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Je vous remercie de me donner l'occasion de m'adresser au comité au sujet du projet de loi .
Il est difficile et complexe de trouver le bon moyen de lutter contre l'exploitation sexuelle au Canada; c'est une question qui suscite la controverse, mais qui est aussi d'une importance vitale. Le projet de loi concerne le vide juridique découlant de la décision de la Cour suprême du Canada dans l'affaire Bedford. Nous avons maintenant l'occasion de trouver ensemble une meilleure façon de protéger et d'aider les victimes d'exploitation sexuelle et d'accroître la sécurité au sein de nos collectivités.
Aujourd'hui, je vais vous expliquer pourquoi le Manitoba appuie l'adoption de ce que l'on appelle le modèle nordique. Nous vous dirons également pourquoi et comment le projet de loi doit être modifié. Je parlerai aussi du soutien nécessaire aux victimes d'exploitation sexuelle et de la raison pour laquelle nous avons besoin de précisions concernant le financement annoncé par le gouvernement fédéral à cette fin.
Selon le Manitoba, la prostitution n'est pas un crime sans victime. Chaque jour, des personnes vulnérables — femmes, hommes et enfants — sont victimes d'individus et de groupes qui les exploitent sexuellement. Le préjudice causé à ces personnes exploitées est important: alcoolisme et toxicomanie, victimisation avec violence et traumatismes affectifs aux mains de leurs clients, des souteneurs, des vendeurs de drogues et d'autres personnes. Nous savons que beaucoup de victimes au Manitoba ont été exploitées à un très jeune âge. La plupart de celles qui fuient le milieu souffrent de profonds traumatismes physiques et affectifs qu'elles garderont toute leur vie.
Les victimes d'exploitation sexuelle au Manitoba et ailleurs sont confrontées à des risques et à des dangers que l'on peut qualifier d'extrêmes. Le Centre canadien de la statistique juridique, dans son rapport intitulé L'homicide au Canada, 2011 indique qu'entre 1997 et 2011, on a attribué la mort de 99 personnes directement au fait qu'elles étaient exploitées sexuellement. Ce chiffre est probablement bien inférieur au chiffre réel, monsieur le président. Il ne comprend que les cas où la police a pu établir que le décès s'était produit pendant des activités liées à la prostitution. En effet, nombre de cas de femmes disparues et assassinées, par exemple l'affaire Pickton, en Colombie-Britannique, ou la récente affaire Lamb, au Manitoba, concernent des femmes considérées comme ayant été victimes d'exploitation sexuelle.
Le gouvernement du Manitoba n'est pas en faveur de la légalisation de la prostitution; il s'oppose à la décriminalisation intégrale ou à la décriminalisation de fait de la prostitution, qui se produirait si rien n'était fait pour répondre à l'arrêt Bedford. Toutes ces options continueraient de permettre que des personnes achètent les services sexuels d'autres personnes, que l'on dévalorise la vie humaine et que des tragédies associées à la prostitution se produisent.
La plupart des vendeurs de services sexuels sont victimes d'exploitation sexuelle. La majorité n'ont pas d'autre choix que de se livrer à la prostitution et de demeurer dans ce milieu. Compte tenu du rôle important que jouent des facteurs tels que les agressions sexuelles durant l'enfance, les toxicomanies, la dépendance financière, la chimiodépendance et la coercition par les gangs de rue et le crime organisé, il n'est pas raisonnable de s'attendre à ce que les victimes d'exploitation sexuelle puissent facilement quitter le milieu sans l'aide de lois et de mécanismes de soutien appropriés.
Le projet de loi propose une approche adéquate pour régler les enjeux liés à la prostitution. Pour la première fois dans l'histoire du Canada, on a pour objectif de réduire la demande d'achat de services sexuels et d'aider les victimes à échapper à l'exploitation sexuelle. Si la demande est réduite, les gens seront moins enclins à contraindre des personnes à se livrer à la prostitution et à la traite de personnes.
Le modèle nordique de lois sur la prostitution repose sur le principe que les victimes d'exploitation sexuelle ne devraient pas être victimisées davantage par des accusations criminelles liées à la vente de services sexuels. Les lois s'attaquent plutôt à l'aspect de la prostitution qui porte sur la demande, en criminalisant l'achat de services sexuels et le proxénétisme, c'est-à-dire le fait d'offrir les services sexuels d'une autre personne, de façon à pénaliser ceux qui exploitent les victimes pour en tirer des profits.
Dans le modèle nordique, le droit pénal fait partie d'une stratégie globale qui englobe une sensibilisation accrue du public aux effets nuisibles de la prostitution et qui offre des stratégies et des mécanismes de soutien pour aider les victimes d'exploitation sexuelle à sortir de la prostitution.
Là où il a été adopté, le modèle nordique s'est avéré efficace pour réduire la prostitution. Par exemple, il a permis de réduire considérablement — d'au moins la moitié — la prostitution de rue en Suède, alors qu'elle augmentait dans d'autres pays nordiques. La traite de personnes en Suède a pratiquement cessé. Des études réalisées en Norvège, le pays voisin, montrent une diminution marquée des actes de violence grave contre les victimes d'exploitation sexuelle. Plusieurs autres pays, dont la Norvège, la Finlande, l'Islande, Israël et la France, ont également adopté le modèle nordique ou sont en voie de le faire.
Je peux vous dire qu'au Manitoba, les procureurs et la police ont adopté avec succès l'approche de réduction de la demande fondée sur le modèle nordique pour gérer les accusations de prostitution en vertu du Code criminel. Nos procureurs encouragent les personnes accusées à participer à des programmes de déjudiciarisation et tentent de déterminer s'il conviendrait de demander des conditions de probation plus strictes pour les acheteurs de services sexuels condamnés aux termes des dispositions du Code criminel sur la prostitution.
En novembre 2013, le service de police de Winnipeg a annoncé que son unité anti-exploitation adopterait une approche consistant à ne pas procéder à l'arrestation des victimes d'exploitation sexuelle. Les policiers aideraient plutôt ces victimes à établir des liens avec des organismes de travail social et des groupes de soutien afin de les aider à sortir de la prostitution. Les policiers continueraient également d'appréhender les clients et les proxénètes et de porter des accusations contre eux.
La GRC et d'autres services de police municipaux du Manitoba ont également adopté cette approche de déférence. Étant donné que mon gouvernement appuie le modèle nordique — comme je l'ai indiqué à la dernière réunion nationale des ministres de la Justice et comme je l'ai exprimé dans la lettre que j'ai envoyée au le 5 février dernier —, je suis très heureux de constater que le projet de loi adopte principalement une approche comparable en faisant de l'achat de services sexuels une infraction et en criminalisant le fait de tirer un avantage de la prostitution d'autrui, mais en évitant de criminaliser la vente de services sexuels ou l'utilisation de ses produits à d'autres fins que l'exploitation. J'appuie ces éléments du projet de loi et j'encourage tous les députés à les adopter afin qu'ils soient mis en oeuvre dès que possible.
Je suis heureux de ne pas faire cavalier seul. Je tiens à souligner le travail et les efforts de la députée Joy Smith, du Manitoba; nous avons peut-être emprunté une voie différente pour arriver à la même conclusion. Je suis sûr qu'à une autre occasion, nous serons vivement en désaccord sur autre chose, mais je tiens à dire qu'elle s'est fait entendre clairement sur cette question au Manitoba.
Cela dit, il y a certainement des amendements à apporter à ce projet de loi avant qu'il ne soit adopté. J'ai de sérieuses réserves au sujet des dispositions du projet de loi qui criminaliseraient les victimes d'exploitation sexuelle si elles se livrent à la prostitution d'une manière qui interfère avec la circulation ou si elles communiquent avec quiconque à des fins de prostitution dans un endroit public s'il est raisonnable de s'attendre à ce que des personnes âgées de moins de 18 ans soient présentes.
Ces dispositions vont tout à fait à l'encontre du modèle nordique, car elles punissent et victimisent à nouveau les victimes d'exploitation sexuelle, et elles obligeraient les personnes se livrant à la prostitution de rue d'exercer leur métier dans des endroits plus isolés et dangereux. Cela mettrait leur sécurité en jeu et pourrait assurément compromettre la constitutionnalité de la mesure législative en mettant en danger les victimes d'exploitation sexuelle au lieu d'augmenter leur protection. Je ne peux appuyer ces dispositions du projet de loi et je souhaite vivement qu'elles en soient retirées par voie de modification.
Je crains vivement que les dispositions de l'article 15 du projet de loi ne mènent à un danger encore plus grand, à des contestations presque assurées et à un risque accru qu'elles soient invalidées. Pendant ce temps, on continuera de mettre l'accent sur les vendeurs de services sexuels, alors que ce sont les acheteurs qui devraient assumer la responsabilité de leurs actes et modifier leur comportement.
