Bienvenue à la 132e réunion du Comité permanent du commerce international. Conformément à l'article 108(2) du Règlement et à la motion adoptée par le Comité le jeudi 23 mai 2024, le Comité reprend son étude des répercussions commerciales du leadership du Canada en matière de réduction des émissions.
Je vais maintenant vous présenter les témoins d'aujourd'hui. De l'Association canadienne des producteurs d'acier, nous accueillons Catherine Cobden, présidente et directrice générale. De l'Université Carleton, nous accueillons Eric Van Rythoven, instructeur et professeur de recherche adjoint. Enfin, de Borden Ladner Gervais, nous accueillons Rambod Behboodi, avocat-conseil principal.
Bienvenue à tous les témoins. Nous entendrons d'abord des déclarations préliminaires d'une durée maximale de cinq minutes.
Madame Cobden, vous avez la parole.
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Je vous remercie, madame la présidente.
Bonjour tout le monde. Nous sommes très heureux d'avoir l'occasion de comparaître devant vous aujourd'hui pour vous faire part du point de vue des producteurs d'acier canadiens sur le rôle des mesures commerciales dans le cadre de la réponse du Canada au changement climatique.
Comme le savent les membres du Comité, l'ACPA est la voix nationale de l'industrie sidérurgique canadienne primaire, ainsi que de certains des plus grands utilisateurs d'acier au Canada. Nos 16 membres représentent 123 000 emplois directs et indirects. Ils contribuent jusqu'à 15 milliards de dollars au PIB et possèdent des installations en Alberta, en Saskatchewan, au Manitoba, en Ontario et au Québec.
En général, les mesures commerciales relatives au carbone sont considérées comme un outil permettant d'uniformiser les règles du jeu pour les industries nationales qui doivent faire face à des coûts plus élevés en raison des politiques climatiques nationales, et de prévenir les fuites de carbone par l'entremise d'un déplacement vers des endroits moins réglementés en matière d'environnement. Les mesures commerciales devraient certainement faire partie de la trousse d'outils complète du Canada dans la lutte contre le changement climatique à l'échelle mondiale. Cela dit, ces mesures peuvent prendre de nombreuses formes. Je vais vous faire part de quelques points de vue sur deux approches très différentes que nous observons à l'échelle mondiale en ce qui a trait aux mesures commerciales relatives au carbone visant expressément l'acier, à savoir le mécanisme d'ajustement à la frontière pour le carbone, ou MAFC, dans l'Union européenne et l'approche tarifaire liée à l'intensité en carbone des produits qui est envisagée et en cours de préparation aux États-Unis.
Le MAFC exige des importateurs qu'ils achètent des certificats qui reflètent le prix du carbone payé par l'industrie nationale des pays de l'Union européenne. La conception du MAFC présente des défauts importants pour l'industrie sidérurgique de l'Union européenne, compte tenu de l'élimination accélérée des allocations gratuites dans son régime de tarification du carbone, ainsi que de l'absence de remboursement des taxes à l'exportation. Ces préoccupations l'emportent largement sur les avantages tirés de la mise en place du MAFC. De même, l'industrie sidérurgique canadienne partagerait ces préoccupations si le MAFC, tel qu'il a été conçu dans l'Union européenne, était mis en œuvre de la même manière ici.
De plus, le Canada a une autre considération qui mérite une attention particulière. En effet, le fait de fonder un droit de douane sur le carbone sur un régime de tarification du carbone créerait sans aucun doute des tensions commerciales avec notre plus grand partenaire commercial, qui n'a pas de régime de tarification du carbone. Pour toutes ces raisons, l'Association canadienne des producteurs d'acier rejetterait une approche canadienne liée aux mesures commerciales sur le carbone qui refléterait le MAFC de l'Union européenne.
Par ailleurs, les États-Unis ont lancé une initiative de grande envergure par l'entremise de leur Commission du commerce international en vue d'établir des droits de douane fondés sur l'intensité en carbone des produits sur l'importation d'acier aux États-Unis. Essentiellement, des droits de douane seraient fixés pour un éventail de niveaux d'intensité de carbone pour une gamme de produits et s'appliqueraient au prix d'importation de l'acier, ce qui est très similaire au régime tarifaire de type « 232 », qui fait référence à l'article 232 de l'un des programmes tarifaires des États-Unis. La Commission du commerce international des États-Unis remettra l'ensemble de ses travaux à la nouvelle administration Trump en février, offrant ainsi, à notre avis, une autre voie tarifaire possible à cette administration, si elle le souhaite.
Il convient de souligner que les industries sidérurgiques du Canada et des États-Unis ont des niveaux d'intensité en carbone comparables pour les produits sidérurgiques. Selon une analyse comparative indépendante réalisée par la société d'experts-conseils Global Efficiency Intelligence, nos niveaux d'intensité respectifs sont plusieurs fois inférieurs à ceux de producteurs d'acier étrangers, en particulier ceux qui ont des antécédents de pratiques commerciales déloyales, comme la Chine, la Turquie, le Vietnam et bien d'autres. L'ACPA serait heureuse de faire parvenir cette analyse comparative au Comité pour référence, si elle est jugée utile.
J'aimerais rappeler au Comité que 50 % de la production canadienne d'acier est exportée vers les États-Unis, alors que seule une quantité négligeable, soit environ 0,1 % de toutes les exportations, est expédiée vers l'Union européenne. À titre de précision, les facteurs liés au marché, ainsi que les niveaux globaux de rendement en matière de carbone, laissent croire que l'alignement des droits de douane en matière de climat avec les États-Unis serait une mesure beaucoup plus avantageuse qu'un alignement entre le Canada et l'Union européenne.
De plus, une approche tarifaire sur le carbone coordonnée avec les États-Unis, si une telle initiative peut être mise sur pied — et rien n'est moins sûr — offrirait une autre occasion de renforcer ce qui est déjà l'une des relations commerciales les plus solides à l'échelle mondiale et de poursuivre nos efforts d'une importance cruciale pour aligner notre politique commerciale sur celle des États-Unis.
Des droits de douane sur les produits sidérurgiques chinois à l'obligation de déclarer le pays de fonte et de coulage pour toutes les importations, en passant par les nombreux litiges commerciaux engagés par l'industrie, le Canada est en passe de démontrer, preuves à l'appui, à quel point nous tenons à protéger nos marchés respectifs contre les pratiques commerciales déloyales.
Je vous remercie.
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Merci beaucoup.Je vous remercie, mesdames et messieurs les membres du Comité. C'est un grand privilège d'être ici aujourd'hui.
Je vais éviter les détails techniques liés au MAFC et me concentrer sur la situation politique générale.
