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Bonjour, tout le monde. Bienvenue à Montréal.
Nous sommes ici conformément à l'ordre de renvoi du mercredi 13 décembre 2017 et à l'article 92 de la Loi sur le droit d'auteur pour procéder à son examen prévu par la Loi.
Aujourd'hui, à notre première séance, nous recevons M. Richard Prieur, directeur général de l'Association nationale des éditeurs de livres; M. Guillaume Lecorps, président de l'Union étudiante du Québec; M. Benoit Prieur, directeur général de l'Association des distributeurs exclusifs de livres en langue française.
Vous n'êtes pas des frères? Non.
Nous recevons également, du Secrétariat général de l'Université Concordia, M. Nicolas Sapp, avocat et associé chez ROBIC.
Vous aurez chacun de cinq à sept minutes pour la présentation. Ensuite, il y aura la période des questions. Vous pouvez parler en français ou en anglais, car nous avons des interprètes.
Nous allons commencer par le directeur général de l'Association nationale des éditeurs de livres, M. Richard Prieur.
Vous avez sept minutes.
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Vous me rassurez, monsieur le président, parce que je croyais que je n'avais que cinq minutes. Je vais donc parler un peu moins vite.
Monsieur le président, mesdames et messieurs les membres du Comité, je vous remercie de l'invitation qui nous a été faite de venir témoigner devant vous aujourd'hui.
Je suis le directeur général de l'Association nationale des éditeurs de livres, l'ANEL, qui représente une centaine de maisons d'édition canadiennes de langue française de toutes tailles établies dans quatre provinces canadiennes.
Je suis accompagné de la présidente, Mme Nicole Saint-Jean, et de Mme Éveline Favretti, qui est chargée de projet à l'ANEL.
Les éditeurs francophones du Canada publient plus de 6 000 titres annuellement allant du roman au guide pratique, en passant par la poésie, l'essai, le manuel scolaire et scientifique ainsi que le livre d'art.
Historiquement, l'ANEL a toujours demandé une réaffirmation et un renforcement du droit d'auteur au pays et réclamé que notre loi s'harmonise avec les tendances mondiales pour que les créateurs puissent s'appuyer sur un cadre légal leur assurant la stabilité nécessaire pour innover dans la création, la production et la diffusion de livres canadiens.
En 2012, nous proposions plusieurs amendements dans notre mémoire au comité législatif chargé du projet de loi . Aucun de ces amendements n'a été retenu. Espérons que notre démarche d'aujourd'hui sera plus féconde. Souhaitons que les gens du milieu de la culture soient mieux écoutés cette fois-ci et que le ministère du Patrimoine canadien s'engage de façon énergique dans ce processus de révision.
À cet effet, nous avons demandé à plusieurs reprises, depuis 2012, que ce ministère commande une étude complète des impacts de la révision de la Loi sur le droit d'auteur. Il semblerait que cette étude soit en train de se réaliser. Nous déplorons seulement le fait que nous ne risquions d'en prendre connaissance qu'une fois consommée cette série de consultations.
J'aimerais aborder brièvement quelques points avec vous. Tout d'abord, je ferai une lecture de l'impact de cette loi à l'étranger, à la lumière des vertus de la diplomatie culturelle. Ensuite, je vous donnerai un exemple de ce que cette loi n'a pas accompli et de ce que cette loi a réussi à accomplir en matière de dommages. Je terminerai par ce que nos éditeurs souhaitent voir naître à la suite de cet exercice.
La loi canadienne à l'international est un exemple à éviter à tout prix. L'ANEL est présente à plusieurs salons à l'international et, depuis plus de 30 ans, à la prestigieuse Foire du livre de Francfort, où le Canada sera le pays à l'honneur en 2020.
Nous faisons dans la diplomatie culturelle, mais, partout où nous allons ces temps-ci, surtout en Europe, nous ressentons l'immense inquiétude de nos hôtes quant aux dommages causés par la loi canadienne. On la critique unanimement, qu'il s'agisse du Syndicat national de l'édition, en France, de la Fédération des éditeurs européens, de la Fédération internationale des organismes gérant les droits de reproduction, l'IFRRO, qui regroupe des sociétés de gestion collective de partout sur la planète, ou de l'Union internationale des éditeurs, dont nous sommes membres et dont vous entendrez demain le vice-président, je crois.
La loi canadienne est l'exemple à ne pas suivre. Pire, elle contamine le milieu en inspirant à plusieurs autres pays l'idée de proposer des exceptions à la violation du droit d'auteur, comme bien sûr l'utilisation équitable à des fins d'éducation.
Ce que la loi de 2012 n'aura pas réussi à accomplir, par exemple, c'est freiner le piratage. Non seulement le piratage prolifère, mais les outils mis en place pour effrayer les contrevenants sont inefficaces. En laissant reposer le fardeau de la preuve sur les titulaires de droit bafoués, en minimisant les peines, en imposant une obligation d'avis et avis aux fournisseurs de services Internet, le législateur a raté le coche. Si le gouvernement n'est pas en mesure de resserrer les règles pour contrer le piratage, il n'y aura d'autre solution que d'élargir le régime de copie privée.
Voyons maintenant ce que la Loi aura malheureusement accompli en matière de dommages.
D'abord, la Loi a donné lieu à une judiciarisation à outrance du droit d'auteur. Les causes se multiplient pour les sociétés de gestion collective d'ici. Des frais judiciaires sont engloutis dans la défense des droits des auteurs et éditeurs. Parallèlement, les universités, qui auraient mieux à faire de ces sommes d'argent, les engloutissent à leur tour dans des procès que la révision de la Loi aurait dû avoir pour objectif d'éviter.
Conséquemment, ces recours en justice affaiblissent les sociétés de gestion, outrageusement dépeintes comme gourmandes, alors que leur mission est d'assurer un juste revenu aux ayants droit.
Au Québec, la société Copibec, contrairement à ce qu'on voit ailleurs au Canada, réussit tant bien que mal à négocier des ententes avec la grande majorité des universités québécoises, avec les collèges et avec le ministère de l'Éducation. Même si les ententes y sont revues à la baisse, il y a au moins au Québec une volonté de respecter le rôle des sociétés de gestion.
Parlons enfin d'exceptions, dont la célèbre utilisation équitable à des fins d'éducation.
À ce sujet, le législateur aura renoncé à sa responsabilité de clarté dans l'adoption d'une loi. Comment définit-il l'éducation? On se questionne encore. Comment se fait-il que le court extrait permis dans l'utilisation équitable soit devenu aussi explicite que ce que, par exemple, avance l'Université Laval, soit 10 % d'une oeuvre ou un chapitre? La porte est grande ouverte aux interprétations les plus déraisonnables. Certaines institutions sont même passées maîtres dans l'art d'enseigner comment étirer le court extrait. Finalement, selon les prétentions de certains intervenants du milieu de l'éducation, la marge bénéficiaire des éditeurs aurait crû depuis l'adoption de la Loi, mais il faudrait que ces gens se montrent plus rigoureux dans leurs analyses statistiques.
Qu'attendons-nous minimalement du législateur, finalement? Nous attendons de lui qu'il remplisse sa mission de travailler à ce que cesse la contrefaçon; que sa loi ait du mordant; que, s'il n'arrive pas à mettre en place ne serait-ce que des pistes de solution, il se convainque enfin que la copie privée n'est pas une taxe, mais un soutien à la culture; qu'il revoie le principe de l'utilisation équitable à des fins d'éducation en définissant étroitement l'éducation et en restreignant les interprétations prodigues du milieu de l'enseignement; enfin, qu'il reconnaisse le rôle fondamental que jouent les sociétés de gestion collective auprès des créateurs et admette que ce qu'il considère comme une exception obligatoire, comme celle à des fins d'éducation, doit s'accompagner d'une rémunération obligatoire.
Je vous remercie.
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Bonjour, monsieur le président, mesdames et messieurs.
Merci de m'accueillir aujourd'hui et de me donner l'occasion de vous présenter le point de vue des étudiants du Québec sur un enjeu très important dans le cadre de la révision de la Loi sur le droit d'auteur.
Je m'appelle Guillaume Lecorps. Je suis le président de l'Union étudiante du Québec. Notre organisation est née en 2016 et elle représente 80 000 étudiants de la province de Québec, de Rouyn-Noranda à Sherbrooke, en passant par Gatineau, Montréal et Québec. Des associations représentant plus de 200 000 étudiants universitaires de la province participent à nos instances, et nous collaborons avec plusieurs de nos partenaires fédéraux sur nombre d'enjeux à l'échelle fédérale qui touchent nos membres, dont le droit d'auteur.
Les dispositions traitées dans le cadre de la présente révision sont très nombreuses. Permettez-moi de concentrer mon allocution sur un point névralgique aux yeux de la communauté étudiante, c'est-à-dire le principe d'utilisation équitable aux fins pédagogiques.
Je profite de l'occasion qui m'est offerte aujourd'hui pour aborder l'importance que revêt l'utilisation équitable pour les étudiants, les retombées du principe et les différents types de gestion du droit d'auteur.
En 2004, la Cour suprême rendait un jugement très important dans lequel elle réitérait l'importance pour la Loi de refléter deux grands piliers: le droit des auteurs, donc des créateurs de contenu, mais également le droit des utilisateurs. Quotidiennement, les étudiants du Québec expérimentent la conjugaison de ces deux piliers, en raison de leur double rôle de créateurs et de consommateurs de contenu. C'est d'ailleurs eux qui, par l'entremise de leurs associations de campus, nous ont clairement signifié l'intérêt qu'ils portaient à la présente révision.
Lors des consultations que nous avons tenues avec ces associations, la communauté étudiante québécoise s'est positionnée clairement en faveur de la préservation du principe d'utilisation équitable aux fins pédagogiques tel quel, notamment en raison de l'amélioration concrète que ce principe a engendrée quant à la qualité des apprentissages, à l'offre des sources et aux perspectives disponibles dans le cadre universitaire.
Bien au-delà des considérations financières, qui demeurent tout de même substantielles, c'est en grande partie pour optimiser l'accès au savoir que les étudiants du Québec sont préoccupés par la question.
Effectivement, les étudiants canadiens accédaient à un certain niveau d'information et de savoir avant l'instauration du principe d'utilisation équitable aux fins pédagogiques dans les établissements postsecondaires. Il semble toutefois clair que le système a engendré un impact bénéfique tant sur le plan de la qualité que sur le plan de la quantité des sources disponibles dans les institutions universitaires.
Rappelons que cette bonification de l'accès au savoir est engendrée par la circulation d'une infime partie des oeuvres frappées du droit d'auteur et que le principe d'utilisation équitable ne doit en aucun cas être assimilé à un vol de propriété ou à la contrefaçon. Le principe d'utilisation équitable peut en effet être balisé et encadré pour assurer une juste compensation des auteurs, compensation tout à fait importante dans un contexte d'économie du savoir en pleine mouvance.
La mise sur pied à même les institutions de bureaux coordonnés de droit d'auteur, comme celui de l'Université Laval, par exemple, peut constituer un moyen efficace de s'assurer de l'application optimale du modèle. L'idée n'est donc en aucun cas de négliger la juste part du revenu que récoltent les auteurs pour leur production de matériel, mais plutôt d'éviter que ce revenu se crée au détriment de l'accessibilité aux connaissances.
