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Merci beaucoup, monsieur le président.
Je tiens à rendre hommage à Wanda Noel, qui est l’avocate du CMEC dans le dossier du droit d'auteur depuis pas mal de temps. J’aimerais rendre hommage à Andrea John et à Chris George, qui sont présents pour manifester leur appui. Égoïstement, j’aimerais informer le Comité que ma femme et ma fille, Katie et Cecilia Churchill, sont également présentes. Voilà qui est le bébé.
Nous vous sommes très reconnaissants du temps alloué pour parler d'un enjeu d'une très grande importance pour le pays. Depuis les années 1990, on parle beaucoup des droits d'auteur. Je pense qu’il importe de prendre acte des efforts consacrés à la réalisation de deux objectifs clés d'intérêt public.
Le premier vise à assurer la protection des droits des auteurs et des créateurs et créatrices afin que ces derniers reçoivent une juste rémunération pour leur travail et que cette industrie soit en mesure de prospérer au Canada. Le second vise à permettre au système éducatif d'avoir accès au plus large éventail de matériel possible afin d'assurer la réussite et le bien-être à long terme des élèves et des étudiants.
Pour nous entretenir de la question, deux aspects du droit d’auteur sont essentiels. Le premier est l’utilisation équitable et ce qu'on entend par là. Il est difficile de comprendre ce qui est équitable quand on essaie de concilier ces deux grandes priorités d'ordre public. Heureusement, pour nous tous ici présents, les tribunaux ont débroussaillé la question et ont travaillé très fort pendant 10 à 15 ans pour acquérir une compréhension de l’utilisation équitable au Canada, laquelle, à notre avis, en qualité de ministres de l’Éducation, cadre bien avec nos politiques.
La seconde question porte sur l’idée d’imposer un tarif au système éducatif. C’est une chose à laquelle nous nous opposons. Nous appuyons la définition que donne le tribunal de l’utilisation équitable. Nous nous opposons à un tarif obligatoire sur le matériel éducatif.
Il est important de comprendre pourquoi. Nous croyons que les maigres ressources des provinces nous amènent à engager la moindre dépense dans la salle de classe afin d'assurer la réussite, l'accomplissement et le bien-être des élèves. Un tarif obligatoire retirerait des dizaines de millions de dollars de notre système éducatif et des classes des futurs auteurs, créatrices et créateurs de notre pays.
Il faut savoir que nous ne cherchons pas à mettre en opposition le secteur de l’enseignement et l’industrie de la création, bien qu'un certain désaccord existe. Nous nous intéressons tout particulièrement au succès d'un secteur de la création dynamique, vigoureux, sain, prospère et novateur au pays. En fait, notre système éducatif en dépend. Nous reconnaissons que la technologie, l'Internet, les logiciels libres et l’information utilisés dans nos systèmes éducatifs ont modifié le modèle économique dans ces secteurs.
Nous ne croyons pas qu’un tarif obligatoire soit le meilleur moyen de soutenir cette industrie; nous croyons plutôt qu'on enlève ainsi de l’argent à nos classes qui en ont grand besoin.
J’aimerais aborder deux questions dont j'ai appris que le Comité avait parlé. L'une concerne le nombre de manuels scolaires copiés au complet. Je sais que la situation préoccupe l’industrie. Nous n'aimerions pas cela non plus. Un tel geste rompt avec les lignes directrices sur l’utilisation équitable de matériel protégé par le droit d’auteur au Canada.
Heureusement, la Cour d’appel fédérale et la Commission du droit d’auteur ont examiné la question à deux reprises et elles ont appris que 98 % des copies faites dans notre système éducatif le sont dans le cadre des lignes directrices sur l’utilisation équitable. Nous devrions en être très fiers. Quatre-vingt-dix-huit pour cent est une note de passage. Je ne pense pas que nous devrions envisager d’imposer un tarif en réponse à une anomalie de 2 % dans notre système éducatif.
Je sais aussi qu’on soutient que les revenus des éditeurs et des auteurs en provenance du secteur de l’éducation ont subi une baisse à la suite de l'adoption des lignes directrices sur l'utilisation équitable et de la Loi sur le droit d’auteur. Les données de Statistique Canada que nous vous avons fournies montrent que les ventes de livres dans le secteur de l’éducation, de la maternelle à la 12e année, augmentent en fait depuis 2012. C’est un constat dont nous devrions aussi être très fiers, car il se dégage à une époque où la technologie évolue et où le mode d'enseignement évolue lui aussi.