Je pense qu'une série de changements à l'échelle mondiale aident à expliquer l'émergence et l'importance du MAFC. Ces changements laissent croire non seulement que le MAFC est là pour de bon, mais aussi que nous verrons plus de droits de douane sur le carbone à l'avenir. C'est important pour le Canada, car cela indique un niveau de risque élevé sur les plans politiques et économiques. En effet, le jour viendra peut-être où il sera acceptable, sur le plan politique, de punir les pays qui accusent un retard en matière de protection du climat, comme le Canada. Le MAFC nous rapproche de ce jour. Le Comité et d'autres dirigeants politiques canadiens doivent donc avoir une conversation sérieuse sur la manière d'empêcher que cela se produise.
Permettez-moi maintenant de vous parler de ces changements à l'échelle mondiale.
Le premier est la normalisation du protectionnisme. Dans les années 1990, dans les années 2000 et pendant une partie des années 2010, l'orthodoxie prônait la libéralisation du commerce. Aujourd'hui, cette orthodoxie est en perte de vitesse. Les droits de douane de M. Trump représentent un bon exemple. Lorsqu'il a déclaré qu'il allait imposer des droits de douane de 25 % sur les produits canadiens, ce qui a surpris bon nombre d'entre nous, c'est la proportion de 25 %. Ce n'est pas qu'il avait recours aux droits de douane, car ils font maintenant partie intégrante de la politique commerciale du Canada.
Le deuxième changement tient au fait que le changement climatique suscite de plus en plus d'inquiétudes à l'échelle mondiale. J'ai abordé certaines données tirées de sondages dans mon mémoire écrit, mais en résumé, d'autres pays considèrent de plus en plus le changement climatique comme étant un problème majeur et ils souhaitent que les gouvernements prennent d'autres mesures à cet égard.
Le troisième changement est attribuable au fait que d'autres pays subissent un nombre de plus en plus grand d'événements climatiques extrêmes, et il s'agit souvent de nos partenaires commerciaux et de nos alliés. Qu'il s'agisse des États-Unis, de l'Espagne, de l'Allemagne ou de n'importe quel autre pays, nous observons une augmentation du nombre d'événements entraînant des pertes massives qui peuvent causer des milliards de dollars, voire des dizaines de milliards de dollars, de dégâts.
Le quatrième et dernier changement que je tiens à souligner est une vérité qui dérange, car le Canada est à la traîne en matière de protection du climat. Je ne dis pas qu'il ne faut pas tenir compte des réussites du Canada en matière de protection du climat, car elles sont nombreuses. Toutefois, si l'on compare le Canada à d'autres pays, en particulier les pays du G7, on constate qu'il ne fait pas bonne figure et que l'écart se creuse.
Que signifient ces changements au bout du compte? Je crains qu'ils n'aboutissent à un scénario dans lequel d'autres pays se demandent pourquoi le Canada, un pays riche et prospère, n'en fait pas plus dans ce domaine. Il existe un risque très réel que d'autres pays qui font des sacrifices pour lutter contre le changement climatique et qui subissent des événements climatiques extrêmes soient en colère et éprouvent du ressentiment à l'égard de ceux qui profitent de leurs efforts. Cette colère et ce ressentiment créeront de fortes incitations politiques à punir les resquilleurs. À ce moment‑là, la rhétorique sur le leadership du Canada en matière de climat n'aura que peu d'importance si le sentiment dominant est qu'il faut faire payer les profiteurs. C'est ce scénario qui me préoccupe.
Nous pourrions éviter ce scénario en prenant des mesures crédibles en matière de lutte contre le changement climatique, afin de combler l'écart qui nous sépare de nos pairs. Nous pouvons discuter de ces mesures potentielles aujourd'hui, mais je vous conseillerais de passer à l'action rapidement, car pour l'instant, le MAFC est conçu pour pousser doucement les pays vers la prise de mesures pour le climat, mais à l'avenir, il ne sera peut-être pas aussi délicat.
Je vous remercie du temps que vous m'avez accordé.
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Bonjour, madame la présidente et mesdames et messieurs les membres du Comité. C'est un honneur de comparaître devant vous pour discuter du commerce et du changement climatique.
J'aimerais d'abord me présenter. Je donnerai ensuite un aperçu de deux questions soulevées par le titre de votre étude, à savoir la réduction des émissions et les répercussions sur le commerce, et je conclurai en parlant du leadership du Canada.
Je m'appelle Rambod Behboodi. Je suis avocat-conseil principal au cabinet Borden Ladner Gervais. Au cours des 32 dernières années, ma pratique s'est concentrée sur le droit et les politiques du commerce international. À titre d'avocat spécialisé en droit commercial, de diplomate et de négociateur pour le gouvernement du Canada, j'ai eu le privilège de négocier des accords multilatéraux importants en matière d'environnement qui ont fait progresser et qui ont protégé les intérêts du Canada dans les domaines du commerce des produits chimiques, du contrôle des pesticides et des organismes génétiquement modifiés. J'ai également participé pendant plus d'une décennie à des litiges commerciaux pour défendre nos secteurs des ressources naturelles et de l'agriculture. En pratique privée depuis 2017, j'ai conseillé des pays industrialisés et des ONG sur la déforestation, les plastiques et d'autres mesures liées au changement climatique, ainsi que des pays en voie de développement et des pays moins développés sur la libéralisation du commerce.
Je vais maintenant aborder la première des deux questions de fond, soit la réduction des émissions. Pourquoi devrions-nous prendre des mesures en ce sens? Tout simplement parce que si nous continuons comme nous le faisons, la contribution humaine au changement climatique transformera probablement la planète d'une manière à laquelle nous ne sommes pas en mesure de faire face. La planète continuera d'exister, bien entendu, tout comme certains d'entre nous, mais dans l'état actuel des choses, nous sommes au bord de l'abîme. Nous devons changer notre façon de faire.
[Français]
Qu'est-ce que cela signifie sur le plan commercial? Dans le monde du commerce, nous parlons de scénarios gagnant-gagnant. Je suis ici pour vous dire que, si nous jouons bien nos cartes — et le Canada a une excellente main —, nous avons toutes les raisons de penser que nos partenaires commerciaux, la planète et nous en sortirons tous gagnants.
C'est là que deux concepts importants méritent d'être mentionnés.
[Traduction]
Le premier est celui des externalités. Imaginez que votre voisin est en train de faire de gros travaux de rénovation. Il jette tous les débris de construction sur sa pelouse et ce n'est pas beau du tout. Cela pose peut-être aussi un risque pour la santé si, comme moi, vous êtes allergiques à la poussière. Si vous lui suggérez d'envoyer ces débris dans une décharge et qu'il vous répond que c'est sa pelouse et qu'envoyer des débris dans une décharge coûte beaucoup trop cher, il s'agit d'une externalité négative. C'est lorsque l'activité économique, une bonne chose en soi, engendre des coûts qui sont imposés aux autres.
Les émissions de carbone incontrôlées sont comme les débris sur la pelouse. Personne ne dit que nous devrions interdire les travaux de construction, mais nous devrions nous attendre à ce que la personne qui crée ces débris en dispose et en assume les coûts.
