Bon après-midi, et bienvenue à la 89e réunion du Comité permanent de la condition féminine. Aujourd'hui, le Comité siège en public.
Nous poursuivons notre étude sur les femmes autochtones dans les systèmes juridique et correctionnel fédéraux et nous sommes ravis d'avoir avec nous aujourd'hui par vidéoconférence de Vancouver, Mme Darlene Shackelly, directrice générale de la Native Courtworker and Counselling Association of British Columbia, par vidéoconférence d'Edmonton, Mme Audra Andrews, représentante du Syndicat des employés-e-s de la Sécurité et de la Justice, et encore par vidéoconférence de Calgary, M. Lowell Carroll, gestionnaire des centres de services juridiques de Calgary, Red Deer et Siksika de Legal Aid Alberta.
Nous avons également avec nous Mme Claudie Paul, directrice des services, et Mme Jacinthe Poulin, conseillère en santé et services sociaux, du Regroupement des centres d'amitié autochtones du Québec. Je suis vraiment désolée si j'ai mal prononcé certains mots.
Je vous remercie énormément.
Chaque groupe pourra témoigner pendant sept minutes après quoi je devrai vous arrêter, car nous manquons de temps.
Nous allons commencer avec Mme Darlene Shackelly, pour sept minutes.
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Bonjour. Je m'appelle Darlene Shackelly et je suis directrice générale de la Native Courtworker and Counselling Association of British Columbia.
Notre organisme a été mis sur pied en 1973 en raison du nombre élevé d'Autochtones plaidant coupable dans le système de justice pénale. Nous comptons 30 intervenants pour l'ensemble de la province de la Colombie-Britannique.
On nous a demandé de témoigner devant le Comité parce que nous sommes non pas des intervenants du système correctionnel fédéral, mais bien des intervenants qui s'occupent de personnes qui intègrent le système de justice pénale parce qu'ils sont accusés d'avoir commis une infraction criminelle. Notre responsabilité, c'est de nous assurer qu'ils comprennent pleinement les accusations qui sont portées contre eux et qu'ils obtiennent les renvois nécessaires relativement à ces accusations.
Nous sommes situés sur le territoire non cédé des peuples Salish de la côte, soit les nations Musqueam, Squamish et Tsleil-Waututh. C'est de là que je viens.
Je tiens aussi à remercier notre conseil d'administration, qui m'a permis de témoigner devant vous aujourd'hui.
Je veux vous donner quelques renseignements généraux que vous avez probablement déjà entendus maintes fois sur le traumatisme imputable aux pensionnats qui touche les femmes autochtones en établissement carcéral. Nous savons qu'un nombre élevé de femmes dans les centres sont des femmes ayant des enfants et qu'elles ont des problèmes de santé liés au traumatisme. Selon nous, une fois que l'on n'a plus accès à sa propre culture, le risque de demeurer dans le système est élevé.
Ce qui nous préoccupe, ce sont les soins des enfants. Depuis 2006, la population autochtone a augmenté de 42,5 %. Ce taux de croissance est quatre fois plus élevé que celui de la population non autochtone sur la même période. Je tiens à souligner que ce ne sont pas les enfants qui ont fréquenté les pensionnats; il s'agit de la nouvelle génération d'enfants. Sur le terrain, nous constatons que les femmes autochtones sont plus souvent accusées d'actes plus violents qu'auparavant. C'est sur cette génération que nous devons nous concentrer.
Nous savons également que la plupart des femmes en établissement se sont d'abord retrouvées dans des foyers d'accueil, des foyers de groupe ou en adoption. Nous croyons qu'il est temps de venir en aide aux femmes en établissement, particulièrement à celles qui ont des enfants, en améliorant les moyens technologiques.
La collectivité de Bella Bella-Bella Coola, qui est très éloignée, a accès à la diffusion vidéo en continu permettant de visionner les audiences ayant lieu dans les tribunaux de Vancouver. Il est temps que le gouvernement fédéral envisage de fournir une diffusion vidéo en continu pour aider les familles et les enfants des détenus et veille à ce que les femmes autochtones en établissement puissent communiquer avec eux.
Le système de soutien pour les enfants de parents incarcérés a été étudié sérieusement, mais nous devons nous concentrer davantage sur les femmes dans les établissements fédéraux et fournir un système de diffusion vidéo en continu aux collectivités éloignées d'où proviennent de nombreuses délinquantes autochtones afin que leurs enfants et les autres membres de leur famille puissent les voir et communiquer avec elles. Cela leur permettrait de garder contact et de ne pas perdre leur lien une fois qu'elles réintègrent la collectivité.
Notre dernière recommandation consiste à investir dans un groupe d'experts de la justice pour les femmes autochtones qui élaborera un plan quinquennal et une stratégie fédérale d'investissement en vue de régler les problèmes que je viens tout juste de mentionner.
Je vous remercie de votre temps.
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Bon après-midi, et merci de m'accueillir. Je suis habituellement plus à l'aise devant un groupe de délinquants, et je m'excuse si je cherche un peu mes mots.
J'ajouterais que le Service correctionnel du Canada n'aime pas que des membres de son personnel s'expriment publiquement, mais je crois que vous méritez de connaître le point de vue des intervenants de première ligne.
Je tiens à souligner que les mesures que je vais proposer devraient être prises immédiatement pour améliorer le sort des femmes autochtones sous responsabilité fédérale.
Premièrement, il faut offrir un meilleur soutien aux femmes ayant des problèmes de santé mentale. Deuxièmement, les programmes d'emploi doivent être revus, et il faut envisager des partenariats communautaires financés au-delà du modèle de programme actuel du SCC. Troisièmement, le rôle des aînés doit être revu afin qu'ils soient libérés de la paperasse, et nous recommandons d'embaucher des aînés qui interviendront dans la collectivité. Il faut plus d'employés autochtones au sein du service correctionnel et de la commission des libérations conditionnelles. Enfin, il faut mener des consultations concrètes auprès du personnel qui fait le travail.
Vu les événements récents touchant le système de justice, je crois que l'étude que vous menez est plus importante que jamais afin que nous puissions entretenir de meilleures relations avec les Autochtones et leur prouver qu'ils seront traités de manière humaine et juste. Je suis entièrement d'accord avec les témoins précédents quant aux raisons de la surincarcération des femmes autochtones.
J'ai eu de la difficulté à choisir mes mots pour ce court témoignage, car j'ai souvent l'impression d'avoir un pied dans chaque camp: d'un côté, je fais partie du Service correctionnel du Canada avec ses politiques et ses réflexions, et de l'autre côté, je suis une femme autochtone qui a un parcours semblable à de nombreux égards à celui de personnes auprès de qui je travaille.
Je témoigne avec l'autorisation du Syndicat des employé-e-s de la Sécurité et de la Justice duquel je suis membre avec d'autres agents de libération conditionnelle, agents de liaison autochtones, agents de programme et autres membres du personnel de soutien. J'ai 16 ans d'expérience en tant qu'agente de libération conditionnelle dans la collectivité et, en ce moment, je travaille exclusivement avec des délinquantes. Auparavant, j'ai travaillé auprès de femmes mises en liberté sous condition entre 2002 et 2007.