En conclusion, je tiens à dire que nous, les ministres de l’Éducation, qui sommes responsables de nos systèmes éducatifs respectifs et qui sommes chargés d’offrir une éducation de qualité, nous appuyons la définition de l’utilisation équitable donnée par la Cour et considérons que nos lignes directrices y correspondent. Nous vous avons remis ces dernières également et nous nous engageons à travailler avec les membres du Comité, le gouvernement fédéral et l’industrie pour trouver des moyens originaux et novateurs d'aider cette industrie à réussir et à prospérer afin que nous puissions tous en profiter.
Nous n'arrivons tout simplement pas à croire qu'une aide financière sous le patronage des écoles soit le meilleur moyen d'y arriver.
Je tiens à informer le Comité que nous, en qualité de ministres, consacrons 5 millions de dollars à l’échelle nationale pour aider les enseignants à mieux comprendre le droit d’auteur, afin qu’ils prennent pleine conscience de leurs rôles et de leurs responsabilités, et pour effectuer de nouveaux examens de conformité en lien avec le droit d’auteur. J'ai pensé que le Comité aimerait aussi le savoir.
Merci beaucoup de m'avoir permis ces mots d'ouverture, monsieur le président. Je me ferai un plaisir de répondre à vos questions.
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Beaucoup de questions sont en jeu.
Occupons-nous des observations de la ministre Jennex sur la Loi sur la modernisation du droit d’auteur. Sa déclaration en 2011 ou 2012 était juste. Elle l'est toujours. En effet, l’ajout de l’éducation comme fin possible d'une utilisation équitable, ce qui a fait suite à l'adoption de la Loi sur la modernisation du droit d’auteur, n’avait rien à voir avec les lignes directrices sur l’utilisation équitable. Les seuils et les lignes directrices sont basés sur les décisions de la Cour suprême du Canada qui ont suivi l’adoption de la Loi sur la modernisation du droit d’auteur. Voilà un premier point. Récemment, j'ai lu en manchette que la ministre Jennex avait menti au Parlement. Eh bien, ce n’est pas vrai, pas du tout. C’est tout simplement faux.
En ce qui concerne votre renvoi au rapport de PricewaterhouseCoopers, les sources étaient un rapport déposé à la Commission du droit d’auteur par Access Copyright, qui est dans l’auditoire cet après-midi, et un autre rapport d’expertise préparé par Deloitte. Dans une procédure de la Commission du droit d’auteur, il y a confrontation d'experts. Le rapport de PricewaterhouseCoopers adoptait un point de vue, et une étude analogue affirmait que tout le contenu du rapport était inexact.
C’est un duel entre experts économiques. Je vous ferai parvenir, au nom du ministre Churchill, un exemplaire du rapport d’expert dans lequel on affirme que PricewaterhouseCoopers a tort.
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Oui, c'est ce qui se passe.
En général, cependant, ce que nous entendons non seulement des témoins... Je sais que vous avez des documents de Statistique Canada sous les yeux. Lorsque nous recevons des témoins et des gens, ce n'est pas toujours représentatif du tableau d'ensemble; il n'y a aucun doute à ce sujet. Or, il me semble que nous nous heurtons à un modèle d'expériences où il y aurait, en cours de route, des gagnants et des perdants.
Quand les politiques gouvernementales modifient quelque chose, je pense qu'on s'attend probablement à ce qu'il y ait une certaine amélioration ou des politiques publiques pour aider. Croyez-vous qu’il y ait eu des changements par rapport aux oeuvres que vous avez achetées ou à votre interaction avec certains fournisseurs de contenu, peut-être dans votre propre province? A-t-on cherché à savoir s’il y a eu un changement depuis?
Certains auteurs disent qu’ils ont baissé les bras. Ils ne produisent plus rien. Ils ont réduit leur volume. A-t-on cherché à savoir si la Nouvelle-Écosse a fait la transition vers de nouveaux fournisseurs de contenu, ou la situation est-elle simplement la même?
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Merci beaucoup, monsieur le ministre.
Je vous remercie, vous et Wanda, d’être ici aujourd’hui pour nous aider dans notre examen du droit d’auteur.