J'ai essayé de comprendre comment ces dispositions se sont retrouvées dans le projet de loi. Je suppose qu'elles visent à compenser l'absence de consensus parmi les services policiers sur la meilleure façon d'aider les victimes d'exploitation sexuelle à changer leur vie. La menace d'accusations criminelles est peut-être considérée comme le meilleur moyen d'y arriver. Je ne suis pas d'accord.
Au Manitoba, comme je l'ai déjà dit, nos partenaires responsables de l'application de la loi ont déjà pris toutes les mesures possibles en ce qui concerne le modèle nordique. Le programme de déjudiciarisation de la prostitution, géré par l'Armée du Salut et financé par le programme de déjudiciarisation pour les acheteurs de services sexuels, que l'on appelle école des clients, se poursuivra et, idéalement, sera amélioré. Les victimes d'exploitation sexuelle apporteront des changements dans leur vie si nous leur donnons des raisons et des occasions de le faire, mais pas si elles sont toujours menacées d'être poursuivies.
Enfin, même si ce volet ne fait pas partie du projet de loi , j'aimerais exprimer mon appui conditionnel à l'engagement du gouvernement fédéral de réserver des fonds à des programmes destinés à aider les victimes d'exploitation sexuelle. Les programmes visant à aider les victimes à sortir de la prostitution et à trouver des solutions plus positives sont un volet essentiel du modèle nordique et un élément clé du succès de cette approche. Toutefois, il faut mettre en place des programmes solides et continus afin d'offrir aux victimes exploitées sexuellement un choix valable pour sortir de la prostitution.
L'annonce du gouvernement fédéral ne permet pas de déterminer si le financement de 20 millions de dollars sera une subvention unique ou s'il représente l'engagement d'un financement fédéral annuel à cette fin. Dans certains médias, aujourd'hui, il est question de 4 millions de dollars par année pour cinq ans. Si nous divisons ce montant par le nombre d'habitants, cela fait moins de 200 000 $ par année pour le Manitoba. Notre province dépense déjà 8 millions de dollars par année pour aider les victimes d'exploitation sexuelle.
J'espère que le gouvernement reconsidérera sa décision et qu'il fournira un financement continu. Les besoins des victimes d'exploitation sexuelle seront constants, peu importe l'efficacité du projet de loi. J'exhorte le à consulter ses homologues provinciaux et territoriaux afin d'évaluer le niveau et le type de financement fédéral qui est essentiel pour soutenir à long terme les programmes destinés aux victimes d'exploitation sexuelle du pays.
Monsieur le président, l'annexe du mémoire porte sur le Tracia's Trust, la stratégie manitobaine visant à aider les victimes d'exploitation sexuelle. Je le répète, le Manitoba investit environ 8 millions de dollars par année. Nous attentons avec impatience les contributions importantes et soutenues du gouvernement fédéral, et je promets que le Manitoba les investira judicieusement.
En terminant, je tiens à remercier le comité de m'avoir permis de présenter mes observations au nom de la population manitobaine. Je souhaite ardemment que le projet de loi soit adopté, mais pas sans ces modifications importantes, afin que nous puissions changer le dialogue et la situation dans ce pays et nous attaquer à la demande.
Je me ferai un plaisir de répondre à vos questions après que les autres témoins auront pris la parole.
Merci.
L'Alliance évangélique du Canada est l'association nationale des chrétiens évangéliques regroupés à des fins d'influence, d'impact et d'identification à titre de ministres et de témoins publics. Depuis 1964, l'AEC fournit un forum national aux évangéliques ainsi qu'une voix constructive pour les principes bibliques applicables à la vie et à la société.
Au cours des deux dernières décennies, l'AEC a présenté un certain nombre de documents et de mémoires au Parlement sur la question de la prostitution et la question de la traite de personnes qui y est étroitement liée. Nous avons également agi à titre d'intervenant devant la Cour suprême du Canada dans l'affaire Bedford. Nous vous remercions de nous donner l'occasion de discuter de cet important projet de loi. Par souci de concision, je vais mettre l'accent sur quelques éléments clés du projet de loi et je vous invite à consulter notre mémoire pour l'intégralité de notre analyse.
L'un des messages fondamentaux de la Bible est que le peuple de Dieu doit faire preuve de compassion comme Dieu l'a fait pour nous. Notre croyance que Dieu nous a tous créés à son image et qu'il nous aime tous nous appelle à faire connaître et à protéger la dignité fondamentale de chaque être humain. Nous savons que les gens devraient être traités comme des êtres ayant une valeur intrinsèque, pas comme des objets servant à la gratification ou au profit d'autrui. L'AEC exprime depuis longtemps, pour les personnes qui se prostituent, des préoccupations fondées sur des principes bibliques qui obligent à prendre soin des personnes vulnérables et à rechercher la justice, et qui guident le devoir de diligence que nous avons les uns envers les autres en tant qu'être humain.
Des études révèlent que la plupart des personnes qui se livrent à la prostitution le font parce qu'elles y sont contraintes ou en raison de choix restreints et en dernier recours. La prostitution est foncièrement dangereuse; il s'agit de violence à l'égard des femmes et d'une forme d'exploitation systémique d'un grand nombre de femmes, d'enfants et d'hommes parmi les plus vulnérables de notre société. La prostitution ne peut être considérée comme sans danger ou comme un travail légitime, et ne peut non plus être acceptée comme solution à la pauvreté et à divers autres problèmes sociaux sous-jacents.
Nous félicitons le gouvernement de son bon travail dans l'élaboration du projet de loi ; il remet courageusement en question la présomption voulant que les hommes jouissent d'un droit d'accès sexuel au corps des femmes contre rétribution. Le projet de loi réfute carrément l'idée que l'achat de services sexuels est inévitable dans notre société. À cet égard, il représente un changement de paradigme en matière de lois et de politiques, et nous espérons qu'il favorisera aussi un changement dans l'attitude du public à l'égard de la prostitution.
L'AEC a préconisé ce changement, et nous sommes heureux qu'on en ait tenu compte non seulement dans le projet de loi, mais aussi dans les observations formulées par le ministre de la Justice lors de la présentation du projet de loi.
Dans le préambule, on reconnaît d'abord l'exploitation et les risques qui sont inhérents à la prostitution, les dommages sociaux causés par la chosification du corps humain et la marchandisation des activités sexuelles, et le fait que la prostitution porte atteinte à la dignité humaine et à l'égalité entre les sexes. On reconnaît également que les problèmes comme la pauvreté, la toxicomanie, la maladie mentale et la radicalisation sont les principaux facteurs qui incitent les gens à se livrer à la prostitution, et on souligne l'importance de dénoncer et d'interdire l'achat de services sexuels, car l'achat crée une demande de prostitution.
Ce positionnement change complètement la façon dont on a toujours traité la question de la prostitution. Les considérations juridiques et politiques liées à la prostitution ont longtemps porté presque exclusivement sur les personnes qui se prostituent et sur la façon de les traiter: comme une nuisance publique, une menace à la santé publique ou une source de perturbation au sein de la collectivité. On ne parlait pratiquement pas des acheteurs de services sexuels qui stimulent la demande, laquelle incite les personnes à se livrer à la prostitution et les y maintient.
Le projet de loi définit et cible correctement la force motrice sous-jacente à la prostitution et à la traite de personnes à des fins d'exploitation sexuelle. Il propose une nouvelle infraction qui criminalise l'achat ou la tentative d'achat de services sexuels. Si le projet de loi est adopté, l'achat de services sexuels serait illégal pour la première fois au Canada, et la conduite de l'acheteur serait illégale, peu importe où l'acte aurait lieu.
Le commerce du sexe est régi par les principes de l'offre et de la demande du marché. En l'absence d'une demande masculine d'accès sexuel tarifé à des femmes et à des filles, principalement, l'industrie de la prostitution ne pourrait ni prospérer ni se développer. Cette nouvelle infraction cible la cause profonde de cette exploitation et est assortie d'amendes importantes et de peines d'emprisonnement éventuelles. Des sondages menés auprès d'hommes qui achètent des services sexuels ont indiqué que ces mesures, ainsi que le risque d'être humiliés publiquement, seraient les moyens les plus efficaces de les dissuader de continuer à acheter des services sexuels.
Nous recommandons que les fonds provenant des amendes imposées aux termes du paragraphe 286.1(1) soient affectés à des services visant à aider les personnes à abandonner la prostitution. Nous avons des réserves quant à l'objectif de l'alinéa 286.1(1)b), qui offre la possibilité d'une infraction punissable sur déclaration de culpabilité par procédure sommaire, assortie d'amendes et de peines inférieures. Par souci de cohérence du message et de dissuasion, nous préférerions que toutes les infractions créées aux termes du paragraphe 286.1(1) soient considérées comme des actes criminels et visées par l'alinéa 286.1(1)a). Cependant, s'il est justifié de maintenir l'option d'une déclaration sommaire de culpabilité à la discrétion de la Couronne, nous recommandons que ce traitement ne soit possible que dans le cas d'une première infraction, et que les infractions subséquentes soient considérées comme des actes criminels.