J'ai également travaillé avec la Commission des libérations conditionnelles du Canada pour les audiences tenues avec l'aide d'un aîné ainsi que dans un organisme pour Autochtones en milieu urbain et auprès des jeunes à risque.
J'ai écouté les témoignages précédents et j'affirme la même chose: les femmes autochtones ont besoin de guérir de leur traumatisme et de renouveler avec leur famille et leur collectivité. J'ai été témoin de près de la douleur et du traumatisme de ces femmes et de l'immense difficulté qu'elles ont à réintégrer la collectivité, mais j'ai également eu l'immense privilège de les voir reconstruire complètement leur vie si elles disposaient de l'aide et des outils appropriés.
Bon nombre de délinquantes me disent que la vie dans la collectivité est parfois plus difficile qu'en prison parce que, dans la collectivité, elles doivent composer notamment avec un manque d'occasions d'emploi et de logements abordables et des problèmes de protection de l'enfance en plus de devoir faire face à leurs problèmes personnels.
Le SCC doit réinvestir dans les activités en établissement, mais aussi dans la collectivité, s'il veut améliorer ses résultats relativement à cette population. Certains progrès ont été réalisés quant aux investissements dans la collectivité, comme le montre l'agrandissement d'établissements visés à l'article 81, dont Buffalo Sage, mais ce modèle n'est pas toujours viable pour certains centres comptant un petit nombre de délinquants autochtones.
Le SCC devrait envisager de réinstaurer certains programmes qui ont été éliminés, comme le programme de placements dans une maison privée, qui pourrait être une solution au problème que j'ai mentionné et qui pourrait convenir à des délinquants à faible risque qui ont peu de besoins en régions urbaine ou rurale.
Parmi nos suggestions visant à améliorer la situation en établissement et dans la collectivité, mentionnons l'acquisition de compétences professionnelles réalistes et d'une formation adéquate ainsi que des programmes d'éducation et des placements à l'extérieur qui aideront les femmes à acquérir les compétences dont elles ont besoin pour réintégrer le marché du travail et subvenir à leurs besoins et à ceux de leurs enfants.
Je tiens à souligner particulièrement la complexité accrue des cas. Nous devons composer avec des femmes ayant de graves problèmes de santé mentale ou de violence, des problèmes de santé complexes et de graves problèmes de toxicomanie, et ces cas exercent beaucoup de pressions sur le personnel et les infrastructures en établissement et dans la collectivité. Nous avons besoin de psychologues, d'infirmières spécialisées en santé mentale et de places dans les unités de santé mentale afin de mieux gérer ces cas; il y a souvent des listes d'attente pour avoir accès à ces services, et il y a très peu de places dans les centres psychiatriques régionaux.
Pour ce qui est des autres délinquants, il faudrait accroître la capacité dans les unités des Sentiers autochtones des établissements. Les centres d'intervention pour Autochtones qui ont été proposés pour les établissements doivent être peaufinés davantage et devraient faire l'objet de consultations concrètes avec le personnel avant d'aller plus loin pour que l'on puisse savoir ce qui fonctionne et ce qui ne fonctionne pas.
Le SCC doit également revoir le rôle des aînés, car nous leur manquons de respect et nous minons leur rôle les obligeant à remplir toutes sortes de documents. Ils doivent être libres de pouvoir intervenir auprès des délinquants et les aider à guérir dans le cadre de cérémonies et de séances individuelles. Il faut également qu'il y ait dans la collectivité un aîné à temps plein ou même à temps partiel qui vient en aide aux femmes qui résident seules, car les difficultés qu'éprouvent les femmes autochtones dans la collectivité sont souvent liées à leur incapacité d'avoir accès à des interventions culturelles à l'extérieur de l'établissement régulier ou de l'établissement visé à l'article 81.
Les événements récents et de cette semaine liés au système de justice montrent l'importance d'avoir plus d'employés autochtones au sein du service correctionnel et de la commission des libérations conditionnelles, vu le nombre élevé de femmes autochtones incarcérées. Le SCC a clairement besoin d'adopter une approche radicale, et toutes les options doivent être envisagées, y compris réengager nos partenaires dans la collectivité et les aider à proposer des solutions au modèle de programme unique du SCC. On se fie beaucoup trop sur les outils actuariels pour aiguiller les délinquants vers les programmes appropriés, et les agents de libération conditionnelle peuvent de moins en moins exercer leur pouvoir discrétionnaire.
Le SCC doit également cesser de traiter les femmes autochtones comme des victimes pour mieux les habiliter et les traiter plutôt comme des survivantes, et les interventions thérapeutiques devraient aller dans le même sens.
La réponse à la question du Comité est que, pour s'assurer que ces femmes n'intègrent jamais le système fédéral, il vaut mieux utiliser les programmes de déjudiciarisation, sensibiliser davantage les professionnels du système de justice aux questions autochtones, rendre les rapports Gladue plus accessibles au moment de prononcer la peine et travailler avec les provinces sur les questions de la protection de l'enfance.
Cependant, le SCC doit s'assurer que ces femmes, une fois qu'elles sont incarcérées, sont à l'abri des abus et qu'elles en sortent mieux outillées qu'elles l'étaient à leur arrivée. Dans de nombreux cas, les employés sont dépassés, ils manquent de ressources, ils ont peur de s'exprimer et ils craignent que l'organisation ne les écoute pas.
J'ai souvent dit que les agents de libération conditionnelle et les autres membres de l'équipe de gestion de cas travaillent dans l'ombre, là où bien des gens craignent d'aller, car nous sommes témoins de traumatismes et de douleurs incroyables et nous nous y exposons du même coup. Mais peu importe, nous sommes convaincus de l'importance de notre travail. Nous avons simplement besoin que la direction nous fournisse les outils, la formation, les ressources et le soutien dont nous avons besoin pour aider ces femmes à jouer leur rôle de mère, de tante et de fille et devenir des membres de la collectivité productifs, positifs et en santé.
Je crois que le SCC reconnaît que la situation doit changer, cependant cela prendra du temps, et le changement devra être radical pour que la situation s'améliore.
Je m'appelle Lowell Carroll et je suis gestionnaire des centres de services juridiques de Calgary, de Red Deer et de la nation Siksika. Je suis un ancien membre du FASD Network de Red Deer, en Alberta, et je suis actuellement membre de la Justice Sector Constellation, qui est un comité multidisciplinaire composé d'intervenants de la collectivité et de la province qui cherchent à améliorer le système de justice. Je suis ici à titre personnel pour vous parler de mon expérience et de ce que j'ai observé dans le cadre de mon travail au sein du système de justice.
Il m'a été demandé de parler plus précisément de l'accès des femmes autochtones au système de justice au Canada et de commenter notamment les taux d'incarcération et les pénalités infligées à ces femmes.
Je suis conscient qu'il est extrêmement important de parler de ces sujets, mais il est raisonnable de croire que le Comité connaît déjà les statistiques relatives aux taux d'incarcération des femmes autochtones et qu'il sait que les chiffres sont extrêmement problématiques, et c'est pourquoi cela est à l'étude aujourd'hui.
