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FINA Réunion de comité

Les Avis de convocation contiennent des renseignements sur le sujet, la date, l’heure et l’endroit de la réunion, ainsi qu’une liste des témoins qui doivent comparaître devant le comité. Les Témoignages sont le compte rendu transcrit, révisé et corrigé de tout ce qui a été dit pendant la séance. Les Procès-verbaux sont le compte rendu officiel des séances.

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STANDING COMMITTEE ON FINANCE

COMITÉ PERMANENT DES FINANCES

TÉMOIGNAGES

[Enregistrement électronique]

Le mardi 27 avril 1999

• 0934

[Traduction]

Le président (M. Maurizio Bevilacqua (Vaughan—King—Aurora, Lib.)): La séance est ouverte.

Aujourd'hui, le Comité des finances de la Chambre des communes commence son étude de la productivité et de la croissance économique ainsi que des répercussions de ces variables sur le niveau de vie des Canadiens. Le comité a participé de près au processus qui a permis au gouvernement du Canada d'éliminer les déficits budgétaires annuels et qui a finalement, après trois décennies, mis un frein à la croissance de la dette gouvernementale pour entreprendre ces réductions. Voilà certes une formidable réalisation.

• 0935

Tout au long de nos consultations prébudgétaires, nous avons pu inviter les Canadiens à participer au processus de formulation de la politique financière. Mais maintenant que les plus grands défis financiers ont été relevés avec succès, il est temps de nous tourner vers l'avenir. L'élimination du déficit nous permet de réfléchir sur les préoccupations et tendances à long terme ainsi que de penser à investir dans notre avenir et dans celui de nos enfants.

Le Comité estime que nous avons maintenant une occasion propice pour le faire, pour réfléchir à ces faits nouveaux qui nous ont redonné une économie solide et prospère et pour tirer les leçons dont nous pourrons nous servir dans l'avenir afin que nos enfants et nos petits-enfants puissent hériter d'une économie encore plus solide et plus prospère et d'une société pleine de vitalité. Le rapport déposé par le Comité l'an dernier, intitulé «Affronter l'avenir: les défis et les choix d'une ère nouvelle», était une première étape dans ce processus, puisqu'on y recommandait que le gouvernement s'engage à établir une convention sur la productivité. Je le répète, nous croyons que les Canadiens devraient jouer un rôle important dans l'élaboration d'une stratégie visant à promouvoir la croissance économique.

Nous avons tendance à oublier que les citoyens de bon nombre des pays nouvellement industrialisés qui ont aujourd'hui un niveau de vie semblable à celui que nous avions il y a 30 ans vivaient à l'époque dans une pauvreté abjecte. Dans leur cas, la croissance économique a manifestement été un avantage.

Quant au reste du monde industrialisé, nous savons qu'une croissance économique encore plus rapide est certes possible, mais comment pouvons-nous conjuguer le taux de croissance observé aux États-Unis et celui qui est observé dans le reste du monde industrialisé? Nous croyons qu'une hausse de la productivité est la clé, mais en tant que décideurs, nous devons convaincre les Canadiens qu'une telle amélioration leur profitera directement et concrètement. De plus, nous devons pouvoir traduire nos paroles en actes. Il n'est pas suffisant de simplement dire qu'il nous faut être plus productifs. Nous devons utiliser les outils stratégiques dont nous disposons pour réaliser cet objectif et le faire d'une façon qui soit juste et équitable pour tous les Canadiens.

C'est pourquoi nous avons entrepris cette importante étude. Avec votre aide, nous souhaitons mieux comprendre ce qu'il nous faut pour améliorer le niveau de vie des Canadiens et trouver les outils qui permettront l'établissement des conditions propices pour que cette amélioration se produise.

Nous sommes ici pour aider les Canadiens à maximiser les fruits de leurs efforts, pour leur permettre d'espérer une hausse de leur revenu réel dans l'avenir et pour faire en sorte qu'ils aient accès à de nouvelles occasions d'investissement plus fructueuses. En d'autres termes, nous voulons qu'ils obtiennent davantage. Et ce ne sont pas là que des voeux pieux. En fait, il s'agit d'une nécessité.

J'aimerais souhaiter la bienvenue à notre premier groupe d'experts aujourd'hui. Nous sommes persuadés que vos connaissances et votre expertise permettront de faire la lumière sur cet important aspect de la politique gouvernementale relative à cet enjeu social majeur. Après tout, l'amélioration des nombreuses facettes du niveau de vie des Canadiens est le véritable rôle du gouvernement.

