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Je vous remercie monsieur le président.
Bonjour.
Je m'appelle Alex Neve. Je suis secrétaire général de la section anglophone d'Amnistie internationale Canada et je suis heureux d'avoir l'occasion de m'adresser à vous ce matin.
Depuis nombre d'années, bien avant les attentats du 11 septembre et leurs retombées qui ont fait porter une attention si nécessaire sur la question des certificats de sécurité, Amnistie internationale a clairement exprimé au gouvernement ses très vives inquiétudes au sujet de cet aspect particulier de la loi canadienne sur l'immigration. Nous avons signalé ce que nous estimons être un certain nombre de défauts graves du processus, lequel est bien loin de respecter les obligations internationales juridiques du Canada dans le domaine des droits de la personne. C'est sur quoi portent nos interventions: les normes d'équité des procès, la détention arbitraire, la discrimination et la protection contre la torture.
Les inquiétudes sur le plan des droits de la personne sont effectivement nombreuses, comme je l'ai déjà signalé, mais nous sommes très heureux de l'attention que vous portez particulièrement à la détention parce qu'à beaucoup d'égards, elle est l'un des aspects très importants de cette tragédie humaine, qui ne reçoit pas l'attention qu'il faudrait lui accorder et qui, à certains égards, est l'aspect du processus relatif au certificat de sécurité dont les conséquences humaines sont les plus débilitantes et les plus néfastes.
Ces dernières années, des voix de plus en plus nombreuses se sont élevées pour dénoncer les graves manquements aux droits de l'homme et pour réclamer des réformes essentielles à cet égard. L'appel à l'action a été lancé par les personnes actuellement détenues, leurs familles, leurs avocats et les groupes qui leur accordent leur soutien.
Je vous signale également que cette inquiétude trouve écho à l'échelle internationale. De plus en plus d'experts des Nations Unies en la matière — comme le comité le sait sans doute déjà — étudient la question depuis quelques années et ont incité le Canada à modifier le régime, dont le Comité des droits de l'homme des Nations Unies et le Groupe de travail sur la détention arbitraire des Nations Unies qui ont tous les deux publié un rapport très important l'an dernier.
La détention arbitraire, dans l'optique des droits de la personne, suscite donc une inquiétude à l'échelle mondiale, ce qui, à mon avis, accroît l'importance pour le Canada d'agir afin de réparer l'injustice. Le non-respect par le Canada des recommandations des Nations Unies relatives aux droits de la personne, à cet égard ou à tout autre égard, non seulement empêche-t-il de remédier à la situation qui nous inquiète, mais il diminue l'intégrité et l'efficacité du régime des droits de l'homme des Nations Unies, régime que le Canada a contribué à mettre en place et dont il se fait le champion.
L'enjeu est grand, pour les personnes dont les droits sont menacés et pour leurs familles évidemment très inquiètes qui subissent les effets, mais, dans une optique plus générale, pour ce qui est de l'intégrité des importantes normes relatives aux droits humains que défend le Canada au pays et à l'étranger.
Nous sommes maintenant tous tournés vers la Cour suprême du Canada, dans l'espoir que la décision qu'elle rendra prochainement dans trois des affaires qui lui sont soumises en la matière obligeront enfin le gouvernement à agir.
J'aimerais prendre quelque temps aujourd'hui pour vous exposer un certain nombre de questions liées à la détention. Je vais insister sur quatre aspects particuliers, à savoir le traitement des personnes détenues, certains éléments des programmes, des questions générales de discrimination et, enfin, la question très importante de nos inquiétudes au sujet de la durée de la détention.
Prenons d'abord l'aspect du traitement. Comme la détention dans un centre de détention de l'Immigration n'est pas un emprisonnement dans un établissement correctionnel, le traitement des personnes détenues devrait être le plus bienveillant possible et certainement pas plus mauvais que celui qui est réservé aux personnes détenues parce que des accusations ont été portées contre elles ou qu'elles ont été condamnées à l'emprisonnement après avoir été reconnues coupables.
Je souhaite seulement souligner au comité qu'il s'agit là de normes internationales. La détention est régie par un certain nombre d'importantes normes juridiques internationales. Il existe des normes générales prohibant la détention arbitraire qui sont énoncées dans les traités internationaux, comme le Pacte international relatif aux droits civils et politiques. Les Nations Unies sont cependant allées plus loin et, au cours des 20 à 30 dernières années, ont énoncé des règles détaillées dans un certain nombre d'instruments importants qui définissent plus précisément le traitement des détenus et les conditions de détention. Ces instruments comprennent l'Ensemble de règles minima pour le traitement des détenus, l'Ensemble de principes pour la protection de toutes les personnes soumises à une forme quelconque de détention ou d'emprisonnement et les Règles des Nations Unies pour la protection des mineurs privés de liberté.
Nous pouvons bien sûr faire en sorte que les membres du comité obtiennent une copie de ces documents s'ils le souhaitent.
Comme toute personne détenue, les personnes détenues dans des centres de l'Immigration doivent être traitées d'une manière qui respecte la dignité inhérente à la personne humaine.
Tout cela est tiré des normes internationales.
La détention de ce type n'ayant pas lieu pour des raisons criminelles, les services, installations, activités et programmes doivent être de nature telle que les différences entre la vie en détention et la vie en liberté soient les plus petites possibles. Ils doivent répondre aux besoins individuels de chaque personne détenue, compte tenu de ses antécédents, de son âge, de son sexe, de sa culture, de sa religion et de sa langue. La discrimination entre personnes détenues pour des motifs tels que la race, la couleur, le sexe, la langue, la religion ou les opinions politiques ou d'une autre nature est strictement interdite.
