:
Merci beaucoup, monsieur le président.
[Français]
Merci beaucoup à tout le monde de m'avoir invitée.
Je suis Lisa DeMarco.
[Traduction]
Je suis associée principale chez DeMarco Allan. J'aimerais aborder quatre grands points avec vous aujourd'hui. Je vous parlerai tout d'abord un peu d'où vient notre point de vue, et un peu aussi de DeMarco Allan. J'aimerais ensuite situer nos commentaires dans le contexte des changements climatiques, du commerce et des partenariats autochtones. Je mettrai ensuite en lumière ce que je considère être les vrais problèmes que la stratégie canadienne de l'énergie et le cadre pancanadien tentent de régler.
Enfin, je vous ferai quelques recommandations sur une démarche qui conjuguerait fédéralisme coopératif, partenariats autochtones et commerce stratégique.
Je note qu'à l'avenir vous aurez une copie de notre exposé, qui comprend une carte que nous avons pris un certain temps à préparer. On y trouve toutes les interconnexions au pays et on y juxtapose les émissions par administration, représentées par la taille relative des points. Il y a de plus d'autres éléments prédominants, soit les négociations en cours de l'ALENA et une multitude de questions et de partenariats autochtones qui se dessinent dans la foulée de la Commission de vérité et de réconciliation et de l'évolution de la situation avec les peuples autochtones du Canada.
En gros, au fur et à mesure que la planète se dirige vers une économie faible en carbone, nous voulons que l'électricité se déplace des zones à faibles émissions, où les points sont petits, vers les zones à fortes émissions, où les points sont gros. Le Canada a une profusion de petits points. Je suis fermement convaincue que nous devons miser, tout particulièrement, sur la richesse de nos ressources énergétiques propres.
D'où vient ce point de vue? Quelle perspective voulons-nous mettre de l'avant?
DeMarco Allan LLP est le premier cabinet boutique spécialisé dans les énergies propres et le climat au Canada. J'ai pris la décision de mettre, littéralement, tous mes oeufs dans le même panier, la confiance du Comité, et de quitter un poste de direction au sein d'un cabinet d'avocats international spécialisé en droit de l'énergie et du climat pour fonder un cabinet boutique. Nous sommes passés de trois partenaires à dix au cours des trois dernières années. Nous offrons nos services aux compagnies gazières et pétrolières, aux groupes environnementaux, aux Premières Nations, aux compagnies d'électricité, aux gouvernementaux, au Canada et ailleurs dans le monde, et nous avons participé activement aux négociations au sein des Nations unies pendant près de 20 ans.
Notre point de vue est fondamentalement canadien, mais éclairé par l'expérience internationale, et c'est pourquoi je suis fermement convaincue que nous avons à notre disposition une grande richesse, nos ressources en énergie propre. Nous avons le potentiel notamment de devenir un exportateur d'électricité propre extraordinaire, et ce, en exportant non seulement l'électricité même, mais également les services: notre savoir-faire en énergie propre, nos services d'ingénierie formidables, notre expertise de calibre mondial en capture et le stockage du carbone, en nucléaire, en énergies renouvelables, et en dernier lieu, mais non le moindre, en stockage de l'électricité, le « Saint-Graal » que nous voulons tous.
Lorsque vous aurez la carte connexe sous les yeux, vous verrez que toutes les administrations à faibles émissions au Canada ont de bonnes possibilités d'exporter au sud, en particulier dans le centre du Canada, et pour les provinces à faibles émissions comme la Colombie-Britannique, le Manitoba, l'Ontario et le Québec, d'exporter vers l'Alberta et la Saskatchewan, pour faciliter une transition efficace à une économie faible en carbone sans pour autant mettre de côté des actifs économiques. Mes commentaires portent principalement sur les problèmes importants. Comment procéder pour atteindre notre objectif grâce à la stratégie canadienne d'énergie et le cadre pancanadien, et régler ce que je considère être quatre problèmes importants?
Le premier problème auquel il faut s'attaquer est celui de faciliter la transition à une économie faible en carbone à l'aide du réseau électrique. Une réduction de 30 % d'ici 2030 ne sera pas facile. Nous devrons faciliter l'optimisation des combustibles et l'électrification dans les transports, qui constituent 24 % de nos émissions; dans les bâtiments, qui en constituent 12 %; et dans le secteur du pétrole et du gaz, qui en constituent 26 %. Le secteur du pétrole et du gaz, en particulier, qui utilise une électricité à fortes émissions, a la possibilité de faire la transition à une source à faibles émissions.
Le deuxième problème, ou défi, est celui de l'optimisation et de l'innovation dans le réseau énergétique canadien. Je suis fermement convaincue qu'il y a une perte d'efficacité dans les questions liées aux combustibles. Au lieu de nous perdre en conjectures sur la quantité et le type de combustible qui devraient produire tel type d'électricité, nous devrions nous concentrer sur le carbone. Laissons le réseau, les opérateurs de réseau, et les compagnies utiliser leurs vastes connaissances pour trouver une solution pour l'objectif carbone.
Troisièment — et c'est un grave problème que j'ai vraiment à coeur de voir régler —, nous avons la chance d'avoir une production d'électricité à zéro émission extraordinaire au pays, tellement extraordinaire que nous gaspillons d'énormes quantités d'électrons peu chers, verts et propres. En raison de règles du marché dépassées, d'une capacité de stockage insuffisante et de la dynamique commerciale, 4,7 térawattheures, pas gigawattheures, de l'hydroélectricité la plus propre et la plus verte au monde, et un total de 7,6 térawatts-heures d'énergie à zéro émission en Ontario seulement en 2016 ont été perdus. Pour vous donner un ordre de grandeur, c'est à peu près l'équivalent d'une centrale électrique d'une puissance électrique de 1100 mégawatts fonctionnant à 80 % d'efficacité qui est perdu. C'est un problème qu'il faut régler.
En dernier lieu, et ce n'est assurément pas le moindre, nous devons régler le problème de la pauvreté énergétique chez les Autochtones. Dans certaines communautés autochtones, le taux de fiabilité est 2 081 % pire que chez leurs voisins au sud, et 400 % pire que chez leurs voisins dans le Nord. C'est un problème.
Que devons-nous faire? Quelle est la voie à suivre? Voici six recommandations.
Premièrement, les services d'énergie et d'énergie propre devraient être une source d'exportation dominante au Canada. Deuxièmement, accroître la capacité d'interconnexions entre les administrations ayant d'importantes disparités de GES, de même que les possibilités d'exportations économiquement efficaces, fait partie de la solution, mais ce n'est pas la seule.