Nous savons que les femmes autochtones constituent la population carcérale qui augmente le plus rapidement. Nous savons qu'elles sont sous-représentées dans presque toutes les facettes du système de justice, alors pour moi, nous avons beaucoup plus avantage à nous concentrer sur les divers problèmes sociaux et juridiques interreliés qui perpétuent ce problème ainsi que sur les causes et la prévention.
Avant de vous présenter mes observations et mes commentaires, j'aimerais faire une déclaration.
Je suis convaincu que, si nous voulons régler de manière positive ces problèmes sociaux et juridiques, nous devons changer de fond en comble notre système de justice. Nous devons déterminer si le but de notre système de justice est de punir et de se venger ou si nous voulons que notre système de justice soit axé sur la prévention, la réadaptation et la création d'une société juste pour tous. Nous devons reconnaître que, dans son état actuel, notre système de justice ne permet pas de prévenir la criminalité, et ne permet pas aux détenus de se réadapter et il ne crée pas une société juste. En fait, d'après mon expérience, le système perpétue la pauvreté de multiples façons, crée des problèmes sociaux et favorise l'inégalité sociale.
Il est important de reconnaître que, à travers l'histoire, les problèmes systémiques ayant une influence négative sur la façon dont les femmes autochtones perçoivent le système de justice se sont accumulés. Bon nombre d'entre elles ne voient pas le système de justice comme un mécanisme qui peut les aider à aller mieux ou à s'améliorer. Elles le perçoivent plutôt comme un système de punition et un endroit où elles se perdent et sont oubliées.
Cela explique pourquoi je suis en faveur des tribunaux communautaires, et c'est ce que je veux promouvoir devant vous aujourd'hui. Un projet pilote est mené à Vancouver — c'est pour cela que j'en parle —, et le comité auquel je siège met en oeuvre un projet pilote semblable à Calgary. Le projet consiste essentiellement à avoir un procureur de la Couronne qui est prêt à travailler avec la défense pour élaborer une sorte de plan stratégique et de système de soutien pour l'accusé. Selon moi, il s'agit probablement du système le plus efficace que nous pouvons avoir. Lorsque l'accusé se présente devant le tribunal, souvent, nous ne nous attardons pas aux raisons pour lesquelles il se retrouve là au départ. Le système de justice se concentre sur les gestes qui ont été posés. Lorsqu'il examine les raisons, c'est souvent dans le but de déterminer la peine et non pas de prévenir.
Le but des tribunaux communautaires est de s'attaquer aux problèmes de pauvreté, de violence conjugale, d'itinérance et de déplacement, aux problèmes d'origine historique, ainsi qu'en cernant les problèmes systémiques qui font en sorte que l'accusé se retrouve devant le tribunal et de lui fournir dans la collectivité le soutien qui lui permettra de résoudre ces problèmes.
De plus, en théorie, le procureur de la Couronne tiendrait l'accusé responsable tout au long du processus en maintenant les accusations jusqu'à ce que les programmes soient terminés. Cela aide les femmes autochtones, mais aussi tous les Albertains qui ont des problèmes avec le système de justice. Comme je l'ai déjà mentionné, il existe des programmes semblables qui fonctionnent très bien. En fait, je suis gestionnaire d'un autre programme familial à Siksika qui est axé sur la violence conjugale. Il fonctionne comme un tribunal communautaire, et les résultats sont très positifs.
Selon moi, un des grands problèmes de notre système de justice est l'absence de pratiques holistiques et de liens entre les problèmes sociaux et juridiques auxquels font face les femmes autochtones et les Autochtones en général. Je sais que le système correctionnel offre divers programmes adaptés à la culture autochtone et axés sur la prévention et la guérison. Le problème cependant, c'est que bon nombre de ces programmes ne sont offerts qu'aux personnes qui sont détenues dans un établissement fédéral ou provincial. Selon moi, ces programmes sont offerts beaucoup trop tard pour avoir l'impact nécessaire. Le fait que ces programmes soient également moins disponibles pour les femmes autochtones est aussi un problème injuste.
Lorsque je faisais partie du FASD Network de Red Deer, nous avons consulté un rapport sur l'Établissement d'Edmonton pour femmes qui révélait que toutes les femmes incarcérées à cet endroit étaient autochtones, et nous soupçonnions qu'une grande proportion d'entre elles souffraient d'un TSAF. Comme je l'ai déjà mentionné, les femmes autochtones constituent la population carcérale qui augmente le plus rapidement et elles sont surreprésentées en isolement. En fait, elles sont deux fois plus susceptibles d'être surreprésentées dans les unités à sécurité maximale et en isolement.
Regardez ces chiffres, et vous constaterez l’épouvantable cycle de l’injustice. Il s’agit d’une population qui souffre de pauvreté, de violence conjugale, de problèmes de santé mentale et de déplacements forcés, et, en raison de ces problèmes, elles se retrouvent dans le système de justice. Ces femmes sont incarcérées, elles sont placées en isolement, leurs lésions cérébrales ou leurs problèmes de santé mentale ne sont pas traités, les familles sont séparées, et ces femmes sont encore davantage poussées vers la grande pauvreté et l’isolement. Pour parler franchement, je ne vois aucune guérison ni aucun mécanisme de prévention.
Je manque de temps, alors je vais sauter quelques points, mais j’ai indiqué dans mes notes que les tribunaux communautaires sont jugés inefficaces parce qu’on les voit comme une façon pour l’accusé d’éviter la prison. Pour ce qui est des victimes cependant — du moins celles avec qui je me suis entretenu —, elles croient que le système de justice existe pour se venger, et, peu importe la durée de la peine et la sévérité de la punition, les victimes demeurent souvent insatisfaites. Elles sont insatisfaites du système de justice.
Selon moi, c'est parce qu'elles sont conscientes de l'échec perpétuel du système. Elles savent qu'une peine plus longue ne se traduit pas statistiquement par une réduction de la criminalité. Elles savent aussi que les accusés sortent souvent de prison sans avoir été réhabilités et parfois même dans un état pire qu'avant d'être incarcérés.
Je crois que la meilleure façon de guérir pour une victime est de savoir que, peu importe ce qui lui est arrivé et peu importe ce que l'accusé leur a fait, personne d'autre ne le subira. Elles doivent avoir la certitude que le système de justice donne des résultats positifs et qu'il peut améliorer les choses. Je tiens à répéter que les tribunaux communautaires constituent la meilleure façon d'administrer ce type de justice.
En guise de conclusion, nous devons sérieusement revoir le système de justice et déterminer quel est son véritable objectif, et nous devons tous prendre la responsabilité de nos décisions. Si l'objectif premier est la réhabilitation et la création d'une société juste, il faut absolument faire des changements.
Merci.
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Bonjour, je suis Claudie Paul, une Innue de la communauté autochtone de Mashteuiatsh.
Nous représentons aujourd'hui le Regroupement des centres d'amitié autochtones du Québec, l'organisation provinciale des centres d'amitié de cette province. Le mouvement des centres d'amitié est présent partout au Canada. Il y a environ 120 centres d'amitié au pays et une association provinciale dans chaque province. Tous les centres d'amitié ont la même mission, partout au Canada. C'est la plus grande infrastructure de services.