Récemment, nous avons fait une tournée pancanadienne qui nous a permis de recueillir l'opinion des diverses régions, des divers districts scolaires, des auteurs, des universités et des collèges d’un océan à l’autre. À Toronto, nous avons entendu le témoignage assez bon d'une personne qui a établi une comparaison avec la 401, qui est la superautoroute provinciale, où quelqu’un conduit à 100 lorsqu’il obtient son permis, mais passe ensuite à 105, 110 et ainsi de suite, puis à 120, et ensuite à l’autobahn. Elle a comparé cela au droit d'auteur; quelqu'un prend une reproduction pour une raison quelconque et les choses s'enchaînent. Puis, en vitesse supérieure, certains auteurs de l'Ouest canadien nous ont dit que leurs oeuvres étaient, dans leur ensemble, photocopiées et distribuées aux élèves.
Quelles mesures les conseils scolaires ou les ministres provinciaux de l’Éducation prennent-ils pour sensibiliser les enseignants et les élèves aux lois sur le droit d’auteur et quels types de politiques mettent-ils en place?
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C’est une question très importante, parce que c’est important pour nous aussi.
Nous voulons adhérer aux Lignes directrices sur l'utilisation équitable et voir à ce que seulement de courts extraits puissent être photocopiés. Soit dit en passant, on nous a dit que des enseignants photocopient un manuel complet et le distribuent à leurs élèves. La preuve, cependant, qui a été évaluée par la Cour d’appel fédérale et la Commission du droit d’auteur du Canada, indique que dans 98 % des cas, la photocopie se fait dans les limites de l'utilisation équitable.
Je pense qu’une partie de notre succès à cet égard est attribuable à la sensibilisation que nous faisons auprès de nos enseignants. Des manuels sont distribués dans chaque école du pays. Des affiches pour informer les gens sont censées être installées à chaque photocopieur.
À titre de ministres de l'Éducation, nous avons investi 5 millions de dollars de plus pour renforcer la sensibilisation à l'égard du droit d'auteur, mieux faire connaître les rôles et responsabilités des enseignants et soumettre notre rendement à ce chapitre à d'autres évaluations par des tiers. La Cour d’appel fédérale et la Commission du droit d’auteur du Canada disent constamment que 98 % des photocopies se font dans les limites de l'utilisation équitable. Nous allons faire appel à nos frais à une tierce partie indépendante pour nous fournir une évaluation supplémentaire afin de nous assurer de faire notre part, car nous ne voulons pas nous éloigner de la sphère de l'utilisation équitable. Nous avons un intérêt direct dans la réussite de nos industries créatives. Notre système d'éducation dépend d'elles. Nous devons veiller à ce que de brefs extraits d’information provenant d’un large éventail de sources soient accessibles à nos étudiants et disponibles et abordables.
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Après que la Cour suprême du Canada ait rendu sa décision en 2012 et interprété la notion d’utilisation équitable de façon large, en disant qu’il était permis ou équitable de reproduire de courts extraits pour l’enseignement, nous avons dû — par « nous », j'entends les conseillers juridiques des collèges, des universités et du Conseil des ministres de l’Éducation — définir l'expression « court extrait ». La Cour suprême a dit qu’on peut copier de courts extraits pour les étudiants d’une classe, mais elle n’a rien dit sur ce qu'est un court extrait.
Un certain nombre de sources nous ont guidés dans l’élaboration des limites qui figurent dans les lignes directrices sur l’utilisation équitable.
Le jour où elle a statué sur la façon d’interpréter la notion d’utilisation équitable dans le contexte de l’éducation, la Cour suprême a rendu une autre décision, dans laquelle elle interprétait cette notion dans le contexte de la vente de musique en ligne. Dans ce cas-là, elle a chiffré la quantité pouvant être reproduite aux fins d’une utilisation équitable, et elle correspondait à un extrait. Lorsqu'on achète de la musique en ligne, on peut en écouter un extrait. On peut en écouter une partie. Il s’agissait d'un extrait de 30 à 90 secondes d’une chanson de 4 minutes. Trente secondes sur quatre minutes, cela représente 12,5 % de l’oeuvre musicale. Voilà une des sources.