Dans les normes juridiques internationales, en outre, il est clairement précisé qu'il est très important pour les détenus de pouvoir conserver un contact raisonnable avec le monde extérieur. Surtout, il faut permettre à une personne détenue de pouvoir conserver sa relation avec famille et proches amis. Le principe directeur applicable doit être celui de faciliter les liens avec le monde extérieur. Toute restriction à cet égard doit être motivée exclusivement et très strictement par de graves craintes de menace à la sécurité. Il faut permettre à chaque détenu d'avoir au moins une fois par semaine un contact avec des membres de sa famille, des amis et des membres de la collectivité, par une visite, par lettre ou par téléphone. Il ne faudrait jamais priver une personne détenue de la communication avec le monde extérieur pour plus de quelques jours successifs.
En dépit de ces normes, la réalité est tout autre pour les personnes détenues en vertu de certificats de sécurité. Hassan Almrei, par exemple, n'a pas de famille au Canada. Durant les deux premières années de détention au centre de détention de l'Ouest du Grand Toronto, il n'a pas été permis à M. Almrei de téléphoner à sa famille en Arabie saoudite. Il pouvait uniquement faire des appels à frais virés au Canada, mais ne pas en recevoir. Après ces quelque deux années, il lui a enfin été possible, par l'intermédiaire d'un ami, de faire des appels conférences à trois au moyen d'une carte d'appel et de communiquer avec sa famille en Arabie saoudite. Depuis, il a été transféré au centre de surveillance de Kingston où il a perdu le droit à ces appels conférences. Il lui est interdit de téléphoner directement à ses parents. À notre connaissance, il n'a eu aucun contact avec sa famille depuis six mois.
Lorsqu'il était détenu au centre de Toronto, Hassan Almrei avait une visite presque chaque semaine depuis juillet 2003, la durée de la visite étant cependant limitée à 40 minutes. Au cours des six derniers mois, depuis son transfert au centre de surveillance de l'Immigration de Kingston, il n'a reçu que trois visites.
Bien sûr, toutes les personnes détenues ont le même problème. Il faut un jour complet pour une visite au centre de Kingston et le coût d'une visite est trop élevé pour les familles et les amis, en grande partie à cause de la distance à parcourir. Pour les familles de nombreux détenus, la visite représente un déplacement aller-retour d'une durée totale d'environ cinq heures.
J'insiste sur le fait que les visites des familles ne sont pas qu'une occasion agréable, mais bien un droit fondamental qui est clairement reconnu dans les normes internationales. Il ne suffit pas de dire que les visites sont permises pour que le droit soit respecté, ces visites doivent avoir lieu. Les autorités devraient prendre des mesures pour régler les difficultés liées aux appels téléphoniques ainsi qu'au coût à engager et à la distance à parcourir pour les visites des familles.
Si vous le permettez, je vais maintenant vous dire quelques mots au sujet des programmes. La détention en vertu d'un certificat de sécurité est en théorie — mais il en est bien sûr tout autre dans la pratique — une mesure temporaire devant mener au renvoi rapide des personnes présentant, de l'avis du gouvernement, une menace sérieuse pour la sécurité. La théorie est cependant très éloignée de la réalité. Plusieurs des hommes en détention sont détenus depuis des années dans l'attente de leur renvoi. Pendant ce temps, ils ont été détenus dans des établissements correctionnels provinciaux avant leur transfert récent à Kingston.
Le gouvernement a souvent été informé de graves inquiétudes au sujet de l'absence d'accès de ces détenus à des programmes. Certains détenus n'ont eu accès à aucun programme durant leur séjour de plus de cinq ans au centre de l'Ouest du Grand Toronto. Des responsables de l'immigration ont promis à diverses reprises de fournir aux détenus les livres qu'ils demandaient, mais ils ne les ont jamais obtenus.
Contrairement au centre de détention du Grand Toronto qui permettait au moins aux détenus de commander des livres par la poste, le centre de surveillance de l'Immigration de Kingston déduit le prix des livres reçus du montant total de 1 500 $ en biens que les détenus peuvent recevoir. Selon des informations publiées, les autorités ont retenu de nombreux livres et articles adressés aux détenus, soutenant qu'il fallait les examiner pour déterminer s'il y avait menace pour la sécurité.
Je rappelle au comité qu'il existe des normes internationales établissant qu'il est important de fournir un accès à des ouvrages didactiques ou culturels de sources publiques, en nombre raisonnable, sous réserve seulement des conditions raisonnables et absolument essentielles à la protection de la sécurité.
Je crains qu'il y ait discrimination. En avril 2006, le Comité des droits de l'homme des Nations Unies, dans son examen de la mise en application par le Canada du Pacte international relatif aux droits civils et politiques, a exprimé certaines inquiétudes au sujet de la délivrance de certificats de sécurité en vertu de la Loi sur l'immigration et la protection des réfugiés et, en particulier, de la détention obligatoire de ressortissants étrangers qui ne sont pas des résidents permanents.
Dans son rapport, le Comité des droits de l'homme s'interroge sur la détention automatique de tout résident non permanent en vertu du processus de délivrance de certificats de sécurité et sur le fait que la Cour fédérale semble hésiter à accorder la libération sous caution, même lorsque des garanties considérables sont fournies. Cela soulève de sérieuses craintes de discrimination. C'est ce qu'a soutenu Amnistie internationale dans son intervention devant la Cour suprême.
