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FINA Réunion de comité

Les Avis de convocation contiennent des renseignements sur le sujet, la date, l’heure et l’endroit de la réunion, ainsi qu’une liste des témoins qui doivent comparaître devant le comité. Les Témoignages sont le compte rendu transcrit, révisé et corrigé de tout ce qui a été dit pendant la séance. Les Procès-verbaux sont le compte rendu officiel des séances.

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STANDING COMMITTEE ON FINANCE

COMITÉ PERMANENT DES FINANCES

TÉMOIGNAGES

[Enregistrement électronique]

Le lundi 27 octobre 1997

• 1241

[Traduction]

Le président (M. Maurizio Bevilacqua (Vaughan—King—Aurora, Lib.)): Je déclare la séance ouverte et je vous souhaite à tous la bienvenue. Conformément à l'article 83.1 du Règlement, le Comité des finances tient des consultations prébudgétaires pour recueillir des propositions en vue du prochain budget. Cet après—midi, nous avons le plaisir d'avoir avec nous des représentants d'un certain nombre d'organisations: de la Canadian Association of National Voluntary Organizations, M. Al Hatton; de la Ligue pour le bien-être de l'enfance du Canada, M. Mel Gill; de la Fédération canadienne des enseignantes et des enseignants, M. Harvey Weiner, sous-secrétaire général; de Canadian Policy Research Networks, Mme Suzanne Peters; du Groupe de défense des enfants pauvres, Mme Christa Freiler; et de Troubles d'apprentissage - Association canadienne, M. Roy Cooper.

Je constate qu'on a prévu un mode spécial de présentation. Nous entendrons d'abord le représentant de la Canadian Association of National Voluntary Organizations. Comme chaque groupe ne devrait pas prendre plus de cinq minutes, je vous demanderais de nous donner un aperçu des opinions dont vous voulez nous faire part, puis nous passerons à une période de questions.

Encore une fois, bienvenue.

Vous pouvez débuter votre intervention, monsieur Hatton.

M. Al Hatton (Canadian Association of National Voluntary Organizations): Merci. Merci notamment d'avoir prévu une séance spéciale sur les enfants.

Je vais commencer par où le ministre Martin a terminé à Vancouver le 15 octobre dernier lorsqu'il a présenté sa mise à jour économique et financière. Vers la fin de son exposé, il a soulevé un point que je trouve très intéressant et dont nous nous inspirerons pour structurer notre présentation d'aujourd'hui. Il a dit:

    C'est pour cette raison que j'ai déclaré, au début de cet exposé, que le débat sur l'utilisation du dividende financier ne devait pas se limiter aux options des nouvelles dépenses, de la réduction de la dette, et de la diminution des impôts et des taxes, comme s'il s'agissait là d'une fin en soi. La décision doit être prise à la lumière des priorités nationales.

Quelques instants plus tard, il a ajouté:

    Certains anticipent les discussions à venir comme un débat de nature financière seulement. Ce n'est pas le cas. C'est un débat qui porte sur les valeurs.

Et enfin:

    Une économie forte requiert une société forte.

Nous parlerons donc de cette société forte.

Par ailleurs, on trouve au début du discours du Trône un passage éloquent où il est question d'une société civile «performante». Qu'entend-on par là?

Si nous imaginons la société comme un tabouret à trois pattes, la première étant le secteur privé et l'entreprise, la deuxième, les secteurs public et parapublic ou le gouvernement, et la troisième, le secteur bénévole ou tout le reste, dans un sens, ce qui nous inquiète, c'est que nous ayons concentré au cours des dix dernières années le gros de nos énergies à soutenir le secteur privé. Voilà qui est bien, sauf qu'à notre avis nous l'avons fait aux dépens des secteurs gouvernemental et paragouvernemental et, assurément, aux dépens du secteur bénévole.

• 1245

Il y a donc lieu de dire que les priorités et les valeurs du secteur privé occupent une place prépondérante, que le secteur public cède constamment du terrain et que la collectivité est pratiquement hors circuit.

En un sens, on nous a entraînés dans un débat politique où la droite réclame un gouvernement moins présent, mais pas nécessairement un bon gouvernement, et la gauche, un gouvernement plus interventionniste, mais pas nécessairement non plus un bon gouvernement.

Nous croyons qu'il est temps que le gouvernement fédéral non seulement remplisse les promesses qu'il a faites dans son deuxième livre rouge, dans le discours du Trône et dans sa mise à jour économique, mais aille même au-delà de ces engagements. Le moment est vraiment venu de réinvestir dans les services à la collectivité et aux citoyens, et en un sens, de promouvoir la participation des citoyens et de renforcer pour ainsi dire le secteur bénévole. Cela aiderait 76 000 sociétés de bienfaisance, 1,3 million de personnes qui travaillent dans ce secteur, les deux tiers à plein temps, et qui font jaillir chaque année la flamme du volontariat chez plus 6 millions de bénévoles qui consacrent collectivement à ces oeuvres un milliard d'heures.

Pour le bénéfice du compte rendu, je vous signale que la majorité des gens qui travaillent dans notre secteur ne voulaient pas que 34c. par dollar d'impôt continuent d'aller au service de la dette. Nous étions favorables à ce que le gouvernement fédéral réduise le déficit pour diminuer l'endettement du pays, mais nous ne nous attendions pas à ce qu'on s'attaque aux pauvres plutôt qu'à la pauvreté en effectuant des coupes massives dans l'assistance sociale, dans les services sociaux, dans les services de santé et dans l'éducation.

Quelles sont les priorités? À propos des trois questions sur lesquelles vous nous avez demandé d'exprimer notre opinion, essentiellement, nous sommes favorables à ce qu'une partie de ce montant—vous avez parlé de 50 p. 100—aille à de nouvelles dépenses, une partie à des allégements d'impôt ciblés, point sur lequel nous reviendrons tout à l'heure, et une partie à la réduction de la dette à long terme, pourvu qu'on y aille très lentement, sans précipitation.

Dans le cas de la réduction du chômage, par exemple, pourquoi ne nous fixerions-nous pas comme objectif de faire passer le taux de chômage de 10 à 5 p. 100? Personne ne croyait, il y a cinq ans, que nous pourrions parvenir au déficit zéro. Personne ne croit aujourd'hui qu'on pourrait réduire le chômage de façon significative. Nous soutenons, quant à nous, que ce serait possible pourvu qu'on fasse quelques investissements très stratégiques.

Nous croyons également qu'il faudrait réaffecter des ressources dans le TCSPS pour que les provinces puissent continuer d'offrir certains des programmes qu'elles financent depuis un certain temps.

Il nous faut des stimulants fiscaux pour encourager les gens à faire des dons moyens et modestes. Nous avons applaudi aux deux dernières recommandations du Comité des finances visant à encourager les contribuables qui font de gros dons et les sociétés philanthropiques en permettant à ces dernières d'accepter des gros dons, mais la tâche n'est pas terminée en ce qui concerne les dons moyens ou modestes.

Mes collègues vont vous parler des investissements dans les services aux enfants. J'ai trois ou quatre autres idées à vous soumettre avant de terminer mon exposé.

Un des premiers secteurs à être frappé par les compressions dans les services sociaux, c'est celui de la coordination des services bénévoles, dans lequel oeuvrent des personnes qui s'emploient à stimuler et à encourager les bénévoles, qui s'occupent de recrutement, de formation et d'organisation. Les gens pensent que c'est comme par magie que les bénévoles réalisent des choses merveilleuses et qu'il n'y a derrière eux aucune organisation pour les appuyer. Ce n'est pas le cas. Voilà donc un secteur où le gouvernement pourrait songer à accorder des stimulants.

Soutien de projets pilotes en développement économique communautaire: Il se réalise une foule de projets emballants dans les petites localités rurales et en milieu urbain où des gens se regroupent pour mettre sur pied toutes sortes d'activités liées au développement économique communautaire. Il n'existe à cet égard aucune politique gouvernementale.

Les organisations communautaires veulent travailler en partenariat avec le gouvernement fédéral et les provinces à la réalisation de toute une série de nouveaux projets créateurs d'emplois. Naturellement, si notre secteur a été victime de coupes de 15 ou 20 p. 100... Malheureusement, nous n'avons pas de données exactes à ce sujet; nous sommes en train de les colliger, et il faudra probablement attendre encore quelques mois ou un an avant qu'elles soient disponibles. Mais admettons-le, tout le monde connaît les effets des compressions. Pourquoi ne réinvestiriez-vous pas dans le secteur communautaire comme vous l'avez fait dans le secteur privé?

La province de Québec a mis en route de fort intéressants projets dans le secteur de l'économie sociale. Cette expérience devrait faire l'objet de discussions dans l'ensemble du Canada pour que nous puissions envisager d'adopter une stratégie similaire dans le reste du pays.

Nous ne voyons pas d'objection à ce qu'on évalue nos résultats, pourvu qu'on nous renseigne sur les règles du jeu. Nous sommes capables de respecter nos engagements. Nous pouvons stimuler la réalisation d'une foule d'autres activités bénévoles et attiser l'ardeur d'un bien plus grand nombre de travailleurs communautaires prêts à servir les Canadiens dans les domaines qui, à mon avis, sont importants pour la sauvegarde de l'unité du pays. Merci.

Le président: Merci beaucoup, monsieur Hatton.

Nous allons maintenant céder la parole à M. Gill de la Ligue pour le bien-être de l'enfance du Canada. Soyez le bienvenu, monsieur.

M. Mel Gill (Ligue pour le bien-être de l'enfance du Canada): Merci, monsieur le président.

Je suis également ravi de pouvoir vous présenter cet exposé au nom de la Ligue pour le bien-être de l'enfance du Canada.

En fait, je suis le porte-parole de deux organisations, car je suis également directeur exécutif de la Société d'aide à l'enfance d'Ottawa-Carleton. À ce titre, j'aimerais aussi vous dire un mot de l'impact qu'ont eu les décisions budgétaires fédérales sur les services de première ligne.

Mais je vous demanderais d'abord de vous reporter à un document que j'ai remis à la greffière et qui s'intitule: «Investir dans les enfants - Un cadre d'action». C'est à cela que pourrait ressembler un programme national de l'enfance complet, et nous vous le soumettons pour que vous puissiez en prendre connaissance.

• 1250

Nous félicitons le gouvernement fédéral et les provinces de leur engagement à élaborer un programme national de l'enfance. Je crois savoir qu'il se fait beaucoup de travail à cet égard au sein de l'appareil gouvernemental, aux échelons supérieurs de la hiérarchie.

Ce document émane d'une conférence qui s'est tenue à la fin de 1996 et à laquelle ont participé 1 200 personnes des quatre coins du Canada, de tous les secteurs d'activité économique et des secteurs de la santé et des services sociaux. Il a été endossé par quelque 24 ou 25 organisations nationales, et les appuis continuent de nous parvenir. Il contient des principes directeurs à l'intention des décideurs fédéraux, provinciaux et municipaux.

Le premier de ces principes stipule que le bien-être des enfants et des jeunes doit être au coeur des décisions législatives et politiques. Le deuxième établit qu'investir dans les enfants est une question de bon sens sur les plans économique, social et des affaires et une nécessité pour garantir la prospérité économique et la stabilité sociale. Le troisième mentionne que même la plus forte performance en matière d'économie et d'emploi devra s'accompagner de programmes fiscaux et de soutien du revenu pour aider les sans-emploi et redistribuer les revenus.

Le principe suivant rappelle que les mesures basées sur le revenu et conçues pour alléger la pauvreté ne pourront pas à elles seules régler tous les problèmes des enfants. L'accès à des services communautaires bien coordonnés (programmes d'éducation de la petite enfance, services de garde adéquats et loisirs) est essentiel pour tous les enfants. Il a été démontré qu'investir tôt dans les enfants donne des résultats probants et permet d'économiser à long terme sur les coûts sociaux, de santé, d'éducation et juridiques.

Enfin, reconnaissant que le gouvernement ne peut pas tout faire, nous suggérons un certain nombre de mesures que les collectivités, les entreprises, les particuliers, le milieu des médias et les syndicats peuvent prendre au niveau communautaire pour améliorer le bien-être des enfants.

Compte tenu de l'ampleur des mesures dont nous préconisons l'adoption, on nous a souvent reproché, à nous du secteur bénévole et des services humanitaires, de ne pas proposer de moyens pour financer tous ces programmes—on nous accuse de parler constamment de dépenses sans jamais préciser de moyens d'aller chercher du moins en partie les ressources nécessaires à leur financement.