L'automne dernier, le Comité a étudié le rapport du groupe de travail sur l'avenir du secteur canadien des services financiers. Son étude devait déboucher sur une réforme approfondie d'un important secteur de l'économie canadienne. L'étude de la productivité à laquelle nous procédons actuellement devrait modifier de façon tout aussi profonde l'avenir de l'économie canadienne. Les Canadiens sont prêts à relever le défi, mais ils ont besoin de l'aide et des conseils d'experts comme vous.

Au nom de tous les membres de notre comité, je vous souhaite la bienvenue à nos premières audiences, et nous sommes tout disposés à mettre à profit votre sagesse et vos conseils. Bienvenue.

Nous allons commencer par M. Stewart Wells, statisticien en chef adjoint, Études analytiques et comptes nationaux, Statistique Canada. Soyez le bienvenu.

• 0940

M. Stewart Wells (statisticien en chef adjoint, Études analytiques et comptes nationaux, Statistique Canada): Merci, monsieur le président.

J'aimerais commencer par remercier le comité de nous avoir demandé de comparaître devant lui aujourd'hui pour discuter de la mesure de la productivité. Vous avez tout à fait raison de dire qu'il s'agit d'une question importante, qui a fait les manchettes récemment.

Quand je vois les témoins réunis autour de la table aujourd'hui, j'ai envie de dire que si nous étions dans le film Casablanca, et que vous, monsieur le président, étiez Claude Rains, je dirais que vous avez réuni les suspects habituels, peut-être pas tous, mais certains d'entre eux.

Mon commentaire, de nature plutôt élémentaire, prendra la forme d'une introduction. Mon collègue John Baldwin, qui est chargé d'établir les estimations de la productivité pour Statistique Canada, donnera au Comité un aperçu des aspects plus techniques mais quand même intéressants, et qui sont peut-être même plus intéressants que ceux que je vais aborder.

La productivité est fréquemment définie comme l'un des deux éléments—et vous y avez fait allusion au moins indirectement, monsieur le président—qui permettent une amélioration à long terme du niveau de vie, l'autre étant l'élargissement du bassin de main-d'oeuvre et la qualité de cette main-d'oeuvre. J'ai préparé ce matin une acétate qui pourrait nous être utile.

Si on laisse de côté certaines questions relatives à la répartition du revenu, on pourrait définir le niveau de vie comme le PIB, c'est-à-dire la production réelle totale par habitant; la modification du pourcentage de ce ratio, c'est-à-dire la modification en pourcentage du PIB par habitant, pourrait être établie approximativement comme la somme des modifications en pourcentage du PIB par heure de travail, à laquelle on ajoute la modification en pourcentage du rapport entre le nombre d'heures travaillées et le nombre d'emplois, plus le changement en pourcentage du rapport entre le nombre d'emplois et la population.

Si ces deux derniers éléments, le changement en pourcentage du rapport entre le nombre d'heures de travail et le nombre d'emplois et celui du rapport entre le nombre d'emplois et le nombre d'habitants diminuait, par exemple—et M. Baldwin vous donnera des précisions à ce sujet—, l'augmentation du niveau de vie serait inférieure à l'augmentation de la productivité mesurée selon le PIB par heure de travail. Je pense qu'il sera utile de garder présente à l'esprit cette relation à mesure que vous poursuivrez votre examen.

Pour la plupart des économistes traditionnels, la productivité comprend les effets des changements technologiques et des innovations qui permettent d'épargner de la main-d'oeuvre ou des capitaux, ou encore les deux. Elle comprend également l'effet des modifications apportées aux pratiques de gestion et à l'organisation industrielle, et elle peut ou non comprendre l'amélioration des compétences et de la scolarité. Elle ne comprend normalement pas les effets attribuables à des rues plus propres, à une baisse du taux de criminalité, à la pollution de l'air ou à l'appauvrissement des ressources, qui sont tous des éléments pouvant être considérés par certaines personnes comme fort importants pour le niveau de vie. Dans ce contexte, toutefois, on peut définir la productivité comme la production qu'on peut obtenir à partir d'une quantité d'intrants donnés.

Quelle que soit la mesure adoptée, nous pouvons alors calculer le niveau de productivité ou son évolution. Les niveaux sont des éléments plus utiles pour les comparaisons du niveau de vie de divers pays à un certain moment.

La difficulté inhérente à la comparaison du niveau de vie dans différents pays est le taux de change, puisque la comparaison doit se faire dans une devise commune. Le taux de changement de la productivité est un élément plus utile lorsqu'on veut étudier le rendement d'une industrie ou d'un pays d'une année à la suivante, ou pour une période donnée par rapport à la suivante.