De surcroît, à l'heure où le gouvernement du Canada dit lui-même vouloir augmenter sa participation au modèle de l'économie du savoir, il appert logique d'ériger un système qui encouragera l'innovation et optimisera le potentiel d'apprentissage des étudiants.
Par ailleurs, l'élaboration de ressources éducatives libres constitue une autre belle piste de solution afin de rapprocher les auteurs et les consommateurs et d'encourager à la fois la création de contenu et sa juste circulation.
Les 80 000 membres de l'Union étudiante du Québec savent pertinemment qu'ils seront directement touchés par les dispositions de la Loi. C'est également le cas de la population étudiante universitaire en général au Québec, qui suit le dossier de très près.
Comme ils nous l'ont clairement mentionné, le principe de l'utilisation équitable représente pour eux la priorité fédérale en matière d'accessibilité à l'enseignement supérieur, tant du point de vue qualitatif, donc de la qualité de la formation, que du point de vue financier, donc de l'accessibilité financière aux études.
Les étudiants universitaires comprennent également l'importance de mieux compenser les auteurs pour leur création de contenu, parce que les étudiants sont eux-mêmes à la fois créateurs et consommateurs du contenu en question. Ils sont toutefois d'avis que la meilleure politique publique en la matière doit favoriser l'accessibilité au savoir et compenser justement les auteurs sans toutefois puiser davantage dans la poche d'une frange précaire de la population canadienne, en l'occurrence la population étudiante.
L'Union étudiante du Québec et les membres qu'elle représente sont d'avis que le principe de l'utilisation équitable qui se trouve dans la présente Loi doit être préservé tel quel à la suite des travaux du présent Comité.
Je vous remercie.
C'est avec plaisir que je répondrai à vos questions.
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Merci, monsieur le président.
Distingués membres du Comité, merci de m'accueillir.
Je représente les membres de l'Association des distributeurs exclusifs de livres en langue française, l'ADELF. C'est une organisation associative qui représente des entreprises canadiennes qui distribuent au Canada des livres en langue française.
Le chiffre d'affaires annuel des membres de notre association, en prix public, est de 450 millions de dollars. Nos entreprises créent au-delà de 700 emplois au Canada, principalement dans la région de Montréal.
Les membres du conseil d'administration de l'ADELF m'ont demandé d'exprimer ici une principale recommandation: que le gouvernement maintienne intact le Règlement sur l'importation de livres, adopté en 1999.
Permettez-moi de vous présenter quelques éléments sur la distribution du livre et sur les membres de notre association.
Les distributeurs sont les principaux partenaires d'affaires des éditeurs de livres. Ce sont les distributeurs qui mettent en marché les livres des éditeurs chez des détaillants, donc dans les librairies, les chaînes de librairies, les coopératives en milieu scolaire, les quincailleries, les pharmacies, les magasins à grande surface, mais aussi sur les sites Web. Par exemple, le site amazon.ca est un client de tous nos membres.
Les membres de notre association ont des ententes de distribution avec des éditeurs de livres en langue française, des éditeurs du Québec, des éditeurs des autres provinces du Canada, mais également des éditeurs de tous les pays de la Francophonie dans le monde, dont, bien entendu, la France, la Belgique et la Suisse.
Au total, les membres de notre association mettent en marché chaque année près de 42 000 nouveautés, et je parle ici de livres en langue française seulement.
Les catalogues des membres de notre association compte plus de 703 000 titres en langue française, qui sont accessibles à tous les lecteurs canadiens de toutes les provinces. Parmi ces titres, certains sont des livres à succès qui se vendent à plusieurs dizaines de milliers d'exemplaires. Toutefois, la réalité est que les livres à succès sont des cas d'exception et représentent moins de 1 % des titres. La plupart des titres sont vendus en très petite quantité. En réalité, près de 90 % des livres vendus au Canada sont mis en marché à moins de 500 exemplaires.
Je vais maintenant dire quelques mots sur la relation entre les éditeurs et les distributeurs de livres.
Au Canada, la quasi-totalité des éditeurs canadiens et étrangers signent des ententes de distribution exclusive avec leur distributeur canadien. Cela signifie que l'éditeur cède à son distributeur les droits exclusifs de le représenter sur l'ensemble du territoire canadien. En d'autres termes, le client libraire ou tout autre détaillant doit s'approvisionner obligatoirement auprès du distributeur désigné par l'éditeur concerné.
La distribution exclusive comporte plusieurs avantages importants. Elle permet notamment de maintenir des structures fortes de distribution sur l'ensemble du territoire canadien. Elle permet aussi, et surtout, de rentre accessible partout au Canada une large diversité de titres en tout genre. Le distributeur exclusif, qui est assuré de recevoir le fruit de ses investissements, peut ainsi s'engager à investir davantage pour soutenir des titres plus difficiles qui ne sont pas des livres à succès assurés, solliciter des clientèles plus éloignées et plus difficiles à joindre, et ainsi de suite.
Depuis 1999, le gouvernement du Canada protège les droits exclusifs des importateurs de livres. Le Règlement sur l'importation de livres de la Loi sur le droit d'auteur vise justement à lutter contre l'importation parallèle. Qu'est-ce que l'importation parallèle? C'est une pratique selon laquelle un acheteur institutionnel ou un détaillant s'approvisionne auprès d'un fournisseur non autorisé, autre que le distributeur exclusif. L'importation parallèle mine les structures de distribution du livre au Canada ainsi que l'accès à une diversité de titres au Canada.
Pour être protégé par le Règlement sur l'importation de livres, les distributeurs doivent répondre à un certain nombre de critères ou de normes, notamment en ce qui touche les délais de livraison chez les détaillants, mais aussi en matière de fixation du prix de vente du livre en dollars canadiens par rapport à son prix dans son pays d'origine.
Le Canada n'est pas le seul pays dans le monde à avoir des règles qui protègent les droits exclusifs des importateurs. Au contraire, la quasi-totalité des pays membres de l'OCDE ont de telles règles. C'est donc la norme.
En terminant, je vous signale que les membres de l'Association des distributeurs exclusifs de livres en langue française ne reçoivent aucune subvention de la part du gouvernement canadien, du gouvernement québécois, du ministère du Patrimoine canadien ni du Conseil des arts du Canada. En revanche, nous comptons sur le gouvernement du Canada pour mettre en place un cadre législatif qui respecte les droits exclusifs des entreprises et qui permet l'innovation, la création et la prise de risque.
Je vous remercie.
Monsieur le président, distingués membres du Comité et membres du public, bonjour. Je m'appelle Nicolas Sapp. Je suis avocat et associé au cabinet ROBIC. Je ne suis pas du Secrétariat général de l'Université Concordia. J'agis aujourd'hui à titre de porte-parole de l'Université Concordia, de l'Université de Montréal et de l'Université de Sherbrooke, qui comptent au total près de 150 000 étudiants inscrits, ce qui les classe parmi les plus grandes universités québécoises.
Je vous remercie de nous avoir invités à venir exposer nos observations et recommandations.
Comme vous le savez, la mission fondamentale des universités est l'enseignement et la recherche. Dans ce contexte, les ressources documentaires constituent une matière première tout aussi fondamentale pour toute la communauté universitaire. Les universités québécoises souhaitent offrir à leurs étudiants une éducation accessible et de qualité. L'accessibilité et la qualité sont aussi deux éléments clés en matière de ressources documentaires.
Les universités québécoises abritent des créateurs, des auteurs et des éditeurs qui sont tous titulaires de droits d'auteur, ainsi que des utilisateurs et plusieurs membres de la communauté universitaire qui sont à la fois titulaires de droits d'auteur et utilisateurs de matériel. Dans ce contexte, les universités québécoises ont une grande sensibilité à l'égard de la question des droits d'auteur. Elles reconnaissent et respectent les droits détenus par les titulaires, mais elles ont un intérêt tout aussi grand pour le droit des utilisateurs.
Le constat de cette position singulière des universités dans le dossier du droit d'auteur commande une approche contextuelle, pour les motifs suivants. En raison de leur rôle et de leurs fonctions, les professeurs chercheurs des universités québécoises publient une grande partie du matériel pédagogique protégé par le droit d'auteur au bénéfice des étudiants. Partout dans le monde, les professeurs chercheurs et les étudiants utilisent les résultats de la recherche pour l'avancement des connaissances. La diffusion des travaux de recherche permet en effet aux étudiants et aux chercheurs du monde entier d'accéder à du contenu de grande qualité, ce qui permet la diffusion des connaissances et le développement d'une économie innovante. Les publications des résultats de la recherche des professeurs chercheurs contribuent à soutenir le milieu de l'édition.
Parlons maintenant de l'édition scientifique.
L'édition scientifique est contrôlée par cinq grands éditeurs internationaux qui accaparent un marché ayant tous les attributs d'un oligopole. Selon les disciplines, les professeurs chercheurs sont souvent dans l'obligation de publier chez ces éditeurs pour obtenir leur permanence et des subventions de recherche. Les publications de ces éditeurs grèvent une partie importante des budgets d'acquisition des bibliothèques universitaires et constituent une portion considérable des textes sous forme de fichiers mis en réserve numérique.
De plus, dans certains cas, outre leur obligation de céder certains de leurs droits économiques, certains auteurs doivent payer pour être publiés. Ainsi, les universités rachètent à fort prix les résultats des recherches des auteurs après avoir payé leurs salaires et l'État pour leurs subventions de recherche. Les professeurs chercheurs produisent la quasi-totalité du contenu qui se retrouve dans les bibliothèques universitaires.
Je vais maintenant parler des changements législatifs de 2012.
Les universités québécoises ont accueilli avec satisfaction la Loi sur la modernisation du droit d'auteur, qui a modifié l'article 29 de la Loi sur le droit d'auteur pour ajouter, comme vous le savez, l'éducation parmi les fins visées par l'exception de l'utilisation équitable.
Les universités tiennent à souligner l'objectif du législateur, qui est essentiellement énoncé aux points c) et d) du sommaire de cette loi:
c) permettre aux entreprises, aux enseignants et aux bibliothèques de faire un plus grand usage de matériel protégé par le droit d'auteur sous forme numérique;
d) permettre aux enseignants et aux élèves de faire un plus grand usage de matériel protégé par le droit d'auteur;
J'aimerais maintenant parler de la jurisprudence de la Cour suprême du Canada.
Les universités québécoises appuient les principes applicables au milieu de l'éducation qui ont été énoncés par la Cour suprême, notamment que l'objectif de la Loi sur le droit d'auteur est de « maintenir un équilibre entre les droits des utilisateurs et ceux des titulaires du droit d'auteur ».
L'exception du droit à l'utilisation équitable constitue un droit des utilisateurs et ne doit pas être interprétée de façon restrictive. Les établissements scolaires utilisent du matériel à des fins d'enseignement. La fin poursuivie par l'enseignant, lorsqu'il utilise des publications pour les étudiants, est de leur procurer le matériel pédagogique nécessaire à leur apprentissage. Les enseignants et les étudiants poursuivent en symbiose une même fin.
Les universités québécoises soutiennent l'industrie de l'édition. Elles n'ont pas diminué leur achat de nouveau matériel pour leurs bibliothèques. Les dépenses de l'ensemble des universités québécoises pour l'acquisition de documents sont passées de près de 60 millions de dollars en 2009-2010 à 77 millions de dollars en 2016-2017, ce qui représente une augmentation de près de 28 %. L'acquisition de matériel numérique pour les universités québécoises représentait entre 85 et 95 % de leur budget d'acquisition pour l'année 2017-2018.