J'estime que la prémisse à retenir lorsqu'il est question de dépenser pour les enfants—je me compromets un peu en disant cela, et comme je ne suis pas économiste, je ne prétends pas avoir toutes les réponses—, c'est qu'il faut considérer ces dépenses non pas comme des affectations de fonds irrécupérables qui ne rapportent rien, mais comme un investissement. Vous trouverez, tout au long de ce document et dans les notes qui l'accompagnent, des exemples qui illustrent les dividendes économiques que peut engendrer pour le pays un investissement dans les services aux enfants, sans parler de ses retombées sur le plan social. Nous prétendons d'ailleurs qu'il est tout aussi important pour le Canada de s'attaquer au déficit social qu'au déficit budgétaire et à la dette publique.

En ce qui concerne la politique économique, nous proposons d'élaborer une stratégie de réduction du déficit gouvernemental et de la dette publique comportant le maintien de faibles taux d'intérêt réels et une croissance modérée de l'inflation et des salaires, dont le niveau devrait être supérieur à la fourchette de 0 à 3 p. 100 qu'on vise actuellement. Il existe de nombreuses données qui prouvent qu'au sein de l'OCDE les pays qui maintiennent leur taux d'inflation aux environs de 3 à 4 p. 100 se tirent généralement mieux d'affaire que ceux qui tiennent à garder leur taux d'inflation à un niveau plus bas.

Nous proposons également d'instituer un impôt minimal sur la richesse et un impôt progressif sur les transferts de fortune de plus d'un million de dollars. On estime qu'au cours des 20 ou 30 prochaines années, un billion de dollars seront transférés d'une génération à l'autre au Canada. Ne serait-il pas normal que ceux qui ont le plus profité de l'énorme richesse de notre pays soient tenus de lui retourner une partie de ce qu'ils en ont tiré? En récupérant seulement la moitié de ce billion de dollars grâce à un impôt sur les transferts de fortune qu'on affecterait au remboursement de la dette publique, on pourrait pratiquement éliminer la dette fédérale.

• 1255

Nous sommes conscients qu'une telle politique risquerait d'entraîner une fuite de capitaux, et nous proposons des mesures afin de mieux prévenir cette éventualité.

Il est clair qu'il faudrait corriger les iniquités fiscales dont les familles à revenu faible et moyen avec enfants sont victimes. Là encore, les pays où il y a peu de disparité entre les riches et les pauvres ont généralement un taux de croissance plus élevé que ceux où cette disparité est plus grande.

Il faudrait en outre s'engager résolument à réaliser des projets d'infrastructures matérielles et sociales axés sur la création d'emplois. On trouvera à la fin du document une note explicative à ce sujet, mais permettez-moi d'aborder trois autres points.

La décision d'amputer 7 milliards de dollars dans les transferts aux provinces et celle prise antérieurement de plafonner à 5 p. 100 la croissance de ces transferts dans le cas des trois provinces les plus riches ont eu un effet extrêmement nocif sur les services de première ligne. Vous serez tous à même de constater les difficultés auxquelles sont confrontés les services de protection de l'enfance sur tout le territoire canadien. Les enquêtes qui ont été menées sur des décès d'enfants en Colombie-Britannique, en Ontario, au Nouveau-Brunswick et au Manitoba sont là pour en attester.

Par suite de ces décisions, les services de première ligne ont vu leurs budgets amputés radicalement. On aurait tort de prétendre que les transferts de points d'impôt donnent aux provinces une plus grande discrétion en matière de dépenses si leur budget total de fonctionnement s'en trouve diminué. En réalité, cette pratique n'augmente pas leur marge de manoeuvre, elle la réduit.

Nous avons suggéré très clairement qu'en toute priorité le gouvernement songe à réinvestir ces 7 milliards de dollars dans des programmes ciblés plutôt qu'universels—éducation de la petite enfance, prévention, programmes d'intervention précoce—et que, dès le départ, ce réinvestissement se traduise par une injection additionnelle équivalant à 0,75 p. 100 des sommes gouvernementales fédérales et provinciales réunies.

Un autre secteur qui souffre d'un sous-financement flagrant, c'est celui de la recherche, notamment de la recherche sur les enfants en général et, de façon plus criante encore, sur le bien-être des enfants. Il nous faut une stratégie nationale de recherche sur les questions qui touchent l'enfance. Nous suggérons une dépense additionnelle équivalant à aussi peu que 0,01 p. 100, soit 35 millions de dollars, pour la recherche dans ce domaine. Nous félicitons encore une fois le gouvernement de sa décision d'établir des centres d'excellence pour les enfants, mais il ne s'agit que de 20 millions de dollars sur cinq ans—c'est nettement insuffisant.

Un autre exemple de mesures que nous proposons et qui bénéficie d'un appui formidable dans tout le secteur, c'est celui de la réaffectation dans des programmes de prévention du crime de l'équivalent de 1 p. 100 par année du budget du système de justice pénale jusqu'à concurrence de 5 p. 100. Ici encore, vous constaterez, en vous référant aux notes explicatives, que le modèle québécois d'application de la Loi sur les jeunes contrevenants a permis de réduire considérablement les coûts et d'obtenir du même coup de meilleurs résultats que dans n'importe quelle autre province canadienne.

Des mesures de ce genre peuvent être appliquées d'une manière créative, et nous vous incitons à envisager d'y recourir, pourvu que, tout en vous attaquant au déficit budgétaire et à la dette, vous mettiez l'accent sur des politiques de réinvestissement visant à réduire le déficit social qu'ont engendré les compressions aveugles des dernières années.

Merci beaucoup.

Le président: Merci beaucoup, monsieur Gill.

Nous entendrons maintenant le porte-parole de la Fédération canadienne des enseignantes et des enseignants, M. Harvey Weiner.

M. Harvey Weiner (sous-secrétaire général, Fédération canadienne des enseignantes et des enseignants): Merci, monsieur le président. Nous aussi, nous sommes heureux d'être parmi vous pour discuter de questions qui concernent les enfants.

• 1300

Dans la société dans laquelle nous vivons, nous voyons quotidiennement des groupes de pression très puissants et bien organisés faire valoir leurs revendications sur des questions relatives à la santé, aux aînés, etc., mais on ne donne certes pas assez souvent aux enfants la chance de faire entendre leur voix ou d'exprimer leur point de vue avec suffisamment de vigueur.

Nous, les enseignants—et nous représentons ici quelque 242 000 enseignantes et enseignants des quatre coins du pays, qui enseignent dans les écoles élémentaires et secondaires de toutes les provinces et des deux territoires—sommes à même de constater chaque jour dans quel état les élèves arrivent à l'école. Nous estimons qu'il est temps que nous nous penchions sur les besoins de ces jeunes, car ce sont eux les futurs contribuables, les futurs dirigeants, les futurs citoyens sur lesquels nous devrons compter pour faire du Canada un pays dynamique et prospère une fois que nous serons bien engagés dans le 21e siècle.

Nous oublions souvent que ce sont ces enfants qui, une fois adultes, payeront les impôts, financeront les pensions que nous espérons toucher à l'âge de la retraite, assureront la qualité des soins auxquels nous escomptons avoir accès lorsque nous aurons besoin de services de santé, etc.

C'est pourquoi, pour reprendre un thème sur lequel on semble devoir revenir constamment à cette table, nous devons envisager les questions relatives à l'enfance dans une perspective d'investissement plutôt que de dépenses.

Un des problèmes-clés dont on n'est pas encore venu à bout, c'est celui du partage des compétences. Lorsqu'il est question des enfants, le gouvernement fédéral semble penser que sa compétence s'étend de la période prénatale jusqu'à l'âge de cinq ans ou à peu près. Puis, lorsque l'enfant fréquente l'école, c'est-à-dire entre 5 ans et 16 ans environ, il cesse de relever du gouvernement fédéral pour tomber sous la responsabilité des provinces. Enfin, dès qu'il accède au marché du travail, l'adolescent revient sous la responsabilité fédérale.

Selon nous, cela est absurde. Le gouvernement fédéral doit créer—et nous sommes ravis de constater qu'il a commencé à exercer un peu de leadership en ce sens—des partenariats à la fois avec les provinces et avec l'ensemble des collectivités, pour établir et mettre en application des plans à long terme propres à assurer pleinement à chaque enfant né en ce pays la chance de devenir un citoyen en bonne santé, productif et autonome au sein de sa collectivité. D'ailleurs, de l'avis des participants réunis à cette table, ces partenariats devraient être élargis pour englober le secteur bénévole et le secteur non gouvernemental. Nous estimons qu'une telle orientation permettrait à nos gouvernements de réduire considérablement les dépenses qu'ils effectuent actuellement à une foule de postes. Il s'agit donc vraiment d'un investissement.

Quand on parle de développement des ressources humaines ou d'investissements dans les ressources humaines, pour emprunter un peu le jargon de notre époque, les ressources humaines en question ne prennent pas naissance à l'âge de 16 ou 17 ans, mais plutôt dès la grossesse. C'est la qualité du développement de l'embryon et de l'enfant, une fois qu'il a vu le jour, qui déterminera dans une large mesure la capacité de cette jeune personne d'être le citoyen que nous aimerions que tout jeune Canadien devienne.

Des recherches nombreuses et poussées sur ces questions ont été menées un peu partout dans le monde. Elles montrent que ce sont les deux ou trois premières années—et certains y vont d'une période plus précoce encore—qui sont les plus importantes pour le développement de l'enfant, c'est-à-dire pour le développement de son cerveau, de ses neurones, etc. Les recherches le prouvent.

Le gouvernement canadien, par l'entremise de Développement des ressources humaines Canada, a injecté des fonds pour la réalisation d'une étude à laquelle nous sommes fiers d'avoir participé: l'Enquête longitudinale nationale sur les enfants et les jeunes. Il s'impose qu'on continue de financer cette étude d'importance cruciale, qui permettra de suivre plus de 20 000 jeunes jusqu'à l'âge adulte. Elle a déjà commencé à déboucher sur une foule de constatations qui indiquent très clairement que des investissements ciblés dans un certain nombre de domaines pourraient effectivement nous permettre de réaliser d'importantes économies et de produire, je le répète, le genre de citoyens que nous souhaitons voir nous succéder.

Les gens que vous voyez aujourd'hui à cette table et d'autres qui oeuvrent dans le secteur bénévole ont accumulé une expérience considérable concernant la prestation des services dont les jeunes ont besoin au jour le jour. Nous exhortons très fortement votre comité à faire valoir, dans les recommandations qu'il présentera au ministre à propos de l'investissement—de l'investissement à long terme dans les jeunes—, l'idée que le véritable partenariat suppose la participation des organisations qui sont représentées ici à cette table et d'autres encore à l'élaboration d'un plan d'action susceptible de contribuer largement à la solution des problèmes en présence desquels nous nous trouvons quotidiennement.

• 1305

Je conclus en disant que nous tous qui sommes réunis à cette table sommes conscients que nous ne pouvons entreprendre d'un seul coup de réaliser tous nos objectifs, que de toute évidence—et nous comprenons cela—les ressources disponibles seraient insuffisantes pour nous permettre de nous attaquer à tous les problèmes à la fois. Mais si nous ne commençons pas aujourd'hui, il nous faudra le faire demain ou après-demain, sans quoi le cycle de la pauvreté et des problèmes de divers types que nous connaissons se perpétuera.

Nous prions donc instamment votre comité de proposer, dans ses recommandations au ministre, qu'on accorde la plus haute priorité au réinvestissement dans nos enfants, qui sont l'avenir de notre pays.

Merci, monsieur le président.

Le président: Merci beaucoup.

J'inviterais maintenant M. Roy Cooper, de l'organisation Troubles d'apprentissage - Association canadienne, à prendre la parole.

M. Roy Cooper (Troubles d'apprentissage - Association canadienne): Monsieur le président, membres du comité, je vous remercie beaucoup d'avoir invité Troubles d'apprentissage - Association canadienne à comparaître devant vous aujourd'hui.

Je dois vous dire que j'ai le sentiment d'être différent de la plupart de mes collègues à cette table, en ce sens que je travaille bénévolement depuis 20 ans pour Troubles d'apprentissage - Association canadienne, pour la Learning Disabilities Association of Ontario et pour notre section locale d'Ottawa-Carleton. J'ai commencé à m'impliquer dans l'association parce qu'une de mes filles avait des troubles d'apprentissage. J'attache donc une importance toute personnelle aux mesures que vous adopterez pour répondre aux besoins futurs des enfants qui devront s'intégrer dans la société même s'ils ont des troubles d'apprentissage.

Je tiens à vous signaler pour débuter que Troubles d'apprentissage - Association canadienne se réjouit des résultats qu'a obtenus le gouvernement dans ses efforts de réduction du déficit. Ces dernières années, le gouvernement a dû prendre des décisions courageuses et faire des choix difficiles. Sans son leadership et sa vision de l'avenir, nous ne serions pas ici aujourd'hui à discuter de priorités dans un esprit progressiste.

