PROC Réunion de comité
Les Avis de convocation contiennent des renseignements sur le sujet, la date, l’heure et l’endroit de la réunion, ainsi qu’une liste des témoins qui doivent comparaître devant le comité. Les Témoignages sont le compte rendu transcrit, révisé et corrigé de tout ce qui a été dit pendant la séance. Les Procès-verbaux sont le compte rendu officiel des séances.
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Comité permanent de la procédure et des affaires de la Chambre
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TÉMOIGNAGES
Le jeudi 26 avril 2018
[Enregistrement électronique]
[Traduction]
Bonjour et bienvenue à la 99e séance du Comité permanent de la procédure et des affaires de la Chambre. Nous poursuivons notre étude de l’utilisation des langues autochtones dans les délibérations de la Chambre des communes.
Nous sommes heureux d’accueillir M. Arok Wolvengrey, professeur de langues algonquines et de linguistique au Département des langues, des arts et des cultures autochtones de l’Université des Premières Nations du Canada. M. Wolvengrey comparaît par vidéoconférence depuis Regina.
Nous sommes sur le territoire traditionnel des Algonquins Anishinaabe.
La déclaration préliminaire sera en cri. Si vous le voulez, vous pouvez mettre les écouteurs pour entendre la traduction.
Monsieur Wolvengrey, merci beaucoup de vous joindre à nous. Votre intervention sera très utile. Vous avez la parole.
Bonjour. Je salue tous ceux qui sont présents ici aujourd’hui.
Je m’appelle Arok Wolvengrey. Je m’appelle aussi Aigle blanc en cri.
Je vous suis reconnaissant de m’avoir invité ici pour parler des langues autochtones.
Je suis heureux de pouvoir m'exprimer en cri aujourd’hui.
Je suis heureux que vous commenciez à entendre ces langues autochtones.
Je suis aussi heureux que ces langues commencent à être entendues ici, au gouvernement du Canada.
Merci.
[Traduction]
Je crois comprendre que le ministre Saganash a déjà parlé au Comité du droit inhérent d'utiliser sa langue maternelle pour communiquer, comme le garantit la Déclaration des Nations unies sur les droits des peuples autochtones, en plus de réitérer sa conviction que cela est également enchâssé dans divers articles de la Charte canadienne des droits et de la Constitution.
Le sénateur Serge Joyal et le député Ouellette ont souligné les droits relatifs à la langue inscrits à l’article 35 de la Loi constitutionnelle. Je ne peux certainement pas m'exprimer avec plus d’autorité ou d’éloquence que les députés Saganash et Ouellette, de même que le sénateur Joyal, à ce sujet.
Si vous le souhaitez, je peux parler de l’importance de la langue pour l’identité d’un individu et d’un peuple. Je peux également situer cela dans un contexte national de réconciliation avec les nations autochtones de ce pays, maintenant connu sous le nom de Canada.
[Le témoin s’exprime en cri.]
Cependant, je suppose qu’on s'attend de moi que je parle aujourd’hui des langues elles-mêmes et de la logistique de la prestation de services d’interprétation ou de traduction simultanée des langues autochtones parlées ici au Canada et, éventuellement, à la Chambre des communes.
Je vais faire de mon mieux pour répondre à vos questions.
[Le témoin s’exprime en cri.]
Je vous remercie de votre présence ici et de votre brève allocution d'ouverture.
Merci de nous offrir de nous parler de l’importance de la langue, surtout dans le contexte de la réconciliation, et je vous invite à le faire.
On m’a posé la question à plusieurs reprises. On me l’a posée à la télévision de la CBC il y a quelques semaines, et j’ai tendance à tomber dans les lieux communs habituels, à savoir que tout ce que nous faisons se situe dans les limites de la langue. C’est ainsi que nous organisons nos pensées. C’est ainsi que nous communiquons notre culture de génération en génération. Nous sommes essentiellement façonnés par la manière dont nous concevons les choses, ce que nous faisons dans notre langue maternelle. Certains d’entre nous qui avons la chance de posséder plus d’une langue — et je ne me compte pas vraiment dans ce groupe — sont capables de le faire de façon fonctionnelle dans deux langues ou plus, et c’est un cadeau.
Une des choses auxquelles j'ai pensé la dernière fois que j’ai dû répondre à cette question, c’était de demander s'il était possible de la reformuler sans utiliser la langue. De toute évidence, cela est impossible. Le fait que nous ayons besoin d’une langue pour communiquer est évident, et aussi le fait que, quand nous apprenons une langue en grandissant, de façon à la maîtriser, cela nous donne de l'éloquence dans cette langue. Il y a des personnes douées qui atteignent ce niveau dans plus d’une langue, mais ce n’est pas nécessairement répandu. Je m’attends à ce que la grande majorité d’entre vous, que vous soyez bilingues ou trilingues, se sente plus à l’aise dans leur langue maternelle, celle dans laquelle vous communiquez avec votre famille et votre communauté.
Encore une fois, nous pourrions continuer de parler simplement des connaissances inhérentes à chaque langue, ainsi que du fait que certaines choses ne sont pas nécessairement traduisibles, et du fait qu’il y a tellement de choses que nous ne savons pas parce que nous ne parlons pas la langue des gens qui les connaissent.
Je pense que l’autre aspect de ce dont nous parlons est la réconciliation. Nous avons parlé des connaissances nécessaires. Avez-vous d’autres commentaires à ce sujet?
Absolument. De toute évidence, il y a un certain nombre de recommandations différentes sur la réconciliation de la Commission de vérité et réconciliation qui portent spécifiquement sur la langue. Il y a certainement eu dans l'histoire des moments où l’on a interdit des langues, où on les a activement découragées, ce qui va à l’encontre des droits dont nous avons parlé et qui sont compris dans la Déclaration des Nations unies sur les droits des peuples autochtones et dans la Constitution. Pour ce qui est de la réconciliation, quand j’en parle à mes collègues, quand je parle aux communautés, quand je vois leurs réactions face aux différentes choses qui se passent dans la société, la langue figure bien sûr parmi les aspects les plus importants. Je pense qu’un certain nombre de choses se sont produites, y compris des excuses et la Commission de vérité et réconciliation elle-même, qui vont dans la bonne direction. Ce dont nous parlons aujourd’hui en fait partie.
Cependant, il y a beaucoup d'autres choses, et il y a beaucoup de méfiance quant à l’ampleur de la réconciliation, et cela est malheureux. Je trouve parfois des propos comme ceux-là décourageants. Cela s’explique en grande partie par le fait qu'un grand nombre de gens ne peuvent plus utiliser leur langue et qu'ils souhaitent désespérément pouvoir le faire à nouveau.
Je comprends ce que vous dites.
Je pense que la plupart d’entre nous, sinon nous tous, sommes sur la même longueur d’onde quant à l’importance de déterminer comment faire pour que cela fonctionne ici, au Parlement. Notre travail comporte aussi des considérations pratiques.
Pour ce qui est de savoir comment nous allons procéder, pouvez-vous nous dire quelles langues, quels moyens et quels processus sont justifiés et ce qui serait tout à fait inacceptable à votre avis? Je veux dire, par exemple, s’assurer que les gens peuvent être compris dans leur langue et décider quelles langues doivent être comprises, même si elles ne sont pas parlées par les députés, parce qu'elles sont répandues dans la population en général.
J’ai suivi certains des témoignages précédents du Comité sur cette question. Je suis tout à fait conscient du fait qu’il est impossible d’offrir tout à coup des services d’interprétation simultanée dans 60 langues à l’échelle du pays. Toutefois, je pense qu’un certain nombre de points qui ont été soulevés sont très sensés comme point de départ, c’est-à-dire que les députés actuels du Parlement, de la Chambre des communes, qui parlent une langue autochtone peuvent certainement être représentés. Je pense qu’il n’y a pas beaucoup de langues actuellement représentées, qu'il s'agisse même du cri, tout comme les différents dialectes, l’inuktitut, avec des dialectes potentiellement différents là aussi, l'anishinaabemowin ou l'ojibwa, et le déné, bien sûr, que parle Mme Jolibois.
Nous pouvons certainement prendre comme point de départ les langues qui sont actuellement représentées. D’un autre point de vue, j’ai parlé de l’interprétation et de la traduction, et je fais la distinction entre l’interprétation orale et la traduction écrite, qui suscitent un autre problème de logistique. Pour commencer, je pense que l’interprétation est essentielle. Il faut toujours commencer par l’oral. La traduction et la bonne représentation des langues, l’orthographe, s’il y a une orthographe standard, représentent un autre aspect et une prochaine étape, mais je pense que l’interprétation orale serait le point de départ principal.
Je comprends cela.
Ma prochaine question est très pratique, mais je pense qu’elle est importante. Que pensez-vous de la disponibilité des interprètes et des traducteurs, et comment cela pourrait-il contribuer à une plus grande utilisation?
Je pense qu’il ne sera pas difficile, dans le cas des langues que nous venons de mentionner, de trouver des personnes compétentes capables d’interpréter pleinement dans deux langues, que ce soit l’anglais et le cri, le français et le cri, ou l’anglais et le français et l’inuktituk. Dans le cas du déné, je ne suis pas certain de la combinaison français et déné, mais je présume qu’il y a peut-être des personnes. Plus on va vers l’Ouest, c’est certain, et surtout dans les très petites communautés linguistiques, plus il devient difficile de trouver des personnes capables d'interpréter de façon simultanée dans certaines langues de la côte Ouest et en français, par exemple, mais je pense que l’interprétation simultanée avec l’anglais ne devrait pas poser de problème.
Je sais que la question de l'interprétation à relais a été soulevée, et qu'elle poserait certainement un problème pour certaines langues et le français.
Merci, monsieur le président.
Merci d’être virtuellement ici avec nous aujourd’hui.
J’ai des questions qui sont probablement semblables à celles de mon collègue.
Vous enseignez le cri. Je suppose qu’il y a beaucoup de dialectes différents. À votre connaissance, combien y en a-t-il?
Au sens le plus large, quand on parle des dialectes cris, il y a une division entre les dialectes cris de l’Ouest et ceux de l’Est, qui longe plus ou moins la frontière entre l'Ontario et le Québec, bien que la langue des Atikamekw du Québec soit habituellement considérée comme faisant partie des dialectes de l'Ouest en raison de certaines sonorités particulières.
De façon générale, nous parlons environ cinq dialectes dans l’Ouest, soit le cri des plaines, le cri des bois et le maskegon, qui peuvent être subdivisés, ainsi que le dialecte de la Moose Cree First Nation, le long de la côte sud de la baie James, celui de la bande de Moose Factory, et ainsi de suite, en plus de celui des Atikameks au Québec. Il y a les dialectes cris de l’Est et des Innus, qui ont aussi des sous-dialectes, ceux des Naskapis et ceux des Cris du Nord-Est et du Sud-Est.
Ce sont les principaux dialectes.
Les dialectes seraient-ils mutuellement compréhensibles ou seulement les dialectes de l'Ouest entre eux et les dialectes de l'Est entre eux?
C’est une très bonne question. Sur le plan pratique, il n’y a pas de ligne de démarcation absolue entre eux. C’est un continuum linguistique ou dialectique, de sorte que d’une communauté à l’autre, les gens peuvent facilement se comprendre, mais à l’extrême, cela devient difficile. Certaines personnes très douées, qui ont une certaine expérience, peuvent s’adapter mieux que d’autres, mais pour de nombreux jeunes locuteurs qui sont confrontés à un dialecte, disons le cri des plaines et celui des Moose, ou surtout le cri de l'Est et celui du Québec, ont beaucoup de difficulté à comprendre.
