Le Centre a ouvert ses portes en 1997 avec 1,5 employé. En 2017, nous avions cinq employés et nous avons effectué plus de 2 000 interventions, dont plus de 700 auprès de victimes de violence familiale. De ce nombre, 78 étaient des femmes et leurs 32 enfants, qui sont restés dans la relation violente, parce que notre organisme n'a actuellement aucun lit d'urgence, zéro.
Il y a presque six ans, en 2012, nous avons commencé à réfléchir à la porte tournante que créait notre modèle de prestation de services. Les femmes victimes de violence s'adressaient à nous pour obtenir des services de proximité, mais nous n'avions pas de lits pour les accueillir. Dans nos collectivités rurales, il y a plus de 29 usines de transformation du poisson, qui emploient la vaste majorité de nos victimes. À l'époque, les femmes violentées dans nos collectivités devaient se rendre dans le refuge urbain le plus proche, et du coup, elles perdaient immédiatement leur emploi. Bien des victimes restaient donc dans la relation toxique ou y retournaient à répétition, parce que le cycle était trop difficile à briser.
J'ai commencé par réclamer un changement localement, mais on me répétait constamment que les refuges, au Nouveau-Brunswick, n'avaient reçu aucune augmentation depuis plus de 10 ans et qu'il n'y avait pas d'argent frais pour cela. Une fonctionnaire m'a dit que le jour où je recevrais un sou de son gouvernement, elle aurait droit à un abonnement au gym gratuit. Devant ce genre de résistance, le projet était constamment reporté, et je continuais d'observer les conséquences désastreuses de l'absence d'hébergement pour les victimes.
Il y a déjà 33 femmes, au Nouveau-Brunswick, qui sont nos « témoins silencieuses », c'est-à-dire qui ont été assassinées par leurs conjoints. Je ne pouvais pas rester là sans rien faire et en voir d'autres s'ajouter à la liste.
Nous venons maintenant tout juste de terminer une campagne de financement intitulée « Courage », qui nous a permis d'amasser 4,2 millions de dollars de capitaux, dont 1,5 million directement des gouvernements provincial et fédéral. Le moins qu'on puisse dire, c'est que cela n'a pas été facile. Je n'ai jamais été plus consciente du fait d'être une femme dans le monde du travail que pendant que je me démenais pour ce projet. On m'a affublée de toutes sortes de qualificatifs comme, insistante, agaçante, têtue, et je ne crois vraiment pas qu'on m'aurait traitée de la sorte si je m'appelais Pierre, Jean ou Jacques. Il semble que celles qui travaillent dans ce domaine sont aussi la cible de discrimination fondée sur le sexe. Une chroniqueuse du nom de Lois Wyse a dit, à un moment donné: « On apprend aux hommes à s'excuser de leurs faiblesses et aux femmes, à s'excuser de leurs forces. »
Notre nouvel établissement comprendra une aile d'urgence, où nous offrirons, entre autres choses, six lits divisés en deux appartements de trois chambres, dans le cadre d'un projet pilote provincial. Nous prévoyons également faire passer notre nombre d'unités d'hébergement de deuxième ligne de deux à sept. Nous avons planté notre premier clou le 8 octobre, nous sommes en plein travaux, et il nous reste 600 000 $ à trouver. C'est le travail le plus valorisant, bien que le plus difficile, que nous n'ayons jamais entrepris en tant qu'organisation communautaire locale.
La question que les organisations de femmes se posent souvent, c'est pourquoi ce doit être si terriblement difficile. Les femmes se battent depuis les années 1970 pour obtenir des services pour les victimes de violence familiale, et il est décourageant de constater que les choses n'ont pas changé. Il y a cependant une lueur d'espoir, au Nouveau-Brunswick, puisque dans la dernière année, les refuges pour victimes de violence familiale de la province ont reçu une augmentation de 10 %, la première depuis 2010. De plus, notre gouvernement provincial a fourni une partie des capitaux nécessaires pour ce projet, en plus de nous accorder une subvention de fonctionnement pour nous aider à absorber les coûts de l'aile d'urgence.
Comme bien d'autres témoins chevronnés qui ont comparu devant le Comité, je dois souligner que les femmes, au Canada, n'ont pas toutes également accès à ce genre de service, puisque chaque refuge est indépendant des autres. Cette réalité rend presque impossible toute mesure des résultats, puisque les services offerts varient énormément d'une région à l'autre du pays.