Il faut aussi que l'innovation dans le stockage de l'énergie et la capture et le stockage du carbone, les minis réacteurs nucléaires modulaires, l'accroissement du commerce, les partenariats autochtones et les mesures pour minimiser le gaspillage des électrons fassent partie de l'équation. Il faut réfléchir à la possibilité de mettre sur pied un comité composé de membres de l'industrie, appuyé par le fédéral et dirigé par les provinces qui travaillerait dans un esprit de fédéralisme coopératif pour maximiser les exportations d'énergie propre.
Il faut aussi réfléchir aux façons de mettre à profit l'article 6.2 de l'accord de Paris sur le changement climatique pour maximiser les possibilités, et enfin, il faut respecter le partage des compétences d'une manière qui permet de tirer profit des avantages de la diversité régionale sans créer de tensions est-ouest.
Voilà mes commentaires. Merci.
:
Je vous remercie de l'invitation à venir témoigner aujourd'hui.
À titre de dirigeant de la plus importante entreprise d'affaires publiques en énergie et environnement au Canada, je suis fier de diriger une équipe qui représente depuis très longtemps déjà les intervenants du secteur de l'énergie et les conseille sur les rouages de l'approvisionnement, la réglementation, la politique et la planification touchant le réseau électrique. Comme j'ai commencé à titre de consultant pendant la période d'ouverture et de déréglementation du marché de l'électricité en Amérique du Nord à la fin des années 1990, j'ai eu l'occasion de voir à l'oeuvre une myriade de politiques et de règles influant sur l'organisation et l'étendue des marchés de l'électricité, en particulier dans ma province natale, l'Ontario.
Depuis la première initiative visant à encourager le secteur privé à investir dans un réseau à l'infrastructure vieillissante et à la fiabilité incertaine, à la transition des centrales alimentées au charbon vers le gaz naturel et aux énergies renouvelables au début des années 2000, jusqu'à l'émergence des concepts de conservation augmentée et de gestion de la demande, de génération intégrée au niveau de la distribution, les nouveaux services, produits et technologies se sont succédé à un rythme incroyable, forçant ainsi une remise en question de nos façons conventionnelles de distribuer et d'utiliser l'électricité.
De nombreux témoins qui ont comparu devant le Comité ont parlé des différences régionales dans nos marchés de l'électricité. Ils ont souligné l'importance des politiques sur le carbone, et l'importance croissante des deux côtés de la frontière de faire la transition vers des formes d'énergie propre et à faible émission.
Malgré le fait que l'agence de protection environnementale des États-Unis vient de proposer l'abrogation du plan sur l'énergie propre, je crois que le réalisme économique de trouver les ressources marginales les plus faibles pour maintenir la fiabilité dans tous les marchés et les administrations, et le faire grâce à des ressources à émissions faibles ou nulles, est tout à fait faisable, si ce n'est probable.
Nous discutons aujourd'hui du rôle stratégique que peuvent jouer les interconnexions dans le processus. On ne peut pas douter des divers attributs d'un marché canadien intégré de l'électricité d'est en ouest, ou peut-être plus exactement, de l'Ontario vers l'est et du Manitoba vers l'ouest. Certains ont souligné l'importance de trouver de nouveaux marchés aux États-Unis, et l'importance historique et continue des ressources au Québec et au Canada atlantique pour le littoral atlantique.
Je vais vous parler principalement de l'avenir du marché de l'électricité de l'Ontario, et de l'importance croissante que prendront la planification du réseau et la valeur de la politique liée aux interconnexions dans l'avenir.
Deux dynamiques sont à l'oeuvre en faveur d'un développement et d'une utilisation accrus des interconnexions. Premièrement, il faut accroître la souplesse pour maintenir la fiabilité en se dotant de nouvelles capacités et de services de réglementation qui favorisent la variable ajoutée et la génération intégrée dans la province. Deuxièmement, les interconnexions seront utiles pour se doter, au besoin, de nouvelles sources d'approvisionnement en énergie à faible coût au cours de la prochaine décennie.
Comme on l'a souligné dans le document Ontario-Quebec interconnection capability technical review de la Société indépendante d’exploitation du réseau d’électricité de l’Ontario paru en mai 2017, le marché de l'électricité de gros en Ontario programme avantageusement, à l'heure, les transactions d'énergie dans les deux sens de l'Ontario par les interconnexions, ce qui procure une fonction d'équilibre importante pour réagir aux pics et aux creux de la demande et réduire ainsi les coûts pour les consommateurs.
Le commerce de l'électricité offre une souplesse opérationnelle utile qui aide la SIERÉ à gérer une variabilité croissante en raison des nouvelles ressources solaires et éoliennes qui s'ajoutent sur le réseau, de l'accroissement de la génération connectée au niveau de la distribution, et des habitudes de consommation qui sont plus difficiles à prévoir.
L'Ontario continue de connaître une croissance significative de ces différents types de ressources. La fiabilité est solide sur le marché de l'Ontario en raison du développement continu de ressources conventionnelles, commerciales et de distribution partout dans la province. La politique et la réglementation ont été adaptées pour permettre la croissance de ces ressources au fil du temps. Toutefois, au fur et à mesure que ces ressources s'ajoutent aux sources d'approvisionnement, et au fur et à mesure que les clients résidentiels et d'affaires se tournent vers l'autoproduction et des mécanismes comme la facturation nette et les sources d'approvisionnement propres, il faudra accroître la résilience du marché pour répondre aux besoins.
Les transactions d'interconnexions peuvent être avantageuses, car elles peuvent améliorer de façon quantifiable la fiabilité et la rentabilité du réseau électrique de l'Ontario. Selon la SIERÉ, les marchés de l'électricité interconnectés nous fournissent une belle occasion d'utiliser concrètement l'énergie générée par toute une gamme de ressources réparties dans une région géographique beaucoup plus grande, ce qui réduit le coût de production et de gestion de l'électricité pour toutes les parties concernées. Les interconnexions avec les administrations voisines élargissent les options pour répondre aux besoins, et les interconnexions de l'Ontario sont, selon la SIERÉ, à la fois fiables et économiquement avantageuses pour la province depuis plus d'un siècle.
L'Ontario aura manifestement besoin de nouvelles ressources dans les années qui viennent, et nous nous attendons qu’il en soit question dans le plan énergétique à long terme qui devrait être publié. Comme nous pouvons le voir dans la perspective de planification 2016 de la Société indépendante d’exploitation du réseau d’électricité, dans tous les scénarios, la nécessité de nouvelles ressources d’approvisionnement se fera sentir au début des années 2020, notamment pour en assurer la fiabilité après le déclassement de la centrale nucléaire de Pickering.
