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Merci beaucoup de m'avoir invitée à comparaître devant vous aujourd'hui. J'apprécie infiniment.
Je suis Deborah Anker, professeure de droit clinique à la Harvard Law School et directrice du Harvard immigration and refugee clinical program. Je vous parlerai aujourd'hui de l'Entente sur les tiers pays sûrs conclue entre le Canada et les États-Unis et traiterai également de certains autres aspects du régime d'asile des États-Unis.
Le Canada et les États-Unis ont conclu entre eux une Entente sur les tiers pays sûrs. Elle a pris effet le 29 décembre 2004. L'objectif était censément de mieux contrôler la frontière canado-américaine. Aux termes de l'Entente sur les tiers pays sûrs — que je vais désigner par son sigle ETPS — le Canada et les États-Unis se reconnaissent mutuellement comme des tiers pays sûrs pour les demandeurs du statut de réfugié, chaque pays étant autorisé à renvoyer dans l'autre les demandeurs d'asile qui en proviennent, à quelques exceptions près.
Je vais résumer un rapport publié il y a un an et apporter quelques renseignements plus récents. Le rapport a été publié par notre programme clinique, l'Immigration and Refugee Clinical Program de la Harvard Law School, en collaboration avec l'International Human Rights Clinical Program et Harvard Law Student Advocates for Human Rights.
Ce rapport, intitulé Bordering on Failure: The U.S.-Canada Safe Third Country Agreement Fifteen Months After Implementation, est fondé sur des missions d'information à trois points d'entrée sur la frontière entre les États-Unis et le Canada, ainsi que sur des entretiens téléphoniques, des études de cas et des pétitions, ainsi que des recherches et commentaires juridiques.
J'ai été l'un des enseignants qui a encadré l'étude et j'ai participé à l'une des missions d'information.
Le rapport présente des renseignements et une analyse préliminaire des effets de l'ETPS. Bien que, depuis sa publication, des informations complémentaires aient vu le jour qui en confirment la teneur, l'on ne dispose toujours que de renseignements officiels limités concernant la mise en oeuvre de l'ETPS.
Le rapport conclut que, 15 mois après sa prise d'effet, l'ETPS non seulement n'a pas atteint l'objectif de sécurisation de la frontière, mais a même rendu la frontière moins sûre en mettant en danger la vie des demandeurs d'asile et en menaçant la sécurité des États-Unis et du Canada. Je vais présenter de façon plus détaillée les quatre principales conclusions.
Premièrement, l'Entente sur les pays tiers sûrs met en danger les demandeurs du statut de réfugié en leur refusant l'accès aux protections fondamentales. Les chiffres recueillis auprès d'organisations non gouvernementales actives le long de la frontière canado-américaine démontrent que l'ETPS a amené une baisse sensible du nombre de demandeurs d'asile passant légalement des États-Unis au Canada, et plus particulièrement du nombre de réfugiés colombiens. Même si les gouvernements des États-Unis et du Canada soutiennent qu'ils offrent un généreux régime de protection des réfugiés, plusieurs aspects du régime d'asile américain violent les normes juridiques internationales. Par exemple, aux États-Unis, nous avons un délai d'un an, si bien qu'une personne doit demander l'asile dans un délai d'un an après son arrivée aux États-Unis, faute de quoi elle est déclarée inadmissible. Si elle est inadmissible, elle n'a droit qu'à une forme de protection appelée « sursis d'expulsion », qui oblige le requérant à satisfaire à un fardeau de preuve supérieur.
Cette situation est très présente dans mon esprit car hier encore nous avons déposé une demande de sursis et une motion de réouverture du dossier dans le cas très inquiétant d'un réfugié colombien à qui l'asile a été refusé parce que le délai d'un an était passé et qu'il ne répondait pas aux conditions plus strictes du sursis d'expulsion. Il a été arrêté par des agents d'immigration et est en passe d'être renvoyé en Colombie. Nous demandons un sursis d'expulsion. Il voulait entrer au Canada pour présenter une demande d'asile à la frontière mais on lui a dit qu'il ne le pourrait pas, ce qui est effectivement le cas en vertu de l'Entente sur les tiers pays sûrs.
Il ne fait aucun doute dans mon esprit que si on le renvoie en Colombie, ses jours seront comptés à cause des activités politiques très courageuses auxquelles il s'y livrait, notamment en s'opposant au FARC et autres mouvements de guérilla de ce pays.
En outre, aux États-Unis, la détention est courante — lui-même est détenu — et dans certains cas les demandeurs d'asile sont traités de manière inhumaine.