Nous militons pour les droits et intérêts des Autochtones dans les villes. Les associations soutiennent le développement de services au sein des centres d'amitié dans les villes. Le Québec compte neuf centres d'amitié, qui sont situés dans les villes suivantes: Chibougamau, La Tuque, Joliette, Maniwaki, Montréal, Roberval, Senneterre, Sept-Îles et Trois-Rivières.
Deux nouveaux centres ont été ouverts au cours des deux dernières années. Il s'agit de carrefours de services communautaires autochtones, de milieux de vie et de milieux d'ancrage culturel. C'est un peu ce que représentent les centres en milieu urbain. Naturellement, ce sont des organisations démocratiques, qui émergent du milieu. C'est la mobilisation de la population autochtone dans les villes qui fait émerger les centres. On parle ici de 50 services intégrés et interreliés.
Nous travaillons dans les domaines suivants: la petite enfance, la famille et la jeunesse, le développement des compétences, l'employabilité, la justice, de plus en plus, la réussite éducative, la santé, les services sociaux ainsi que le développement social et économique. Nous offrons un continuum de services. En effet, les gens qui arrivent dans les villes ont besoin de soutien. Aujourd'hui, au Québec, 53,2 % des Autochtones se retrouvent dans les villes. Ce pourcentage est beaucoup plus élevé qu'ailleurs au Canada. Les motifs qui expliquent ce déplacement vers les villes sont nombreux et incluent le logement, les études, le travail et d'autres raisons, dont le désir d'améliorer ses conditions de vie. Nous allons bientôt voir en quoi c'est relié à la justice.
Je vais maintenant céder la parole à Mme Poulin.
Je m'appelle Jacinthe Poulin et je suis conseillère en santé et services sociaux pour le Regroupement des centres d'amitié autochtones du Québec. J'ai une formation en criminologie. J'ai donc un grand intérêt pour le sujet à l'étude aujourd'hui.
Nous avons eu différentes préoccupations relativement aux axes qui ont été suggérés pour la réflexion d'aujourd'hui.
D'abord, les rapports Gladue sont sous-utilisés au Québec par rapport au reste du Canada, ce qui, selon nous, peut influer non seulement sur le processus judiciaire qui va amener les femmes autochtones à purger des peines dans un pénitencier, mais aussi sur la détermination de la peine.
Nous souhaitons aussi vous faire part aujourd'hui d'une autre de nos préoccupations qui a trait à la méconnaissance du système de justice et des processus. Cette méconnaissance a pour conséquence que les accusées autochtones plaident coupable plus souvent.
Le mode de régulation traditionnel des conflits chez les Premières Nations et les Inuits amène les gens à admettre avoir commis des actes criminels alors qu'il serait parfois dans leur intérêt de plaider non coupable. Nous considérons qu'il est important de le souligner.
Nous aimerions aussi parler d'une des recommandations de la Commission de vérité et réconciliation du Canada, qui émettait deux appels à l'action concernant la formation des avocats et des étudiants en droit sur les réalités autochtones et le développement des compétences culturelles. C'est un aspect dont nous voulons vous faire part aujourd'hui.
Il y a aussi la manière dont le système correctionnel traite les femmes. Nous avons aussi des préoccupations à l'égard des outils de gestion actuarielle du risque utilisés par le Service correctionnel du Canada. Ces outils sont systématiquement discriminatoires, puisqu'ils tiennent compte de facteurs de risque statiques, comme l'âge et le sexe, mais principalement de facteurs de risque dynamiques, ceux qui liés aux conditions de vie économiques, à la pauvreté, à la consommation et aux problèmes de santé mentale. Ce sont tous des aspects qui ont été mentionnés par d'autres témoins.
Je ne vous apprends pas que, dans le cas des Autochtones incarcérés, le fait d'utiliser de tels facteurs dynamiques pour analyser le risque fait en sorte qu'on leur attribuera souvent une cote de sécurité plus élevée. Comme l'ont souligné nos collègues, les Autochtones se retrouvent souvent avec des cotes de sécurité maximale ou de sécurité maximale renforcée, ce qui veut dire qu'ils sont considérés comme des détenus à risque élevé ayant de grands besoins. Les détenues autochtones sont plus souvent mises en isolement que les détenues allochtones et elles sortent moins en libération conditionnelle. Ce sont des choses préoccupantes pour nous.
Il y a eu un changement dans les outils utilisés. On est passé du l'inventaire du niveau de service/de la gestion des case, ou LS/CMI, à l'échelle de classement par niveau de sécurité, mais ce sont tous deux des outils actuariels.
Par ailleurs, les cotes de sécurité ont aussi une incidence sur les programmes auxquels les détenues autochtones peuvent avoir accès. Évidemment, quand une détenue a une cote de sécurité maximale ou de sécurité maximale renforcée, c'est difficile d'avoir accès à certains programmes.
Au Québec, il y a un pénitencier pour femmes qui offre ces programmes, et c'est celui de Joliette. On nous a informés que le nombre peu élevé de femmes et le fait qu'on leur attribue souvent une cote de sécurité élevée font qu'elles n'ont pas accès aux programmes correctionnels. Il n'y a qu'un centre autochtone de guérison pour femmes au Canada, et il se trouve en Saskatchewan. Évidemment, les femmes du Québec n'ont pas accès à ce centre de guérison. Par ailleurs, à l'article 81 de la Loi sur le système correctionnel et la mise en en liberté sous condition, il est question de ces centres de guérison. Le premier critère à respecter pour pouvoir aller dans ces centres est que le délinquant soit en mesure d'obtenir une cote de sécurité minimale ou, selon le cas, une évaluation de sécurité moyenne. Cela fait que des femmes n'ont pas accès à ces centres de guérison.
Notre expérience sur le terrain nous démontre que les collectivités autochtones et les Autochtones qui habitent en milieu urbain sont divisés quant à la guérison traditionnelle. Toutes les femmes autochtones n'adhèrent pas forcément au mode de guérison traditionnel et ne seront pas nécessairement à l'aise dans les programmes destinés à la population carcérale générale. Il manque donc de services pour ces dames. La réappropriation culturelle n'est pas la solution pour toutes les femmes.
Au fil du temps, différentes stratégies ont été mises en place par le Service correctionnel du Canada. Il serait intéressant de savoir ce qui est ressorti de l'évaluation de ces stratégies. On parle d'engager du personnel autochtone...
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Le projet des tribunaux communautaires dont je parlais... Je crois que le premier tribunal a vu le jour à Vancouver. Je fais partie du comité Justice Sector Constellation, et nous avions demandé une petite subvention pour lancer notre propre projet à Calgary; cette demande vient tout juste d'être approuvée. Nous en sommes pour le moment à essayer de voir comment tout cela fonctionnera sur le plan logistique.