Dans le contexte économique actuel de mondialisation et de vive concurrence, nous croyons que l'avenir de notre nation repose en partie sur l'investissement que nous serons prêts à consentir dans nos enfants et nos familles. Depuis de nombreuses années, on croyait que 10 p. 100 des gens souffraient de troubles d'apprentissage, mais d'après certaines recherches menées récemment aux États-Unis, cette proportion pourrait même atteindre 20 p. 100. Les recherches révèlent également que plus le diagnostic et l'intervention sont précoces, meilleures sont les chances de récupération.

En tant que membre de Troubles d'apprentissage - Association canadienne et père d'un enfant ayant des troubles d'apprentissage, je puis vous dire que c'est un problème avec lequel nous devons vivre tous les jours. Il nous apparaît étonnant de constater qu'on fasse si peu, voire rien, au Canada pour réagir au fait que 70 p. 100 des jeunes contrevenants ont des troubles d'apprentissage. Je ne veux pas dire par là que les troubles d'apprentissage mènent inévitablement à la criminalité, mais qu'à défaut de diagnostic et d'intervention précoces, un nombre malheureusement beaucoup trop élevé de jeunes Canadiens qui souffrent de troubles d'apprentissage se lassent d'aller à l'école, de ne pas être capable de suivre la classe, de se faire dire par leur instituteur qu'ils sont paresseux, nuls ou imbéciles. Cela veut également dire que comme nation il finit par nous en coûter entre 70 000 $ et 90 000 $ par année pour garder en détention chaque jeune contrevenant ayant des troubles d'apprentissage.

Troubles d'apprentissage - Association canadienne compte plus de 10 000 membres d'un peu partout au Canada. Malheureusement, les Canadiens qui ont des troubles d'apprentissage n'appartiennent pas tous à notre association, car alors, nous aurions plus de 3 millions de membres. Il nous semble qu'il serait plus productif d'utiliser l'argent durement gagné des contribuables pour effectuer dans de tels cas des diagnostics et des interventions précoces que d'attendre que le sujet ait commis une infraction et qu'on n'ait alors d'autre choix que de l'incarcérer.

Nous vous exhortons à faire preuve du même leadership et de la même ouverture qu'au cours des dernières années en faisant en sorte que tous les futurs enseignants reçoivent, avant la fin de leurs études pédagogiques, la formation voulue pour pouvoir s'occuper des enfants qui ont des besoins spéciaux; en rendant obligatoire l'évaluation par un psychologue ou un psychopédagogue de tout enfant qui accuse un retard d'un an dans son cheminement scolaire; en offrant aux jeunes contrevenants qui ont des troubles d'apprentissage des programmes ciblés et le soutien dont ils ont besoin pour les aider à mettre un terme à leur comportement criminel; en soutenant les familles qui doivent faire appel à des tuteurs, faire suivre à leurs enfants des cours de rattrapage ou leur procurer des logiciels spécialisés; en investissant dans la recherche pour faciliter le dépistage des contaminants de l'environnement qui affectent le développement neurologique du foetus et du nouveau-né; en incitant Finances Canada à collaborer avec Troubles d'apprentissage - Association canadienne à la clarification et à l'amélioration, dans le cas des personnes souffrant de troubles d'apprentissage, des lignes directrices régissant le droit de réclamer le crédit d'impôt pour soutien de personnes ayant une incapacité.

• 1310

Bien que nous soyons conscients que certaines de ces recommandations supposent que le gouvernement fédéral intervienne dans de nouveaux domaines et y travaille en collaboration avec les provinces et les territoires, nous vous recommandons de bien réfléchir aux conséquences du statu quo à cet égard, c'est-à-dire à ce qu'il nous en coûterait dans les années à venir pour soutenir 20 p. 100 de notre population aux prises avec des troubles d'apprentissage.

Je vous remercie du temps et de l'attention que vous avez bien voulu m'accorder.

Le président: Merci beaucoup, monsieur Cooper.

Nous allons maintenant passer au représentant de l'Institut canadien de la santé infantile. Docteur Graham Chance, soyez le bienvenu.

Dr Graham Chance (Institut canadien de la santé infantile): Merci, monsieur le président et membres du comité. J'ai avec moi Mme Jenny Tipper, également de l'Institut canadien de la santé infantile.

Monsieur le président, pendant qu'on parvenait à réduire le déficit, le nombre d'enfants canadiens vivant dans la pauvreté a augmenté de 400 000. Celui des banques alimentaires a atteint 460, et elles sont maintenant fréquentées par 2 millions de Canadiens, dont 900 000 enfants. L'écart entre le revenu des riches et celui des pauvres au Canada s'est élargi, pour devenir le troisième en importance parmi les pays de l'OCDE, et la proportion de jeunes sans emploi ou vivant dans la pauvreté s'est progressivement accrue.

De toute évidence, il y a maintenant de grands trous dans notre filet de sécurité sociale, qui devait pourtant préserver la dignité des Canadiens. Si notre société tient encore aux valeurs de compassion et de tolérance, force nous est de conclure que la réduction du déficit a eu des répercussions négatives sur les plus vulnérables de nos concitoyens. En conséquence, l'Institut canadien se voit obligé d'affirmer que le Canada ne respecte pas les engagements qu'il a contractés en signant la Convention des Nations Unies relative aux droits de l'enfant.

Pour nous aider à répondre à la question sur les priorités à établir en matière de dépenses, le premier ministre a énoncé dans son discours du Trône un principe directeur nous indiquant que les enfants devaient demeurer en tête de nos priorités. Ce que je viens de dire montre clairement que les enfants ne sont pas encore en tête de nos priorités, mais nous reconnaissons qu'ils devraient l'être. Comme le premier ministre l'a mentionné aussi, c'est envers nos enfants que nous avons les plus importantes obligations.

Mon collègue de la Fédération canadienne des enseignantes et des enseignants a insisté sur la nécessité d'investir dans le capital humain. Quels que soient les autres secteurs où l'on pourra songer à augmenter les dépenses, il ne fait aucun doute que nul investissement à long terme ne saurait être plus rentable que celui dans nos jeunes. Les recherches menées au fil des ans, comme il l'a signalé, ont prouvé hors de tout doute la valeur de l'investissement dans le développement précoce du cerveau et ont d'ailleurs révélé les profonds effets que produit l'environnement sur la croissance du cerveau de l'enfant. Il a été démontré que cette valeur, celle de l'investissement dans les jeunes enfants en croissance, l'emporte sur celle de toute autre forme d'investissement économique.

L'Institut canadien de la santé infantile recommande donc explicitement que non seulement l'investissement dans le régime de prestation nationale pour enfants soit maintenu, mais qu'il soit pleinement rajusté en fonction du taux d'inflation et qu'il ne soit pas lié à la situation des parents sur le plan de l'emploi.

À l'heure actuelle au Canada, les personnes âgées peuvent compter sur le RPC et les Canadiens en âge de travailler ont droit à l'assurance-emploi, mais il n'existe pas de fonds comparable pour les enfants. C'est pourquoi nous appuyons Campagne 2000 qui préconise la création d'un tel fonds d'investissement permettant d'assurer aux familles à revenu faible et moyen avec enfants un niveau de vie décent et l'accès pour les enfants canadiens et leur famille à des programmes complets et enrichissants de développement de la petite enfance, de services de garde et de soutien aux parents.

Il faudrait bonifier les programmes statutaires de congés parentaux sans perte d'avantage liés à l'emploi, en reconnaissance de l'importance cruciale du temps—si précieux de nos jours—que les parents peuvent passer auprès de leurs jeunes enfants. Nous nous réjouissons de l'implantation des centres d'excellence, mais, à l'instar de la Fédération canadienne des enseignantes et des enseignants, nous souhaitons qu'on en accroisse le nombre et qu'on en accélère l'implantation.

Il faudrait établir un système national de suivi de l'évolution de l'état de santé de tous les enfants au Canada— instituer un carnet de santé national pour les enfants—afin que la société canadienne puisse connaître précisément l'état de santé de ses enfants et les effets sur ce plan des mesures économiques et sociales instaurées par les gouvernements.

Nous sommes conscients qu'en mettant en oeuvre un programme national de l'enfance le gouvernement fédéral devra travailler de concert avec toutes les provinces. Nous l'incitons donc à continuer de faire preuve de leadership dans ce domaine et à s'inspirer des opérations fructueuses qu'il a réalisées dans le passé en collaboration avec les provinces, comme les programmes d'action communautaire pour les enfants.

Dans le choix de ses attitudes et de ses valeurs, la société doit tenir compte du fait que les enfants ne sont responsables ni des circonstances dans lesquelles ils naissent ni du milieu dans lequel ils grandissent. Pour que la qualité de vie que nous connaissons au Canada puisse survivre à la mondialisation, il faut mettre les besoins et le bien-être des enfants et de leur famille en tête de nos priorités. Nous croyons vraiment que c'est à cette condition que nous pourrons nous attaquer efficacement aux autres priorités de notre société.

• 1315

Merci.

Le président: Merci, docteur Chance.

Nous allons maintenant passer à la porte-parole du Groupe de défense des enfants pauvres, Mme Christa Freiler.

Mme Christa Freiler (Groupe de défense des enfants pauvres): Le Groupe de défense des enfants pauvres est un organisme d'intérêt public voué à la recherche et à l'examen des politiques. Il a été créé en 1985, avant même qu'on admette qu'il existe au Canada un problème de pauvreté chez les enfants. Nous avons d'ailleurs été un des membres fondateurs de Campagne 2000.

Je vais débuter mon exposé en parlant du processus de réduction du déficit et du phénomène que certains ont qualifié de triomphe des impératifs budgétaires, c'est-à-dire de la croyance que la réduction du déficit budgétaire est et doit être la priorité nationale et qu'il faut à tout prix sabrer dans les programmes sociaux. J'opposerai ensuite à cette vision celle que nous appelons la vision des impératifs sociaux, selon laquelle nous devons évaluer les besoins humains, investir dans les services à la population et établir nos priorités économiques en fonction de ces objectifs.

En 1994, il y a presque exactement trois ans, le Groupe de défense des enfants pauvres a joint sa voix à celle d'un certain nombre d'autres organismes d'intérêt public qui ont tenté de faire valoir que la crise budgétaire canadienne ne résultait pas du maintien de programmes sociaux aux coûts inabordables. Nous avons démontré que le Canada n'a été trop généreux ni dans les programmes sociaux qu'il a instaurés ni dans les montants qu'il a dépensés pour les maintenir, mais qu'il s'est plutôt montré trop timide à la fois dans sa capacité de percevoir des revenus et dans sa performance à cet égard par rapport aux autres pays industrialisés.

Il est maintenant bien connu que, durant la période de 1976 à 1985, une majorité de Canadiens favorisés à revenu moyen de même que des sociétés canadiennes ont bénéficié d'une trève fiscale qui a provoqué une baisse considérable des recettes gouvernementales. Ce traitement a lui aussi quelque chose à voir avec la situation dans laquelle nous nous retrouvons actuellement.

Depuis deux décennies, les Canadiens sont victimes de désinformation à propos de l'origine du déficit budgétaire, et bombardés d'affirmations selon lesquelles nous paierions trop d'impôt. Ce n'est pas là une situation nouvelle. Cette prétention n'a toutefois jamais résisté à l'analyse, pas plus maintenant que dans le passé.

Il importe également de signaler que, contrairement à ce que racontent les médias, la population ne réclame pas de réductions d'impôt. En réalité, durant la dernière campagne électorale, seulement 7 p. 100 des Canadiens ont affirmé que le maintien des impôts au plus bas niveau possible était en tête de leurs priorités. Les Canadiens sont conscients qu'ils doivent payer pour conserver leurs programmes sociaux et pour faire face aux priorités nationales qu'ils ont eux-mêmes définies, telle la lutte contre la pauvreté chez les enfants.

Qu'est-ce qui a changé depuis 1994? Eh bien! un des importants changements à s'être produit, c'est que le gouvernement fédéral a marqué des progrès considérables sur le chapitre de la réduction du déficit et qu'il entrevoit déjà le jour où le déficit fera place à un excédent. Les Canadiens se font dire qu'on aura bientôt suffisamment d'argent pour à la fois effectuer de nouvelles dépenses et réduire le fardeau fiscal.

Ce qui n'a pas changé depuis, c'est que, bien qu'il soit moins apparent et, partant, moins transparent, il y a toujours un antagonisme entre les tenants des impératifs sociaux et ceux des impératifs budgétaires. Nous ne devrions pas présumer qu'on pourra à la fois réduire la dette et les impôts et accroître les dépenses au titre des programmes sociaux, du moins dans la mesure où nous le souhaiterions tous. Les partisans des allégements fiscaux exagèrent probablement délibérément l'ampleur des excédents budgétaires post-déficit afin de nous convaincre que ces excédents suffiront à matérialiser les deux options sinon les trois, mais que les allégements fiscaux devraient avoir la priorité. Cette fois-ci—je veux parler du prochain budget fédéral—les impératifs budgétaires ne doivent pas triompher comme ce fut le cas en 1995. Nous soutenons que, dans le budget fédéral de 1998, ce sont les impératifs sociaux qui devraient occuper le sommet de nos priorités.