Les interconnexions peuvent offrir une option avantageuse aux planificateurs pour s’assurer d'avoir de nouvelles ressources. Ce point a été souligné récemment lorsque l’Office national de l’énergie a approuvé le projet de raccordement sous le lac Érié, projet d’interconnexion de CCHT marchande pour raccorder l’Ontario au marché de la Pennsylvanie, du New Jersey et du Maryland au moyen d’un câble sous-marin.
Comme l’ONE l’a énoncé: « L’Office a déterminé aussi que le projet bénéficierait aux Autochtones de même qu’à l’économie locale, régionale et provinciale, en plus de conférer davantage de souplesse aux deux grands marchés pour répondre aux besoins énergétiques en évolution et d’accroître l’efficience du marché pour l’Ontario et ses abonnés. »
En terminant, au fur et à mesure que les administrations instaureront des politiques en matière de carbone et des règlements sur les émissions qui dicteront le profil de l’approvisionnement énergétique du secteur de l’électricité, il sera nécessaire de comprendre et de faire le suivi des attributs de la production d’électricité pour les exploitants des réseaux et les décideurs.
De nombreuses administrations ont mis en place un type de système qui collecte et fait le suivi des données sur les attributs de production. Les principaux éléments fournis par ces systèmes de suivi varient d’une administration à l’autre mais, en règle générale, ils font le suivi des attributs des émissions pour chaque mégawattheure généré, ils calculent les taux d’émission moyens et résiduels, ils balisent les attributs des émissions de la source d’alimentation au puits, ils font le suivi des transactions en matière d’hydroélectricité ainsi que des importations et des exportations entre registres, ils appuient les rajustements aux quotas de carbone pour les marchés volontaires, et ils publient des rapports pour faire preuve de transparence.
Au bout du compte, le but de ces systèmes de suivi est d’éviter de compter en double les attributs ou les économies d’émissions associées à des importations et à des exportations précises. Il existe aujourd’hui des systèmes de registre et de suivi robustes en Pennsylvanie, au New Jersey et au Maryland, dans le NE Power Pool et le New York ISO, tandis que le Michigan est doté d’un système de certification de l'énergie renouvelable. Nous croyons que l’Ontario élaborera automatiquement un protocole semblable.
J’espère que les renseignements que je vous ai fournis sauront vous être utiles dans le cadre de votre étude. Je me réjouis à la perspective de répondre à vos questions.
Merci.
:
C’est une question très vaste, et je vous en remercie.
Elle nous ramène à certaines de mes remarques concernant le moment où le gouvernement provincial actuel est arrivé au pouvoir en 2003, je crois. Je me rappelle, à l’époque, que la province se trouvait en situation de pénurie. Il était question d’installer des groupes électrogènes diesel dans le port de Toronto pour composer avec les questions de fiabilité associées au réseau électrique.
Notre situation a bien changé depuis. Au cours des dernières années, nous avons modifié, en grande partie, le réseau électrique, tant du point de vue de la production que de celui des conducteurs et de la charge pour la conservation en vue de moderniser sensiblement le réseau. Cette modification a entraîné des coûts, c'est clair, et je sais que la province s’est penchée sur la question, même au cours des 12 derniers mois.
Il s’agit là de tendances qui sont reprises dans nombre d’autres administrations. Comme Lisa l’a mentionné, au Canada, nous avons l’avantage de jouir d’un réseau électrique très robuste et relativement propre. Aux États-Unis, ce n’est pas autant le cas. Il arrive souvent qu’on compare le marché ontarien aux marchés étatsuniens et canadiens, mais nombre de ces marchés ont toujours une infrastructure vieillissante. Ils n’ont pas modernisé leurs installations de production, et nous commençons à voir un peu de mouvement dans ces marchés. Ils éprouvent nombre des mêmes types de fluctuations que nous avons observées en Ontario.
On en trouve un exemple au Canada aujourd’hui, en Alberta bien sûr, alors qu’on y délaisse le charbon en faveur du gaz naturel et des énergies renouvelables.
Nous continuons d’avoir un réseau assez fiable. Tout fonctionne bien en Ontario. Les choses changeront au fur et à mesure que les vieilles ressources disparaissent, en particulier du côté nucléaire. Comme je l’ai mentionné, cela requerra une meilleure résilience du marché. Nombre des outils qui ont été investis dans le système, allant des compteurs intelligents aux types de production plus propres, et une production accrue à la source de la demande — ou « dans la charge » comme on l’appelle souvent — aideront le marché à s’adapter à certains de ces changements au fil du temps et à assurer la fiabilité du système.
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Il est clair qu’il est toujours bon de demander la perspective de l’exploitant du réseau pour voir comment ces ressources sont utilisées dans le marché et connaître les coûts marginaux.
On a beaucoup appris en Ontario pour ce qui est de l’adaptation à la production variable, production qui n’est pas en demande lorsque vous en avez besoin. À titre d’exemple, une des choses, des évolutions, que nous avons observées dans le marché est la manutention du nucléaire, notamment à la centrale de Bruce, à Kincardine.
Le système s’est relativement adapté, et on dispose de nouveaux instruments pour mieux prédire, non seulement le moment où cette production variable sera en mesure de fournir de l’énergie au marché, mais aussi la façon dont l’exploitant du réseau en optimise l’utilisation pour réduire les coûts. Nous voyons que c'est continuel. La technologie évolue sensiblement.
J’aimerais reprendre le commentaire que Lisa a formulé concernant le stockage et les possibilités de stockage. Manifestement, un des défis associés à un réseau électrique est que l’approvisionnement en électricité ne se fait peut-être pas exactement lorsque vous en avez besoin. Bien entendu, l’électricité est une question de physique, elle concerne la production d’électrons et le moment où ceux-ci sont consommés. Les possibilités qu’offre la capacité de miser sur le stockage sont très vastes pour aider à équilibrer le réseau entre les périodes où la demande est élevée, ou les périodes « de pointe » comme nous les appelons, et les périodes « creuses » où la demande est faible.
Dans le contexte des interconnexions, sujet d’étude du présent Comité, les exploitants du réseau les ont toujours utilisées comme du « stockage virtuel » grâce à leur capacité de transmettre de l’électricité par l’intermédiaire des lignes de rattachement pour assurer la fiabilité du système. Vous prenez l’électricité dans votre marché quand vous n’en avez pas besoin et l’exportez vers un marché qui pourrait en avoir besoin et vice versa. On le voit pas mal entre l’Ontario et le Québec, mais aussi entre l’Ontario et New York, et l’Ontario et le Michigan. Nous prévoyons que ce soit de plus en plus monnaie courante à l’avenir.