Après l'entrée en vigueur de l'ETPS, le nombre, par exemple, des réfugiés colombiens qui sont entrés au Canada à partir des États-Unis a diminué d'environ 82 p. 100.
Alors que le taux d'acceptation du Canada s'établissait à 81 p. 100 en 2003 et 2004 et à 79 p. 100 en 2005, le taux d'acceptation aux États-Unis pendant l'exercice 2004 n'a été que de 45 p. 100 pour ceux ayant présenté une demande officielle et de 28 p. 100 pour ceux ayant comparu devant un juge de l'immigration.
L'Entente sur les tiers pays sûrs rend également la frontière plus dangereuse pour les demandeurs d'asile en précarisant l'existence des ONG actives le long de la frontière. En effet, avant la mise en oeuvre de l'accord, les ONG de la frontière collaboraient avec les agents d'immigration pour aider les demandeurs d'asile à remplir les formalités d'inspection et de demande. Du fait que le nombre des réfugiés accueillis et aidés par les ONG a diminué depuis l'entrée en vigueur de l'ETPS, les responsables de ces refuges commencent à leur chercher d'autres usages. Si les ONG ferment leurs portes, la frontière deviendra de plus en plus dangereuse pour les réfugiés qui auront de moins en moins d'endroits où obtenir des renseignements, de la nourriture et un abri.
L'ETPS incite aussi les individus qui seraient normalement passés par le système de détermination du statut de réfugié Canada à traverser illégalement la frontière ou à rester sans statut aux États-Unis. Les demandeurs du statut de réfugié qui sont laissés en plan aux États-Unis sont souvent empêchés par la loi de demander l'asile, comme je l'ai expliqué, et même ceux qui sont admissibles à l'asile sont fortement incités à ne pas régulariser leur statut. Par exemple, les demandeurs d'asile aux États-Unis ne peuvent recevoir de permis de travail pendant six mois après le dépôt de leur demande. Ils ne peuvent bénéficier d'avantages sociaux ni d'une aide juridique en attendant la décision sur leur demande. L'absence de représentation juridique est un problème extrêmement sérieux aux États-Unis. Il n'existe pas de crédits fédéraux pour la défense légale des demandeurs d'asile et les services d'aide juridique fédéraux sont même dans l'interdiction d'en distribuer à des organisations qui s'occupent de défendre les demandeurs d'asile. Il existe très peu d'organisations offrant une aide juridique et le fait d'être défendu ou non par un avocat détermine très largement le succès ou l'échec de la demande d'asile.
Les demandeurs ne jouissent d'aucun statut et d'aucun droit pendant qu'ils attendent la décision sur leur demande, qui peut parfois se faire attendre des mois, voire des années. Beaucoup de réfugiés sont réticents à se mettre à la merci d'un système parfois dysfonctionnel et arbitraire. Je suis experte en droit d'asile américain, que je pratique depuis 20 ans. Si vous me posiez quelques questions élémentaires sur l'état du droit relativement à des aspects critiques tels que la persécution fondée sur le sexe ou même l'opinion politique, ou encore la manière d'établir un lien de causalité, j'aurais beaucoup de mal à vous donner une réponse claire car l'état du droit est si incertain, et il est donc très difficile de le décrire pour les demandeurs d'asile eux-mêmes.
Je dirais que ces problèmes ont été particulièrement exacerbés au cours des deux dernières années, depuis que des lois ont été promulguées qui permettent de débouter les demandeurs pour cause d'incohérence dans leurs déclarations et qui permettent à des juges d'immigration de rejeter les demandes sur simple évaluation de comportement. Cela est manifestement problématique, mais aussi contraire aux normes du HCNUR et met potentiellement l'accent davantage sur la preuve que la persécution obéit à l'un des motifs spécifiés. Des contraintes de corroboration exorbitantes ont été imposées aux demandeurs qu'il est très difficile de satisfaire, même pour des demandeurs représentés par moi et encore davantage pour ceux qui sont incarcérés et n'ont pas d'avocat.
Je sais que je dépasse le temps imparti, mais j'aimerais réellement souligner un élément en guise de conclusion.
Pendant des décennies, le Canada a servi de modèle dont l'exemple a relevé les normes de protection des réfugiés à l'échelle internationale, et plus particulièrement aux États-Unis. En 1986, le Canada a été le seul pays à recevoir la médaille Nansen, présentée annuellement par le Haut-commissaire des Nations Unies pour les réfugiés à une personne ou à un groupe en reconnaissance de services exceptionnels en matière de soutien de la cause des réfugiés.