Les arguments en faveur des investissements sociaux dans les services aux enfants, aux jeunes et aux familles ont déjà été énoncés dans le dernier discours du Trône, et une majorité de Canadiens, dont bien sûr nous tous à cette table, y souscrivent résolument. D'après les sondages, les Canadiens croient qu'investir dans les enfants et les jeunes est un important objectif prioritaire.

Quant aux allégements fiscaux, ils priveraient le gouvernement fédéral des revenus dont il aura besoin pour investir dans des mesures sociales pour les enfants et les familles et accroîtraient le risque qu'on juge de nouveau nécessaire, la prochaine fois que le Canada se retrouvera dans une grave récession, de sabrer dans les dépenses sociales.

Pourquoi la lutte contre la pauvreté chez les enfants et les familles devrait-elle être une priorité nationale? Les Canadiens ont indiqué que la lutte contre la pauvreté chez les enfants devait être une priorité parce qu'ils sont conscients des effets dévastateurs de la pauvreté, dont certains de mes collègues ont déjà parlé, sur la vie et les chances de réussite de près d'un million et demi d'enfants et de leurs parents. En effet, les Canadiens préviennent nos gouvernements qu'ils ne toléreront pas qu'on gaspille la vie d'une autre génération d'enfants canadiens.

• 1320

Mais la lutte contre la pauvreté chez les enfants devrait aussi être une priorité pour les gouvernements et les décideurs parce que la pauvreté chez les enfants est symptomatique d'autres problèmes: d'un marché du travail qui procure de moins en moins d'emplois décents et garantis; d'un système de sécurité sociale qui a dû, pour compenser la diminution des recettes fiscales ayant découlé du déclin de l'activité économique, se résoudre à réduire ses dépenses; de la fragilité et de l'insuffisance de nos politiques familiales qui considèrent le bien-être des enfants comme une responsabilité que doivent assumer seuls les parents et non comme une responsabilité partagée entre les parents et la société; et enfin, du fait qu'on n'aide pas suffisamment les femmes à assumer leur rôle de mère ou de travailleuse. Le lien entre la pauvreté chez les enfants et leurs familles et la vulnérabilité financière des femmes ayant charge d'enfants n'est pas accidentel.

Je conclus en réitérant qu'à l'instar de Campagne 2000 nous estimons que les enfants doivent être les premiers à bénéficier du dividende social. Campagne 2000 a comparu devant votre comité à Toronto le 20 octobre dernier. Nous souscrivons, comme les autres personnes à cette table, à l'adoption d'un programme national de l'enfance, mais à la condition que le gouvernement fédéral y joue un rôle important et qu'il s'engage à y affecter les fonds nécessaires.

Pour que le budget fédéral de 1998 nous paraisse tendre à la poursuite de ces objectifs, il faudrait d'abord qu'il prévoie l'expansion et la bonification du régime de prestation nationale pour enfants dont on a fait l'annonce dans le budget de 1997. Le versement initial de 850 millions de dollars prévu dans le budget de 1997 constitue un premier pas important, et nous le reconnaissons. Nous escomptons bien qu'une deuxième tranche de 850 millions—c'est ce qu'on mentionne ici; elle serait tellement bienvenue—sera versée dans le budget de 1998 compte tenu de l'ampleur des fonds requis. Un investissement fédéral de 2 milliards—montant cible que certains voient comme un maximum—ne serait de toute évidence pas suffisant pour faire une percée dans le sens de l'atténuation et de la prévention de la pauvreté chez les enfants et les familles.

Un deuxième signe indiquant qu'on entend poursuivre ces objectifs consisterait à faire de l'éducation de la petite enfance et des services de garde une priorité du programme national de l'enfance.

Un troisième signe serait un engagement à ajouter d'autres éléments nécessaires à la stratégie nationale de lutte contre la pauvreté chez les enfants, tels un régime d'avances de pension alimentaire pour enfants et, comme deux ou trois intervenants l'ont déjà mentionné, un programme de congés parentaux ou de supplément familial qui reconnaisse qu'élever des enfants, c'est important et légitime.

Quatrièmement, je souscris à la recommandation de Campagne 2000 proposant de créer un fonds d'investissement social en reconnaissance de la nécessité d'adopter une nouvelle approche pour financer les investissements requis pour offrir des services aux familles avec enfants.

Merci beaucoup.

Le président: Merci beaucoup, madame Freiler.

Nous allons maintenant passer à la représentante de Canadian Policy Research Networks, Mme Suzanne Peters.

Bienvenue, madame.

Mme Suzanne Peters (Canadian Policy Research Networks): Merci.

Je comparais devant votre comité au beau milieu d'un projet de recherche visant à déceler, d'une manière très latérale, parmi les programmes et les politiques, lesquels pourraient être combinés. Je viens ici en essayant d'examiner ce problème dans une perspective à très long terme avec le sentiment que les investissements que nous consentons maintenant sont l'amorce de ce que nous pouvons réaliser à long terme.

Je pense que la réalité à laquelle nous sommes tous confrontés, c'est que les politiques en place sont surtout inspirées par des sondages d'opinions exprimées à la légère—qui ne nous permettent de recueillir que des jugements superficiels—et que, à l'examen, nous constatons que nos politiques et nos programmes sont réactionnels, en ce sens qu'on les a instaurés pour remédier à des situations de crise, sans tenir sérieusement compte de leur interaction et de leurs effets réciproques.

Nous avons également l'impression qu'ils sont insuffisamment évalués. Alors que, par exemple, nous disposons de résultats de recherches très sérieuses sur certains des déterminants qui sont à l'origine de ce qui ne va pas chez les enfants, comme l'ont mentionné mes collègues, nous ne savons que peu de choses sur l'efficacité des programmes existants et sur ce qui la conditionne.

Si par bonheur on évalue un programme, on ne s'intéresse généralement qu'à ses résultats à court terme—à ce qu'il procure directement—sans égard au long terme. Je dois dire toutefois que le régime de prestation nationale pour enfants, qui s'inscrit dans le cadre du programme national de l'enfance, représente sur ce plan un très important progrès puisqu'il permettra d'évaluer les effets à long terme de la pauvreté chez les enfants.

Enfin, l'un des plus gros problèmes que nous avons dans toute cette recherche de vision à long terme, c'est que très peu de mécanismes sont prévus pour vérifier comment les programmes sont perçus et pour rectifier le tir au besoin. J'aborde ce projet avec l'impression que dans nos actions futures nous allons devoir tenir davantage compte des valeurs de la population, des opinions bien arrêtées qui ont cours dans notre pays et des résultats des excellentes recherches qui ont déjà été réalisées et qui doivent être poursuivies.

• 1325

Dans cet esprit, nous estimons qu'idéalement une stratégie sociétale devrait correspondre beaucoup explicitement aux valeurs profondes et aux opinions qui sont bien ancrées dans la société. Les éléments de cette stratégie seraient systématiquement complémentaires; on tiendrait compte des effets que nos programmes et nos politiques ont les uns sur les autres, et on veillerait à ce que nos ressources soient utilisées de manière optimale. Cette stratégie s'appuierait sur des résultats éprouvés et serait résolument orientée vers la recherche de l'efficacité. Elle serait axée sur l'obtention de résultats à long terme et à cette fin comporterait des mécanismes d'autocorrection permettant d'assurer le respect des valeurs authentiques de la société et de profiter des leçons tirées des expériences passées. Tout cela nous apparaît essentiel.

Ce serait un point de départ. Et si j'observe, comme on le fait dans l'étude à laquelle je participe, ce qu'on accomplit sur ce plan dans d'autres pays, je constate clairement que les sociétés qui investissent stratégiquement dans leurs enfants se tirent mieux d'affaire que les autres.

Donc, quand on considère ce qui se fait dans différents pays qui appliquent diverses stratégies, on se rend compte des choix qui s'offrent à nous. Ces pays obtiennent de meilleurs résultats que le Canada dans son ensemble. Chez nous, certaines provinces, dont le Québec et la Saskatchewan, font des investissements stratégiques dans ce domaine et voient leurs résultats améliorés d'autant. Nous devons étudier ces modèles et voir dans quelle mesure nous pourrions nous en inspirer pour établir notre stratégie nationale.

Dans une étude que j'ai réalisée ces derniers mois, j'ai essayé de vérifier en profondeur quel ensemble de politiques les Canadiens, après mûre réflexion, décideraient de se donner dans une société idéale que j'ai invité mes sujets à imaginer. Je leur ai demandé de bien réfléchir au genre de milieu dans lequel ils souhaiteraient vivre et aux mesures qu'ils prendraient pour assurer le bien-être de leurs enfants.

Une constatation qu'a clairement permise cette étude, c'est que non seulement le bien-être des enfants est pour les Canadiens en tête de leurs priorités, comme ils l'expriment dans les sondages d'opinion, mais également que, lorsqu'on leur permet de comparer les dépenses qu'on effectue pour les enfants en regard de ce qu'on consacre à d'autres secteurs, ils réagissent de deux manières. D'une part, ils se montrent étonnés de constater qu'on dépense si peu pour nos enfants comparé à ce qu'on dépense ailleurs, et d'autre part, ils disent souhaiter qu'on investisse davantage pour améliorer le sort des enfants. Ils veulent des résultats à long terme. Ils tiennent à ce qu'on utilise au mieux leur argent et qu'on privilégie ce genre d'investissement. Cela leur apparaît plus important que l'obtention d'allégements fiscaux.

Nous savons tous, par ailleurs, qu'il règne actuellement une atmosphère de grande méfiance et que les gens ont bien du mal à imaginer que le gouvernement puisse atteindre de tels résultats. Cette perte de confiance—on se dit qu'on trouvera peut-être un prétexte pour reporter le projet—est bien réelle, et nous en sommes tous témoins. Elle touche les chercheurs comme le gouvernement.

Les Canadiens attendent toutefois de nous que nous trouvions le moyen d'amener les différents secteurs à collaborer, et ils escomptent que les gouvernements parviendront à s'entendre pour mettre les enfants au sommet de leurs priorités.

Voyons un instant à quoi ils s'attendent de la part des gouvernements... à ce qu'ils n'agissent pas seuls. Les gens sont vraiment convaincus que les collectivités locales sont importantes et qu'il s'impose qu'on apporte un soutien aux familles. Ils veulent que les trois paliers collaborent. Ils sont incroyablement nombreux à appuyer les dépenses d'infrastructure que nous faisons déjà dans les secteurs de la santé et de l'éducation. Si j'oublie d'inscrire un point sur la liste, ils me demandent des comptes, et si je l'inscris, ils me disent que ça n'est pas la peine d'en discuter, car il va de soi que ce sont là des dépenses qui doivent être faites.

Il n'y a qu'un très petit nombre des programmes proposés auxquels ils renoncent en raison de leur coût. Lorsqu'ils s'opposent à un programme, c'est soit parce qu'ils le jugent trop restrictif en ce sens qu'il prive les parents de certaines options, soit qu'ils le trouvent régressif en ce sens qu'il limite leurs possibilités de travailler tout en élevant leurs enfants.

On insiste énormément sur la prévention, autrement dit, on veut qu'on s'y prenne tôt et qu'on investisse dans les services aux très jeunes enfants. Ce qui est étonnant dans cette étude, c'est qu'on tient à tout prix à ce que tous les enfants soient visés, et non uniquement les enfants à risque. On se dit en outre que tous les enfants sont en quelque sorte à risque et vivent dans la précarité, compte tenu de l'incertitude qui est le lot actuel des familles canadiennes face au marché du travail. On peut donc en déduire qu'ils sont favorables à l'universalité des services. Ils reconnaissent qu'il doit y avoir certains services ciblés pour les gens particulièrement à risque, mais ils veulent que toutes les familles aient accès sans discrimination aux services, compte tenu des problèmes auxquels les parents font face serait-ce pour garder leur emploi, rester sur le marché du travail, tirer le meilleur parti possible de leurs ressources ou suivre de près leurs enfants.

Les gens veulent de la souplesse. Ils perçoivent leur collectivité locale comme leur lieu d'enracinement, celui où les parents peuvent participer aux décisions et à la prestation des services, et ils considèrent que les gouvernements ne devraient être là que pour leur faciliter les choses. C'est pourquoi ils veulent de la souplesse. Les collectivités locales ne sont pas toutes similaires au Canada. Une stratégie nationale ou un programme national de la petite enfance doit laisser aux gens beaucoup de latitude dans la conception des services qu'ils jugeront devoir être le plus utiles à leur collectivité.