Nous nous sommes également penchés sur la jurisprudence aux États-Unis, où, comme ici au Canada, il y a un différend entre les éditeurs et une université au sujet de la quantité qui peut être reproduite pour les étudiants. Dans ses décisions, qui ont maintenant été portées devant la cour d’appel fédérale, puis renvoyées à l'instance inférieure pour réexamen, et revenues sans qu’aucune décision ait encore été rendue, la cour a utilisé à maintes reprises dans sa décision le seuil de 10 %, ou un chapitre, et conclu que ce seuil était équitable.
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Bonjour. Je vous remercie de nous recevoir aujourd'hui.
Je me nomme Frédérique Couette. Je suis la directrice générale de Copibec, la Société québécoise de gestion collective des droits de reproduction.
Créée en 1997, Copibec est la société de gestion appartenant à la collectivité des auteurs et des éditeurs québécois. C'est un organisme sans but lucratif. Nous percevons les redevances et les remettons aux auteurs, aux journalistes pigistes, aux créateurs et aux éditeurs après le paiement de nos frais de gestion.
Il y a environ six ans, nous témoignions devant le comité chargé d'étudier le projet de loi . Nous mettions alors en garde les députés contre les dérives et les risques liés à l'introduction du mot « éducation » dans l'exception d'utilisation équitable. Les représentants du secteur de l'éducation tenaient un discours rassurant. Jamais, affirmaient-ils, ils ne mettraient fin aux licences avec les sociétés de gestion. Il s'agissait d'une simple clarification sans aucune conséquence négative tangible pour les titulaires de droits.
Pourtant, dès le mois de janvier 2013, ces mêmes instances ont commencé à mettre fin à leurs ententes avec Access Copyright. Depuis, la situation n'a cessé de se détériorer. Elles se sont approprié le droit d'établir des politiques de copiage permettant la reproduction d'un chapitre ou de 10 % d'une oeuvre, selon l'interprétation la plus large possible, afin de ne plus payer les redevances versées aux titulaires de droits par l'intermédiaire de leur société de gestion. Les ministères de l'Éducation hors Québec sont même allés, récemment, jusqu'à poursuivre les titulaires de droits par l'entremise d'Access Copyright, tout en refusant de payer la redevance, pourtant minime, décidée par la Commission du droit d'auteur du Canada en 2017.
Au Québec, la situation est également préoccupante. L'Université Laval, en juin 2014, a adopté une politique de reproduction calquée sur celle appliquée dans les établissements d'enseignement dans le reste du Canada. Les autres universités québécoises, les cégeps et le ministère de l'Éducation continuent de travailler avec Copibec, mais chaque renégociation des ententes entraîne une nouvelle baisse des redevances. Ainsi, la redevance annuelle par étudiant universitaire a baissé de près de 50 %, passant de 25,50 $ en 2012 à 13,50 $ en 2017, et celle des cégeps a baissé de 15 %.
Nous devons malheureusement constater que nos craintes se sont, pour l'essentiel, concrétisées. Les revenus de licences des titulaires de droits fondent sous la pression du milieu de l'éducation, les litiges se multiplient et s'éternisent, pendant que les oeuvres de l'esprit ne cessent d'être dévaluées lors de chaque négociation des licences. Ainsi, bien que Copibec ait maintenu ses frais de gestion à 15 %, la redevance payée aux auteurs, aux créateurs et aux éditeurs a baissé de 23 % pour chaque page copiée par les universités.
Les universités vous ont parlé des millions de dollars qu'elles dépensent en budget d'acquisition pour accéder au contenu des grands éditeurs étrangers de revues scientifiques. Cependant, environ 80 % des déclarations de reproduction que nous recevons, quel que soit le niveau d'enseignement, portent sur des reproductions de livres, et non de revues internationales. Ce ne sont pas les grands groupes étrangers d'édition de revues qui ont pâti de la baisse des redevances, mais bien nos petits et moyens éditeurs, nos éditeurs d'ici, ceux pour qui les redevances représentent en moyenne 18 % des bénéfices nets. Pour certains éditeurs de livres, les redevances peuvent représenter plus de 30 % des bénéfices nets. Ces revenus contribuent aussi de façon considérable à la pérennité de revues spécialisées canadiennes et québécoises et peuvent faire pencher la balance vers la survie de la publication ou encore vers sa faillite. Pour nos auteurs dont la situation est déjà précaire, tout affaiblissement des revenus en provenance d'un des maillons de la chaîne du droit d'auteur se répercute sur leur capacité financière à créer.