[Français]
Il en va de même pour le deuxième concept, soit la tarification du carbone. Si vous, en tant que consommateur, saviez quel est l'impact réel des émissions de carbone, vous adopteriez des habitudes de consommation prudentes. Dans un marché libre comme le nôtre, les prix sont le meilleur moyen de transmettre l'information au consommateur et de transférer les coûts à ceux qui doivent les payer.
Nous pouvons faire tout cela chez nous, mais nous savons que cela ne suffit pas. C'est là qu'entrent en jeu les répercussions commerciales.
Lorsque les prix associés à la production de biens dans un pays sont élevés à cause, par exemple, de la tarification du carbone, les entités commencent souvent à envisager une délocalisation pour des besoins commerciaux. Le résultat est une augmentation des « fuites » de carbone, c'est-à-dire une délocalisation de la production vers un pays exportateur qui a des politiques climatiques et des systèmes de tarification du carbone moins stricts.
Cela n'apporte rien, ni au commerce, ni à l'environnement, ni à la légitimité des mesures contre le changement climatique.
[Traduction]
C'est ainsi que nous arrivons aux ajustements à la frontière pour le carbone, un mécanisme qui a déjà été mentionné. Nous pourrons en discuter plus tard.
Dans le temps qu'il me reste, permettez-moi d'aborder la question du leadership du Canada. Le Canada dépend grandement du commerce. Il est donc dans notre intérêt de veiller à ce que le cadre mondial pour la tarification du carbone fonctionne bien. Comment y arriver? À l'étranger, nous devons rester engagés et actifs, en menant par la persuasion et par l'exemple. Chez nous — c'est l'exemple — le déploiement judicieux de politiques nationales et commerciales peut garantir que nos exportations demeurent concurrentielles à l'échelle internationale. Un cadre national de tarification du carbone, assorti d'ajustements appropriés à la frontière, pourrait être le mécanisme le plus efficace pour prévenir ou compenser la totalité, ou du moins la majeure partie, des coûts en carbone associés au commerce.
Je vous remercie à nouveau de m'avoir invité à comparaître aujourd'hui. Je serai heureux de répondre à vos questions.
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Je vous remercie, madame la présidente. Je suis très heureux d'être ici.
Mes questions s'adressent à Mme Cobden. Manifestement, à titre de député de Hamilton, ou la ville de l'acier, je suis reconnaissant du travail effectué par l'Association canadienne des producteurs d'acier. Je sais que nos amis d'Algoma jouent également un rôle essentiel dans l'industrie sidérurgique, et je les salue donc en passant.
Vous avez indiqué que 50 % de nos exportations vont aux États-Unis et que 0,1 % vont à l'Union européenne. Pourriez-vous nous en dire davantage sur ce que vous considérez comme la tendance pour l'avenir? Je sais que plusieurs choses pourraient avoir une incidence sur ce point. Sommes-nous en train d'intensifier ou…?
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Je vous remercie de votre question. C'est toujours un plaisir d'interagir avec un député de Hamilton.
La discussion sur le mécanisme d'ajustement à la frontière pour le carbone de l'Union européenne et, bien entendu, la menace des droits de douane en provenance des États-Unis continuent de soulever la question de savoir si l'industrie sidérurgique canadienne peut accroître sa part de marché en Europe. C'est également ce que j'entends dans votre question, lorsque vous parlez des tendances qui se dessinent.
Nous ne prévoyons pas de croissance importante sur le marché européen pour l'acier canadien, et ce, pour plusieurs raisons. Il y a déjà une grande surcapacité dans le monde, et ces produits sont déjà bien présents sur le marché européen. En outre, ils ont leurs propres producteurs nationaux, de sorte que nous ne prévoyons pas de croissance dans l'Union européenne. Cette proportion de 0,1 % ne devrait donc pas changer. Soit dit en passant, cette tendance dure depuis des années. Ce n'est pas un phénomène nouveau.
En ce qui concerne les États-Unis, je pense qu'il y a de nombreux éléments inconnus en ce moment. Nous avons besoin d'un accès au marché américain pour 50 % de notre production, et nous dépendons de cet accès. Nous faisons donc valoir que cela doit être une priorité. Cette tendance existe depuis un certain temps et nous espérons qu'elle se poursuivra à l'avenir.
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Nos membres sont très inquiets.
Pour l'instant, nous avons demandé un gel des hausses du prix du carbone, ainsi qu'un allégement des contraintes et des mesures de protection liées aux échanges commerciaux, parce que nous sommes déjà confrontés à...
Je pense que tous les secteurs en sont à des stades différents. Or, la Commission canadienne sur la compétitivité en matière de carbone a bien montré que l'industrie sidérurgique est l'un des secteurs les plus menacés par le régime de tarification du carbone. Nous insistons sur ce point en demandant un gel des contraintes et du prix du carbone pendant un certain temps, parce que nous n'avons pas de solutions. Nous faisons ce que nous pouvons — c'est pourquoi nous avons ce projet pour éliminer six millions de tonnes de CO2 —, mais nous avons besoin de solutions supplémentaires, et nous n'avons aucune prise sur bon nombre d'entre elles. À titre d'exemple, il y a l'accès à l'hydrogène vert à grande échelle ou à l'électricité propre partout au pays.
L'autre ville de l'acier est Sault Ste. Marie, où se trouvent Algoma Steel et Tenaris, qui sont des employeurs très importants pour notre collectivité, ainsi que pour le Canada. Pour revenir à ce que vous disiez, Algoma Steel exporte 50 % de son acier aux États-Unis.
Nous avons pris des mesures audacieuses pour réduire les émissions de carbone que produit notre industrie sidérurgique, non seulement à Sault Ste. Marie, mais aussi à Hamilton. Sault Ste. Marie a été la première à annoncer un investissement de 420 millions de dollars, et cet investissement aura une incidence sur plusieurs générations. En comité, je dis toujours que lorsque j'ai été élu pour la première fois, Algoma Steel était en faillite et Tenaris ne comptait qu'une poignée d'employés. Aujourd'hui, Tenaris emploie 800 personnes. Nous investissons depuis longtemps dans la modernisation de cette industrie et dans la réduction des émissions de carbone.
Ma question s'adresse à vous, madame Cobden. Comment pouvons-nous tirer parti du fait que nos exportations d'acier sont parmi les plus écologiques qui soient? Lorsque ce projet sera achevé à Algoma, nous réduirons la production d'émissions de carbone de 70 %. Cela équivaut à retirer un million de voitures des routes. Comment pouvons-nous tirer parti de cette situation avec l'Union européenne dans le cadre de son mécanisme d'ajustement carbone aux frontières?
Les autres témoins pourront également répondre à cette question.
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J'aimerais que nous puissions en tirer davantage parti dans l'Union européenne. Comme je l'ai indiqué dans ma réponse à la question de M. Muys, nous ne pensons pas que le marché européen s'ouvrira davantage à l'acier canadien.
