:
D'accord. Je vais déclarer notre séance ouverte. Je veux souhaiter la bienvenue à tout le monde aujourd'hui pour la poursuite de notre étude sur les centres de détention et les certificats de sécurité.
À l'intention de M. MacDonald, je précise que nous avons déjà soumis à la Chambre des communes notre rapport sur les centres de détention. Nous pouvons cependant continuer à entendre des témoignages et nous sommes heureux de profiter de votre contribution, monsieur MacDonald.
Pour vous présenter brièvement M. MacDonald, je vous dirais que c'est un avocat du Royaume-Uni qui est spécialisé en immigration et en droit pénal. Il est avocat principal pour Garden Court Chambers, un cabinet qui se consacre aux questions de libertés civiles et de justice sociale.
Nous voulons vous souhaiter la bienvenue, monsieur Macdonald.
:
Plus tôt ce matin, je vous ai envoyé par courriel une brève déclaration qui est seulement en anglais; elle n'a pas été traduite en français. J'y présente mon rôle en tant qu'intervenant spécial et les expériences que j'ai vécues à ce titre.
La fonction d'intervenant spécial a en fait été créée en 1998, à l'issue de l'affaire Jahal devant la Cour européenne des droits de l'homme, qui a donné lieu à d'innombrables critiques à l'encontre du conseil consultatif qui existait auparavant. On a ainsi conclu que des dispositions devaient être prises pour répondre aux préoccupations légitimes en matière de sécurité tout en assurant une protection suffisante à l'individu. C'est ainsi qu'on a décidé de mettre sur pied ce que nous avons appelé la Commission spéciale d'appel de l'immigration qui a été établie par une loi du Parlement en 1997 et a commencé à siéger en 1998.
Même si on parle d'une commission, il s'agit en fait d'un tribunal présidé par un juge de la Cour supérieure, flanqué d'un juge de l'immigration d'un côté et, règle générale, d'un spécialiste de la sécurité de l'autre. Les délibérations se déroulent de manière plutôt informelle.
La loi qui établit ce tribunal comporte également des dispositions touchant la nomination d'intervenants spéciaux. J'ai été parmi les premiers à être nommés à ce poste par le procureur général en 1998. À l'époque, j'ai accepté cette nomination comme mes collègues l'ont fait parce que j'estimais que ce nouveau mécanisme représentait une très grande amélioration en matière d'équité de la procédure par rapport au conseil consultatif qui existait auparavant. Je considérais certes alors qu'il s'agissait d'un pas dans la bonne direction.
J'ai l'impression que tout a changé après le 11 septembre. En effet, à l'issue de ces événements, le gouvernement a confié à la Commission spéciale d'appel de l'immigration un tout nouveau mandat en vertu de l'Anti-terrorism, Crime and Security Act de 2001, qui permet notamment la détention sans procès pour une période indéterminée de tout individu suspecté de terrorisme international et accusé d'avoir des liens avec al-Qaïda. Ces dispositions s'appliquaient uniquement aux ressortissants étrangers qu'il était impossible autrement d'expulser en toute sécurité du Royaume-Uni; les citoyens britanniques suspectés de tels agissements n'étaient pas visés.
Dans le cadre de l'application de cette loi, j'ai représenté les intérêts de cinq des suspects détenus. Au total, j'ai représenté une dizaine d'appelants différents lors de mon passage à la Commission spéciale d'appel de l'immigration; il ne s'agissait pas toujours, bien évidemment, d'individus suspectés de terrorisme international ou détenus pour une période indéterminée. Il y a eu, par exemple, des étudiants en médecine du Moyen-Orient que le gouvernement voulait expulser parce qu'on croyait qu'ils menaient des études pour doter leur pays d'armes de destruction massive qui allaient lui permettre de lancer des missiles vers Israël. Il y avait également entre autres un individu qui était soupçonné d'aider le Pakistan à obtenir du matériel nucléaire.
Je vais vous parler de mon expérience à la Commission spéciale d'appel de l'immigration. Bien qu'il soit question de témoins et de preuves dans les règles et les jugements de cette commission, ces termes ne sont pas utilisés dans le sens que leur donnent habituellement les avocats en droit civil et pénal. D'après ma propre expérience, la preuve est presque toujours fournie par des agents du renseignement et est constituée d'éléments dont ils n'ont pas une connaissance directe, mais qui sont plutôt le fruit de leurs évaluations. Ces évaluations peuvent être fondées sur une grande variété de sources, allant des informateurs et des conversations téléphoniques ou courriels interceptés jusqu'aux évaluations menées par d'autres services de renseignement.
