Bienvenue à la 88e séance du Comité permanent du commerce international de la Chambre des communes. La réunion d'aujourd'hui a lieu en format hybride, conformément au Règlement; par conséquent, certains membres y participent en personne dans la pièce, alors que d'autres y assistent à distance au moyen de l'application Zoom.
J'aimerais faire quelques observations à l'intention des témoins et des membres du Comité.
Avant de parler, veuillez attendre que je vous donne la parole en vous appelant par votre nom. Pour ceux qui participent par vidéoconférence, veuillez désactiver votre microphone lorsque vous ne parlez pas. Je vous rappelle que vous devez en tout temps vous adresser à la présidence et qu'en cas de problème technique, vous devez m'en informer immédiatement, car il se peut que nous devions suspendre la séance afin de permettre aux services d'interprétation d'être rétablis avant de reprendre les travaux.
Je demande à tous les participants d'être prudents lorsqu'ils manipulent les oreillettes afin d'éviter les retours de son.
Étant donné que nous avons commencé notre séance avec 40 minutes de retard et qu'il est important d'entendre nos témoins, je propose, comme M. Baldinelli l'a proposé, de prolonger la séance de 40 minutes. Nous disposerons ainsi d'une heure à partir de 11 h 40, et notre séance se poursuivra donc jusqu'à 12 h 40.
Conformément à l'article 108(2) du Règlement et à la motion adoptée par le Comité le mardi 17 octobre 2023, le Comité poursuit son étude sur la grève de 2023 au port de Vancouver.
Nous accueillons aujourd'hui par vidéoconférence M. Barry Eidlin, professeur agrégé de sociologie à l'Université McGill. Nous avons également avec nous M. Robin Guy, vice‑président et chef adjoint des relations gouvernementales de la Chambre de commerce du Canada, et M. Carlo Dade, directeur du Centre pour le commerce et les infrastructures commerciales de la Canada West Foundation.
Bienvenue à tous.
Nous allons commencer par les déclarations préliminaires, puis nous passerons aux questions.
Monsieur Guy, je vous cède la parole pour un maximum de cinq minutes.
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Bonjour, madame la pésidente et honorables membres.
La Chambre de commerce du Canada est la plus grande association commerciale du pays, avec un réseau actif de plus de 400 chambres de commerce représentant près de 200 000 entreprises de toutes tailles, dans tous les secteurs et toutes les régions de notre pays.
En tant que nation commerçante, notre infrastructure commerciale revêt plus d’importance pour le Canada que pour beaucoup d’autres pays dans le monde. En fait, 2 $ sur 3 gagnés par le Canada dépendent du transport de marchandises. Ce chiffre est nettement supérieur à la moyenne de l’OCDE, qui est d’un peu plus de 50 %. Lorsque les entreprises canadiennes ne peuvent pas importer ou exporter des marchandises de manière fiable, nous compromettons notre capacité à développer notre économie.
Notre côte Ouest est le plus grand point de contact du Canada avec le monde, avec plus de 800 millions de dollars de marchandises manutentionnées chaque jour, qu’il s’agisse de produits agroalimentaires, de potasse, de minéraux critiques ou de produits de première nécessité. Cela représente un quart du commerce total du Canada.
Cet été, nous avons connu plus de 35 jours d’incertitude et de perturbations à nos ports de la côte Ouest, notamment à ceux de Vancouver et de Prince Rupert, ce qui a entraîné des retards importants pour les entreprises canadiennes dans pratiquement tous les secteurs de partout au pays. Ainsi, 25 % de nos échanges commerciaux ont été bloqués.
Cela signifie que le secteur canadien de la potasse a dû réduire sa production et ses ventes pendant la grève, ce qui a obligé ceux qui dépendent du Canada pour leurs engrais à chercher ailleurs pour veiller à ce qu’ils puissent continuer à produire leurs récoltes. Les entreprises qui attendaient des pièces de rechange pour réparer leurs machines ont dû subir des retards, ce qui a entraîné un ralentissement ou un arrêt de la production. Cela signifie que les fruits et légumes que nous importons au Canada ont été laissés à pourrir dans des conteneurs au lieu d’être sur les étagères pour le plaisir des consommateurs. En clair, cela signifiait que les produits allaient devenir plus chers pour les Canadiens et alimenter l’inflation.