Cependant, nous pensons qu'il s'agit d'une proposition très intéressante pour les États-Unis, si la nouvelle administration devait s'y intéresser. Qui sait comment elle sera présentée, monsieur Sheehan? On parlera peut-être de « tarifs sur la pollution produite à l'étranger », par exemple. C'est l'une des nouvelles expressions que nous entendons à ce sujet. L'un des moyens de tirer parti de cette situation est de collaborer avec les États-Unis.
Pour revenir à ce que vous disiez, étant donné que nos émissions de CO2 sont parmi les meilleures au monde, tout comme celles des États-Unis, une excellente occasion nous est donnée de travailler ensemble sur ce défi et de l'utiliser comme un autre instrument pour lutter contre ce dont nous parlons toujours: la surcapacité dans le secteur de l'acier qui a des répercussions désastreuses pour Tenaris, Algoma et tous nos... Je ne vais pas toutes les énumérer, car je devrais nommer 16 entreprises membres.
En tout cas, vous comprenez. Je pense qu'il s'agit là d'une tâche essentielle qui nous attend.
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Je vous remercie de la question.
J'aimerais préciser que, oui, le Canada a obtenu de bons résultats dans le dossier du climat. Ma collègue a souligné une réussite très importante dans ce domaine pour l'industrie sidérurgique canadienne.
Ce dont je parle, c'est du Canada en tant que pays. Si l'on compare nos émissions de carbone à celles de nos pairs du G7, nous accusons un retard considérable. Le Canada se classe bon dernier parmi les pays du G7.
Je ne pense pas que je devrais me prononcer au nom de l'industrie sidérurgique relativement au mécanisme d'ajustement carbone aux frontières. Je m'abstiendrai donc de répondre à cette question.
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Excellent. Si vous me le permettez, j'aimerais aussi souligner l'article 53 sur les tarifs.
Vous avez parlé de mesures audacieuses. Je pense que le Canada — avec le soutien de toutes les personnes présentes autour de cette table, soit dit en passant — a adopté des mesures audacieuses contre la Chine en fixant des droits de douane à 25 %. Cela a été très utile, non seulement pour résoudre ce problème, mais aussi pour convaincre nos collègues américains que nous prenons cette question très au sérieux.
À cela s'ajoute la réglementation sur le pays de fonte et de coulage, qui est entrée en vigueur le 5 novembre. Cette mesure apporte une transparence indispensable à une chaîne d'approvisionnement qui est aux prises avec des pratiques commerciales déloyales. La réglementation sur le pays de fonte et de coulage est lancée, mais nous devons veiller à ce qu'elle soit appliquée rapidement.
Enfin, en ce qui concerne les dispositions anticontournement, nous disposons d'un cadre. Il a été annoncé dans l'un des budgets précédents. Je ne me souviens pas exactement quand il a été présenté. Cependant, nous pensons qu'il est possible de renforcer le cadre anticontournement et d'aller plus loin. Nous voulons le faire pour des raisons relatives à notre marché intérieur, mais aussi, je le répète, pour aligner nos mesures sur celles des États-Unis afin qu'ils comprennent que nous ne sommes pas à l'origine du problème.
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Oui, de façon générale, nous devrions nous mettre au diapason des États-Unis.
Cela dit, nous voulons le faire en nous fondant sur des analyses. Les droits de douane sont entrés en vigueur le 22 octobre. Nous saurons dans les six prochains mois environ — combien de temps faudra‑t‑il pour établir une tendance? — dans quelle mesure ils seront efficaces. Ensuite, que les États-Unis le fassent ou non, nous voudrons peut-être entamer une discussion sur la question de savoir si les droits de douane sont suffisamment élevés.
Je vous rappelle que les États-Unis ne se contentent pas d'appliquer des droits de douane de 25 % au titre de l'article 301. Ils ont également des droits de douane de 25 % au titre de l'article 232. Dans de nombreux cas, ils imposent des droits de douane de 50 % sur l'acier en provenance de la Chine, alors que ceux que nous imposons sont de 25 % et nous ne savons pas encore s'ils sont suffisants. Par contre, nous reconnaissons qu'il s'agit d'un pas en avant audacieux.
[Français]
Je vous remercie de votre question.
[Traduction]
D'ailleurs, nous pouvons confirmer — là encore, au moyen d'études de consultants tiers, pas les nôtres — que les émissions produites par le secteur de l'acier chinois sont beaucoup plus élevées que celles du Canada et des États-Unis collectivement. En somme, lorsque nous permettons à la Chine d'entrer sur notre marché, cela mine non seulement les emplois, car la Chine pratique le dumping de l'acier, une pratique commerciale déloyale, mais nous importons aussi de grandes quantités d'émissions de carbone qui proviennent de leurs processus de production. Je le répète, cela montre l'importance des différents outils à notre disposition pour prévenir les fuites de carbone et lutter contre les pratiques commerciales déloyales, car elles sont étroitement liées dans le secteur de l'acier.
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Je vais m'adresser à M. Behboodi.
Tout d'abord, merci de votre témoignage. Ma question ne porte pas sur l'acier. Je viens de Port Alberni, une ville située sur l'île de Vancouver, dans une région dont l'économie repose sur l'industrie forestière.
Le gouvernement fédéral a mis en lumière dans son énoncé économique de l'automne 2023 la possibilité pour le Canada de tirer profit des avantages économiques et environnementaux de la conversion des déchets en biomasse pour la production de chaleur et d'énergie. Il qualifiait de très prometteur ce moyen de décarbonation. Comme le secteur forestier canadien lutte contre de forts vents contraires du marché, particulièrement, comme je le disais, en Colombie-Britannique, la production accrue de biomasse forestière procurerait d'excellentes occasions pour les communautés et les travailleurs forestiers. Pourtant, le gouvernement se traîne les pieds.
Nous savons que la biomasse, qui fait partie des sources d'énergie neutres en carbone, a la capacité de fournir aux réseaux électriques canadiens une énergie durable et fiable tout en créant des emplois très payants dans les communautés rurales ou éloignées. Elle pourrait donc remplacer les formes d'énergie à forte intensité d'émissions qui alimentent en électricité les communautés de même que réduire les risques de feux de forêt dévastateurs.
Pourriez-vous parler de l'importance de l'adoption rapide des crédits d'impôt à l'investissement prévus dans l'énoncé économique de l'automne? Les parties prenantes de l'industrie sont profondément préoccupées par les longs délais de l'adoption de la loi de mise en œuvre. Elles savent que les concurrents du Canada aux États‑Unis ont une longueur d'avance étant donné l'adoption il y a deux ans de l'Inflation Reduction Act, qui renferme des dispositions similaires sur les crédits d'impôt à l'investissement.