Nous nous demandons également ce qu'il adviendra des programmes de rééducation comme les écoles pour les clients, qui remplissent une fonction importante de justice réparatrice. Les commentaires des acheteurs qui participent à ces programmes et les témoignages de ceux qui les gèrent indiquent que ces programmes jouent un rôle important en changeant la façon dont les acheteurs perçoivent la prostitution et que les taux de récidive parmi les participants sont relativement faibles.
Dans le contexte de la prostitution, tout le monde est perdant, y compris l'acheteur et, évidemment, sa famille. Nous souhaitons que toutes les parties puissent se réhabiliter et nous estimons que les écoles pour les clients jouent un rôle important à cet égard. Nous espérons donc que les provinces seront encouragées à maintenir leurs programmes destinés aux délinquants de la prostitution ou à en établir dans le cadre des peines imposées pour les infractions visées à l'article 286.1.
Bien que le programme de déjudiciarisation soit souvent une solution de rechange à une accusation criminelle lors d'une première infraction, il pourrait être rendu obligatoire, de sorte qu'en plus de l'amende de 1 000 $ imposée pour une première infraction, les acheteurs devraient suivre un programme de déjudiciarisation.
Le projet de loi enclenche également un changement radical dans la façon dont les personnes qui se prostituent sont considérées dans la loi. Les recherches et les témoignages anecdotiques révèlent qu'entre 88 et 96 % des personnes qui se prostituent ne le font pas par choix et qu'elles cesseraient de le faire si elles croyaient disposer d'une solution de rechange viable. Le projet de loi permet de reconnaître cette réalité et d'en tenir compte. Le gouvernement a clairement indiqué que selon l'esprit et l'intention du projet de loi, les personnes qui se prostituent ne sont plus considérées comme une nuisance, mais comme des personnes vulnérables; par conséquent, elles sont mises à l'abri des accusations criminelles, sauf dans des circonstances précises.
C'est là un changement important, que nous appuyons fortement. Cependant, nous nous préoccupons du fait que l'on conserve les alinéas 213(1)a) et b), qui traitent du fait d'arrêter un véhicule à moteur ou de gêner la circulation des véhicules ou des piétons, et qu'ils ne sont pas assortis de réserves par le nouveau paragraphe 213(1.1), qui érige en infraction le fait de communiquer avec quiconque dans un endroit public à des fins de prostitution où il est raisonnable de s'attendre à ce que des mineurs se trouvent à cet endroit ou à côté de cet endroit.
Nous comprenons que le gouvernement tente de trouver un juste équilibre entre la protection des personnes vulnérables qui se livrent à la prostitution et la protection des collectivités, en particulier les enfants, contre l'exposition à la prostitution. Là où il y a de la prostitution, il y a aussi des clients et des souteneurs, et l'objectif d'éviter d'exposer les enfants à la sollicitation des clients ou aux contacts avec les souteneurs est louable. Toutefois, le libellé actuel de l'article laisse une échappatoire assez importante qui pourrait nuire à l'intention de la loi de criminaliser principalement les activités des clients et des proxénètes.
De plus, selon notre interprétation, il semble que les seules personnes qui risquent d'être criminalisées en vertu de ces dispositions, ce sont les plus vulnérables, soit celles qui se livrent à la prostitution de rue, qui sont parmi les plus touchées par la pauvreté, le désespoir et les dépendances. La criminalisation des personnes vulnérables crée des obstacles à leur abandon de la prostitution et accroît les inégalités et la marginalisation qui les ont menées à cette situation.
Pour celles qui réussissent à quitter le milieu, le casier judiciaire constitue un obstacle important aux possibilités d'études ou d'emploi; bon nombre de celles qui ont retrouvé la santé et la liberté veulent revenir offrir leur aide.
Nous voulons restreindre au minimum la portée éventuelle de cet article, afin d'éviter de criminaliser les personnes qui se prostituent. La portée actuelle est beaucoup trop vaste, puisqu'on pourrait faire valoir que l'on peut raisonnablement s'attendre à ce qu'il y ait des mineurs à peu près n'importe où en public. Nous préférerions que l'article 213 soit supprimé ou considérablement restreint. Les infractions prévues aux paragraphes 213(1) et 213(1.1) sont punissables sur déclaration de culpabilité par procédure sommaire et peuvent mener, si j'ai bien compris, à des amendes maximales de 2 000 $, à des peines d'emprisonnement maximales de six mois, ou les deux.
Si l'article 213 n'est pas modifié de manière à limiter la possibilité de criminalisation, nous proposons que la peine liée à ces déclarations de culpabilité par procédure sommaire soit établie à un seuil très bas, sans possibilité d'emprisonnement, et qu'elle soit définie dans la loi afin que les personnes les plus vulnérables cessent de subir un préjudice indu.
En fin de compte, c'est principalement une question d'application de la loi. Comment pouvons-nous être certains que l'esprit et l'intention du projet de loi seront maintenus lorsqu'il s'agira d'appliquer la loi? Nous nous sommes rendus dans diverses régions du Canada pour tenir des forums informatifs publics sur la prostitution, en partenariat avec Defend Dignity, et je peux dire deux choses avec certitude. Il y a des policiers et des services de police qui respecteront, nous en sommes convaincus, l'esprit de cette loi. Mais malheureusement, en ce qui concerne d'autres services, nous n'en sommes pas si convaincus.
Le procureur général du Canada peut donner une orientation aux procureurs généraux provinciaux, qui orientent ensuite les organismes d'application de la loi dans leur province, mais en fait, la manière dont chaque service de police applique les lois est déterminée par le service lui-même, comme en témoigne le nombre de corps policiers au pays qui maintiennent déjà l'ordre d'une façon compatible avec le projet de loi .
Nous croyons que des formations normalisées devraient être offertes aux services de police, aux procureurs généraux provinciaux et aux avocats de la Couronne au sujet de la nouvelle façon de considérer la prostitution en vertu du projet de loi , afin de favoriser une application compatible avec l'intention du projet de loi.
Enfin, les modifications législatives proposées font partie de ce qui sera l'approche à deux volets adoptée par le gouvernement. Nous accueillons favorablement l'engagement initial de 20 millions de dollars pour financer les programmes de réinsertion et nous espérons que cela se traduira par un financement fédéral à long terme. Le gouvernement devrait aussi faire appel aux administrations provinciales, territoriales et municipales et à divers acteurs pour élaborer un plan national exhaustif visant à garantir la mise en place de programmes et de mécanismes de soutien pour empêcher les personnes vulnérables de commencer à se livrer à la prostitution et pour soutenir celles qui veulent s'en sortir.
Nous proposons qu'un tel plan soit intégré au Plan d'action national de lutte contre la traite de personnes.
Il est également important de régler les problèmes sociaux sous-jacents, comme la pauvreté et le manque de logements abordables, qui poussent les personnes vers la prostitution ou qui les rendent vulnérables à l'exploitation, car il est tout aussi important d'empêcher les personnes de s'engager dans la prostitution que d'aider celles qui veulent en sortir.
Merci.
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Merci, monsieur le président.
Je remercie le comité d'avoir accepté de nous entendre et d'entendre la parole des femmes que nous représentons.
À l'instar de plusieurs personnes, groupes et pays qui nous regardent et regardent ce que nous faisons au Canada, la Concertation des luttes contre l'exploitation sexuelle salue le choix que nous faisons de criminaliser l'achat d'actes sexuels au Canada. Nous considérons qu'il s'agit là d'une victoire abolitionniste, et non prohibitionniste, même si le projet de loi est imparfait. Ce projet de loi appelle la société canadienne à cesser de regarder la prostitution et l'industrie qui l'exploite comme une fatalité et un crime sans victimes. Pour la première fois dans l'histoire du droit canadien, un gouvernement nous invite à examiner la prostitution comme un crime contre la personne, une forme de violence envers les femmes qui est incompatible avec la recherche de l'égalité sociale, tout particulièrement le droit à l'égalité des femmes parmi les plus marginalisées.
La CLES existe depuis bientôt 10 ans. Depuis six ans, nous sommes quotidiennement en contact avec des femmes qui ont été ou qui sont impliquées dans la prostitution. Nous croyons en la nécessité de construire un monde sans prostitution. Nous offrons un soutien, un accompagnement et une écoute aux victimes d'exploitation sexuelle. Nous luttons avec elles pour assurer leur sécurité et faire reconnaître leurs droits, y compris le droit de ne pas être prostituée et le droit d'obtenir de l'aide pour s'en sortir lorsqu'elles le souhaitent.