J’insisterai auprès du Comité sur le fait que les dommages causés par une grève ne se limitent pas aux jours où les travailleurs font du piquetage. Les entreprises ont besoin de certitude. Elles ont besoin de savoir que s’ils importent ou exportent des marchandises, celles‑ci seront acheminées à bon port, en temps opportun. Dans le cas contraire, les fournisseurs iront voir ailleurs, et il n’est pas garanti qu’ils reviendront.
Au vu du bilan du Canada, nombre de nos partenaires commerciaux commencent à se demander si le Canada est en mesure d’acheminer les marchandises sur le marché de manière fiable. Nous l’avons constaté peu après la grève des ports de la côte Ouest, avec la Voie maritime du Saint‑Laurent, et avec l’incertitude qui plane sur le port de Montréal.
Je dois préciser que la Chambre de commerce du Canada respecte le droit à la négociation collective. Nous croyons sincèrement que les meilleurs accords sont ceux qui sont le fruit d’une négociation. Mais lorsque les négociations sont rompues et qu’il n’est plus possible de négocier de manière significative, les milieux d’affaires canadiens attendent du gouvernement qu’il fasse preuve de leadership et qu’il agisse dans l’intérêt du pays.
La Chambre de commerce du Canada a demandé au gouvernement d’utiliser tous les outils à sa disposition pour prévenir une grève, puis pour la résoudre. Nous avons félicité le d’avoir demandé au médiateur principal de recommander des conditions de règlement pour parvenir à un accord équitable. Malheureusement, cette action n’a été lancée que près de deux semaines après le début de la grève dans les ports, alors que l’économie et la réputation du Canada avaient déjà subi d’importants dommages, et elle s’est prolongée pendant plusieurs semaines alors que le syndicat refusait de signer la convention.
L’examen lancé par le en vertu de l’article 106 du Code canadien du travail est une occasion clé, pour le gouvernement, de se doter de plus d’outils pour éviter les interruptions de travail tout en protégeant l’intérêt public. Nous devons nous assurer que le gouvernement a la capacité de forcer les deux parties à se rencontrer dans le but de parvenir à une forme de résolution contraignante. Nous ne pouvons accepter que le gouvernement attende deux semaines avant de prendre des mesures.
Les chaînes d’approvisionnement du Canada sont aussi solides que leur maillon le plus faible. Le gouvernement ne peut pas résoudre tous les problèmes liés à nos chaînes d’approvisionnement, mais il doit chercher à mettre en place des politiques qui favoriseront le commerce et renforceront les chaînes d’approvisionnement. Il y a moins d’un mois, le a déclaré aux Canadiens que notre crédibilité en tant que nation commerçante dépend du fonctionnement stable de nos chaînes d’approvisionnement. Nous devons faire tout ce qui est en notre pouvoir pour préserver cette stabilité. Nous sommes tout à fait d’accord.
Cependant, la présentation du projet de loi , qui vise à interdire le recours à des travailleurs de remplacement pendant les grèves, laisse entendre que le gouvernement souhaite en fait s’éloigner de la préservation de la stabilité. En fait, ce projet de loi ne fait que renforcer l’image du Canada en tant que partenaire commercial instable et peu fiable.
Nous avons besoin que nos dirigeants s’engagent dans un dialogue honnête qui fournira à notre gouvernement les outils dont il a besoin pour relever nos défis en matière de travail, tout en permettant aux employeurs et aux employés de négocier comme il se doit. Dans l’intérêt de notre économie, j’invite tous les partis à voter contre cette mesure législative.
Je vous remercie pour le temps que vous nous avez accordé. Nous sommes maintenant prêts à répondre à vos questions.
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Bonjour et merci de m'avoir invité à vous parler aujourd'hui de la grève de 2023 au port de Vancouver.
Je m'appelle Barry Eidlin et je suis professeur agrégé de sociologie à l'Université McGill, où j'enseigne depuis 2015.
Mon expertise porte sur l'étude des mouvements syndicaux, de la politique et des politiques. J'ai publié de nombreux articles sur la création et l'évolution des relations de travail au Canada et aux États‑Unis, afin d'essayer de comprendre pourquoi deux pays dotés de politiques si semblables au départ ont suivi des voies aussi différentes, le Canada ayant choisi de protéger les droits des travailleurs au fil du temps, tandis que les États‑Unis les ont laissés s'éroder.
Jusqu'à présent, le Comité a recueilli des témoignages détaillés sur les effets dévastateurs de la grève de deux semaines, qui a débuté le 1er juillet, sur les entreprises canadiennes de toutes tailles. En revanche, ce dont il a moins été question, c'est de la manière dont nous en sommes arrivés au 1er juillet. Or, c'est important, car il faut comprendre que les grèves font partie intégrante du processus de négociation collective, et qu'elles ne se résument pas à des événements isolés.