Le Comité des droits de l'homme a déjà affirmé que des étrangers ne peuvent pas être détenus pour la seule raison qu'ils ne sont pas des résidents. Ils ne doivent pas faire l'objet d'un traitement distinct uniquement en raison de leur qualité d'immigrant ou de leur nationalité. Agir de la sorte correspondrait manifestement au non-respect par le Canada de ses obligations en vertu du Pacte international relatif aux droits civils et politiques. Il ne doit pas y avoir de discrimination dans les décisions visant la détention d'une personne ou le fait de la priver de ses droits civils.
Enfin, je veux traiter de la question de la durée de la détention. L'une des règles fondamentale de la détention est qu'elle ne doit pas être indéfinie. La détention pour une période indéfinie est non seulement injuste et arbitraire, dans la mesure où elle n'est pas la conséquence d'une décision claire définissant une période de détention appropriée, elle est aussi inquiétante en raison de son effet grave sur la santé mentale des personnes détenues. Le fait pour une personne détenue de ne pas savoir quand ni si elle sera libérée est angoissant et devient, avec le temps, débilitant au point de constituer une torture ou un mauvais traitement. Amnistie internationale, les experts en droits de l'homme des Nations Unies, la Croix-Rouge et d'autres organismes ont recueilli des preuves de telles conditions dans des prisons partout dans le monde. C'est la raison pour laquelle la détention pour une période indéfinie est précisément interdite en droit international.
Les hommes privés de leur liberté en vertu de certificats de sécurité sont souvent détenus durant de nombreuses années. C'est sur ce point que se chevauchent les inquiétudes relatives aux droits de la personne. Le droit international est formel: aucune personne ne peut être renvoyée là où elle peut subir la torture. En dépit de cela, le Canada continue de soutenir qu'il est licite de renvoyer des personnes dans des milieux où elles sont exposées à la torture. Cette position a été fréquemment et sévèrement critiquée, notamment l'an dernier par le Comité des droits de l'homme et le Comité contre la torture des Nations Unies.
La position du Canada représente un pas en arrière dans la lutte cruciale pour l'élimination de la torture dans le monde. Elle inquiète de plus en plus les Canadiens, à mon avis, notamment depuis l'affaire Maher Arar.
Le mois dernier, la Cour fédérale a rendu une décision très importante dans l'affaire Mahmoud Jaballah, lorsqu'elle a affirmé et reconnu l'importance de la prohibition totale de la torture et a conclu que M. Jaballah ne pouvait être déporté en Égypte en raison du grand danger qu'il y soit torturé s'il y retourne.
C'est ce qui met clairement en relief la dimension des droits de la personne: la déportation est interdite lorsqu'il y a danger de torture. Qu'advient-il alors? La détention sans accusation ni procès ne doit tout simplement pas être la solution.
Le moment est venu pour le Canada de reconnaître qu'il faut agir, que les mesures liées à l'immigration ne sont d'ordinaire pas la solution dans ces circonstances. Il y a souvent danger de torture dans des affaires de cette nature, mais la déportation ne sert pas la justice. S'il se présentait au Canada un cas où il y avait tout lieu de croire à une participation au terrorisme, nous…
Je suis membre de la Coalition Justice pour Adil Charkaoui. Ce groupe s’est formé quelques jours après l’arrestation de M. Charkaoui à Montréal, en mai 2003. Depuis lors, nous avons déployé des efforts considérables pour nous tenir au courant de la situation et de la procédure dont il fait l’objet. Nous avons entrepris de nombreuses activités dans le but de porter à l’attention du public l’injustice que lui et sa famille ont subie.
La plupart des membres de la collectivité à qui nous avons parlé — essentiellement des membres de la collectivité de Montréal et d’autres centres où nous avons pris la parole et effectué une partie de ce travail de sensibilisation publique — se sont montrés très ouverts à la cause qui nous préoccupe. Force est de constater que de nombreux citoyens ne savent pas ce qui se passe, mais dès qu’ils apprennent ce qui arrive à M. Charkaoui et aux autres, ils sont très solidaires. Nous avons joui d’un appui considérable de la collectivité et je dirais que la création de notre groupe et du réseau qui l’entoure constitue la réponse de celle-ci au processus des certificats de sécurité.
Selon nous, l’égalité est le point essentiel qui doit être examiné. Le processus des certificats de sécurité n’est utilisé que pour des personnes sans statut juridique ni citoyenneté à part entière au Canada, à savoir les résidents permanents, les réfugiés et les personnes qui demandent le statut de réfugié. Il s’agit d’une situation de discrimination où des particuliers, en raison de leur statut juridique, font l’objet de violations de leurs droits fondamentaux à la vie, à la liberté et à la sécurité.
Nous attendons toujours une réponse satisfaisante qui pourrait expliquer pourquoi et comment cette discrimination est justifiée — nous ne pensons pas qu’elle puisse l’être — et nous croyons qu’il s’agit là du point essentiel qui doit être réglé dans toute solution proposée pour résoudre ce problème. Les solutions et les réformes qui ne garantissent pas aux non-citoyens un traitement égal en matière de droits fondamentaux de la personne ne vont simplement pas au cœur de la question.
J’espère que vous êtes au courant que certaines des méthodes du processus d’examen du certificat de sécurité ne respectent pas les normes internationales requises pour la tenue d’un procès équitable. J’ai préparé un mémoire et quelques renseignements généraux que j’aimerais mettre à la disposition des membres du comité plus tard. Ce mémoire résume brièvement six des principaux éléments qui expliquent pourquoi les certificats de sécurité contreviennent aux normes pour la tenue d’un procès équitable. Je vais en souligner trois très rapidement.