Les trois mesures les plus courantes de la productivité sont la productivité de la main-d'oeuvre, qui est le montant de production réelle par unité de main-d'oeuvre; la production, qu'il s'agisse de l'établissement d'un niveau ou de son évolution, et qui est habituellement mesuré en prix constants; la main-d'oeuvre, c'est-à-dire le nombre de personnes employées ou le nombre d'heures de travail.

La productivité du capital est la production par unité de capital. Là encore, la production se mesure en prix constants, tout comme le capital.

Il y a une formule plus compliquée qui retient l'attention, et de plus en plus ces jours-ci: la productivité multifactorielle. Certaines personnes l'appellent «productivité totale des facteurs». Cette distinction n'est pas particulièrement importante.

La productivité multifactorielle tient compte de la quantité de main-d'oeuvre et de capital qui est utilisée, et tient souvent compte des matériaux utilisés dans le processus de production. Elle se mesure habituellement selon la formule suivante.

La modification de la productivité multifactorielle équivaut à la part de la production qui est attribuable à la main-d'oeuvre, multipliée par la modification de la productivité moyenne de la main-d'oeuvre, plus la part en capital de la production, multipliée par la modification de la productivité moyenne du capital, à laquelle on ajoute la part de la production consacrée aux matériaux utilisés, multipliée par la modification de la productivité moyenne des intrants en matériels. Ainsi, la moyenne pondérée de tous ces éléments s'appelle «productivité multifactorielle».

• 0945

Ces trois formules sont utilisées pratiquement partout—au Canada, aux États-Unis et dans les pays de l'OCDE, par exemple—fondamentalement parce qu'elles sont relativement faciles à calculer. Lorsque je dis pratiquement partout, je ne peux pas oublier mon bon ami Erwin Diewert, ici présent, qui peut très bien utiliser une formule plus complexe que certains d'entre nous.

Ces formules ont une caractéristique digne de mention: elles mesurent tout, sauf ce qu'elles sont censées mesurer. La productivité de la main-d'oeuvre est le fruit des effets des modifications technologiques, de l'injection de capitaux, d'une amélioration des méthodes de gestion, etc., mais pas de la main-d'oeuvre proprement dite. La productivité du capital mesure l'effet de tout, sauf le capital pur. La productivité multifactorielle est la différence entre les intrants énumérés et tout le reste.

Quelqu'un a dit que l'estimation de la productivité selon une optique multifactorielle témoigne de notre ignorance. Ça vaut la peine d'en tenir compte. Ce que nous ne savons pas, et ce qui ne peut s'expliquer par d'autres facteurs ressort dans ce cas. C'est donc une combinaison de bien des choses.

Comme tout le monde utilise fondamentalement la même formule, les différences de résultats dépendent de la façon dont nous calculons les parts de la production, de la façon dont nous définissons le capital et les intrants de main-d'oeuvre, de la façon dont la production est elle-même définie, ainsi que de la mesure dans laquelle vous fusionnez vos données—c'est-à-dire si vous utilisez la fusion simple des données industrielles ou que vous le faites à l'échelle de l'économie tout entière. Les résultats que nous pouvons obtenir diffèrent énormément, parce qu'il y a beaucoup de place dans ce cas pour les erreurs de mesure, comme vous l'apprendrez ce matin. Mais les résultats peuvent nous dire beaucoup de choses au sujet de l'utilisation de la main-d'oeuvre et du capital, et nous montrer en quoi l'utilisation de ces deux éléments a changé au cours des ans.

Je terminerai par les observations suivantes. Puisque la modification des déterminants de la productivité a lieu à l'usine ou sur les lieux mêmes du travail, le changement ne se manifeste pas tout de suite de façon évidente. C'est un problème qui va se poser constamment à mesure qu'on poursuit l'étude de la question. On ne voit pas tout de suite quels leviers on peut utiliser pour modifier les résultats futurs.

Sur ces mots, je vais demander à mon collègue John Baldwin de commencer son exposé.

Le président: Merci, monsieur Wells.

Monsieur Baldwin.

M. John Baldwin (directeur, Études et analyses micro-économiques, Statistique Canada): Merci. Je vais tenter de vous donner brièvement une idée de la complexité des questions qui concernent la mesure.

Stew a déjà parlé de l'approche générale qui est adoptée pour la mesure de la productivité à Statistique Canada. Je vais donc vous parler brièvement du récent document que nous avons publié et qui a retenu quelque peu l'attention du public.