Je dirais que oui. J’ai travaillé avec un certain nombre de personnes partout au pays. Nous avons eu une réunion à l’Université Carleton où nous avions des personnes qui parlaient le cri des plaines et l'innu, mais nous n’avions pas de langue commune parce que les locuteurs inuits étaient bilingues avec le français, et ceux qui parlaient le cri des plaines étaient bilingues avec l’anglais. Ceux qui parlaient le cri des plaines et l'innu pouvaient se comprendre un peu, mais pas assez.
Pour ce qui est de l’interprétation, je crois que vous avez répondu à la question de mon collègue en disant qu’il y avait probablement assez d’interprètes disponibles pour la traduction vers l'anglais, mais que pour celle vers le français, c’était peut-être un peu plus difficile. Voilà en gros ce que vous avez dit, je crois.
Je suppose que vous connaissez assez bien les normes et les qualifications requises par le Bureau de la traduction pour les interprètes et les traducteurs.
Diriez-vous que les interprètes que vous connaissez dans ces cas-là répondraient aux normes et aux qualifications actuelles, ou faudrait-il leur fournir une formation ou une mise à niveau pour qu’ils les respectent?
Je pense que cela dépend des personnes elles-mêmes. Je crois qu’il y a des gens qui pourraient satisfaire à ces normes, et s’il existait des tests pour le démontrer, je pense que vous le constateriez.
L’un des problèmes que nous avons avec l’ATIS, c’est que son test est uniquement écrit. Il est donc très difficile de trouver des gens qui connaissent parfaitement leur langue écrite, pour ainsi dire. Je pense que pour l’interprétation orale, nous pourrions certainement trouver des gens qui répondent à ces normes. Par ailleurs, il n’y a pas beaucoup de programmes de formation — presque aucun — qui aideraient les autres à atteindre ce niveau pour l’instant.
Cela m’amène à ce dont je voulais vous parler ensuite, c’est-à-dire la matière que vous enseignez. J’aimerais que vous me parliez un peu du corps professoral chez vous. Combien y a-t-il d’étudiants inscrits aux programmes de langues de votre université?
À l’heure actuelle, notre corps professoral est quelque peu réduit par rapport à ce qu’il était auparavant. Lorsque je suis arrivé ici, il y a 24 ans, nous avions neuf professeurs. Nous avions trois instructeurs cris à temps plein et trois instructeurs saulteaux à temps plein. Nous avions trois linguistes à temps plein, dont moi-même. Nous avions recours à des chargés de cours pour d’autres cours en nakota et dakota, et à l’occasion des cours de déné dans le Nord.
Nous avons un certain nombre de programmes en cri et en saulteaux. De façon plus particulière, nous avons des programmes menant à l’obtention d’un diplôme et nous avons créé des classes, en plus des cours de base. Pour nos classes fondées sur la fluidité verbale, la demande n’était pas énorme parce que, essentiellement, soit nous recrutons des personnes qui parlent couramment la langue, soit nous recrutons des personnes qui ne la parlent pas du tout, ces derniers semblant pencher pour les cours de base. Même s’ils voulaient peut-être améliorer leurs compétences en communication orale, les locuteurs qui parlaient couramment n'étaient pas intéressés par les cours fondés sur la fluidité verbale, et c’est devenu un problème logistique d'offrir ces cours à un petit nombre.
Nous avons des programmes de mineure dans les autres langues parlées ici en Saskatchewan. Nous essayons de les élargir, mais pour l’instant, nous ne sommes plus que quatre au sein du corps professoral chez nous, soit deux linguistes, un instructeur cri, un instructeur saulteaux et divers chargés de cours pour les autres langues.
Le nombre d’inscriptions n’est pas élevé et, encore une fois, cela dépend en grande partie de la demande pour les compétences particulières que nous essayons de transmettre dans le cadre de notre programme.
Vous avez dit que vous aviez des programmes de mineure. Évidemment, il y a aussi des gens qui ont une majeure dans ces langues.
M. Arok Wolvengrey: Oui.
M. Blake Richards: Je sais que les chiffres ne sont pas élevés, mais de combien d’étudiants parlons-nous? Combien d’étudiants par année sortiraient avec un diplôme?
À l’intérieur du programme, le nombre est minime. Il y en a un ou deux par année pour le programme cri, et il arrive que des étudiants obtiennent un diplôme dans le programme en saulteaux. Essentiellement, il n'y a peu eu nécessairement de demande. Il est plus probable que les gens s'inscriront à la mineure. Nous avons des programmes d’enseignement où les enseignants sont autorisés à se concentrer sur la langue, ce qui nous permet aussi de former des professeurs de langue. Nous avons un programme de certificat préparatoire qui permet aux gens d’acquérir l’expertise nécessaire pour enseigner la langue, sans avoir à décrocher un diplôme d’études complet. Nous avons un certain nombre de choses de ce genre. Mais encore une fois, au cours des dernières années, nos programmes particuliers et notre université ont accusé un certain recul dans leur capacité d’offrir des programmes comme celui-ci.
Je vais m’arrêter ici.
[Français]
Meegwetch, monsieur le président.
[Le député s'exprime en cri.]
[Traduction]
Tout d’abord, Arok, je tiens à vous remercier de m’avoir appelé ministre Saganash. Bien que je ne sois pas ministre, je trouve que cela sonne bien.
Merci d’être parmi nous. J’ai écouté attentivement votre exposé et j’aimerais vous poser quelques questions.
Vous avez parlé du fait que les droits linguistiques des Autochtones sont déjà inscrits dans la Constitution canadienne. Pourriez-vous nous expliquer comment, selon vous, l’article 35 est lié à l’article 25 de la Constitution et à d’autres articles, notamment les articles 23 et 22?
Je ne prétendrai certainement pas être un expert des lois constitutionnelles, du point de vue de l'argumentation qui a été faite. J’ai mentionné que vous avez soulevé ces questions dans votre témoignage, et en parcourant brièvement ces articles, je constate que l’argument est valable. Il a été utilisé dans un certain nombre d’affaires judiciaires pour parler des droits linguistiques des Autochtones et des droits des Autochtones en général, et je pense certainement qu’il est aussi lié aux droits issus de traités. Rien dans les traités ne dit que nous allons cesser d’utiliser nos langues. De ce fait, je pense que notre capacité de communiquer dans notre langue n’est que l’un de nos droits inhérents. Il n’y a rien dans les articles qui abroge cela. En fait, un certain nombre d’articles parlent du fait qu’ils ne comportent rien qui abroge nos droits fondamentaux.
Dans votre travail de linguiste, avez-vous trouvé de nouveaux mots dans différentes langues algonquines?
Je vous ai donné l’exemple des Cris de l’Est. Je viens de la baie James, du côté du Québec. Je suis le premier Cri du nord du Québec à avoir été élu au Parlement, en 2011. Il est donc compréhensible qu’il n’y ait pas de mot pour « député » dans notre langue. Nous avons littéralement dû travailler avec les aînés pour déterminer le meilleur mot pour définir ce que fait un député, et c’est ainsi que nous en sommes arrivés à yimstimagesu.
Je crois fermement à la préservation et à la revitalisation des langues autochtones dans ce pays, mais je crois aussi à leur développement en fonction du contexte moderne dans lequel elles survivront et se développeront. Avez-vous trouvé dans votre travail des mots complètement inventés?
Absolument. On retrouve même des termes comme pimihakan pour « avion ». L’innovation est à l'ordre du jour.
Vous avez parlé de yimstimagesu. C’est ce que vos aînés ont inventé pour vous. J’ai posé une question à ce sujet.
En fait, nous avons un site cri avec le « mot du jour » sur Facebook, où plus de 10 000 personnes s'exprimant en cri fournissent de l’information ou aident les gens qui s'efforcent de récupérer la langue. Nous en avons discuté un peu. On a suggéré divers mots pour « gouvernement » et ses divers ordres, pour « orateur », pour « ministre » ou « député ».
Dans le cadre d’un autre projet, je crois que c’était en 2014, pour les Jeux olympiques d’hiver, nous avons entrepris un projet avec plusieurs locuteurs cris en Saskatchewan qui devaient participer à la télédiffusion des Jeux olympiques d’hiver. Nous avons eu une séance de quelques jours où nous avons parlé de divers sports olympiques en essayant de rassembler les mots que les gens utilisaient ou d’en trouver de nouveaux. Il y a certainement des choses de ce genre.
Feu Freda Ahenakew, kayâhtê, a travaillé sur divers projets, dont un dictionnaire de termes médicaux. Ce sont des travaux très importants qui sont réalisés dans certaines collectivités. Ce genre de dictionnaire a été produit à l'intention des Innus et des Cris de l’Est, et il nous permet d'apprendre comment aider les médecins et les infirmières à mieux interagir avec les gens en définissant la terminologie traditionnelle, mais aussi la nouvelle, par exemple, pour décrire des maladies que personne n’avait auparavant. Donc, oui, il y a beaucoup d'initiatives de la sorte dans diverses collectivités.
J'estime que ces travaux seront souvent importants, surtout pour l’avenir de cette institution. La première question que j’ai posée lorsque j’ai été élu en 2011 a été de savoir si j’avais le droit de parler ma langue, de poser mes questions et de faire mes discours en cri. On m’a répondu que non à l’époque, mais je pense que nous y arrivons lentement.
Saviez-vous que la Déclaration des Nations unies sur les droits des peuples autochtones a été traduite dans plus de 50 langues autochtones?
Je savais que c'était le cas, mais je n’étais pas au courant du nombre exact de langues. Voulez-vous dire 50 langues autochtones au Canada ou dans le monde?
Dans le monde entier.
Enfin, comme je ne compte pas me porter candidat de nouveau en 2019, je suppose que je peux toujours revenir ici traduire la procédure et les usages de la Chambre des communes. Comme de raison, il y a beaucoup de mots dans cet ouvrage qui n’existent pas en cri. Nous avons encore beaucoup de travail à faire. Je vous remercie de votre contribution à ce comité.
Merci.
C’est un plaisir de vous revoir. Vous avez parlé de la page Facebook. Pendant que vous parliez à M. Saganash, j’ai jeté un coup d’oeil au message que vous y avez affiché il y a deux ou trois jours, où vous demandiez justement comment appeler un député en cri. Je remarque que vous avez obtenu pas mal de réponses. Pouvez-vous nous en dire un peu plus à ce sujet?
Bien sûr. Il y a des mots que l'on y retrouve souvent, et il y a des variations.
L’un d’eux, très fondamental, est Okimaw, qui veut dire leader ou chef traditionnel. Il a été utilisé à différents niveaux. Il peut être modifié et devenir Okimakanak en okimaw, ce qui désigne quelqu'un d'originaire du territoire ou qui est élu. C'est tout simplement utilisé comme sîpiy, qui veut dire rivière, et sîpîhkân, canal.
Okimakanak a été utilisé pour traduire « représentant élu ». On a tendance à s'en servir pour désigner le chef de la bande et du Conseil, avec des variantes. Okimaw a également été utilisé pour désigner le premier ministre; et kihcôkimâw pour « ro » et « grand chef ».
Okimakanak et kihcôkimâw ont été utilisés tous deux pour « gouvernement », plus précisément pour désigner le gouvernement canadien. Certains ont laissé entendre que si nous utilisions Okimaw pour « premier ministre », nous pourrions garder le diminutif okimâsis pour « député ». C'est aussi le nom de famille de mon épouse. Il y a encore des variations, et certains ont proposé que l'on poursuive dans la même veine, ajoutant de nouveaux diminutifs pour les gouvernements provinciaux, les députés à l'Assemblée législative, et ainsi de suite.