Avant qu'une peine soit déterminée, que l'incarcération commence, avant tout cela, la solution serait de s'attaquer immédiatement aux problèmes qui ont fait que la personne accusée a eu au bout du compte des démêlés avec les tribunaux. Il y a aujourd'hui à Calgary, par exemple, un tribunal des affaires liées à la santé mentale. Il y a à Edmonton un tribunal des affaires liées à la drogue. Ces tribunaux sont extrêmement efficaces, mais ils ne s'intéressent semble-t-il qu'à un aspect de la problématique. Nous nous rendons compte de plus en plus, à mesure que nous étudions la question, que les problématiques sont multiples et que les problèmes ont trait au logement, au revenu, au déplacement ou à la santé mentale. Il nous faudrait un tribunal universel, qui peut tenir compte de toutes ces problématiques. Une personne peut se présenter devant le tribunal qui s'occupe de la santé mentale, mais avoir un problème de drogue. Et c'est ça, le problème: tous les projets pilotes s'attachent à un seul aspect, mais nous savons tous que les aspects problématiques sont nombreux et que c'est à cause d'eux que les gens ont des démêlés.
Les tribunaux communautaires cherchent d'une certaine façon à s'attaquer à ce problème, et c'est pourquoi j'estime que c'est un meilleur système. Il tient compte de tous les aspects, non pas seulement d'un aspect problématique en particulier.
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Il y a deux choses. En ce qui a trait aux TSAF, le principal problème que nous avons connu, dans le réseau, a trait aux évaluations. Ce n'est pas aussi simple qu'on le pense de diagnostiquer les TSAF.
Un des autres témoins a mentionné que les problèmes étaient souvent très nombreux et complexes. Nous avons constaté que ces évaluations coûtent très cher à faire. Nous devons embaucher des médecins et des choses comme ça.
Nous avons reçu du financement, mais il fallait vraiment beaucoup de temps pour poser un diagnostic personnalisé. C'est en fonction des entrevues qu'ils ont faites qu'ils ont supposé que la proportion de personnes affectées par le TSAF correspondait au moins à plus de la moitié des gens.
Vous avez dit aussi qu'il s'agissait d'un traumatisme cérébral, et il y a un autre problème, c'est que les tribunaux qui s'occupent des affaires liées à la santé mentale ne s'occupent pas des personnes affectées par un TSAF, puisqu'il s'agit dans le fond d'un traumatisme cérébral. Ils ne voient pas cela comme un problème de santé mentale. Il en est peut-être tenu compte au moment de déterminer la peine, mais, à part cela, les personnes touchées sont traitées comme tout le monde.
Nous pourrions mener une enquête nationale pour savoir combien parmi les personnes emprisonnées souffrent d'un TSAF; je crois que la proportion serait extrêmement élevée.
Je vais faire ma déclaration en français et en anglais, dans les deux langues.
Merci beaucoup d'avoir invité la Commission canadienne des droits de la personne à participer à votre étude portant sur les femmes autochtones dans les systèmes juridique et correctionnel fédéraux.
Permettez-moi de présenter ma collègue, Fiona Keith, avocate-conseil principale de la Commission. Elle est ici pour répondre, tout comme moi, à certaines de vos questions.
[Français]
De 2009 à 2015, j'ai siégé à titre de première présidente indépendante des audiences disciplinaires tenues dans les établissements correctionnels fédéraux au Québec. Dans ce contexte, je devais statuer sur les accusations portées en établissement contre les détenus. Cette expérience jumelée à mon rôle actuel de présidente de la Commission canadienne des droits de la personne sont à la base de mon témoignage d'aujourd'hui.
Les expériences que j'ai vécues sur le terrain confirment ce que la Commission constate depuis longtemps, notamment par l'entremise des plaintes qu'elle reçoit, à savoir que les groupes vulnérables sont assujettis à des traitements injustes lors de leur séjour dans un établissement correctionnel, et ce, de façon disproportionnée.
Les femmes autochtones se trouvant dans un établissement carcéral ont souvent été victimes d'une combinaison toxique de racisme, de violence, d'agressions sexuelles et d'autres formes d'abus. De plus, leur lourd passé fait en sorte qu'elles souffrent souvent physiquement ainsi que psychologiquement, et cette souffrance contribue fréquemment aux motifs de leur incarcération. Or, une fois incarcérées et en manque de soutien, elles vivent des difficultés reliées à leur passé qui se manifestent par des comportements difficiles.
En réponse à ces comportements, les services correctionnels n'ont recours à rien de mieux que l'isolement, alors que de nombreuses études en ont confirmé les effets dévastateurs. Ainsi, ces femmes autochtones, dont plusieurs sont victimes d'abus et souffrent de dépression, de choc post-traumatique, et ainsi de suite, se retrouvent isolées et privées de tout contact humain. Cela enclenche un cycle destructeur que le service correctionnel semble incapable d'arrêter pour le moment. Ce cycle prend souvent fin tragiquement et a même parfois des conséquences fatales.
[Traduction]
En 2003, la Commission a publié un rapport intitulé Protégeons leurs droits: Examen systémique des droits de la personne dans les services correctionnels destinés aux femmes purgeant une peine de ressort fédéral. Le rapport comprenait 19 recommandations, et les tribunaux le citent toujours dans leurs décisions.
La première recommandation que j'aimerais soumettre à votre attention, c'est que le Service correctionnel du Canada prenne des mesures immédiates pour régler le problème touchant le nombre disproportionné de femmes autochtones condamnées à une peine de ressort fédéral qui sont classées au niveau de sécurité maximale; pour ce faire, il doit immédiatement réévaluer la classification de toutes les femmes autochtones actuellement classées au niveau de sécurité maximale à l'aide d'un outil de classification tenant compte du sexe et, ensuite, en changeant les politiques générales selon lesquelles les femmes classées à un niveau de sécurité maximal ne peuvent être placées dans un pavillon de ressourcement.
Quinze ans plus tard, sur nos 19 recommandations, la plupart n'ont toujours pas été mises en oeuvre. On peut dire la même chose des recommandations intégrées à de nombreux autres rapports.
Il y a trois ans, la Commission a organisé une série de tables rondes pour réunir des femmes autochtones de toutes les régions du Canada. Nous avons des copies de ce rapport; vous pourrez tous en obtenir dans l'une ou l'autre langue.
Ces tables rondes nous ont permis de nous renseigner sur les difficultés auxquelles les femmes autochtones font face lorsqu'elles se retrouvent dans le système de justice. Les participantes ont cerné 21 obstacles à l'accès à la justice, entre autres, la complexité des processus juridiques, les obstacles linguistiques, l'absence de connaissances, l'absence de soutien et l'absence de services juridiques et d'autres ressources.
Elles ont aussi exprimé une profonde méfiance à l'égard des services de police et du processus judiciaire. Lorsqu'elles sont victimes d'un crime, elles ne se sentent pas en sécurité à l'idée de demander l'aide de la police. Cela pourrait expliquer pourquoi une petite fraction seulement des plaintes de discrimination que la Commission reçoit sont déposées par des détenues autochtones incarcérées dans le système fédéral.
Soyons honnêtes: une femme autochtone qui se retrouve en prison est destinée à être invisible, tenue à l'écart, déshumanisée et oubliée. Nous les avons oubliées, puisque les constatations qui ont été faites il y a 10, 15 ou 20 ans sont toujours une réalité. Rien n'a été fait. Ces femmes continuent à être ignorées.