Comme Stew l'a mentionné, la mesure de la productivité suppose fondamentalement l'examen des changements de la production et la mesure de tous ces changements, des changements de capital, des changements des intrants en matériel et des changements du travail. Par conséquent, les estimations de la productivité sont de fait les premières différences des premières différences. Nous examinons les différences des taux de changement de la production et nous en soustrayons les changements des taux de changement de production, pondérés de la façon appropriée. Comme il s'agit de la première différence des premières différences, il s'agit d'une mesure extrêmement difficile à produire. Toutes les erreurs qui se produisent dans l'une ou l'autre des séries se répercuteront jusqu'à l'estimation finale. C'est pourquoi nous faisons preuve de beaucoup de prudence pour cette question.

En fait, la division de la productivité est placée au sommet de la pyramide, et doit se fier à l'expertise d'un grand nombre d'autres divisions de Statistique Canada pour obtenir les intrants qui seront intégrés à cette formule finale. La formule proprement dite a été établie au fil du temps. En fait, elle a été modifiée plusieurs fois au cours des quelque vingt dernières années.

À un certain moment, la plupart des agences de statistique ne produisaient que des données sur la productivité du travail. C'était une mesure relativement facile à saisir: il suffisait de comparer le taux de changement de production par rapport au changement du travail. Si vous le faites d'après les taux de croissance ou en termes absolus, vous savez simplement ce qu'est votre production par unité de main-d'oeuvre dans le système. Mais les chercheurs estimaient que nous pourrions faire mieux; nous pouvions produire une mesure plus utile, c'est-à-dire une mesure de la productivité multifactorielle ou une mesure de la productivité totale des facteurs.

• 0950

À mesure que les organismes de recherche du gouvernement, comme le Conseil économique du Canada, tentaient des expériences avec la production de ces chiffres, en montrant ce qui pouvait être fait et la façon dont ils contribuaient à notre compréhension de ce qui se produisait dans le système économique, notre agence statistique a graduellement commencé à tenter de produire ces chiffres. Elle ne l'a pas fait parce qu'elle était la seule qui pouvait les produire. Elle l'a fait parce que cette mesure exigeait un grand souci du détail et la coordination d'un important nombre de programmes, activité qu'elle considérait être capable de mener à bien.

Nous produisons ces chiffres, parce que nous avons beaucoup de détails pour chacune des séries—qu'elles concernent la mesure du travail ou du capital—que nous pouvons assembler. Plus important encore, nous avons procédé avec une désagrégation plus précise, à un niveau industriel plus précis que celui que peuvent obtenir les organismes externes, en raison des dispositions relatives à la confidentialité qui touchent les statistiques recueillies par Statistique Canada.

Nous commençons donc par porter une grande attention à la façon dont nous mesurons les intrants de main-d'oeuvre. À l'heure actuelle, nous les mesurons en obtenant le nombre d'heures travaillées par les travailleurs autonomes et les employés qui oeuvrent dans l'économie. La division de la main-d'oeuvre nous procure ces données, et on traite ensuite celles-ci pour nous assurer qu'elles sont corrigées en fonction des différences quant au nombre de jours que les travailleurs peuvent travailler chaque année en raison des différences du nombre de congés ou de l'occurrence d'une grève. Il s'agit d'un exercice très minutieux, qui débouche sur la production d'une mesure des heures-personnes travaillées chaque année, mesure qui est intégrée aux mesures multifactorielles et aux mesures de la productivité du travail dont Stew a parlé.

Le deuxième intrant de cette série qui a une importance est l'intrant en capital. Lorsque j'étudiais à l'université pour mon baccalauréat et ma maîtrise, il y avait encore de vifs débats au sujet de la possibilité de pouvoir un jour mesurer le capital. Maintenant, nous ne nous demandons plus si nous pouvons le mesurer, nous nous demandons comment nous pouvons le faire.

Les intrants de la série sur le capital qui sont intégrés à ces exercices exigent que nous commencions tout d'abord par nous faire une idée de la quantité d'investissements qui sont faits en machinerie, en équipement et en structures dans notre économie; ensuite, ces séries de chiffres sur les investissements doivent être additionnées pour qu'on puisse établir le stock de capital total, qui devient une mesure de l'intrant dans ces formules. Il faut un grand sens du détail pour l'établir, parce qu'il nous faut établir des informations sur la durée de vie de chaque composante de machines ou d'équipement si nous voulons établir la période sur laquelle nous allons additionner ces investissements pour établir le stock de capital. Il nous faut également nous faire une idée de la rapidité avec laquelle le stock de capital va se déprécier, c'est-à-dire la rapidité avec laquelle il va devenir trop vieux ou trop usé.