Dans les actions en justice qui sont fondées uniquement sur la notion de doute raisonnable, il est notamment très difficile, même à partir de l'intérieur, de vérifier l'exactitude des évaluations effectuées ou de s'assurer de la fiabilité des éléments de preuve provenant de sources humaines sur lesquelles on s'appuie pour en arriver à ces évaluations. C'est l'une des principales difficultés qui se posent. C'est certes un problème qui s'est exacerbé depuis le 11 septembre avec l'utilisation répandue de la torture physique et psychologique dans le but d'obtenir toujours plus de renseignements. Comme le faisait observer sagement l'historien latin Tacite il y a 2000 ans, le recours à la torture et à des moyens à peine moins oppressifs pour faire parler les gens a notamment pour inconvénient d'inciter souvent à de faux témoignages. On risque ainsi de se retrouver avec une grande quantité de renseignements qui ne sont pas nécessairement fiables et dont il est certes possible de contester la validité.
La détention pour une période indéterminée en fonction d'un doute raisonnable soulevé par les évaluations des services de renseignement a également pour désavantage d'empêcher la police d'intervenir dans ces dossiers. Au Royaume-Uni, nous pouvons compter sur des services policiers possédant une très vaste expérience du traitement des actes terroristes, mais il est impossible de les faire intervenir. Nous ne disposons donc d'aucun véritable moyen de transformer les éléments d'information en éléments de preuve pouvant être présentés devant un tribunal pénal suivant la procédure habituelle.
Ma troisième objection concerne le problème qui est le plus souvent soulevé à cet égard, à savoir celui de l'équité. À titre d'intervenant spécial, il ne vous est plus possible de voir l'appelant ou de parler aux avocats qui le représentent à compter du moment où vous recevez les renseignements confidentiels ou secrets. Il se dresse alors une véritable muraille de Chine qui vous empêche de parler de la cause sans l'autorisation de la commission, laquelle vous permet habituellement de traiter seulement de questions de procédure. Il va de soi qu'il vous est interdit de révéler un renseignement secret afin d'obtenir des précisions. L'appelant a-t-il téléphoné à l'individu A à telle ou telle date? De quoi a-t-il été question? A-t-il vraiment rencontré Ben Laden lors d'un camp d'entraînement en Afghanistan à telle ou telle date ou travaillait-il plutôt à la caisse d'une grande quincaillerie de Manchester au moment en question? Est-il capable de le prouver? Il s'agit d'autant de zones interdites dans ces causes où vous vous retrouvez en fait, au détriment de votre fonction de représentation, à mi-chemin entre le rôle d'intervenant spécial et de conseiller juridique de l'appelant.
Il y a certaine situations où l'intervenant spécial peut effectivement faire oeuvre utile. Une des premières tâches que l'intervenant spécial à la Commission spéciale d'appel de l'immigration doit effectuer lorsqu'il reçoit des éléments de preuve confidentiels consiste à déterminer lesquels parmi ces éléments peuvent être divulgués à l'appelant étant donné, par exemple, qu'ils sont déjà du domaine public. Ce n'est pas chose facile, parce que l'intervenant spécial ne peut pas compter sur une équipe de juristes pour l'appuyer dans cette tâche et n'a pas non plus le temps de visiter des centaines de sites Web, dont certains sont notamment en langue étrangère. C'est tout de même une fonction qui peut se révéler utile et qui a d'ailleurs été reprise aux fins de certains procès criminels où un intervenant spécial examine la preuve que la poursuite ne veut pas divulguer pour toutes sortes de raisons — la protection des informateurs, notamment, mais habituellement pour des motifs reliés à l'intérêt public.
La différence vient bien évidemment du fait que les éléments de preuve non divulgués ne peuvent être utilisés par la poursuite lors d'une cause criminelle, alors que cela est possible devant la Commission spéciale d'appel de l'immigration.
Voilà donc pour mes observations de nature générale concernant mes expériences personnelles.