Les femmes autochtones sont toujours classées à des niveaux de sécurité plus élevés, étant donné que les outils et processus de classification ne tiennent pas compte de leurs caractéristiques uniques. Elles sont toujours placées en isolement à une fréquence disproportionnée, malgré leurs antécédents de traumatisme et de violence. Elles n'ont toujours pas un accès approprié à des services pertinents en santé mentale ou à des mesures de soutien culturel et spirituel. Elles vivent toujours — plus vivement, en fait, entre les murs de la prison — du harcèlement, de la violence, de la misogynie, tout comme elles en vivaient avant leur incarcération. Les femmes autochtones affichent un taux de récidive plus élevé parce que le système correctionnel ne leur permet pas de se réadapter et de se réinsérer dans la société, et qu'en outre, elles n'ont pas accès à des mesures de soutien après leur mise en liberté.
Étant donné le très petit nombre de recommandations qui ont été mises en oeuvre, la seule façon de provoquer un changement, c'est de s'adresser aux tribunaux. Dans le cas des femmes autochtones, c'est préjudiciable à deux égards. Le système de justice intimide la plupart des gens, et davantage encore les femmes autochtones qui n'ont pour ainsi dire pas accès à une aide quelconque pour s'orienter dans un processus qui peut être long, coûteux et très stressant.
Malgré cela, je reste optimiste et je crois que les politiciens désirent sincèrement faire des changements pour le mieux. J'espère que le gouvernement en place va enfin mettre en oeuvre les nombreuses recommandations formulées au fil des ans.
Cela dit, étant donné ce que les femmes autochtones nous ont dit, voici comment on pourrait améliorer l'expérience des femmes autochtones au sein du système fédéral et du système correctionnel.
Premièrement, il faut établir un climat de confiance. Les femmes autochtones qui ont été victimes d'un crime doivent se sentir en sécurité lorsqu'elles le dénoncent.
Deuxièmement, il faut fournir un soutien et une aide là où il y a des femmes autochtones. Les services doivent aller jusqu'à elles: dans leur collectivité, dans un centre urbain, au poste de police, devant un juge, dans un centre de détention provisoire, dans un établissement fédéral et au moment de leur mise en liberté.
[Le témoin s'exprime en micmac.]
Je viens de dire que je m'appelle Teresa Edwards, que je suis membre de la nation micmaque et que mon nom traditionnel signifie jeune femme du feu.
Je tiens à saluer les Algonquins, étant donné que nous nous réunissons aujourd'hui sur leur territoire et parce que je suis leur invitée aujourd'hui. Je tiens aussi à remercier le Comité de me donner l'occasion de témoigner sur l'amélioration de l'expérience des femmes autochtones dans les systèmes juridique et correctionnel fédéraux.
Je comparais aujourd'hui en tant que membre du conseil d'administration de l'Association du barreau autochtone au Canada, une organisation nationale sans but lucratif constituée en 1994 et composée d'avocats, d'universitaires et d'étudiants en droit de partout au pays. Les objectifs de l'ABA sont de promouvoir les enjeux et les préoccupations des Autochtones relativement au système de justice et de représenter, à l'échelon national, les Autochtones de façon générale. L'ABA a aussi été reconnue par des gouvernements, des cours et des tribunaux dans de nombreux cas. J'espère que vous tiendrez compte de nos recommandations aujourd'hui.
De plus, j'ai mentionné que je témoigne aussi en tant qu'avocate-conseil et directrice générale de la Fondation autochtone de l'espoir, une organisation autochtone nationale qui tente de sensibiliser les Canadiens au sujet des répercussions continues des pensionnats sur les survivants, leurs familles et leurs collectivités.
Le dernier pensionnat a fermé ses portes en 1996; nous sommes donc une société au sein de laquelle des générations d'Autochtones ont été victimes de racisme au chapitre des politiques, des lois et des systèmes juridique et correctionnel. Les survivants ont été victimes de toutes les formes de violence — physique, psychologique et spirituelle —, et ils n'ont souvent pas bénéficié d'une éducation appropriée ni n'ont pu acquérir les aptitudes à la vie quotidienne nécessaires pour réussir comme adulte ou parent. Ces expériences ont contribué de façon importante aux nombreuses conditions socioéconomiques auxquelles ces personnes sont confrontées aujourd'hui, y compris une pauvreté marquée et des démêlés avec les systèmes juridique et correctionnel fédéraux.
J'ai apporté un rapport de recherche à l'intention du Comité aujourd'hui. J'ai seulement des exemplaires en anglais avec moi. J'ai aussi des copies en français que je remettrai au Comité. Demain, je vais demander à quelqu'un de mon bureau de vous les apporter.
La FAE s'acquitte de son mandat en fournissant des programmes et des ressources pédagogiques aux écoles à l'échelle du pays. Nous avons mis en place des programmes dans les trois territoires, et nous tentons actuellement de conclure un accord avec le gouvernement de l'Alberta et, aussi, avec le gouvernement de l'Ontario relativement à leurs programmes scolaires de la maternelle à la fin du secondaire, l'objectif étant d'y inclure des cours d'histoire appropriés sur les Autochtones au Canada, y compris les pensionnats, la rafle des années 1960 et les problèmes encore d'actualité liés à la protection de l'enfance.
Nous procédons ainsi pour expliquer les liens du passé avec les problèmes sociaux actuels et renforcer l'empathie et la reconnaissance, tout comme nous honorons les vétérans en parlant des guerres, d'Auschwitz ou encore d'autres sujets dans les cours d'histoire. Il faut faire la même chose pour les aspects sombres de l'histoire canadienne.
Nous utilisons l'art et une série d'expositions pour mettre en lumière les actes répréhensibles du passé de façon à ce que les gens puissent comprendre où la société a erré dans son traitement des Autochtones.
Je veux aussi parler des répercussions sur les femmes qui expliquent leurs démêlés avec le système de justice.
Il faut tout de même dire aux Canadiens et aux représentants du système de justice qu'il y a un autre côté à l'histoire du Canada de façon à ce qu'on puisse régler le problème du racisme.
Il y a des problèmes en ce qui concerne les interactions avec les forces de l'ordre. Au moment de la première interaction, si la personne n'est pas autochtone ou n'est pas racialisée, elle a souvent droit à 5 ou même 10 avertissements. C'est quelque chose que j'ai constaté personnellement en 25 ans d'expérience comme avocate, grâce à mes visites dans plus de 110 collectivités et en oeuvrant en tant qu'avocate pour l'AFAC, l'Association des femmes autochtones du Canada, et l'APN. Récit après récit, j'entends parler d'enfants... Un groupe de cinq enfants ont été arrêtés par des policiers. Les enfants non autochtones ont été ramenés à la maison, chez leurs parents, et ont eu droit à une simple réprimande, tandis que les autres ont été amenés au poste de police et immédiatement accusés. C'est ainsi que ça commence pour eux.