Comme vous le savez, les négociations en vue de parvenir à un accord ont débuté le 16 février. Après plus d'un mois, soit le 20 mars, le Syndicat international des débardeurs et magasiniers du Canada a déclaré une impasse et a demandé l'intervention d'un conciliateur. S'en sont suivis 60 jours de conciliation, une période de réflexion de 21 jours, et enfin, un vote de grève. Le Syndicat international des débardeurs et magasiniers du Canada a ensuite donné un préavis de grève de 72 heures et, finalement, le 1er juillet, les travailleurs se sont mis en grève.
Il faut souligner que le processus de négociation collective comporte déjà de nombreux mécanismes visant à réduire le risque de grève. C'est à cela que servent la conciliation et les périodes de réflexion.
Il est également important de noter que les travailleurs souhaitent rarement se mettre en grève. Ils le font par obligation et en dernier recours, après l'échec de toute tentative visant à faire reconnaître leurs préoccupations par leur employeur.
La question qu'il faut se poser est la suivante: pourquoi, compte tenu de tous les mécanismes qui existent déjà, des grèves ont elles été déclenchées dans les ports de la Colombie‑Britannique? Comment se fait‑il que les négociations aient échoué?
Le témoignage de Rob Ashton, président du Syndicat international des débardeurs et magasiniers du Canada, devant le Comité, nous donne quelques indices. Vous vous souviendrez que M. Ashton avait fait remarquer que l'association des employeurs maritimes de la Colombie‑Britannique avait modifié sa stratégie de négociation depuis 2010. Ainsi, plutôt que de négocier de manière constructive, elle a traîné les pieds en attendant que le gouvernement intervienne pour imposer un règlement afin d'éviter une catastrophe économique. L'Association des employeurs maritimes de la Colombie‑Britannique n'est pas la seule à agir de la sorte. Sa stratégie s'inscrit dans ce que les universitaires Leo Panitch et Donald Swartz caractérisent comme l'« exceptionnalisme permanent » que l'on observe dans le régime des relations de travail au Canada.
Dans le cadre de ce régime, les gouvernements et les employeurs affirment systématiquement soutenir les droits de négociation collective des travailleurs, mais ne cessent de trouver des raisons de les contourner soi-disant exceptionnellement. Ainsi, au Canada, le gouvernement fédéral et les gouvernements provinciaux sont parmi les gouvernements qui ont le plus recours aux mesures législatives de retour au travail parmi les pays du G7, et ceux qui enfreignent le plus souvent les droits du travail internationaux. De fait, de 2002 et 2019, 54 % des plaintes déposées contre des pays du G7 pour atteinte aux droits du travail auprès du comité sur la liberté d'association de l'Organisation internationale du travail concernaient le Canada.
Si, prise individuellement, chaque intervention peut sembler raisonnable, comme dans le cas des ports de la Colombie‑Britannique, celles‑ci ont pour effet, à la longue, d'éroder le processus de négociation collective. En effet, les interventions répétées des gouvernements incitent moins les employeurs à négocier, puisqu'ils peuvent se contenter d'attendre que ceux‑ci imposent des règlements, et qu'ils peuvent également brandir la menace d'une intervention gouvernementale pour obtenir gain de cause. Le fait d'avoir systématiquement recours à l'intervention du gouvernement après coup plutôt que de respecter le processus n'est pas une approche saine.
Si nous souhaitons réellement maintenir un système de négociation collective solide, nous devons mettre en place des incitatifs à négocier des accords, appuyés par un véritable droit de grève. Ce n'est pas pour rien que la Cour suprême a qualifié le droit de grève de « composante indispensable » des droits de négociation collective des travailleurs. Tenter de résoudre les conflits du travail par le biais d'une intervention ponctuelle du gouvernement peut résoudre le problème à court terme, mais entraîne des problèmes plus graves à long terme.
Je vous remercie de votre attention.
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Madame la présidente, membres du Comité, je vous remercie.
[Traduction]
Merci de m'avoir invité à me joindre à vous depuis le territoire du Traité no 7 en Alberta.
La Canada West Foundation travaille depuis 50 ans à assurer la force de l'Ouest au sein d'un Canada fort. Depuis une décennie, nous portons une attention particulière à l'étude des infrastructures et du système du commerce international au Canada, aux actifs qui servent à déplacer les biens, les gens, l'argent et les idées entre les marchés.