Les universités québécoises accordent une très grande importance au respect du droit d'auteur. Elles déploient des mesures importantes et sérieuses.
À titre d'exemple, l'Université Concordia a pris les mesures suivantes: l'adoption d'une politique, d'un guide et de procédures sur le respect du droit d'auteur ainsi que d'une politique sur la propriété intellectuelle; la formation du personnel, soit les bibliothécaires, les techniciens et les commis, pour s'assurer du respect des procédures et des processus; la mise sur pied d'une réserve numérique de documents gérée au moyen du logiciel Ares; ainsi que le développement et la mise en oeuvre d'un processus de traitement et de suivi de tous les textes utilisés tant pour sa réserve numérique que pour les recueils de textes.
J'aimerais maintenant vous soumettre les observations et les recommandations suivantes.
L'objectif recherché par le législateur en 2012 est tout aussi pertinent en 2018. Le maintien de cette exception n'est d'aucune façon incompatible avec l'équilibre recherché entre les créateurs titulaires de droits et les utilisateurs, comme en témoigne la cohabitation harmonieuse de ces deux parties dans le contexte singulier des universités que nous avons décrit.
Limiter la portée de l'utilisation équitable aurait des conséquences importantes sur le coût de l'éducation pour les étudiants, de même que sur la qualité de l'enseignement et sur le contenu du matériel pédagogique.
Enfin, il faut permettre aux établissements d'enseignement d'exercer, au bénéfice des étudiants, le droit d'utiliser de façon équitable des oeuvres sous forme de matériel pédagogique, et ce, sans craindre les poursuites. Nous devons cesser de percevoir l'utilisation équitable comme une mesure opposant les titulaires de droits et les utilisateurs, en particulier dans le contexte universitaire. Faire marche arrière serait contre-productif et nous desservirait collectivement. L'éducation du XXIe siècle commande des moyens adaptés à notre monde, qui est en rapide évolution.
Je vous remercie de m'avoir permis de faire cette allocution. Je demeure à votre disposition pour répondre à vos questions.
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Il s'agit de livres publiés, qu'on achète dans des commerces, des coopératives universitaires, en librairie, chez Walmart ou chez Costco, par exemple. Il s'agit du chiffre correspondant aux ventes de livres. Je ne vois pas comment on peut dire que la vente de livres est à la hausse et qu'on en achète plus un peu partout. En réalité, il s'en vend moins.
Pour ce qui est d'un exemple à l'échelle internationale, je vais vous donner celui de l'Australie, où les étudiants se sont clairement opposés au principe de l'utilisation équitable. Ils ont reconnu qu'ils étaient les auteurs de demain et ils considèrent important d'obtenir une juste rémunération pour leur travail.
On dit que les universités achètent beaucoup de livres, mais elles en achèteraient beaucoup plus si elles ne s'empêtraient pas dans des poursuites judiciaires contre les Access Copyright et Copibec de ce monde. Il y a là un genre de logique qui, selon moi, ne tient pas la route.
On parle des étudiants, mais savez-vous à combien se chiffrent les frais annuels qu'ils doivent débourser pour Copibec? Les frais de scolarité au Québec sont d'environ 3 000 $, et je pense que les frais imposés aux étudiants pour les copies de Copibec sont à peu près de 13,50 $. Aujourd'hui, un montant de 13,50 $ représente à peu près le coût de deux bières. À l'époque où j'étais étudiant, cela équivalait à quatre bières. Il reste que ces frais sont de 13,50 $ pour les étudiants. On peut parler de chiffres tant et plus, mais si les frais de scolarité des universités sont de 3 000 $ et que les frais versés à Copibec pour le matériel copié sont de 13,50 $, je me dis que ce n'est pas grand-chose.
Cela contribue à éclaircir les choses. Je vous en remercie.
Passons maintenant aux Prieur, l'un ou l'autre.
En juin 2017, BookNet Canada a publié un rapport intitulé The State of Digital Publishing in Canada. Dans cette étude, il a été constaté que la vente de livres numériques a en fait commencé à décroître, passant de 88 % en 2014 aux environs de 54 % en 2016. La raison citée pour ce déclin comprend le fait que les Canadiens ont redécouvert l'expérience tactile des livres imprimés et ont éprouvé une fatigue numérique.
En outre, BookNet a constaté une montée fulgurante des ventes de livres audio, qui sont passées de 16 % en 2015 à 37 % en 2016.
Puisque les données commencent un peu à vieillir, puisqu'elles datent de 2016, pourriez-vous nous dire si vous avez constaté la poursuite de cette tendance dans votre secteur?
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Pour ce qui est du livre audio en français, je peux difficilement vous répondre, car il n'est pas solidement implanté au Québec. Pour ce qui est du livre numérique, par contre, il y a plusieurs façons d'expliquer la baisse des ventes.
Il y a eu un engouement pour les livres numériques quand les outils de lecture appropriés sont arrivés sur le marché, à savoir les tablettes, les iPad, les appareils Kindle, Kobo, Sony Reader et tous les autres. Les gens ont découvert des appareils, et ils sont arrivés à la lecture numérique par l'entremise de la quincaillerie.
Cet engouement s'est par la suite atténué. L'ANEL a alors fait quelque chose, et les bibliothèques vont le reconnaître, je pense: les éditeurs québécois, en collaboration avec les intervenants de la chaîne du livre et les bibliothèques publiques, ont mis en place un principe de prêt de livres numériques en bibliothèque. Évidemment, cela s'est traduit soudainement par une croissance phénoménale des ventes de livres numériques de notre catalogue, parce que toutes les bibliothèques publiques au Québec en ont acheté. En contrepartie, cela a un peu nui par la suite aux ventes de livres numériques, bien sûr, puisque les gens pouvaient obtenir ces livres gratuitement auprès de leur bibliothèque.
Dans les faits, l'autre problème lié au livre numérique est qu'il n'existe pas de données. BookNet Canada en a, effectivement, mais les gros joueurs du milieu du livre numérique, les multinationales comme Amazon et Kobo, sont extrêmement réticents à nous fournir leurs chiffres. Il est donc assez difficile de déterminer le taux de pénétration réel du livre numérique dans la population, du moins dans la population francophone.
L'OCCQ, dont je parlais tantôt, citait des ventes de livres neufs de 600 millions de dollars. Il avance des chiffres de 7 millions de dollars de ventes de livres numériques au Québec, mais ce sont des chiffres provenant uniquement des distributeurs québécois de livres numériques. Ce n'est qu'une infime partie du total. Il n'y a donc pas l'engouement que l'on pourrait croire pour le livre numérique.
Cependant, comme je vous l'ai dit, le livre numérique est largement piraté, et il est en libre partage sur des sites Web comme Facebook. Nous croyions que la Loi allait nous aider à lutter contre cela, mais, au contraire, ce piratage ne cesse d'augmenter. Nous nous sommes informés auprès de la GRC pour savoir ce qui pouvait être fait, mais la GRC a avoué sa totale impuissance face à ce problème. Nous comprenons la difficulté. En réalité, il n'y a pas de terrain où attaquer le problème.
Pourquoi le livre numérique ne décolle-t-il pas? Pourquoi est-il en baisse? C'est parce qu'il est possible de mettre la main sur des livres numériques gratuitement un peu partout, que ce soit par piratage ou en bibliothèque.
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Je vous remercie, monsieur le président. J'aimerais poursuivre cette discussion.
En général, selon les témoignages que nous avons reçus au cours des dernières semaines à Ottawa et à Halifax, les universités et d'autres établissements n'ont jamais autant fait d'achats. Les témoins disent que ces dépenses sont plus importantes que jamais.
Par contre, je sais pertinemment que les droits de scolarité et le coût de l'éducation n'ont pas diminué. En fait, ces coûts ont augmenté de façon disproportionnelle quand on examine le coût de l'éducation au cours de cette période.
Cela étant dit, des artistes ont également dit depuis que leurs revenus ont chuté de façon considérable. Le témoignage entendu hier soir à Halifax a révélé que les gens perdent jusqu'aux deux tiers et quelques fois aux quatre cinquièmes de leurs revenus de redevances.
Nous avons constaté ici ce genre de déséquilibre. Selon vous, où va l'argent? Ou bien s'agit-il ici — de façon peut-être non intentionnelle — de personnes qui nous induisent en erreur? Que se passe-t-il? On nous dit constamment que les achats augmentent de beaucoup, que la production se maintient et que les artistes obtiennent moins de redevances.
Quelqu'un voudrait essayer de répondre?
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Sans que ce soit une boutade, je vous dirai que beaucoup d'investissements ou de sommes d'argent ne vont plus aux créateurs ou aux auteurs, tant dans le domaine du livre que dans celui de la musique. Cet argent va aux fabricants d'appareils ou dans ce que j'appelle la quincaillerie, c'est-à-dire le matériel technologique.
Certains collèges décident d'équiper tous leurs étudiants d'un iPad. On a commencé aussi à investir de l'argent dans l'achat de tableaux blancs numériques interactifs dans les écoles. Si je ne m'abuse, le ministère de l'Éducation du Québec a investi plus de 200 millions de dollars dans l'acquisition de tableaux blancs interactifs et 40 millions de dollars dans les contenus pédagogiques. On pourrait apparenter les contenus pédagogiques à du contenu littéraire, si vous voulez. En réalité, ce que la société fait actuellement, c'est qu'elle investit dans ces technologies des sommes d'argent qui autrefois étaient investies ailleurs. Quand j'étais à l'université et au collège, je lisais des livres papier. Je n'avais pas d'iPad ni d'ordinateur. Vous me direz que, à voir où j'en suis aujourd'hui, cela n'a pas donné grand-chose — je fais encore une boutade. Il n'en demeure pas moins qu'aujourd'hui, vous investissez massivement dans de l'appareillage, dans de la technologie. Moi, j'appelle cela de la quincaillerie.
Je comprends les universités, les collèges et les écoles qui disent que cela coûte cher. Si le gouvernement faisait une étude véritable pour savoir où vont les investissements dans l'éducation, il se rendrait peut-être compte que cela va de moins en moins aux auteurs et de plus en plus à Apple et à d'autres entreprises de ce genre. C'est une réalité.
Je ne sais pas si vous avez des enfants qui vont au collège, mais je crois qu'ils ont tous besoin d'un iPad maintenant, non?
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J'aimerais saisir la balle au bond.
On entend beaucoup de choses à gauche et à droite, et je pense que M. le vice-président soulève une question très intéressante: où va l'argent?
À l'Union étudiante du Québec, bien franchement, nous trouvons un peu curieux qu'on présente la baisse de ventes de livres comme un argument. Nous sommes conscients qu'il y a une diminution des ventes de livres à l'échelle fédérale, mais on crée un lien de cause à effet entre la baisse des ventes de livres et l'utilisation équitable, lien qui n'existe pas réellement. M. Prieur admettait lui-même que la diminution de 25 % s'était effectuée sur une période de 10 ans, donc depuis 2008. Or, le principe d'utilisation équitable tel qu'on le connaît a été instauré en 2012. Déjà là, une partie du lien de cause à effet s'effrite. Nous trouvons un peu particulier de voir cet argument dressé en front total.