Au cours des années 80, le Canada a été une soupape de sûreté importante pour les réfugiés de l'Amérique centrale qui, comme l'ont reconnu plus tard les décideurs et les tribunaux américains, ont été victimes de discrimination sous le régime d'asile des États-Unis. L'exemple du Canada a inspiré une réforme en profondeur du régime américain et même des modifications de la politique des États-Unis à l'égard de l'Amérique centrale, ce qui a contribué à mettre un terme aux guerres civiles dans certains pays de la région.
En 1993, le Canada est devenu le premier pays à publier des lignes directrices reconnaissant l'admissibilité des femmes au statut de réfugié et le droit des réfugiées à un traitement juste et égal. La publication des lignes directrices canadiennes a amené les États-Unis à introduire des lignes directrices similaires deux ans plus tard, en 1995. Le monde, et plus particulièrement les États-Unis, ont désespérément besoin du leadership du Canada.
Aujourd'hui, malgré les disparités flagrantes dans le partage du fardeau entre pays développés et pays en développement — les pays en développement accueillent 71 p. 100 des réfugiés du monde — le Canada a adopté l'ETPS et a choisi de refouler le tiers des demandeurs d'asile qui arrivent à sa frontière. Bien que cet aspect déborde de votre sujet, les répercussions de ce type d'entente se font sentir largement au-delà des frontières des États-Unis, puisque les politiques d'interdiction s'étendent jusqu'au Mexique, à d'autres régions des Amériques et au monde entier.
L'ETPS n'est qu'une des pièces d'un puzzle qui fait les réfugiés se voient piégés dans leur pays d'origine, incapables de s'enfuir et privés de leurs droits fondamentaux. Nous nous rapprochons beaucoup d'une situation similaire à celle qui régnait en 1951, lorsque le monde a ratifié la Convention sur les réfugiés, animé par un énorme sentiment de culpabilité par rapport à ce qui s'est passé en Allemagne avec l'Holocauste qui a décimé tant d'êtres humains parce que les pays du monde ne voulaient pas accueillir de réfugiés. C'est suite à cela que la communauté mondiale s'est rassemblée pour adopter la Convention sur les réfugiés, afin d'assurer cette protection.
Ce genre de mesures nous ramène en un certain sens à la case départ. Je pense que si nous ne faisons rien pour enrayer ce mouvement — et nous avons réellement besoin de votre leadership pour cela — l'histoire nous le reprochera durement.
Merci beaucoup de votre attention.
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Bonjour et merci beaucoup de votre invitation. C'est toujours un plaisir de comparaître devant le comité permanent, et particulièrement sur ce sujet.
Je vais éviter de parler de théorie ou d'aspects techniques. Nous sommes des travailleurs de première ligne qui sommes au contact de réfugiés chaque jour. Nous avons connaissance d'éléments d'information, nombreux et affligeants, tant statistiques qu'anecdotiques, qui prouvent que l'Entente sur les tiers pays sûrs conclue entre les États-Unis et le Canada est désastreuse pour l'accès des réfugiés au Canada.
Par exemple, en 2006, 20 p. 100 des demandes d'asile étaient présentées à la frontière canado-américaine, contre 35 p. 100 en 2004; cela représente une réduction de 15 p. 100 de toutes les demandes, ce qui montre que la frontière se ferme à nombre de groupes particuliers. En 2006, 71 p. 100 des demandes déclarées inadmissibles l'étaient à cause de l'accord sur les tiers pays sûrs. Cette raison n'existait pas avant 2004, si bien que ce chiffre de 71 p. 100 de demandeurs d'asile inadmissibles pour cause d'Entente sur les tiers pays sûrs illustre bien la réduction de l'accès.
Je m'oppose, et l'organisation que je représente s'oppose, à l'entente. Nous en voyons les effets pratiques dans les souffrances de ceux que nous servons. Nous sommes atterrés par la réalité de la mise en oeuvre — de voir combien il est difficile à ceux qui fuient la persécution de comprendre cette entente qui contredit toute la logique humaine canadienne. Comme vous pouvez le constater, ma répulsion face à cet accord est très profonde, mais je vais tenter de l'expliquer clairement et logiquement au moyen d'exemples très concrets.
Le premier exemple est que l'Entente sur les tiers pays sûrs ne prévoit aucun recours. Lorsque nous tombons sur une situation réellement urgente, nous devons obtenir que vous, ou le Cabinet, ou le ministre de l'Immigration — quelqu'un — intervienne. Il n'existe pas de mécanisme particulier pour cela. C'est là notre première objection, à savoir comment régler les préoccupations que nous avons, car il n'existe aucun mécanisme.