Comme le soulignait Lise Martin, directrice générale d'Hébergement femmes Canada, les femmes des milieux ruraux sont particulièrement désavantagées, puisque les refuges établis dans les régions rurales ont du mal à lever des fonds dans des endroits où le taux de pauvreté est élevé. Par conséquent, les refuges ruraux ne peuvent souvent offrir que des services limités.
Le manque de financement, de services adéquats et de places pour répondre à la demande toujours croissante de refuges pour les femmes victimes de violence est bien réel au Nouveau-Brunswick. En raison du vieillissement de notre population, de plus en plus de femmes de plus de 55 ans cherchent ce genre de service, alors que le système de refuges conçu dans les années 1980 visait surtout à venir en aide aux jeunes générations.
Beaucoup de femmes se font claquer la porte au nez si elles souffrent de problèmes complexes de santé mentale et de dépendance, puisque les refuges n'ont pas les ressources nécessaires pour traiter ce genre de problèmes. De plus, comme il y a beaucoup de nouveaux arrivants dans la province, il peut être de plus en plus difficile pour le personnel des refuges de répondre aux divers besoins linguistiques et culturels des victimes, faute de ressources.
Je conseille aussi fortement aux membres du Comité permanent d'inviter des femmes ayant vécu l'expérience à prendre la parole. Si les fournisseurs de services de première ligne peuvent certainement vous présenter un portrait important des réalités du secteur, je vous recommanderais aussi d'écouter directement les femmes qui souhaitent se libérer vraiment de la violence.
Pour terminer, j'entretiens l'espoir qu'un jour, bientôt, tout le système des refuges sera transformé, et nous entrerons carrément en territoire inconnu, un peu comme l'Interval House, à Toronto, le premier refuge pour femmes au Canada. Nous avons pour cela besoin d'un fort engagement de notre gouvernement fédéral à investir massivement, et de manière récurrente, non seulement dans les contributions en capital, mais surtout, dans des ententes de partage des coûts avec les provinces pour appuyer les opérations de base. La violence familiale est une maladie sociale, et il faut la traiter comme telle.
Je vous remercie de votre temps.
Lethbridge se situe dans le Sud de l'Alberta. La population de la ville est d'un peu moins de 100 000 personnes. Nous sommes voisins de la plus grande réserve au Canada et affichons l'une des populations d'immigrants et de Néo-Canadiens les plus élevées.
Le YWCA Lethbridge et district offre du soutien et des services dans le Sud de l'Alberta depuis presque 70 ans. Nous nous spécialisons dans la violence familiale et sexuelle, le logement et l'itinérance, la prévention et la gestion des crises, le leadership et l'autonomisation, la défense des droits et la sensibilisation.
J'aimerais vous partager quelques chiffres: 6 490, 519 et 2 094. Ce sont les chiffres de notre refuge d'urgence pour femmes Harbour House du YWCA. Au cours du dernier exercice, 6 490 personnes se sont prévalues de nos services de sensibilisation; nous avons réussi à offrir des lits sûrs à 519 femmes et enfants dans notre refuge, et il y a encore 2 094 femmes et enfants à qui nous n'avons pas pu offrir de lits sûrs.
Les besoins sont grands dans notre région, et nous n'avons pas suffisamment de ressources pour y répondre. Nous n'avons actuellement pas de maison de transition dans la région, ce qui représente une lacune importante. Nous ne recevons de subventions du gouvernement que pour l'administration de notre refuge, et nous avons besoin de presque 50 $ par jour, par lit de dons pour pouvoir offrir nos services.
Les statistiques, bien qu'importantes, ne sont que des chiffres. Nous travaillons avec des humains. Les chiffres et les statistiques déshumanisent les personnes avec qui nous travaillons. Nous parlons ici de vies, d'êtres humains. Il ne faut pas oublier que nous travaillons avec des personnes, que nous aidons des personnes, et non des chiffres.