J'aimerais réagir également à ce que M. Richard Prieur disait tout à l'heure, c'est-à-dire que le Canada serait un mauvais exemple. Pourtant, j'ai rarement vu dans ma vie plusieurs pays emboîter le pas à un pays qui serait un mauvais exemple. Je trouve un peu particulier qu'on dise que les mauvais exemples sont systématiquement ou très souvent suivis. J'aimerais qu'on m'explique davantage en quoi c'est un mauvais exemple.
Il y a un autre point auquel j'aimerais réagir. On parle de la facture des étudiants en disant que ce sont des pinottes. M. le vice-président l'a souligné tout à l'heure. En fait, les achats des universités et la facture des étudiants augmentent. Il y a un certain malaise. L'Union étudiante du Québec veut s'assurer que la nouvelle Loi ne va pas jouer le rôle d'un Robin des Bois inversé, c'est-à-dire prendre de l'argent aux pauvres ou aux étudiants en situation de précarité pour en donner à d'autres gens en situation de précarité. Il faut éviter cet illogisme.
Merci.
:
Merci beaucoup, monsieur le président.
Je remercie les témoins d'être venus nous rencontrer aujourd'hui.
Je vais poser mes questions en anglais.
[Traduction]
Merci à tous et à toutes. J'aimerais enchaîner sur les questions de mes collègues. Au bout du compte, notre comité devra formuler des recommandations concernant la Loi sur le droit d'auteur, mais nous avons entendu un certain nombre de points.
Les universités nous disent que la Loi sur le droit d'auteur a contribué à accroître l'accès de leurs étudiants. Des étudiants et des éducateurs nous ont dit qu'ils aimaient avoir un accès limité à une vaste gamme d'ouvrages afin de favoriser l'apprentissage.
Les auteurs disent que le droit d'auteur ici et ailleurs est moins rémunérateur. Nous avons très certainement entendu le témoignage de créateurs de contenu et d'auteurs qui nous ont dit que leurs revenus ont diminué, et qu'il en va de même pour les éditeurs dans certains cas. Néanmoins, du point de vue des tendances, on nous indique que les revenus généraux n'ont pas diminué.
Il y a donc des écarts entre tous ces témoignages. Nous essayons de comprendre dans quelle mesure la loi a été bénéfique, et vers quoi nous pourrions nous tourner pour trouver des solutions.
Hier, lorsque nous étions à Halifax, on nous a dit qu'une plateforme technologique pourrait exister pour augmenter les revenus, en fonction des titres des ouvrages et ainsi de suite, et que ces revenus pourraient être versés aux auteurs par chapitre. Cela pourrait aussi aider les éditeurs puisqu'il s'agirait alors de licences à la pièce.
Je suis curieux. Avec l'avènement de la technologie et la nécessité pour les étudiants et les jeunes personnes d'apprendre, et pour permettre de continuer d'inciter les créateurs à créer, les gens estiment-ils que la plateforme technologique constitue réellement une solution?
:
On ne peut pas être contre l'avancement de la science. Il y a des choses qui démontrent que les nouveaux modes d'enseignement et d'éducation et les nouvelles méthodes pédagogiques peuvent effectivement être efficaces. Vous parlez toutefois à quelqu'un qui représente des gens qui gagnent leur vie en vendant leur intellect, en produisant du matériel intellectuel. Je ne suis pas contre le fait que l'on s'équipe de technologies et qu'on ait des plateformes. Je ne suis pas contre cela du tout. Je dis seulement qu'il faut qu'il y ait une juste rémunération pour les personnes qui, à la base, mettent du matériel sur ces plateformes. C'est tout. Je n'ai pas d'autre réponse à vous donner.
Selon ce que je vois, il y a moins de revenus, et s'il y a moins de revenus pour les éditeurs, il y a moins de revenus pour les auteurs.
Je comprends que vous investissiez dans les méthodes pédagogiques, scientifiques et techniques ainsi que dans l'innovation. D'ailleurs, l'innovation est la raison d'être de ce comité. Cependant, au départ, il faut quand même qu'il y ait de la matière brute. Les livres, il faut bien que quelqu'un les écrive, les pense. Il faut que les auteurs prennent le temps d'y réfléchir. Présentement, nous parlons de livres, mais il y a aussi le secteur de la musique. En musique, il y a des compositeurs.
Si vous prenez de l'argent dans les poches des créateurs, c'est sûr qu'ils ne seront pas heureux. Comme ils ont déjà de la difficulté à vivre, ils vont être encore moins heureux. Cela fera qu'on va se retrouver avec des contenus pédagogiques qui seront puisés un peu partout, à gauche et à droite, grâce au libre accès, par exemple sur Wikipédia, sans véritable contrôle pédagogique. Après cela, vous vous étonnerez que la jeunesse de demain a des contenus pédagogiques boiteux. Avant, vous vous appuyiez sur une industrie du savoir et du développement pédagogique sérieuse. Maintenant, on s'en va dans une espèce de buffet chinois de la science pédagogique. C'est un cri du coeur, mais c'est cela.
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Je signalais tout à l'heure la baisse des revenus et j'ai fourni des chiffres échelonnés sur une dizaine d'années. Depuis 2012, évidemment, il y a une recrudescence des baisses, c'est-à-dire une accélération des baisses de ventes dans le secteur du livre. Cela vient de se redresser en 2017 et, depuis, on constate que c'est devenu plus stable.
Est-ce qu'il y a une corrélation à établir? Peut-être, mais c'est certain que le piratage, sous toutes ses formes, nuit au secteur du livre, à l'industrie du livre, aux livres canadiens, mais aussi aux livres importés. Je vous donne un exemple. Il y a des entreprises dans le secteur de la distribution qui importent des livres publiés en France, des livres scientifiques qui constituent de petites importations de 100 exemplaires ou 200 exemplaires, et qui sont destinés à certains collèges en régions, par exemple, où l'on traite de certains domaines spécialisés. Ce sont des livres qui valent cher.
Les photocopies et le piratage font en sorte que ce n'est plus assez payant de commander ces livres. Vous savez, une maison de distribution peut gérer une petite commande de 200 exemplaires destinés à une école, parce qu'elle sait que les copies vont être vendues. Cependant, quand les ventes baissent, cela ne devient plus rentable pour ces écoles de les commander et le résultat, c'est que les livres ne sont plus disponibles en français. Les gens des collèges achètent les livres en anglais.
C'est l'un des pièges aussi du piratage dans le domaine scientifique, en particulier, où la production de livres en français diminue jusqu'à ce que, un jour, elle ne devient plus rentable. Il peut s'agir de produits d'ici, ou même de produits importés et cela crée, pour les collèges et les universités, des situations d'injustice, évidemment.
:
Merci, monsieur le président. Je vais poser mes questions dans ma langue.
Il semble clair que nous avons un dilemme. En tant que gouvernement, notre travail consiste à accepter de rencontrer des témoins, de les écouter, puis d'élaborer des recommandations. Il n'est pas pertinent à l'heure actuelle de savoir si elles aboutiront à une modification de la loi.
Nous avons entendu beaucoup de témoins dire que dans « l'écosystème des parties prenantes », comme je l'appelle — que ce soit pour le créateur, l'éditeur, le distributeur ou l'utilisateur final —, le coût d'achat augmente alors que le revenu du créateur de contenu diminue.
J'ai aussi entendu dire que tous appuient les créateurs et qu'ils veulent que les créateurs continuent de créer. Dans une large mesure, tout le monde souhaite la poursuite d'un traitement équitable, puisqu'il en découle un meilleur accès et une plus grande équité. Cependant, je n'entends personne formuler de recommandations concrètes pour arriver à cet équilibre.
Quand je vous écoute, monsieur Lecorps, je vous entends dire: « Ne touchez à rien, tout va bien ». Des 80 000 membres ou 200 000 étudiants que vous appuyez, vous dites précisément souhaiter maintenir un traitement équitable parce que, un jour, des membres de ces groupes deviendront des auteurs, et vous voulez veiller à ce qu'ils bénéficient de soutien.
Aidez-nous. Soumettez quelques recommandations, même une seule si vous le pouvez, sur la façon dont nous pouvons équilibrer les choses compte tenu de l'ère numérique et de bouleversements technologiques dans laquelle nous vivons, comme le dit Me Sapp.
Les créateurs devraient-ils tous se tourner vers Internet, le numérique, et imposer un verrou numérique puis réclamer directement des frais d'utilisation, parce que c'est une observation que j'ai entendue. Quelqu'un veut commenter? Vous pouvez commencer, monsieur Lecorps.
:
Je ne veux pas m'improviser expert de toute la question du droit d'auteur.
M. Prieur y a fait allusion plus tôt: vous devrez examiner plusieurs volets et types de règlements avant d'établir des balises. En effet, nous avons un dilemme. Cela ressort très clairement de la discussion que nous avons aujourd'hui.
Les arguments que je vous présente sont axés sur ce que nous considérons — et ce que les étudiants considèrent — comme étant la meilleure politique publique. J'ai beaucoup insisté — et vous l'avez remarqué dans mon allocution —, non pas sur ce que les étudiants épargnent, mais plutôt sur la politique publique qui en découle, c'est-à-dire l'accessibilité au savoir et la capacité d'innover. Je comprends que certains vont évoquer le fait qu'il y a un revers à la médaille, ce qui est tout à fait normal. Cela dit, en matière de possibilités de solutions concrètes, je pense sincèrement que les ressources éducatives libres sont une solution, mais je ne veux pas le répéter à outrance.
Je suis tout à fait d'accord qu'il va falloir en trouver d'autres. Le dilemme, jusqu'à un certain point, c'est qu'il faut trouver laquelle des solutions constitue la meilleure politique publique possible. En ce sens, nous sommes fermement d'avis que la préservation de l'utilisation équitable à des fins pédagogiques s'inscrit précisément dans la meilleure politique publique et dans le meilleur véhicule pour l'innovation au cours des années à venir.
:
Il faut s'assurer d'au moins faire preuve de respect à l'égard de ces
[Français]
sociétés de gestion collective.
[Traduction]
Ce n'est pas le cas parce qu'on les dépeint comme des bandits et comme des gens qui volent les universités.
[Français]
La dernière chose que je veux mentionner, c'est que la Loi a besoin de mordant. Le piratage existe. Nos pertes de revenus ne découlent pas uniquement de l'utilisation équitable, mais aussi du piratage.
La Loi devait se pencher sur cette question, mais elle n'en a rien fait. Les règles qu'elle a mises en place ratent complètement la cible. C'est une Loi qui n'a pas de mordant. Il serait important qu'elle en ait. Vous nous imposez à nous, les titulaires du droit d'auteur, la responsabilité de trouver les pirates, de les poursuivre. Les pénalités représentent un infime montant d'argent.
Alors, nos trois recommandations touchent le piratage, les sociétés de gestion collective et le règlement des importants problèmes causés par l'utilisation équitable dans les collèges, les universités et les écoles.
:
Merci beaucoup, tout le monde.
Aujourd'hui, nous recevons Mme Pascale St-Onge, présidente de la Fédération nationale des communications; Me Martin Lavallée, de la Coalition pour la culture et les médias; et M. Patrick Curley, président, Entreprise et Affaires juridiques, de Third Side Music.