Nous regroupons les femmes pour qu'elles deviennent actrices du changement qu'elles souhaitent dans leur vie et dans la vie des femmes autour d'elles. Nous faisons un travail de prévention pour contrer la banalisation de la prostitution et faire connaître ses répercussions sur la santé physique et mentale de celles aux prises avec cette réalité, mais aussi ses répercussions touchant à l'égalité pour toutes. Nous nous réclamons d'un mouvement international qui travaille d'arrache-pied pour dénoncer cette tradition séculaire et patriarcale qu'est la prostitution.
Je ne pourrai pas entrer dans les détails de ce mémoire, mais nous vous inviterons à regarder le projet de loi dans une perspective inscrivant l'action gouvernementale dans une visée de lutte contre la marchandisation des êtres humains et d'égalité pour toutes.
Nous nous attarderons d'abord sur le concept de sécurité. Selon nous, le jugement dans l'affaire Bedford avait une interprétation très étroite de la sécurité humaine décrite dans toutes les chartes de droits humains partout dans le monde. J'invite la société canadienne à ne pas adopter cette vision étroite. Le jugement dans l'affaire Bedford nous invitait à privatiser la sécurité des femmes oeuvrant dans le milieu de la prostitution. On propose aux femmes d'engager un chauffeur ou un protecteur, plutôt que de s'attaquer à l'origine de l'insécurité des femmes oeuvrant dans le milieu de la prostitution. Selon nous, il est inacceptable, comme société canadienne, de réduire la notion de sécurité à sa plus simple expression.
Comme d'autres l'ont fait avant nous, nous vous inviterons à refuser toute forme de criminalisation des personnes prostituées. Ma collègue Rose Sullivan pourra en parler plus particulièrement. La parole des femmes existe. Par contre, très souvent, quand les femmes oeuvrant dans le milieu de la prostitution critiquent la prostitution, ou quand celles qui en sont sorties parlent contre la prostitution, tout le monde réussit à rendre cette parole invisible et invalide.
Je vous invite à écouter ce qu'on dit les femmes oeuvrant dans le milieu de la prostitution. Au cours de la dernière année, la CLES a fait une recherche que nous pourrons vous faire parvenir. Après avoir parlé à 109 femmes dans six villes québécoises, on a découvert que 45 % d'entre elles étaient toujours actives dans l'industrie du sexe au moment où elles ont répondu au questionnaire ou ont participé aux entrevues et que, de ce groupe, 80 % souhaitaient quitter la prostitution mais ne connaissaient aucun organisme pouvant les aider à le faire. Il est important de tenir compte de cette parole.
D'autre part, parmi les 109 femmes ayant répondu au questionnaire, 90 % ont été ou étaient victimes de violence commise par des hommes de leur entourage immédiat, que ce soit des membres de leur famille, des clients ou des proxénètes.
Les femmes que nous rejoignons au quotidien, ainsi que celles ayant répondu à l'appel dans le cadre de notre recherche, réclament davantage de justice, de cohérence, de services et de reconnaissance puisqu'elles vivent, ou ont vécu, la forme de violence envers les femmes la plus banalisée et pourtant toujours taboue en 2014.
Bien que nous soutenions le projet de loi , un changement fondamental doit être apporté afin de concrétiser l'engagement de décriminaliser les victimes d'exploitation sexuelle. Le modèle nordique, ou modèle suédois, est composé de trois éléments indissociables. Le premier élément est la décriminalisation totale des femmes ou des personnes prostituées. Le deuxième élément est la criminalisation de l'achat d'actes sexuels. Le troisième élément est l'éducation, afin de changer les mentalités et la façon dont on perçoit la prostitution dans nos sociétés. S'il veut être un succès, le projet de loi doit tenir compte de ces trois éléments de façon absolue.
Je terminerai en disant que nous sommes à la croisée des chemins et que des choix s'imposent. Personne, ni aucun parti politique, ne peut esquiver la question fondamentale suivante: croyons-nous que la prostitution et l'exploitation sexuelle qui la sous-tend ont leur raison d'être dans notre société? Si la réponse est non, il nous faut agir et aller beaucoup plus loin que ce que propose le projet de loi C-36. Nous devons vouloir plus que la prostitution pour les femmes et nous devons vouloir davantage pour les femmes qui oeuvrent dans le milieu de la prostitution.
Nous soutenons évidemment l'attribution du montant de 20 millions de dollars. Ce n'est toutefois pas suffisant et nous aimerions sûrement qu'il y en ait davantage. Nous insistons surtout sur l'importance que cet argent soit attribué à des groupes qui travaillent dans une perspective visant l'atteinte des objectifs du préambule de la loi, c'est-à-dire d'arrêter de considérer la prostitution comme une fatalité et une chose qu'on ne peut pas changer.
Je ne peux que souligner de toutes les façons possibles qu'il existe présentement au Canada des organismes qui reçoivent de l'argent de gouvernements et de fondations et qui maintiennent les femmes dans la prostitution. Ces organismes leur disent que si elles n'aiment pas cette situation dans tel secteur, elles peuvent aller ailleurs ou devenir elles-mêmes proxénètes pour être plus heureuses. Il est important d'appeler un chat, un chat. Certains groupes maintiennent les femmes dans la prostitution. Le projet de loi C-36 nous invite à contrer ces tentatives de l'industrie de s'instaurer au Canada comme un commerce légitime. Vendre des services sexuels d'autrui est un acte illégitime et incompatible avec l'égalité entre les femmes et les hommes.
Je m'appelle Rose Sullivan. Je suis une survivante de la prostitution et une militante engagée à la CLES. Je travaille activement à l'élaboration d'un collectif d'aide aux femmes exploitées sexuellement et qui désirent s'en sortir.
J'ai été dans la prostitution pendant trois longues années au cours desquelles j'ai tenté de rendre mes activités sécuritaires parce que je tiens à la vie, entre autres parce que j'ai des enfants. Ce que mon passage dans le milieu de la prostitution m'a appris, c'est qu'il est impossible de se prostituer de façon sécuritaire. J'ai commencé à être une prostituée pro-travail du sexe et j'ai fini par devenir complètement abolitionniste et aussi complètement démolie. Mais maintenant, ça va mieux.
Je milite activement pour que la prostitution soit abolie. C'est pour cela que je suis tout à fait favorable au projet de loi . Cependant, il y a quelque chose qui me dérange, à savoir que certaines parties du projet de loi criminalisent encore les femmes. Or je considère qu'il est absolument primordial de ne pas criminaliser les femmes prostituées afin d'assurer leur sécurité et de les soutenir concrètement dans leur démarche pour sortir de la prostitution. Les criminaliser ne serait-ce qu'un peu ou seulement sur certains aspects, c'est rendre inutile tout le reste du travail. S'il y a la moindre façon de criminaliser ces femmes, les proxénètes et les divers groupes qui profitent de la prostitution des femmes auront encore des outils pour les effrayer, les manipuler, les faire chanter et les maintenir dans la prostitution. Il est extrêmement important que ces femmes ne soient pas d'aucune façon criminalisées.
C'est un non-sens de dire que nous sommes des victimes dans certaines situations et des criminelles dans d'autres. Selon moi, cette partie du projet de loi pourrait faire augmenter la prostitution dans les lieux où il y a des enfants, même si c'est ce qu'on essaie d'éviter, car les pimps pourront conserver leur pouvoir sur les femmes. Peu importe où ils vont les « pimper », ils seront en situation d'illégalité et il sera avantageux pour eux qu'elles le soient aussi. Ce projet de loi ne contribuera pas du tout à faire diminuer la prostitution dans les lieux où cela serait souhaitable, c'est-à-dire à proximité des enfants et des églises.
En tant que mère de trois enfants, je considère que les femmes qui se prostituent chez elles alors que leurs enfants se trouvent peut-être dans la chambre ou dans l'appartement d'à côté sont probablement celles qui ont le moins de choix. Ce sont les plus vulnérables d'entre toutes. On ne s'y prend pas du tout de la bonne façon pour aider ces femmes en les criminalisant encore plus que celles qui ont la chance de pouvoir se prostituer dans d'autres circonstances.
De toute façon, des enfants peuvent se trouver partout. Cette partie du projet de loi est extrêmement arbitraire. Les policiers et les municipalités pourront encore abuser facilement de leur pouvoir et criminaliser encore beaucoup trop de femmes.
Quand j'étais dans la prostitution, mis à part le fait de me faire agresser — ce qui est arrivé assez rapidement —, mes plus grandes craintes étaient de perdre la garde de mes enfants et d'avoir un dossier criminel. C'est vraiment là-dessus qu'ont joué les gens ayant réussi à me « pimper ». C'est avec cette façon de faire qu'ils ont réussi à m'effrayer et à me garder dans la prostitution beaucoup plus longtemps que ce que j'avais prévu au départ.