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Cela ne fait aucun doute, mais il y a un aspect important. Selon moi, les autres ont très souvent l'impression que nous passons à de plus faibles formes de production d'électricité et de marchés purement pour des raisons environnementales.
Nous constatons que l'une des plus importantes caractéristiques des ressources à faibles émissions de carbone est que le coût variable de production est pratiquement nul; nous parlons ici des coûts différentiels. Le carburant ne coûte rien comparativement à d'autres ressources traditionnelles. Par exemple, lorsque nous exploitons des ressources gazières, nous regardons normalement les coûts d'immobilisation, les coûts de fonctionnement et d'entretien ainsi que le coût du carburant. Ces trois éléments entrent dans le coût total. Pour ce qui est du stockage et des ressources renouvelables, ce n'est pas le cas.
J'aimerais mentionner par rapport au Québec que la province a pris la décision par le passé de se doter d'une capacité qui dépasse de beaucoup ses propres besoins pour produire de l'électricité, en particulier du point de vue du développement économique, et l'exporter sur la côte Est. La province a connu un immense succès à cet égard, et la Colombie-Britannique l'a également fait.
À l'instar de nombreux marchés, l'Ontario a construit des infrastructures en fonction de ses besoins. Nous avions l'habitude d'appeler cela la démarche ontarienne de fortification. Étant donné que nous reconnaissons de plus en plus la modernisation et la valeur des caractéristiques d'un réseau à faibles émissions de carbone, nous constatons maintenant une tendance vers une plus grande utilisation des interconnexions et nous avons la capacité d'exporter ces ressources vers des marchés comme PJM, par exemple, qui a encore un important bilan carbone, mais qui représente aussi le plus important marché de l'électricité au monde.
Sur le plan commercial, de nombreux marchés examinent maintenant la possibilité de tirer profit de la valeur des investissements faits sur de nombreuses années pour avoir accès aux marchés, et cela rappelle un peu la manière dont le Québec a géré ses ressources en électricité au cours des dernières décennies.
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Merci, monsieur le président.
Merci à vous deux d'avoir pris le temps de venir discuter avec nous cet après-midi.
Je viens de l'Alberta. Je le mentionne, parce que je crois que cela façonne parfois la façon dont nous voyons les enjeux dont nous discutons en particulier au Comité et probablement notre point de vue global quant aux priorités.
Mon collègue T.J. et moi sommes souvent d'accord sur cette question, et je tiens à souligner votre point sur le fédéralisme de coopération, le respect de la séparation des pouvoirs constitutionnels et la reconnaissance de la diversité énergétique régionale. Je crois personnellement que la diversité énergétique du Canada est l'une de nos plus grandes forces.
Avant de me lancer en politique, j'ai passé plusieurs années au sein du gouvernement de l'Alberta dans le ministère de l'Énergie, puis à la Division des bureaux à l'étranger et du commerce du ministère du Développement économique où je me suis occupée des politiques et des communications, des règles opérationnelles et de l'élaboration de lois sur les sables bitumineux et l'exploitation du pétrole lourd en Alberta, ce qui profite, je crois, à chaque Canadien partout au pays. C'est certainement une grande source de revenus que nous partageons avec l'ensemble du pays pour que tous les Canadiens puissent profiter de plus ou moins les mêmes programmes et services dans leur province respective.
Lisa, dans votre diapositive sur l'innovation, vous avez parlé de petits réacteurs modulaires. Vous êtes probablement au courant que le Comité a déjà réalisé une étude sur le secteur nucléaire et que cet aspect a peut-être été mentionné à quelques reprises durant notre étude sur les technologies propres dans les secteurs gazier et pétrolier; je pense à l'utilisation possible de petits réacteurs modulaires dans le secteur des sables bitumineux et la récupération du pétrole et du gaz. À l'époque, je crois me rappeler qu'il y avait des discussions pour former des partenariats, mais il n'était pas question de programmes pilotes ou d'autre chose pour l'instant.
L'un d'entre vous pourrait-il faire le point sur la situation? Avez-vous des détails concernant une telle utilisation possible et les échéanciers à cet égard?
:
J'allais essayer de répondre en français, mais mes enfants me disent toujours: « Maman, quand tu parles français,
[Français]
cela nous fait mal aux oreilles. »
[Traduction]
En tout cas, je vais essayer un peu de mettre mon bilinguisme à l'oeuvre.
À mon avis, il y a des défis à relever sur le plan de la réglementation pour ce qui est d'accroître le volume maximal d'exportations d'énergie du Canada vers les États-Unis, à partir des sources d'énergie les plus propres et les plus écologiques.
Entre les provinces, le principal problème tient aux contraintes en matière d'interconnexions, ainsi qu'aux différences sur le plan des capacités d'interconnexions — c'est-à-dire le courant alternatif par rapport au courant continu —, particulièrement entre l'Ontario et le Québec. Je vous invite à regarder les points sur la carte, une fois que vous l'aurez reçue; nous voulons passer des petits points aux gros points. En réalité, à l'exception de l'Alberta et de la Saskatchewan, l'électricité semble se déplacer sur l'axe nord-sud, et cela devrait se faire du nord au sud.
Quels sont quelques-uns des obstacles réglementaires?
Premièrement, en ce qui concerne la synchronisation et la liaison de nos marchés, nous nous heurtons à certains problèmes associés à ce qu'on appelle les droits d'« ajustement en hausse » et à la façon dont ils sont appliqués et utilisés dans le contexte de l'exportation.
Deuxièmement, il faut faciliter l'accès à ce dont nous avons besoin, en temps opportun, pour l'exportation au sud de la frontière. Au chapitre de nos biens de stockage, il y a un décalage, car nous devons payer des tarifs de détail durant le chargement, mais nous ne pouvons exiger que des prix de gros au moment du déchargement. C'est problématique.
Le troisième obstacle, c'est de ne pas pouvoir profiter de l'avantage connexe d'une politique globale et d'une intégration entre certaines sociétés indépendantes d’exploitation du réseau d’électricité, notamment celle de l'Ontario, et le marché de la Pennsylvanie, du New Jersey et du Maryland. Cela pose problème. Il faut harmoniser un certain nombre de règles entre la Commission fédérale de réglementation de l'énergie et la Société indépendante d’exploitation du réseau d’électricité. Nous avons déjà effectué un peu de travail dans ce domaine relativement au décret no 686 de la Commission fédérale de réglementation de l'énergie. Il reste encore beaucoup à faire à cet égard.