Le Comité a beaucoup entendu parler de l'importance du commerce international — le chiffre de 66 % de la Chambre de commerce a été mentionné — et nous comprenons l'importance du commerce international, mais ce qui est moins connu au Canada, c'est la perception qu'a le reste du monde de l'infrastructure canadienne de commerce international. Cette question a été soulevée à répétition dans les témoignages entendus par le Comité. On a parlé d'une question un peu marginale, mais elle est en fait essentielle pour comprendre l'importance de la grève et comprendre et évaluer les réponses possibles.
Je vais parler rapidement de certains des indicateurs qui montrent un effondrement de la perception de la qualité de l'infrastructure commerciale du Canada et qui nous ont amenés à entreprendre ces travaux et à les poursuivre.
Dans le rapport sur la compétitivité des pays du Forum économique mondial, l'infrastructure commerciale du Canada se classait dans le top 10 mondial il y a une décennie. Dans la plus récente version de ce rapport, le Forum économique mondial plaçait le Canada au 32e rang, tout juste devant l'Azerbaïdjan.
L'indice de performance logistique de la Banque mondiale, qui prend les cinq principaux partenaires commerciaux d'un pays, révèle que la perception qu'ont les partenaires commerciaux du Canada de son infrastructure commerciale a connu un déclin précipité dans les derniers temps.
Au pays, le sondage mené par WESTAC auprès des intervenants canadiens indique que les inquiétudes quant à la qualité de la gestion de l'infrastructure commerciale canadienne demeurent constamment l'une des principales préoccupations. C'est aussi ce qu'on entend à l'étranger. La Chambre de commerce du Canada au Japon appuie notre étude et nos travaux et elle a mentionné les perceptions et les inquiétudes au Japon en ce qui a trait à la qualité de l'infrastructure commerciale du Canada.
Pourquoi est‑ce important dans la réflexion sur l'impact et l'importance de la grève? Il y a des grèves dans les systèmes et l'économie d'autres pays dans le monde. Il y a des barrages. Il y a des enjeux environnementaux qui ont un impact sur les échanges commerciaux. Le problème en ce qui concerne le Canada n'est pas une question de perception, c'est que nos partenaires commerciaux savent que le pays ne possède pas ce que les autres pays du G7 et la plupart des pays de l'OCDE possèdent, c'est-à-dire des institutions et un système permanents chargés de la collecte et de l'analyse de données qui peuvent être utilisées pour éclairer les décisions de tous les intervenants.
Les représentants de Transports Canada ont indiqué que, en réponse à la grève, ils se sont dépêchés de créer un système du genre, le même type de système que nos compétiteurs possédaient déjà. Le problème au Canada quand il y a un barrage ou une grève dans un port, c'est que nous avons déjà un pas de retard face à nos clients et à nos compétiteurs. La capacité du Canada à gérer ce système est déjà mise en doute alors l'effet d'une grève, par exemple, sera plus grand au Canada.
Pour répondre à cette situation, nous avons conçu, d'après la recherche que nous avons menée sur les pratiques exemplaires à l'étranger, un système qui permettrait au Canada de se doter des mêmes outils que nos compétiteurs: une infrastructure commerciale nationale assortie d'un système de planification permanent fonctionnant en partenariat avec le secteur privé. Cette demande est appuyée par le secteur privé, par la chambre de commerce et par le Conseil canadien des affaires, entre autres. Les premiers ministres l'ont également appuyée l'été dernier lors du Conseil de la fédération à Winnipeg. Les 13 premiers ministres ont demandé au Canada de mettre en œuvre la planification de l'infrastructure commerciale nationale.
En ce qui concerne la réponse à la grève, on peut bien essayer de régler les problèmes à mesure qu'ils surviennent et régler la grève du moment et modifier les lois, mais si on ne fait rien pour régler les problèmes systémiques sous-jacents, on se retrouve toujours en position de faiblesse et la crédibilité du pays à l'étranger demeure inexistante.
C'est ce qui conclut mon exposé. Je suis également prêt à répondre aux questions du Comité au sujet de l'étude sur l'indice de la Banque mondiale.
Merci.
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Merci, madame la présidente.
Je remercie les témoins d'être avec nous aujourd'hui.
Monsieur Guy, je vais commencer par la Chambre de commerce du Canada.