La norme de preuve qui est utilisée dans le processus de délivrance des certificats de sécurité s’appuie sur des « motifs raisonnables de croire », ce qui est beaucoup moins précis que « hors de tout doute raisonnable ». Cette norme manque assurément de rigueur par rapport à ce qui est en jeu pour le particulier.
Je voudrais aussi attirer votre attention sur le fait que l’information est notablement cachée au détenu et à son avocat. Le secret de la preuve ne donne pas la possibilité aux gens de répondre efficacement à des allégations précises pour se défendre et faire éclater leur innocence.
Comme vous le savez, si le juge confirme la légalité du certificat, sa décision est sans appel. Il est alors impossible de corriger les erreurs judiciaires par un processus d’appel.
L’incapacité de la loi à fournir des clauses de sauvegarde adéquates laisse trop de place à l’erreur et aux abus de la part des services de renseignements canadiens. Rien ne nous porte à croire que, dans l’exercice du pouvoir dont elles jouissent dans les affaires de certificats de sécurité, ces agences se sont acquittées de leur tâche de façon plus responsable que dans les affaires concernant Maher Arar, Abdullah Almalki, Ahmad El Maati et Muayye Nureddin. Il n’y a pas de raison de penser que le pouvoir discrétionnaire qui leur est accordé en vertu de ce processus déficient est exercé de façon plus responsable dans les causes de certificats de sécurité que dans les causes qui ont été soumises à une certaine forme d’examen public.
Tolérer les abus et les erreurs des agences de renseignements dans le cadre de ce processus de certificats de sécurité ne sert les intérêts de personne, au contraire.
Sans procès équitable, l’emprisonnement et la détention dont nous parlons aujourd’hui sont arbitraires. Nous pouvons dire la même chose des conditions dans lesquelles M. Charkaoui et M. Harkat ont été libérés. Si le procès n’est pas équitable, la décision de les priver de leur liberté est alors arbitraire. M. Charkaoui a été libéré en février 2005 dans des conditions qu’Amnistie internationale a décrites comme étant parmi les plus restrictives jamais imposées au Canada — et c’est encore pire dans le cas de M. Harkat.
Je pense que le comité aura l’occasion de rencontrer M. Charkaoui le 23 novembre à Montréal. Celui-ci sera en mesure de décrire plus en détail comment ces conditions les ont empêchés, lui et sa famille, d’exercer leur droit de travailler, de profiter de leur temps libre et de pratiquer librement leur religion.
La détention en vertu d’un certificat de sécurité est arbitraire et de durée indéterminée. Elle se fait sous la menace d’être envoyé vers un endroit où les gens risquent la torture ou la mort. Dans le cas de M. Charkaoui, on a déterminé en août 2003 que s’il était expulsé, sa vie serait menacée et il serait exposé à la torture ainsi qu’à des châtiments cruels et hors du commun. Je peux vous assurer que cette situation constitue pour lui et sa famille un supplice quotidien.
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Bonjour, monsieur le président, membres du Comité de la citoyenneté et de l'immigration.
Notre comité accueille favorablement la décision de votre comité, à savoir celle d'examiner le certificat de sécurité et les conditions de détention. L'objectif du Comité Justice pour Mohamed Harkat est d'obtenir justice pour Mohamed Harkat, réfugié au sens de la convention et emprisonné en vertu d'un certificat de sécurité pendant plus de 41 mois au Centre de détention d'Ottawa-Carleton, reconnu comme ayant les pires conditions de tout l'Ontario, puis à Millhaven. Depuis juin 2006, il est en résidence surveillée à Ottawa.
Depuis décembre 2002, le Comité Justice pour Mohamed Harkat exige que le gouvernement du Canada abolisse le certificat de sécurité, un instrument antidémocratique contraire aux droits humains fondamentaux qui ne fait rien pour assurer la sécurité des Canadiennes et Canadiens, pour la simple raison qu'il ne protège pas les droits. Or, sans protection des droits, il ne peut y avoir de sécurité.
Je ne m'étendrai pas sur le processus du certificat de sécurité, qui a été expliqué longuement par mes collègues, mais je tiens à souligner, au nom de la sécurité nationale, que le certificat de sécurité viole tous les principes de justice. Il est contraire aux droits limités contenus dans la Charte canadienne des droits et libertés, à la Déclaration universelle des droits de l'homme des Nations Unies, à la Convention relative au statut des réfugiés des Nations Unies, au Pacte international relatif aux droits civils et politiques et à la Convention contre la torture des Nations Unies.
En ce qui concerne les conditions de détention, nous considérons que celles des personnes faisant l'objet d'un certificat de sécurité sont liées à ce qui est au centre du certificat de sécurité: l'impunité, l'arbitraire et la violation des droits. Tout ce qui fait l'horreur du certificat de sécurité est présent dans les conditions de détention. Mohamed Harkat a été arrêté en vertu d'un certificat de sécurité le 10 décembre 2002. Ironiquement, c'était la Journée internationale des droits de la personne. Parce qu'il était réfugié au sens de la convention, il a été immédiatement détenu, sans possibilité de libération, si ce n'est 120 jours après que la raisonnabilité du certificat ait été décidée par la Cour fédérale. En outre, cette libération était laissée à la discrétion de la cour.