Voilà donc certains des obstacles réglementaires que nous devons absolument surmonter.
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Bonjour, monsieur le président, distingués membres du Comité.
Merci de nous donner l'occasion de témoigner devant le Comité au sujet des interconnexions électriques stratégiques.
Je m'appelle Mike MacDougall, et je suis le directeur de la politique commerciale à Powerex. Mon collègue s'appelle Tom Bechard, et il est le directeur général de la division du gaz et de l'énergie canadienne.
Powerex est une filiale en propriété exclusive de B.C. Hydro, qui s'occupe de la mise en marché de l'électricité, du gaz naturel et des produits d'énergie renouvelable dans l'Ouest du Canada et des États-Unis. Aujourd'hui, nous aimerions vous présenter le point de vue d'un utilisateur du système de transmission sur le fonctionnement des interconnexions, sur la façon dont il est possible d'obtenir une valeur ajoutée à partir des installations actuelles et sur certaines des conditions nécessaires pour que les nouvelles interconnexions procurent des avantages, notamment sur le plan de la réduction des gaz à effet de serre, aux utilisateurs du système et aux consommateurs des entreprises de services publics qui les mettent au point.
Premièrement, je vous donnerai un peu plus de contexte sur Powerex afin de vous aider à comprendre ce qui oriente notre perspective sur ces questions. Deuxièmement, je discuterai de la nature de ces interconnexions du point de vue de l'utilisation quotidienne, c'est-à-dire de la capacité mise à la disposition des clients de ces systèmes. Ensuite, M. Bechard vous fournira quelques renseignements sur les signes donnés par les divers marchés, c'est-à-dire les cas où il faut s'abstenir de recourir aux installations pour des échanges économiques et la façon dont les marchés incitent ou non à utiliser des ressources externes de production d'énergie propre pour réduire les émissions de gaz à effet de serre. Enfin, il parlera des incitatifs économiques qui pourraient s'avérer nécessaires pour appuyer l'expansion de nouvelles installations d'interconnexions.
Comme je l'ai dit, Powerex est la filiale en propriété exclusive de B.C. Hydro. Établie en 1988, Powerex compte près de 30 ans d'expérience sur les marchés de l'énergie en Amérique du Nord. En 2016, elle était la deuxième exportatrice d'électricité en importance du Canada vers les États-Unis, à l'origine de près de 13 600 gigawattheures, soit 19 % des exportations totales du Canada aux États-Unis. Toujours en 2016, Powerex était également la plus grande importatrice d'électricité des États-Unis vers le Canada, pour un total de 8 000 gigawattheures, soit 86,5 % de toutes les importations au Canada. De plus, nous achetons et vendons de l'électricité sur le marché de l'Alberta, selon des volumes qui représentent, en moyenne, 10 % de nos exportations et 3 % de nos importations depuis cinq ans.
Pour échanger un tel volume d'électricité, Powerex doit acheter des services de transmission auprès d'une vaste gamme de fournisseurs. Aux États-Unis, Powerex possède une capacité de transmission à long terme de 5 000 mégawatts, et elle dépense plus de 125 millions de dollars par année pour des services de transmission. Un des concepts clés dont nous aimerions présenter au Comité, c'est la différence entre la capacité nominale des installations de transmission et leur capacité opérationnelle quotidienne.
Ce qui compte réellement pour un utilisateur de services de transmission, c'est la capacité opérationnelle. La connexion nominale de la Colombie-Britannique vers l'Alberta est de 1 200 mégawatts; toutefois, la capacité opérationnelle réelle se situe habituellement entre 430 et 600 mégawatts, soit seulement 35 % à 50 % des limites nominales. Dans le même ordre d'idées, la connexion nominale de la Colombie-Britannique vers les États-Unis se chiffre à 3 150 mégawatts, alors que la capacité opérationnelle générale est de 2 500 mégawatts, soit environ 80 % de la limite nominale.
Cette différence est causée par une multitude de facteurs liés à la conception des installations, ainsi qu'au fonctionnement du réseau lui-même; cependant, du point de vue du client, seule la capacité inférieure est mise à sa disposition pour transporter de l'électricité. Dans les cas où les droits de transmission sont vendus aux utilisateurs pour appuyer le recouvrement des coûts, comme en Colombie-Britannique, cette limite opérationnelle inférieure représente également la quantité d'électricité qui peut être raisonnablement vendue. Dans le cas de la transmission de la Colombie-Britannique à l'Alberta, près de la moitié de la capacité est laissée en plan, sans qu'on puisse la vendre pour recouvrer les coûts des installations de B.C. Hydro.
Au moment d'examiner les investissements dans les interconnexions stratégiques, il faut d'abord déterminer si nous tirons le maximum des installations actuelles. Dans le cas de la Colombie-Britannique et de l'Alberta, une bonne partie des limites tiennent au système de l'Alberta lui-même, notamment aux choix qui ont été faits lorsqu'en 2013, l'interconnexion Montana-Alberta a été ajoutée au réseau de l'Alberta, sans que l'installation résultante n'augmente la capacité générale de l'Alberta d'importer de l'électricité.
Du point de vue de l'efficacité, il est important de tenir compte de la capacité utile des interconnexions existantes, et cela pourrait s'avérer beaucoup moins coûteux qu'une nouvelle construction.
En plus de la capacité disponible, il faut déterminer si les utilisateurs du système de transmission seraient suffisamment incités à acheter la capacité offerte par les installations de transmission et, par conséquent, à appuyer le recouvrement des coûts liés à l'investissement.
Pour nous en parler, je cède la parole à M. Bechard.
Je tiens à remercier le Comité de nous avoir invités à comparaître aujourd'hui pour parler des interconnexions stratégiques.
De façon générale, il ne fait aucun doute que nous avons beaucoup à gagner, tant sur le plan économique qu'environnemental, de l'amélioration et de l'expansion du commerce de l'électricité en gros entre la Colombie-Britannique et l'Alberta. Cette dernière province en pleine transition: elle délaisse graduellement le charbon au profit d'une production supplémentaire de gaz naturel et d'énergie éolienne pour peut-être un jour produire également de l'énergie solaire. La Colombie-Britannique, pour sa part, est une province riche en hydroélectricité, une source d'énergie propre et flexible. Cette diversité des technologies de production entre la Colombie-Britannique et l'Alberta devrait favoriser des échanges commerciaux mutuellement avantageux entre les provinces. Toutefois, deux obstacles majeurs nous ont empêchés de maximiser les occasions offertes par le commerce de l'électricité en gros: les limites de transfert et la conception du marché.