Dans vos observations, vous avez parlé du fait que 2 $ sur 3 $ gagnés au Canada dépendent du déplacement efficient des biens au pays. La grève au Port de Vancouver a eu un impact économique direct sur le Canada. Il y avait les 800 millions de dollars chaque jour en expéditions — je pense que cela a donné 10,7 milliards de dollars au total —, mais, comme vous l'avez mentionné, c'est 25 % du commerce international du Canada qui était paralysé.
David Adams, de Constructeurs mondiaux d'automobiles, est venu témoigner et a affirmé que la grève avait ajouté jusqu'à 60 jours de délai supplémentaires dans la chaîne d'approvisionnement. Je crois que d'autres témoins l'ont confirmé et nous ont parlé de retards d'environ trois semaines au total. C'est toute la chaîne d'approvisionnement qui a été touchée. Je ne crois pas qu'il y ait de donnée économique qui puisse représenter cet impact.
Il y a aussi les dommages causés à la réputation du Canada. Des témoins nous ont dit que ce que veulent les entreprises, c'est de la certitude. La grève a à tout le moins mis en question la capacité du Canada et l'utilisation de certains ports. À cela s'ajoute la grève sur la Voie maritime du Saint‑Laurent. On parle maintenant de la possibilité d'une grève au Port de Montréal.
Vous avez parlé du gouvernement et de leadership.
Pourriez-vous nous en dire plus sur ce que le gouvernement pourrait faire afin de s'impliquer plus tôt dans le processus pour offrir son aide? Je comprends qu'il faut essayer de trouver un équilibre entre les intérêts des entreprises et ceux des travailleurs, mais que pourrait faire le gouvernement pour s'impliquer plus tôt dans le processus?
Quand on regarde la chronologie des événements, le gouvernement a demandé aux employeurs de négocier à l'hiver de 2022. Cela n'a pas empêché le déclenchement de la grève le 1er juillet.
Que pouvons-nous faire pour rapprocher les positions de façon à obtenir des ententes et à éviter ce genre de situations?
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Nous avions commencé à parler de la possibilité d'un arrêt de travail sur la côte Ouest du Canada. Je souligne qu'il est important de parler du Port de Vancouver, mais que d'autres ports ont également été touchés. Nous avions commencé à en parler environ sept mois avant que la grève survienne.
Je crois que, lorsque nous parlons de leadership, ce qui est apparent, c'est qu'il faut régler ces situations avant qu'il y ait un arrêt de travail ou un débrayage.
Je crois qu'il est important que nous regardions ce qui peut être fait avant une grève, mais aussi après et qu'il y ait un examen de ce que se passe. Je sais que c'est ce que le gouvernement fait au sujet de l'article 106.
Nous devons vraiment nous assurer que le ministre ait les outils dont il a besoin pour régler cette question. Nous ne voulons pas que le ministre reste sur les lignes de côté lorsqu'il y a un arrêt de travail. Nous voulons que le ministre mène les efforts en vue d'un règlement, qu'il réunisse les parties, qu'il impose une entente ou force les parties à rester à la table sans arrêter la grève ou le lockout.
Monsieur Dade, je voudrais vous parler de certains des travaux de la Canada West Foundation.
Vous avez parlé de l'indice de performance des ports à conteneurs, par exemple. À l'heure actuelle, le Port de Vancouvr arrive 347e sur 348 ports. Cette étude a été menée par S&P Global Market Intelligence pour le Groupe de la Banque mondiale.
Vous avez des suggestions concernant toute la question de l'infrastructure. À votre connaissance, est‑ce que le gouvernement a fait des démarches auprès de votre organisation, par exemple, ou de S&P Global Market Intelligence pour obtenir des informations en vue d'un examen?
Que pourrait faire le gouvernement canadien pour examiner des choses comme les ports afin d'améliorer l'infrastructure au Canada et éviter certains des problèmes avec lesquels nous sommes aux prises?
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J'ai deux courts éléments de réponse. En ce qui concerne l'étude sur les ports, ce que S&P et la Banque mondiale ont fait était très complexe et il faut avoir une explication détaillée. Il y a certaines nuances à apporter aux classements.
Pour ce qui est de la réponse, il est intéressant de noter que, lorsqu'elle a reçu le rapport de la Banque mondiale, l'Australie a fait des démarches auprès de S&P et du consultant concerné, a discuté avec eux et travaillé avec eux pour produire une étude sur les solutions aux problèmes révélés.
Le Canada ne l'a pas fait, il n'a pas eu de bonnes discussions avec le consultant qui avait conçu la méthodologie et qui mène l'étude. En date de juillet, le Canada n'avait pas suivi l'exemple de l'Australie. Il s'agirait certainement d'une occasion à saisir pour améliorer la performance en tirant profit des cinq années de travail accompli par la Banque mondiale et S&P.