Les Canadiens veulent être sûrs que personne ne sera laissé pour compte. La question des programmes de soutien du revenu est celle à propos de laquelle l'opinion publique est le moins fixée dans notre pays à l'heure actuelle. Les gens tiennent à ce régime enrichi de prestation nationale pour enfants. Quand on leur soumet une liste d'options, c'est celle qu'ils préfèrent, mais ils veulent que ces suppléments soient offerts sans qu'on restreigne du même coup l'accès des parents au marché du travail.

Ils sont divisés à propos des mécanismes à mettre en place pour permettre aux parents de concilier travail et famille; ils ne savent pas trop s'il faudrait créer ou non des allégements fiscaux pour aider les parents à financer les frais de garde et s'il faudrait verser ou non des suppléments de revenu aux familles qui ne recourent pas à des services de garde.

• 1330

Je dois vous avouer bien honnêtement que l'opinion publique n'est pas arrêtée sur cette question. Les gens la placent en tête de leurs priorités. Ils y voient un problème fondamental auxquels toutes les familles font face, mais ils savent et reconnaissent, quand vient le moment de discuter en groupe de diverses options et de faire des choix, que c'est là une question sur laquelle ils ne sont pas parvenus à se faire une opinion ferme, et que, d'ailleurs, nous nous devons, nous les chercheurs, les travailleurs bénévoles et les gouvernements, de les aider à mieux évaluer certaines de ces options.

Je pense que cette étude nous a déjà permis de constater—et nous n'en sommes encore qu'à mi-chemin—que les Canadiens sont favorables à ce qu'on investisse davantage et plus stratégiquement dans les enfants, et que nous devons commencer à engager plus profondément et plus systématiquement les citoyens dans un processus qui nous permettra de comprendre ce qu'ils souhaitent, de les aider à s'y retrouver là où ils sont déchirés, et de susciter l'établissement d'un nouveau pacte social entre les groupes intéressés.

En observant ce qui se fait dans d'autres pays, et ce qu'on fait au Québec avec le «projet de société», on constate que c'est lorsqu'on se réunit autour d'une table et qu'on prend des décisions ensemble qu'on se met à aller de l'avant sur des questions aussi fondamentales.

Nous devons entreprendre de nous pencher sur les priorités que les Canadiens nous ont dit juger les plus importantes, c'est-à-dire la consolidation de notre infrastructure sociale, la lutte contre la pauvreté, l'établissement de points d'ancrage dans les collectivités pour la prestation des services, et la mise en place de nouveaux mécanismes pour dénouer l'impasse dans laquelle se trouvent presque tous les Canadiens qui ont des enfants: concilier travail et famille.

Enfin, le temps est venu de nous interroger, à la lumière de ce que nous avons appris à propos de ce qui pourrait constituer un ensemble idéal de programmes, sur la façon dont nous allons interpréter et évaluer les expériences pilotes qui peuvent, d'une part, nous renseigner sur ce qui est efficace et, d'autre part, nous être utiles non pas uniquement en tant qu'instruments nous permettant de tirer des conclusions à partir de recherches microcosmiques, mais aussi comme plate-forme sur laquelle nous appuyer pour aborder les gens en leur disant: ceci s'est révélé efficace ailleurs et il devrait normalement en être de même chez vous. Nous devons faire l'essai de ce genre d'approche. Nous pouvons influencer le cours des choses. Nous pouvons conscientiser la population, la rendre plus sensible à ces questions, et amorcer le développement d'une cohésion sociale autour de questions comme celle du bien-être des enfants dans notre pays.

À l'instar de mes collègues, j'estime que les impératifs sociaux, comme le disait Christa, s'imposent à nous, et que les Canadiens sont avec nous pour en faire la promotion, mais qu'ils ont aussi besoin qu'on les aide et qu'on les soutienne. Il reste encore du travail à faire, et nous devons voir notre action comme une démarche à long terme vers l'adoption d'une stratégie sociétale dont la mise en application pourrait débuter en 1998, mais qui vaudrait pour bien des années encore.

Merci beaucoup.

Le président: Merci beaucoup, madame Peters.

Nous allons maintenant passer à la période des questions. L'excellence de vos exposés en aura suscité, j'en suis sûr, de très intéressantes.

Monsieur Harris.

M. Dick Harris (Prince George—Bulkley Valley, Réf.): Merci, monsieur le président. Simplement pour avoir une idée, y en a-t-il parmi vous, à part M. Cooper, qui représentent ici une organisation à titre bénévole sans être rémunéré pour le faire?

Monsieur Gill.

M. Mel Gill: Je suis un bénévole de la Ligue pour le bien-être de l'enfance du Canada, mais je suis rémunéré lorsque je travaille sur le terrain.

Dr Graham Chance: Je suis président de mon organisation, mais j'y travaille tout à fait bénévolement.

M. Dick Harris: Merci.

J'ai bien écouté vos exposés, et j'aurais un commentaire à formuler et peut-être une question. Vous semblez très préoccupés par les «coupes aveugles»—expression que vous avez utilisée à deux ou trois reprises—qu'effectuerait le gouvernement pour diminuer le déficit.

En fait, les statistiques vous confirmeront que sur toutes les coupes effectuées pour réduire le déficit entre 1993 et 1996, seulement un peu plus de 2 milliards de dollars ont été amputés du budget du TCSPS. C'est pourquoi je me demande s'il est juste de parler de coupes aveugles dans les programmes sociaux pour décrire les énormes compressions que le gouvernement a dû opérer au total pour réduire le déficit au cours des deux ou trois derniers exercices financiers. Je suis porté à croire, compte tenu des données réelles, qu'il y a là un peu d'exagération.

J'aurais également deux ou trois questions à vous poser sur des points précis. La première s'adresse à M. Gill. Monsieur Gill, vous avez parlé d'un déficit social. Brièvement, pourquoi, selon vous, avons-nous un déficit social?

M. Mel Gill: Je parle de déficit social parce que je constate que nous avons de plus en plus d'enfants qui vivent dans la pauvreté. Le nombre d'agressions contre des enfants qui sont signalées à des organisations comme la mienne a augmenté considérablement. L'incidence des cas de sévices infligés à des enfants dans nos collectivités est notoirement plus élevée que l'incidence du sida, de la fibrose kystique ou d'une foule d'autres maux, et pourtant, on n'a pas encore daigné dépenser un sou pour la recherche dans ce domaine.

De plus en plus de jeunes finissent par être pris en charge par le système de justice pénale. C'est tout cela qui fait qu'on a des déficits sociaux, des troubles d'apprentissage, etc.

• 1335

M. Dick Harris: Et vous affirmez que ce sont les coupes dans les budgets des programmes sociaux qui sont reponsables de tous ces maux, si je vous comprends bien.

M. Mel Gill: C'est certainement un facteur qui y contribue.

Je me dois de vous signaler mon désaccord sur les 2 milliards dont vous parlez. C'est peut-être le montant qui a été amputé du budget du TCSPS, mais n'oubliez pas qu'en vertu du Régime d'assistance publique du Canada, qui était en place auparavant, le gouvernement fédéral assumait la moitié des coûts des services de protection de l'enfance et de bien d'autres services communautaires, et que cette contribution a été abolie.

Avant cela, l'augmentation de la contribution fédérale au financement de tels services dans le cadre du Régime d'assistance publique du Canada était plafonnée à 5 p. 100 dans le cas de l'Alberta, de la Colombie-Britannique et de l'Ontario.

M. Dick Harris: C'est aux alentours de 1992-1993 qu'on a pratiquement mis fin à la frénésie des dépenses qui engendrait d'énormes déficits. Cela faisait près de 20 ans que nous accumulions annuellement des déficits colossaux parce que le gouvernement acceptait de financer à peu près n'importe quoi.

Je vous assure que j'ai du mal à me convaincre que ce déficit social est... Avez-vous l'impression que c'est un phénomène nouveau? Alors, s'il n'est pas nouveau, à quoi attribueriez-vous le déficit social que nous avions il y a 10 ou 15 ans, disons, et tous les problèmes sociaux que nous avons maintenant, alors que dans ce temps-là nous avions de l'argent pour tout et pour rien? Pourquoi avions-nous quand même un problème à cette époque? Avions-nous effectivement déjà un problème à ce moment-là, ou bien s'agit-il d'un phénomène tout nouveau qui est apparu dès que le gouvernement a entrepris de mettre ses finances...

M. Mel Gill: Je pense qu'il est allé en s'amplifiant. Christa Freiler a mentionné tout à l'heure, à l'instar de Statistique Canada dans son rapport de 1991, que seule une très petite portion de notre dette accumulée est attribuable aux paiements de transfert ou aux versements au titre du financement des programmes sociaux, de santé et d'éducation.

Mme Christa Freiler: Deux choses.

Dans les ouvrages de recherche, dans les études comparatives sur les politiques sociales, on qualifie souvent le Canada de traînard en matière de politique sociale. «Traînard» veut dire qui se situe loin derrière tous les autres. Donc, s'il y avait déjà un déficit social avant la création du TCSPS, ce qui est le cas, c'est parce que le Canada n'a jamais été caractérisé par sa propension à dépenser considérablement, ni même raisonnablement, pour les programmes sociaux. Les pays européens—et je crois que Suzanne en a fait mention—ont toujours dépensé énormément plus que nous sur ce chapitre. Et je ne songe pas uniquement à la Suède.

Le déficit social est donc un problème de longue date qui s'est exacerbé récemment.

Quant aux 2 milliards dont vous parlez, je crois qu'avant aujourd'hui, aucun d'entre nous à cette table n'avait entendu parler d'un tel montant. Tout ce que nous en savons, c'est qu'à échéance 7 milliards de dollars auront été amputés du TCSPS et qu'il s'agit là du plus gros effort exigé dans le cadre de la stratégie de réduction du déficit du gouvernement fédéral.

M. Dick Harris: Monsieur Weiner, j'ai écouté votre exposé, et j'y ai noté quelque chose qui m'étonne vraiment. C'est que tout au long de votre présentation, au cours de laquelle vous avez parlé des jeunes enfants et d'un tas de choses, pas une fois je vous ai entendu mentionner le mot «parents». Vous avez parlé d'organisations comme celles qui sont représentées à cette table, qui s'intéressent aux problèmes des parents. Vous avez parlé de responsabilité qui incomberait dans un premier temps au gouvernement fédéral, puis qui serait transférée au palier provincial, pour enfin revenir au gouvernement fédéral.

Dans votre grande vision de la façon dont les enfants devraient être élevés, croyez-vous que les parents ont un rôle à jouer quelque part? Ou avez-vous tout simplement accidentellement oublié d'en parler?

M. Harvey Weiner: Étant moi-même au nombre des parents, je considère naturellement que ceux-ci ont un très important rôle à jouer dans l'éducation de leurs enfants.

Je suis à vrai dire très heureux que vous me posiez cette question, car dans notre pays, non seulement le nombre de parents, en pourcentage, a diminué, mais également le nombre d'enfants que les parents mettent au monde. Nous devons, je crois, revoir notre façon de penser à cet égard et nous dire que ces enfants ne sont ni les vôtres ni les miens, mais les nôtres.

Les organisations que vous voyez représentées à cette table et d'autres qui ne le sont pas—organisations qui représentent bien sûr des parents, pour certaines expressément, mais des parents qui en sont membres pour s'y dévouer afin de tenter de trouver réponse à ces problèmes très réels qu'ont les enfants—auront besoin non seulement de la compréhension, mais également de l'aide, de l'assistance et de la participation de ceux qui n'ont plus d'enfants ou qui n'en ont jamais eu, parce que ces enfants sont à tous, et qu'ils sont les citoyens de demain, qui nous procureront, nous l'espérons, le niveau de vie dont nous souhaitons pouvoir jouir une fois à la retraite.

• 1340

M. Mel Gill: J'invite le député à se reporter au préambule du document sur la violence familiale et les enfants. Il donne vraiment un bon aperçu des postulats sur lesquels nous fondons notre action. Les familles sont certes les premières responsables de leurs enfants, mais les collectivités locales et l'État ont à cet égard un rôle complémentaire à jouer.

M. Al Hatton: Juste un petit commentaire, monsieur Harris. Si en fait vous vous donnez la peine de scruter les compressions qu'ont subies les divers ministères, vous constaterez qu'elles n'ont apparemment pas toutes été effectuées dans le budget du ministère de la Santé; certaines ont touché des ministères comme celui du Patrimoine canadien qui avait l'habitude de soutenir le secteur bénévole—or, ce soutien a été retiré. Développement des ressources humaines Canada versait des centaines de milliers de dollars aux collectivités locales pour le financement de la formation de la main-d'oeuvre et de toute une série de programmes de formation professionnelle, mais tout cela a été transféré aux provinces. Les gens ne savent pas quelle incidence auront ces changements dans le futur.