De décembre 2002 à avril 2006, Mohamed Harkat a été détenu au Centre de détention d'Ottawa-Carleton dans des conditions où prévalaient la cruauté et la vengeance. Rien ne pouvait expliquer ce genre de traitement, pas même l'hystérie de la guerre contre le terrorisme. La première année s'est passée en isolement; les quatre premiers mois dans un isolement complet, sans le moindre livre, journal ou appareil radio. C'est les menottes aux mains et des chaînes aux pieds qu'il sortait pour une vingtaine de minutes de sa cellule deux fois par mois. On le menait alors dans la cour d'exercice du centre de détention, où il gardait ses chaînes. Au cours des premières semaines, c'est aussi enchaîné qu'il était conduit aux visites hebdomadaires qu'il recevait deux fois par semaine de sa femme, Sophie Harkat, et de sa famille.
D'avril à juin 2006, Mohamed Harkat a été détenu au Centre de surveillance de l'Immigration de Kingston. Vous connaissez les conditions de détention qui prévalent à ce centre. Elles ont été décrites. À la fin du mois de juin 2006, Mohamed Harkat a été transféré en résidence surveillée à Ottawa, soit au domicile de Sophie Harkat et de sa mère. On parle ici de quelqu'un qui n'a jamais été reconnu coupable du moindre crime, ni même accusé, et qui pourtant, est soumis à 23 conditions, les plus strictes au Canada. Avec Mohamed Harkat, c'est maintenant toute sa famille, en particulier Sophie Harkat et sa mère, Mme Brunette, qui sont en résidence surveillée.
Dans la situation actuelle, Mohamed Harkat doit entre autres respecter les conditions suivantes: porter en permanence un bracelet-émetteur; ne jamais être seul dans la résidence ou à l'extérieur de celle-ci, c'est-à-dire qu'il doit toujours être en présence de Sophie Harkat ou de Mme Brunette; respecter un couvre-feu de 8 heures à 21 heures, y compris pour sortir dans la cour de la résidence, où il doit être accompagné par son épouse ou la mère de son épouse; ne pas quitter la résidence plus de trois fois par semaine et pas plus de quatre heures à la fois, soit 12 heures par semaine; ses sorties doivent être approuvées à l'avance par l'Agence des services frontaliers; dans la demande d'autorisation de sortie, Mohamed Harkat doit préciser l'objet de la sortie, le lieu, y compris les magasins où il entend se rendre, et dire qui il entend rencontrer.
Ce processus est répété à chaque sortie. Il ne peut recevoir que des visiteurs ayant été approuvés par l'Agence des services frontaliers. Ses amis peuvent le visiter. L'extension de cette autorisation s'étend à la nièce de Sophie Harkat, qui est âgée de 7 ans. Il a fallu une demande spéciale et probablement une intervention de la cour pour que la nièce de Sophie puisse passer la nuit à la maison.
Toutes les communications verbales et écrites sont surveillées et interceptées. Aucun appareil sans fil, ordinateur ou téléphone cellulaire n'est autorisé dans la résidence. D'autres conditions concernant la restriction géographique le limitent également. Les conditions relatives à l'autorisation de sortie sont une des raisons pour lesquelles Mohamed Harkat ne comparaît pas devant ce comité aujourd'hui. Pour qu'il vienne témoigner, il aurait fallu que chacun d'entre vous soit autorisé, par l'Agence des services frontaliers, à lui parler.
La résidence surveillée est un système qui ne remplacera jamais la justice. En mars 2005, le ministre de la Justice du Canada a évoqué publiquement la possibilité d'adopter au Canada un nouveau système de certificat qui permettrait la libération des détenus en remplaçant l'emprisonnement par une panoplie de mesures humiliantes, incluant les perquisitions à domicile, l'interdiction ou la limitation d'accès aux moyens de communication, le port d'un bracelet émetteur et la restriction des déplacements.
Le danger est qu'un tel système soit codifié et présenté. Ce nouveau système de certificat de sécurité permettrait au gouvernement de se dépêtrer du fiasco judiciaire qu'il a créé en appliquant les mesures suivantes: premièrement, la détention indéfinie ne reposant sur aucune accusation ou sur des allégations de liens terroristes non fondées de réfugiés ou de résidents permanents et, deuxièmement, le refus d'accorder un procès juste à ces personnes.
Un nouveau système de certificat ne peut pas remplacer un procès juste et équitable. Ce nouveau système projeté serait toujours appliqué sans procès, qu'il s'agisse de non-citoyens canadiens réfugiés et immigrants ou de tout citoyen accusé en vertu de la Loi antiterroriste. En adoptant un nouveau système de certificat, le gouvernement continuerait de nier des principes en matière de droits de la personne.
Dans le cas de Mohamed Harkat, la résidence surveillée se traduit par l'extension de sa détention aux membres de sa famille. Il est dans l'impossibilité de travailler, et c'est le cas également de Sophie Harkat. À cela s'ajoute l'insécurité face à l'avenir, la menace d'expulsion vers la torture, la mort ou la disparition. C'est à ces pressions que sont soumises toutes les personnes faisant l'objet d'un certificat de sécurité, que ce soit en détention à Millhaven ou en résidence surveillée.
Pour ma part, je suis particulièrement opposé à ce que le port d'un bracelet soit systématisé, que ce soit dans le cas des personnes faisant l'objet d'un certificat de sécurité ou de toute autre personne. Je me souviendrai toujours du moment où, lors d'une conférence de presse à l'édifice du Centre en 2005, Mme Charkaoui a exprimé l'humiliation qu'elle avait ressentie au retour de son fils. Elle a dit que le bracelet qu'il portait ressemblait fort à celui que portent les esclaves dans son pays et qui indique le nom du propriétaire de ces personnes. Nous ressentons cette même humiliation dans le cas de Mohamed Harkat, de même que pour quiconque est obligé de porter un tel bracelet.