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Je précise que j'ai amorcé ma carrière dans la sidérurgie en défendant l'industrie contre les pratiques commerciales déloyales. J'ai consacré énormément de temps à la défense de l'industrie du bois d'œuvre en Colombie-Britannique. Votre question me rappelle donc de bons souvenirs à la fois professionnels et personnels.
La réponse courte, c'est que tout aurait dû être fait hier. Au Canada, la difficulté n'est pas seulement d'accéder au marché américain, toujours en proie à une certaine nervosité. Encore hier, le président désigné Trump a dit que le Canada était subventionné à une hauteur de 100 milliards de dollars et ainsi de suite. Ces propos s'ajoutent aux menaces tarifaires. Voilà une perspective.
Les autres sources d'inquiétude sont les mesures sur les subventions aux États‑Unis. D'une part, notre accès aux États‑Unis est menacé, et d'autre part, notre compétitivité chez nos voisins du Sud et au niveau international est en péril en raison de ces mesures, ce qui signifie à mon avis que malgré notre capacité très limitée de concurrencer constamment les subventions des États‑Unis, nous devons bien comprendre ces défis et réagir avec des mesures équivalentes lorsque nous le pouvons.
Les conséquences se font déjà sentir, à 80 $ la tonne. Ces coûts que nous payons, les joueurs de bon nombre de pays qui nous livrent une concurrence chaque jour pour la vente de l'acier n'ont pas à les payer.
Il est indispensable de reconnaître que nous n'évoluons pas dans un système homogène. Les mesures varient selon les pays, mais notre approche exerce des pressions concurrentielles sur l'industrie de la sidérurgie. Comme je l'ai mentionné avant la période de questions, les pressions n'ont pas atteint le même stade dans tous les secteurs. L'industrie de la sidérurgie est au bout de l'élastique, si je puis m'exprimer ainsi, par rapport à la pression exercée par le régime de tarification du carbone.
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Notre situation est intéressante parce que nos politiques climatiques sont alignées avec celles de l'Union européenne et que notre marché, celui de l'acier en tout cas, s'harmonise davantage avec celui des États‑Unis.
Notre situation est compliquée parce que comme je l'ai déjà expliqué, la solution n'est pas simplement d’expédier plus d'acier en Union européenne. Ce n'est pas un marché qui nous est ouvert, et nous ne prévoyons pas qu'il le sera dans un avenir connu. Par conséquent, nous devons maintenir l'accès au marché américain, et nous devons protéger le marché canadien. Ce sont deux choses que nous devons faire, mais le régime de tarification du carbone, comme je l'ai dit, n'est pas aligné avec le régime américain.
Nous avons déjà discuté de l'Inflation Reduction Act. Le Canada possède des outils du même type que ceux prévus dans cette loi, mais nos outils sont moins nombreux et n'ont pas le même fonctionnement. Par ailleurs, nos mesures sont très bien alignées avec celles de l'Union européenne, mais ce n'est pas notre marché.
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Merci, madame la présidente. Merci aux témoins de leur présence.
Je voudrais approfondir un peu la question des leviers que nous pourrions mettre en place pour accroître la coopération avec les États‑Unis. Visiblement, le régime établi au Canada sur la tarification du carbone s'harmonise avec le régime de l'Union européenne. Cela permet d'éviter une grande partie de ce que j'appellerais les taxes frontalières ou les taxes sur la pollution à la frontière, ce qui est une bonne chose. Sans régime en place au Canada, nous paierions ces tarifs, ce qui nous reviendrait bien plus cher que nos mesures actuelles. Comme vous l'avez noté, madame Cobden, les États‑Unis n'ont pas instauré de régime.
Ce que je trouve particulièrement intéressant, surtout en tenant compte des négociations et des discussions à venir — en fait, je parlerais davantage de discussions que de négociations pour l'instant — avec les États‑Unis concernant la Chine, qui est une grande émettrice de carbone, et d'autres pays... Les discussions ne portent pas seulement sur l'acier, mais sur l'ensemble des produits.
Devrions-nous selon vous saisir l'occasion pour essayer de travailler plus étroitement avec les États‑Unis afin de mettre en place un régime commun qui renforcerait notre performance commerciale collective à l'échelle internationale et qui nous permettrait de livrer une concurrence plus efficace à la Chine? La mise en place de mesures commerciales sur le carbone avec les États‑Unis — qui ne visent pas seulement l'acier, je le répète, mais bien tous les produits — rendrait-elle les marchés plus robustes au Canada et aux États‑Unis?
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C'est ce que nous souhaitons. Comme je le disais, nous ne pouvons pas prédire l'avenir. La position de l'association, qui est avalisée par tous les dirigeants de l'industrie sidérurgique au Canada, c'est qu'il faut faire de notre mieux tout en nous préparant au pire concernant les relations Canada–États‑Unis.
Faire de notre mieux consiste à ne pas dévier de notre trajectoire. L'article 53 sur les tarifs fait deux choses: il aide l'industrie au Canada tout en donnant des signaux positifs aux États‑Unis. Pensons aussi à la disposition sur l'acier fondu et coulé en Amérique du Nord, que nous avons mentionnée, et aussi aux modifications anticontournement que nous devons apporter.
Évidemment, si des tarifs sur la pollution produite à l'étranger sont envisagés ou que les États‑Unis commencent à mentionner d'autres mesures sur la pollution à la frontière, nous espérons que le Canada prendra la chose au sérieux et amorcera des discussions et des négociations avec les États‑Unis pour mettre en place une approche considérée comme nord-américaine ou canado-américaine pour faire exactement ce que vous avez dit. Nous espérons vraiment que le Canada agira de cette manière.
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En principe, comme les États‑Unis sont notre principal marché pour l'acier et pour bon nombre d'autres produits — 75 % de nos exportations vont aux États‑Unis —, il faut bien évidemment nous aligner le plus possible avec la structure du marché américain. La difficulté, comme je le disais, c'est que notre accès au marché américain n'est pas assuré. Cet accès n'est plus une certitude.
Madame Cobden a mentionné les mesures prises en 2018‑2019 au titre de l'article 232. Nous avons fait ce qui s'imposait pour y échapper. Nous avons négocié l'accord entre le Canada, les États‑Unis et le Mexique. Nous espérions avoir dépassé ce stade une fois l'accord signé.
Toutefois, par la suite, l'administration Biden a mis en place, non pas des mesures tarifaires, mais un programme de subventions de 400 milliards de dollars qui nous a durement touchés et auquel nous avons dû réagir avec des mesures équivalentes. Ce cadre constitue en soi un défi pour les entreprises canadiennes.
Aujourd'hui, avant même l'arrivée à la Maison-Blanche du président désigné Trump, nous avons des menaces de tarifs de 25 % tous azimuts. Encore hier, comme je le disais, d'autres commentaires ont été diffusés sur les subventions accordées au Canada liées au déficit commercial.