Imaginez-vous devoir courir pour sauver votre vie en plein milieu de la nuit, pour éviter d'être battue à mort. Pour beaucoup de personnes, le moment de la fuite est celui où elles risquent le plus de perdre la vie. Vous vous présentez à la porte d'un refuge, avec rien du tout, sauf les vêtements que vous portez. Vous devez ensuite raconter votre histoire à de parfaits étrangers, leur raconter les horreurs que vous avez vécues, tout en vous blâmant vous-même pour toute la violence que vous avez endurée. Tout cela pour vous faire dire que le refuge est plein. Que feriez-vous? Il est fort probable que vous retourniez vers votre agresseur, non pas parce que vous le souhaitez, mais parce que si vous aviez une meilleure option, vous l'auriez déjà essayée avant de vous adresser à un refuge.
Peut-être aussi qu'il y avait un lit de libre. On vous montre votre chambre. Il y a du monde dans la pièce, et on y trouve six lits. Vous devez maintenant partager votre espace avec cinq parfaites inconnues. Vous êtes en sécurité, peut-être pour la première fois de votre vie. Vous pouvez enfin prendre une minute pour respirer, mais pas plus, parce que vous n'avez que 21 jours pour vous réinventer complètement, pour surmonter le traumatisme que vous avez vécu, pour trouver un endroit où habiter, des vêtements pour le lendemain et tellement d'autres choses. Soit dit en passant, vous avez été battue, rabaissée, on vous a fait sentir que vous n'aviez aucune valeur. Vous n'avez pas d'argent, pas d'amis; vous vous sentez comme une moins que rien et vous n'avez rien. Maintenant, allez-y. Je sais que je ne serais certainement pas capable d'y arriver, et j'ai des ressources, et je n'ai pas vécu de terreur, de traumatisme et de violence extrêmes.
Vous avez sûrement déjà entendu le vieil adage: « Donnez à une personne du poisson, et elle aura de quoi manger pour la journée; montrez-lui à pêcher, et elle aura de quoi manger toute sa vie. » C'est ce que nous devons faire. Nous devons enseigner à ces êtres humains à repartir à zéro, leur laisser du temps, leur fournir du soutien et des ressources.
La première chose dont nous avons besoin, c'est d'un plus grand nombre de places en refuge, et parallèlement à cela, nous avons besoin de maisons de transition supervisées pour tous les refuges. Il faut commencer par le début et faire de l'enseignement, de la reconstruction, de l'autonomisation. La Stratégie nationale sur le logement est un excellent point de départ. Elle permet d'investir des capitaux dans la construction de logements abordables, mais si l'on se contente de construire un plus grand nombre de logements sans offrir suffisamment de soutien aux personnes en même temps, elles ne réussiront pas. Il y aura simplement plus de logements vides et endommagés.
Il faut créer des chez-soi. Il faut marcher à côté de ces personnes et leur offrir toute l'aide dont elles ont besoin pour réussir. Quand vous êtes déménagé dans votre première maison, saviez-vous quand sortir les poubelles? Saviez-vous comment remplacer un filtre de fournaise? Aviez-vous la chance de savoir comment cuisiner un repas sain? Vous restait-il plus de 30 $ à la fin du mois pour nourrir votre famille?
Beaucoup des personnes itinérantes ou à risque d'itinérance sont en mode survie. Comment peut-on s'attendre à ce qu'elles comprennent tout ce qu'il faut pour vivre dans une maison et l'entretenir si l'on ne leur offre pas les outils nécessaires? Quand une personne fuit de la violence, elle a perdu toute maîtrise de la situation, elle a perdu toute aptitude à prendre des décisions. Elle a été terrorisée, et pourtant, on s'attend à ce qu'elle réussisse à s'en sortir rapidement.
Nous avons besoin de programmes par étapes: une phase pour guérir toutes les ecchymoses; une phase pour comprendre ce qui s'est passé et faire le deuil de ce qu'on a perdu; une phase pour découvrir en quoi consiste le cycle de la violence et comment il se répercute sur vos enfants et vous; une phase pour réfléchir à la suite de sa vie.
Il faut offrir de la sécurité et du soutien en continu aux victimes. Tout comme des enfants, elles franchiront des étapes, devront grandir et se développer. On ne s'attend pas des enfants à ce qu'ils fassent des choses avant d'y être prêts sur le plan développemental. Quand une personne a vécu un traumatisme associé à de la violence, elle n'est pas prête, sur le plan développemental, à faire tout ce qu'il faut pour recommencer à zéro. On oublie qu'il faut commencer par la base. La violence n'est pas un événement en soi, c'est un processus, comme c'est un processus de se rétablir de tout ce que la violence a causé. Il faut enseigner à la personne à ramper, à se tenir debout, puis à marcher seule.