Enfin, il faut savoir que Kingston et la résidence surveillée sont présentés comme un progrès. Or, ce n'en est certainement pas un. Il ne s'agit pas de relever un défi, comme le dit l'Agence des services frontaliers. Ces personnes sont privées de droits. À l'heure actuelle, elles luttent pour leurs droits. Nous considérons que ce combat englobe les droits de tous.
Merci.
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Bonjour à tous. Je suis heureuse d’être parmi vous aujourd’hui.
Je ne suis pas une activiste. Je ne suis pas membre d’une organisation. Je suis simplement une mère et une épouse aimantes. Je suis la femme de Mohamed Mahjoub, que j’ai rencontré en 1997. Nous nous sommes mariés et nous avons maintenant deux enfants adorables, Ibraim et Yusuf. Nous avons vécu quatre ans ensemble avant que Mohamed soit ramassé dans la rue, alors qu’il se rendait au travail. Il n’avait aucune idée pourquoi on l’emmenait au West Detention Centre. Depuis lors, nous n’avons pas cessé d’essayer de découvrir les raisons pour lesquelles mon mari a été emmené.
Depuis presque sept ans maintenant, on refuse à mon mari de vivre avec ses charmants enfants, deux petits qui grandissent sans la présence d’un père. Nos fils se demandent ce qu’il a fait pour mériter d’être au West Detention Centre. Tous les jours, ils entendent de nouvelles histoires sur l’oppression et les mauvais traitements que subit leur père dans ce centre et, dernièrement, au Centre de surveillance de l’Immigration de Kingston. Ils se posent toutes sortes de questions et cherchent comment ils pourraient l’aider. Ils ont tellement d’idées sur la façon dont ils pourraient s’y prendre. Jusqu’à maintenant, leurs questions sur les raisons de l’absence de leur père et du traitement qu’il subit sont restées sans réponse.
Au West Detention Centre, mon mari a développé une hépatite C chronique. Il s’était blessé au genou et avait besoin d’une opération d’urgence. Il a perdu la vue et sa capacité de lire. Il a développé une hypertension artérielle et des problèmes cardiaques. On lui a refusé tout traitement médical, seulement parce qu’il est détenu en vertu d’un certificat de sécurité. Mon mari souffre de problèmes médicaux sérieux qui n’ont pas été traités jusqu’à présent.
Pendant plus de cinq ans, nous avons demandé une opération pour son genou, mais on nous a répondu qu’on ne pouvait pas l’aider parce qu’il est visé par un certificat de sécurité. Jusqu’à maintenant, il n’a pas été traité pour son hépatite C pour la même raison. Il lui aura fallu 80 jours de grève de la faim — et ce n’était pas une seule fois, c’était une série de grèves de la faim — seulement pour essayer de faire entendre qu’il avait besoin de traitement médical. Il a fini par obtenir des lunettes et par voir un spécialiste pour son hépatite C, mais il a dû déployer des efforts considérables et se donner beaucoup de mal, ce qui a mis sa vie encore plus en péril.
Et il n’est pas le seul à éprouver des difficultés; nous aussi en éprouvons.
Quand il a été transféré au Centre de surveillance de l’Immigration de Kingston, il a pu voir un spécialiste. On lui a accordé un traitement médical, mais chaque fois, un obstacle se dressait et l’empêchait de recevoir son traitement.
Il y a un gardien au Centre de surveillance de l’Immigration de Kingston qui a accusé Mohamed de l’avoir menacé. J’ai le rapport si quelqu’un veut le voir. C’est complètement faux, mais ça constitue néanmoins un écueil. Mohamed a peur pour sa vie à cause de cette accusation et il a peur des répercussions que celle-ci aura sur sa cause au tribunal, car il s’agit d’une allégation sérieuse. Il ne veut pas quitter l’unité où il vit pour se rendre dans l’autre bâtiment sans l’accompagnement d’un surveillant, seulement pour s’assurer qu’il est en sécurité.
La réponse a été non. On lui a refusé l’accompagnement d’un surveillant de l’endroit où il vit à l’autre bâtiment où il aurait reçu son traitement. Avant cette allégation, les médecins et les infirmières se rendaient là où il vit pour le voir, mais après, on lui a refusé ces visites, ainsi que l’accompagnement d’un surveillant, ce qui lui aurait permis de se rendre dans l’autre bâtiment pour recevoir son traitement. Il trouve que cette situation constitue une violation complète de ses droits de détenu.
Dans le West Detention Centre, il a souvent été importuné et maltraité physiquement, émotionnellement et mentalement par tous les gardiens. Et il n’était pas le seul, j’en ai aussi été victime à l’occasion, simplement pour avoir voulu exercer mon droit de visite. Une fois, mes enfants n’ont pu visiter leur père, seulement parce qu’ils s’étaient manifestés pour demander que leur père soit relâché. Le gardien m’a dit que nous ne pouvions le voir. Quand je lui ai demandé pourquoi, il m’a répondu que c’était parce que nous avions manifesté en cet endroit. Je lui ai dit que mes enfants avaient fait tout ce chemin pour visiter leur père, qu’ils avaient manqué l’école et qu’ils étaient impatients de le voir. Le gardien m’a dit qu’ils ne pouvaient pas rentrer, alors ils n’ont pas pu voir leur père. Les enfants étaient très déçus.