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Merci beaucoup, madame la présidente.
En remplacement de mon collègue M. Savard‑Tremblay, je vais me tourner vers M. Barry Eidlin pour ce tour de questions.
Monsieur Eidlin, pendant la grève, plusieurs acteurs économiques, notamment la Chambre de commerce du Canada, dont l'un des représentants est présent, ont demandé au gouvernement de mettre en place une loi spéciale forçant le retour au travail des grévistes. Cela n'a pas été le cas, mais on sait que le Canada a un triste bilan en ce qui concerne le retour forcé des travailleurs au moyen de lois spéciales.
Pouvez-vous nous parler des répercussions qu'ont les lois spéciales forçant le retour au travail sur les droits des travailleurs?
:
Je vous remercie beaucoup de votre question.
D'abord, comme je l'ai dit dans mes propos, l'utilisation par le Canada des lois spéciales pour forcer le retour au travail est assez exceptionnelle. Ce n'est pas normal, à l'échelle internationale, de voir ce genre de loi spéciale utilisé aussi fréquemment qu'on le fait au Canada. C'est troublant, parce que cela ne favorise pas un système de relations de travail sain. Lorsqu'on force le retour au travail, on ne résout pas le problème qui a mené à la grève. On ne fait que reporter le problème.
Ce qu'on a appris, en regardant l'histoire du développement des relations de travail au Canada, c'est que la réponse du gouvernement, dans les années 1930 et les années 1940, visait à restreindre le droit de grève. Cela n'a pas fonctionné. Ce n'est qu'en essayant de réformer ces lois à plusieurs reprises qu'on a vu qu'il fallait plutôt établir un processus pour résoudre les problèmes qui ont mené à la grève, et non supprimer tout simplement la possibilité de faire la grève.
Au fur et à mesure que notre système de relations de travail s'est développé, on a constaté, lors de vagues de grève, que la réponse du gouvernement était de renforcer les droits des travailleurs, et non de les supprimer. On a appris que ce n'est qu'en renforçant ces droits qu'on peut créer un système de relations de travail qui peut bien fonctionner.
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Oui, absolument. Je dirais que c'est une conséquence de l'habitude qu'on a, dans ce pays, d'essayer de résoudre ces problèmes au moyen de lois spéciales.
En effet, dans un tel contexte, les employeurs ne sont pas incités à résoudre les problèmes à la table de négociation, mais plutôt à attendre une intervention ou une loi spéciale.
C'est la raison pour laquelle il n'y a pas de vrais décideurs à la table. Les personnes qui prennent leur place ne prennent pas les vraies décisions, parce qu'on pense que celles-ci seront prises plus tard, après l'imposition d'une loi spéciale ou après en avoir parlé. L'existence des lois spéciales empêche la résolution des problèmes à la table de négociation.
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Merci beaucoup, madame la présidente.
Monsieur Eidlin, j'ai beaucoup aimé le début de votre témoignage, lorsque vous avez expliqué qu'il ne s'agissait pas d'événements singuliers et qu'il était important de comprendre comment nous en étions arrivés là.
Pendant la grève, j'ai rendu visite à certains travailleurs dans ma circonscription, Port Moody—Coquitlam, ainsi qu'à Anmore et à Belcarra. On m'a parlé de la capacité à négocier directement avec l'employeur. La British Columbia Maritime Employers Association servait d'intermédiaire.
À la chambre de commerce, quand on parle de tous les outils à sa disposition, comment l'employeur utilise‑t‑il des outils comme la British Columbia Maritime Employers Association, et comment cela améliore‑t‑il ou mine‑t‑il le processus de négociation avec les travailleurs?
:
Tout d'abord, je tiens à dire que je pense qu'il est bon d'avoir des associations d'employeurs. Il faut des systèmes de négociation coordonnés parce qu'il faut aussi des standards coordonnés à tous les points de vue. Ce n'est pas un bon système que chaque employeur essaie de conclure sa propre entente avec le syndicat.
Le problème n'est pas l'existence de la British Columbia Maritime Employers Association en tant que telle, mais de savoir qui siège à la table de négociation et qui a le pouvoir de prendre des décisions.
Si une association d'employeurs dispose d'un véritable pouvoir de décision, qu'elle connaît les réalités du terrain et qu'elle a le pouvoir d'entamer des négociations dans le but de parvenir à une entente, c'est une bonne chose.