La solution est d'investir dans les personnes. Nous devons nous assurer que les refuges disposent des ressources nécessaires pour offrir un abri initial aux femmes qui en ont besoin, mais aussi leur donner les moyens de se préparer à continuer la route qui leur convient. Il ne s'agit pas de savoir combien de temps il faut, mais bien de leur fournir les outils nécessaires pour savoir qu'elles ont la capacité de le faire et qu'elles en valent la peine. Elles repartent à zéro. Cela peut sembler assez simple, mais c'est parfois ce à quoi nous avons besoin de retourner. Un enfant qui commence l'école n'entre pas en 9e ou en 12e année; il commence en première année et acquiert les compétences dont il a besoin étape par étape.
Pour ce faire, il faut du soutien, mais pour pouvoir l'offrir, il faut investir.
Investir dans le personnel. Ce faisant, nous sommes en mesure de le former efficacement, de réduire le roulement, de verser des salaires raisonnables et d'offrir aux employés du soutien pour surmonter les traumatismes qu'ils vivent par procuration. Une fois qu'ils ont entendu une histoire, ils ne peuvent pas revenir en arrière. Ils vivent cette vie avec leurs clients.
Investir dans les refuges. Il ne devrait pas s'agir de chambres avec des lits multiples. L'espace personnel et les limites sont des choses que les abuseurs enlèvent aux victimes, qui se retrouvent ensuite dans des espaces partagés. Nous devons investir dans l'espace physique des refuges. Ce ne sont pas des cellules de détention, mais bien des endroits où une personne a la possibilité de se ressaisir. Nous devons concevoir les refuges de façon stratégique.
Investir dans les personnes. Nous devons offrir du soutien aux personnes par l'intermédiaire de programmes dans lesquels on enseigne, on cherche à comprendre et on autonomise. Nous avons besoin de programmes globaux pour inculquer des compétences, qui vont des compétences psychosociales de base à la formation professionnelle.
Investir dans les logements de transition supervisés. Ces types de logements devraient être offerts partout où il y a des refuges. Ils s'inscrivent dans une étape cruciale pour les femmes qui fuient la violence. C'est là qu'elles peuvent croître et se responsabiliser. C'est là qu'elles apprennent et grandissent.
Investir dans l'organisation. Les organisations connaissent le travail. Elles investissent dans les personnes à qui elles offrent des services. Il nous faut moins filtrer les fonds à travers de multiples organismes. Ce sont les organisations qui savent comment répondre le plus efficacement possible aux besoin des personnes à qui elles viennent en aide.
Encore une fois, cela peut sembler simpliste comme vision, mais la solution est simple: c'est une question de soutien. Grâce au soutien, on aide les gens brisés à guérir. En investissant dès le départ dans les personnes, on réduit les coûts à long terme. Si on leur apprend à pêcher, elles pourront manger toute leur vie.
Merci.
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Les organismes qui viennent en aide aux femmes auront sans doute toujours besoin de se battre partout au pays pour obtenir du financement de base. Je suis convaincue de ne pas être la première à vous le dire, et je ne serai sans doute pas la dernière pendant votre étude, car somme toute, nous ne pouvons pas bien faire notre travail si nous n'avons pas ce financement. La quantité d'efforts qu'il nous a fallu, quand nous devions refuser des gens, pour obtenir une petite subvention afin de faire fonctionner notre première maison de transition dans une collectivité rurale est incroyable.
Vous l'avez sans doute entendu de la bouche d'un autre témoin, mais quand nous ne pouvons pas offrir les services complets qui sont nécessaires pour bien soutenir les femmes, nous savons que, statistiquement parlant, elles vont venir dans un refuge sept ou huit fois avant de ne plus y revenir pour de bon. Si nous avions le financement opérationnel de base dont nous avons besoin pour faire un bon travail la première fois, nous n'aurions pas ce genre de statistiques. Il faut penser au traumatisme qu'elles subissent et aux conséquences que cela a pour elles à long terme, mais aussi à ce que vivent les enfants.