Dans une décision charnière rendue en décembre 2004, la Chambre des lords a conclu qu'une loi imposant la détention sans procès pour une période indéterminée, s'appliquant de façon partielle et ne ciblant que l'un des groupes pouvant participer à la planification d'actes terroristes, est illégale et constitue une réaction disproportionnée et discriminatoire aux menaces pesant sur la nation.
Depuis lors, le gouvernement a institué dans le cadre de la Prevention of Terrorism Act de 2005 des ordonnances de surveillance qui constituent essentiellement une forme d'assignation à résidence —
:
Oui, tout à fait. Elles donnent suite à quelques-unes de mes préoccupations. En fait, il ne s'agit pas uniquement de mes préoccupations personnelles; j'estime que ce sont des questions fondamentales. Elles permettent clairement de régler un problème en préconisant pour l'intervenant spécial l'accès aux évaluations effectuées et aux documents sur lesquels elles sont fondées.
Le principal problème vient du fait que l'intervenant spécial, une fois qu'il a eu accès à ces renseignements, ne peut plus discuter aucunement de la cause ni avec l'appelant ni avec ses avocats, ce qui fait qu'il est impossible pour lui de contester efficacement la preuve produite lors des séances à huis clos étant donné qu'il n'a pas la moindre idée des arguments de l'appelant à l'égard des éléments soulevés. La possibilité de discuter des éléments de preuve avec le détenu constituerait donc certes une façon de régler le problème. Cependant, il se pourrait qu'en pareil cas certains éléments ne soient pas divulgués.
Je crois que le problème est en partie attribuable au fait que la confidentialité du processus est poussée à l'extrême. On tient à garder secrets différents éléments qui ne devraient pas vraiment l'être. C'est une situation qu'il sera très difficile de corriger en Grande-Bretagne sans apporter de modifications à la loi.
:
Non. Le comité spécial a entendu de nombreux témoignages, y compris le mien, et a produit un rapport qui traite directement du fait qu'une fois que l'intervenant spécial a pris connaissance des documents confidentiels, il ne peut plus prendre d'instructions de l'appelant ou de son avocat. C'était donc une critique.
Il faut aussi dire que l'intervenant spécial ne dispose pas des ressources que procure habituellement une équipe de juristes, ce qui fait qu'il est difficile pour lui d'assurer une défense pleine et complète. Il s'agirait notamment, surtout pour ce qui est de la divulgation, de déterminer si certains éléments de preuve sont déjà du domaine public.
Il y a également un grave problème quant à l'utilisation d'éléments de preuve interceptés lors des procès criminels en Grande-Bretagne. Il semble bien que les services de renseignement soient, dans une certaine mesure, à couteaux tirés avec la police, qui est favorable à l'admission de tels éléments.
Le comité des affaires constitutionnelles a également fait valoir que l'intervenant spécial n'avait pas le pouvoir d'assigner des témoins à comparaître. Selon mon expérience personnelle, ce n'est pas nécessairement une chose que j'aurais voulu faire ou eu besoin de faire, mais je vous communique simplement les conclusions du comité.
:
Merci, monsieur le président.
Monsieur MacDonald, merci d'être venu nous rencontrer aujourd'hui. J'espère que vous savez que le travail que vous avez effectué, le rôle que vous avez joué en tant qu'intervenant spécial, ont suscité de l'intérêt dans de nombreux pays, y compris le Canada, et pas seulement en Grande-Bretagne. Je tiens à vous féliciter pour ce que vous avez accompli à ce chapitre.
Je voudrais vous poser une question. Vous avez parlé des difficultés qui entourent l'utilisation de renseignements secrets, et surtout classifiés — la façon dont ils sont classifiés et les contraintes imposées. Que pensez-vous du processus de classification des renseignements? Est-ce que le processus ou les décisions touchant la classification font l'objet d'un examen? Quel impact cela a-t-il sur votre travail?
:
Non. Aucune formation n'est donnée à la personne qui agit comme intervenant spécial. On apprend sur le tas. La plupart d'entre nous sommes des avocats chevronnés, que ce soit dans le domaine de l'immigration ou des plaidoiries, ce que j'ai toujours fait. Mais aucune formation n'est donnée.