L'absence de clarté et d'accès à l'information concernant l'accord représente notre deuxième grand sujet de préoccupation. Il n'existe pas d'information facilement disponible sur l'accord pour ceux qui en ont besoin. CIC et l'ASFC déploient quelques efforts pour disséminer cette information, mais ils la fournissent sur leur site Internet; la plupart des réfugiés arrivant au Canada n'ont pas accès à ces renseignements. Autrement dit, il y a une absence de mécanisme pour les informer avant qu'ils arrivent à la frontière. Ce manque d'information est la source de la confusion générale qui règne dans les pays d'origine des réfugiés au sujet de l'accord. Les rumeurs voulant que la frontière canado-américaine soit fermée continuent à circuler. Des années après la prise d'effet, les gens continuent de croire que la porte est fermée, que le Canada a verrouillé la porte. Cela est dû au manque d'information.
Où les demandeurs potentiels aux États-Unis peuvent-ils s'adresser pour savoir si l'accord et les exceptions s'appliquent à eux? Où? Ils peuvent s'adresser parfois aux ONG, aux ONG américaines, mais toutes ne possèdent pas cette information. Ces gens ne sont pas des experts de l'Entente sur les tiers pays sûrs. Lorsque les demandeurs sont à la frontière, face aux autorités canadiennes, il est trop tard pour les informer qu'ils ne remplissent pas les conditions de dérogation. Lorsque les conditions ne sont pas remplies, la personne est renvoyée aux États-Unis et risque sérieusement, comme vous l'avez entendu, d'être placée en détention et parfois simplement sommairement expulsée. La personne alors disparaît.
Comment fonctionnent concrètement les critères au point d'entrée, selon notre expérience? Nous avons entendu dire et constaté dans plusieurs cas que l'avis de rejet de la demande n'indique pas suffisamment les motifs. Parfois les personnes reçoivent un avis disant que les renseignements fournis sont insuffisants. À d'autres moments, les explications que les demandeurs reçoivent sont tellement vagues qu'il est impossible de contester les motifs.
Le problème est que rien dans l'entente n'autorise une révision de cette importante décision. Il n'y a aucun mécanisme d'appel et aucun recours réel à un contrôle judiciaire. Il n'existe aucun mécanisme autorisant une révision de la décision prise par les agents d'immigration à la frontière canadienne qui renvoient la personne. Il n'y a pas de temps pour la moindre démarche, car la personne est immédiatement refoulée vers les États-Unis.
Le plus grave, c'est que cette politique met clairement en danger des vies humaines. Des personnes se trouvent en danger dans un climat qui encourage les franchissements de frontières clandestins et met les personnes à la merci des trafiquants et pratiques de contrebande dangereuses. Nous savons que l'ASFC et la GRC affirment ne pas posséder de données à cet égard. Rien d'étonnant à cela. Ce sont des pratiques illégales et il n'existe aucune donnée les confirmant. Mais si vous venez me voir dans mon bureau, vous verrez arriver chaque jour des réfugiés. Ils ont franchi la frontière sans se faire prendre et ils ont parfois payé jusqu'à 10 000 $ pour passer au Canada.
L'admissibilité aux dérogations à cette entente me paraît parfaitement arbitraire. Les conditions sont injustes et très discriminatoires à l'égard de groupes particuliers. Ce sont des critères que nul au Canada ne devrait accepter, et certainement pas votre comité permanent.
Ce sont des conditions injustes, et vous avez votre mot à dire. Il n'y a pas de logique. Le Cabinet du Canada est seul à accepter la situation. Le Parti conservateur l'a reçue en héritage et je ne crois pas que vous le méritiez.
Pourquoi seuls les pays faisant l'objet du moratoire sur les expulsions sont-ils exemptés? Par exemple, pourquoi tous les pays de la liste des pays sources ne sont-ils pas exemptés? Pourquoi les Mexicains sont-ils autorisés à présenter une demande d'asile à notre frontière, alors que l'on renvoie les Colombiens? Comment expliquez-vous que ce soit oui pour un Mexicain et non pour un Colombien? Je ne comprends pas. Je vous en prie, aidez-moi à comprendre ce régime illogique.
Pouvez-vous nous aider à mettre fin à cette idiotie, je vous en prie? Pouvez-vous nous aider à mettre un terme à la discrimination fondée sur le lieu d'origine? L'un est autorisé à demander l'asile, mais si vous venez de tel pays particulier, vous êtes exclu. Pouvez-vous nous aider à mettre un terme à ces politiques qui exposent les gens au danger? Pouvez-vous nous aider à empêcher que la frontière du Canada devienne comme la frontière entre les États-Unis et le Mexique, où les contrebandiers ont la haute main et sont les rois de toute la frontière?