Le problème dans le cas de la British Columbia Maritime Employers Association, comme M. Ashton et d'autres l'ont déjà dit, c'est qu'elle n'envoie pas à la table de négociation des personnes ayant un pouvoir de décision. Comme je l'ai déjà dit, la structure d'incitation est telle que rien ne l'incite à parvenir à une entente à la table de négociation, de sorte qu'on y envoie essentiellement des personnes qui servent de bouche-trous. Cette situation nuit à l'ensemble du processus de négociation collective.
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Je pense que c'est aussi ce qui intéressait ma collègue du Bloc, à savoir si les décideurs siègent à la table de négociation.
L'objectif de cette étude consiste à comprendre les répercussions économiques de la grève au port de Vancouver. Il me semble que cela implique également les répercussions sur les familles touchées. Dans ma circonscription, Port Moody—Coquitlam, de nombreux travailleurs ont été touchés et ont dû lutter contre l'augmentation du coût des loyers, des logements et de la nourriture.
Je me demande si vous pourriez nous faire part de vos réflexions, voire de vos recommandations, sur la manière dont les travailleurs sont touchés lorsque les négociations sont limitées et qu'ils n'ont pas la possibilité de mener des négociations collectives équitables.
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En ce qui concerne l'effet sur les négociations collectives, avec ce genre de précédent, où l'on soutient les négociations collectives sauf lorsqu'elles ne se déroulent pas comme on le souhaiterait, on affaiblit réellement l'influence des travailleurs.
L'objectif de la négociation collective est d'uniformiser les règles du jeu. Le régime de relations de travail du Canada part du constat qu'il existe un déséquilibre structurel des pouvoirs entre les employeurs et les travailleurs, et qu'un système de négociation collective s'impose pour uniformiser les règles du jeu.
Des mesures comme une loi de retour au travail, à l'instar des briseurs de grève, ont pour effet de faire pencher la balance du côté de l'employeur, ce qui nuit à l'ensemble du système.
Comme je l'ai dit tout à l'heure à votre collègue du Bloc, ce n'est pas en balayant le problème sous le tapis qu'on le fera disparaître. Les problèmes au port et ceux qu'on a constatés dans d'autres grèves aux quatre coins du pays cette année touchent un grand nombre des Canadiens, avec des salaires qui ne suivent pas le coût de la vie, avec le coût du logement, avec l'automatisation et avec la façon dont ces problèmes se répercutent sur les emplois des gens.
Il nous faut un système de négociation collective qui permet d'exposer ces enjeux au grand jour et de les traiter dans le cadre d'une tribune publique de manière à répondre aux préoccupations des travailleurs, parce que le simple fait d'essayer de faire disparaître les problèmes ne les résout pas et ne fait que les remettre à plus tard.
Pour ma dernière question, je pense aux travailleurs et au fait que l'on constate actuellement une résurgence de travailleurs qui affirment ne pas avoir été rémunérés équitablement. Je pense aux femmes qui travaillent dans l'économie des soins, au personnel infirmier, aux travailleurs de première ligne, à ceux qui interviennent dans les situations d'urgence et à ceux qui n'ont pas été rémunérés de manière adéquate.
Lorsqu'on envisage de mener une étude sur l'économie, comment faire en sorte que les travailleurs peuvent s'exprimer équitablement afin de comprendre que cette situation touche également les familles et les personnes sur le terrain, ici au Canada?
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Merci, madame la présidente.
Je remercie les témoins qui sont ici.
Monsieur Guy, on a entendu certains de mes collègues et certains témoins dire que les ports ne sont pas essentiels. Or, je trouve que les ports et les chemins de fer sont la colonne vertébrale de l'économie.
Ces grèves peuvent mener à la fermeture d'entreprises. Je n'irai pas jusqu'à dire que cela peut même créer des idées suicidaires, mais une faillite d'entreprise peut causer énormément de problèmes. C'est beaucoup.
Qu'est-ce que vous pensez lorsqu'on dit que ce n'est pas essentiel?
:
C'est une question très importante à aborder, surtout dans ce contexte.
Je vais opposer un contre-argument à l'observation selon laquelle la balance penche d'un côté ou de l'autre. Je dirais que l'effet est exactement le même, et que la balance penche d'un côté.
On a constaté que les gouvernements successifs se sont efforcés de maintenir un équilibre soigneusement établi entre les employeurs et les employés. En réalité, le document de travail du gouvernement fédéral sur l'interdiction des travailleurs de remplacement a conclu que lorsque les provinces interdisent ces travailleurs, les grèves et les lock-out sont plus fréquents.