L'expérience québécoise présente malgré tout un exemple de gestion collective permettant la négociation d'ententes entre utilisateurs et titulaires de droits. Je ne vous dirai pas que tout va bien, car ce n'est pas le cas. En fait, si rien n'est entrepris pour rectifier l'effet désastreux des modifications de 2012, la situation au Québec n'ira qu'en se dégradant et nous observerons une décroissance constante des redevances, voire leur disparition pure et simple.
Actuellement, les étudiants d'universités québécoises paient 13,50 $ par année pour la licence de Copibec. Cela représente moins d'un demi de 1 % du total des frais de scolarité annuels moyens d'un étudiant québécois. De plus, dans les ententes signées avec ces universités — elles sont signées avec les universités, et non avec les étudiants —, rien ne les oblige à répercuter ces coûts sur les étudiants. À titre d'exemple, pour l'Université Concordia et l'Université de Montréal, cela représente respectivement, pour l'année universitaire 2017-2018, 0,08 % et 0,07 % du budget de fonctionnement annuel.
Les frais de scolarité ne sont pas plus élevés au Québec que dans le reste du Canada. Payer des redevances pour la reproduction d'extraits d'oeuvres n'a jamais mis le système éducatif canadien en péril ni entraîné le surendettement des étudiants.
On vous a présenté l'exception d'utilisation équitable à des fins d'éducation comme l'outil par excellence de l'accessibilité aux oeuvres. Nous restons extrêmement perplexes devant ces affirmations qui ne sont soutenues par aucune démonstration pertinente. En revanche, nous savons que la gestion collective a toujours comporté cet élément d'accessibilité aux oeuvres, incluant les oeuvres sur support numérique, grâce aux ententes signées avec les sociétés de gestion étrangères membres de la Fédération internationale des organisations de droits de reproduction, l'IFRRO.
Atout indéniable d'une loi équilibrée, la gestion collective concilie accessibilité des oeuvres et facilité de gestion, d'une part, avec rémunération des titulaires de droits grâce au paiement de redevances d'un montant raisonnable, d'autre part. Elle favorise non seulement l'accès immédiat à la connaissance, mais elle préserve la création et la diversité culturelle de demain. Ce n'est pas sans raison que l'UNESCO considère que la gestion collective est « un élément essentiel de construction d'un système national moderne de protection du droit d'auteur, capable de concourir efficacement à la dynamique du développement culturel ».
Les droits fondamentaux protègent la rémunération des auteurs et des éditeurs. La Déclaration universelle des droits de l'homme énonce que tout travail mérite salaire et protège la propriété intellectuelle. Le droit d'auteur, dans toutes ses composantes, est également intrinsèquement lié à la liberté d'expression des auteurs en leur permettant d'obtenir des revenus indépendants qui favorisent une indépendance de pensée.
Monsieur le président, messieurs les vice-présidents, membres du Comité, je vous remercie de nous avoir écoutés aujourd'hui. Je tiens à souligner que nos demandes s'inscrivent dans une démarche de modernité et d'avenir d'une société qui investit dans sa culture à l'ère du numérique. La gestion collective n'est pas un modèle du passé, mais un modèle contemporain garant d'accessibilité et de diversité culturelle. Les décisions que vous prendrez à l'issue du processus actuel auront des répercussions fondamentales sur l'avenir du secteur du livre et du développement culturel au Canada.
Je conclurai enfin ma présentation en citant un passage du Cadre stratégique du Canada créatif, publié en 2017, concernant l'examen de la Loi sur le droit d'auteur:
[...] Notre cadre du droit d'auteur est un élément essentiel de notre économie créative, et le restera. En vertu d'un régime de droit d'auteur efficace, les créateurs peuvent tirer profit de la valeur de leurs oeuvres, et les utilisateurs peuvent continuer d'avoir accès à une vaste gamme de contenu culturel.
La gestion collective s'intègre dans ces objectifs et dans les autres poursuivis par la politique culturelle canadienne.
Merci.
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Je vous remercie de m’avoir invitée à comparaître devant le Comité.
Je m’appelle Roanie Levy, et je suis présidente et directrice générale d’Access Copyright. Access Copyright est une société de gestion du droit d’auteur sans but lucratif qui a été créée en 1988 par des créateurs et des éditeurs canadiens de manuels scolaires, de publications commerciales, de journaux, de magazines et de revues spécialisées pour gérer la réutilisation de leurs oeuvres.