Si l'on prend la Justice, l'Environnement et presque tous les ministères, les coupes qu'ils imposent aux collectivités et que celles-ci subissent en raison des compressions provinciales sont beaucoup plus lourdes de conséquence que ce que laissent supposer les données officielles, car dès que le gouvernement fédéral s'est mis à couper les vivres aux provinces, celles-ci se sont empressées de faire exactement de même de leur côté. L'effet cumulatif de ces compressions est énorme. On les a justifiées en prétendant que le secteur privé allait augmenter localement ses dépenses ou ses contributions pour compenser ces coupes, mais il n'en a rien été.

Ce sont tous ces facteurs réunis qui expliquent pourquoi nous avons un déficit social qui va s'amplifiant. D'aucuns ne semblent pas très conscients de tout cela, et surtout ne tiennent pas suffisamment compte, dans leur jugement, des compressions qu'on a effectuées dans divers ministères.

Le président: Monsieur Perron.

[ Français]

M. Gilles-A. Perron (Saint-Eustache—Sainte-Thérèse, BQ): Excusez mon retard et ma tenue; j'ai fait du stationnement sur la route 148.

Merci, mesdames et messieurs, d'être venus.

Sachant que le déficit devrait atteindre zéro cette année ou au début de l'année prochaine, enfin très bientôt, et que des profits devraient arriver, sachant aussi que les plans du ministre des Finances sont de diviser ces profits à raison de 50 p. 100 pour payer notre dette, 25 p. 100 pour investir dans de nouveaux programmes ou des programmes existants et 25 p. 100 pour réduire les taxes, j'ai été surpris qu'aucun ou aucune d'entre vous n'ait commenté cela ce matin. J'aimerais entendre vos commentaires là-dessus. Est-ce que le 50-25-25 annoncé par M. Martin fait votre affaire? Avez-vous d'autres propositions à faire à M. Martin?

[Traduction]

Le président: Monsieur Weiner.

[Français]

M. Harvey Weiner: Je ne peux parler au nom de toutes les organisations autour de la table, mais nous pensons que la priorité devrait être le réinvestissement dans les programmes pour enfants. Cependant, cela ne veut pas dire que nous pensons collectivement que tout doit être mis dans le panier du réinvestissement. Mon organisation n'a pas pris position précisément sur cette division de 50 p. 100, 25 p. 100 et 25 p. 100, mais compte tenu de ce qui se passe dans la société actuellement, nous croyons que le gouvernement est en mesure de réinvestir dans les programmes pour enfants. Pour nous, c'est la première priorité.

Le président: Merci, monsieur.

[Traduction]

Mme Suzanne Peters: À mon avis, l'une des difficultés auxquelles est confronté le gouvernement, c'est qu'il subit autant de pressions de la part de ceux qui exigent des résultats en ce qui concerne les programmes qu'il s'était engagé à bonifier que de ceux qui exigent des résultats en ce qui concerne les allégements fiscaux qu'il avait promis. De la façon dont j'interprète les opinions exprimées par les citoyens, il semble qu'ils soient davantage favorables à la bonification des programmes qui améliorent leur situation qu'aux réductions d'impôt. Je ne saurais vous renseigner sur la proportion, mais c'est définitivement ce qui ressort de ce que j'entends.

Mme Christa Freiler: Je suis du même avis. Il se pourrait que les deux 25 p. 100 soient inconciliables. Le 25 p. 100 qui servirait à réduire les impôts pourrait très bien nous priver du 25 p. 100 qu'on aurait prévu utiliser pour augmenter les dépenses relatives aux programmes sociaux. Je ne crois pas que ces deux volets soient complémentaires; ils se font plutôt concurrence.

• 1345

Je tiens à appuyer mes collègues qui soutiennent que les Canadiens ne réclament pas de réduction de la ponction fiscale. Les pressions en ce sens viennent d'un petit nombre de groupes favorisés. Je ne comprends pas pourquoi le gouvernement fédéral se sent obligé de céder à ces pressions quand il ne semble pas y en avoir en ce sens du côté de la population en général.

Ce qu'il reste alors à se demander, c'est s'il faut affecter 50 p. 100 de l'excédent budgétaire aux dépenses relatives aux programmes sociaux et 50 p. 100 à la réduction de la dette. Je crois qu'un point auquel on a déjà fait allusion et sur lequel il conviendrait peut-être d'insister davantage, c'est qu'on doit s'engager résolument à investir dans les enfants aussi bien en période d'austérité qu'en période de prospérité. Or, d'après ce qu'on a pu constater au cours des dix dernières années, lorsqu'il y a excédent ou prévision d'excédent, ou lorsque l'économie se porte bien, on songe à investir dans les enfants. Par contre, s'il y a récession et qu'il s'impose de mettre de l'ordre dans les finances publiques, on sabre dans les services à la population.

Je pense que l'engagement qu'a pris le Canada en signant la Convention des Nations Unies relative aux droits de l'enfant vaut aussi bien dans les périodes difficiles que lorsque l'économie va bien. Si nous nous engageons à affecter 50 p. 100 du dividende financier à la réduction de la dette, on peut se demander si en période d'austérité notre marge de manoeuvre demeurera suffisante pour nous permettre de maintenir au même niveau nos dépenses au poste des services aux familles avec enfants. À moins, bien sûr, que l'engagement que nous avons pris soit du type qu'on respecte lorsqu'il fait beau et auquel on se soustrait quand il pleut! À mon avis, ce mode de répartition de l'excédent budgétaire ne vaut que si on respecte cet engagement.

Le président: Merci, madame Freiler.

Un dernier commentaire, monsieur Hatton.

M. Al Hatton: J'étais ici l'an dernier. J'étais également ici l'année d'avant quand le groupe passablement imposant constitué de spécialistes, de banquiers et de deux d'entre nous du milieu des organisations communautaires a discuté pendant cinq heures du discours que M. Martin avait prononcé la veille au sujet de notre situation budgétaire, et dans lequel il expliquait la démarche qu'il entendait adopter pour atteindre le déficit zéro. À ce moment-là, il n'était question que de l'objectif zéro. Nous nous battions, nous qui étions placés du côté gauche de la table—pas nécessairement du côté gauche sur le plan des idées—, contre ceux qui étaient placés du côté droit de la table—pas nécessairement du côté droit sur le plan des idées—à propos de l'opportunité, une fois le déficit zéro atteint, de réinvestir dans les services à la population.

Je ne tiens pas à me livrer au jeu des pourcentages, mais il se trouve que nous voilà maintenant tout près de l'objectif zéro. Nous l'atteindrons bientôt, comme vous dites, mais nous ne savons pas exactement quand. À moins que nous n'entreprenions de rétablir l'équilibre entre l'économique et le budgétaire, la société canadienne continuera d'être divisée entre riches et pauvres, entre gens qualifiés et moins qualifiés, entre ceux qui profitent de la nouvelle économie et de la nouvelle société que nous essayons de bâtir et ceux qui n'en profitent pas.

Contrairement à l'école de pensée qui estime que, maintenant que nous avons atteint le déficit zéro, il faudrait immédiatement donner priorité à la réduction de la dette ou à l'allégement du fardeau fiscal des Canadiens, nous soutenons que l'une et l'autre de ces deux options sont à courte vue. Un jour, certes, il nous faudra en venir là, mais plus nous nous empresserons de réinvestir dans les services à la population dont nous venons de parler, notamment dans les services aux enfants, plus notre société sera solide. C'est ce qui pourra nous rendre aptes à affronter la concurrence, si l'on peut dire, dans le monde entier, non seulement sur le plan économique, mais à maints égards.

Le président: Merci beaucoup, monsieur Hatton.

Un dernier commentaire, monsieur Cooper.

M. Roy Cooper: Comme parent, je tiens à dire que peu importe le pourcentage, je n'ai aucun contrôle sur la façon dont on utilise mes impôts; les dirigeants de notre pays en font ce qu'ils veulent bien.

Je m'adresse à vous en ma qualité de parent qui a toujours pu procurer à sa fille certains des services dont elle avait besoin pour se tirer d'affaire dans le système. Mais je suis du nombre des chanceux; je fais partie de la classe moyenne. Je suis un fonctionnaire, un scientifique, et je gagne bien ma vie.

Je lance ce cri d'alarme au nom de celles et ceux qui sont chefs de famille monoparentale, qui vivent de l'assistance sociale et qui découvrent un jour qu'ils ont un enfant qui souffre de troubles d'apprentissage. Le milieu scolaire est censé offrir des services spéciaux à cette catégorie d'enfants. Il est également censé exister de tels services à l'intention des enfants d'âge préscolaire, mais ceux-ci n'en profitent pas parce que personne ne se charge de les solliciter pour eux. Les fonds sont pourtant disponibles, mais la procédure à suivre pour accéder à ces services ne favorise que ceux qui peuvent exercer des pressions sur le système—ceux d'entre nous qui en connaissent les rouages, qui sont instruits.

Il ne suffit pas de découvrir soudain que son enfant souffre de troubles d'apprentissage pour qu'on puisse immédiatement se présenter à tel ou tel endroit désigné et y obtenir de l'aide pour répondre aux besoins de l'enfant en question. En fait, l'organisation que je représente ne peut venir en aide qu'à un petit nombre de ces enfants, car le gouvernement ne nous verse pas un sou pour nous permettre d'offrir nos services. Nous le faisons bénévolement. À moins que tous puissent avoir accès aux mêmes services quel qu'en soit le coût, qu'ils puissent voir les besoins... nous faisons réaliser des économies. Quant au gouvernement, s'il omet de dépenser 7 000 $ par an pour la prise en charge d'un enfant souffrant de troubles d'apprentissage, il s'expose à ce qu'il lui en coûte plus tard entre 70 000 $ et 90 000 $ annuellement pour le maintien d'une personne de plus en incarcération. On cherche à économiser d'avance au lieu de prévenir. C'est dommage, mais c'est comme ça.

• 1350

Le président: Monsieur Riis.

M. Nelson Riis (Kamloops, NPD): Merci beaucoup, monsieur le président.

Il est intéressant que nous tenions cette discussion aujourd'hui, alors qu'à l'extérieur de cette enceinte, on se déchaîne à propos du choix à faire entre les allégements fiscaux et l'éducation, grosso modo. Chacun est libre d'interpréter la situation comme il l'entend, mais c'est essentiellement de cela qu'il s'agit. C'est tragique tout ça.

Certaines des idées dont vous nous avez fait part aujourd'hui étaient vraiment intéressantes. Quelqu'un a rappelé à quel point, comme société, nous étions prêts à investir massivement dans les services aux jeunes de 6 à 18 ans, entre leur première et leur douzième année d'études, alors qu'avant 6 ans et après 18 ans, on était réticent ou hésitant à le faire.

J'appuie assez volontiers tout ce que vous nous avez dit ici aujourd'hui, mais j'aurais deux questions, dont la première, que je ne voudrais pas qu'on interprète mal, concerne le secteur bénévole. J'ai écouté avec intérêt l'exposé que M. Martin a fait à Vancouver, et je pense qu'il y a mentionné le mot «bénévolat» à plusieurs reprises. Dans quelle mesure, à votre avis, avons-nous tendance à recourir à des bénévoles pour pallier l'absence de soutien adéquat, à nous en remettre encore davantage à cette solution au lieu d'investir notamment dans les services aux enfants ou aux jeunes qui souffrent de troubles d'apprentissage? Se pourrait-il qu'on soit séduit par l'idée d'instituer des stimulants fiscaux pour inciter les bénévoles ou leurs organisateurs à se charger de ces missions? Procurer un petit encouragement à des gens comme vous ne serait-il pas un moyen facile pour le gouvernement de se soustraire à ses responsabilités?

La deuxième chose que j'aimerais que vous me disiez, quoique certains d'entre vous aient peut-être déjà exprimé leurs vues là-dessus, c'est: pourquoi, selon vous, avons-nous manqué à notre devoir de répondre aux besoins de nos jeunes, pourquoi avons-nous à cet égard, comme quelqu'un l'a mentionné, été si négligents comparé à d'autres pays? Notre dossier en matière de politique sociale est assez épouvantable. Quelqu'un a fait allusion tout à l'heure—je ne me souviens plus de qui il s'agissait—à l'augmentation ces cinq dernières années du nombre d'enfants vivant dans la pauvreté dans notre pays. C'est horrible comme situation. Comment en est-on venu là? Nous ne sommes pourtant pas insensibles comme société, incapables de compassion. Pourquoi avons-nous ainsi purement et simplement laissé autant d'enfants à l'abandon, et pourquoi continuons-nous de le faire?

M. Al Hatton: Je pense que certaines personnes au gouvernement et certains citoyens y voient une porte de sortie commode. Il n'y a pas lieu d'en douter, selon moi. Il peut être tentant de se dire: pourquoi irions-nous payer pour des services dont peuvent s'occuper des bénévoles...? Nul besoin d'être une sommité du domaine spatial pour se faire une idée de ce qu'on peut économiser en faisant appel à des bénévoles, qui font d'ailleurs les choses de manière si sublime, si humanitaire.