Tout ce que je peux dire, c'est que le fait, pour les services de renseignement, de justifier les évaluations qu'ils ont effectuées devant des avocats expérimentés a sans doute provoqué un choc culturel important. Je suis certain que cette question fait l'objet de discussions, discussions sur lesquelles je ne sais rien.
Beaucoup de choses ont été dites au sujet des manipulations politiques entourant les évaluations des services de renseignement. Eh bien, c'est plutôt le contraire qui s'est produit au sein de la commission spéciale. Les critères qui ont servi de base aux évaluations, et si le fait que A, qui avait été vu au mariage de B qui, lui, avait été vu à un autre événement avec C, qui était un cousin au deuxième degré de Ben Laden, prouvait l'existence d'un lien terroriste, étaient le genre de questions que l'on devait examiner.
:
Merci, monsieur MacDonald.
Vous avez fort bien décrit le processus. J'ai une série de questions auxquelles vous pouvez peut-être répondre. Je vais les regrouper.
D'abord, vous avez indiqué, en ce qui concerne la commission spéciale d'appel de l'immigration, que les changements apportés après le 11 septembre ont eu pour effet de compliquer votre travail en tant qu'intervenant spécial. Je me demande si vous faites allusion à la nouvelle loi, et si vous étiez en mesure de mieux faire votre travail avant son adoption.
Autre point : fournir comme éléments de preuve devant un tribunal pénal des renseignements secrets pourrait s'avérer problématique. D'après un des témoins que nous avons rencontré, aucun pays démocratique n'a encore trouvé le moyen de poursuivre une personne en utilisant des preuves en partie secrètes qui ne peuvent être divulguées. C'est un dilemme auquel tous les pays occidentaux sont confrontés. Comme vous l'avez bien expliqué, le problème vient en partie du fait que nous ne pouvons avoir accès aux preuves originales, celles-ci se présentant surtout sous forme d'opinion.
Le comité a recommandé, entre autres, que l'intervenant spécial ait le pouvoir de vérifier la solidité des preuves confidentielles ou secrètes et de donner à la personne détenue la possibilité de les réfuter — tout en cherchant, bien sûr, à préserver la sécurité nationale.
Vous avez dit, entre autres, que vous n'aviez ni les ressources juridiques ni le temps de parcourir les sites Web ou d'essayer de trouver les preuves originales. Si vous aviez les ressources pour le faire, ne pourriez-vous pas vérifier l'authenticité ou l'exactitude de certains renseignements et les présenter comme preuves originales?
Le secrétaire parlementaire a parlé de la nécessité de trouver un juste équilibre entre les droits du particulier et la sécurité de la nation. Cette prémisse, dans une certaine mesure, est fausse et très dangereuse. Il suffit de penser au critère du soupçon raisonnable. Nous avions des motifs raisonnables de soupçonner qu'il y avait des armes de destruction massive en Irak. Nous voyons où cela nous a menés.
Par ailleurs, cette façon de penser est contre-productive, puisqu'elle crée une mentalité de nous contre eux. Pour ce qui est de l'érosion progressive des libertés civiles, celle-ci est clairement évidente au Canada : à l'origine, les certificats de sécurité s'appliquaient aux personnes sans statut. En 2002, le recours aux certificats de sécurité a été étendu aux personnes ayant un statut. En 2003, on a cherché à faire en sorte que les certificats s'étendent également aux citoyens.
Vous êtes juriste — Si nous voulons assurer l'intégrité du système judiciaire, nous devons avoir la possibilité de vérifier l'exactitude des preuves, car si nous nous fondons sur des preuves non vérifiées, nous risquons de créer des situations très dangereuses et pour la société et pour le système lui-même.
En ce qui concerne la détention pour une période indéfinie— nous avons vu, l'autre jour, ce qui arrive quand l'information est obtenue par la menace ou la torture, quand une personne détenue en vertu d'un certificat de sécurité est remise en liberté sous réserve de conditions très sévères. Les témoins se sont tous rétractés, mais cette personne se retrouve encore sous le coup d'un certificat de sécurité. Cette façon de faire risque vraiment de créer une mentalité de nous contre eux, la lutte contre le terrorisme étant la responsabilité de chacun et l'affaire de tous. C'est là ma plus grande crainte. Je ne sais pas comment vous composez avec cette situation, en Angleterre.