Un autre mot couramment utilisé est nîkân, qui veut dire « être en tête ». On peut aussi s’en servir dans le temps pour parler de l’avenir, mais onîkânew veut dire « chef », et onîkânohtêw signifie littéralement « celui qui marche en tête comme leader ». Un terme souvent utilisé pour marquer les hiérarchies dans les entreprises et bureaux est nîkânapiw, qui veut dire « celui qui est assis à la tête », voilà donc une autre variation.
Mais il y en a d'autres. Owiyasiwêw est « celui ou celle qui fait la loi ». Par conséquent, owiyasiwêw a été utilisé pour « juge », « avocat », mais aussi pour « représentant élu », parmi d'autres variations. Oyasowewiyiniw ou « conseiller de la bande » est l'un des termes les plus courants.
L’expression que M. Saganash utilise et que ses aînés ont inventée signifie « parler au nom d'autrui ». C’est un usage assez courant également, bien que, dans la plupart des dialectes, la racine e-yamit, « parler », persiste sous diverses formes, les Cris-des-Plaines n’utilisent plus ce mot dans ce sens. Il faudrait le remplacer par pekiskwewin, « parler », et opîkiskwestamâkew, « celui qui parle au nom d'autrui ». Ce sont les principales expressions.
Une dernière a été utilisée par M. Ouellette dans son témoignage, à savoir « otapapistamkew », qui veut dire littéralement « quelqu’un qui est assis pour autrui ». On peut l’utiliser pour parler de la relève, mais en l'occurrence, il peut aussi s’agir de « siéger à la place d'autrui comme son représentant ».
Vous avez mentionné qu’un mot n’est plus utilisé. Cela m’amène à une autre question, que j’ai depuis longtemps, bien avant d’être député. Lorsque j’étais plus jeune, j’avais entendu dire que l’ajout d’un système d’écriture avait changé l’évolution des langues autochtones au Canada. Pouvez-vous nous en parler un peu?
Eh bien, je n’en suis pas certain. Les sentiments sont plutôt partagés au sujet de l’écriture. Évidemment, il s’agissait principalement de langues orales, comme c’est le cas de toutes les langues dans le monde, à l’exception de celles qui sont conservées uniquement par écrit. La parole, la langue orale, est certainement primordiale et c’est ce qui est le plus préoccupant. Certains croient que l’écriture peut aider à conserver les langues. Pour d’autres, ce n'est pas une priorité. Il y a cette tension potentielle.
Lorsque nous mettons en place un système d’écriture, bien sûr, l’alphabet devient la principale question, et nous nous demandons si nous allons normaliser cet aspect. L’autre aspect, c’est que lorsque nous voyons un mot écrit comme nous pourrions écrire tous nos documents ici à l’Université des Premières Nations, d’autres qui n’ont pas de formation dans ce système d’écriture peuvent se dire que cet alphabet ne reflète pas leur façon de parler. Mais bien sûr, on pourrait faire la même remarque si on voit de l'anglais ou du français écrit sans savoir comment le prononcer; nous pourrions ne pas comprendre ou mal interpréter ce qui y est dit.
L'écriture des langues est un point très important, qui ne manquera pas d'être abordé dans la logistique également, lorsque nous allons au-delà de l’interprétation orale et que nous devons tenir un registre normalisé des délibérations dans ces langues. Cependant, en tant qu’outil, elle peut aider à unifier les dialectes d'une langue donnée, car l'usage d'un style normalisé qui ne reflète pas nécessairement les sons exacts de chaque dialecte, accompagné d'une éducation et d'une formation dans le système d’écriture, peut aider à unir les divers dialectes. En définitive, un seul système d’écriture pourrait être plus utile à cette fin que l’écriture phonétique pour chacun des dialectes.
Ai-je raison, monsieur le président, de dire que nous avons cinq minutes pour ce groupe de témoins?
Le vice-président (M. Blake Richards): C’est exact.
M. Scott Reid: Merci.
Bienvenue à notre invité.
Je voulais simplement faire remarquer, comme point de départ, que le débat sur le bien-fondé de la langue écrite par opposition à la langue orale est un débat qui remonte à la culture occidentale, que nous connaissons grâce à l'écriture et qui n'aurait eu aucune raison d'être avant l'existence de celle-ci. C’est en grande partie ce qui se passe dans le dialogue socratique. Socrate s'exprimait oralement et avait des réserves au sujet de cette nouvelle écriture. Ses disciples, Platon et Aristote, tout en se rangeant à son avis sur bien des choses, étaient en désaccord avec lui sur ce point, et c’est probablement la raison pour laquelle nous savons que Socrate a existé. S’il avait emporté la partie, on ne saurait peut-être rien de son existence. C’est une bataille qui se livre dans bien des cultures à partir du moment où elles élaborent un système écrit.
Voilà qui soulève deux ou trois questions, et je pense que les miennes porteront entièrement sur la langue ou le groupe de langues cries. Y a-t-il un seul système d'écriture pour tout ce qui peut être classé comme cri ou, à l'instar des Inuits, avez-vous des systèmes différents? Ils ont des caractères syllabiques pour l’est de l’Arctique et un alphabet pour l’ouest. Qu'en est-il pour les Cris?
C’est très semblable, car il y a deux systèmes d'écriture. Le système syllabique est en place et il est utilisé pour certains dialectes ou certaines collectivités ou régions cries qui le préfèrent au système alphabétique, qui se présente sous diverses formes, certaines s’adaptant plus directement à l’orthographe de l’anglais ou du français. Il y a ce que nous appelons de façon optimiste l’alphabet latin standard pour les Cris, qui existe depuis une bonne quarantaine d'années et qui a vu le jour la suite d’une réunion des Cris de l’Ouest à Edmonton en 1973, où l'on a adopté une variante d’un système d’écriture qui avait été proposé des décennies plus tôt.
Une bonne partie de la documentation que nous essayons de produire à l’Université des Premières Nations, à l’Université de l’Alberta, et ailleurs, suit ce système d’écriture. Il y a des documents qui ont été utilisés ou qui ont été produits dans ces systèmes d’écriture dans la plupart des dialectes occidentaux. Les dialectes de l’Est utilisent une forme légèrement différente pour la plupart. Le système est adaptable, avec des variations mineures partout au pays. Le dialecte occidental en est un.
La raison pour laquelle c’est important, c’est que c’est la seule langue ou la seule série de dialectes — je ne suis pas certain du terme qui convient — pour lesquels nous risquons de rencontrer le phénomène d’avoir plusieurs députés en même temps. On peut facilement imaginer qu’il y ait un seul locuteur inuktitut, mais il n’y a en réalité qu’un seul territoire, et donc une seule circonscription qui a pour langue l’inuktitut. Il en va de même pour les autres langues, à l’exception du cri.
Dans cette situation, deux questions se posent, à savoir s’il faut employer plusieurs traducteurs ou s'il suffit d'un seul quand vous avez des gens provenant de différentes régions du pays où les locuteurs de langue crie travaillent comme députés. Si nous essayons d’avoir un hansard, comment devrait-il être transcrit? C’était un problème pour l’Assemblée territoriale du Nunavut, qui a opté pour un seul système — le syllabique — pour ses traductions en inuktitut, au lieu de l’alphabet latin utilisé dans la partie ouest du territoire. Qu’en pensez-vous?
Je crois que le traducteur actuel, qui traduisait pour M. Saganash, a fait un excellent travail. Je sais qu’il vient du nord-ouest de la Saskatchewan et qu’il a parfaitement bien compris le discours de M. Saganash, du Québec. Il est prometteur de savoir qu’il y a des gens capables de s’adapter si bien.
Il faudrait poser la question aux personnes qui ont cette compétence, mais je pense qu’il serait probablement préférable d’avoir au moins deux ou trois régions différentes parmi lesquelles nous pourrions choisir, soit l’ouest le plus éloigné, l’est le plus éloigné et peut-être quelque chose de plus central. Or, comme pour le vocabulaire, il s’agirait d’avoir des conseils d’aînés qui pourraient se réunir et discuter des distinctions entre les langues et voir ce qui leur conviendrait le mieux.
Pour ce qui est des systèmes d'écriture, nous continuons de débattre ici les diverses forces et faiblesses de chacun. Le système syllabique est fortement axé sur la phonétique et on écrit comme ça se prononce, de sorte que les gens écrivent les mots de façon légèrement différente, et il n’y a jamais vraiment eu de normalisation à cet égard, qu’il s’agisse de marquer les voyelles longues pour les distinguer des voyelles courtes ou d'une variété d'aspects qui n’ont tout simplement pas été normalisés. Comme je l’ai mentionné, les perspectives de normalisation pour le système syllabique sont bien moindres que pour l’alphabet latin. Beaucoup de matériel a aussi été produit en innu, qui a essentiellement un alphabet standard.
Il s’agirait peut-être d’utiliser l'alphabet latin pour les dialectes occidentaux, à l’exclusion de l'atikamekw, qui a son propre système d’écriture — je ne voudrais pas essayer d’imposer quoi que ce soit aux Atikamekw — et ensuite un système plus oriental pour les Innus, et ainsi de suite.
Il y a des solutions, mais la participation de la collectivité et des aînés s'avère essentielle.
Merci, monsieur le président, et merci, monsieur Wolvengrey, de votre témoignage aujourd’hui. C’est très utile.
Vous avez dit, entre autres, que votre corps professoral est presque réduit de moitié; au cours des 20 dernières années, vous êtes passés de neuf à quatre. En marge de la question de vos droits dans ce contexte, puisque le député Saganash et d’autres témoins ont déjà présenté cet argument, voyez-vous une incidence sur la vitalité de la langue, c'est-à-dire si elle survit du fait qu’elle est présentée à la Chambre des communes?
Oui, je la vois.
Tout le mouvement de revitalisation des langues que nous voyons aujourd’hui, le retour à la langue, se heurte encore à de nombreux obstacles. Moins il y en aura, ou plutôt, plus nous verrons des histoires et des signes positifs, plus nous avancerons.
Une grande partie de ce que nous entendons aujourd’hui est une réaction face aux sentiments négatifs alimentés contre les langues autochtones, même chez les locuteurs qui sont fiers de leur propre langue, mais qui ne la transmettraient pas à leurs enfants sous prétexte de leur éviter de vivre des expériences comme celles qu'ils ont vécues eux-mêmes dans les écoles. Cette mentalité est toujours vivante. Il y a des jeunes qui ne voient pas l'intérêt d'une langue qui n'est utilisée nulle part.
Plus nous pouvons fournir des endroits où elle est utilisée et respectée, plus nous pourrons montrer aux jeunes qu'ils peuvent faire tout autant dans leur langue maternelle, la langue des leurs, qu'en utilisant l’anglais ou le français. Cela ne fera que renforcer l’importance d’une langue et en rehausser le prestige.
C’est un autre domaine où le système d’écriture peut intervenir. À l’heure actuelle, la plupart des gens ne peuvent pas voir les écriteaux dans leur langue. Vous savez à quel point c’était important au Québec. C’est un autre facteur. Comme on l’a souligné dans l’un des témoignages précédents, je crois, si les ministres commencent à parler leur langue autochtone à la Chambre, cela incitera d’autres personnes à continuer d’utiliser leur langue et peut-être à vouloir se présenter aux élections et à être fiers de pouvoir s'exprimer dans leur langue. Cela inspirera d’autres personnes dans leur collectivité et ailleurs.
Je pense que c'est cela de gagné chaque fois que nous pouvons entendre et voir la langue autochtone utilisée, et c’est une mesure très positive de la part de la Chambre des communes.
Quelle est votre population étudiante à l’heure actuelle? Combien d’étudiants étudient les langues autochtones?