Le problème, c'est que les services qu'ils rendent ne sont pas universels. Leur prestation ne repose que sur le dévouement et la bonne volonté de petits groupes de personnes ou encore d'individus. Ils n'interviennent que très sporadiquement. En définitive, si l'on ne fait pas en sorte que les organisations bénévoles puissent travailler en partenariat avec le gouvernement, on se retrouvera avec d'énormes brèches dans les services dispensés, et ce n'est pas ce que nous souhaitons.

C'est pourquoi nous estimerions inacceptable que le gouvernement se serve d'une réinjection de fonds dans le secteur bénévole comme prétexte pour se soustraire, pour ainsi dire, à sa responsabilité de veiller à fournir des services adéquats là où ils sont actuellement déficients. Nous ne voulons pas tomber dans ce piège. Le travail obligatoire et les autres moyens de refiler les responsabilités aux collectivités ne sont pas des solutions auxquelles nous souscrivons. Ce que nous souhaitons, c'est de travailler en partenariat avec le gouvernement, d'utiliser les ressources de manière optimale. C'est, je pense, la stratégie que nous proposons.

Nous savons que cette option présente des risques, dont celui de mettre en opposition les syndicats, les collectivités et le secteur bénévole. Ce n'est pas ce que nous voulons. Nous essayons d'invoquer l'impératif moral et de soutenir que nous avons tous un rôle à jouer, le gouvernement, le secteur privé et nous du secteur bénévole. Maintenant, il reste à nous demander comment nous allons pouvoir réviser ces ententes de manière à optimaliser les ressources.

M. Mel Gill: Concernant la deuxième question, le fait que les enfants ne votent pas entre en ligne de compte. Sauf erreur, la plupart des Canadiens sont d'avis que nous devrions faire davantage pour les enfants, mais ils ne savent pas comment. Nous n'avons pas de stratégie nationale. On ne s'est jamais fixé d'objectif à atteindre.

Permettez-moi de revenir brièvement sur la question précédente. La question que vous posez est importante, à mon avis, mais elle doit être abordée dans une perspective plus large. En réalité, les allégements fiscaux ont pour but de remettre de l'argent entre les mains des consommateurs. C'est probablement au Canada que la dette à la consommation, qui dans le cas des cartes de crédit porte intérêt à des taux quasi usuraires, a enregistré la croissance la plus astronomique. Les salaires n'ont pratiquement pas augmenté au cours des cinq ou six dernières années. Si vous voulez vraiment envisager des façons de remettre de l'argent dans les poches des consommateurs, vous devez examiner dans une perspective plus large les divers moyens qui s'offrent à vous, y compris celui d'accorder des allégements fiscaux ciblés.

Dr Graham Chance: Je ne crois pas qu'il soit question de laisser les enfants à l'abandon. La plupart des parents, je pense, le verraient tout autrement. Mais un des problèmes qui se pose certainement, c'est qu'on semble généralement d'avis qu'il appartient essentiellement aux parents d'assurer la croissance et le développement de leur enfant.

• 1355

Autrefois, on s'accommodait relativement bien de cette façon de voir les choses. Mais de nos jours, bien des parents trouvent qu'il leur est impossible de s'acquitter de leurs responsabilités comme ils le voudraient aussi bien sur le plan financier que sur celui de l'emploi du temps.

Nous avons eu tendance à insister pour que la responsabilité des enfants incombe aux parents plutôt que de considérer que la société devrait faire sa large part. Je ne crois pas que nous ayons assumé nos responsabilités sociétales envers les enfants comme nous aurions dû le faire. Je n'aurais pas pu citer ces données si nous avions été une société humanitaire. C'est de se moquer des gens que de qualifier notre société d'humanitaire lorsqu'on considère dans quelle situation sont nos enfants. Notre population ne sait pratiquement rien de l'état général de santé des enfants canadiens. Force nous est de le reconnaître.

C'est pourquoi, en fait, l'Institut canadien de la santé infantile est si convaincu qu'il faudrait créer une véritable banque de données sur la santé des enfants canadiens de façon à ce que de collectivité en collectivité on sache où sont les problèmes. Nous n'avons pas de telle banque de données. Les collectivités savent que les enfants ont des problèmes, mais elles ne savent pas lesquels.

D'autres mettent plus d'ardeur à revendiquer que les enfants, car ces derniers n'ont tout simplement pas de voix pour exiger qu'on réponde à leurs besoins. En réalité, leurs besoins sont comblés dans certains cas, mais pas dans d'autres. Mais essentiellement, les enfants ne sont pas en mesure de s'imposer, car on n'est pas à leur écoute.

C'est ainsi qu'au fil des ans, nous avons été conditionnés, comme citoyens, comme société, à regarder s'accumuler notre dette sociale. Si nous nous contentons encore longtemps d'en être des témoins passifs, c'est toute la situation du pays qui se détériorera.

Le président: C'est maintenant au tour de M. Jones.

M. Jim Jones (Markham, PC): Merci, monsieur le président.

Il se peut que nous ayons un problème social au Canada, comme je suis vraiment porté à le croire, mais nous avons un problème encore plus grave, celui de l'emploi. Les parents qui ne trouvent pas d'emploi et qui vivent sous le seuil de la pauvreté ne peuvent vraiment pas s'occuper de leurs enfants convenablement. Je pense donc que ce déficit social est symptomatique d'un problème plus grave encore auquel nous devrions nous attaquer.

M. Hatton a mentionné, je pense, qu'au cours des trois dernières années, le gouvernement avait soutenu davantage le secteur privé que le secteur public et le secteur bénévole. J'aimerais qu'il nous explique ce qu'il entend par là.

De son côté, M. Weiner a parlé de la nécessité d'investir dans les enfants. Je présume qu'il faisait surtout allusion à l'éducation et aux questions qui s'y rapportent, puisqu'il vient de la Fédération canadienne des enseignantes et des enseignants. Le Canada est l'un des pays qui dépense le plus par habitant pour l'éducation. Comment expliquez-vous qu'un pays comme Singapour, qui jusqu'à ces dernières années se situait au bas de l'échelle en éducation, soit maintenant en tête et qu'il investisse davantage dans ce secteur? J'aimerais que vous nous donniez une idée de l'ampleur des montants auxquels vous songez comme investissement.

Par ailleurs, je pense que c'est Christa qui a dit que notre problème n'était pas tellement d'ordre social, mais qu'il tenait surtout au fait que les contribuables étaient sous-taxés. J'aimerais que vous nous fournissiez les données sur lesquelles vous vous fondez pour faire cette affirmation.

Enfin, une dernière question mais non la moindre, je pense que c'est Suzanne Peters qui a fait allusion à l'exemple du Québec et de la Saskatchewan, que je ne connais pas, où il se ferait des investissements stratégiques. En quoi consistent ces investissements et quels résultats donnent-ils?

M. Al Hatton: J'ai mentionné que depuis probablement environ 10 ans, ce sont les valeurs du secteur privé qui priment, qui dictent les règles, y compris celles de notre secteur. On n'en a que pour la mondialisation, la nécessité de vivre selon ses moyens, le retour aux valeurs de base, la compression des dépenses, la réduction des effectifs et la rationalisation.

Nous n'avons rien contre ces options, mais elles ne fournissent pas des réponses à tout. Le développement humain, ça ne se quantifie pas, pas plus que la justice, d'ailleurs. On dit que notre secteur n'a pas de comptes à rendre, que le gouvernement n'est pas responsable. Comment allez-vous quantifier l'activité bénévole? Allez-vous en évaluer le coût? L'évaluera-t-on à 10 $ l'heure? Bien, à 12 $ l'heure, la facture s'élèverait à 12 milliards de dollars. On pourrait aussi fixer ce prix à 6 $ l'heure, l'équivalent du salaire qu'on reçoit au bas de l'échelle, ou à 2 000 $ la minute, l'équivalent des émoluments d'un PDG. Mais n'oublions pas qu'il s'agit dans tous les cas de bénévoles.

• 1400

Loin de moi l'idée de discréditer le secteur privé, mais je trouve simplement qu'il pèse trop lourd dans la balance, qu'il veut tout régenter. Nous avons du mal à nous souvenir du rôle très utile qu'a joué le gouvernement au cours des 30 ou 40 dernières années en apportant une aide aux régions et aux individus qui en avaient le plus besoin et en redistribuant la richesse.

Par ailleurs, certains représentants de la droite racontent ni plus ni moins que le gouvernement est devenu hors de contrôle, qu'il est incompétent, que les fonctionnaires ne font que perdre leur temps dans l'ombre. Si simplistes que de telles affirmations puissent paraître, c'est pourtant en un sens sur ce genre d'opinion qu'on se fonde pour établir bon nombre de politiques. Nous constatons que certains gouvernements provinciaux parviennent à faire un bon bout de chemin en se laissant porter par cette vision.

Mais en observant les résultats des sondages, on constate que ce n'est pas du tout ce que disent les Canadiens. D'accord, ils estiment que les gouvernements vivent au-delà de leurs moyens, mais ils ne pensent pas que les fonctionnaires sont des incompétents. Ce qu'ils disent, c'est qu'il s'imposerait qu'on travaille plus efficacement et qu'on trouve des moyens d'y parvenir.

Je crois en quelque sorte que le balancier est allé trop loin dans un sens et qu'il faut rééquilibrer les choses. Dès qu'on l'aura fait, tout devrait normalement aller mieux.

Le gouvernement est maintenant sur la bonne voie. Certains gouvernements se demandent dans quelle mesure ils doivent intervenir; ils s'interrogent sur leur rôle. Ils se montrent disposés à nous soutenir, car nous cadrons bien dans leurs plans. C'est alors que nous pouvons leur être utiles—il y aurait parait-il des éléments de grande valeur au sein des ressources communautaires—, collaborer avec eux à la recherche de moyens d'améliorer les choses. Nous ne prétendons pas avoir le monopole des solutions, le gouvernement non plus, d'ailleurs. Nous devons nous demander comment unir nos efforts pour trouver des solutions.

Voilà ce que j'ai voulu dire.

M. Harvey Weiner: Nous allons bientôt participer à une table ronde sur l'éducation, et je serais prêt à traiter de cette question beaucoup plus en profondeur. Mais je pense que cette situation illustre que nous avons au Canada un problème auquel nous devrions nous attaquer.

Il paraît qu'on peut faire dire n'importe quoi aux statistiques. Vous faites référence à une épreuve particulière et au classement qui a été effectué d'après les résultats de cette épreuve. Je vous suggère de prendre le temps—peut-être l'avez-vous déjà fait—de lire au complet le document de la TIMSS, un document de 140 pages.

Vous allez constater, je pense, qu'en juillet, à la suite de l'épreuve où les étudiants de Singapour ont obtenu les plus hautes notes—j'ai avec moi le communiqué de presse que je serai d'ailleurs heureux de vous prêter—, le gouvernement de Singapour a annoncé qu'il investirait 5 milliards de dollars sur sept ans dans le secteur de l'éducation. Or, les employeurs qui accueillent des étudiants de Singapour trouvent qu'ils sont peut-être excellents pour débiter les données qu'ils ont mémorisées, mais qu'ils sont très peu créatifs et très peu aptes à appliquer leurs connaissances sur le marché du travail. Soit dit en passant, il vous intéressera sans doute de savoir, j'imagine, qu'on a sollicité l'aide de Canadiens pour tenter de remédier au problème.

Dans beaucoup de cas, les résultats de telles épreuves ne veulent pas dire grand chose. Les gens aiment bien jongler avec les résultats pour pouvoir ensuite faire des comparaisons. Mais on s'attarde souvent très peu à leur véritable signification.

En examinant ce document de recherche ou d'autres sources, nous constatons que tous les pays ont des problèmes en matière d'éducation, et qu'en éducation, il y a des choix à faire. Aucun système n'est parfait. Nous pouvons enrichir nos connaissances en observant ce qui se fait ailleurs, mais les autres pays ont leurs problèmes eux aussi. Nous n'échappons pas à la tentation de penser parfois que l'herbe est plus verte ailleurs que chez nous, mais, comme je le disais il y a un instant, les gens de Singapour n'y échappent pas non plus. Chaque pays fait ses choix.

À l'évaluation des différents systèmes d'éducation réalisée par les Nations Unies, le Canada s'est classé premier. En pourcentage, le Canada compte plus d'étudiants universitaires, plus d'étudiants de niveau post-secondaire inscrits aussi bien à temps partiel qu'au diplôme, etc. que n'importe quel pays au monde.

Quand vous consultez ce genre de statistiques, lisez les rapports, attardez-vous aux données, prenez connaissance de l'interprétation qu'on en donne. Le problème ici au Canada, c'est que les journaux ne publient généralement que des comptes rendus de quelques lignes, coiffés de gros titres et se limitant à des résultats bruts.