:
Je pense que l'équilibre entre la sécurité publique, d'une part, et les libertés fondamentales et les droits de la personne, d'autre part, est au coeur du problème. Permettez-moi de vous citer Lord Hoffman, un des juges dans l'affaire des détenus de Belmarsh. Il a déclaré ce qui suit :
Le pouvoir de détention, à l'heure actuelle, ne vise que les étrangers. Je ne voudrais pas donner l'impression que l'unique chose à faire était d'étendre ce pouvoir aux citoyens du Royaume-Uni. À mon avis, ce pouvoir, quel qu'il soit, n'est pas compatible avec notre constitution. La menace réelle qui pèse sur la nation, c'est-à-dire sur les citoyens qui vivent conformément aux lois traditionnelles et aux valeurs politiques, vient non pas du terrorisme, mais des lois comme celles-ci.
C'est ce qu'il a dit, en partie.
À mon avis, il est essentiel, dans une société démocratique, de pouvoir compter, au départ, sur des renseignements fiables. En fait, si vous emprisonnez tous ceux qui figurent sur votre écran-radar ou que vous leur imposez des mesures de contrôle ou la détention à domicile, vous n'empêcherez pas les atrocités qui ont eu lieu à Madrid, ou même les explosions qui sont survenues dans le métro de Londres, le 7 juillet. Ces événements se sont produits parce que les services de renseignement étaient tout simplement absents ou n'avaient pas bien rempli leur rôle.
Le fait d'enfermer des gens peut peut-être permettre aux politiciens — et je sais que je m'adresse à des politiciens — de donner l'impression qu'ils protègent les citoyens. Toutefois, si les personnes qui veulent commettre d'autres attentats ne figurent pas sur l'écran-radar, cette mesure ne fera tout au plus qu'apaiser les craintes du public et rien d'autre.
Par ailleurs, quand des gens figurent sur l'écran-radar, les évaluations et l'information recueillie par les services de renseignement doivent être transformées en éléments de preuve pour que les suspects puissent être arrêtés, poursuivis et condamnés devant les tribunaux dans le cadre de procès ouverts et justes. Et c'est ce que nous faisons actuellement au Royaume-Uni, et dans l'ensemble du pays. Jusqu'ici, cette démarche entraîne toute une foule de problèmes, alors que les dossiers s'accumulent dans certains tribunaux de Londres et que les policiers sont débordés. Toutefois, c'est l'approche qu'il faut adopter. Donc, il est essentiel, au départ, d'avoir des renseignements fiables.
:
En fait, les certificats de sécurité n'existent pas en Grande-Bretagne. Toutefois, si le secrétaire d'État juge qu'une personne doit être expulsée parce qu'elle constitue une menace à la sécurité, alors le secrétaire d'État a le pouvoir d'arrêter et de garder cette personne en détention, en attendant son renvoi. C'est la question sur laquelle la commission spéciale d'appel de l'immigration se penche actuellement.
Ce qui arrive, bien entendu — notre position est différente de celle du Canada, mais nous refuserons d'expulser une personne si elle court le risque d'être torturée, parce que la Convention des Nations Unies contre la torture fait partie du droit interne du Royaume-Uni, ou parce que cette expulsion va à l'encontre de l'article 3 de la Convention européenne sur les droits de l'homme, article qui précise que nul ne peut-être soumis à la torture ni à des peines ou traitements inhumains ou dégradants. Nous allons refuser d'expulser une personne dans ces circonstances, et cette règle s'applique à tous les pays d'Europe.
Ce que le gouvernement britannique essaie maintenant de faire, c'est de circonscrire ses obligations internationales en concluant des ententes diplomatiques ou des protocoles d'entente. Les premiers protocoles, un qui vise l'Algérie et l'autre, la Libye, ont été soumis à l'examen de la commission spéciale et vont franchir toutes les étapes du système judiciaire, sauf que nous ne nous attendons pas à ce qu'ils se retrouvent devant la Chambre des lords avant un bon moment .
Cette approche, dans un sens, est différente, mais nous sommes nombreux à avoir des réserves au sujet des protocoles d'entente, parce qu'ils tentent de contourner des obligations internationales très claires.