Il faut d'abord et avant tout un financement de base et faire ce que vous faites aujourd'hui, soit écouter des experts qui travaillent sur le terrain et qui s'occupent des clients. On s'est fait dire année après année qu'il n'y avait pas d'argent. Un jour, une femme qui était en très grand danger est venue nous voir, mais nous n'avons pas pu lui offrir un lit, tout simplement parce que nous n'en avions pas. Elle a décidé de retourner à la maison. Elle pensait être en sécurité, mais elle ne l'était pas. Son conjoint a tiré sur elle à plusieurs reprises, et sans son enfant, elle serait morte aujourd'hui.
Nous avons construit notre centre à la suite de cette situation, en nous disant qu'il fallait faire quelque chose, que ce ne serait pas facile, mais que le statu quo était intenable.
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Je pense qu'il me reste moins de deux minutes.
Je me demande si, après la réunion, vous pourriez nous faire parvenir un document nous donnant des exemples d'un financement suffisant, afin que nous ayons un point de départ. Recommanderiez-vous au Comité, à la veille du prochain budget, que le budget 2019 soit celui où l'on cesse de tergiverser et de dire: « ce n'est pas à nous de nous en occuper, mais au gouvernement provincial », ou à quelqu'un d'autre ou à quiconque, à part nous? C'est notre responsabilité à tous, alors agissons.
Pourriez-vous nous fournir l'information, s'il vous plaît?
Mme Jennifer Lepko: Certainement.
Mme Jenny Kwan: J'aimerais aborder un autre sujet. Je pense qu'il me reste encore une minute.
Je viens du secteur à but non lucratif. Je me suis occupée d'une femme qui fuyait la violence, une femme d'origine chinoise qui ne parlait pas très bien anglais. Nous ne pouvions même pas avoir accès à quelqu'un qui parlait cette langue à Vancouver. Elle est retournée vivre avec son agresseur.
Pourriez-vous nous parler du soutien indispensable qui est nécessaire pour s'occuper des différentes communautés culturelles et des problèmes de langue.
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Oui. Nous travaillons en très étroite collaboration avec divers organismes des Premières Nations qui se trouvent à proximité de notre collectivité. Au YWCA, nous tenons compte du fait que nous ne sommes pas des spécialistes, pas un organisme des Premières Nations. Nous nous occupons des traumatismes et de la violence sexuelle et familiale, alors nous travaillons en collaboration avec les communautés des Premières Nations pour offrir de bons services.
Il faut parfois être prudent. Nous avons un projet, un programme d'enfants retrouvés, un programme de traumatologie, qui se déroule dans la réserve à Stand Off, juste à côté de nous, dans de nombreuses écoles. On a demandé à un jeune garçon de nous parler de sa culture. Il a répondu que sa culture, c'était la toxicomanie et la violence. Cela vous laisse sans voix. C'est ainsi qu'il définit sa culture. Il faut donc être prudent quand on dit à quelqu'un qui définit ainsi sa culture qu'il en a besoin.
Il faut encore une fois parler aux spécialistes, à des gens qui comprennent la culture, qui la connaissent de l'intérieur. Au lieu de tenter de leur insuffler leur culture, nous devons les mettre en contact avec des aînés dans leur communauté.
Cela dit, nous avons beaucoup de membres des Premières Nations dans notre clientèle — je dirais plus de 50 % — simplement en raison du lieu où nous sommes situés.
Il y a un refuge sur la réserve, juste à côté de nous; de nombreuses survivantes nous ont dit toutefois qu'elles n'aimaient pas s'y rendre parce que tout le monde connaît tout le monde. La responsable des services peut être leur tante, une amie. La relation est trop proche, alors elles viennent à Lethbridge pour recevoir de l'aide.
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Merci beaucoup de m'avoir invitée à prendre la parole dans le cadre de la présente séance.
Tout d'abord, j'aimerais parler un peu du contexte des Territoires du Nord-Ouest. Nous sommes isolés, et les femmes décrivent cet éloignement comme étant une situation qui ne leur offre nulle part où se cacher et nulle part où aller. Elles sont isolées. Ils n'ont pas de téléphone. Le transport est limité et c'est un endroit où la vie coûte cher.
La notion d'éloignement vous fait penser à des endroits retirés avec une population clairsemée, et c'est certainement le cas dans les Territoires du Nord-Ouest. Des 33 collectivités actuelles, 27 ont une population de 1 000 habitants ou moins, et 15 d'entre elles ont moins de 500 habitants.