Ils ne les étudient pas dans le cadre d'un programme de majeure ou de mineure, mais nous avons habituellement sur le campus, ici à Regina, quelque 150 étudiants en cours d’initiation à chaque session, sur les 1 000 étudiants autochtones que nous avons à l’Université des Premières Nations et les14 000 qui fréquentent l’Université de Regina. Nous enseignons également sur nos campus satellites à Saskatoon et à Prince Albert. Il y a environ 200 personnes par trimestre qui suivent des cours de cri, et quelques autres des cours de saulteaux, nakota et dakota.
Nous offrons deux cours d’introduction. En raison des exigences linguistiques des diverses facultés, de 50 à 75 % d’entre eux suivent les deux cours d’introduction, mais ils ne sont plus que 10 à 15 %, la deuxième année.
Qu’est-ce qui motive maintenant les élèves à opter pour les langues autochtones? Que pensez-vous que le gouvernement fédéral pourrait faire pour encourager plus d’étudiants, à part introduire les langues à la Chambre des communes?
Je pense que l’une des raisons pour lesquelles les étudiants prennent ces langues, c’est qu’ils essaient simplement de renouer avec leur famille, avec leur culture. Il y a un désir très fort de renouer avec ces choses et la langue est le moyen de le faire. C’est la principale motivation.
Nous remarquons également que de nombreux étudiants non autochtones prennent au moins les cours d’introduction simplement parce qu’ils sont intéressés par une meilleure connaissance de ces langues.
Ce que le gouvernement fédéral peut faire, je crois, c’est donner suite à bon nombre des recommandations de la Commission de vérité et réconciliation qui portent sur la langue. Il y a la Loi sur les langues autochtones, dont nous avons entendu parler et qui s’en vient.
Bon nombre de ces recommandations portaient sur le droit à la langue dans les écoles ou dans les établissements d’enseignement postsecondaire, comme dans le cas de notre institution qui appuie les langues par des programmes. Toutefois, cela va aussi au financement. La réduction du nombre de nos professeurs s’explique en grande partie par les difficultés qu’éprouvent les universités partout au pays en matière de financement.
Chez nous, à l’Université de Regina, nous avons privilégié les cours d’introduction pour les étudiants nouvellement inscrits. Notre situation financière ne nous permet pas vraiment d'élargir ces programmes ou d'offrir des bourses à des personnes qui les parlent couramment et qui aimeraient devenir enseignants.
Il y a toutes sortes de choses liées à l’éducation pour lesquelles le soutien du gouvernement fédéral serait essentiel.
Avant de terminer, passons rapidement à un tour informel si quelqu’un a une question qui n’était pas prévue.
Ministre Saganash.
Des voix: Oh, oh!
Dans votre exposé, vous avez mentionné certains des défis que nous devrons surmonter pour introduire les langues autochtones au Parlement. Y en a-t-il d’autres que vous aimeriez aborder avec nous?
Parlez-vous d’autres défis? Je suppose qu’au bout du compte, il serait merveilleux que toutes les langues du Canada soient représentées d’une façon ou d’une autre. Les langues sont extrêmement menacées et nous entendons toujours dire que le cri, l'ojibwa, l'anishinaabemowin et l’inuktitut sont les plus sûres. On a aussi tendance depuis peu à y ajouter le déné parce que l'on a constaté que, bien qu’il n'y ait peut-être que 10 000 ou 11 000 locuteurs qui la parlent couramment, il y a encore rétention de la langue dans ces communautés et des enfants qui l’apprennent. Dans de nombreuses collectivités, il ne reste que très peu de locuteurs et de locuteurs âgés et la langue n’est pas transmise.
L’un des défis, c’est que nous ne serons peut-être pas en mesure d’agir à temps pour en arriver au point où les 60 langues seront toutes représentées, parce que nous pourrions en perdre beaucoup. Il ne s’agit pas seulement d’introduire les langues à la Chambre des communes; il s’agit de s’assurer que ces langues sont toujours là pour qu’elles puissent un jour faire leur entrée à la Chambre des communes.
Il est donc important, je dirais, de reconnaître et d’avoir des institutions comme le Parlement du Canada qui utilisent les langues autochtones. Cela a certainement un effet positif avec le cri. Le gouvernement régional du Nord du Québec fonctionne dans trois langues officielles: le cri, le français et l’anglais. Cela fonctionne très bien. En fait, j’ai invité le Comité à envisager d’inviter des représentants du gouvernement régional cri à témoigner dans le cadre de cette étude.
C’est pourquoi j’ai soulevé d'emblée la question du statut constitutionnel des langues autochtones. Cela fera la différence entre l’utilisation symbolique des langues autochtones au Parlement et la reconnaissance officielle des langues autochtones comme ayant un statut et ayant une place dans ce pays égale à celle du français et de l’anglais.
Merci de votre exposé.
Merci, monsieur Wolvengrey, d’être parmi nous aujourd’hui. Nous vous sommes très reconnaissants d’avoir pris le temps de venir nous rencontrer et nous avons hâte de travailler avec vous à l’avenir.
[Le témoin s’exprime en cri, l’interprétation suit:]
Je vous remercie tous.
Je vous suis reconnaissant à tous.
Mahsi.
Mesdames et messieurs les membres du Comité, avant de suspendre la séance pendant une minute pour permettre à nos autres témoins de s’installer, à notre retour, l’APN aimerait avoir une séance photo. Normalement, nous ne le faisons pas pendant les délibérations, alors nous allons nous organiser comme si nous avions commencé, mais nous n’aurons pas officiellement commencé, simplement pour qu’ils puissent prendre des photos, si tout le monde est d’accord.
Bienvenue à la 99e séance du Comité.
Nous sommes sur le territoire traditionnel des Algonquins anishinaabe.
Notre deuxième groupe de témoins est accompagné du chef national Perry Bellegarde de l’Assemblée des Premières Nations. Il est accompagné de Miranda Huron, directrice des langues, et de Roger Jones, conseiller spécial du chef national.
Ellen Gabriel comparaît également par vidéoconférence de Kanesatake.
Merci.
[Le président s’exprime en cri.]
Pour la première fois, nous aurons l’interprétation en anglais, en français et en cri. Ce sera un peu compliqué s’il y a des pépins. Nous avons appris quelques mots en cri au cours de la dernière heure.
Nous sommes heureux d’accueillir le chef national. Je sais que c’est un homme très occupé.
Je vous invite à faire votre déclaration préliminaire.
Merci, monsieur le président et Ellen.
[Le témoin s’exprime en cri, l’interprétation suit:]
Je parle un peu le cri.
Je suis très reconnaissant. Je vous remercie tous, mes amis, mes parents, les hommes, les femmes, vous tous. Je vous remercie tous.
Je suis le chef Child Thunderbird. Je suis de Little Black Bear. Je remercie notre Créateur.
[Traduction]
C’était un petit bout en cri et vous aviez la traduction.
Nous n’avons pas le nakota, mais je vais dire quelque chose.
[Le témoin s’exprime en nakota.]
C’était aussi un petit bout en nakota. Nous sommes une tribu Cri Assiniboine de la région de Little Black Bear.
[Le témoin s’exprime en cri.]
Je suis heureux d’être ici. Vous avez déjà entendu que je vous ai remercié tous les amis et les parents, ainsi que les hommes et les femmes qui sont ici, et je remercie le Créateur pour cette belle journée.
Je parlerai lentement à cause de la traduction.
Je remercie les membres du Comité de m’avoir invité à faire part du point de vue de l’Assemblée des Premières Nations sur l’utilisation des langues autochtones dans les délibérations de la Chambre des communes.
Aujourd’hui, je parlerai de deux choses, d’abord, de l’état des langues des Premières Nations et du contexte constitutionnel actuel, de la réconciliation et l’élaboration conjointe en cours d’un projet de loi sur les langues des Premières Nations, des Inuits et des Métis; et, ensuite, de cette étude sur l’utilisation des langues autochtones à la Chambre des communes en général et en particulier de la perspective d’introduire l’interprétation simultanée lorsque les langues autochtones sont parlées pendant les délibérations parlementaires.
Je comprends que c’est le problème ici, que d’autres langues, en plus de l’anglais et du français, peuvent être utilisées dans les débats, mais le Président se soucie du maintien de l’ordre dans de tels débats.
Votre intérêt pour la revitalisation de nos langues est le bienvenu. Je vais d’abord vous parler du contexte actuel, de la réconciliation et de la revitalisation linguistique.
Depuis les années 1940, les Premières Nations se disent préoccupées par le déclin de leurs langues et, depuis les années 1980, l’Assemblée des chefs des Premières Nations a adopté pas moins de 18 résolutions demandant des mesures immédiates pour préserver nos langues. En 2015, l’Assemblée des Premières Nations a réitéré cet appel dans son document « Combler l’écart ». C’est un document dont je me sers pour influencer les programmes du Parti libéral, du Parti conservateur, du NPD et du Parti vert. Et je m'en servirai bientôt encore à l'occasion des élections qui s'en viennent en octobre 2019, alors il s’agira de « Combler l’écart 2 » ou de quelque autre document servant à influencer les programmes politiques.
En décembre 2016, le premier ministre Trudeau a annoncé aux chefs en assemblée et à l’ensemble du Canada que le gouvernement allait adopter une loi sur les langues autochtones, élaborée en collaboration avec les peuples autochtones, dans le but d’assurer la préservation, la protection et la revitalisation des langues des Premières Nations, des Métis et des Inuits au Canada.
Le travail à la table d’élaboration conjointe d’un projet de loi sur les langues des Premières Nations, des Inuits et des Métis va bon train. Le ministère du Patrimoine canadien, l’Assemblée des Premières Nations, l’Inuit Tapiriit Kanatami et le Ralliement national des Métis ont entrepris cette importante initiative. Les efforts concertés de revitalisation appuyés par les gouvernements sont essentiels, car aucune langue autochtone au Canada n’est en sécurité.
Les Premières Nations appuient fermement un cadre législatif visant à promouvoir la revitalisation, le maintien, la protection et la promotion de plus de 58 langues autochtones distinctes et de plus de 90 dialectes distincts.
Le droit de parler nos langues est un droit constitutionnel et humain inhérent. L’article 35 de la Loi constitutionnelle du Canada affirme les droits linguistiques des peuples autochtones. Nos droits linguistiques sont renforcés par les traités, dont certains comportent des dispositions en matière d’éducation. Dans mon cas, c’était: « Lorsque les Indiens seront prêts à s’installer dans la réserve, nous fournirons une petite école de briques rouges et enseignerons à vos enfants la ruse de l’homme blanc. » Qu’est-ce que cela veut dire? L’esprit et l’intention de l’éducation, cela veut-il dire de la maternelle à la 12e année? Nous n’avons pas demandé de pensionnats. Nous avons demandé des écoles, l’esprit et l’intention de l’éducation.
Le Canada en tant que nation a été en partie formé grâce à ces traités de nation à nation avec notre peuple. Les langues autochtones ont été utilisées lors de la conclusion de ces traités, par exemple lors des relations diplomatiques à la fin du XIXe siècle, au cours desquelles des traités ont été conclus, y compris les traités victoriens, les traités numérotés. Nous avons aussi le Traité Robinson-Huron. Nous avons les traités antérieurs à la Confédération, le traité wampum à deux rangs, les traités Douglas. Nos langues autochtones ont été utilisées.
C’est pourquoi nous disons dans les traités numérotés namoya ninistohten; je ne comprends pas cede, surrender et relinquish. Je ne comprends pas cette ligne dans nos traités.