La reproduction pour laquelle les créateurs étaient auparavant rémunérés est maintenant gratuite en vertu des soi-disant lignes directrices sur l’utilisation équitable. Ces politiques de reproduction reflètent l’interprétation que le secteur de l’éducation fait de la notion d’utilisation équitable et ont été élaborées sans l’apport ni l'appui des créateurs et des éditeurs. Ces politiques de reproduction, modelées sur les limites de reproduction qui donnaient auparavant lieu à un paiement au titre de la licence d’Access Copyright, ont en fait remplacé la licence collective par une exception sans rémunération sous le couvert de l’utilisation équitable aux fins d’éducation.
Le résultat est que 600 millions de pages de contenu protégé par le droit d’auteur sont reproduites gratuitement chaque année par le secteur de l’éducation. Il s’agit de contenu qui n’est pas sous licence par l’intermédiaire des bibliothèques universitaires ni offert dans le cadre de licences de libre accès. Les redevances perçues par Access Copyright dans le secteur de l’éducation ont diminué de 89 % depuis 2012. Dans le passé, ces redevances comptaient pour 20 % des revenus d’écriture des créateurs et 16 % des profits des éditeurs. On estime à 30 millions de dollars par année la perte de redevances subie par les créateurs et les éditeurs en raison de l’interprétation que le secteur de l’éducation fait de la notion d'utilisation équitable. À cette perte, il faut également ajouter la perte de ventes essentielles attribuable à l’effet de substitution du contenu gratuit reproduit au titre des politiques de reproduction du secteur de l’éducation.
J’ai structuré mes observations d'aujourd’hui en fonction de quatre questions, ce qui, j’espère, sera utile au Comité. Premièrement, lorsque la loi a été modifiée, l’intention du Parlement était-elle de supprimer la licence collective et de la remplacer par une exception non rémunérée? Deuxièmement, les politiques de reproduction prennent-elles appui sur les enseignements de la Cour suprême du Canada? Troisièmement, les politiques de reproduction nuisent-elles au secteur de l’écriture et de l’édition au Canada? Et quatrièmement, quel devrait être le véritable objectif de l’utilisation équitable aux fins d’éducation?
Pour connaître l'objectif et l'interprétation de l’ajout de l’éducation aux fins d’utilisation équitable, il est utile de se reporter aux observations formulées par le secteur de l’éducation durant les audiences législatives sur le projet de loi. Des représentants du secteur de l’éducation ont assuré à maintes reprises et avec insistance au comité législatif que les changements ne feraient pas en sorte que le secteur de l’éducation cesse de payer pour la reproduction des oeuvres. Selon leurs témoignages, l’utilisation équitable aux fins d’éducation ne remplacerait pas la licence collective.
À titre d'exemple, Paul Davidson, président d’Universités Canada, a dit ceci:
En particulier, certains ont affirmé que le secteur de l'éducation ne voulait pas payer pour obtenir du matériel didactique et que le projet de loi C-32, en particulier l'ajout de l'éducation à titre de nouvelle fin constituant une utilisation équitable, allait causer un préjudice au secteur de l'édition au Canada et faire fondre les recettes des sociétés de gestion du droit d'auteur comme Access Copyright. Selon une autre affirmation, le secteur de l'éducation ne veut pas indemniser les créateurs qui produisent du matériel didactique. Ces affirmations sont fausses et ne sont pas conformes à la réalité.
Les représentants du secteur de l'enseignement primaire et secondaire n'ont pas cessé de formuler les mêmes assurances. Ils ont répété à maintes reprises qu'ils ne cherchaient pas à obtenir quoi que ce soit gratuitement.
Comme on l’a mentionné plus tôt, Ramona Jennex a comparu devant le comité législatif, et elle a dit ce qui suit:
Il n'y a rien dans le projet de loi C-32 qui change la relation actuelle entre le secteur de l'éducation, les éditeurs, les fournisseurs de contenu, les sociétés de gestion collectives et la Commission du droit d'auteur.
Même si le remplacement de la licence collective par une exception non rémunérée n'était pas l'intention au moment de l'ajout de l’éducation aux fins constituant une utilisation équitable, nous savons maintenant que c’est exactement ainsi que le secteur de l’éducation a réagi à la suite de l’entrée en vigueur de la Loi sur la modernisation du droit d’auteur. Partout au pays, sauf au Québec, des établissements d'enseignement ont adopté des politiques de reproduction qui incitent à la reproduction systémique et systématique de masse d'oeuvres protégées sans que leurs créateurs soient rémunérés. Une fois ces politiques adoptées, la plupart des établissements d’enseignement ont cessé d'honorer leur accord de licence de longue date avec Access Copyright.