Notre accès au marché américain n'est plus garanti. Par conséquent, même s'il est judicieux en principe de s'aligner avec les États‑Unis, je suis porté à croire qu'il est peut-être temps de commencer à intégrer et à développer d'autres marchés. Ces initiatives incombent au secteur privé, et non pas aux gouvernements, mais il faut vraiment prendre acte que l'accès garanti au marché américain ne sera peut-être pas éternel.
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Nous reprenons nos travaux.
Merci beaucoup.
Nous recevons M. Andy Kubrin, du Lobby Climatique des Citoyens, par vidéoconférence, et M. Aaron Cosbey, de l'Institut international du développement durable, également par vidéoconférence. Bienvenue à vous deux.
Monsieur Kubrin, je vous invite à prononcer votre déclaration liminaire. Vous avez la parole pour cinq minutes.
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Merci, madame la présidente. Merci également aux membres du Comité.
Je m'appelle Andy Kubrin. Je suis un auteur, un chercheur et un militant écologiste établi à Calgary. Je travaille bénévolement au Lobby Climatique des Citoyens et au Calgary Climate Hub.
Dans le cadre de mon travail au Lobby Climatique des Citoyens, j'ai appris l'existence de la politique appelée « mécanisme d'ajustement carbone aux frontières », ou MACF. Comme vous le savez, cette nouvelle mesure a été mise au point par l'Union européenne.
En juin dernier, en compagnie d'autres bénévoles du Lobby Climatique des Citoyens, j'ai donné une présentation sur le sujet au député de ma circonscription, . J'ai écrit par la suite un article sur le MACF de l'Union européenne dans le Canada's National Observer.
Les MACF sont essentiellement des droits perçus sur les émissions intrinsèques des produits importés. Les deux objectifs de cette politique sont, d'une part, de protéger les producteurs dans les pays importateurs contre la concurrence déloyale issue des importations bon marché à fortes émissions, et d'autre part, d'encourager les autres pays à instaurer leurs propres politiques de tarification du carbone.
Personne n'aime les taxes. Celle‑ci toutefois pourrait être justifiée si elle est bien conçue. Les MACF pourraient en effet uniformiser les règles du jeu du commerce international et promouvoir la production propre partout dans le monde. Ces mécanismes pourraient aussi réduire les émissions et freiner par le fait même le réchauffement climatique.
Je ne vais pas décrire les rouages complexe des MACF — vous avez des experts parmi les témoins qui pourront vous aider à comprendre —, mais je peux dire que ces mécanismes représentent un défi considérable pour les exportateurs canadiens et pour le pays dans son ensemble. Ils fournissent par contre une occasion à saisir.
Le commerce international représente environ les deux tiers du PIB au Canada. Nos principaux partenaires commerciaux sont les États‑Unis, la Chine, le Royaume‑Uni, le Japon et le Mexique. Le total des échanges commerciaux avec les différents partenaires européens nous indique que l'Union européenne constitue notre deuxième ou troisième partenaire commercial, tout dépendant de la source consultée.
L'Union européenne a mis en œuvre son MACF en 2023 et a commencé à demander aux importateurs de soumettre des données sur le carbone intrinsèque de certains produits à fortes émissions. En 2026, les importateurs vont commencer à payer des droits sur la teneur en carbone associée de ces produits. La portée du programme s'étendra progressivement d'ici 2030 à tous les produits du système d'échange de droits d'émissions de l'Union européenne.
D'autres pays suivent le mouvement, y compris nos principaux partenaires. Les États‑Unis envisagent diverses politiques. Le Royaume‑Uni compte mettre en place un MACF d'ici 2027. En Australie, le Taipei chinois, la Chine et l'Inde soupèsent également leurs options.
Ces pays suivent l'exemple de l'Europe parce que les MACF européen et britannique, et peut-être d'autres mécanismes qui verront le jour ailleurs, prévoient une remise pour la tarification du carbone déjà payée. Le MACF devient ainsi un cercle vertueux qui récompense les pays qui réduisent leurs émissions et qui décourage les récalcitrants. Il transforme la tarification du carbone en avantage concurrentiel.
Le Canada peut s'y prendre de diverses manières pour tirer parti des nouvelles mesures.
Un moyen serait d'adapter le système de tarification du carbone canadien pour y intégrer les remises versées dans le cadre des MACF en modifiant par exemple les allocations fondées sur la production versées par le système de tarification fondé sur la production. Nos exportateurs continueraient à payer une taxe sur le carbone, mais les recettes resteraient dans notre économie au lieu d'aller à d'autres pays.
Un autre moyen serait d'instaurer notre propre MACF. Nous imposerions une taxe sur les émissions de gaz à effet de serre associées aux produits que nous importons pour décourager la production à fortes émissions dans d'autres pays. Les revenus amassés au moyen du MACF seraient réinvestis au profit des Canadiens. Cette mesure protégerait l'industrie canadienne et encouragerait les autres pays à contribuer à la réduction des émissions.
Ces choix comportent des risques et des concessions, mais je vais laisser aux experts le soin de vous conseiller sur ces questions. Le contexte commercial changeant constitue un défi pour vous, mais cela fournit aussi au Canada des occasions. Le défi est de taille, mais je suis convaincu que votre étude permettra de trouver les solutions optimales.
Merci, madame la présidente.
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Merci, monsieur le président.
Je vous remercie de me donner l'occasion de m'adresser à vous aujourd'hui. Je m'appelle Aaron Cosbey et je suis associé principal à l'Institut international du développement durable, un organisme qui a ses bureaux à Winnipeg. Je préside également la Commission canadienne sur la compétitivité en matière de carbone. Je travaille depuis près de 15 ans au Canada et à l'étranger sur le sujet des ajustements à la frontière pour le carbone — tout cela peut sonner en fait un peu triste —, en ayant notamment participé à la production de plus d'une douzaine de rapports sur les différentes composantes du mécanisme d'ajustement carbone aux frontières de l'Union européenne.
J'aimerais aborder deux grands thèmes avec vous aujourd'hui. Le premier s'inscrit dans le contexte général du sujet à l'étude par le Comité, qui, à mon avis, est en fait une réalité plus vaste que le seul mécanisme d'ajustement carbone aux frontières de l'Union européenne, d'où la nécessité de nous pencher sur ces questions. Le deuxième porte sur la façon dont le régime canadien de tarification du carbone industriel, soit le système de tarification fondé sur le rendement, est lié à cette réalité plus large.
