aura à trancher est de savoir si ces dispositions sont nécessaires ou non. Je trouve très intéressant que, depuis que la motion a été rejetée à la Chambre en février 2007, on ne parle même plus de tout cela, étant donné que ces dispositions n'existaient plus.
Je me souviens très bien de la situation qui prévalait lors de l'adoption de la Loi antiterroriste en 2001. Je suis tout à fait d'accord pour dire que cela s'est fait dans un environnement et un climat caractérisés par le peur. Cette loi a été adoptée à la va-vite par la Chambre. Je ne sais pas combien de membres actuels du comité étaient députés à l'époque mais, pour ma part, je me souviens bien des circonstances.
Ce qui m'intéresse, c'est l'effet de ces deux dispositions sur la société en général si le projet de loi est adopté. Je me demande même si on peut parler d'effets. Nous n'avons plus de telles dispositions depuis un moment, on n'y a pas eu recours et on peut donc supposer que les outils en question ne sont pas indispensables pour combattre le terrorisme — que le Code criminel, dans sa forme actuelle, est suffisant. Bon nombre d'entre vous ont justement fait ressortir cet élément.
Mais, si le projet de loi est adopté, quel sera l'effet sur la société en général? Deux d'entre vous ont soulevé la question du profilage racial. Si je ne m'abuse, M. Barrette a dit que cette mesure législative pourrait être considérée comme un outil d'intimidation. Le représentant du Congrès islamique canadien a évoqué l'incidence disproportionnée de cette mesure sur les membres de la communauté musulmane au Canada. Pour moi, ces facteurs revêtent une importance critique dans notre évaluation du projet de loi. Même si on n'y a jamais recours, quel effet cette loi pourrait-elle avoir sur une société démocratique?
Je vous invite également à me dire quelle incidence elle pourrait avoir, notamment si on invoque ces dispositions — ou on menace de le faire — de façon à intimider certains groupes de personnes. Les gens peuvent décider de manifester ou d'exprimer leur désaccord, mais une définition raisonnable d'un acte terroriste ne pourrait jamais inclure ce genre d'activité. Il reste que ce genre de personnes pourrait faire l'objet d'intimidation simplement parce que ces dispositions existent dans la loi.
Pour moi, c'est un élément très important de cette discussion. Je vous invite donc à réagir.
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Merci, monsieur le président.
Je suppose que même la Loi antiterroriste constituait une réaction précipitée et excessive aux événements du 11 septembre, et c'est sans doute pour cette raison qu'on y a incorporé une disposition de temporarisation.
Ayant entendu les témoignages des uns et des autres, j'avoue qu'il y a de nombreux éléments inquiétants que j'aimerais explorer avec vous.
Monsieur Barrette, vous dites que les dispositions proposées favorisent le profilage racial, que la présomption d'innocence est en jeu, que ce projet de loi rappelle un peu le McCarthyisme, et que la réputation, la vie et la carrière de nombreux Canadiens pourraient être détruites. Étant donné vos affirmations, il me semble clair que ces dispositions ne sont pas nécessaires et que, en fait, le Code criminel pourrait servir à nous protéger contre le terrorisme. Je pense que vous avez tous dit un peu la même chose.
Pour résumer ce que j'ai entendu — je suis nouvelle au comité — selon vous, ces dispositions sont inutiles, inefficaces, et peut-être même inconstitutionnelles. Elles font fi de la primauté du droit, de la présomption d'innocence et des libertés civiles, elles sont éventuellement antidémocratiques, elles compromettent la protection des droits de la personne, déconsidèrent certains membres de la société et ciblent des groupes en particulier. Cela dit, y a-t-il des situations où cela aurait pu se révéler utile, et dans l'affirmative, de quelle façon? Je suppose que la vraie question est de savoir pourquoi le gouvernement voudrait les adopter. J'essaie simplement de comprendre le bien-fondé de ces dispositions et du projet de loi en général. Y a-t-il des faits ou des données qui justifieraient que l'on propose de telles dispositions et que le projet de loi soit adopté?
Merci.
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Merci, monsieur le président.
Je voudrais revenir sur le profilage racial. Mes collègues ne semblent pas voir de lien entre ce projet de loi et la possibilité et la capacité de faire du profilage, même s'ils semblent admettre que le projet de loi n'a jamais été employé, finalement. Ils semblent y voir une utilité, mais je m'interroge à ce sujet.
Monsieur Barrette, vous avez parlé du profilage racial. Je voudrais questionner aussi M. Kafieh, M. Elgazzar — je m'excuse si je prononce mal votre nom — et M. Gardee.