Il y a toute cette chaîne de survivants des pensionnats, des enfants qui sont des survivants d'un pensionnat ou qui sont des enfants de survivants. Ces personnes ont peut-être eu des démêlés avec des représentants de l'État, ils ont peut-être été retirés de leur famille, principalement en raison de la pauvreté, puis, ces enfants ont des démêlés à leur tour avec le système de justice, et le cycle recommence.
Il y a du racisme à chaque étape. Je veux vraiment que le Comité le comprenne bien, dans la mesure où il faut tenir compte de toutes les répercussions des pensionnats sur les Autochtones. Lorsqu'on envisage la solution, il faut tenir compte de ce contexte.
J'adore l'anecdote de « Robert qui frappe Marie », qui devient « Marie est une femme victime de violence ». On cherche des solutions pour Marie, la femme victime de violence, et Robert n'est plus dans l'équation.
Il faut se pencher sur le problème du racisme au sein du système de justice, et ce, de tous les points de vue, avant qu'on puisse penser aux solutions.
Je suis vraiment d'accord avec les commentaires qui ont été formulés avant les miens. J'ajouterais tout simplement que, pendant plusieurs générations, les communautés autochtones ont dû composer avec les répercussions des pensionnats et l'imposition de politiques, de lois et de systèmes étrangers qui ont perturbé nos nations et ont contribué aux difficultés socioéconomiques dont j'ai parlé.
Nous avons été victimes de violations des droits de la personne, et le processus de colonisation des femmes autochtones s'est poursuivi, leurs enfants étant les plus durement touchés par ces violations. On nous a retiré des terres traditionnelles et certains de nos rôles et responsabilités traditionnels en ce qui concerne notre participation aux décisions politiques et sociales. Toutes ces choses sont des facteurs qui ont contribué au préjudice subi par nos familles, nos cultures, nos traditions et nos langues. Le Comité pour l'élimination de la discrimination à l'égard des femmes des Nations unies a constamment reconnu que les femmes autochtones, en particulier, sont confrontées aux multiples formes de discrimination dont j'ai parlé.
Au Canada, les femmes autochtones détenues sont plus susceptibles de faire l'objet d'isolement non sollicité et d'y rester plus longtemps que les femmes non autochtones. Ces prisonnières sont plus jeunes que leurs homologues non autochtones, avec une moyenne d'âge de 29 ans, comparativement à 32 ans pour les femmes non autochtones. Nous savons que les femmes autochtones représentent 5 % de la population féminine au Canada, mais 39 % de la population carcérale féminine. Nous savons aussi qu'elles font l'objet de plus de 50 % des placements en isolement à l'échelon fédéral.
J'ai aussi entendu des gens parler des programmes pour les mères et les filles. En réalité, j'ai vu ce à quoi ces programmes sont censés ressembler et la façon dont ils doivent être mis en oeuvre, mais j'ai aussi rencontré des femmes qui m'ont dit avoir droit à des visites de seulement 30 minutes par semaine avec leur nouveau-né.
Je pourrais vous fournir de nombreux cas. Je sais que vous allez tous recevoir le rapport que j'ai déjà présenté, alors je vais passer directement à mes recommandations.
Premièrement, il faut éliminer les dispositions juridiques qui sont des sources de discrimination contre les femmes autochtones, comme on l'a mentionné. Ensuite, il y a la formation obligatoire pour tous les responsables de l'application de la loi, les juges et les employés du Service correctionnel du Canada au sujet des Autochtones, et, plus particulièrement, de la situation des femmes autochtones.
J'essaie de fournir une formation de sensibilisation culturelle aux corps policiers depuis 13 ans. Je suis heureuse de déclarer que j'ai rencontré un groupe d'agents de police à Deerhurst, il y a deux semaines, et qu'il y a eu une percée. Il y a du changement, mais il faut vraiment que ça se passe à plus grande échelle.
Ensuite, il faut s'assurer de respecter et d'appliquer les principes de l'arrêt Gladue. Je ne le dirai jamais assez. Les gens cochent les cases, mais aucun des principes établis dans l'arrêt Gladue n'est utilisé par les avocats qui représentent des Autochtones.
Il y a ensuite la facilitation et l'application des articles 81 et 84 de la Loi sur le système correctionnel et la mise en liberté sous condition au profit des prisonnières autochtones criminalisées.
J'entends parler du centre Buffalo Sage et d'autres endroits où des places sont données à des femmes non autochtones. Les femmes autochtones affichent des taux très élevés d'incarcération, mais, en raison de leur cote de sécurité élevée, elles n'ont pas accès à ces pavillons de ressourcement. Je suis d'accord avec l'idée qu'il faille se pencher sur la classification et les transfèrements, lorsqu'il y a des besoins d'ordre médical, parce que ces femmes sont aux prises avec d'importants problèmes de santé mentale et de TSPT.
Il faut s'assurer que les femmes ont accès à des programmes adaptés à leur culture et des services spirituels pendant leur incarcération et il faut prendre toutes les mesures nécessaires pour régler le problème de la séparation des enfants autochtones et de leurs parents.
Pendant l'incarcération, il faut fournir des mesures de soutien et du counseling adéquats relativement à la santé mentale et au bien-être et s'assurer qu'il y a des stratégies de guérison et d'adaptation pour composer avec les problèmes à l'extérieur.
Et voici un enjeu énorme: comme on l'a déjà dit, il faut soutenir les femmes autochtones qui veulent parfaire leur formation. Les femmes autochtones affichent de faibles taux d'achèvement de programmes durant leur incarcération. Il faudrait en outre leur permettre d'acquérir des aptitudes à la vie quotidienne et leur fournir d'autres cours de formation qui les aideront au moment de leur réinsertion.
Nous savons maintenant, grâce aux statistiques, que les femmes autochtones affichent des niveaux de scolarité plus élevés que les hommes autochtones, mais cela ne se traduit pas au chapitre des revenus. Il faut changer cette situation. Nous avons besoin de programmes de soutien qui aideront les femmes autochtones à participer à la population active et à avoir accès à un emploi au moment de leur libération. Plus particulièrement, les métiers sont une excellente option que nos femmes peuvent choisir, afin que leur premier emploi leur permette de gagner un revenu stable et de subvenir à leurs besoins et à ceux de leurs enfants.
Il faut aussi aider les femmes autochtones à trouver des logements sécuritaires et abordables pour elles et leurs enfants au moment de leur libération. Nous entendons des récits de femmes à qui on remet quatre billets d'autobus. Elles montent sur un autobus, se rendent le plus loin possible et commettent à nouveau un crime afin de pouvoir revenir en prison et avoir un endroit où vivre. Il n'y a aucun plan en place.
Il faut mettre en place ces plans pour les femmes et définir des plans pour assurer la sécurité des femmes et des enfants qui fuient des situations violentes. Il faut ajouter à ça des mesures de soutien à la transition appropriées et des programmes permettant d'assurer leur bien-être physique et psychologique au moment de leur libération.
Merci de l'occasion que vous m'avez offerte.