Dans notre bureau, nous recevons chaque semaine des appels téléphoniques de personnes qui vivent dans des situations désespérées aux États-Unis, en raison de leur absence de statut légal. Certains ont fui la persécution de leur pays et n'ont aucune possibilité d'y retourner, mais ils n'ont pas le moindre espoir d'obtenir un statut légal aux États-Unis.
Croyez-moi, leur voix trahit le désespoir et les questions sont toujours les mêmes : « Comment puis-je entrer au Canada? Comment faire pour aller au Canada? » Le premier rôle de notre organisation est d'essayer de les calmer, de leur demander d'essayer de faire confiance à une voix au téléphone, une voix qui va leur apporter des renseignements sur l'entente, qui va leur poser des questions sur leur situation afin de pouvoir les conseiller au mieux. Mais que pouvons-nous dire à quelqu'un qui appelle de la Floride, d'Atlanta ou d'un autre endroit, alors que nous sommes obligés de leur répondre que malheureusement il n'y a pas de place pour eux au Canada parce qu'ils ne remplissent pas les conditions de dérogation?
Le sarcasme des demandeurs inadmissibles ressort très clairement des réactions que nous entendons au téléphone. Vous verrez à quel point la logique est absente de tout le régime. Ils nous disent : « Me dites-vous que si je ne remplis pas les conditions de dérogation et que je me présente à la frontière, on va me refuser l'entrée parce que les États-Unis sont un tiers pays sûr, et que si je parviens à atterrir dans n'importe quelle ville du Canada en provenance des États-Unis ou à débarquer dans un port, bien que je vive aux États-Unis, moi, la même personne, serai admissible à demander l'asile et qu'alors les États-Unis ne seront plus un tiers pays sûr? » Que répondre à cela?
Dans notre bureau, dans le courant de l'année dernière, nous avons vu au moins cinq cas par mois de personnes qui nous ont contactés par téléphone et que nous avons ensuite vues en personne au Canada. Près de 62 p. 100 des demandes sont présentées à l'intérieur du pays. En 2004, avant l'entrée en vigueur de l'Entente sur les tiers pays sûrs, c'était le cas de seulement 45 p. 100 des demandes, et la proportion a donc augmenté. Cela prouve bien que certaines de ces personnes ont franchi la frontière clandestinement.
L'autre question qu'ils nous posent est celle-ci : « Me dites-vous que si je n'ai pas de parents au Canada, je ne serai pas admissible parce que les États-Unis sont un pays sûr, mais que si je parviens à produire un parent au Canada, je peux me présenter à la frontière et, bien que je vive aux États-Unis, moi, la même personne, je serai admissible à demander l'asile et les États-Unis ne seront alors plus un pays sûr? Qu'est-ce que cela a à voir avec ce qui m'est arrivé dans mon pays? », demandent-ils. « Qu'est-ce que cela a à voir avec la protection que je recherche? » Savez-vous qu'à la frontière l'existence d'un membre de la famille est le deuxième motif de dérogation le plus souvent invoqué, avec 31 p. 100? Ces personnes produisent des parents au Canada.
L'autre question est celle-ci : « Me dites-vous que si un membre de ma famille parvient à franchir la frontière sans se faire prendre et présente plus tard une demande d'asile depuis l'intérieur, le restant de la famille pourra se présenter à la frontière et, bien que vivant aux États-Unis, ces mêmes personnes seront admissibles en faisant valoir que les États-Unis ne sont plus pour elles un tiers pays sûr? » Nous avons vu au moins un cas de cette sorte dans notre bureau. La famille a été admise par la CISR alors que le statut de réfugié lui avait déjà été refusé aux États-Unis. Maintenant, toute la famille, grâce au courage de la mère, attend le statut de résident permanent au Canada.
« Me dites-vous que si j'ai déjà été déclaré inadmissible par les autorités canadiennes à la frontière mais que si j'attends six mois aux États-Unis et franchis clandestinement la frontière, bien que venant des États-Unis, moi, la même personne, je pourrai demander la résidence permanente et que les États-Unis ne seront plus un pays sûr? Comment cela se fait-il? »
« Si j'entrais au Canada clandestinement sans attendre les six mois, je serais déclaré inadmissible même à l'intérieur du Canada et ma demande serait rejetée. Je serais inadmissible à la résidence permanente parce que je n'aurais pas attendu les six mois, et je serais renvoyé dans mon pays d'origine, pour y subir la persécution, sans qu'aucune évaluation ne soit faite ni par les États-Unis ni par le Canada sur l'existence d'une crainte fondée de persécution ». Nous avons au moins quatre cas de cette sorte en ce moment au Canada — un à Montréal, un à Winnipeg et deux à Toronto.