En juin 2008, dans le cadre des excuses présentées aux survivants des pensionnats indiens, le gouvernement fédéral a reconnu l’impact durable et profondément dommageable qu'ont eu les pensionnats indiens sur la culture des Premières Nations, non seulement sur notre culture, mais aussi sur notre patrimoine et nos langues. Le processus de perte de nos langues n’est pas le résultat de l’indifférence; leur transmission a été et est activement interrompue par les politiques gouvernementales au Canada. Aujourd’hui, le nombre d’apprenants en langue seconde témoigne de notre engagement indéfectible envers nos langues.
Le rétablissement de nos langues joue un rôle important dans la réconciliation et la guérison. Les appels à l’action 13 à 17 de la Commission de vérité et réconciliation portent spécifiquement sur nos langues et nos cultures. Dans ces appels et les appels à l’action sur l’éducation, la réconciliation, les médias et la représentation, la CVR décrit divers aspects de la protection et de la revitalisation des langues. Ces appels à l’action reflètent l’alinéa 2b) de la Charte canadienne des droits et libertés.
La Déclaration des Nations unies, dans ses articles 13 et 14, affirme nos droits. Je vous rappelle que le Canada a exprimé son appui inconditionnel à la Déclaration des Nations unies et à sa mise en oeuvre intégrale. En septembre 2017, dans son discours à l’Assemblée générale des Nations unies, le premier ministre Trudeau a réaffirmé l’engagement du gouvernement à élaborer « de concert avec nos partenaires autochtones des programmes visant à assurer la préservation, la protection et la revitalisation des langues métisses, inuites et des langues des Premières Nations » et à « travailler sans relâche [...] pour corriger les injustices du passé... ».
Une première étape essentielle pour reconnaître et respecter ces droits est de revitaliser les langues autochtones. La situation des langues autochtones varie d’une région à l’autre du Canada. Certaines n’ont qu’une poignée de locuteurs de langue maternelle ou qui la parlent couramment, tandis que d’autres sont beaucoup parlées. Si j’ai bien compris, il faut compter 25 ans ou plus d'efforts résolus et concertés pour augmenter le nombre de locuteurs, quel que soit le lieu ou la langue considéré. La grande majorité de nos langues ont besoin de ces efforts maintenant, car il s’agit de promouvoir une bonne maîtrise de la langue.
En reconnaissant et en respectant activement nos droits, nous pouvons revitaliser nos riches et vibrantes cultures, langues et histoires pour les partager avec nos enfants et avec tous les Canadiens. Nos langues sont le réceptacle de nos traditions, nos connaissances et nos visions du monde. Nous devons transmettre ces connaissances aux jeunes générations et reconstituer une masse critique de locuteurs.
À ce sujet, cependant, pour s'en tenir aux langues, des études ont montré que lorsqu’ils parlent couramment, les enfants savent qui ils sont et d’où ils viennent. Ils réussissent donc mieux à l’école et donc mieux dans la vie. Même ce projet de loi sur la langue et la revitalisation des langues autochtones est un investissement dans le capital humain. C’est essentiel pour combler l’écart et favoriser la réconciliation au Canada.
Nous comprenons que cette étude porte sur l’utilisation et l’interprétation simultanée des langues autochtones à la Chambre des communes. L’Assemblée des Premières Nations appuie-t-elle les députés des nations qui veulent utiliser leur langue? Oui, nous appuyons cela. Parler à la Chambre des communes dans la langue de leur première nation est un droit constitutionnel.
Quelqu’un a demandé tout à l’heure en quoi cela aidera à ce que la langue soit mieux parlée. C’est une question de sensibilisation, d’éducation et de promotion. La vitalité et le fait que la Chambre des communes dise que c’est important se refléteront et auront une incidence sur les politiques, les lois et les programmes non seulement actuels, mais ati-nîkân aussi futurs. Il est donc très important que cela se fasse.
Permettez-moi de dire un mot à propos de vos craintes. Nous comprenons les préoccupations pratiques associées à cela.
La Chambre des communes ne comptera jamais que quelques députés des Premières Nations qui parlent couramment leur langue.
À l’heure actuelle, il y en a trois à ma connaissance: Roméo Saganash, Cri, qui parle un dialecte légèrement différent, que nous pouvons comprendre; Robert-Falcon Ouelette, Cri des Plaines — il est de Red Pheasant, et nous pouvons comprendre; et Georgina Jolibois, Déné.
[Le témoin s’exprime en déné.]
J’aime toujours dire ça « peuple du pays ». Nezo est bon.
Il y a trois députés.
Étant donné le nombre relativement peu élevé de locuteurs compétents de la plupart de nos langues, nous savons qu'il ne serait pas réaliste aujourd'hui de prétendre fournir systématiquement la traduction et l’interprétation dans toutes les langues des Premières Nations. Nous savons que la plupart de nos langues ont besoin d’une approche holistique des efforts concertés de revitalisation, de l’immersion pour adultes à l’enseignement préscolaire en passant par les programmes de maître-mentor-apprenti et les maisons de langue, tous conçus pour revitaliser nos langues dans des contextes particuliers.
Nous devons produire des locuteurs de langue seconde qui, à leur tour, rétabliront la façon naturelle dont la langue est enseignée à la maison et dans les collectivités, puis renforcée dans les établissements d’enseignement. Cependant, certaines langues ont déjà la chance d'être dans la phase de maintien de la langue et méritent d’être utilisées dans nos institutions publiques comme langues de travail. Cela mérite d’être appuyé. Nous sommes au courant de l’aspect pratique de la question et, ensemble, nous trouverons la façon de procéder.
Le Parlement est un endroit pour assurer la parité et la reconnaissance de nos langues. Comme l’ont décrit divers témoins et dans la séance d’information, il existe des précédents nationaux et internationaux qui pourraient servir de ressource utile. La représentation des langues autochtones à la Chambre démontrerait l’engagement du Canada à représenter tous les Canadiens, et plus particulièrement les Premières Nations en tant que peuples d'origine.
J’ai toujours dit que nos langues autochtones au nombre de 58 au moins devraient être considérées comme des trésors nationaux du Canada. On ne les parle nulle part ailleurs. Il n’y a pas de grande langue appelée Nakota ou de pays appelé Nakota ailleurs dans le monde. Ici, c’est parlé. Le déné, le blackfoot, le micmac: il y a tellement de belles langues en plus de l’anglais et du français. Il y a une belle langue anglaise, une belle langue française, mais nous avons plus de 58 langues autochtones qui devraient vraiment être considérées comme des trésors nationaux du Canada.
L'utilisation des langues autochtones à la Chambre des communes devrait compléter l’orientation stratégique et le travail en cours pour élaborer le projet de loi sur les langues autochtones. Étant donné qu’aucune langue autochtone n’est sûre, la revitalisation et le rétablissement sont la priorité. Au fur et à mesure que le nombre de locuteurs qui parlent couramment augmentera, j’espère que le nombre de voix autochtones au Parlement augmentera également.
Je viens de faire un exposé au Sénat. Un sénateur est Micmac. Aucun député ne parle micmac à la Chambre des communes. Il y a un député non autochtone qui parle un peu mohawk. Il était ici. Je ne sais pas où il est, mais il parlerait mohawk. C’est bien. Je dis toujours que l’intégration peut aller dans les deux sens. C’est une bonne chose.
Nous nous réjouissons à la perspective de poursuivre la collaboration avec Patrimoine canadien, ITK et RNM alors que nous passons aux prochaines tâches relatives à la législation sur les langues autochtones, y compris la consolidation des propositions de législation, la détermination des répercussions sur les politiques et les programmes, la tenue d’autres séances de mobilisation directe au cours de l’été, la corédaction d’un document de décision commun établissant notre compréhension commune des objectifs et des options stratégiques et législatifs et la justification à l’appui des décisions éventuelles du Cabinet fédéral et des dirigeants autochtones.
Nous voulons que ce projet de loi soit déposé en septembre ou en octobre de cette année. Nous sommes bien conscients qu’il y aura des élections en octobre 2019. Nous ne voulons pas que ce projet de loi sur les langues autochtones s'enlise quelque part dans le système. Nous voulons qu’il soit présenté et adopté, à l’unanimité, je l’espère, à la Chambre des communes et au Sénat. Nous voulons que cela se fasse.
Parmi les recommandations, la première est que le Comité permanent de la procédure et des affaires de la Chambre trouve le juste équilibre entre, d'une part, le désir de rehausser le profil des langues autochtones en les présentant à la Chambre des communes comme les langues originales du Canada et, d'autre part, les aspects pratiques liés à la prestation de services de traduction et d’interprétation, que nous pouvons résoudre ensemble.
Appuyer la revitalisation et la normalisation — le mot important est « normalisation » — des langues autochtones sera une étape importante dans une réconciliation effective entre le Canada et les Premières Nations.
Sur ce, je vous remercie, Kinanaskomitin. Je suis prêt à répondre à vos questions.
Ekosi. C’est tout.
Mahsi cho.
Nous passons maintenant à Mme Gabriel. Avez-vous un exposé préliminaire à nous présenter?
[Le témoin s’exprime en mohawk.]
Je serai brève. Ne paniquez pas. Je vais traduire ce que je viens de dire. C'est simplement un salut dans ma langue. Je fais partie du clan de la Tortue de Kanesatake, la nation Kanienkehaka. En cette belle journée, je voulais saluer toutes les forces naturelles de la vie, le Créateur et la terre mère.
Je vous remercie de m’avoir invitée à parler de cette question importante. Je travaille dans le domaine de la langue et de la culture, ici à Kanesatake. C’est mon travail quotidien. En dehors de mon travail, je suis une militante.
Comme le chef Bellegarde l’a dit, ce sont des enjeux très importants de la réconciliation. Il serait important que le gouvernement adopte une politique permettant aux parlementaires autochtones de s’exprimer dans leur langue maternelle.
Comme je l’ai dit, les appels à l’action de la CVR font valoir l’utilisation des langues autochtones au pays. De plus, de nombreux organismes internationaux créés par traité et voués à la défense des droits de la personne exigent que tous les États membres de l’ONU prennent des mesures en collaboration avec les peuples autochtones pour mettre en oeuvre la Déclaration des Nations unies sur les droits des peuples autochtones.
Je sais que le Parlement est aux prises avec la question de savoir comment mettre en oeuvre cet important instrument international des droits de la personne dans tous les aspects de la Constitution, mais compte tenu de la situation actuelle et de l’état de nos langues, c'est urgent. Ces mêmes organismes ont rappelé à maintes reprises aux États que la réforme des lois et des politiques aide les États à se conformer aux normes internationales en matière de droits de la personne. Premiers peuples de ce pays, les peuples autochtones ont vu l’essence même de leur identité compromise par la colonisation et l’assimilation. L’un des fondements de cette identité était notre langue, nos langues maternelles, qui ont été dévalorisées et dont on tient généralement compte après coup dans ce qui compose le droit des peuples autochtones à l'autodétermination.
Nous sommes encore aux prises avec les effets des pensionnats indiens dans nos collectivités. Bien que cette discussion vise à aider les députés autochtones à s’exprimer dans leur langue, on pourrait penser que, dans un pays qui prétend défendre les droits de la personne, la discussion serait brève, et le droit serait accordé sans objection dans la perspective d'une réconciliation pour les peuples autochtones et les parlementaires élus pour les représenter.
Évidemment, tout a un prix. Nous le savons trop bien grâce à l’expérience de la Loi coloniale sur les Indiens, qui a des répercussions sur la réalité des peuples autochtones. Des millions d’Autochtones qui ont fréquenté des pensionnats indiens ou qui sont des survivants intergénérationnels ont eu honte d’apprendre leur langue. Mais il est important que les enfants et les jeunes qui sont immergés dans une société mondialisée, totalement axée sur Internet et sur ce qui s'y dit, entendent leur propre langue parlée à l’intérieur de ces murs.