Nous pensions que le transfert du West Detention Centre au Centre de surveillance de l’Immigration de Kingston visait à améliorer leur situation et leurs conditions de détention. Nous avions l’habitude de les visiter hebdomadairement, quarante minutes par semaine, toutes les semaines, sauf quand les gardiens nous causaient des problèmes et nous empêchaient de rentrer, mais nous les voyions souvent. Nous avions l’habitude de voir mon mari fréquemment, mais son transfert vers Kingston nous a séparés complètement de lui. Ça ne nous rapprochait pas.
Nous croyions comprendre quand il est parti pour Kingston qu’il aurait droit à l’éducation, ce qui nous a semblé complètement erroné, parce qu’on lui refuse ce droit. Nous pensions que nous pourrions bénéficier de visites intimistes, comme pour les autres détenus, qui sont des criminels. Mon mari n’est pas un criminel. Les autres ont droit à des visites intimistes trois jours par mois ou toutes les deux semaines. Mon mari n’y a pas droit.
Nous étions dans un tout petit espace. Je suis sûre que certains d’entre vous ont jeté un coup d’œil à l’endroit où quatre familles de détenus sont supposées s’entasser si elles s’y rendent en même temps. C’est un espace très, très restreint; encore plus petit qu’ici. Les chaises sont fixées à la table, tout près de celle-ci. Le père ne peut même pas prendre son enfant sur ses genoux, ce qu’il aimerait beaucoup faire, mais il ne le peut pas.
Si nous y allons avec la famille de M. Jaballah, qui compte de nombreux membres, tout le monde se heurte. Il y a alors trop de monde et trop de bruit. Personne ne peut avoir la paix avec sa propre famille.
Je ne conduis pas sur l’autoroute et il n’y a pas de transport en commun. Je me démène, seulement pour visiter mon mari. J’attends que quelqu’un soit disposé à m’emmener et, quand j’arrive à l’endroit convenu, des fois je dois attendre à l’extérieur une demi-heure ou plus, tout simplement parce que le conducteur n’est pas prêt.
Quand nous entrons, nous n’avons pas droit à une bouteille ou à un verre d’eau. Ils ne nous donnent pas d’eau. Nous allons aux toilettes pour boire. Une fois, je n’avais pas envie d’y aller, alors j’ai demandé à un des gardiens — celui qui a fait cette allégation — si je pouvais avoir un verre d’eau parce que je ne me sentais pas bien. Il m’a dit qu’il y avait les toilettes. Je lui ai répondu que j’étais désolée, mais que je ne buvais pas dans les toilettes. Il m’a dit qu’il y avait la machine distributrice. Je lui ai dit qu’il ne la remplissait pas d’eau. Il m’a répondu que je pouvais boire une boisson gazeuse. Je lui ai dit que je ne pouvais pas boire de boisson gazeuse, que j’étais désolée, mais que je ne le pouvais pas. Il a dit que si je me sentais mal… Il s’est fâché, son visage était rouge. Il s’est levé en disant qu’il allait mettre fin à ma visite. Il me punissait parce que j’avais demandé un verre d’eau. Il ne m’a même pas donné la chance de répondre. J’ai dit à l’autre gardien que je ne pouvais pas partir, car le conducteur qui devait passer me prendre n’était pas arrivé et que le quartier était dangereux. Je ne peux pas être punie pour avoir demandé un verre d’eau.
Depuis cette allégation, mon mari n’est pas sorti de l’endroit où il vit. Ça fait plus de deux mois maintenant et il n’est jamais sorti pour obtenir des soins. Il demande à voir un médecin, qu’il ne peut pas voir, car il a besoin d’un surveillant. Depuis la fin août, nous ne l’avons pas visité parce qu’ils ne lui fournissent pas de surveillant. Je ne sais pas ce qui va lui arriver.
Je crois que quiconque a fait quelque chose a droit à un procès ouvert et équitable. Saddam Hussein a eu un procès équitable; il a entendu les charges qui pesaient contre lui. Qu’est-ce que ces personnes ont fait pour mériter ce traitement? Elles doivent être avec leur famille.
Dans le cas qui nous occupe, l’expression « certificat de sécurité » est tout à fait inappropriée, particulièrement dans un contexte historique. Il n’y a qu’à considérer toutes les violations commises au Canada en vertu des certificats de sécurité. On se fonde sur des renseignements non vérifiés provenant de la GRC, du SCRS et d’espions internationaux, et les résultats parlent d’eux-mêmes, notamment dans l’affaire Arar. Il y avait non seulement des doutes initiaux lorsque M. Arar a été envoyé en Syrie, mais aussi quand les responsables des services de sécurité ont obtenu de l’information permettant de le disculper, ils ont choisi d’en effacer toute trace.
Si on regarde du côté des États-Unis, on y trouve toutes sortes d’exemples de mesures prises au nom de la sécurité. Je suis complètement d’accord lorsque vous dites qu’il est impossible de dissocier la sécurité des droits de la personne, car ce sont les gouvernements qui, en invoquant l’argument de la sécurité, ont essentiellement le moins de respect pour la sécurité humaine. Thomas Jefferson avait tout à fait raison de dire que ceux qui sacrifient leur liberté au nom de la sécurité ne méritent ni l’une, ni l’autre. L’histoire et l’évolution des pays nous apprennent que ce sont les États qui dirigent par la terreur qui ont le moins d’égard pour la sécurité, et c’est bien là le malheur. L’intégrité juridique ne doit pas être compromise, car une fois qu’elle l’est, tout le système finit par en souffrir, et si des preuves non vérifiées sont présentées à la cour, ce qui se produit à l’heure actuelle en vertu des certificats de sécurité, cela pose un problème assez sérieux.