Comme vous pouvez le voir, l'Entente sur les tiers pays sûrs représente une rupture avec la réputation internationale de solidarité dont le Canada jouissait traditionnellement, et ce de la manière la plus illogique possible. Elle contrevient même à la conception canadienne courante de nos obligations morales et légales en droit international. Et permettez-moi de dire que l'Entente sur les tiers pays sûrs rompt plus particulièrement avec la réputation du Canada d'accroître la protection des femmes contre les abus et la violence.
S'il vous plaît, demandez à Immigration Canada en quoi cette Entente sur les tiers pays sûrs protège les femmes, en quoi cette entente accroît l'accès des femmes à la protection et en quoi cette entente facilite l'accès des femmes au Canada. Elle ne fait rien de tel.
De fait, les statistiques sur les demandes d'asile déposées en 2005 sont parfaitement claires. Les demandes présentées à la frontière terrestre sont à 54 p. 100 le fait d'hommes. C'est le résultat de cette entente depuis deux ans.
Je demande au comité permanent de nous aider et d'arrêter de renvoyer les gens dans des pays où ils vont être persécutés, sans même une audience où ils pourraient s'expliquer. Je demande davantage d'accès pour les femmes réfugiées. Si les États-Unis refoulent un réfugié vers la persécution, c'est comme si nous le faisions nous-mêmes, quel que soit le déguisement employé.
L'affaire Arar a posé un précédent clair à cet égard. Le rapport Arar dit haut et fort qu'il n'est pas tolérable de renvoyer les gens pour être persécutés. Ne tolérez pas cela simplement parce que les demandeurs ne sont pas des citoyens canadiens.
Merci beaucoup.
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Les principaux reproches que j'adresse au système américain sont, premièrement, comme je l'ai mentionné, le délai d'un an pour la présentation de la demande. Selon la loi américaine, vous ne pouvez demander l'asile que dans un délai d'un an après l'arrivée aux États-Unis. La seule forme de protection à laquelle vous avez officiellement droit est ce que l'on appelle le « sursis d'expulsion ».
Nous imposons à la personne un fardeau de preuve plus lourd pour obtenir ce sursis d'expulsion et je crois que cela est contraire aux normes internationales — et c'est la conclusion de pratiquement tous les experts. Pour obtenir aux États-Unis l'équivalent du statut de réfugié au Canada, il faut présenter la demande dans un délai d'un an et satisfaire à la norme de preuve de la « probabilité claire ». Cela a été institué ces dernières années. C'est un problème majeur.
Une personne à qui le statut de réfugié est refusé ne peut faire venir sa famille aux États-Unis et ne peut régulariser sa situation dans le pays. Je ne soulignerai jamais assez combien cela est pénalisant pour ces gens. Les personnes demandent le statut de réfugié mais ne peuvent faire venir un enfant aux États-Unis, ne peuvent faire venir un conjoint, ne peuvent régulariser la situation d'un conjoint ou d'un enfant qui les accompagne. C'est une souffrance terrible; c'est impossible; c'est une violation des droits fondamentaux en vertu de la Convention sur les droits de l'enfant de refuser ce genre de regroupement familial.
Je dois dire aussi que le système américain impose, dans la pratique, des exigences de corroboration très élevées aux demandeurs d'asile, même à ceux invités à demander l'asile. Typiquement, les demandeurs présentent des dossiers très épais. On leur demande de corroborer des événements dans leur pays d'origine qui sont souvent très difficiles à prouver. C'est ce qui se passe dans la pratique. La REAL ID Act, promulguée en 2005, a entériné ces exigences, malheureusement, qui rendent les choses beaucoup plus difficiles dans la pratique.
Il y a donc ce délai de dépôt d'un an.
Il existe aux États-Unis une politique de détention presque systématique des personnes auxquelles l'accès est refusé à la frontière. Nombre des personnes auxquelles l'entrée est refusée vont se retrouver en détention aux États-Unis. Une fois que vous êtes détenu aux États-Unis, votre accès à un avocat, qui est très limité même si vous n'êtes pas incarcéré, en raison du petit nombre d'avocats qui sont capables de faire ce travail et sont disponibles et parce qu'il n'y a pas de droit à une représentation juridique... Lorsque vous êtes détenu, votre accès à un avocat est extrêmement restreint. Vous n'avez pas accès à ce genre de documentation. La détention des demandeurs d'asile a été jugée intrinsèquement problématique par le Haut Commissariat des Nations Unies pour les réfugiés, particulièrement dans le cas des demandeurs d'asile.