Commençons par situer les choses dans leur contexte. Comme vous avez pu l'entendre, le mécanisme d'ajustement carbone aux frontières de l'Union européenne est maintenant en vigueur. On commencera ainsi à imposer des droits suivant une échelle de plus en plus rigoureuse de 2026 à 2034. C'est le premier régime d'ajustement carbone aux frontières à entrer en vigueur, mais ce ne sera pas le dernier. Le Royaume-Uni a déjà annoncé qu'il en aura un dès 2027. L'Australie en est aux dernières étapes des consultations visant à déterminer si elle devrait se doter d'un mécanisme semblable. Pour sa part, Taipei a adopté une loi en ce sens, mais le mécanisme n'a pas encore été mis en place. Étant donné que nos secteurs à forte intensité énergétique et tributaires du commerce exportent massivement vers les États-Unis, il est essentiel de savoir que le 118 e Congrès américain est actuellement saisi de quatre projets de loi qui proposent une forme quelconque de droit frontalier fondé sur le climat. Plusieurs de ces projets de loi seront présentés au prochain Congrès. Il semblerait que certains d'entre eux pourraient obtenir le soutien des deux partis.
De plus, il ne s'agit pas seulement d'ajustements carbone aux frontières. Ces ajustements ne sont en effet que l'une des mesures de la vague verte à venir qui limiteront le commerce en fonction de la teneur en carbone des biens. Il suffit de penser à la réglementation de l'Union européenne sur le méthane, qui aura une incidence sur toutes les exportations de gaz. Il y a aussi la politique d'achat de produits écologiques dans le cadre des marchés publics américains. On peut également considérer les règles sur les produits « zéro déforestation » qui s'appliqueront bientôt pour l'Union européenne, et qui sont proposées au Royaume-Uni et aux États-Unis.
Ce sont là toutes des mesures relativement récentes. Il convient de se demander pourquoi une ruée si soudaine vers les politiques en ce sens. C'est une tendance inexorable. Cela commence par des répercussions de plus en plus graves des changements climatiques, qui se traduisent par des politiques de plus en plus strictes en la matière. Lorsqu'un pays affiche de plus grandes ambitions, il doit penser à la compétitivité de ses entreprises nationales par rapport à celles d'autres pays qui ne sont pas assujetties à la même réglementation climatique. Cela nous amène aux mesures climatiques liées au commerce. Il ne s'agit pas d'une situation statique. C'est une tendance. Nous verrons de plus en plus de mesures de ce genre.
Pourquoi est‑ce important pour les exportateurs canadiens? Il va sans dire qu'il n'est pas sans conséquence que nos partenaires commerciaux qui se classent premier, troisième et cinquième en importance mettent en place ou envisagent des mesures qui, premièrement, puniront les producteurs de biens industriels ayant une forte empreinte carbone et, deuxièmement, récompenseront les efforts stratégiques nationaux visant à tarifer le carbone.
Permettez-moi de décortiquer un peu ces deux dynamiques. Premièrement, plus notre production d'acier, d'aluminium, de ciment et d'engrais est à forte intensité carbone, plus ces marchandises seront facturées à la frontière de tout pays ayant mis en place un ajustement carbone aux frontières ou une autre mesure de ce genre. Heureusement, comme Catherine Cobden et d'autres vous l'ont déjà dit, notre production de biens comme l'acier et l'aluminium est pour l'instant relativement propre, mais les incitatifs existent toujours, même pour nos producteurs propres. Plus ils peuvent réduire l'intensité de leurs émissions de gaz à effet de serre, moins ils vont payer. Deuxièmement, des mesures comme l'ajustement carbone aux frontières de l'Union européenne et du Royaume-Uni accorderont un crédit à la frontière pour le montant payé dans le pays d'exportation au titre de la tarification du carbone.
Permettez-moi maintenant de parler de la façon dont la tarification actuelle du carbone dans le secteur industriel au Canada, le système de tarification fondé sur le rendement, est liée à tout cela. C'est bénéfique à deux niveaux. Premièrement, on offre des incitatifs pour réduire la pollution industrielle par les gaz à effet de serre dans ces entreprises, ce qui fera baisser les redevances à la frontière payables par les exportateurs canadiens. Deuxièmement, on diminue encore davantage les droits à régler à la frontière, du fait que les exportateurs canadiens auront déjà payé un prix sur le carbone. Ils seront crédités pour cela.
Juste pour clarifier un détail important, le crédit qui sera offert dans le cadre de l'ajustement carbone aux frontières ne sera pas le montant total versé en application du filet de sécurité fédéral. Pour protéger nos entreprises contre les fuites carbone, le système de tarification fondé sur le rendement prévoit une allocation qui réduit le coût moyen du carbone payé par les entreprises visées. Il est probable que le crédit accordé sera calculé en fonction de ce coût moyen beaucoup plus bas.
En conclusion, permettez-moi de répéter que nous verrons beaucoup d'autres mesures semblables à l'ajustement carbone aux frontières de l'Union européenne, qui restreindront le commerce en fonction de la teneur en carbone des biens. Notre régime actuel de tarification du carbone industriel permet à nos exportateurs d'avoir de meilleures chances de succès dans un monde rempli de telles mesures, en les aidant, d'une part, à réduire leurs émissions de gaz à effet de serre et, par conséquent, à faire face à des frais moins élevés tout en ayant accès à davantage de marchés, et, d'autre part, à diminuer les frais qu'ils doivent assumer grâce à un crédit pour le prix du carbone déjà payé.
Merci. Je serai heureux de discuter de tous ces enjeux avec vous.
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Encore une fois, cela a été promis en 2020, puis en 2021, et il y a eu des consultations en 2022, mais M. Cosbey n'a vu aucun résultat de ces consultations.
Madame la présidente, pour revenir au témoin qui a comparu devant nous et qui, je crois, représentait le ministère des Finances, nous espérons obtenir les documents demandés et découvrir à quoi ont ressemblé ces consultations. Il a hoché la tête en signe d'approbation à ce moment‑là.
Je vais d'abord revenir à vous, monsieur Cosbey. Selon vous, dans quelle mesure est‑il important que toute future politique d'ajustement carbone aux frontières soit harmonisée avec celle des États-Unis?
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Merci, monsieur Sheehan.
Monsieur Cosbey, j'aimerais en savoir un peu plus sur vos commentaires concernant le recours à un mécanisme d'ajustement carbone aux frontières de concert avec les États-Unis. En quoi la mise en place d'un tel régime pourrait-elle permettre aux deux pays d'améliorer leur performance en matière de commerce international?
M. Trump a déclaré publiquement qu'il considère les droits de douane comme un moyen d'améliorer la situation financière des États‑Unis. Malheureusement, c'est en grande partie son propre peuple qui en fera les frais en devant payer davantage pour les produits sur lesquels il impose des tarifs. Le mécanisme proposé ici pourrait lui permettre d'atteindre le même objectif, à la différence près qu'une bonne part de ces tarifs seraient alors épongés par des gens d'ailleurs dans le monde.
Pouvez-vous nous en dire un peu plus sur l'orientation que nous pouvons prendre dans le cadre du dialogue avec les États-Unis en vue d'améliorer collectivement — dans la veine de ce dont je viens de parler — notre performance en matière de commerce international et pour travailler en plus étroite collaboration, plutôt que de s'éloigner les uns des autres?
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Oui, c'est une excellente question et une priorité pour les gens du secteur.