Permettez-moi de vous citer un exemple. Il y a eu un classement des écoles secondaires à Montréal. L'école qui s'est classée 100e a bien sûr fait parler d'elle. Ce que le journal a omis de signaler, c'est que cette école était une deuxième planche de salut pour les décrocheurs. Or, 30 p. 100 de ces décrocheurs finissaient par obtenir leur diplôme. De la façon dont les faits étaient rapportés, il fallait en conclure que 70 p. 100 des jeunes qui fréquentaient cette école échouaient.

• 1405

Mme Christa Freiler: Je n'ai pas l'intention de vous lire toutes ces statistiques. Il se trouve que j'ai avec moi un rapport—que je serai ravie de vous remettre—à la rédaction duquel nous avons collaboré et qui a été publié en 1994. Il s'intitule: «Paying for Canada: Perspectives on Public Finance and National Programs». Vous y trouverez peut-être réponse à vos questions.

Je tiens à attirer votre attention sur deux des statistiques qui y figurent. Entre 1975 et 1981, de tous les pays du G-7, c'est le Canada qui a enregistré la plus forte baisse de recettes fiscales de son gouvernement central. C'est d'ailleurs le seul pays du G-7 à avoir connu une diminution de ses recettes fiscales globales durant cette période.

On trouve dans cette publication des tableaux fondés sur les données de l'Organisation de coopération et de développement économiques, de Statistique Canada et de l'Association canadienne d'études fiscales qui montrent que les impôts sur le revenu et les contributions au titre des programmes sociaux que paient les Canadiens sont peu élevés en regard de la norme internationale, voire moins élevés que ceux que paient les Américains, si l'on inclut les contributions de sécurité sociale.

Étant donné que ce document a été rédigé il y a trois ans, certaines statistiques y sont un peu désuètes. Si vous me laissez votre carte d'affaires, je me ferai un plaisir de vous en envoyer des versions à jour. Même si ces statistiques datent un peu, beaucoup d'entre elles pourraient être utilisées pour appuyer ma thèse voulant que les Canadiens soient sous-taxés.

Le président: Nous allons maintenant passer à Mme Redman, puis à M. Assad.

Mme Karen Redman (Kitchener-Centre, Lib.): J'ai vraiment aimé vos propos d'aujourd'hui. Un bon nombre des idées dont vous nous avez fait part avaient en fait été exprimées à Vancouver par le ministre Martin dans son exposé prébudgétaire.

Il y a explicitement parlé des secteurs privé et bénévole et de tous les paliers de gouvernement comme de joueurs-clés.

Je crois sincèrement que le gouvernement et la société ont passé le cap où ils pouvaient dépenser sans compter pour régler des problèmes, et le ministre Martin a même dit que le Canada s'était départi de sa carte de crédit. Je ne m'attends pas à ce qu'il y ait une manne immédiate. J'estime que nous avons adopté une voie prudente qui nous a permis d'éliminer presque tout le déficit, et je m'en réjouis.

Ce qu'on nous a dit dans notre tournée du pays, c'est que cette opération comporte un prix à payer sur le plan humain.

Je crois aussi qu'il faut aborder les problèmes en les situant dans leur juste perspective, et c'est ce qui m'a amenée à trouver vraiment fascinantes une bonne part des idées qui ont été exprimées ici aujourd'hui.

Mais pour éclairer ma lanterne—Mme Peters a justement touché au coeur de ma question—, j'inviterais M. Gill et M. Weiner à nous décrire le rôle que le gouvernement devrait jouer, selon eux, dans tout cela.

Une des choses que nous avons été à même de constater lors de notre tournée pancanadienne, c'est que dans certaines provinces les gens se disent déçus et méfiants face à la possibilité que le gouvernement fédéral transfère des fonds à leur administration provinciale dans le cadre de cette stratégie nationale. C'est pourquoi j'aimerais connaître votre opinion sur le rôle que devrait jouer le gouvernement fédéral à cet égard.

M. Mel Gill: C'est une question dont nous avons discuté assez longuement en préparant ce document, et on a noté chez les participants énormément de scepticisme à propos de nos chances d'atteindre un consensus sur le contenu de ce genre de document.

Nous en sommes finalement arrivés à la conclusion que le gouvernement fédéral devait exercer un solide leadership vis-à-vis des provinces dans l'élaboration du programme national de l'enfance; qu'il fallait, sur certains aspects précis, établir des objectifs clairs; que le gouvernement fédéral ne devait pas cesser ses transferts en espèces aux provinces; et qu'il faudrait fixer un minimum plutôt qu'un plafond—et je pense que M. Martin s'est engagé là-dessus—concernant de tels transferts, car sans ce genre d'épée de Damoclès, il serait illusoire d'espérer exercer quelque contrôle sur ce qui se fait dans les provinces.

À mon sens, l'approche adoptée dans le cas du régime de prestation pour enfants et l'engagement des gouvernements provinciaux à réinvestir les fonds libérés nous montrent la voie à suivre.

Mme Karen Redman: Avant de laisser répondre M. Weiner, pourriez-vous seulement nous dire un mot de ce que vous pensez des 12,5 milliards? Selon vous, ce montant est-il convenable?

M. Mel Gill: Je n'ai aucun moyen d'en juger. On n'avait certes pas prévu qu'il serait si élevé. D'après moi, il faudrait l'établir en fonction du montant global des dépenses fédérales et provinciales réunies, trouver un point de référence de ce genre.

M. Harvey Weiner: À propos du leadership, il faut bien que quelqu'un l'exerce, et nous croyons que c'est le gouvernement fédéral qui est le mieux placé à cet égard.

Si l'on entend faire de ce programme une priorité nationale, ce ne peut être que le gouvernement fédéral qui mène la barque, ce qui ne veut nullement dire qu'il pourra imposer sa série de programmes ou sa façon de faire, ni que la participation du secteur bénévole, des parents, et de quiconque intervient dans le processus devrait s'en trouver diminuée.

À vrai dire, le gouvernement fédéral devrait prévoir... C'est un des aspects sur lesquels les organisations qui sont représentées à cette table s'entendent: nous voulons participer aux discussions sur ces questions. Nous n'aimerions pas nous voir réduits à réagir à un régime qui aurait été conçu sans qu'on ait pris soin de profiter de l'expérience, du savoir-faire et de l'information que nous possédons dans ce domaine.

• 1410

Nous croyons que le même principe devrait s'appliquer dans le cas des provinces—c'est d'ailleurs ce qu'on prévoit—et des collectivités locales aux quatre coins du pays, sans quoi ces ententes ne seront pas conclues.

Cela ne veut pas dire que le même modèle et les mêmes modalités doivent s'appliquer partout, mais le gouvernement fédéral doit néanmoins assumer ce rôle de leadership. C'est à notre avis le seul partenaire bien placé pour le faire. Comme Mel le disait, si l'on veut qu'il soit en mesure d'assumer ce rôle efficacement— disons-le franchement, comme partout dans le monde—, le gouvernement fédéral doit être prêt à verser des sommes considérables pour stimuler la participation.

Le président: Monsieur Assad.

M. Mark Assad (Gatineau, Lib.): Merci, monsieur le président.

C'est extrêmement intéressant. Ce qui me vient à l'esprit, c'est l'observation on ne peut plus juste que vous avez formulée à savoir que nous n'avons aucune politique concernant les organisations communautaires, et je pense que ça saute aux yeux. Quelqu'un d'autre a signalé qu'il existe de nombreux programmes, mais qu'on semble ne pas savoir ce qu'ils valent. Dieu sait comme il est vrai qu'ils n'ont pas été évalués et qu'on ne sait pas dans quelle mesure ils sont efficaces!

En ce qui concerne la pauvreté chez les enfants, on en entend parler davantage parce qu'elle est devenue plus manifeste ces dernières années. Je suis familier avec certaines organisations et certains groupes de bénévoles. Nous discutons souvent de cette question et nous nous demandons qui est le mieux placé au niveau de la rue, si j'ose dire, pour mettre précisément le doigt sur la pauvreté—on sait qu'elle existe—et bien indiquer où elle est et quelles ressources il faudrait mobiliser pour l'enrayer. Ces ressources doivent être présentes de façon continue.

Je suis sûr que vous allez me dire que ce sont des organisations comme les vôtres qui sont probablement les mieux placées pour bien renseigner le gouvernement fédéral à cet égard. Vous voulez que le gouvernement fédéral exerce un leadership? D'accord, mais je crois que les fonctionnaires fédéraux ont besoin, pour être en mesure de localiser avec précision ce genre de pauvreté, de renseignements qu'effectivement vous seuls pouvez leur fournir.

Si vous me le permettez, avant de terminer, de nombreuses questions et réponses me viennent à l'esprit. Un de vos collègues, M. Harris, a mentionné le déficit. En 1990, Statistique Canada a publié un document extrêmement intéressant à ce sujet. On pouvait y voir l'évolution du déficit fédéral et constater nettement que les programmes sociaux n'étaient pas responsables de notre haut niveau d'endettement. Voilà pour mon premier point.

Deuxièmement, il y a beaucoup de gens qui n'ont pas très souvent l'occasion de faire entendre leur voix. Même l'association des économistes canadiens a rappelé dans une publication que si notre déficit était devenu incontrôlable, c'était à cause de la politique monétaire et des taux d'intérêt extrêmement élevés qu'on nous avait imposés à la fin des années 80 et au début des années 90.

Mais j'aimerais revenir sur la question de savoir si oui ou non vous croyez—et je suis sûr que vous y croyez, puisque moi-même j'y crois—que les organisations comme les vôtres sont les mieux placées pour nous indiquer la voie à suivre et le genre de programmes à mettre en place. Nous avons 850 millions de dollars sur la table. J'aimerais savoir si quelqu'un peut me dire exactement comment ce montant devrait être réparti.

M. Mel Gill: Je tiens à réitérer mon espoir et mon souhait sincère que les gens lisent ce document. Il est très complet. Il concilie un grand nombre des courants d'idée divergents qui s'expriment aux tables de discussion gouvernementales.

M. Al Hatton: Monsieur Assad, il y a une coalition du nom de Campagne 2000 qui lutte contre la pauvreté chez les enfants et qui a formulé toute une série de recommandations concernant les politiques en cette matière. C'est un intermédiaire valable.

Le groupe Children's Alliance en est un autre. C'est un réseau constitué d'organisations communautaires qui a accumulé toutes sortes de connaissances et de compétences sur les questions concernant les enfants en général et, plus particulièrement, la pauvreté chez les enfants.

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Il existe plusieurs instruments et moyens de faciliter la tenue de rencontres avec des députés ou des fonctionnaires fédéraux et provinciaux pour discuter de toute une panoplie de solutions qui varient selon la nature des problèmes auxquels on entend s'attaquer. Nous avons un guide qui nous fournit une vue d'ensemble. Une fois qu'on a bien défini les problèmes à résoudre, les organisations communautaires qui oeuvrent directement auprès des gens peuvent déléguer toute une pléiade de personnes prêtes à travailler en collaboration avec quiconque veut participer au ciblage des solutions applicables à chaque problème. Nous pouvons ainsi passer plus de temps à examiner en profondeur chacune des options.

Nous n'avons pas de réponses à toutes les questions, mais nous connaissons des secteurs où le problème est déjà cerné et pour lequel nous avons quelques solutions. En travaillant avec les personnes en autorité, nous pouvons, je pense, examiner les diverses options et voir quelle est la meilleure combinaison possible.

Le président: Madame Torsney, aviez-vous une dernière question?

Mme Paddy Torsney (Burlington, Lib.): Il s'agit plutôt d'un commentaire.

Madame Freiler, je me demande si vous ne pourriez pas laisser un exemplaire de ces documents à notre greffière.

De plus, madame Peters, pourrions-nous avoir une copie de votre étude? Je ne crois pas que nous ayons reçu certaines des informations dont vous nous avez parlé, et j'estime qu'elles constitueraient une bonne base de réflexion qui nous serait utile quand nous rédigerons notre rapport.

Je tenais simplement à vous assurer que, du moins lors des séances que j'ai présidées dans diverses villes canadiennes, les gens n'ont pas été très nombreux à réclamer des réductions d'impôt. Même le milieu des affaires s'est montré très attentif aux besoins de notre société. Je pense que vous pouvez être rassurés à ce sujet, bien qu'on ne puisse nier qu'il y ait des provinces qui ont des priorités différentes des autres.

Je voulais surtout vous communiquer ce message et vous faire savoir que j'ai trouvé l'information que vous nous avez fournie vraiment intéressante. J'ai hâte d'étudier le document que M. Gill nous a remis.

Le président: Merci beaucoup, madame Torsney.

Au nom du comité, je tiens moi aussi à vous exprimer notre plus sincère gratitude pour les exposés bien élaborés que vous nous avez présentés. Ils nous fournissent certes un bon cadre de travail, et je suis sûr que vous allez retrouver nombre de vos réflexions et de vos idées dans notre rapport. Merci beaucoup.

La séance est levée.