La détention est donc un énorme problème — ainsi que le couperet après une année de présence aux États-Unis.
En outre, depuis 2002, les États-Unis ont virtuellement démantelé le mécanisme administratif d'appel. En 2002, un règlement a réduit de 50 p. 100 l'effectif de notre commission d'appel et imposé aux membres de la Commission de l'immigration d'approuver les décisions des juges de première instance dans la grande majorité des cas.
Il n'existe plus aujourd'hui, à toutes fins pratiques, de recours administratif contre les refus d'asile. Toutes les demandes de révision avec représentation aboutissent devant les tribunaux fédéraux. Ces derniers — et je vous renvoie à cette documentation — aux États-Unis ont condamné avec virulence, avec bien plus de virulence que moi ici, les décisions des juges d'immigration et la qualité de la justice aujourd'hui offerte aux demandeurs d'asile.
Je dirais que l'autre grand problème aux États-Unis c'est l'absence d'un droit de représentation juridique. Il n'existe pas de programme d'aide juridique financé sur fonds publics pour les réfugiés et les demandeurs d'asile. Les services sont très limités. Or, avec un avocat, la probabilité d'acceptation de votre demande est supérieure de 400 p. 100, mais il n'y a pas de droit à une représentation juridique.
Je dirais que ce sont là certains des problèmes majeurs que je vois.
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Professeure et estimés membres du panel, merci d'être venus nous rencontrer. Je trouve votre témoignage très émouvant.
L'une des choses que nous avons vues au fil des ans c'est que les pays, qu'il s'agisse de ceux de l'Amérique du Nord, de l'Europe ou d'autres, se concertent et décident de la forme de l'acceptation, si on peut l'appeler ainsi, qu'ils vont adopter. En Europe, par exemple, si vous demandez l'asile dans un pays donné, le régime sera le même dans les autres. Les personnes arrivent dans un pays d'Europe et se disent réfugiées. Ensuite, elles partent au Canada et cherchent à cacher aux yeux du Canada la demande d'asile qu'elles ont présentée en Europe.
Ma question globale est de savoir s'il ne serait pas avantageux pour nous de dire, voilà, fixons une norme uniforme à travers le monde. Prenons les leçons du Canada, prenons les leçons des pays européens qui sont ouverts aux réfugiés, prenons les pratiques exemplaires et prenons ce qu'ils utilisent comme facteur déterminant, puis, par l'intermédiaire d'un organe unique, qu'il s'agisse du HCNUR ou d'un médiateur désigné par le HCNUR, disséminons cette information aux autres pays en leur disant que c'est la norme à suivre. Prenons les pratiques exemplaires, que ce soit celles des États-Unis, du Canada ou de l'Europe, puis établissons un régime de détermination qui les intègre et que tous les pays suivent cette méthode. Cela devrait mettre un terme au magasinage d'asile.
J'ai vu des cas, j'ai travaillé sur des cas, de gens venus d'Europe et demandant le statut de réfugié au Canada. On découvre qu'ils ont reçu l'asile en Europe. Mais parce qu'ils ont peut-être de la famille au Canada... Ils font l'objet d'ordonnances d'expulsion. J'ai vu des gens qui ont vécu pendant plusieurs années aux États-Unis sans que rien ne se passe, et qui veulent venir au Canada.
Si l'on veut se placer à un niveau supérieur, ne serait-il pas bénéfique pour nous, étant un pays que le restant du monde considère comme un modèle sur le plan de l'ouverture aux réfugiés — et je suis sûr qu'il y a des personnes autour de cette table qui sont arrivées dans ce pays soit comme réfugié soit comme immigrant en quête d'une vie ou situation économique meilleure — d'établir une norme et de demander à nos fonctionnaires ou à notre ministère d'aller voir le HCNUR pour proposer de mettre sur pied une boutique — si on peut l'appeler ainsi — qui disséminerait l'information et chapeauterait tout cela? Il y aurait une seule pratique, et si un pays ne respectait pas ces normes, alors le médiateur irait faire des remontrances à ces dirigeants, afin que les réfugiés puissent se trouver un pays de refuge sans avoir à aller d'une frontière à une autre frontière et une autre encore. Lorsqu'on ignore ces frontières, on risque certainement un malheur et l'on peut causer toutes sortes de difficultés.