Écoutez, la nouvelle administration américaine, comme vous l'avez dit, croit que les tarifs sont le premier outil à utiliser — en fait, le premier, le deuxième et le troisième. De plus, nous ne nous attendons pas à voir une tarification du carbone de sitôt aux États-Unis. Tout ce qui vise à harmoniser notre approche avec celle des États-Unis doit tenir compte de ces deux points de départ fondamentaux.
Là où il pourrait y avoir un certain espoir, c'est qu'on pourrait imposer, à la frontière, des normes convenues sur l'intensité des émissions des produits. Ainsi, aucun acier ou ciment ne serait autorisé à entrer au Canada ou aux États-Unis s'il a une intensité des émissions supérieure à x. De plus, cela pourrait se conjuguer à un élément du projet de loi actuellement à l'étude au Congrès, la loi sur la concurrence propre, qui pourrait permettre le commerce transfrontalier d'acier au‑delà de ce seuil, mais sous réserve de frais à payer. Ce serait une façon de satisfaire à la tendance de la nouvelle administration à imposer des frais à la frontière.
Un tel système pourrait bien fonctionner en combinaison avec le système de tarification fondé sur le rendement du Canada. Cela pourrait bien fonctionner aux États-Unis, parce que cela ne reposerait pas sur un prix du carbone préétabli auquel il faudrait s'adapter, et cela répondrait aux impératifs géopolitiques des États-Unis de confiner la Chine et d'éviter l'acier à haute intensité produit par d'autres partenaires commerciaux, dont la Chine.
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Merci, madame la présidente.
Les deux témoins pourront répondre à ma question, dans l'ordre qu'ils le souhaitent.
En 2020, le rapport préliminaire pour l'examen de l'Approche pancanadienne pour une tarification de la pollution par le carbone indiquait, en ce qui a trait aux fuites de carbone et à la compétitivité, que les outils et les politiques utilisés à ce jour au Canada dans les systèmes de tarification du carbone actuels semblaient avoir réussi à contrôler les risques. Il notait toutefois que, alors que le prix du carbone augmentera à 170 $ par tonne d'ici 2030, des mesures supplémentaires pourraient s'avérer nécessaires.
Que pensez-vous de ce diagnostic? Veuillez répondre l'un à la suite de l'autre, s'il vous plaît.
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Je peux répondre le premier.
[Traduction]
Je suis d'accord avec les conclusions de ce rapport selon lesquelles les mécanismes actuels de protection contre les fuites de carbone sont adéquats. Ces mécanismes, en réalité, sont les normes, les normes sectorielles établies dans le cadre du système de tarification fondé sur le rendement, en dessous desquelles il n'y a pas de tarification du carbone à payer.
Ceux qui respectent les normes ne paient rien, tandis que ceux qui les dépassent doivent payer. Il y a toujours un coût marginal, un coût marginal élevé qui incite à réduire ses émissions, mais le prix moyen, le prix moyen du carbone, est faible et raisonnable.
Le système actuel fonctionne bien. À partir de 170 $ la tonne, quand les normes se resserrent — à hauteur de 2 %, selon ce que la loi prescrit —, cela commence à être moins avantageux.
Ma recommandation et celle de la commission sur la compétitivité en matière de carbone, c'est que dans les secteurs où le risque de fuite est le plus élevé — parce que le risque de fuite n'est pas le même dans tous les secteurs —, il faut maintenir une norme élevée, une allocation fondée sur le rendement très généreuse.
Il y a toujours un beau prix marginal élevé. Il y a toujours des incitatifs à la décarbonation, mais il faut maintenir le coût moyen du carbone faible dans ces secteurs. De plus, à moyen et à long terme, il faudrait envisager quelque chose comme un ajustement du carbone à la frontière ou des normes d'intensité des GES à la frontière, pour des raisons que je me ferai un plaisir d'expliquer plus en détail. Pour l'instant, les allocations fondées sur le rendement fonctionnent.
[Traduction]
Il ne s'agit pas tant des politiques des pays exportateurs que de l'intensité réelle des émissions de gaz à effet de serre des entreprises de ces pays qui exportent leurs produits chez nous.
Si je prends l'acier indien, par exemple, la production d'acier indien émet énormément de gaz à effet de serre. Les politiques de l'Inde ne sont pas si mauvaises, mais les Indiens utilisent plus de hauts fourneaux — des convertisseurs basiques à oxygène — pour produire de l'acier, d'où sa très grande intensité carbone.
De plus, si et quand nous mettons en place des mesures à la frontière qui sont conçues pour empêcher ce type d'acier d'entrer au pays, je crois fermement qu'elles doivent être axées non pas sur les politiques des pays, mais sur l'effet de ces politiques. La question est de savoir si l'acier produit est propre. C'est la façon la plus juste de procéder, car il peut y avoir des producteurs très écologiques dans les pays qui ont ce genre de politique. On ne voudrait pas pénaliser ces producteurs.
:
Je peux commencer, si vous voulez.
[Traduction]
Il y a du bon et du mauvais là‑dedans.
Le bon, à court terme, c'est que bon nombre des incitatifs offerts en vertu de la loi américaine sur la réduction de l'inflation ont détourné les investissements dans les technologies et les procédés de production propres du Canada vers les États-Unis. Si tous ces incitatifs sont abolis aux États-Unis, il commencera à y avoir une plus grande disponibilité des capitaux au Canada pour investir dans les technologies et les productions vertes. C'est l'avantage à court terme.
Le coût à long terme, bien sûr, c'est que si l'on investit énormément ici dans des solutions comme le chauffage industriel, les thermopompes et l'acier décarboné, les solutions mises au point grâce à tous ces investissements seront reprises dans d'autres pays également; les États-Unis ne sont pas fermés hermétiquement. Nous profitons de la réduction des coûts qui résulte de tous ces investissements.
Alors, c'est bon et mauvais à la fois.
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Normalement, je ne siège pas à ce comité, mais je crois comprendre qu'il y a quelques semaines, ce comité a entendu des forestiers du Québec dire que les feux de forêt causés par les changements climatiques ont des répercussions beaucoup plus importantes sur leurs activités que les tarifs américains sur le bois d'œuvre.
Monsieur Cosbey, pouvez-vous nous parler du coût des changements climatiques?
Je tiens à souligner que j'ai rencontré ce matin des représentants de la Fédération canadienne de l'entreprise indépendante, qui affirment que la principale préoccupation des petites entreprises à l'heure actuelle est l'augmentation des coûts d'assurance à cause des changements climatiques. Ce sont les changements climatiques qui provoquent cette augmentation. Si c'était le principal souci de 55 % des petites entreprises il n'y a pas si longtemps, c'est celui de 74 % des petites entreprises aujourd'hui, si bien que nous savons que cela a également une incidence sur les petites entreprises.
Monsieur Cosbey, si vous voulez faire un commentaire...