Et ils ne sont pas uniquement utilisés dans le cas d'infractions de terrorisme. J'ai récemment plaidé une affaire qui mettait en cause un protocole d'entente conclu entre le gouvernement chinois et le gouvernement britannique. Ce protocole prévoyait le renvoi d'un chef de police qui avait donné des passeports à des membres du groupe Falun Gong, qui est considéré comme un mouvement chrétien en Chine.
Les protocoles soulèvent des questions juridiques importantes, notamment au sujet de l'application du droit international en matière de droits de la personne, et aussi des points de fait complexes.
:
Pour ce qui est des chiffres, c'est en fait très peu de gens. Il y a eu environ 24 détenus. Et bien entendu, ils avaient le choix, s'ils pouvaient aller dans un autre pays, ou s'ils trouvaient un pays pouvant les accueillir.
L'un des détenus, a-t-on appris, avait la double nationalité et était, notamment, français. Il a été libéré et s'est installé en France, où il tient une petite boutique et n'est absolument pas dérangé par le gouvernement français qui, manifestement, n'avait pas le même avis que le gouvernement britannique sur ce qu'il fallait faire de lui. Un autre est allé au Maroc, et apparemment rien ne lui est arrivé là-bas.
Alors si vous regardez la situation sous l'angle des chiffres, c'est très peu de monde. Presque tous étaient d'origine africaine ou jordanienne, et aucun n'était le moindrement soupçonné de participer à des activités terroristes; ils étaient détenus plus parce qu'ils étaient soupçonnés d'être associés et d'avoir des liens avec des groupes terroristes actifs à l'étranger. Alors c'est une race tout à fait différente, si on peut dire, des terroristes nés en Grande-Bretagne responsables de la tragédie qui a eu lieu dans le métro de Londres le 7 juillet.
Vous avez demandé quels désavantages il y a au rôle d'avocat spécial. Le plus grand désavantage, dans ces cas-là, était tout d'abord que le seuil fixé pour qu'il justifie la détention était exactement le même qui permettait à un agent de police d'arrêter un suspect dans la rue. Dans le cas de l'agent de police, c'est le début de toute une démarche de recherche de preuves, d'inculpation ou de libération de quelqu'un, etc., qui se termine devant un tribunal. Dans le cas de ces gens-là, c'était un seuil tellement bas qu'il était difficile d'interjeter appel avec succès
Il y a eu un cas, appelé « M », dont il est question dans le jugement Charkaoui, qui a été gagné. Tous les autres ont été perdus.
Le deuxième problème, c'était que lorsqu'on trouvait quelque chose dans les preuves, il n'y avait absolument aucun moyen de pouvoir vérifier ce que le client avait à dire à ce sujet et de lui demander s'il avait fait un appel téléphonique à Untel ou Untel, et la nature de ses rapports avec cette personne. Il était impossible de poser ces questions. On ne pouvait pas recevoir de directives.
Et puis l'autre chose, c'est que si on posait certaines questions aux agents de renseignements qui témoignaient au sujet des évaluations, ils n'avaient pas de connaissances directes des divers aspects, simplement parce qu'ils n'en savaient pas plus que les sources qu'ils employaient pour faire ces évaluations. Et de plus, les rapports avec la police étaient très ténus.
:
Merci, monsieur le président.
Merci, monsieur MacDonald, d'être venu nous faire part de vos réflexions.
Je dois convenir de certains commentaires que vous avez faits plus tôt. La véritable menace potentielle contre la liberté des Canadiens pourrait effectivement émaner plus des lois inconstitutionnelles qu'adopte l'État que des actes perpétrés par les terroristes. J'ai trouvé le commentaire intéressant.
En vous écoutant parler, j'ai trouvé que deux grands enjeux semblaient ressortir. L'un vient du fait que les preuves présentées au poursuivant spécial ne peuvent être communiquées à l'accusé et correctement vérifiées. Le deuxième, c'est la difficulté d'accéder aux preuves originales utilisées pour formuler l'évaluation.
J'ai deux questions à vous poser. Tout d'abord, croyez-vous que votre système, au Royaume-Uni, avec l'avocat spécial et une commission d'appel spéciale en immigration, concilie comme il se doit les droits fondamentaux et la liberté de la personne avec les préoccupations de l'État à l'égard de la sécurité?