Si l'on pouvait reproduire ailleurs le régime appliqué au Canada, si nous pouvions enseigner à nos collègues américains ou européens, ou si les Européens pouvaient nous enseigner un système unifié, cela ne serait-il pas mieux?
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Merci, monsieur le président.
J'aimerais revenir à la question de la conformité des États-Unis à la Convention internationale contre la torture. Encore une fois, c'est un aspect que le Conseil canadien pour les réfugiés a soulevé par rapport à ses très sérieuses réserves sur l'Entente sur les tiers pays sûrs.
Il fait remarquer que l'une des dispositions primordiales de la Loi sur l'immigration et la protection des réfugiés veut qu'un tiers pays sûr doit respecter l'article 3 de la Convention des Nations Unies contre la torture, qui interdit le renvoi dans un pays pratiquant la torture. Il énumère ensuite une série de cas où les États-Unis ont enfreint cette interdiction. Je pense que le cas le plus connu par tout le monde ici est celui de Maher Arar, qui a été extradé en Syrie pour y être torturé.
Il existe aux États-Unis la pratique consistant à demander des assurances diplomatiques aux autres pays que les personnes qui y sont renvoyées ne seront pas torturées, encore qu'apparemment même les responsables américains reconnaissent qu'elles représentent une protection limitée dans la pratique.
Il se pose toute la question de l'enfermement dans des installations de détention secrètes, que l'Union européenne a vigoureusement condamné. Je pense qu'il y a eu une grande indignation dans le monde lorsque nous avons appris cette pratique américaine, et aussi concernant tout ce qui se passe à Guantanamo Bay.
Ensuite, deux lois américaines sont perçues comme alarmantes, en particulier par le CCR. L'une est la Detainee Treatment Act de décembre 2005. Apparemment, le président Bush a ajouté à la loi une déclaration de signature disant qu'il pouvait, à titre de commandant en chef, lever l'interdiction d'emploi de la torture ou de traitements cruels, inhumains ou dégradants, ce qui me paraît être un problème très sérieux.
Enfin, il y a la Military Commissions Act de 2006, qui accorde une immunité rétroactive aux militaires et autres responsables pour les abus passés liés à des actes de torture.
Le CCR a soulevé d'autres problèmes encore et je sais qu'il les a également abordés dans des causes judiciaires.
Le témoin voudrait-il nous parler de la question du respect de la Convention des Nations Unies contre la torture et de l'interdiction du renvoi dans des pays pratiquant la torture?
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Merci beaucoup, monsieur le président.
L'une des choses que possède l'Union européenne, ce sont des normes en matière de droits de la personne et tous les membres de l'Union européenne doivent les respecter. Il existe même la Cour européenne des droits de l'homme qui a imposé la modification du mécanisme des certificats de sécurité de l'Angleterre. Il n'y a rien d'équivalent entre le Canada et les États-Unis.
J'ai toujours formulé des réserves à cet égard et je pense que le 11 septembre a joué un très grand rôle. Pour vous donner un exemple parlant de la différence entre les normes américaines et les nôtres, prenez le cas Arar. Nous avons blanchi M. Arar, mais les États-Unis ne l'ont pas fait. Il est toujours sur leur liste d'interdiction de vol. C'est un bon exemple de normes divergentes.
Un autre aspect m'inquiète, professeur. Vous avez mentionné l'Amérique latine. Il règne pas mal de tensions en Amérique latine, avec tout ce qui se passe dans divers pays. Chaque fois que des élections démocratiques sont tenues, les tensions semblent croître entre les États-Unis et certains pays d'Amérique latine comme le Nicaragua, le Venezuela, le Brésil, et ainsi de suite.
Si je remonte en arrière dans l'histoire, je vois ce qui est arrivé aux Salvadoriens. Le gouvernement américain a appuyé une junte militaire au Salvador. La même chose s'est passée au Chili où le gouvernement démocratique d'Allende a été renversé par Pinochet qui a été jugé et condamné pour violation des droits de l'homme et le meurtre d'un très grand nombre d'opposants. Je crois que près de 50 000 Chiliens ont trouvé refuge au Canada. Si on les capturait aux États-Unis, ils étaient couramment renvoyés au Chili où ils s'ajoutaient à la liste des disparus de Pinochet.
Dans ce contexte, pourriez-vous nous parler des situations et expériences que vous avez connues aux États-Unis, à la lumière de ce qui est arrivé aux Chiliens? Ces réfugiés sont devenus un groupe très apprécié au Canada. L'un d'eux est même devenu député. Pouvez-vous nous parler de la façon dont les États-Unis traitent les personnes qu'ils jugent hostiles, en quelque sorte?