Chaque intervenant dispose de sept minutes pour faire sa présentation. Ensuite, nous passerons à la période de questions et de commentaires, et chaque député disposera d'environ sept minutes. Nous essayons de respecter le temps de parole imparti.
Nous allons commencer par Mme St-Onge.
Madame St-Onge, vous avez la parole pour sept minutes.
:
Merci, monsieur le président.
Monsieur le président, membres du Comité, je vous remercie de donner à la Fédération nationale des communications l'occasion de s'adresser à vous dans le cadre de la révision de la Loi sur le droit d'auteur.
La Fédération nationale des communications, ou FNC, représente environ 6 000 personnes qui travaillent autant dans le milieu des médias, soit dans la presse écrite, à la télévision, à la radio ou dans les médias numériques, que dans celui de la culture, soit dans le milieu des musées, des artisans, des arts de la scène ou des festivals. Aujourd'hui, l'essentiel de mon propos tourne autour de la situation problématique du journalisme à l'ère du numérique et de ses répercussions sur la question du droit d'auteur.
Le monde de l'information traverse une crise économique sans précédent, qui menace sa survie et, par conséquent, les fondements de notre société démocratique. Le problème n'est pas que l'information ne rapporte plus, mais que l'argent ne se retrouve plus entre les mains de ceux qui ont produit cette information. On dit que, cette année, plus de 80 % de l'assiette publicitaire reviendra à Facebook et à Google, alors qu'ils n'investissent pratiquement rien dans les contenus d'information. Une grande partie de ce qui circule sur leurs plateformes découle directement du partage des oeuvres journalistiques produites à grands frais par nos médias traditionnels.
Dans sa forme actuelle, la Loi sur le droit d'auteur ne répond pas à cette nouvelle réalité. Nous avons maintenant l'occasion d'adopter des solutions afin que les journalistes et les éditeurs tirent de nouveaux revenus de leurs oeuvres journalistiques. En Europe, plusieurs initiatives ont fait valoir la notion de droit voisin. Celui-ci intervient lorsque la perception des revenus découlant de l'exercice du droit d'auteur est peu pratique, voire impossible. Ce nouveau droit vise à puiser chez les géants du Web une partie des revenus qu'ils tirent des oeuvres journalistiques qui circulent sans l'autorisation des ayants-droit.
La première recommandation de la FNC est donc que la Loi soit modifiée pour prévoir, comme pour les droits de rémunération déjà reconnus en vertu de l'article 15 et des suivants de la Loi, l'établissement d'un droit à la rémunération en contrepartie de la reproduction et de la communication publiques d'oeuvres journalistiques sur le Web. À cette fin, et pour souligner l'apport substantiel du travail journalistique à la démocratie, la Loi devrait aussi prévoir pour les oeuvres journalistiques une définition qui s'inspirerait en partie de celle déjà prévue à la Loi sur la protection des sources journalistiques. La définition pourrait être exprimée ainsi:
oeuvre journalistique: oeuvre résultant du travail d'un journaliste et consistant en la collecte, la rédaction et la production d'informations en vue d'une diffusion dans les médias, et produite conformément à des normes éthiques et déontologiques reconnues.
Puisque la clé, dans l'introduction d'un nouveau droit, réside dans la capacité des ayants-droit de le faire appliquer, et puisque les négociations de gré à gré entre les journalistes ou les éditeurs et les géants du Web est quasiment impossible et que d'éventuels recours juridiques entraîneraient des frais inabordables, la FNC propose une deuxième recommandation, soit que le gouvernement soutienne la création d'une ou de plusieurs sociétés de gestion d'oeuvres journalistiques regroupant les journalistes et les éditeurs. Les 10 sociétés de gestion pourraient demander à la Commission du droit d'auteur du Canada de déterminer des tarifs concernant la reproduction et la communication publique d'oeuvres journalistiques sur le Web.
Par ailleurs, comme la multiplication des preuves d'experts fait en sorte que la Commission s'y embourbe et que cela entraîne d'importantes dépenses financières, la FNC soumet au Parlement une troisième recommandation, soit d'emboîter le pas au législateur québécois, qui a imposé des limites en matière d'expertise dans le nouveau Code de procédure civile. Ainsi, la Commission pourrait limiter les preuves d'experts en admettant soit une expertise qui serait produite pour la Commission, soit une expertise commune qui serait sous l'autorité de la Commission, chaque partie assumant proportionnellement sa part des coûts.
L'effet combiné des mesures décrites précédemment simplifierait le mécanisme lié à la rémunération des ayants-droit. S'il est vrai que les titulaires perdraient une partie de leur contrôle individuel sur leurs oeuvres, vu qu'ils auraient à se joindre à une société de gestion pour exiger des droits, il est également vrai qu'ils pourraient plus aisément obtenir une compensation du fait que leurs oeuvres circulent sur Internet. De leur côté, les géants du Web profiteraient du fait qu'au quotidien, les sommes qu'ils auraient à verser aux titulaires de droits seraient équilibrées et qu'ils ne seraient pas obligés de négocier de gré à gré avec tout un chacun. La paix sociale, économique et judiciaire serait ainsi assurée.
Quatrièmement, la FNC recommande de resserrer la définition d'« outil de repérage ». Depuis 2012, les fournisseurs d'outils de repérage bénéficient d'un avantage par rapport aux autres utilisateurs.
En effet, le législateur a voulu que le recours en injonction soit le seul qui puisse être entrepris contre un fournisseur d'outils de repérage en cas de violation des droits d'auteur.
Il est à craindre que cette exception constitue une porte ouverte à la violation des droits d'auteur, ce qui est le cas lorsque l'outil de repérage, en plus de fournir des adresses de sites, donne un accès direct aux oeuvres journalistiques.
Dans la mesure où un fournisseur en tire des revenus publicitaires à l'exclusion des propriétaires de sites sur lesquels les oeuvres journalistiques sont publiées à l'origine, il s'agit d'une exception insoutenable en 2018.
Dans un contexte où les revenus des médias périclitent, compromettant le droit du public à une information de qualité, la société canadienne ne peut se permettre d'attendre les dizaines d'années qui seraient requises pour donner aux tribunaux l'occasion de bien cerner, au cas par cas, sinon à tâtons, ces nouvelles dispositions de la Loi. Le législateur doit agir dès à présent et restreindre l'exception relative aux outils de repérage. La survie du journalisme pratiqué dans les règles de l'art en dépend.
Voilà pourquoi la FNC recommande de resserrer la définition d'outil de repérage pour qu'elle soit plutôt ainsi rédigée:
41.27(5) Au présent article, outil de repérage s'entend de tout outil permettant uniquement de repérer l'information qui est accessible sur l'Internet ou tout autre réseau numérique sans approuver ni encourager l'accès à du contenu couvert par le droit d'auteur.
Merci de votre écoute. Cela nous fera plaisir de répondre à vos questions.
Je suis ici au nom de la Coalition pour la culture et les médias, qui est un regroupement d'organisations actives dans le milieu culturel et médiatique représentant des centaines de milliers de créateurs, d'éditeurs et de producteurs au Canada.
Ces organisations ont ciblé, notamment, les modifications urgentes à apporter à la Loi sur le droit d'auteur, car le milieu culturel canadien subit les répercussions négatives découlant des plus récents changements à la Loi. Ces changements ont introduit de nouvelles exceptions qui sont néfastes pour l'économie canadienne, car elles portent atteinte à l'exploitation normale des oeuvres. Vous avez reçu le mémoire issu de nos réflexions.
Notre coalition propose trois axes d'intervention, afin de mettre en place un environnement économique et juridique garantissant aux titulaires de droits les conditions nécessaires pour innover et nous offrir une culture nationale riche et diversifiée.
Le premier axe est de reconnaître la primauté du droit d'auteur.
Il est tout de même sidérant de réaliser qu'au XXIe siècle, nous sommes forcés de rappeler que la fonction première de la Loi est de protéger la propriété intellectuelle du créateur et de lui permettre d'être rémunéré pour l'utilisation de son travail créatif.
Le principe mis en avant est très simple: l'utilisation ou l'exploitation partielle ou totale de la propriété intellectuelle d'autrui est interdite, à moins de recevoir le consentement du titulaire de droits, qu'il soit à titre onéreux ou gratuit. Chaque fois que l'on porte atteinte à ce droit, on affaiblit la structure même qui protège les créateurs et tous les titulaires de droits. Or, nous ne pouvons ignorer le nombre croissant de joueurs qui donnent accès aux produits culturels, gratuitement ou non, et qui les utilisent en guise de produits d'appel, comme les fournisseurs d'accès Internet, et ce, sans partager avec les créateurs de ces contenus la valeur ajoutée à leur entreprise.
Dans un système équilibré de droits d'auteur, il doit y avoir un véritable partage des revenus et une réelle reconnaissance de l'apport des produits culturels et du travail des créateurs. Depuis 2012, on observe plutôt un déclin progressif de la participation des créateurs à la vie économique de leurs oeuvres. Le Parlement doit donc profiter de l'examen quinquennal de l'application de la Loi pour devenir le réel porte-étendard de la défense et de la promotion des titulaires de droits canadiens.
Le deuxième axe est qu'une pléthore d'exceptions est l'antinomie du principe précédent.
En 2012, le législateur a introduit une foule d'exceptions à la Loi, sous prétexte de la moderniser. Or, la Convention de Berne pour la protection des oeuvres littéraires et artistiques, l'Accord sur les aspects des droits de propriété intellectuelle qui touchent au commerce et les traités de l'Organisation mondiale de la propriété intellectuelle, ou OMPI, auxquels le Canada est partie, prévoient que toute limitation ou exception aux droits des créateurs doivent respecter ce qu'on appelle le critère en trois étapes. Les exceptions doivent donc être limitées à des cas spéciaux, ne pas porter atteinte à l'exploitation normale de l'oeuvre et ne pas causer un préjudice injustifié aux intérêts légitimes des créateurs. Nombre des exceptions introduites dans la loi en 2012 ne respectent simplement pas ce critère.
L'exercice de révision parlementaire que vous menez doit devenir l'occasion d'améliorer le sort économique des créateurs en revoyant à la baisse le nombre d'exceptions non ou mal rémunérées que la Loi contient.
Le dernier axe est l'urgence de rétablir l'équilibre et l'équité dans notre monde numérique.
Les droits d'auteur ne sont pas un frein à l'innovation et à l'efficacité technologiques. Nos axes d'intervention n'ont rien à voir avec le soi-disant combat pour préserver une économie analogique en résistant à l'économie numérique. C'est l'économie en entier qui se numérise et nous en sommes parfaitement conscients. Nous sommes souvent aux premières loges pour en prendre conscience et en être témoins.
La Loi devrait s'appliquer en toute neutralité, sans favoriser ou défavoriser une forme de technologie en particulier. L'introduction du principe des droits des utilisateurs et des usagers dans la Loi a affaibli la protection des droits économiques et moraux des titulaires de droits. Non seulement on nous dit d'interpréter dorénavant les exceptions dans la Loi de façon large et libérale, mais même les droits d'auteur de reproduction et de communication — les droits de base — sont contestés par ces mêmes utilisateurs, qui remettent en question depuis 2012 la légitimité de ces droits et qui se demandent s'ils ne devraient pas être réduits davantage.