Donc, si les politiques de reproduction n'étaient pas visées par les modifications à la loi, sont-elles conformes aux décisions de la Cour suprême dont il a été question plus tôt aujourd'hui?
Après l'adoption des politiques de reproduction, le seul recours des créateurs et des éditeurs pour clarifier l'utilisation équitable a été de porter l'affaire devant les tribunaux. C'est pourquoi Access Copyright a poursuivi l'Université York. Dans une décision rendue en juin 2017, la Cour fédérale a conclu sans équivoque que les politiques et les pratiques de reproduction adoptées par l'Université York, qui sont pratiquement identiques aux politiques adoptées dans l'ensemble du pays par les établissements d'enseignement, y compris ceux de la maternelle à la 12e année:
« ne sont pas équitables, que ce soit dans leur formulation ou leur application. Les Lignes directrices ne résistent pas à l'application du critère à deux volets établi par la jurisprudence de la Cour suprême du Canada pour trancher cette question. »
Les politiques de reproduction ne sont pas conformes aux règles établies par la Cour suprême du Canada.
Est-ce que cela nuit à la création littéraire et à l'édition au Canada? L'affaire York a fait l'objet d'une audience de quatre semaines, au cours de laquelle le juge de la Cour fédérale a entendu de nombreux témoignages présentés par les deux parties, y compris ceux contradictoires d'experts en économie. Le tribunal a examiné les politiques de l'université en matière de reproduction et leur incidence sur les créateurs et les éditeurs. Après un examen attentif, le juge a conclu que les politiques sont arbitraires et injustes et qu'elles entraînent en fin de compte un « transfert de richesse » injuste des créateurs aux établissements d'enseignement. Fait important, la Cour a conclu que: « Toute suggestion que les Lignes directrices n'ont pas et n'auront pas de répercussions négatives sur les détenteurs de droits d'auteur ou les éditeurs n'est pas soutenable. »
Il est important de noter que cette décision est la seule décision judiciaire ou la seule décision de la Commission du droit d'auteur qui examine l'équité des politiques de reproduction. Aucun tribunal n'a rendu d'autres décisions pour déterminer si la reproduction de 10 % d'une oeuvre ou d'un chapitre d'un livre est équitable, à part celle-ci.
Quel devrait donc être l'objectif véritable de l'utilisation équitable? Encore une fois, je pense qu'il est instructif de revenir aux représentations faites par le secteur de l'éducation devant le comité législatif.
Voici un premier exemple. Steve Wills, qui était à l'époque gestionnaire des Relations avec les gouvernements et affaires juridiques de l'Association des universités et collèges du Canada, l'a dit clairement:
Tout d'abord, pour ce qui est du secteur de l'éducation, j'aimerais vous dire pour commencer qu'aucune disposition du projet de loi C-32 ne va modifier les recettes que reçoivent les sociétés de gestion comme Access Copyright et Copibec. Il ne s'agit pas d'épargner de l'argent. Ce dont il s'agit — en particulier avec l'extension de la portée de l'utilisation raisonnable —, c'est de permettre certaines choses en matière d'éducation qui, à l'heure actuelle, ne sont pas permises.
Mme Ramona Jennex nous aide également à comprendre quel devrait être le véritable but de l'utilisation équitable:
Nous ne cherchons pas à obtenir quoi que ce soit gratuitement. Le secteur de l'éducation paie pour obtenir des licences et remet des redevances de droit d'auteur, et il continuera à le faire. Les amendements que nous proposons visent à préciser la situation.
Le but véritable des amendements de 2012, comme le soulignaient les représentants du secteur de l'éducation devant le comité législatif, était de préciser que l'utilisation équitable peut être invoquée par les établissements d'enseignement lorsque la reproduction d'une oeuvre n'est pas couverte par des licences ou facilement accessible par l'entremise des titulaires de droits, et non pas pour échapper aux licences collectives.