Comme M. MacDougall l'a mentionné, la Colombie-Britannique compte un important surplus d'électricité disponible pour l'exportation; toutefois, ces dernières années, une très petite portion de ce surplus d'électricité a abouti en Alberta. Au cours des dernières années, Powerex a exporté la grande majorité de ce surplus vers la Californie, alors que l'Alberta n'a en a reçu que moins de 10 %. En effet, l'électricité propre de la Colombie-Britannique a parcouru des milliers de kilomètres pour se rendre jusqu'en Californie, ce qui a entraîné une réduction générale des niveaux de production d'électricité à partir du gaz naturel dans cet État. Du point de vue de la réduction des émissions de carbone, cette démarche semble inefficace puisque le surplus d'électricité propre de la Colombie-Britannique aurait pu être envoyé juste à côté, en Alberta, afin de réduire la production de charbon.
Mis à part les défis liés à la capacité de transfert, dont M. MacDougall vient de vous parler, l'une des principales raisons qui expliquent ce résultat, ce sont les signaux de prix relatifs donnés par le marché organisé de la Californie, comparativement à celui de l'Alberta, pour les importations d'électricité propre.
Heureusement, Powerex s'attend à ce que cette situation change quelque peu en 2018, lorsque l'Alberta mettra en oeuvre son règlement sur la concurrence en matière de carbone. Ce programme aura pour effet important d'établir la tarification des émissions de l'Alberta et d'accroître la valeur des importations d'électricité. Nous nous attendons à ce qu'une telle mesure fasse de l'Alberta une destination plus attrayante pour le surplus d'électricité de la Colombie-Britannique, ce qui devrait remplacer la production de charbon en Alberta.
Selon nous, l'instauration du programme sur la concurrence en matière de carbone devrait intensifier les échanges commerciaux entre les provinces et leur procurer des retombées économiques et environnementales mutuellement avantageuses, mais il existe tout de même des possibilités d'accroître ces retombées.
En particulier, à mesure que l'Alberta se dotera de capacités d'exploitation de ressources renouvelables admissibles — surtout des éoliennes — dans le cadre de son plan de leadership climatique, la province aura besoin de nouvelles ressources flexibles pour fournir des services d'intégration des énergies renouvelables. Même si certains de ces services de flexibilité seront offerts par le parc actuel et élargi de centrales au gaz naturel de l'Alberta, la Colombie-Britannique est bien placée, grâce à l'ensemble de ses ressources, pour soutenir la concurrence et offrir de tels services, tout en réduisant les gaz à effet de serre. Par exemple, la Colombie-Britannique pourrait diminuer sa production hydroélectrique flexible et utiliser la production d'énergie éolienne excédentaire de l'Alberta lorsque la puissance de sortie des éoliennes dépasse la capacité d'utilisation de la province. Par la suite, lorsque les éoliennes de l'Alberta ne seront pas en mode de production, la Colombie-Britannique pourra distribuer à nouveau de l'électricité propre à l'Alberta, remplaçant ainsi la production à partir de combustible fossile.
Pour y arriver, toutefois, il faut au moins deux domaines clés de collaboration. Le premier concerne l'engagement d'adopter une conception du marché qui est juste, efficace et solide ou de conclure une entente commerciale à long terme qui permet une répartition équitable des économies relatives aux coûts de production à court terme, aux coûts sur le plan de l'environnement et aux coûts liés aux investissements, au lieu de laisser l'Alberta se débrouiller tout seul. Le deuxième consiste à accroître la capacité de transfert limitée entre les provinces.
Fait important, ces deux efforts de collaboration doivent être déployés simultanément. En effet, les avantages économiques et environnementaux d'une conception améliorée du marché ou d'une entente commerciale à long terme seront nettement limités en l'absence d'efforts visant à accroître l'actuelle capacité de transfert entre les provinces. Dans le même ordre d'idées, l'expansion de la capacité de transmission dans le cadre du marché actuel, en l'absence d'une nouvelle entente commerciale, a peu de chances de procurer les avantages économiques et environnementaux requis pour justifier les investissements nécessaires dans les nouvelles installations de transmission ou d'assurer une répartition équitable de ces avantages entre les provinces.
Nous vous remercions de votre attention et nous serons heureux de répondre à vos questions.
:
Merci, monsieur le président.
[Français]
Je remercie les membres du Comité.
[Traduction]
Je suis heureux d'être de retour au Comité.
Au Conference Board, nous avons récemment publié un rapport intitulé Le prix à payer pour un avenir plus propre dans lequel nous parlons beaucoup d'électricité et de l'électrification de l'économie.
Je suis ici aujourd'hui pour discuter des principaux résultats de cet exercice, de cette analyse des options qui s'offrent au Canada pour un avenir sobre en carbone. Pour ce faire, je vais évoquer abondamment les résultats de cette recherche que nous avons réalisée conjointement avec l’Académie canadienne du génie. Nous nous sommes associés à l’Académie canadienne du génie pour élaborer ces scénarios.
L'étude s'est penchée sur les incidences de trois politiques distinctes: la tarification du carbone et la modification du bouquet de production électrique, une décarbonisation substantielle du secteur de la production électrique, et les investissements qui permettront au Canada de réduire ses émissions de 60 % d’ici 2050. Les principaux résultats sont quelques idées phares du présent exposé.
La tarification du carbone et la modification de notre bouquet de production électrique auront de faibles incidences sur l’économie, mais produiront des effets distributifs que les décideurs politiques devront prendre en considération.
Une autre conclusion phare de l'étude, c'est que la tarification du carbone et la décarbonisation de notre électricité devront s'accompagner de dépenses de milliers de milliards de dollars dans des infrastructures aptes à produire de l'énergie propre ainsi que d'importantes modifications quant à nos façons de consommer l'énergie. Dans cette optique, la modification du comportement du public jouera un rôle névralgique. Cela demandera une vaste participation de la population canadienne, et il faudra lui faire clairement comprendre qu'elle fait partie de la solution, que cette transition ne pourra pas se faire sans sa collaboration. À cette fin et dorénavant, les décideurs devront clairement expliquer en quoi consiste le plan pour réduire les émissions de gaz à effet de serre.