Pour ce qui est de cet aspect de la réconciliation, les discussions sur les langues autochtones au Parlement sont essentielles à l’esprit de réconciliation à l'égard du passé colonial génocidaire du Canada. La réconciliation doit se faire avec sincérité, respect et honneur, et non pas en remballant l’assimilation et la colonisation dans un ensemble plus élégant et soigné. Les peuples autochtones ont encore beaucoup de problèmes à régler, et nous essayons de défaire les chaînes de l’assimilation et de la colonisation.
Au moment où nous faisons face à des défis comme les changements climatiques, ces démarches complexes dans nos langues enrichiront les discussions au Parlement grâce au fait que les parlementaires autochtones utiliseront leur langue, parce que nos langues ne sont pas vagues. Elles sont une mine de savoir traditionnel autochtone, qui nous aide à comprendre nos liens avec le monde naturel et l'importance du soin qu'il faut prendre de la Terre mère, de nos terres ancestrales et de nos ressources pour la génération actuelle et les suivantes.
Les langues autochtones sont diverses, mais nous sommes en crise. Les personnes qui parlent couramment la langue, pensent dans leur langue et comprennent les subtilités du savoir traditionnel doivent être soutenues par le recrutement de nouveaux locuteurs. Comme la ministre Joly l’a déclaré au cours d'une réunion à Montréal en février dernier, le gouvernement du Canada reconnaît que, quel que soit l’état actuel des différentes langues au Canada, que leur situation soit jugée solide ou non, elles sont toutes menacées. Selon l'UNESCO, ce sont les langues autochtones qui sont les plus menacées au Canada.
Cette année, l’Instance permanente des Nations unies sur les questions autochtones a parlé d’un plan d’action pour l’Année internationale des langues autochtones de 2019. Selon la note du secrétariat, l’un des principaux objectifs est d’améliorer la qualité de vie des peuples autochtones en réaffirmant l'importance de la continuité culturelle et linguistique. L'un des trois objectifs thématiques est le soutien à la revitalisation des langues autochtones dans pratiquement toutes les sphères de la société.
La revitalisation n’a cependant pas besoin de frontières. En fait, ces objectifs supposent l’utilisation d’un plus large éventail de services et de technologies pour améliorer l’usage quotidien des langues autochtones. Et cela inclut ici même, à cet endroit, où des politiques génocidaires ont été adoptées et mises en oeuvre et où la honte de parler nos langues a été enracinée dans la psyché des peuples autochtones à cause des pensionnats indiens, dont les répercussions se font encore sentir parmi nous.
Les peuples autochtones sont tenus d’apprendre et d’utiliser des langues coloniales comme le français et l’anglais dans tous les aspects de leur vie pour pouvoir survivre dans ce monde globalisé, et c'est ce qui incite beaucoup de parents à négliger l’importance de leur langue dans la consolidation de l’identité des enfants. Si les peuples autochtones sont encouragés à utiliser leurs langues au Parlement, nos jeunes comprendront que nos précieuses langues ancestrales sont effectivement reconnues et ont de la valeur dans la société contemporaine. Si le gouvernement est sincère quand il dit vouloir soutenir et respecter le droit des peuples autochtones à l’autodétermination et utiliser la Déclaration des Nations unies sur les droits des peuples autochtones comme cadre de réconciliation, il est impératif que le Parlement mette en oeuvre une politique qui appuie l'usage des langues autochtones dans son enceinte.
À mon avis, l’article 35 est une boîte vide, parce que, à bien des égards, nos droits ne sont pas clairement définis. Le Canada a pris l'habitude de nous forcer à nous adresser aux tribunaux, qui définissent de façon étroite nos droits inhérents en fonction de la souveraineté assumée par la Couronne. Cela s’explique par la colonisation et l’assimilation systématiques des peuples autochtones en vertu de la Loi sur les Indiens du Canada, de ses politiques et de ses lois.
Le fait que le processus de réconciliation s'appuie actuellement sur les termes et les critères fixés par le Canada, et non sur ceux des peuples autochtones, est la preuve que la colonisation se poursuit. C'est pourquoi j'invite instamment les députés à ne pas rater cette occasion, qui permettra non seulement de nourrir cet esprit de réconciliation, mais aussi d'aligner l’une des centaines de milliers de politiques, de lois et d’attitudes du gouvernement sur l’esprit de la Déclaration des Nations unies, qui protège, promeut et renforce le droit des peuples autochtones à l’autodétermination.
Je veux simplement rappeler le troisième objectif de la déclaration de l’Instance permanente des Nations unies, à savoir que les langues autochtones permettent de consolider les capacités régionales et nationales d’accéder aux principales langues autochtones et, dans la mesure du possible, de les intégrer aux politiques, aux plans stratégiques et aux cadres de réglementation des pays.
Je dois vous avertir que tout accord ou toute politique qui est modifié, que ce soit par voie législative ou par d’autres moyens, doit l'être dans nos langues, pour que notre peuple en comprenne les concepts, pour traduire l’esprit de nos obligations selon nos lois coutumières, pour protéger et respecter nos terres ancestrales sur cette magnifique Terre mère, et pour toutes les relations sur lesquelles nous comptons.
Merci beaucoup de m’avoir écoutée aujourd’hui. Je me ferai un plaisir de répondre à vos questions.
[Le témoin s’exprime en mohawk.]
Merci à vous deux de vos exposés très instructifs. Merci. Mahsi cho. Gunalchéesh
Nous allons commencer par les questions de M. Scott Simms.
Merci à tous nos témoins. Je suis heureux de vous revoir.
« L’utilisation des langues autochtones dans les délibérations de la Chambre des communes » est évidemment le titre de l’étude, mais j’aimerais m'en écarter un peu. Je voudrais parler de la revitalisation des langues pour que nous puissions nous entendre sur notre orientation, notamment pour les jeunes Autochtones.
Je viens de la région centrale de Terre-Neuve. Il s'agit, en plein milieu de l'île, du territoire non cédé des Micmacs et, bien sûr, des légendaires Béothuks.
Récemment, nous avons financé un programme à Miawpukek, avec le chef Mi’sel Joe, pour faciliter l'intégration de la langue micmaque au programme scolaire. C’est une première mesure excellente, d'après ce qu'on m'en a dit, mais, comme député, j'ai besoin de comprendre ce qui va s'ensuivre.
C'est là que je m'adresse à vous deux. Il y a des choses qui m’inquiètent au sujet de la suite des choses.
Madame Gabriel, vous avez dit que, pour certains Autochtones, il y a honte à parler leur propre langue... et c'est probablement vrai de nos jeunes. J’espère que cela disparaîtra. Le recrutement de conférenciers est un autre moyen d'y parvenir.
Je vais m’arrêter là et je reviendrai à ce qui concerne la Chambre des communes dans un instant. Je crains que nous ne soyons pas en mesure de recruter suffisamment de conférenciers. Espérons que nous pourrons éliminer le problème de la honte de notre langue avant d'enseigner à nos enfants à retrouver leur patrimoine.
Chef Bellegarde, je vais commencer par vous.
Merci, Scott, pour ce que vous venez de dire.
Je suis content que vous ayez parlé du rôle des provinces. Elles ont un rôle important à jouer. Il n'y a pas que le gouvernement fédéral.
Nous travaillons sur la loi fédérale, et c'est une bonne chose. Nous passons notre temps à parler de promotion, mais regardez ce qui se passe partout au Canada. Les Territoires du Nord-Ouest ont adopté une loi reconnaissant les 11 langues dénées comme langues fondatrices de ce territoire. Pourquoi ne pourrait-il pas en être ainsi dans toutes les provinces et tous les territoires? C'est possible. Pourquoi cela ne serait-il pas possible en Saskatchewan, en Alberta, en Colombie-Britannique et à Terre-Neuve?
Vous êtes en train de l'intégrer au programme provincial. C’est bien, mais il faut aussi prévoir des ressources, parce que cela fait partie de la question. C’est bien beau d’avoir une loi, mais si vous ne l’appuyez pas par des politiques, des programmes ou des ressources, elle ne sert à rien. C'est en cours, et cette sensibilisation est très importante.
Je n'ai que le temps de vous raconter une histoire sur l’acceptation et la validation des langues. Il y a plus de 50 nations ou tribus différentes, et elles sont toutes spéciales et uniques. Elles occupent des niveaux différents du point de vue de la promotion, de la préservation et de la mise en valeur. Certaines ne sont pas dans une situation trop mauvaise, mais d'autres risquent de disparaître, et il faut donc appliquer une stratégie différente selon le cas.
Pour regagner cette fierté, c’est le meilleur exemple de mesures de réconciliation que je puisse partager avec des gens de partout au Canada, et cela s’est produit à North Bay, en Ontario. Cela s’est produit entre la Première Nation de Nipissing et le conseil scolaire catholique de North Bay. Les enfants devaient être transportés par autobus de la réserve à la ville. Ils voulaient que le chef national et le chef Scott McLeod soient témoins de ce qui se passait dans ce conseil scolaire catholique. Ils voulaient qu'on sache ce qui se passait.
Nous sommes allés voir une classe de 4 e année dans cette école catholique. Nous sommes entrés. On entendait un tambour. Nous avons été accueillis au son du tambour. Il y avait une cérémonie de purification. Ce sont les deux choses que nous avons vues. Il y avait 14 élèves dans cette classe. Dans cette classe de 4 e année d'une école catholique, il y avait huit élèves autochtones et six élèves non autochtones. Il y avait le son du tambour et une cérémonie de purification. Et puis ils ont tous commencé à parler ojibwa, tous, y compris les enfants non autochtones. Ils ont dit leurs noms, comme « Perry Bellegarde » [le témoin s’exprime en ojibwa], « North Bay » [le témoin s’exprime en ojibwa], « J'habite à North Bay, et je m'appelle... ». Ils l'ont tous fait.
On pouvait lire de la fierté sur le visage de chacun de ces élèves. Cela a été un moment intense. Tous les adultes pleuraient. Je pleurais aussi. Le président du conseil scolaire pleurait. Le chef pleurait aussi. C'était l'acceptation et la confirmation que l'apprentissage de l’ojibwa et de l’anishinaabemowin est tout aussi important que l’apprentissage du français et de l’anglais. Et ça se passait dans le système scolaire catholique, dans une classe de 4 e année à North Bay, en Ontario. Retrouver cette fierté... il y a des exemples comme celui-là.
La chose la plus importante, c’est que les élèves non autochtones ne levaient pas les yeux en disant: « À quoi ça sert? » Ils adoraient ce qu'ils faisaient et y adhéraient. C'était donc une bonne chose. On pouvait sentir l’énergie, la fierté et l’acceptation, non seulement chez les enfants autochtones, mais aussi chez les enfants non autochtones. À mon avis, c’est ce que vous essayez de faire, car il s’agit de coexistence pacifique et de respect.
Nous ne minimisons ni l’anglais ni le français. Il s'agit de reconnaître que toutes nos langues autochtones sont d’une importance égale et vitale pour la réconciliation. C’est un exemple frappant. Voilà où nous devons en arriver.
C’est une question vraiment importante.
Au centre culturel, grâce à la collaboration avec le centre d’éducation ici, nous avons recruté sept jeunes pour apprendre la langue à temps plein — quatre jours par semaine, remarquez bien. On aurait aimé en avoir plus. Notre rôle est de fournir un financement sous forme de paiement. Ils sont payés pour apprendre notre langue parce que c’est ce qu’il faut faire.