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Si vous me permettez, j'aimerais répondre rapidement à cette question. La majeure partie des Autochtones vivent à l'extérieur des réserves, et donc, lorsqu'il est question de collectivités, on parle des collectivités au Canada, dans les provinces et dans les territoires. C'est ça, la réalité. Les Autochtones vivent en milieu urbain. Un très faible pourcentage d'Autochtones vivent dans les réserves, alors dire qu'on pourrait offrir des programmes dans les collectivités...
Je comprends ce que vous dites. Les collectivités autochtones qui ont déjà un lien de confiance peuvent aider les femmes à se prendre en main. C'est parfait. J'y crois beaucoup. Je travaille bénévolement auprès des femmes autochtones qui vivent dans des refuges pour sans-abri afin de renforcer leur littéracie financière, de les encourager à retourner aux études et de les aider à trouver un logement et à parfaire leur éducation. Cependant, avant tout, le plus important, c'est de les aider à trouver un emploi, parce que la réalité, c'est qu'on a beau avoir suivi toutes les études qu'on veut, et c'est le cas de beaucoup de femmes autochtones... J'ai six diplômes, et j'ai la chance d'avoir une belle carrière d'avocate, mais beaucoup de femmes autochtones ont plusieurs diplômes et vivent de l'aide sociale parce qu'elles n'ont pas réussi la transition économique leur permettant de trouver un emploi.
Il faut soutenir les femmes pour les aider à trouver un emploi. Elles ont parfois l'éducation nécessaire, mais elles vivent dans une situation de violence. Elles peuvent se tourner vers une maison d'hébergement ou de transition, mais, après un mois, elles n'ont plus d'argent, alors elles retournent dans cette situation violente. Si vous donnez à une femme un emploi, si vous l'aidez à trouver un emploi, même dans une situation de violence, elle peut mettre de l'argent de côté, avoir un plan, et ensuite fuir la violence. C'est un aspect précis, mais il faut tout de même des mesures de soutien holistiques qui s'attaquent à toute la violence, la violence sexuelle, et tous les autres problèmes rencontrés par les femmes.
Le dernier pensionnat a fermé ses portes en 1996. Ce n'est pas il y a 100 ans. C'est il y a 20 ans.
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Non, je ne dis pas... Je suis désolée. C'est simplement parce que j'essaie d'aborder ce point. Ce que je dis, c'est qu'il faut fournir des mesures de soutien...
Mme Rachael Harder: Oui.
Mme Teresa Edwards: ... liées à la violence dont elles ont été victimes, par exemple, en leur offrant du counseling.
La situation de la protection de l'enfance est l'exemple parfait. Les familles perdent leur enfant principalement en raison de la pauvreté. Les gens ne peuvent pas subvenir aux besoins de leur enfant ou n'ont pas un logement comptant une chambre à coucher pour leur fille et une autre pour leur garçon, et, une fois que les enfants ont cinq ans, il faut des chambres à coucher différentes. Les responsables de la protection de l'enfance viennent et disent: « Nous sommes désolés, vous ne pouvez pas subvenir adéquatement aux besoins de votre enfant, alors l'État s'en occupera ». L'enfant est alors confié aux soins de l'État, puis nous donnons à une autre famille 2 000 $ par mois pour élever l'enfant de quelqu'un d'autre, tandis que, si l'État fournissait les mesures de soutien... C'est ce dont je parle. Si un soutien avait été fourni à cette personne avant, elle n'aurait pas perdu la garde de son enfant.
C'est semblable à d'autres mesures de soutien à l'intention des femmes autochtones. Il faut leur offrir une approche holistique en matière de counseling, de bien-être, de formation de littéracie financière, de soutien et d'encouragement relativement aux études et de moyens et d'occasions liés à la garde des enfants, ce qui est crucial. C'est la première des choses. Au total, 80 % des femmes autochtones sont des mères célibataires, alors on peut offrir tous les programmes qu'on veut, s'il n'y a pas de services de garde d'enfants, ces femmes ne peuvent pas saisir ces occasions parce qu'elles doivent prendre soin de leurs enfants.
De plus, dans notre culture, nous prenons soin de nos parents, alors nous sommes responsables des deux, et ces femmes doivent tout faire seules.
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Oui, il est déjà en place dans les territoires. La Fondation autochtone de l'espoir, pour laquelle je travaille, existe depuis environ 20 ans, et le programme dans les Territoires du Nord-Ouest est offert dans les écoles depuis 5 ou 10 ans, si je ne me trompe pas. En Alberta, nous ne faisons que commencer. En Ontario, nous le faisons de manière fragmentaire, parce que nous n'avons pas signé d'entente encore avec le gouvernement ontarien. Nous n'avons pas fait d'annonce pour ce qui est de l'Alberta. C'est en cours, et ce, de façon très concrète.
Nous espérons pouvoir annoncer des produits livrables au cours de la prochaine année ou des deux prochaines années et préciser la façon dont cette initiative permet de changer la société, parce que les enfants sont les dirigeants de demain. Ce seront les prochains médecins, enseignants, avocats et juges, alors il faut les sensibiliser au fait que les Autochtones ne viennent pas tout simplement de milieux socioéconomiques problématiques.
Ce que j'enseigne aux femmes avec qui je travaille et de qui je suis la mentore, c'est que, si on trace une ligne du temps des 15 000 dernières années, pendant 14 850 années, les femmes autochtones étaient fortes. Les collectivités étaient florissantes, les systèmes socioéconomiques, commerciaux et de justice étaient solides, et les gens fonctionnaient bien. C'est seulement depuis les 150 dernières années que nous rencontrons ces problèmes, et cela découle en grande partie des pensionnats. Ce n'est pas dans notre ADN de vivre de l'aide sociale, d'être toxicomane ou de nous retrouver en prison, alors nous pouvons changer la situation. Nous pouvons réécrire l'histoire. Nous pouvons créer une nouvelle voie pour les nôtres.
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Pour commencer, il faut dire qu'il y a de nombreuses façons d'isoler quelqu'un. Les gens doivent le comprendre. Dans les établissements fédéraux, on peut utiliser différentes expressions pour en parler, mais c'est toujours la même chose.
Prenons un exemple: lorsque des gens risquent de s'automutiler, qu'est-ce que les établissements vont faire? Ils envoient ces personnes dans une cellule où elles feront l'objet d'une surveillance, mais ces cellules se trouvent dans l'unité d'isolement, ce qui signifie que les personnes n'ont plus de contact avec des êtres humains. C'est un peu comme si elles se trouvaient en isolement, en fait, et cela crée beaucoup de problèmes.
Il y a aussi ce qu'on appelle l'« isolement préventif ». C'est lorsqu'on croit que des détenus constituent un risque pour eux-mêmes ou pour l'établissement. C'est une autre façon. Qu'est-ce que les établissements vont faire? Ils appellent ça l'isolement préventif, mais il n'y a pas de surveillance, ou à peu près pas. Ces personnes se retrouveront en unité d'isolement et elles n'auront pas de contact avec des êtres humains, ou à peu près pas.
Il y a aussi les mesures disciplinaires. Après qu'un détenu a reçu une sanction pour, par exemple, un mauvais comportement, une personne de l'administration peut décider de l'envoyer en isolement. Dans ce cas-là, l'isolement est punitif.
Ce sont des choses qu'on voit encore.