Comme je l'ai dit, ces constatations découlent de l'exercice de modélisation technique que nous avons réalisé avec l’Académie canadienne du génie, des modèles économiques élaborés par notre organisme — le Conference Board est reconnu pour cela —, d'une analyse des politiques et, compte tenu de l'ampleur de la question, d'une bonne dose de cassage de tête.
Les principaux résultats de l'étude ont été présentés lors du colloque La réforme de l’énergie qui s'est tenu ici, à Ottawa, le printemps dernier, colloque qui réunissait des présentateurs de l'industrie, du gouvernement et du milieu académique. Comme vous le savez, le Conference Board est un organisme non partisan qui s'emploie à réaliser des recherches fondées sur des données probantes. Nos analyses n'ont pas de parti pris. Nous essayons de réunir les faits qui pourront étayer la transition à un monde sobre en carbone. Ce colloque est un bon exemple de ce que le Conference Board fait pour concrétiser le mandat qu'il s'est donné.
Il y a deux grands messages à retenir.
La tarification du carbone et l'abandon graduel des carburants fossiles ne sont pas, à eux seuls, des mesures suffisamment efficaces pour atteindre les cibles de réduction demandées par l'Accord de Paris. Bien entendu, à terme, les technologies et l'innovation vont avoir un impact, mais elles ne nous permettront pas d'atteindre la cible de 2030. Le délai est trop court pour mettre au point des solutions et les adopter. L'autre grand message qu'il faut retenir, c'est le suivant: étant donné les investissements de milliers de milliards de dollars qui seront requis, les décideurs doivent expliquer aux Canadiens l'ampleur de la tâche à accomplir et les répercussions que cette transformation aura sur leur quotidien.
Je ne veux pas entrer dans les détails du rapport, mais il y a certains éléments qu'il serait important de souligner pour les besoins des échanges d'aujourd'hui, notamment en ce qui a trait à l'électrification. Le rapport examine les effets qu'auront la tarification du carbone ainsi que les investissements requis pour atteindre les cibles canadiennes de réduction des gaz à effet de serre. L'étude explique que l'application d'une taxe de 200 $ la tonne d'ici 2025 se traduira par une maigre réduction de 1,5 % des émissions à l'extérieur du secteur de la production énergétique, ce qui est bien peu. Il va falloir faire beaucoup plus que cela si nous voulons obtenir des résultats substantiels.
Dans nos scénarios, la taxe sur le carbone est une importante source de revenus pour le gouvernement. En fait, la règle de base c'est que chaque tranche de taxe de 10 $ la tonne génère des revenus de 6 milliards de dollars. Dans ce scénario, nous présumons que les revenus engrangés seront réinjectés dans l'économie sous forme de réduction d'impôts, de dépenses publiques accrues et d'investissements. À vrai dire, l'hypothèse qui veut que les revenus du carbone soient « recyclés » dans l'économie est la principale raison pour laquelle les conséquences économiques globales de cette mesure sont si modestes.
La recherche quantifie aussi l'impact économique que pourrait avoir la matérialisation de réductions importantes au chapitre des émissions. Je le répète, les besoins en matière d'investissement sont fondés sur les travaux de l’Académie canadienne du génie, notamment sur l'analyse du Projet Trottier pour l'avenir énergétique. Ce document de nature technique décrit plusieurs orientations techniques qui pourraient être prises et plus de huit scénarios.
Ces scénarios ont été élaborés par un groupe formé d'ingénieurs, de représentants de la Fondation David Suzuki et de chercheurs de l'Université McGill spécialisés dans la modélisation technique. Ils n'ont rien dit sur les options stratégiques nécessaires pour arriver aux résultats voulus, mais ils décrivent en détail l'ampleur des réductions qui pourraient être faites si nous utilisions toutes les mesures actuellement disponibles. Ils ont divers scénarios qui permettent des réductions de 30 à 60 % d'ici 2050. Bien entendu, la réduction de 30 % en deçà des niveaux de 1990 d'ici 2050 nous place bien loin de ce que demande l'Accord de Paris. Une réduction de 60 % nous rapprocherait de cet objectif, mais l'analyse technique qui a été réalisée n'indique aucun scénario allant jusqu'à 80 %.
Je ne vais parler que de la réduction de 60 % parce que c'est la plus ambitieuse et parce que c'est la cible que nous nous sommes engagés à atteindre. La réduction des émissions dans une proportion de 60 % nécessitera un investissement de 3 400 milliards de dollars. Cela fait environ 100 milliards de dollars par année, ce qui, pour donner un ordre de grandeur, correspond à environ la moitié des investissements annuels consacrés aux affaires non résidentielles dans l'ensemble du pays. C'est un montant considérable si on le compare à ce qui est dépensé dans d'autres domaines. Comme ces chiffres astronomiques finissent par ne plus avoir de sens, cette comparaison avec une dépense actuelle concrète est une façon de mettre les choses en perspective.
Plus de la moitié de ces dépenses serait consacrée à la production énergétique, et notamment à l'électrification de l'économie. L'une des choses qu'il faut garder à l'esprit — et le gouverneur de la Banque du Canada, M. Steve Poloz, en a parlé à maintes reprises —, c'est que le potentiel de croissance de l'économie canadienne est sur son déclin, principalement à cause du vieillissement de la population active. Concrètement, en ce qui concerne le potentiel de l'économie canadienne, il faut s'attendre à une croissance annuelle de 1,5 à 2 % plutôt qu'aux 3 à 3,5 % dont on avait l'habitude de parler il y a quelques années.
Nous arrivons au bout de la capacité qu'a notre économie de se permettre de nouveaux investissements. Dans nos scénarios, ce que nous disons c'est que ce nouvel investissement devra prendre la place d'autres investissements qui auraient été faits si cette politique n'avait pas été là. Une autre façon de présenter cela serait de dire qu'à l'heure actuelle, notre capital est à l'oeuvre dans l'économie et que nous vivons une situation de plein emploi. Nous n'avons pas un grand bassin de travailleurs qui n'attendent qu'à être affectés à ces nouveaux projets. En fin de compte, le Canada n'est tout simplement pas en mesure de mobiliser les fonds, le capital et les ressources humaines nécessaires sans hypothéquer les ressources financières et la capacité de production d'une autre activité économique.
Une chose qu'il faut garder à l'esprit et qui sera d'une importance cruciale pour les solutions qui seront mises de l'avant, c'est qu'aucun des scénarios examinés dans notre étude ne tient compte des fuites de carbone. Dans la mesure où les ajustements commerciaux impliquent une diminution des exportations de biens à forte intensité carbonique, sans une réduction correspondante de la consommation de ces produits par nos partenaires commerciaux, les réductions d’émissions au Canada pourraient être totalement neutralisées par des augmentations ailleurs. Autrement dit, si nous ne produisons pas ces émissions ici, elles seront produites ailleurs.