Je dirais également que la discussion sur les travailleurs de remplacement est terriblement mal comprise. Il ne s'agit pas de quelqu'un comme moi qui va faire fonctionner une grue dans un port, mais de personnes qui sont souvent des gestionnaires au sein d'organisations, qui travaillent pour payer leurs factures. Par exemple, s'il y a une grève des chemins de fer au pays, cela pourrait avoir des conséquences sur les services de train de banlieue dans les plus grandes villes du Canada. Le propane pourrait ne pas pouvoir être acheminé vers les hôpitaux ou les maisons pour le chauffage. Les grains pour l'alimentation animale pourraient ne pas pouvoir se rendre jusqu'au bétail. Il s'agit donc d'un enjeu d'envergure qui, à mon avis, ne constitue pas une bonne politique et relève de la petite politique plutôt que de la bonne gouvernance ou des bonnes politiques.
:
Merci, madame la présidente.
Je suis désolée, je n'ai pas beaucoup de voix, mais j'espère que vous allez m'entendre.
Ce qui m'intéresse présentement, c'est encore toute la question des travailleurs et des négociations collectives. Les témoins d'aujourd'hui semblent tous d'accord pour dire que les meilleures négociations se font à la table de négociation. Toutefois, j'entends aussi dire que le gouvernement a besoin d'outils, particulièrement pour s'assurer que ce genre de situation ne se répète pas. Je vous ai donc entendus parler de ce qu'on ne devait pas faire, mais pas de ce qu'on devait faire.
Monsieur Guy, vous n'êtes pas d'accord sur l'approche que nous proposons dans le projet de loi . Y a-t-il des solutions ou des outils que nous devrions utiliser, selon vous? Je crois encore que ce projet de loi est une mesure très importante à mettre en œuvre, mais vous avez peut-être d'autres idées.
Ensuite, je me tournerai vers M. Eidlin pour voir s'il peut également nous suggérer des outils dont on pourrait se servir dans des situations comme celle-ci.
Je vous écoute, monsieur Guy.
Je dirais qu'on doit créer une structure qui incite les employeurs à arriver à une entente à la table de négociation.
Historiquement, on a vu le gouvernement intervenir pour le faire. C'est pour cela que, en général, la structure des relations de travail au Canada tait meilleure qu'aux États‑Unis. En effet, il y avait, au Canada, cette volonté de contraindre les employeurs à négocier. Toutefois, maintenant, avec le recours aux lois spéciales et aux briseurs de grève, on s'éloigne de cette approche qui a fonctionné pendant plusieurs années.
Alors, il faudrait se pencher sur la façon d'inciter les employeurs à conclure des ententes à la table de négociation.
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Tout d'abord, je tiens à dire qu'il faut également placer la perturbation causée par les grèves dans un contexte plus large. Il s'agit de la perturbation du statu quo au quotidien. Autrement dit, dans un monde où les salaires stagnent et où les travailleurs ne peuvent pas obtenir suffisamment d'heures de travail, ou qu'ils sont forcés d'en faire trop, ou qu'ils sont forcés de cumuler trop d'emplois, ou qu'ils n'ont pas de pension ni de sécurité d'emploi, cela crée des crises et des perturbations au quotidien. Ces problèmes ne font pas la une des journaux, mais ils sont bien réels pour de nombreux Canadiens. Ces grèves révèlent au grand jour une partie des perturbations que vivent les Canadiens. C'est le premier élément.
Le deuxième élément, pour répondre plus directement à votre question sur ce que les syndicats ont obtenu, c'est qu'une grande partie du niveau de vie que les travailleurs canadiens tiennent pour acquis aujourd'hui — peut-être pas tiennent pour acquis, mais dont ils jouissent aujourd'hui — résulte de luttes syndicales. La fin de semaine, la journée de huit heures, le système de santé dont nous disposons sont autant de choses pour lesquelles les syndicats se sont battus. La grève des travailleurs des postes de 1981 a été déterminante pour faire du congé pour obligations familiales une question essentielle pour les familles canadiennes.
Je pourrais continuer, mais je pense que nous manquerions de temps. Je pense qu'il est important de reconnaître que ce que nous considérons aujourd'hui comme les choses qui font du Canada une société prospère ne nous ont pas été données. On s'est battu pour les obtenir. Les travailleurs et leurs syndicats se sont battus pour les obtenir.