Une fois, un de mes clients est devenu violent et j'ai voulu arrêter de le rencontrer. Le pimp s'est alors servi de cet argument pour m'effrayer. Il m'a dit qu'il allait appeler la DPJ et la police. J'ai eu peur et j'ai donc continué de voir ce client. La journée où je n'ai vraiment plus été en mesure de tolérer sa violence et où j'ai osé recourir à la police, je n'ai pas reçu de service parce que la loi était trop floue et que les policiers ne savaient pas trop comment m'aider, même s'ils étaient conscients que j'avais besoin d'aide.
Je considère qu'il ne doit plus y avoir aucune zone floue dans la loi. Toute la législation en matière de prostitution doit être claire, nette, précise et facile à appliquer pour bien protéger les femmes et pour permettre à celles qui le veulent de s'en sortir.
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Sex Trafficking Survivors United est un organisme international dirigé par des survivantes. Nos 177 survivantes exhortent le Parlement canadien à prendre position contre l'exploitation des personnes jeunes, démunies et vulnérables par des personnes plus riches, plus âgées et plus puissantes. Adoptez le projet de loi .
Comme le savent toutes les survivantes, la majorité des personnes qui se prostituent en arrivent là parce qu'elles n'ont pas d'autre choix, ce qui ne fait que stigmatiser et piéger davantage la plupart des personnes exploitées sexuellement. Cela confère du pouvoir à leurs trafiquants et à leurs agresseurs tout en camouflant le fait que les personnes exploitées sont victimes de multiples crimes. Il s'agit d'une déclaration de notre fondatrice, Stella Marr.
Selon l'Unité des crimes sexuels du Service de police de Toronto, la moyenne d'âge est de 14 ans. Mon histoire, ma vérité est une histoire que l'on entend souvent. Quand j'ai commencé, j'avais presque 15 ans. Je venais d'une famille de classe moyenne vivant dans une banlieue de Calgary. Mon père était policier. Ma mère était gérante de boutiques de robes de mariées. Ma vie en apparence normale est soudain devenue risquée, et je suis partie. Ne sachant où aller pour obtenir de l'aide, j'ai passé des mois à dormir chez des connaissances, souvent affamée et apeurée. J'ai commencé à avoir des relations sexuelles à un jeune âge et je me donnais souvent librement en échange d'un endroit où dormir.
J'ai été initiée à la prostitution par des filles mineures de 14 et 15 ans; plus tard, un homme se faisant passer pour un gérant m'a offert une occasion de faire de l'argent. C'est là que j'ai fait connaître la prostitution à mes cinq amies mineures. Nous avons offert des services sexuels de façon indépendante durant quelques mois. Nous luttions contre les stéréotypes de la société selon lesquels nous étions des droguées, des criminelles et des déviantes sexuelles. Nous faisions de gros efforts pour ne pas alimenter ces stéréotypes en évitant de consommer des drogues dures ou d'avoir des souteneurs, mais nous avons chacune, l'une après l'autre, fini par avoir un souteneur et consommer des drogues. Ma meilleure amie a été assassinée. Un souteneur qu'elle ne connaissait que depuis trois mois, qui se faisait passer pour un garde du corps, lui a tiré une balle dans la tête.
Même si nous étions mineures, nous trouvions facilement du travail dans les agences d'escortes, par des annonces dans les journaux, au coin des rues, dans les salons de massage. Même si les endroits où se vendent les services sexuels varient, ce qui ne change pas, ce sont les hommes qui achètent des corps humains. La dynamique du pouvoir ne change pas. C'est un échange commercial qui repose sur le mensonge, l'inégalité entre les sexes et les menaces de violence. On l'appelle souvent « the game », car les deux parties luttent pour le pouvoir et le contrôle. Les personnes qui se prostituent ont besoin de sentir qu'elles ont le contrôle pour leur survie; quant aux acheteurs de services sexuels, c'est pour leur propre plaisir.
La plupart du temps, les actes de violence dont nous avons été victimes dans le milieu de la prostitution se sont produits après l'acte sexuel. Les hommes dépensaient leurs chèques d'aide sociale ou l'argent de leurs paiements hypothécaires pour avoir des relations sexuelles avec moi. Ils utilisaient l'argent prévu pour acheter les cadeaux d'anniversaire de leurs enfants ou de leur femme. Lorsque je n'étais plus un fantasme pour eux et que l'attrait était passé, je n'étais qu'une personne ordinaire et, dans certains cas, j'étais considérée comme un produit « jetable » par ces hommes.
Dans le milieu de la prostitution, j'ai rencontré des centaines de mineures avec qui j'ai vendu mes services. J'ai donné des conseils à plus de 1 200 femmes, transgenres et enfants prostitués. La plupart révèlent avoir commencé dans ce milieu durant leur enfance. L'exploitation sexuelle des enfants survient lorsqu'un adulte ou un jeune persuade un enfant de se livrer à une activité sexuelle, l'amène à le faire par la ruse ou l'y oblige. Cela comprend des actes sexuels, des attouchements, le fait de montrer de la pornographie à un enfant ou de le faire participer à la prostitution. Lorsqu'un adulte a une relation sexuelle avec un enfant ou un jeune, on considère cela comme de l'exploitation. Même si un enfant reçoit de l'argent pour des actes sexuels, il s'agit tout de même d'exploitation sexuelle.
Parlons maintenant de la pente dangereuse de la légalisation de la prostitution et des jeunes à risque. En 2011, le site Web Youthline a fait la promotion d'un atelier animé par un groupe en faveur de la prostitution, que vous entendrez sous peu, et destiné aux jeunes travailleurs du sexe. Cet atelier s'intitulait Hu$tle & Dough: Youth Sex Workers Build Power & Safety. Sachez que le mot Hu$tle s'écrit avec un signe de dollar. Il s'agit d'un groupe pour les mineurs et les jeunes de 16 à 24 ans. On y a discuté notamment de la façon d'être en contrôle au travail. Or, les enfants ont peu ou pas de contrôle lorsqu'ils sont exploités par des adultes.
Il était aussi question de la façon de subvenir à ses besoins sur le plan financier, physique et affectif. Montrer à des enfants à être des travailleurs du sexe, c'est de l'exploitation. Comment éviter les arrestations, c'est leur montrer comment éviter la police. Comment éviter le VIH... J'aurais peine à dire combien de clients ont retiré leur préservatif à mon insu, l'ont percé ou m'ont offert 20 ou 1 000 $ pour une fellation sans préservatif.
Cet atelier a été préparé par une travailleuse du sexe en activité qui est elle-même entrée dans ce milieu lorsqu'elle était jeune. J'en ai fourni des exemplaires au président.
Pour les femmes et les enfants, ne pas être vendus aux hommes est un droit de la personne fondamental. Aucun enfant ni aucune femme ne devraient être obligés d'accepter la violence pour survivre, quelles que soient les circonstances. Il est essentiel de souligner que dans la cause Bedford, tous les déposants d'expérience, sauf un, sont entrés dans le milieu de la prostitution étant enfants. L'autre déposant a admis y avoir été contraint.
Étant donné que la plupart des femmes et des hommes qui se livrent à la prostitution ont commencé à le faire étant enfants, on peut à juste titre présumer que beaucoup de ces personnes n'ont pas eu d'exemples de situations saines et n'ont donc pu établir de comparaisons qu'avec la prostitution. Voilà pourquoi des gens comme moi, qui ont une expérience réelle du milieu, n'ont pas été surpris, en juillet 2012, lorsque l'Adult Entertainment Association of Canada a menacé de recruter des élèves du secondaire en affirmant que cela les aiderait à payer leurs études universitaires. En réalité, l'association faisait la promotion d'une industrie qui tire profit de la demande des hommes pour de jeunes corps.
Un jour, au début de ma transition pour sortir de l'industrie du sexe, une personne qui m'a grandement inspirée à devenir ce que je suis aujourd'hui — je suis diplômée du collège et de l'université, j'enseigne en techniques policières au niveau collégial, je suis fondatrice d'un organisme et je siège au conseil de Sex Trafficking Survivors United... J'étais sortie du milieu depuis deux ou trois ans et j'avais beaucoup de difficultés. Je me tenais responsable de bon nombre d'expériences que j'avais vécues. Elle m'a dit ceci: « Pour qu'une chose constitue un choix réel, il faut une autre option de valeur égale ou supérieure. »
Il n'existe aucune description de tâche qui correspond adéquatement aux expériences que j'ai vécues dans le milieu de la prostitution. J'ai vendu mes propres services sexuels et j'ai aussi été forcée à le faire par de soi-disant gardes du corps. Mon souteneur s'est fait tirer dessus par un autre souteneur en tentant de me protéger. Il a aussi asséné sept coups de couteau à un homme qui m'avait attaquée. Il m'en faisait porter la responsabilité en me faisant croire que je lui devais la vie parce qu'il m'a protégée. Il m'a brûlée avec des cigarettes et fracturé des os; il me battait régulièrement. J'étais conditionnée à ne pas appeler la police. J'obtempérais, de crainte de perdre mon travail, le seul travail que je connaissais.