Parmi les obstacles auxquels se heurtent les femmes, mentionnons le fait de ne pas avoir accès au téléphone et le fait qu'il n'y a pas de numéro d'urgence central. Nous n'avons pas le 911. En fait, si c'est après les heures de bureau et que vous téléphonez à la GRC de votre collectivité, vous allez tomber sur la répartition, à Yellowknife.
Les aidants communautaires citent les difficultés qu'ont les femmes des collectivités éloignées d'avoir accès à des refuges. Il s'agit notamment des aspects logistiques, des questions d'anonymat et de la dépendance à l'égard de la météo. Imaginez-vous que vous êtes une femme avec deux ou trois jeunes enfants dans un petit aéroport local, attendant d'aller dans un refuge. Vous ne savez pas si l'avion va pouvoir atterrir ou redécoller. Qu'allez-vous faire si ce n'est pas possible? Quels problèmes allez-vous devoir affronter en quittant cette collectivité?
L'isolement géographique est une réalité dans de nombreuses collectivités nordiques, et il crée des risques particuliers pour les femmes, qui s'ajoutent à ceux qui existent déjà dans le sud du Canada, dans les centres plus populeux. Nous avons eu des femmes qui ont essayé de prendre la fuite en motoneige ou qui sont parties à pied en demandant à quelqu'un de venir les chercher.
C'est un grave problème. Pour les gens des petites collectivités qui vivent dans ces conditions, il n'y a pas de vie privée ni de confidentialité. Partout où vous allez, tout le monde vous connaît et tout le monde peut vous voir. À cause du manque de confidentialité, des commérages, de la honte et des reproches qui leur sont faits, les femmes sont réticentes à parler des mauvais traitements et de la violence qu'elles subissent. Elles sont réticentes à prendre part à quoi que ce soit où elles auraient à divulguer leurs histoires personnelles, au risque d'en entendre parler, plus tard, au magasin Northern.
Quand elles cherchent de l'aide, elles le font souvent en évoquant autre chose que les vraies raisons. Elles iront au centre de santé sous prétexte d'avoir mal aux oreilles ou mal à la gorge, mais ce qu'elles veulent vraiment, c'est parler des violences qu'on leur fait. Parce qu'elles vivent dans des collectivités nordiques, il est beaucoup plus difficile pour ces femmes de demander de l'aide.
En 2014-2015, les femmes autochtones représentaient 94 % de toutes les admissions dans les 5 refuges des Territoires du Nord-Ouest. Lorsqu'on examine les incidents de violence conjugale signalés dans les 3 territoires, on constate que 75 % des victimes étaient autochtones et que 93 % d'entre elles ont subi « les formes les plus graves de violence conjugale, soit le fait de s'être fait battre, étrangler, menacer à l'aide d'une arme ou agresser sexuellement ». On peut dire sans se tromper que dans les Territoires du Nord-Ouest, ce sont des choses qui arrivent fréquemment. Les refuges des Territoires du Nord-Ouest servent des femmes qui courent un risque élevé de décès.
Les collectivités du Nord souffrent aussi de la rareté des ressources. Dans les 33 collectivités que nous avons, il y en a 33 %, soit le tiers, où la GRC n'est pas présente. Aussi, 80 % n'offrent aucun service aux victimes et 85 % n'ont pas de refuge pour femmes. Les seuls refuges pour femmes des territoires se trouvent à Yellowknife, Hay River, Inuvik, Fort Smith et Tuktoyaktuk.
Les femmes ont beaucoup à perdre si elles tentent de quitter leur partenaire violent. Elles s'inquiètent à l'idée que leurs enfants pourraient être appréhendés. Elles craignent de perdre leur logement et, dans les collectivités où il n'y a pas de police ou de services aux victimes, elles auront besoin d'un accès immédiat à un endroit où elles seront en sécurité, et où elles trouveront du soutien, un lit pour dormir et de la nourriture.
Des femmes ont été jetées en dehors de chez elles au beau milieu de la nuit, en hiver, sans chaussures ni bottes; elles ont été battues et laissées pour mortes; elles ont été poursuivies et étranglées alors qu'elles fuyaient pour obtenir de l'aide. Ici, à Yellowknife, nous avons transféré une femme d'un refuge à l'autre en formant une caravane pour la protéger de son conjoint qui la poursuivait.