Nos langues font face à un défi en raison de la dualité linguistique du Canada et de la reconnaissance du français et de l’anglais. C’est la seule façon de recruter de nouveaux conférenciers. Il ne suffit pas d’apprendre les chiffres ou les couleurs. C’est une forme d’expression très complexe et riche. Étant donné qu'elle a été terriblement saccagée par les pensionnats indiens et que la mentalité qui a suivi a contribué à leur impact, il est nécessaire d'offrir ces possibilités. Il s’agit de permettre aux gens d’apprendre à temps plein, comme un emploi, cinq jours par semaine, et de donner aux enfants la possibilité d’avoir un programme d’études dans leur langue.
Je voudrais parler de financement. Les fonds devraient aller directement aux centres culturels. Cela devrait aller directement à la revitalisation des langues. Cela ne devrait pas passer par un intermédiaire— et avec tout le respect que je dois au chef Bellegarde — et non plus par une organisation autochtone nationale chargée de distribuer les fonds. Nos langues ont besoin de cette aide.
L’autre aspect est la liste exhaustive des exigences redditionnelles, qu’il s’agisse de rapports financiers ou d’activités. Nous avons tenu compte des besoins du gouvernement et du thème de l’année. Le gouvernement doit nous laisser définir nos besoins et nos méthodes. Nous essayons toujours de cocher la case que le gouvernement crée. Pour nous débarrasser de cette honte dont vous parliez, nous devons faire de la langue un élément important de notre identité. Nous avons besoin de recruter de nouveaux conférenciers.
Dans ma collectivité, nous parlons le plus vieux dialecte du Kanienkeha. Le Kanienkeha est la langue. Les Kanienkehaka sont le « peuple du silex ». La plupart de nos conférenciers sont âgés de 60 ans et plus. Ce sont eux qui parlent la langue, ce qui signifie que les enfants ne la parlent pas. Si les enfants ne voient que c’est important ou que les jeunes ne voient que c’est important, cela restera une activité de bingo, ou un apprentissage des couleurs ou des noms d'animaux. La revitalisation des langues passe par une évaluation des besoins, et il faut que les aînés soient sur la ligne de front, car ce sont eux qui parlent couramment la langue.
Oublions les coûts administratifs et faisons le travail, parce que nous n’avons plus le temps.
Merci de votre question.
Merci, Scott. Merci. Mahsi cho.
Grand chef Bellegarde, vous serez heureux d’apprendre que la classe préférée de ma fille de neuf ans à Whitehorse est celle du tutchone du sud.
La parole est maintenant à M. Nater.
Merci, monsieur le président.
Merci encore à nos invités de s’être joints à nous aujourd’hui. Nous avons entendu des témoignages fascinants tout au long de l’étude, mais surtout aujourd’hui.
J'ai trouvé particulièrement intéressant d'entendre parler de la façon dont les différentes administrations traitent la traduction simultanée, que ce soit à Iqaluit ou dans les Territoires du Nord-Ouest. M. Saganash a donné l’exemple du gouvernement régional cri. Nous espérons les entendre à un moment donné au cours de l’étude.
Je suis curieux de savoir si, à l’Assemblée des Premières Nations, des services de traduction sont offerts pendant vos délibérations et quelles langues pourraient être utilisées pendant vos réunions et vos délibérations.
C'est une très bonne question. Je vous en remercie.
Une assemblée des chefs aura lieu ici les 1er et 2 mai.
Je siège à l'APN depuis plus de 30 ans et l'interprétation se fait habituellement en anglais et en français. Pas une seule fois, lors des réunions des chefs de l'APN, je n'ai vu d'interprétation dans nos langues autochtones, pas une fois.
Venez assister à la réunion mardi prochain. Vous allez le voir pour la première fois. Des représentants de notre comité des chefs sur les langues vont poser les questions à la ministre du Patrimoine. Quelqu'un va la poser en mohawk. Un va la poser en micmac. Un va la poser en nakota. Un va la poser en déné. Nous ferons cela et l'interprétation sera faite.
C'est la première fois dans l'histoire de l'Assemblée des Premières Nations que nous utilisons nos propres langues autochtones pour interroger la ministre. Nous le faisons pour la simple et bonne raison que nous sommes diversifiés. Il n'y a pas que le cri, nehiyawak. Nous en avons 58 et elles sont toutes importantes.
C'est la raison pour laquelle il est important de mettre le projet de loi en oeuvre et de commencer à travailler à la maîtrise des langues. Dans notre cas, chez nous, si vous n'avez pas votre langue, vous ne faites pas de cérémonie.
[Le témoin s'exprime en cri, avec interprétation.]
J'utilise un calumet et je prie.
[Traduction]
Pour prier avec le calumet, vous devez parler votre langue. Cette vision du monde est tellement importante. C'est votre identité, votre lien. C'est essentiel pour nous, les peuples autochtones.
C'est lié à l'autodétermination. Je le dis tout le temps. Il y a cinq éléments: vos propres langues, vos propres terres, vos propres lois, vos propres peuples, vos propres formes identifiables de gouvernement.
Si vous perdez votre langue, comment savez-vous que vous êtes Cri, Nehiyawak, Déné suline, Anishinaabemowin, Micmac, Tutchone du Sud? Est-ce parce que c'est inscrit sur votre carte de statut? Non, cette langue est tellement essentielle à l'autodétermination. C'est la raison pour laquelle nous nous concentrons autant sur la revitalisation des langues.
Encore une fois, c'est le lien. Je voulais faire valoir ces points. Ils sont très importants.
C'est excellent et je suis heureux de l'entendre.
Peut-être seriez-vous disposé à nous fournir un rapport sur le fonctionnement de l'interprétation à votre réunion des chefs et de toute suggestion qui en ressort. Je pense qu'il serait fascinant pour notre comité de voir à quel point cette réunion s'est bien déroulée, ayant l'interprétation des quatre langues autochtones.
Cela m'amène en fait à ma prochaine question. Où avez-vous trouvé les interprètes pour cette réunion?
Nous comptons sur notre comité des chefs sur les langues. Lorsque vous allez à un comité des chefs sur les langues, les différentes tribus vous parlent. Nous nous appuyons sur leurs recommandations.
Encore une fois, par exemple, si Romeo parle à la Chambre des communes, il le fait en cri. Il devrait faire venir les bons interprètes pour ce dialecte.
Georgina Jolibois parle déné. Vous devriez lui demander qui elle fait venir pour ce dialecte.
Ils ont besoin d'une base, d'un bassin où puiser.
Il n'est pas difficile de trouver la bonne personne à faire venir pour ces trois députés. Il faudrait le faire.
Je tiens à dire également que dans vos trousses, nous en laissons une copie. Pour toutes vos questions et observations, lisez ceci. Nous avons tenu nos regroupements régionaux, nos forums régionaux et nous avons joint les questions et observations sur ce que devraient être les prochaines étapes. Que veulent les gens? C'est dans le rapport. C'est sur cette base que nous allons donner une orientation sur le projet de loi.
Encore une fois, l'APN a beaucoup de travail à faire.
Ce sera la toute première fois dans nos langues. Quoi qu'il en soit, vous allez en entendre six. Il y en a plus de 50 autres que nous devons inclure.
Le document que vous citez a-t-il été préparé à la demande de la ministre à titre de consultation, ou s'agissait-il d'une initiative indépendante de l'APN?
C'était l'APN et, en partenariat avec... Nous l'avons fait dans le cadre de notre forum régional, aux fins de diffusion. Les gens ont toujours peur: « Ah non, une loi, qu'est-ce qui va se passer? Nous devons le faire savoir aux gens. » C'est ce que nous avons fait.
Nous avons tenu des séances régionales et nous avons entendu des experts en langue, des gens qui travaillent depuis des années à la promotion de la langue, et ce, sans soutien financier. Nous voulions les entendre, parce que je suis d'accord. Je suis d'accord avec Ellen. Il n'appartient pas à l'APN d'obtenir de l'argent pour le faire. Cela revient aux collectivités, aux gens.
Il s'agit vraiment de retrouver la maîtrise des langues. Nous sommes tout à fait d'accord.
Oui, et l'un des défis mentionnés, c'est que la maîtrise de certaines des langues les plus gravement menacées incombe souvent aux grands-parents et aux arrière-grands-parents d'une génération, plutôt qu'aux jeunes. Par conséquent, je pense que le commentaire sur la maîtrise des langues chez les jeunes, que vous avez tous les deux mentionné, est important.
J'ai écouté la majeure partie de votre intervention en français. J'ai donc essayé de comprendre l'essentiel de ce que vous disiez.
À l'une des dernières réunions de la Commission de vérité et réconciliation à Montréal, la directrice du centre culturel ici présente a fait une interprétation en kanienkeha, parce que c'est sa langue maternelle et qu'elle pense dans cette langue. Les centres culturels disposent d'une foule de ressources, d'aînés capables de fournir des services de traduction. Je suis donc heureuse que vous m'incluiez avec le chef Bellegarde, parce que je sais qu'il est un passionné de la langue.
C'est l'autre groupe qui est passionné pour la langue et qui a fait des économies de bouts de chandelles avec nos projets... Nous avons de l'argent pour des projets pour nos langues et les centres culturels sont l'endroit où vous trouvez les experts. C'est avec eux que les gens travaillent. Ce sont eux les experts. Avec les subtilités de la traduction, comme dans n'importe quelle langue, il vous faut une personne qui sait comment transformer ces idées en ce qui doit être exprimé pour tout le monde.
Ma langue, le kanienkeha, se compose à 80 % de verbes. Vous devez donc vraiment comprendre ce qu'il faut faire et le concept que les gens utilisent. Comme l'a dit un aîné, il a fallu plus de 150 ans pour que nos langues soient dans l'état où elles se trouvent aujourd'hui. Il nous faudra peut-être encore 100 ans pour pouvoir rétablir et maintenir nos langues, mais il faut le faire de façon à appuyer totalement le travail qui se fait au niveau communautaire.
Merci.
[Le député s'exprime en cri, dont voici l'interprétation.]
De toutes les choses dont on parle, cela veut dire beaucoup, de la façon dont je vois les choses aujourd'hui. Je vous remercie tous d'être venus.
[Traduction]
Ellen, il fait bon de vous voir. Cela fait à peine 12 heures que je vous ai vue, à Montréal, hier soir, mais c'est toujours un plaisir de vous avoir dans nos différents comités ici, à Ottawa.
Je vais commencer par ce qui me semble être une question facile, pour vous deux.
Chef national Bellegarde, vous avez parlé de la Loi sur les langues autochtones, qui devrait être présentée, comme vous le dites, peut-être à l'automne. Je partage ce souhait. Vous avez parlé d'élaboration conjointe. Je fais une distinction entre l'élaboration conjointe et la corédaction. J'aimerais que vous m'expliquiez exactement où en sont les choses avec cette loi proposée, parce que je n'ai été consulté à ce sujet que la semaine dernière.
Ellen, je vais vous poser la même question. Quel a été votre rôle dans l'élaboration du projet de loi sur les langues autochtones? Au-delà du financement que vous avez mentionné dans votre exposé, quels autres aspects aimeriez-vous voir dans la loi? Par exemple, cette loi devrait-elle reconnaître les langues autochtones comme langues officielles au pays? Vous avez tous les deux parlé des langues fondatrices, mais je fais une distinction entre une langue fondatrice et la reconnaissance d'une langue officielle sur le plan constitutionnel.
Chef national, vous pourriez peut-être commencer.
[Le témoin s'exprime en cri.]
Merci beaucoup, mon ami, de votre question sur la différence entre l'élaboration conjointe et la corédaction.