Ces attaques contre le droit d'auteur doivent cesser et le Parlement doit renverser les principes d'interprétation néfastes pour les créateurs que les tribunaux pourraient énoncer.
Au terme de son réexamen, votre comité doit donc proposer au Parlement des modifications à la Loi tenant compte des trois grands axes d'intervention qui vous sont présentés aujourd'hui.
Il est notamment nécessaire de réduire et de resserrer le nombre d'exceptions à la Loi telle que l'exception d'utilisation équitable; de réglementer les actes à valeur économique destinés aux Canadiens et aux Canadiennes, et ce, même s'ils émanent de services en ligne qui sont installés à l'étranger; d'adapter les dispositions législatives aux réalités technologiques du marché, par exemple en incluant les enregistreurs audionumériques dans le régime de copie privée; et enfin d'obliger les fournisseurs d'accès Internet à jouer un plus grand rôle dans la rémunération des ayants droit.
Ce ne sont là que les changements les plus pressants à apporter à la Loi. Je vous invite à écouter attentivement les membres individuels de la Coalition qui comparaîtront devant vous au cours des prochains mois. Ils vous proposeront des solutions plus spécifiques et concrètes à mette en oeuvre dans chacun de leurs secteurs.
Je vous remercie de votre écoute et je répondrai à vos questions avec plaisir.
Monsieur le président, membres du Comité, je vous remercie de me donner l'occasion de m'adresser à vous.
Je vais vous parler un peu plus de ce qui se passe sur le plancher des vaches, de l'expérience d'un éditeur de musique.
Je suis natif de Jonquière, au Saguenay—Lac-Saint-Jean. Je suis avocat en droit du divertissement. J'ai étudié en droit à l'Université McGill. Je suis également musicien et compositeur de musique, ce qui m'a amené à fonder, en 2005, une compagnie d'édition musicale qui s'appelle « Face Trois Musique » — Third Side Music en anglais. Elle est devenue un leader mondial dans le domaine de l'édition musicale.
Nous représentons quelques centaines de créateurs, voire plus, de 50 000 chansons individuelles, entre autres des titres de DJ Champion, de Florence K, de Zachary Richard, des Dead Obies, de Lisa LeBlanc, de BadBadNotGood, de Toronto, de Bedouin Soundclash, de Tanya Tagaq, de Galt MacDermot et de plusieurs autres.
Nous sommes strictement indépendants. Notre compagnie est financée de manière autonome, et elle est contrôlée par ses actionnaires canadiens et québécois. Nos bureaux comptent maintenant 18 employés, et ils sont principalement situés à Montréal. Il y a aussi un bureau satellite à Los Angeles.
Un éditeur de musique, c'est comme un agent pour des chansons. Notre rôle est de générer des revenus pour des chansons et leurs créateurs en administrant les droits à l'échelle mondiale. Nous avons acquis une expertise particulière dans ce qu'on appelle la « synchronisation », soit le placement de musique dans les films, les émissions de télévision, les jeux vidéo et les publicités.
Voici quelques exemples. Ceux qui regardent le hockey ont sûrement vu la publicité au sujet du iPhone rouge. Actuellement, cette publicité est présentée au cours de toutes les pauses publicitaires. Il s'agit d'une chanson que nous représentons, soit That's it, I'm crazy de Sofi Tukker, un duo d'artistes de New York.
Nous avons récemment placé une chanson de Tanya Tagaq, une auteure d'Iqaluit, dans une publicité pour la montre Apple.
La chanson Ma rose, de Florence K, a été placée dans une publicité de Ralph Lauren.
Je donne aussi l'exemple de BadBadNotGood, de Toronto, qui fait des pièces en collaboration avec Kendrick Lamar, Drake et Rihanna. Ce sont les plus grands noms de la musique pop, de la musique urbaine.
Le message que je veux vous transmettre, c'est que nous sommes de vrais gens d'affaires. C'est une vraie entreprise. Nous générons des revenus substantiels qui aident nos clients, des créateurs, à gagner leur vie. Nous investissons dans la culture canadienne. Nous faisons rayonner la culture canadienne partout au monde. Nous ne demandons pas des subventions, mais nous demandons simplement une loi sur le droit d'auteur qui protège le droit à la rémunération des créateurs de manière efficace et prévisible.
Ma première recommandation concerne la Commission du droit d'auteur du Canada. Le 25 août 2017, la Commission a rendu sa décision sur le tarif pour les services de musique en ligne pour la période de 2011 à 2013. Le délai est donc de cinq ans, ce qui est complètement inacceptable. C'est difficile de faire des affaires quand on n'a aucune idée de ce que sera le tarif pour une période de cinq ans suivant l'usage. Il faudrait que ce soit l'inverse, c'est-à-dire qu'il y ait une décision pour les cinq années à venir.
La Commission doit avoir les ressources nécessaires pour faire son travail. Elle doit avoir l'obligation de prendre des décisions à l'égard d'un tarif raisonnable. Pour accélérer le processus, je recommande que les collectifs comme la SOCAN et Re:Sound aient la capacité de conclure des ententes directement avec les utilisateurs de musique, sans avoir à faire homologuer les tarifs par la Commission du droit d'auteur, ce qui impose un délai supplémentaire.
En ce qui a trait aux décisions qui ont été prises par la Commission du droit d'auteur, on doit clarifier sur quelle base la Commission travaille pour prendre ses décisions. Elle devrait avoir à se baser sur la vraie valeur des droits musicaux dans un marché ouvert et concurrentiel. Actuellement, les tarifs sont beaucoup plus bas qu'à l'étranger, particulièrement aux États-Unis. Ils sont beaucoup trop bas pour appuyer l'écosystème québécois et canadien de musique.
À mon avis, cela revient à demander aux auteurs et aux créateurs canadiens et québécois de subventionner les modèles d'affaires des géants tels que Apple, Spotify, Google, Amazon et autres.
Je recommande également de moderniser la Loi sur le droit d'auteur, pour s'assurer, comme Me Lavallée l'a mentionné, que les fournisseurs d'accès Internet ont un modèle d'affaires qui se base largement sur la diffusion du contenu des créateurs canadiens, qui devraient payer des redevances pour ces usages. On devrait limiter et clarifier les exemptions, mais elles sont beaucoup trop nombreuses. On devrait aussi rendre le régime de copie privée technologiquement neutre.
En Europe, des redevances sont exigées sur les supports comme iPad et iPhone. Quand quelqu'un paie 1 000 $ pour un iPhone, ce ne sont pas quelques dollars versés aux créateurs qui vont empêcher la transaction d'avoir lieu. De plus, dans tous les autres pays du monde, le droit d'auteur est maintenu à vie et durant 70 ans après la mort. Au Canada, c'est 50 ans après la mort.
À mon avis, ce n'est pas normal que les héritiers des créateurs du patrimoine canadien et québécois tels Glenn Gould et Félix Leclerc soient mieux protégés actuellement aux États-Unis et en Europe qu'ils ne le sont au Canada. Ce n'est pas seulement la question de la valeur du catalogue, c'est la question de pouvoir empêcher les utilisations du patrimoine sans l'autorisation des héritiers. Je crois que c'est un point important à souligner.
En conclusion, j'estime que le Canada doit se doter d'une loi sur le droit d'auteur moderne, de manière à permettre aux entrepreneurs des industries culturelles, et surtout aux créateurs canadiens, de continuer à faire rayonner la culture canadienne dans le monde.
Merci.
:
Cela pourrait être un fonds indépendant, mais il faut la volonté du gouvernement pour le mettre en place.
Cependant, si nous nous inspirons, par exemple, de ce qui a été fait avec le Fonds canadien des médias, nous avons constaté, au fil du temps, que l'argent allait beaucoup plus dans les contenants que dans les contenus. C'est pourquoi, pour avoir des contenus qui remplissent des contenants, nous devons trouver une façon de les soutenir. Nous pourrions créer un fonds auquel des entreprises comme Google, Apple, Facebook et Amazon, ou GAFA, seraient appelées à contribuer sous forme de redevances, qui pourraient être des redevances directes ou des redevances sur les profits qu'ils génèrent au Canada. Cela pourrait également être une taxe sur les revenus publicitaires, par exemple. Il y a diverses avenues à explorer, et l'argent investi dans ce fonds pourrait être distribué à ceux qui produisent le contenu. C'est ce qu'on a fait au Canada dans le domaine de la télévision, dans les années 1990, lorsqu'on a créé le Fonds canadien des médias.
Nous nous écartons quand même un peu du sujet de la Loi sur le droit d'auteur.
:
Ce qui m'inquiète, c'est que souvent, dans ce débat, on a mis les créateurs en opposition avec les consommateurs.
Je ne comprends pas cette logique, surtout quand on parle de géants. Je citerai simplement l'exemple d'Apple Music ou de Spotify. L'abonnement à Spotify coûte 10 ou 12 dollars par mois. L'entreprise fait des profits hallucinants. Si on augmente le tarif payable au créateur, on va aller chercher de l'argent qui, dans le moment, demeure entre les mains des géants du Web.
Selon moi, il ne s'agit pas d'enlever quelque chose aux consommateurs pour le donner aux créateurs. Les géants sont des entreprises qui valent des milliards de dollars. Spotify a été cotée en bourse, récemment, et je ne me rappelle pas combien de milliards de dollars elle vaut. Il me semble qu'une certaine portion de cette valeur revient aux créateurs, parce que l'entreprise a pour but de vendre de la musique.
Je ne comprends donc pas qu'on ne puisse pas s'assurer que les créateurs canadiens et québécois sont payés de manière à être capables de soutenir leur travail et d'avoir un revenu justifiable, considérant l'utilisation que fait l'entreprise de leur musique.
:
Oui. Il y en a quelques-unes, en fait.
Toutefois, comprenez ma situation. Je ne parle pas en mon nom personnel ou au nom de mon entreprise, je parle au nom d'une coalition. Je ne parle donc pas au nom d'un secteur en particulier, mais de tous les secteurs.
Il y a l'exception des services réseau. Dans les faits, ces gens ont des serveurs à l'étranger ou des serveurs infonuagiques. Il y a donc toute la question du champ d'action de la Loi canadienne quant aux reproductions faites ailleurs, mais qui desservent essentiellement et exclusivement des Canadiens. Il y a aussi toute la question de la transparence. On nous dit beaucoup que c'est confidentiel, on nous dit quel est le montant maximal que l'on peut payer et on indique les revenus que l'on peut nous rapporter, mais on ne nous donne pas le détail par l'entremise de rapports.
Il y a une exception quant à la reproduction technologique. Tout ce qui est issu d'une reproduction technologique est donc une exception à la loi.
Toutes ces exceptions ont un effet cumulatif. En somme, les géants nous disent qu'ils n'ont pas vraiment besoin de s'asseoir à la table de négociations, mais ils le font pour montrer qu'ils sont sérieux, et ils nous proposent un montant minimal. De notre côté, nous leur disons que ce n'est pas suffisant. Alors ils s'opposent, en invoquant l'une des exceptions que je viens de mentionner.
Si, au cours de la négociation, nous établissons que cette exception ne s'applique pas, alors ils vont passer à la deuxième, ensuite, ils vont passer à la troisième, puis à la quatrième. Il y a donc cet effet cumulatif comparable à un gruyère — pensons à l'intérieur de ce fromage —, et il nous est très difficile, collectivement, de nous asseoir, peu importe la plateforme ou le secteur que nous représentons. La solution revient inlassablement: il faut diminuer le nombre d'exceptions, et il faut les rendre plus claires.