Nous exhortons le Comité à recommander que cela soit clairement énoncé dans la loi. À mesure que le litige perdure, l'incertitude entourant ce qui peut être copié met les éducateurs au défi chaque jour. Les créateurs sont privés d'une part importante de leurs revenus et les éditeurs d'ouvrages scolaires doivent prendre des décisions difficiles. Les éditeurs quittent le marché de l'éducation, ce qui entraîne des pertes d'emplois et une réduction importante des investissements dans la création de contenu canadien. Cela se traduit par une diminution des possibilités et des revenus pour les créateurs.
Au bout du compte, nous sommes tous perdants lorsque les créateurs et les éditeurs canadiens n'ont pas les incitatifs économiques et la capacité nécessaires pour continuer à créer du contenu qui reflète ce que nous sommes, nos expériences et nos valeurs en tant que Canadiens.
Merci.
:
Merci, monsieur le président.
[Français]
Merci de votre présentation, madame Couette.
[Traduction]
Merci, madame Levy, de votre présence ici.
Nous entendons deux points de vue. D'une part, les universités, par la voix de leurs représentants, nous disent qu'elles paient de plus en plus cher. D'autre part, nous entendons des auteurs, des éditeurs et vous-mêmes, votre association, dire qu'ils reçoivent de moins en moins.
Pouvez-vous nous aider à clarifier cela? Êtes-vous d'accord? Est-ce que les universités paient davantage? Recevez-vous moins? Si oui, à quoi cela tient-il?
:
Nous ne contestons pas le fait que les secteurs universitaires paient de plus en plus pour le contenu. Ce qu'il est important de garder à l'esprit, c'est que le contenu qu'ils achètent et qu'ils paient par l'entremise des licences de leurs bibliothèques est différent du contenu qu'ils copient en vertu de leurs politiques de reproduction. Nous parlons de deux catégories différentes de contenu. Il y a des chevauchements, mais très peu.
Le contenu qui fait l'objet de licences est, selon leurs propres témoignages devant vous, surtout constitué d'articles de revues. Par exemple, le Réseau canadien de documentation pour la recherche a témoigné que sur les 125 millions de dollars dépensés, 122 millions de dollars vont à des éditeurs étrangers. Ce contenu est souvent créé par des universitaires, des gens qui reçoivent un salaire pour leurs contributions.
Le contenu qui est habituellement copié en vertu de la licence d'Access Copyright, aujourd'hui en vertu de ses lignes directrices sur l'utilisation équitable, est surtout composé de livres, et non de revues. Il s'agit de contenu créé par des auteurs professionnels qui comptent sur les redevances pour leur rémunération. Ce n'est pas le contenu qui fait l'objet de redevances pour une large part grâce aux licences des bibliothèques.
Il s'agit de deux catégories différentes de contenu. Le contenu canadien qui est adapté et personnalisé, qui raconte notre histoire, se trouve dans la catégorie « B », c'est-à-dire celle du contenu qui est reproduit aujourd'hui gratuitement.
:
Si vous me le permettez, j'ai travaillé pour Access Copyright pendant 17 ans. J'ai été avec eux, d'une certaine façon, tout au long de ce processus, et je vais vous donner mon point de vue personnel sur ce qui s'est passé au fil des ans. Il a fallu 15 ans pour arriver à la Loi sur la modernisation du droit d'auteur.
Pendant 15 ans, les parties ont comparu devant des comités — parfois des comités législatifs, parfois des comités permanents — pour examiner une autre version de la Loi sur le droit d'auteur. Il y avait les créateurs, les écrivains et les éditeurs, de même que les sociétés de gestion collective, d'une part, et le secteur de l'éducation, d'autre part. Les créateurs et les éditeurs voulaient des droits d'auteur plus stricts, et les utilisateurs — dans le cas présent, le secteur de l'éducation, les bibliothèques — souhaitaient plus d'exceptions.
Nous avons été en conflit pendant 15 ans, et dans le contexte de cette lutte concernant le libellé ultime de la Loi sur le droit d'auteur, des licences importantes ont fait l'objet de négociations. Il est devenu de plus en plus difficile pour nous de nous asseoir à une table et de négocier des licences, et c'est pourquoi nous nous sommes retrouvés devant la Commission du droit d'auteur. Au fur et à mesure que le processus se poursuit, avec ces examens quinquennaux et ces litiges qui prennent presque des décennies à se conclure, nous sommes coincés dans cette guerre. Ce n'est pas la situation que nous privilégions.