Il y a 5 refuges pour femmes dans les Territoires du Nord-Ouest, avec 45 lits et 21 chambres. Les refuges sont la seule ressource pour ces femmes qui ont des besoins très variés, et ils ne sont pas bien financés. Ils marchent au maximum de leur capacité, et deux tiers des femmes qui en sollicitent les services se voient refuser l'entrée. Ainsi, pour chaque 300 femmes qui viennent cogner à nos portes, nous en refusons 200.
Le manque de financement pour les refuges est un grave problème. Dans trois régions des Territoires du Nord-Ouest — soit celles du Sahtu, du Dehcho et des Tlichos —, il n'y a pas de refuge, et les refuges qui se trouvent ici couvrent beaucoup de kilomètres carrés. Le financement des refuges est insuffisant pour assurer l'entretien, le fonctionnement, les réparations, le recrutement et le maintien en poste du personnel.
En fait, en notre qualité d'organisme responsable des cinq refuges, nous avons récemment organisé une réunion des refuges. Les gens de Tuktoyaktuk nous ont dit qu'ils ne pensaient pas avoir assez d'argent pour nourrir tout le monde pendant toute l'année. Des refuges d'ici ont dû fermer leurs portes par manque de financement.
Même avec seulement cinq refuges, l'aide n'est pas toujours disponible pour ces femmes. Il y a plusieurs raisons à cela dont le manque de financement, la difficulté de recruter et de garder du personnel, et le manque de lits.
La recommandation que nous aurions pour ce service essentiel qui sauve des vies dans le nord du Canada serait de trouver un moyen de mieux financer les refuges. Je sais que les trois premiers ministres des territoires ont demandé au gouvernement fédéral d'examiner la possibilité de leur permettre d'avoir accès à du financement. Or, nous n'avons pas de réserves. Le financement fédéral va aux réserves des provinces du Sud, mais nous n'y avons pas accès. Il y aurait peut-être lieu d'inclure les services d'hébergement à titre de service obligatoire dans les paiements de transfert.
Nous devons trouver un moyen d'assurer la croissance annuelle des refuges, et nous devons continuer à financer les réparations et l'entretien. L'argent qui a été affecté à l'amélioration des refuges au cours des deux dernières années a permis de sauver des vies dans le nord du Canada, mais il n'y a qu'un seul des cinq refuges qui peut accueillir les femmes qui ont une mobilité physique réduite. Certains travaux de construction doivent se faire au plus vite. Les responsables de Hay River ont démoli leur refuge et cherchent à le reconstruire. Nous devons être en mesure de les appuyer et d'aménager de nouveaux refuges dans le Dehcho et le Sahtu.
Nos autres recommandations visent à promouvoir le logement abordable, à envisager des solutions pour atténuer la pauvreté des femmes qui quittent une relation violente et à élaborer un plan d'action national pour lutter contre la violence faite aux femmes, avec un volet pour répondre aux besoins particuliers du Nord canadien.
Merci.
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Merci, madame la présidente.
Je vous remercie, madame Fuller, de votre exposé.
« Par rapport au reste du pays, le Nord connaît les taux de violence familiale et de violence fondée sur le sexe parmi les plus élevés. » Condition féminine Canada a reconnu ce fait, en affirmant que « les communautés autochtones manquent de centres d'hébergement » et que « les coûts de construction et d'entretien entraînent un surpeuplement des logements, ce qui constitue un facteur de risque de violence. »
Le ministère a également déclaré ceci: « Nous savons que, malgré les efforts déployés jusqu'ici, plus de 70 % des 53 communautés inuites réparties dans 4 régions géographiques de l'Arctique canadien ne disposent d'aucun centre d'hébergement [...]. »
C'est la réalité, et vous nous en avez donné des exemples.
Le gouvernement est au courant du manque de refuges parce que Condition féminine Canada reconnaît cela. La question est de savoir pourquoi ce problème persiste. Pourquoi rien n'est fait à cet égard? À la veille du budget de 2019, qui sera déposé en février, quelle est votre recommandation? Que demandez-vous au gouvernement de faire? Quelles mesures doivent absolument figurer dans le prochain budget?