M. Roger Jones est assis avec nous. Il est également conseiller juridique. Il a participé, par exemple, à l'élaboration conjointe ou à la corédaction de ce qui touchait le Tribunal indépendant des revendications particulières il y a quelques années. Nous voulions quelqu'un d'expérience. Je vais lui demander de répondre à l'excellente question de Romeo sur la façon dont nous collaborons avec le ministère du Patrimoine canadien pour mener à bien cette tâche difficile que constitue la législation sur les langues autochtones.
[Le témoin s'exprime en cri.]
Il parle aussi couramment l'ojibwa, mais il n'est pas trop mauvais pour l'anishnaabe, comme on dit.
Merci, chef national et mesdames et messieurs les membres du Comité.
Je suis heureux d'être ici et d'accompagner le chef national dans sa comparution sur cette question cruciale. Pour nous, du moins par l'entremise de l'Assemblée des Premières Nations, il y a presque un an que nous avons commencé à nous concentrer sur cet exercice d'élaboration conjointe, qui est définie par un ensemble de principes qui ont été adoptés par toutes les parties en juin dernier.
C'est un travail en cours, cela ne fait aucun doute, parce que c'est généralement quelque chose qui ne se produit pas régulièrement. Il y a aussi les règles sur la confidentialité, le privilège parlementaire et la réalité voulant que ce sont les parlementaires qui voient habituellement la première version d'un avant-projet de loi, à part la branche exécutive. Nous sommes aux prises avec ce genre de problèmes. Nous les découvrirons lorsque nous arriverons à ce pont.
Ce que nous avons fait jusqu'à maintenant, c'est que, à la lumière du travail que l'Assemblée des Premières Nations a fait et des discussions qu'elle a tenues auprès de nos peuples pour recevoir des directives et une orientation sur ce que les gens s'attendent à voir dans le projet de loi, nous avons fait progresser le dossier sous la forme de principes que nous avons établis avec les représentants des Métis au sein de notre groupe de travail, avec les représentants des Inuits et avec les représentants du Canada. Nous avons quatre parties dans ce processus de groupe de travail. Nous sommes méthodiques quant à la façon de faire avancer les choses afin de vraiment dégager un consensus, dans la mesure du possible, entre toutes les parties.
Nous en sommes au point où nous nous sommes entendus sur un ensemble de principes qui devraient guider la préparation du projet de loi. Nous devons les transformer à un moment donné en quelque chose qui commence à prendre la forme d'un contenu législatif. À la fin, il y aura une étape de rédaction. Nous ne prévoyons pas que cela se fasse avant peut-être trois ou quatre mois. Ce dont nous avons discuté comme groupe de travail, c'est que nous devons trouver une façon pour que les parties non gouvernementales — l'Assemblée des Premières Nations, les Métis et les Inuits — puissent en réalité faire partie de l'équipe de rédaction du gouvernement fédéral, qui se compose habituellement de gens venant du ministère de la Justice.
Nous aurons évidemment besoin, ou le gouvernement aura besoin, de l'autorisation de l'exécutif pour faciliter ce processus. En prévision de cela, nous essayons de déterminer quelle est la meilleure façon de parvenir concrètement à cette corédaction. Une chose sur laquelle je pense que nous aurons travaillé avant l'exercice de rédaction, c'est que normalement l'exercice de rédaction est éclairé par des consignes de rédaction, comme nous le savons. Cela aura aussi un rôle à jouer dans l'approbation, par l'exécutif, pour faire avancer le processus.
J'espère que cela répond à votre question.
Je sais que mon temps est écoulé, monsieur le président.
Le président: Madame Gabriel, avez-vous quelque chose à dire à ce sujet?
Oui. Je pense que c'est une question importante sur le rôle auquel j'ai participé.
Romeo, c'est bon de vous revoir en moins de 12 heures. C'est toujours un plaisir.
Je crois qu'il est vraiment important de savoir que j'ai participé aux séances de mobilisation. J'ai finalement pris connaissance du rapport. Je pense que l'une des choses que la loi doit reconnaître, c'est l'assimilation continue de l'anglais et du français dans les écoles et les graves dommages qui ont été causés. Andrea Bear Nicholas parle du rapport et dit que la loi ne devrait pas se fonder uniquement sur les séances, mais sur la documentation existante. Elle cite les travaux de Tove Skutnabb-Kangas, selon lesquels il y a des subtilités au sujet de la langue utilisée et que les langues autochtones doivent être financées et offertes à tous.
Je pense que ce qu'il faut vraiment faire, c'est de l'immersion, pour que tous les enfants autochtones puissent avoir accès à leurs langues, de la maternelle à la 6e année. Il y a beaucoup de sources d'anglais et de français dans la culture populaire qu'ils peuvent utiliser. Il peut y avoir des activités parascolaires pour apprendre à écrire l'anglais et le français, mais il est important que les enfants puissent parler cette langue. Il faut en tenir compte lorsqu'il est question du financement des langues autochtones et du maintien des langues autochtones, parce que l'anglais et le français auront toujours une incidence sur le travail effectué dans les collectivités. Ce devrait être d'abord et avant tout pour les collectivités autochtones.
Dans tout ce que j'ai vu dans les subventions du gouvernement du Québec et du gouvernement du Canada, il faut toujours que le public y ait accès. Je suis d'accord pour dire que nous devrions peut-être aller à l'extérieur de nos collectivités pour avoir des gens qui parlent notre langue, ce qui est très bien, mais si nous examinons l'état de la situation et les raisons pour lesquelles elle est menacée, nous savons que les personnes qui parlent notre langue maternelle sont fatiguées maintenant. Nous avons besoin que les jeunes fassent leur part. La seule façon d'y parvenir, c'est de nous concentrer principalement sur le recrutement et les activités de recrutement pour ces jeunes locuteurs. Ils en demandent trop. Nous n'en sommes pas à l'étape du français et de l'anglais. Comme le chef Bellegarde l'a mentionné, il n'y a pas de pays où aller. Pour ce qui est du français et de l'anglais, vous pouvez aller en Europe ou au sud de la frontière, mais pour nous, nos langues sont vivantes dans notre communauté grâce à ces locuteurs dont c'est la langue maternelle. Nous devons veiller à ce qu'elle soit protégée et à ce qu'elle reçoive le soutien nécessaire pour qu'un jour nous puissions l'ouvrir au public.
Deux non-Autochtones viennent suivre nos cours. Nous avons ouvert la porte à des gens de l'extérieur de la collectivité, mais je ne saurais trop insister sur les défis et les difficultés auxquels nous sommes confrontés en raison du financement des projets et de la mentalité des pensionnats indiens au sein des collectivités. On m'a dit que Patrimoine canadien tiendrait des séances de mobilisation et non des consultations. Je l'ai dit clairement à la ministre Joly. Quand ils commenceront en juin, s'agira-t-il de consultations? Elle a répondu non, qu'il s'agirait d'une mobilisation. Cela signifie qu'ils n'ont pas à tenir compte de nos préoccupations.
Voilà où j'ai de graves réserves en ce qui concerne la façon dont cela est élaboré. Oui, il y a quatre parties, mais qui représente vraiment les centres culturels? Qui représente vraiment ces locuteurs dont c'est la langue maternelle, de même que les femmes et certains hommes, qui font des économies de bouts de chandelles dans la revitalisation linguistique de nos collectivités depuis des décennies? S'il s'agit vraiment d'une élaboration conjointe, c'est là où je pense qu'il faut inclure les gens qui ont toujours été en première ligne.
[Le témoin s'exprime en mohawk.]
Merci beaucoup.
Le temps dont nous disposions est écoulé, mais je vais donner à nos témoins la possibilité de faire des observations finales.
Allez-y, chef Bellegarde.
Encore une fois, merci de me donner l'occasion de comparaître. Je sais que nous nous sommes un peu égarés, mais nous voulons voir des interprètes à la Chambre des communes. Il est certain que cela enverra un message clair.
Il y a quelque 338 députés. Il se peut donc qu'un jour il y ait plus de députés qui parleront une autre langue que le déné, le cri, le micmac et le mohawk, de sorte qu'il faudrait en tenir compte. Cela enverrait un message clair sur la réconciliation. Je ne pense pas que ce soit une tâche insurmontable. Nous avons les ressources. Nous avons des gens qui peuvent fournir cette compétence à la Chambre des communes.
Je tiens également à dire que Tracey Herbert, du First Peoples' Cultural Council de la Colombie-Britannique, a un bon modèle. Sur plus de 58 langues autochtones, 34 sont parlées en Colombie-Britannique. Ils ont un bon modèle de revitalisation dont nous devrions nous inspirer.
Pour le lobbying, ce n'est pas seulement le gouvernement fédéral. Le gouvernement de la Colombie-Britannique a prévu 50 millions de dollars dans son budget provincial pour la promotion et la revitalisation des langues. Chaque province peut aussi faire sa part.
Je tiens à vous remercier de m'avoir donné cette occasion. Veuillez lire ce rapport. Nous voulons que le projet de loi soit adopté en bonne et due forme d'ici l'automne afin de respecter les délais.
[Le témoin s'exprime en cri.]
Je ne sais pas si je peux vraiment ajouter quelque chose à ce qui a été dit au cours de cette période. Je tiens à saluer le chef Bellegarde.
[Le témoin s'exprime en mohawk.]
Je suis heureuse de vous voir, ne serait-ce que virtuellement.
En fait, comme l'a dit M. Bellegarde, nous nous écartons peut-être un peu du sujet, mais il est vraiment important qu'une politique soit élaborée pour fournir la traduction simultanée à toute personne d'origine autochtone, afin de lui permettre de parler dans sa langue maternelle. La possibilité d'exprimer leurs traditions subtiles et complexes et leur cosmovision au sein du Parlement du Canada ne fait pas seulement partie de la réconciliation, cela fait partie de la décolonisation.
Merci beaucoup, monsieur le président.
J'ai une brève question pour vous, chef.
Je ne peux pas partir aujourd'hui sans vraiment comprendre pourquoi la prochaine réunion que vous tiendrez sera la première à laquelle vous utiliserez l'interprétation pour les langues autochtones.
Pourquoi cela ne s'est-il pas encore fait? Nous discutons de la possibilité de le faire ici, à la Chambre des communes, et je veux savoir si c'est l'une des raisons pour lesquelles vous ne l'avez pas fait jusqu'à maintenant.
Oui, cela en fait partie. Sur les 634 Premières Nations au Canada, par exemple, nous avons 58 nations et tribus différentes. C'est très complexe. Nous avons une Première Nation Lakota sur ces 634 Premières Nations. Avez-vous vu le film « Danse avec les loups »? Ils parlent en lakota. Si le chef de cette collectivité et de cette Première Nation veut parler en lakota, c'est sa nation; c'est sa tribu.
Dans bien des cas, cependant, en raison de la colonisation et des pensionnats, la langue maternelle de nombreux chefs n'est plus leur langue. C'est ce que nous constatons. C'est dire à quel point le système des pensionnats indiens a nui à nos langues; même nos chefs élus ne possèdent plus la langue maternelle de leur Première Nation. Notre APN est une assemblée de chefs, mais beaucoup d'entre eux ne parlent pas leur langue maternelle. Voilà pourquoi.
Nous le faisons pour la première fois maintenant, parce que nous essayons de faire comprendre aux gens que nous pouvons au moins le faire à l'Assemblée des Premières Nations. Nous sommes censés être une assemblée des Premières Nations — des nations autochtones et non pas des bandes régies par la Loi sur les Indiens. Nous essayons de nous mettre à l'oeuvre et pour revenir à notre identité et à notre langue.
C'est la raison pour laquelle c'est la première fois que nous le faisons et nous voulons continuer de le faire de façon qu'à un moment donné, il n'y ait que des langues autochtones parlées et vous aurez 58 boutons sur votre écouteur. C'est l'objectif.
Des voix: Oh, oh!
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