:
Non. Je pense que si les avocats spéciaux ont été assez utiles, ce n'est pas dans le domaine dont j'ai parlé. C'est quand ils ont servi, dans le cadre de procès criminels et de procès de terroristes, à examiner les preuves non divulguées et à argumenter avec le juge à huis clos en faveur de leur divulgation. Évidemment, ce qui n'est pas divulgué ne peut être utilisé.
Je peux vous dire, d'après ma propre expérience des procès au criminel, qu'il apparaît que quand on indiquait à la police qu'elle devrait arrêter certaines personnes ou les mettre sous surveillance, l'un des officiers supérieurs de police m'a expliqué qu'ils recevaient ces évaluations que quand ils rencontraient les services de renseignements. Il a dit qu'il ne voulait pas d'évaluation, qui ne sont rien de plus que de la conjecture, ce qu'il lui fallait, ce sont des preuves.
Ils ont par ailleurs eu beaucoup de succès dans ce que j'ai décrit comme étant la tâche essentielle à exécuter, soit de faire des renseignements reçus de services de renseignements des preuves admissibles devant un tribunal.
:
Eh bien, c'est qu'ils n'ont pas les originaux. Si on reçoit une évaluation d'un autre service du renseignement, on n'a pas l'original.
Si un informateur parle au service de renseignements de l'Algérie, vous n'aurez pas accès à cet informateur pour savoir si ces renseignements sont fiables. De fait, il peut même arriver qu'il soit difficile de déterminer si les renseignements émanant des services de renseignements algériens sont fiables. C'est le problème.
Nous évoluons dans un contexte international, ici. Ce n'est pas un acte criminel perpétré au pays dont il s'agit. Il y a vraiment un problème fondamental à aller au fond de ces évaluations.
Ce qui semble en fait arriver maintenant en Grande Bretagne, c'est que lorsque la police prend la relève des services de renseignements, elle trouve des preuves vraiment admissibles, et elle fait des pieds et des mains pour les obtenir. On obtiendra le témoignage de quelqu'un qui a vu un accusé dans un camp d'entraînement des Philippines, de l'Afghanistan ou d'ailleurs. Ils font cela.
:
Monsieur MacDonald, le passé nous a appris que l'auteur le plus efficace du terrorisme est l'État. La description d'un scénario du genre « eux et nous » me rappelle vraiment l'effet O.J. Simpson où vous le savez, le jury n'a pas inculpé O.J.Simpson. La réaction de la population noire des États-Unis a été, en gros, qu'O.J. Simpson était innocent, et celle du reste de la population était qu'il était coupable. Et c'est ce que j'entends par « eux et nous ».
Étant donné la constitution du Canada, notre démographie représente, en gros, le monde, par la composition de notre population, alors nous sommes tous dans le même bateau, et nous avons désespérément besoin de la communauté musulmane. C'est là qu'est le problème, et nous avons besoin de leur aide et de leur collaboration. Si nous créons une mentalité « eux et nous », nous aurons du mal à y arriver.
Est-ce que vous en avez parlé, là-bas, en Grande-Bretagne?
:
Oui. Cela a été un exercice d'équilibre, parce qu'au départ je suis resté, après l'entrée en vigueur de la nouvelle loi en 2001, parce que tout comme d'autres avocats spéciaux et la plupart des avocats, je pensais pouvoir faire une différence en restant. Mais en fin de compte, j'ai compris que je devais concilier le peu de différence que je pourrais faire en restant avec le fait que je sanctionnais une forme de détention indéfinie, fondée seulement sur le soupçon raisonnable, pour une période indéfinie. J'ai compris dans ma conscience que je ne pouvais rester, et je trouvais surtout, à la lumière du jugement de la Chambre des lords, que mon point de vue était tout à fait défendable.
Malheureusement, un autre avocat spécial seulement a démissionné au moment où je l'ai fait. Les autres ont décidé de rester. Je ne les ai jamais critiqués publiquement, et ce n'est pas maintenant que je le ferai. Cela a été une décision très personnelle. Il m'a semblé que ce n'était pas le bon équilibre qui était trouvé, par cette manière en général dont ces gens-là étaient traités, parce qu'au mieux, ils seraient déclarés terroristes de catégorie C, et on doit se demander s'il y avait vraiment une menace sérieuse pour la nation, en Grande-Bretagne, à l'époque.
Bien entendu, c'est un avis personnel, je ne m'exprime pas ici en tant qu'avocat.