Ce ne sont pas les lois qui m'empêchaient d'appeler la police, mais les souteneurs et les propriétaires des maisons de débauche, car ils ne voulaient pas que l'attention que porteraient les services de police à leurs commerces éloigne les acheteurs de services sexuels. Lorsque nous nous tournions vers la police, on nous traitait de traîtresses et de délatrices. Par conséquent, les incidents violents étaient traités à l'interne.
En Allemagne, ce mois-ci, une prostituée a été assassinée dans un bordel. C'était le 22e meurtre depuis la légalisation complète de la prostitution, en 2002. En Suède, où le modèle nordique a été adopté en 1999, le seul meurtre d'une prostituée est survenu en 2013, et il n'est pas certain que ce soit lié à la prostitution.
Sex Trafficking Survivors United recommende que le gouvernement augmente le montant de 20 millions de dollars versés aux organismes de survivantes comme le nôtre afin d'aider les gens — nos soeurs — à sortir de cette industrie souterraine dangereuse, obscure et lucrative.
Nous recommandons la révision de l'article 213 et l'élimination de toute criminalisation des personnes qui se livrent à la prostitution. Les femmes qui ne sont pas en mesure de se protéger elles-mêmes et de protéger leurs enfants sont incapables de protéger les autres enfants de la collectivité.
J'ai fourni de plus amples détails dans le mémoire que nous avons présenté en collaboration avec le London Abused Women's Centre. La directrice du centre témoignera au comité un autre jour.
J'aimerais vous remercier au nom des survivantes du monde entier qui appuient ce projet de loi. Nous reconnaissons l'importance historique liée au fait que le gouvernement prend acte de cette forme de violence commise par les hommes contre les prostituées. Le témoignage que je vous ai présenté aujourd'hui démontre clairement que le gouvernement adopte la bonne approche pour protéger les personnes les plus vulnérables de la société. Les survivantes du monde entier vous en sont très reconnaissantes.
J'aimerais exprimer ma gratitude la plus profonde à la députée Joy Smith et au d'avoir écouté les survivantes. Ce n'est pas pour rien que nous sommes si nombreuses à dénoncer la prostitution.
Merci.
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Bonjour. Je m'appelle Jean McDonald. Je suis la directrice de Maggie's: The Toronto Sex Workers Action Project, un organisme créé pour les personnes qui travaillent dans l'industrie du sexe et dirigé par ces personnes. C'est le plus vieil organisme du genre au Canada.
Notre mission est d'aider les travailleuses du sexe dans les efforts qu'elles déploient pour vivre et travailler dans un milieu sécuritaire et dans la dignité. Maggie's est un organisme axé sur la réduction des préjudices dont le financement provient principalement du ministère de la Santé et des soins de longue durée de l'Ontario. Nous offrons un éventail d'articles visant la diminution des risques liés aux pratiques sexuelles et à l'usage des drogues, de la formation et du soutien. Au cours de la dernière année, nous avons fait plusieurs milliers d'interventions auprès de clients. Notre travail en est un de première ligne et notre clientèle est principalement formée de personnes qui travaillent dans la rue, dont beaucoup sont des personnes à faible revenu, des Autochtones, des personnes racialisées et des personnes transgenres.
Depuis la présentation du projet de loi, nous avons mené beaucoup de consultations auprès de nombreux utilisateurs de services, qui ont rejeté ce projet de loi à l'unanimité. Ils estiment qu'il ne permettra pas d'assurer leur sécurité. Ils croient plutôt qu'ils seront encore plus en danger et que cela perpétuera l'épidémie de violence contre les personnes qui travaillent dans l'industrie du sexe au Canada. Ils sont très inquiets pour leur propre sécurité et ils craignent que beaucoup de leurs amis disparaissent ou soient victimes d'agressions, de viol ou de meurtre.
Recréer dans le projet de loi les mêmes défauts qu'avait l'ancienne mesure législative qui a été invalidée par la Cour suprême continuera de permettre à des prédateurs violents comme Robert Pickton de s'en prendre aux travailleuses du sexe qui ont été repoussées vers des secteurs moins fréquentés de la ville, ce qui les empêche de présélectionner les clients et de collaborer. Voilà pourquoi beaucoup de gens ont commencé à appeler le projet de loi C-36 le « modèle Pickton ».
Dans le cas présent, le débat ne devrait pas porter sur le choix ou sur la question de savoir si les personnes qui travaillent en industrie du sexe sont victimes de violence. Nous savons qu'ils sont victimes de violence. Nous voulons nous attaquer à cette violence. Le débat devrait plutôt porter sur la meilleure façon d'assurer la sécurité et l'accès des travailleuses du sexe à des services comme les services de police, si nécessaire.
Ce n'est pas ce que fait le projet de loi . En rendant la prostitution illégale, comme l'a confirmé ce matin, les travailleuses du sexe sont pénalisées directement et indirectement. La criminalisation engendre l'isolement qui, à son tour, accroît la vulnérabilité à la violence, à l'exploitation et aux mauvais traitements. Au lieu de chercher à éliminer la stigmatisation liée à la prostitution et de considérer que les gens qui travaillent dans ce milieu font partie de la société canadienne, le projet de loi C-36 aura l'effet suivant: il sera difficile et dangereux pour les travailleuses du sexe de chercher à obtenir de l'aide auprès d'organismes communautaires, de parents et d'amis ou même de la police. En fait, le paragraphe 213(1.1) proposé, qui criminalise la communication, accordera aux services de police des pouvoirs considérables leur permettant de cibler et de harceler les travailleuses du sexe. La communication est l'un des éléments essentiels qui permettent aux travailleuses du sexe de la rue de présélectionner leurs clients, de voir si le client est intoxiqué ou à jeun, de discuter des tarifs, des services et des pratiques sexuelles protégées.
Comme des études réalisées en Suède l'ont démontré, la criminalisation de l'achat de services sexuels n'a pas pour effet de protéger les travailleuses du sexe et de réduire la demande. Lorsqu'ils sont criminalisés, les clients sont moins susceptibles d'aider les travailleuses du sexe qui pourrait être exploitées ou victimes de violence, car ils craignent d'être arrêtés. De plus, la criminalisation de l'achat de services sexuels entraîne nécessairement la criminalisation de la vente de services sexuels.
Il a été démontré que la capacité de travailler à l'intérieur accroît le contrôle qu'ont les travailleuses du sexe sur leurs conditions de travail et sur la négociation de rapports protégés. Or, le projet de loi entrave la capacité de travailler l'intérieur parce qu'il interdit la publicité et criminalise l'achat de services sexuels. Au lieu de criminaliser la prostitution, le gouvernement du Canada devrait tenir compte de ce que les travailleuses du sexe disent depuis plus de 30 ans et de ce qui fait l'unanimité chez les groupes de travailleuses du sexe de partout dans le monde comme étant ce qui permettra d'accroître la sécurité des travailleuses du sexe: la décriminalisation.
Les régimes de décriminalisation — comme la Prostitution Reform Act 2003, en Nouvelle-Zélande —, offrent aux travailleuses du sexe les mêmes mesures de protection des travailleurs et les mêmes garanties juridiques qu'à tout autre citoyen du pays. Les études sur la décriminalisation menées en Nouvelle-Zélande ont démontré qu'elle entraîne une amélioration des conditions de travail, une réduction de la violence et accroît la capacité des travailleuses du sexe d'exiger des rapports protégés.
Le Code criminel comporte déjà des dispositions sur le travail forcé, la séquestration, le kidnapping, l'agression sexuelle, le viol au sens de la loi, le vol et l'agression physique. La décriminalisation de la prostitution n'aurait aucune incidence sur ces aspects très importants du Code criminel. En fait, la capacité des travailleuses du sexe d'invoquer ces dispositions et de poursuivre les gens qui pourraient commettre ces actes contre elles serait accrue.
Chez Maggie's, nous sommes d'avis que le projet de loi doit être entièrement rejeté et remplacé par un système de décriminalisation qui offrirait aux personnes qui travaillent dans l'industrie du sexe les mêmes droits du travail, les mêmes garanties juridiques et les mêmes droits de la personne qu'à tout autre Canadien.
Nous sommes favorables à l'idée de passer d'une mesure législative moralisatrice à une mesure législative fondée sur les droits de la personne et sur des normes liées à la santé et à la sécurité. Chez Maggie's, nous considérons la décriminalisation de la prostitution comme un élément essentiel de notre stratégie globale de réduction des préjudices.
Merci.