En ce qui concerne le profilage racial, les communautés musulmanes, ou tout simplement pakistanaises, les personnes qui sont typées ou qui sont identifiées de par leur religion ou même la couleur de leur peau... Maintenant, tout le monde est Arabe. Qu'ils soient Pakistanais, Libanais ou n'importe quoi, ils sont Arabes et musulmans. Le commun des mortels ne sait pas qu'il y a des Arabes chrétiens, des Arabes juifs, qu'il y a toutes sortes d'Arabes. En tout cas, on ne fera pas un cours d'arabité ici.
Parlez-moi un peu du profilage racial. Qu'est-ce que ce genre de projet de loi qui, légalement, a été...? Enfin, on a tenté de l'utiliser une fois. On pourrait utiliser le Code criminel sans aucun problème pour assurer notre sécurité en ce qui concerne le terrorisme, mais l'impact réel en ce qui a trait à la perception, aux préjugés, est quand même assez évident.
D'après ce que j'ai entendu dans d'autres comités et ce qu'on me rapporte, le SCRS a tendance à aller frapper à la porte de plusieurs jeunes étudiants pour les questionner sans aucune preuve, en disant que ces derniers ne sont pas obligés de leur répondre. Cependant, les gens ne connaissent pas leurs droits.
J'ai reçu beaucoup de témoignages de jeunes musulmans ou de Pakistanais qui se sont fait interroger par le SCRS sans qu'il n'y ait aucun mandat ou aucune accusation, seulement des interrogatoires. Des agents ont fait remarquer que ces personnes lisaient le Coran ou tel autre livre. Beaucoup de ces cas s'appuyaient sur des éléments qui font penser au profilage racial.
Qu'est-ce que vous pensez du travail extraordinaire du SCRS dans tout ça, et du profilage racial?
Avez-vous eu des commentaires de jeunes qui viennent vous voir et qui vous disent que le SCRS est allé frapper à leur porte?
Il y a même un homme qui est venu me remettre un numéro de téléphone que le SCRS lui a laissé. J'ai appelé à ce numéro, je suis tombée sur une personne qui a refusé de s'identifier — à un député fédéral, il faut le faire — et qui disait qu'effectivement, il était agent du SCRS.
Je vous écoute.
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Très bien. J'accepte cette précision.
La question complémentaire que je voudrais vous poser est celle-ci: nous avons reçu des témoins qui nous ont parlé d'autres problèmes et qui sont venus de pays qui ont justement subi un attentat terroriste; le fait est que leur vision du monde est très différente de celle que vous venez de partager avec nous.
Heureusement, le Canada n'a pas subi de graves attentats terroristes jusqu'à présent. Nous avons évidemment réussi à intervenir pour maîtriser la situation, dans le cas du groupe de 18 de Toronto, et dans d'autres situations aussi, mais j'accepte mal que vous minimisiez la gravité de ce phénomène et une autre de vos affirmations aujourd'hui: vous avez comparé ce que nous faisons maintenant au XXIe siècle au Canada à la Loi sur les mesures de guerre invoquée pendant la Seconde Guerre mondiale dont les Canadiens d'origine japonaise ont été victimes. Je ne peux pas croire, et je ne peux pas non plus croire qu'un des témoins que nous recevons aujourd'hui ou n'importe quel membre de la société d'aujourd'hui croirait qu'une loi comme celle-ci pourrait donner lieu à des gestes de ce genre à l'avenir.
Vous avez dit essentiellement que cela va donner lieu à des abus futurs, en établissant une comparaison avec ce qui a été fait aux Canadiens d'origine japonaise pendant la Seconde Guerre mondiale. Pour moi, cette interprétation de la situation actuelle en ce qui concerne le terrorisme et des mesures qui sont nécessaires pour le contrôler n'est guère susceptible d'être acceptée par bon nombre de Canadiens.
Je m'intéresse aux commentaires qui ont été faits aujourd'hui concernant l'observation du professeur Forcese, qui nous dit que, selon son analyse, il existe une lacune, très circonscrite, mais une lacune quand même. Tous les témoins ont entendu cela aujourd'hui.
Ma question prioritaire à l'un d'entre vous qui voudrait répondre ou à vous tous, est celle-ci: acceptez-vous son analyse? Voilà la question qui m'intéresse le plus.
Et, pour gagner du temps, je vous annonce tout de suite ma deuxième question: si vous êtes d'accord, que pouvez-vous proposer pour combler cette lacune afin d'éviter que notre pays soit exposé aux risques de sécurité que ce projet de loi n'aborde pas en raison de cette lacune?