Madame El-Fouli, vous avez raison: Saddam Hussein a eu droit à un procès beaucoup plus équitable que celui de votre époux, et nous devons faire de réels efforts pour changer cet état de choses. Madame Foster, je veux vous mettre en garde contre votre affirmation selon laquelle de telles choses n’arrivent pas aux citoyens; cela ne leur arrive pas parce que le Comité de la citoyenneté a refusé d’adopter une loi qui aurait intégré les certificats de sécurité au processus. Je crois qu’il importe que cette information soit communiquée aux Canadiens dans toute la mesure du possible — le concept global voulant que ma sécurité personnelle soit liée à la protection de mes droits individuels, et que si on porte atteinte à ces droits, le tort causé est tellement grand que c’en est tout à fait renversant.
Madame El-Fouli, je ne peux pas vraiment vous répondre au sujet de la situation de votre mari, sauf pour vous dire qu’il y a un député qui se soucie du respect des droits de la personne. J’éprouve un véritable sentiment de honte lorsque je me rends aux cellules de détention provisoire et que j’y vois des gens qui n’ont pas été condamnés, qui n’ont pas été accusés, qui n’ont pas été jugés coupables de quoi que ce soit. Ils sont détenus simplement parce que des soupçons pèsent sur eux, et l’État n’a pas de preuves contre eux. Si de telles preuves existaient, un procès aurait été intenté. En tant que pays démocratique, nous nous devons de lutter pour préserver ces valeurs.
J’aimerais poser une question au groupe d’experts. Quel genre d’action éducative avez-vous menée pour expliquer de quelle façon tout ce processus des certificats de sécurité en est maintenant venu à faire partie intégrante de la LIPR? J’ai voté contre, et j’appuierai sans aucun doute la motion de M. Siksay si jamais elle est proposée et fait l’objet d’un débat. C’est pour vous montrer comment la politique gradualiste a compromis notre liberté au prix de la sécurité.
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Je vous remercie d’être ici aujourd’hui.
Comme bon nombre des questions sur ma liste ont déjà été posées, je vais en demander d’autres. J’aimerais vous remercier tous d’être venus ici aujourd’hui.
Je crois pouvoir affirmer, au nom de tous ceux qui ont visité le centre de détention de Kingston la semaine dernière, que cette visite a eu une forte incidence sur nous tous à de nombreux égards.
Je ne suis pas avocat, mais tandis que j’écoute cette discussion au sujet de la conciliation d’intérêts qui se chevauchent ou qui pourraient s’opposer dans l’optique des droits humains par rapport à la sécurité nationale, je me demande quel est le seuil qu’il faut franchir pour qu’un verdict donné soit rendu dans le cadre d’une procédure quelconque. Dans le processus pénal, ce seuil est très élevé, la preuve devant être établie hors de tout doute raisonnable. Je ne suis pas spécialiste du droit, mais je sais que mention est faite de ce qu’on appelle la prépondérance des probabilités, et j’ai cru comprendre que lors du procès très médiatisé de O.J. Simpson, les procureurs n’ont pas réussi à prouver la culpabilité de l’accusé hors de tout doute raisonnable devant un tribunal pénal, mais ont satisfait au principe de la prépondérance des probabilités en cour civile. C’est ainsi qu’il n’a pas été trouvé coupable devant un tribunal pénal, mais a été poursuivi au civil pour des millions de dollars.
Aujourd’hui, il a été question de « motifs raisonnables de croire », et je me disais que si l’équilibre des probabilités signifie qu’il y a plus qu’une chance sur deux que cela soit vrai, je ne sais pas si les motifs raisonnables de croire sont de l’ordre de 50 p.100 ou peut-être même moins que cette proportion — peut-être 20 p.100 ou 30 p.100. C’est ainsi que je vois les choses, de sorte que lorsqu’une personne descend d’un avion au Canada et qu’il y a des motifs raisonnables de croire que cette personne pourrait constituer une menace pour la sécurité du Canada, l’idée que cette personne puisse être détenue me semble raisonnable. Mais il s’agit ici de déterminer la durée de la détention et le processus à mettre en place, le cas échéant. Il me paraît aussi raisonnable d’avancer que la période de détention ne doit pas être indéterminée.
Si le Canada établissait un cadre suivant lequel une fois qu’une personne est détenue et jusqu’à ce que le processus pénal soit mis en branle... je ne suis pas favorable à l’idée de soumettre l’affaire au système pénal courant, où la preuve doit être établie hors de tout doute raisonnable, car il pourrait facilement y avoir des cas où vous êtes certain à 90 p.100 qu’il y a un problème, mais comme vous ne l’êtes pas hors de tout doute raisonnable, la personne serait relâchée et libre de partir.
Juste d’un point de vue pratique, j’aimerais savoir si c’est le test qui est appliqué dans d’autres pays lorsqu’une personne est détenue, s’il y a une procédure selon laquelle les éléments de preuve sont fournis — qu’il s’agisse ou non d’un procès se déroulant à huis clos ou en présence d’un conseiller spécial — et si le seuil est plus bas? En théorie, serait-il possible de mettre en place un système semblable au Canada? Il y aurait un processus d’audience, et que la norme soit la prépondérance des probabilités ou l’établissement de la preuve hors de tout doute raisonnable, ou quelque autre nouvelle formule... Je suis d’avis qu’en fin de compte, si les choses ne sont pas encore tout à fait claires — et je soupçonne qu’en général, elles ne le sont pas — la sécurité nationale du Canada, à un certain niveau, devrait l’emporter sur les droits du non-citoyen.