Je m'appelle Chanelle Gallant. Je suis une ancienne employée de Maggie's: The Toronto Sex Workers Action Project. Je remplace Monica Forrester, une de nos employées, qui n'a pu se joindre à nous.
Monica est une travailleuse du sexe autochtone. Elle devait être ici, mais en fin de semaine dernière, une de ses amies proches — qui est aussi une travailleuse du sexe autochtone — a été arrêtée et accusée de communication en vue de se livrer à la prostitution. Monica a dû rester à Toronto pour aider son amie et payer sa caution.
Je crois que Monica était la seule travailleuse du sexe autochtone en activité qui devait témoigner devant le comité. Veuillez me corriger si je me trompe. Je vais présenter son exposé parce que nous ne voulons pas que la criminalisation de la prostitution réduise au silence les femmes que nous devons entendre. Voici donc l'exposé de Monica Forrester.
Je m'appelle Monica Forrester. Je suis une femme racialisée de la réserve de Curve Lake, en Ontario. Je suis une femme transgenre et je suis travailleuse du sexe dans les rues depuis 25 ans. J'ai fait l'objet de stigmatisation en raison de mon identité, de ma race et de ma classe sociale. Je suis ici pour vous parler des personnes qui travaillent dans l'industrie du sexe par choix, parce qu'elles y sont contraintes ou en raison de leur situation économique.
J'ai été sans-abri pendant de nombreuses années. Je n'avais d'autre choix que de me livrer à la prostitution si je voulais survivre, obtenir les nécessités de subsistance et faire partie de la communauté. C'est dans l'industrie du sexe que j'ai pu tisser des liens avec des personnes qui, comme moi, ont fait l'objet de discrimination. J'ai maintenant un diplôme collégial et je suis une travailleuse des services d'approche auprès de groupes marginalisés pour les amener à tisser des liens et favoriser leur autonomisation et leur sécurité.
Beaucoup de personnes ne comprennent pas la prostitution de rue et l'incidence que le projet de loi aurait sur nous. Certaines personnes travaillent dans la rue parce qu'elles sont pauvres et qu'elles n'ont pas d'argent pour acquérir des biens, comme un téléphone ou un ordinateur, ou encore pour payer un logement. D'autres sont sans abri et n'ont pas d'autres façons de gagner l'argent. Pour certaines femmes, comme les mères monoparentales, les services sociaux sont loin d'être suffisants. En Ontario, le programme Ontario au travail offre 718 $ aux personnes monoparentales, mais à Toronto, le loyer moyen d'un logement à une chambre est d'environ 1 000 $ par mois. Les personnes monoparentales qui se livrent à la prostitution pour assurer la subsistance de leur famille ne veulent pas travailler à la maison puisque leurs enfants y vivent. Donc, certaines choisissent de travailler dans la rue.
Les femmes autochtones des régions éloignées travaillent le long des autoroutes pour se rendre d'une ville à l'autre. Dans un contexte de survie, ces femmes doivent se livrer à la prostitution pour assurer leur subsistance et celle de leurs enfants. Au sein de leur collectivité, elles font l'objet d'une stigmatisation accrue en raison de la colonisation continue. Le colonialisme les a déjà réduites au silence par rapport à la sexualité et le travail du sexe ne fait qu'ajouter à la stigmatisation et à l'isolement dont elles font l'objet dans leurs collectivités.
Les femmes autochtones de Vancouver qui ont été tuées par Robert Pickton venaient d'un peu partout, mais elles s'étaient rendues dans les rues du centre-ville pour se livrer à la prostitution afin de survivre. Il y a au Canada des gens dont la langue maternelle n'est pas l'anglais — des migrants, des nouveaux arrivants. Pour ces personnes, faire de la publicité est difficile, voire impossible. Toutefois, lorsqu'elles sont dans la rue, elles font de la publicité et elles peuvent négocier à l'aide de quelques mots d'anglais.
Le projet de loi n'aide pas ces gens, ni les personnes qui travaillent dans l'industrie du sexe, y compris celles qui n'ont pas d'autre choix. Puisqu'on ne leur garantit pas des droits fondamentaux de la personne, beaucoup de femmes transgenres comme moi ne peuvent trouver un emploi. Récemment, l'une de ces femmes m'a posé des questions sur ces nouvelles lois. Elle se demandait comment elle pourrait payer son loyer ou fréquenter un collège ou suivre un programme de transition afin de trouver un autre emploi. Cette semaine, une femme de 50 ans qui s'est livrée à la prostitution pendant toute sa vie adulte s'est présentée chez Maggie's pour avoir des articles visant la diminution des risques liés aux pratiques sexuelles. Elle se demandait qui l'engagerait. La prostitution est le seul travail qu'elle ait connu. Devrait-elle maintenant se résoudre à demander de l'aide sociale?
Le projet de loi réduira au silence les travailleuses du sexe qui sont victimes de violence. Je suis une travailleuse du sexe et une travailleuse des services d'approche qui compte 20 ans d'expérience. J'ai personnellement fait l'expérience de toutes ces situations. Lorsque l'on accroît les activités policières et la surveillance, les travailleuses du sexe sont isolées des personnes qui offrent des services essentiels et cet isolement les rend vulnérables. Parmi ces services, notons la formation sur les pratiques sexuelles moins risquées, les lieux de travail plus sécuritaires, les lois, les services policiers et la communauté. Les gens de la rue forment une communauté en soi où les liens peuvent être très étroits. Nous nous transmettons des informations parce que nous avons besoin les uns des autres. Le projet de loi changera la donne, parce que les gens craindront davantage d'échanger des renseignements et de s'entraider. Nous devrons accepter n'importe quel client et nous n'aurons pas la possibilité d'assurer pleinement notre sécurité.
Les services de police repousseront les prostituées de rue loin des secteurs résidentiels en raison de l'interdiction de se trouver à proximité de toute personne de moins de 18 ans. Cela entraînera une augmentation de la surveillance et du harcèlement dans le secteur résidentiel. Les groupes marginalisés — comme les personnes racialisées, les femmes transgenres, les femmes autochtones et les femmes bispirituelles — sont plus susceptibles de travailler dans la rue, et en vertu de ce projet de loi, elles feront l'objet d'une criminalisation extrême.
Avec l'avènement d'Internet, beaucoup de travailleuses du sexe se livrent à la prostitution à l'intérieur. Toutefois, la criminalisation de la publicité les obligera à retourner dans la rue. Elles seront ainsi exposées à des risques, puisqu'elles n'ont aucune connaissance des mesures de sécurité à prendre dans la rue. Tous ces facteurs réunis entraîneront une augmentation de la violence, des meurtres et de l'incidence du VIH/sida au sein de notre communauté.
Je recommanderais que l'affectation de 20 millions de dollars visant à aider les prostitués à abandonner le métier servent à offrir du soutien direct aux travailleurs du sexe sans exiger qu'ils quittent l'industrie, ce que bon nombre d'entre eux ne peuvent ou ne veulent pas faire. Il faut que les lois nous permettent de travailler en sécurité et dans la dignité, de faire nos propres choix, en nous autorisant par exemple à annoncer nos services, à engager du personnel de sécurité et à travailler avec des collègues. Nous avons besoin d'organismes favorables aux travailleurs du sexe, comme Maggie's, qui nous aident à assurer notre sécurité, notre santé et notre bien-être. La décision de la Cour suprême devrait être respectée, car cette dernière a constaté qu'il est nécessaire de décriminaliser tous les travailleurs du sexe, qu'ils travaillent dans le domaine par choix, par contrainte ou en raison de leur situation économique.
À l'heure actuelle, si nous sommes victimes de violence, nous ne pouvons nous adresser à la police parce que nous serons fichés dans le système. Je n'ai jamais pu demander l'aide de la police, même après une agression sexuelle. À l'époque, j'avais suivi le programme de déjudiciarisation obligatoire après avoir été arrêtée pour prostitution et je savais que je risquais l'incarcération si on découvrait que je travaillais dans le domaine du sexe; ainsi, même si j'avais été violée, je n'ai pas appelé la police. Le projet de loi ne m'aurait été d'aucune aide alors et il ne m'aidera pas maintenant.
Je vous demanderais de reconsidérer le projet de loi et d'envisager les conséquences horribles qu'il aura sur les travailleurs du sexe les plus marginalisés du Canada. Le sort des travailleurs du sexe repose entre vos mains.
Merci.
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Ce sont là de grandes questions.
À l'automne, lors de la rencontre des ministres à Whitehorse, j'ai indiqué au nom du ministre que le modèle nordique constituait la voie à suivre. J'ai écrit au au début de février. Je sais que j'ai discuté de la question avec la députée Joy Smith. J'ai veillé à ce que chaque député du Manitoba reçoivent un exemplaire de la lettre. ne s'est pas manifesté depuis que la lettre a été envoyé au début de février.