Notre étude cerne cinq éléments prioritaires pour la suite des choses. Premièrement, il y a l'acceptation de l'utilisateur final. Je crois qu'il est impossible de surestimer l'importance de cela. Les décideurs qui piloteront cette transition à une économie sobre en carbone doivent expliquer très clairement aux ménages et aux entreprises ce qu'ils devront faire pour que nous arrivions à réduire les émissions de façon importante, et faire comprendre à la population que la société est prête à prendre ces engagements. L'histoire nous enseigne qu'un changement à long terme ne peut pas être imposé par des instances dirigeantes et qu'il doit, pour se matérialiser, être souhaité par les citoyens.
Le deuxième élément est l'acceptation de projets de grande envergure. Je crois qu'un aspect central de l'électrification, c'est qu'il faut reconnaître la nécessité d'investir de façon substantielle partout au pays dans le domaine de l'hydroélectricité, du nucléaire et de l'énergie éolienne. Or, les projets de grande envergure soulèvent souvent des controverses. Il est essentiel que ces projets reçoivent l'assentiment des groupes environnementaux, des groupes autochtones et du public.
Le troisième élément, c'est que les projets doivent faire l'objet d'une évaluation environnementale de bonne tenue. Cela demande du temps. Les effets cumulatifs à long terme doivent être inclus dans ces études environnementales. Comme le cycle de vie de la mise en chantier d'un projet d'envergure peut facilement durer plus d'une décennie, ces évaluations doivent faire partie de nos objectifs stratégiques.
Le quatrième élément est la reconnaissance réglementaire du besoin d'investir et de recouvrer les coûts. Bien entendu, le fait d'investir dans des projets de ce type est une décision d'affaires. Le monde des affaires a besoin de certitudes à long terme.
Le dernier élément — et c'est la perspective la plus radieuse pour le Canada —, c'est que nous devons réfléchir à cette transition à un monde sobre en carbone et à des émissions nettes négatives en plaçant les choses dans leur contexte. En fin de compte, c'est ce qui importe à l'échelle mondiale.
Une politique canadienne efficace de réduction des gaz à effet de serre doit tenir compte de son incidence sur la compétitivité mondiale en matière de commerce et de l'effet net sur les émissions de gaz à effet de serre du monde entier. Ceci est particulièrement important dans la mesure où le Canada est une économie ouverte fortement axée sur le commerce, une économie qui s'est bâtie au fil des ans grâce à un avantage compétitif clé puisqu'elle pouvait compter sur d'abondantes ressources naturelles et de l'énergie à bon marché. Il est donc normal que l'économie d'aujourd'hui soit le reflet de cela.
L'option stratégique où le Canada arriverait à se faire créditer des réductions nettes parce qu'il exporte son savoir-faire en matière de solutions techniques laisse entrevoir une perspective favorable pour le pays. Ce serait une occasion de faire preuve de leadership et de créer des emplois et des débouchés économiques pour les Canadiens. C'est quelque chose dont on n'a pas encore parlé. On en parlait pas mal dans les années 1990 lorsque les ententes de Rio et de Kyoto ont été signées, mais le sujet n'est pas revenu sur le tapis. Je vous encourage fortement à examiner cette option de près. Il s'agit assurément d'un scénario qui profiterait tant au Canada qu'à la planète.
Merci.
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Il est difficile de répondre à une question semblable. S'il avait été simple et économiquement viable d'approvisionner en électricité les localités éloignées, ce serait déjà chose faite. Ce n'est pas le cas aujourd'hui parce qu'il y a des sommes considérables à engager pour mettre en place toute l'infrastructure nécessaire au raccordement de ces collectivités éparpillées sur un très vaste territoire. C'est tout un défi dans un pays comme le Canada.
Il faut ajouter à cela différents facteurs dont les conditions météorologiques. Il faut ensuite voir dans les différentes régions du pays comment chaque province a conçu son réseau, notamment pour ce qui est de la charge de base et des charges de pointe. Il n'y a donc pas de réponse facile à cette question.
Vous parlez d'une moyenne générale, mais c'est justement ça le problème. Il n'existe pas de moyenne semblable, car les localités éloignées diffèrent beaucoup les unes des autres selon leur niveau de développement économique et suivant les populations qu'on y retrouve. Si vous devez composer avec des groupes autochtones, qu'il s'agisse d'Inuits plus au nord ou de Premières Nations — et encore là, tout dépend de quelles Premières Nations il s'agit — vous vous retrouvez avec différents niveaux de connaissance et de développement socioéconomique.
Le Conference Board a une initiative intitulée « Centre pour le Nord » qui nous permet d'explorer les enjeux liés aux localités éloignées depuis maintenant six ans. Il est ressorti de tout ce travail un message bien clair: il est vraiment difficile de trouver une solution homogène et d'application générale pour certains des problèmes en cause, qu'il s'agisse du développement des infrastructures, de la jeunesse autochtone ou de la gouvernance. Comme chaque région a son tissu social, ses caractéristiques et son ADN bien à elle, il m'est malheureusement impossible de vous répondre de façon générale.
Pour répondre à la seconde partie de votre question quant aux solutions envisageables pour les localités vraiment éloignées, en pensant sans doute à celles situées le plus au nord, je vous dirais que le stockage représente le plus grand défi. À l'heure actuelle, le diesel est la principale source de combustible. Il est livré une ou deux fois par année en fonction d'une estimation des besoins pour la saison à venir, en espérant que le tout sera suffisant. C'est une source d'énergie très polluante qui n'est pas vraiment efficiente en plus d'être bruyante. Le diesel est problématique à bien des égards.
Le recours à l'énergie éolienne assortie d'une capacité de stockage commence à se dessiner comme option possible. Ce n'est pas le cas pour l'hydroélectricité et le nucléaire, mais pour bon nombre des sources d'énergie renouvelables — et on peut penser à l'énergie éolienne en mer ou sur terre — c'est surtout la capacité de la pile et la façon dont on peut accumuler l'énergie produite qui causent des difficultés. Certaines technologies commencent à prendre leur place à ce niveau. Nous en avons traité dans le cadre de notre travail d'analyse. Ce n'est pas encore applicable à grande échelle ni économiquement viable, mais cela fait certes partie des options à prendre en considération dans le cadre d'une transition vers une économie à faibles émissions de carbone.
Désolé, mais pourriez-vous répéter votre troisième question?