Un cas de reproduction technologique s'est retrouvée devant les tribunaux. La plupart des utilisateurs nous disent que leurs activités sont technologiques. Le processus, de a à z, constitue donc une exception, puisque ce sont toutes des reproductions issues d'un traitement technologique.
C'est ce genre d'excès qui mine à la base toute négociation que nous pourrions avoir avec ces gens.
:
Dans l'introduction de ma présentation, je vous disais que nous avions découvert des exceptions introduites en 2012 qui font mal et qui ont diminué nos revenus. Ces revenus avaient été fixés soit par un tribunal administratif dont la fonction est d'assigner une valeur économique à un droit, soit lors de négociations libres.
En effet, je ne me prononce pas sur les décisions de chacun des secteurs que la Coalition représente, à savoir s'ils privilégient un financement quelconque ou une compensation. Je me réserve ce droit au nom de mes membres.
Cependant, mon mandat aujourd'hui est de vous dire qu'il y a trop d'exceptions, qu'elles sont trop larges et qu'il est impossible de compter sur les forces du marché pour déterminer une solution comparable à ce qui se passe ailleurs dans le monde.
Nous disions que ces entreprises étaient les grands de ce monde, mais ces grands, justement, ont le monde comme terrain de jeu de la négociation. Nous nous apercevons que ce monde nous demande souvent comment il se fait que nous n'ayons pas pu obtenir davantage et qu'eux, ils ont ceci ou cela, la copie privée en audiovisuel, par exemple. Or la réponse est très simple: notre législation ne nous le permet pas.
[Traduction]
Il existe des échappatoires qui donnent lieu à différentes interprétations.
[Français]
Je m'excuse auprès des interprètes de mon franglais.
:
Je vais continuer dans cette voie et répondre à votre commentaire.
Chacun des artistes et des créateurs est tout à fait prochoix. S'il désire donner son oeuvre gratuitement, il le fera, et s'il désire la donner à un prix ridiculement bas ou s'il désire opter pour un programme de libre accès ou une licence de Creative Commons, il le fera.
Il n'y a aucun problème.
Nous tentons de protéger ceux qui veulent vivre d'un modèle économique et négocier une entente avec quelqu'un qui utilise la propriété d'autrui.
Comme je vous l'ai dit dans ma présentation, à la base, si quelqu'un veut utiliser la propriété de quelqu'un d'autre, quel que soit le type d'utilisation, il devrait pouvoir disposer des outils nécessaires pour négocier quelque chose selon une échelle de valeur, qui peut aller de zéro à une valeur maximale. Par ailleurs, cela revient fondamentalement à se demander à quoi sert la Loi sur le droit d'auteur et quelle en est la fonction première. C'est une question philosophique.
Actuellement, on ne peut pas faire abstraction de l'interprétation que la Cour suprême du Canada a faite de la Loi telle qu'elle est écrite aujourd'hui. Si vous me le permettez, je vais vous lire une citation qui nous a donné un choc, lorsque nous l'avons entendue.
En 2012, à peu près simultanément à l'introduction des exceptions à la Loi sur le droit d'auteur, la Cour nous a apprend qu'elle « rompt avec une conception jusque-là centrée sur l’auteur de l’œuvre ainsi que sur le droit exclusif de l’auteur et du titulaire du droit d’auteur de décider de l’usage qui peut être fait de l’œuvre sur le marché ».
Voilà l'état du droit en 2012. Du même souffle, trois ans plus tard, en 2015, cette même Cour suprême nous apprend qu'il ne lui appartient pas à elle de faire en interprétant la loi ce que le législateur, c'est-à-dire vous, a choisi de ne pas faire en l'adoptant.
En d'autres mots, plus la loi sera claire et plus les exceptions seront ciblées, moins nous devrons nous battre sur à peu près chaque point devant les tribunaux, et moins nous aurons à vivre avec quelque chose qui dit qu'une loi sur le droit d'auteur — et c'est ce que nous vous avons présenté uniformément — ne devrait pas être centrée sur l'auteur. C'est une antinomie et c'est un non-sens.
Ce n'est pas un débat sur la révolution numérique et nous ne voulons pas revenir à ce qui existait avant. Au contraire, nous trouvons que dans la Loi sur le droit d'auteur, dont vous êtes ultimement et conjointement responsables, la neutralité technologique devrait faire en sorte que, peu importe la plateforme technologique, il y ait une protection qui amène un rétribution.
Des voix: Bravo!
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En général, je vois les choses différemment. En tant que député depuis plus de 10 ans, j'ai vu le gouvernement encaisser environ 10 milliards de dollars grâce aux enchères du spectre. En effet, en 2014-2015, environ 7,4 milliards de dollars de revenus provenaient uniquement de la vente aux enchères du spectre. Les enchères du spectre constituent un actif public, tout comme nos terres et nos eaux. Il s'agit d'une source de revenu pour le public en général.
Il s'agit d'un montant sans précédent d'un revenu public. Depuis ce temps, combien de ce montant a été redonné au milieu artistique et créatif? Je pense au fonds télévisuel, qui est un bon exemple de fonds créé avant ces ventes aux enchères. Dans quelle mesure les artistes ont-ils profité des recettes tirées des enchères du spectre, tandis qu'ils avaient peine à s'adapter à l'émergence de l'ère numérique?
Les témoignages, même du milieu de l'édition, indiquent clairement que pendant que nous passons au numérique, les créateurs ne reçoivent rien de ces revenus, bien que cette approche oligarchique à l'international semble générer des milliards de dollars, on constate qu'il existe donc des sources de revenu, non seulement pour les gouvernements, mais aussi pour d'autres, et ces sources de revenu sont sans précédent.
Qu'avez-vous reçu de ces 10 milliards de dollars sur peut-être 10 ans de recettes gouvernementales?
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J'aurais tendance à vous répondre qu'il s'agit de chacune d'entre elles.
Cela revient à un point que j'ai soulevé plus tôt: à la base, il faut s'interroger sur la fonction première de la loi.
Ce serait tomber dans un piège que de se demander ce qui serait un bel équilibre et de décider de réduire les 70 exceptions à 30 pour que tout le monde soit heureux. Je ne pense pas que ce soit là coeur du problème.
Nous voulons une loi sur le droit d'auteur juste et équilibrée, certes, mais qui permet aussi de défendre les auteurs, les éditeurs et les producteurs, soit tous les titulaires de droit.
Si notre mentalité, c'est que nous avons un droit de base et que, ensuite,
[Traduction]
nous avons tout un tas de dérogations,
[Français]
cela ne reflète pas la volonté politique de se doter d'une loi qui est forte.
Comme je l'expliquais à M. Jeneroux, une loi forte permettra ensuite une négociation d'égal à égal, peu importe les acteurs. On ne veut pas donner un avantage à l'un par rapport à l'autre. Essentiellement, il faut que la situation soit claire, comme vous le disiez par rapport au temps que la Commission peut prendre pour rendre ses décisions.
Vous avez demandé lesquelles, et je vous ai nommé celles qui touchaient à la technologie en particulier. La loi devrait être neutre. Pourquoi faut-il mettre des exceptions précises à une technologie plutôt qu'à une autre?
À la base, le droit d'auteur est tout à fait clair: un droit de reproduction, un droit de communication ou un droit de première publication porte sur des enregistrements, des producteurs, des droits voisins ou des droits d'auteur. Ensuite, il y a une panoplie d'exceptions qui, à mon avis, devraient être revues. Veut-on vraiment retirer des droits et affaiblir la position de protection de base qui permet aux créateurs de négocier? Ne devrions-nous pas tout revoir, réaffirmer le droit à la base et discuter ensuite d'un droit public?
À mon avis, ce choix devrait être laissé aux créateurs et aux titulaires de droit. Cela ne devrait pas être imposé par un instrument législatif.
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Ce n'est pas tant que la solution ne soit pas là, c'est que je m'interroge toujours sur le rôle de la Coalition comparativement au rôle de chacun des secteurs. Je vous suggérerais grandement de poser cette question aux Copibec et Access Copyright de ce monde. Ils seront tout à fait en mesure de vous répondre.
L'autre élément touche à notre commentaire général. On parle d'une « utilisation équitable ». Connaissez-vous le test en fonction de six facteurs? Je suis assez certain que, oui , vous en avez entendu parler. Cependant, si je vous demande de l'appliquer, cela risque d'être un peu plus compliqué. La raison pour laquelle je vous en parle, c'est que le test en fonction de six facteurs est un test que la Cour suprême a proposé pour interpréter ce qui constitue une utilisation équitable. Ce test a été amené trois fois devant la Cour et a mené à des résultats différents chaque fois. La Cour a justement accepté d'entendre les causes, année après année, pour essayer de clarifier sa position et sa façon de l'interpréter.
Cela rejoint le commentaire entendu plus tôt, selon lequel nous ne devrions pas en être là du tout. Nous devrions avoir une loi qui n'entraîne pas une interprétation chaque fois qu'on se pose la question. Posons-nous donc la question. Si l'utilisation équitable vise l'utilisation équitable aux fins de l'éducation, c'est sûr qu'il y aura 350 000 questions relatives à ce que constitue l'éducation. Ce serait relativement à qui, relativement à l'étudiant, à l'université ou à l'établissement d'enseignement?
Toutes ces questions entraînent des situations dans lesquelles les universités, entre autres — on le vit ici, au Québec —, vont dire que, dorénavant, elles n'ont plus à payer et que donc, elles ne paient plus. Cela revient encore une fois au commentaire de M. Curley et au mien, à savoir que cela nous enlève toute possibilité de négociation. La façon de régler cela serait d'apporter des clarifications.
Vous demandiez de comparer ce qui se passe aux États-Unis à qui se passe au Canada. Est-ce qu'ils ont une meilleure relation? Cependant, il y a une différence fondamentale entre le fair dealing et le fair use. Ici, au Canada, on a le fair dealing et aux États-Unis, c'est le fair use. Les Américains ont établi des règles très claires et beaucoup plus simples que le test en fonction de six facteurs et qui, d'une certaine manière, respectent la Convention de Berne pour la protection des œuvres littéraires et artistiques.
C'est là où nous ramène ma réponse. Je sais que ce n'est pas une réponse simple qui se tape à la machine, mais est-ce que cela crée un préjudice à l'ayant droit? Est-ce que c'est limité dans certains cas?
Lorsqu'on écrit dans une loi que c'est de « l'utilisation équitable à des fins d'éducation », je ne crois pas, et la Coalition ne le croit pas non plus, que cela réponde aux critères de la Convention de Berne.
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Monsieur Lavallée, vous avez parlé d'une panoplie d'exceptions. Voici comment nous allons procéder.
Tout d'abord, une loi est en place. Si je vous comprends bien, certaines exceptions nuisent au pouvoir de négociation des créateurs. Comme le président l'a bien mentionné, vous pouvez nous faire part de ces exceptions de façon formelle en nous les soumettant par écrit. On a beau dire que l'ensemble de la loi devrait être refaite, cela ne fonctionne pas ainsi. Nous allons étudier la loi et faire des recommandations.