Pour ce qui est des services nécessaires pour aider les victimes d'exploitation sexuelle à abandonner le métier, c'est une entreprise difficile en raison du traumatisme qu'elles ont vécu. Notre mémoire est accompagné du document sur le Tracia's Trust, qui résume les diverses mesures que prend le Manitoba. Il n'existe pas de simple panacée. Dans bien des cas, les gens peuvent souffrir de traumatismes physiques, à l'instar des soldats qui reviennent de la guerre. D'autres sont aux prises avec des problèmes de dépendance ou de santé mentale.
Nous avons constaté à quel point il est utile — comme nous l'avons peut-être mieux compris cet après midi, je crois — d'avoir des personnes d'expérience, qui possèdent la crédibilité pour parler de leur vie et qui pourraient être les mieux habilitées à travailler avec les gens pour tenter d'apporter un changement.
Nous offrons le programme de déjudiciarisation. Il ne dure que trois jours et est offert par l'Armée du Salut. Nous avons l'intention de poursuivre ce programme. Peu importe la teneur du projet de loi , il ne permettra pas à lui seul d'accomplir des miracles. Nous ne réussirons pas à permettre à une personne exploitée sexuellement de changer de vie en l'espace de trois jours, comme par magie. Mais si ces personnes peuvent assister au camp, se laver, manger convenablement, dormir, ce qui leur est souvent impossible, puis d'avoir l'occasion d'entrer en contact avec les divers organismes qui peuvent les aider à faire le choix de changer de vie, alors nous aurons accompli un pas en avant. Mais ce n'est pas facile.
Sans vouloir être désinvolte, je ferais remarquer que si les fonds sont affectés par habitant, l'argent que le Manitoba recevra chaque année pourra peut-être nous permettre d'aider une ou deux personnes, et nous savons que la demande est de loin supérieure. Il s'agit de gens qui ont énormément souffert.
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Merci, monsieur le président.
Tout d'abord, par courtoisie envers mes collègues du comité et les témoins, je présente mes excuses pour être arrivé en retard à la séance. M. Dechert, M. Scott et moi-même étions à l'émission Power & Politics pendant l'intersession. Voilà qui explique notre léger retard.
Monsieur le ministre, je suis arrivé au milieu de votre exposé; je ne l'ai donc pas entendu en entier, mais je l'avais lu à l'avance.
Nous entendons maintenant le deuxième groupe de témoins de la journée, et même si les avis sont fort divergents aujourd'hui, tous les témoins, à l'exception de et des fonctionnaires du ministère de la Justice, s'entendent sur un point. Walk With Me Canada Victim Services, l'Alliance canadienne pour la réforme des lois sur le travail du sexe, la Criminal Lawyers' Association, Mme Janine Benedet et M. John Lowman ont tous convenu, comme chacun d'entre vous l'avez fait dans votre témoignage d'aujourd'hui, que la criminalisation des travailleurs du sexe en vertu des dispositions sur la communication est problématique et devrait être amendée ou complètement éliminée. C'est un point de consensus pour tous les témoins, exception faite du ministre et de ses fonctionnaires, qui ont comparu aujourd'hui.
Je veux m'adresser à Mme Beazley et à Mme Matte en premier, parce que je sais que vos organisations ont effectué des enquêtes exhaustives sur les modèles mis en oeuvre dans d'autres pays. Ici, nous entendons constamment parler du modèle nordique. Nous savons que cette approche criminalise les acheteurs, mais le projet de loi dont nous sommes saisis criminalise non seulement les acheteurs, mais également les fournisseurs et la publicité dans bien des cas.
Plus tard cette semaine, nous entendrons le témoignage d'un dénommé José Mendes Bota, qui a été rapporteur de l'Assemblée parlementaire du Conseil de l'Europe. Il a lui aussi réalisé une enquête approfondie des divers modèles adoptés dans le monde, et dans son rapport, il décrit un système prohibitionniste qui interdit la prostitution en criminalisant tous les aspects, y compris la vente de services sexuels et toutes les personnes concernées. Il indique qu'un certain nombre de pays européens ont adopté cette approche, notamment l'Albanie, la Croatie, la Roumanie, la Fédération de Russie, la Serbie et l'Ukraine.
Voici la question que je vous poserais, madame Beazley et madame Matte. Compte tenu de toutes les mesures que le projet de loi ajoute au modèle nordique, ne sommes-nous pas en fait plus près d'un modèle prohibitionniste avec ce projet de loi?
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Absolument. Comme je l'ai dit, nous travaillons avec de nombreux travailleurs du sexe de la rue. Nous avons un centre d'accueil où ils peuvent obtenir de la nourriture et des accessoires qui rendent les pratiques sexuelles et l'utilisation de drogues plus sécuritaires.
Les gens étaient préoccupés par le contenu du projet de loi, et nous avons pensé que ce serait une excellente idée d'offrir un atelier de formation au cours duquel on expliquerait le projet de loi. Nous avons dit à ces gens que nous allions comparaître devant vous, et nous leur avons demandé leur avis et quelles seront, selon eux, les répercussions du projet de loi sur les activités quotidiennes des travailleurs du sexe de la rue.
Ces personnes étaient inquiètes. Elles ne pensent pas du tout que le projet de loi les protégera, car lorsqu'on est criminalisé, il devient très difficile d'avoir accès aux services de police. Comme Monica l'a dit dans son témoignage, étant donné qu'elle était criminalisée, elle ne se sentait pas en mesure de communiquer avec la police lorsqu'elle a été victime d'une agression sexuelle violente.
Lorsque je suggère la décriminalisation comme solution de rechange, ce que je veux dire, c'est que j'aborde la prostitution de façon pragmatique. Je dis qu'elle existe dans notre monde actuel, et qu'elle existe depuis des milliers d'années, et même depuis plus longtemps. Elle ne disparaîtra pas d'un seul coup, et c'est certainement ce qu'on constate en Suède, d'où vient ce soi-disant modèle nordique.
L'approche que j'adopte à l'égard de la prostitution est une approche pragmatique, et elle ne se fonde pas sur des considérations morales dont les gens se servent pour trouver cette activité répugnante. Non, cela se produit, et oui, pour certaines personnes, c'est répugnant. Mais quelles sont les meilleures façons d'entrer en communication avec les travailleurs du sexe pour les aider?
J'expliquais l'objectif de la Prostitution Reform Act de la Nouvelle-Zélande. Cette loi contient une disposition qui prévoit qu'elle doit être assujettie à un examen après avoir été en vigueur de trois à cinq ans. Après cinq ans, une étude menée par le ministère de la santé publique de la Nouvelle-Zélande a déterminé que dans l'ensemble, la PRA avait atteint son objectif de façon efficace. On a conclu que l'industrie du sexe n'avait pas gagné en importance, et que de nombreux maux sociaux prévus par ceux qui étaient contre la décriminalisation ne s'étaient pas concrétisés.
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Pourrais-je ajouter quelque chose, Craig?
Étant donné que nous entendons beaucoup parler de ces 20 millions de dollars versés dans les écoles de réhabilitation pour les clients et les programmes de diversion, etc., j'aimerais ajouter au compte rendu — pour réitérer le témoignage de Monica Forrester, qui a été violée pendant qu'elle participait à un programme de diversion et qu'elle ne pouvait pas avoir accès au soutien de la police — que ce dont nous parlons dans ce cas-ci, c'est d'un système qui continue de criminaliser les travailleurs du sexe. En effet, on ne peut pas criminaliser l'achat de services sexuels sans criminaliser la vente de ces services.
Nous avons entendu quelques commentaires selon lesquels la publicité serait protégée. Ce n'est pas ce que nous entendons de la Pivot Legal Society et du Réseau juridique canadien VIH-sida, qui ont souligné que le projet de loi criminalise les tierces parties qui font de la publicité pour les services des travailleurs du sexe. Je ne vois donc pas comment on peut faire de la publicité sans avoir recours à une tierce partie. Cela s'applique aux travailleurs de l'intérieur.
Toutefois, les travailleurs de l'extérieur continuent d'affirmer qu'ils ne peuvent pas appeler la police dans ce type de situation, car la police ne représentera pas un service de soutien pour eux, car ils font face à... Nous parlons de travailleurs du sexe comme Monica et d'autres qui sont les plus vulnérables. Ils nous disent que ces programmes ne les protégeront pas de la violence, des sévices sexuels, du VIH et du sida et, qu'en fait, ils auront l'effet contraire.
J'aimerais préciser que ce projet de loi causera des dommages. Des travailleurs du sexe seront battus, violés et assassinés à cause de ce projet de loi, et il fera augmenter les cas de VIH et de sida, et nous serons de retour lorsque cela se produira, car nous tiendrons le Parlement partiellement responsable de ces résultats qui accableront la communauté des travailleurs du sexe.