Vous pouvez nous guider en nous signalant quelles exceptions nuisent à votre pouvoir de négociation. Dites-nous en quoi elles sont nuisibles et proposez ensuite des changements. Si vous êtes en mesure de soumettre cela formellement au greffier, nous pourrons nous pencher là-dessus. Même si nous ne sommes pas d'accord, cela se retrouvera dans notre rapport. Je vous comprends très bien, alors je vous demande de faire ce travail. Monsieur Curley, peut-être que vous pourriez le faire aussi.
Monsieur Curley, vous avez parlé de la Commission du droit d'auteur du Canada en disant que les délais étaient beaucoup trop longs. Pourquoi le sont-ils? Comment le gouvernement pourrait-il répondre plus rapidement aux questions?
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Nous avons parlé, tout à l'heure, de la façon d'interpréter la Loi. Il est vrai que la Cour suprême a introduit, bizarrement, en 2004, une interprétation qui s'est concrétisée en 2012 et en 2015. En 2004, la Cour suprême du Canada se distancie de la Cour suprême américaine. En même temps, le dossier traitant de Mickey Mouse était devant la Cour suprême aux États-Unis. La Cour suprême américaine a énoncé le principe que, grâce à la loi américaine sur le droit d'auteur, Webster avait produit sa grammaire et fait vivre sa famille et, en plus, nous avait donné un grand dictionnaire.
Ici, la Cour suprême nous dit qu'il faut limiter les droits. Il faut gagner sa vie, on le sait, et quelqu'un qui ne gagne pas sa vie ne crée pas. Cette notion existait donc auparavant. Même si on me disait, dans ma pratique en tant qu'auteur de livres sur les droits d'auteur, que l'exception liée à l'éducation doit être interprétée dans ce cadre antérieur, je sais que c'est devenu beaucoup plus strict maintenant, en raison d'une exception très large liée à l'éducation, qui n'est pas encadrée pour le grand public, et en raison d'une interprétation qui favorise l'utilisateur.
En pareil cas, je crois que, en tant qu'avocat, je me ferais dire tout le temps par mes collègues d'en face que leur client n'a pas à payer, même s'il utilise une oeuvre sur Internet, carrément à des fins commerciales.
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Pour ce qui est des 50 millions de dollars, le ministère du Patrimoine canadien sera certainement confronté à des défis importants lorsque viendra le temps de trouver une organisation indépendante qui sera chargée d'administrer ces fonds, puisque ce n'est pas spécifié dans le budget. Déjà là, il y a un défi à relever, alors je crois que le ministère du Patrimoine canadien va devoir se pencher sur cette question.
En ce qui à trait à l'indépendance journalistique vis-à-vis du gouvernement, il y a quelques réponses. Premièrement, CBC/Radio-Canada est subventionnée par des fonds gouvernementaux depuis sa création, et je crois que tous s'entendent pour dire qu'en matière d'indépendance et de qualité journalistiques, on a là un modèle et une référence.
Ensuite, pour éviter l'apparence d'ingérence de la part des gouvernements dans le fonctionnement des salles de nouvelles, de manipulation de l'information journalistique ou d'influence politique sur les médias d'information, cela prend des programmes universels qui s'appliquent à tous ceux qui correspondent aux critères définissant ce qu'est un média d'information aujourd'hui. Cela permet d'éviter le picorage et une apparence de favoritisme à l'endroit d'un groupe ou d'un autre. Cela doit être le premier critère à considérer lorsque des fonds publics sont en jeu. Évidemment, plus l'organisme qui administrera ces fonds sera indépendant du gouvernement, le mieux ce sera.
Aujourd'hui, dans le monde de l'information, plus personne ne se fait d'illusions quant à l'avenir, qu'il s'agisse de propriétaires de journaux de la presse écrite ou d'autres. Malheureusement, jusqu'à ce qu'on trouve un nouveau modèle d'affaires qui va subitement rapporter de nouveaux revenus à ceux qui produisent des contenus d'information, on va devoir trouver une façon de soutenir la production de contenus d'information par des fonds publics, mais aussi en allant chercher l'argent dans les poches de ceux qui font présentement d'énormes profits avec le travail de nos membres.
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Il existe, à mon avis, trois répercussions.
Premièrement, il existe actuellement un exercice de réforme de la Commission du droit d'auteur du Canada dans un autre forum, auquel certains d'entre nous, ici présents, participent. Des mémoires et des recommandations spécifiques ont été déposés dans le cadre de ce forum.
Par ailleurs, je peux vous dire qu'il y a trois conséquences au temps que la Commission peut prendre pour rendre des décisions.
La première est l'effet rétroactif. En effet, cet argent ne peut pas être distribué aux ayants-droit parce qu'on ne peut pas prendre de risque, ne sachant pas quelle sera la décision finale. Il y a toujours une décision provisoire, tout de même. Souvent, des sommes sont payées et, souvent, elles sont minimes, parce qu'on ne sait pas quel sera le résultat final.
En deuxième lieu, il y a aussi tout l'aspect administratif de l'ajustement. Cela veut dire que si le taux est un peu moindre ou un peu plus important, on doit revoir des millions et des millions de transactions, surtout dans le monde numérique, et essayer d'apporter des corrections pour savoir exactement quel sera le résultat final. Plus le temps s'écoule, plus cette information se perd. Des distributeurs peuvent nous dire qu'ils n'ont pas d'information, qu'ils n'ont pas conservé l'information nécessaire qui pourrait nous donner celle dont nous avons besoin.
Troisièmement, il y a l'incertitude. On va souvent prendre un tarif pour une période donnée, et lorsque cette période est expirée, et que le décision n'est toujours pas connue, il n'y a pas que le taux qui importe, mais il y a aussi des points de droit. Nous retournons donc tous collectivement devant le tribunal et nous ne savons pas trop quel point de droit nous devrions plaider, et si nous devrions les plaider à nouveau. Nous n'avons pas le bénéfice de la décision et on n'a pas encore tranché sur certains points de droit en tant que tel.
Ce qui importe le plus, c'est qu'il faut vraiment trouver un moyen pour que les décisions soient prises plus rapidement.
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Je vais me limiter aux commentaires que j'ai faits sur une exception en pratique. C'est vrai que les exceptions sont devenues illisibles. Il faut les relire constamment pour pouvoir dire à quelqu'un qu'une exception va dans un sens ou dans l'autre.
On pouvait dire que la loi d'avant 1997 était rédigée à la française, puisqu'elle se basait sur la Convention de Berne, qui, à l'époque, présentait un certain style de rédaction à l'époque. Or, tout à coup, le libellé est devenu excessivement précis. Comme tout juriste le sait, il y a un danger à vouloir être très précis. À force de vouloir être précis, on peut oublier des choses qui étaient déjà inscrites, de sorte que les choses deviennent souvent inconciliables. La Loi actuelle est maintenant plus longue en matière d'exceptions qu'en matière de droit.
Pour M. et Mme Tout-le-Monde, c'est sûrement incompréhensible. J'ajouterais un commentaire sur les dernières exceptions.
À l'école, les enfants peuvent utiliser les oeuvres sur Internet, quelles qu'elles soient, et sans avis. Vive la liberté, mais on ne montre pas à nos enfants ce qu'est le droit d'auteur. Les gens ne savent pas comment vivent les artistes dans la vraie vie. Pour les gens, le droit d'auteur ne signifie rien. Ce n'est pas comme une paie qui est versée par un employeur à la fin de la semaine.
Qu'on me comprenne bien. Je ne dis pas ici que je voudrais que les enfants paient pour consulter ces oeuvres. Le simple fait qu'ils puissent utiliser du contenu libéralement à l'école signifie qu'ils n'auront jamais conscience de la façon dont un créateur gagne sa vie. Comme ils n'en auront pas conscience, il sera difficile pour eux de respecter le droit, même s'ils sont de bonne foi, parce qu'ils ne sauront même pas qu'il y a un droit.
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Si les droits de reproduction et de communication publique pour les oeuvres journalistiques étaient reconnus dans la Loi sur le droit d'auteur et s'ils étaient appliqués, cela impliquerait nécessairement que les plateformes numériques versent des redevances en guise de droits d'auteur. Cela ne veut pas dire que ce serait nécessairement des tarifs faramineux.
L'idée de constituer un fonds de pérennité pour l'information est complètement à l'extérieur de nos recommandations relatives à la Loi sur le droit d'auteur que nous avons présentées dans la foulée du dernier budget fédéral.
Ce que nous voulons, c'est qu'on instaure une façon de soutenir financièrement les médias d'information qui produisent du contenu. Soutenir des salles de nouvelles coûte extrêmement. Des journalistes qui font de l'enquête pendant des semaines et des mois, parfois, sans produire un article, cela entraîne des frais, et il y a très peu de revenus publicitaires par la suite, surtout en cette ère du numérique.
Plusieurs avenues peuvent être envisagées pour constituer ce fonds de pérennité pour l'avenir de l'information. On pourrait exiger des redevances des entreprises GAFA ou imposer une taxe sur la publicité en ligne que placeraient les gens sur Google ou sur Facebook, par exemple. Cette taxe de 5 %, disons, pourrait être reversée dans le fonds consolidé destiné à l'avenir de l'information ou du contenu artistique.
Il y a des moyens à prendre pour que ceux qui profitent des contenus québécois et canadiens fassent davantage leur part. Il y a aussi les fournisseurs d'accès Internet.
J'ai parlé de la création du Fonds des médias du Canada à partir de redevances sur l'abonnement à la câblodistribution. Les gens se désabonnent de plus en plus du câble et ont accès au contenu grâce aux fournisseurs d'accès Internet. Comment se fait-il qu'on ne pense pas à exiger des redevances de ces fournisseurs d'accès Internet? Ce sont souvent les mêmes compagnies. Comment se fait-il que les redevances ne soient pas transférées aux abonnements à Internet?
Ce sont des questions comme celles-là qu'on doit se poser. Il y a plusieurs avenues possibles. Maintenant, il suffit de prendre le taureau par les cornes, d'avoir la volonté politique de le faire et de défendre, ici, nos créateurs et nos producteurs de contenu.
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Merci, monsieur le président.
Je suis toujours obnubilé par les ventes aux enchères du spectre, car dans 10 jours, le gouvernement va recevoir un autre chèque pour allouer les fréquences 4G à 10 soumissionnaires, et il y aura ensuite les allocations 5G qui rapporteront sûrement plus de 1,5 milliard de dollars, selon les attentes.
Pensez-vous que la communauté des créateurs serait d'accord avec moi pour demander que, quand on met le spectre aux enchères, on fasse en sorte que les actifs qui en proviennent soient remis aux créateurs. Par exemple, nous continuons de voir évoluer le spectre qui, selon moi, est une ressource et un bien public, si bien que nous en sommes les propriétaires. Nous en sommes propriétaires et nous la louons à d'autres. Si nous décidons des modalités, la communauté des créateurs serait-elle ouverte à l'idée d'une politique, d'une solide politique, sur la façon de l'inclure? Le cas échéant, lorsqu'on offrira plus de spectres, surtout avec le 5G, cela pourrait entraîner de gros changements dans le style de vie de la communauté artistique, car cela modifiera aussi son utilisation. Cela ne donnerait-il pas la possibilité d'adopter une solide politique à cet égard? Je lance l'idée. La communauté serait-elle intéressée par ce concept?