La division des investissements et du stock de capital de Statistique Canada a élaboré un nouvel ensemble de sondages au cours des quinze dernières années qui permet au Ministère d'obtenir beaucoup plus de détails, en ce qui concerne les actifs, sur la nature de la dépréciation réelle que ce que nous pouvions obtenir auparavant. Cette division établit ces estimations et parvient à établir une estimation du stock de capital, qu'on utilise ensuite dans nos programmes.

En même temps, on a déployé des efforts considérables pour établir des mesures de l'intrant de main-d'oeuvre et de capital, et nous avons aussi élaboré, par l'entremise de la Division des entrées-sorties, des estimations détaillées des achats et des ventes de nombreuses industries de notre pays. Ces informations détaillées sont fournies à un niveau agrégé et très désagrégé.

Lorsque les chiffres relatifs à la productivité sont établis au Canada, nous commençons par un niveau détaillé de 195 industries. Stew a déjà mentionné que nous jugeons important de commencer par un niveau désagrégé pour plusieurs raisons, notamment parce qu'il est très intéressant d'obtenir le rendement réel de chaque industrie.

Ensuite, le groupe de la productivité étudie minutieusement plusieurs choses. Tout d'abord, il pondère les données de chaque industrie au moment de produire des données agrégées. M. Wells a mentionné que nous parlons de productivité agrégée, mais que les données agrégées sur la productivité sont établies à partir de centaines de milliers de produits d'une foule d'industries. Certaines décisions doivent être prises quant à la façon de pondérer les données de toutes ces industries lorsqu'on arrive au niveau agrégé. Par conséquent, des formules détaillées sont établies à cette fin.

Ensuite, des décisions minutieuses doivent être prises quant à la façon dont les techniques de déflatement seront utilisées pour produire des chiffres sur les changements réels de la production. Je sais qu'il s'agit d'un sujet technique, mais il vaut la peine de vous en parler parce que vous verrez souvent des estimations différentes, et que les statisticiens et d'autres personnes vous diront que divers types de techniques de déflatement ont été utilisés et que c'est pourquoi les résultats diffèrent.

• 0955

Mais l'utilisation de types différents de techniques de déflatement peut produire une différence spectaculaire en ce qui concerne les taux de croissance de ce qu'on mesure. Tout juste la semaine dernière, je parlais avec des statisticiens australiens, et ils m'ont dit que s'ils utilisaient un indice des prix acceptable, le taux de croissance de l'investissement dans leur pays sur une période de dix ans au milieu des années 80 avait été de 86 p. 100. S'ils utilisaient une technique de déflatement différente, mais tout à fait acceptable, ils obtenaient 18 p. 100. La différence entre 86 p. 100 et 18 p. 100 est énorme. Par conséquent, les experts doivent décider comment il faudrait pondérer ces diverses façons d'évaluer les changements de l'économie.

Nous réunissons ensuite nos estimations qui sont d'abord désagrégées puis fusionnées par le système de pondération, et cela nous donne de fait un rythme de croissance de la productivité semblable, quel que soit le niveau dont nous nous occupons.

Si vous le permettez, je parlerai maintenant de certains des détails qui peuvent être pertinents pour qui veut comprendre certaines estimations de Statistique Canada quant à la productivité qui ont été récemment publiées. Tout d'abord, lorsque vous commencez à mesurer la productivité, vous devez d'abord décider si vous évaluez l'économie tout entière ou seulement certains de ses sous-segments.

Nous produisons des chiffres sur la productivité uniquement pour ce que nous appelons le secteur des affaires, c'est-à-dire que nous retirons le secteur gouvernemental et les secteurs de l'économie qui sont axés principalement sur les activités gouvernementales. Ainsi, les ministères fédéraux ne seront pas pris en considération dans ces estimations, tout comme la santé et l'éducation au Canada, parce que les services de santé et l'éducation sont principalement fournis par le secteur public. En raison de la façon dont les montants s'accumulent réellement dans les comptes nationaux, la croissance de la productivité dans les secteurs de la santé et de l'éducation est généralement nulle. Les extrants de ces secteurs se mesurent habituellement par leurs intrants. Par conséquent, il peut y avoir, par définition, une très petite différence entre le taux de croissance de la production et le taux de croissance des intrants.

Ainsi, nous estimons que la seule chose que nous pouvons mesurer adéquatement, c'est le secteur privé. Lorsque vous faites des comparaisons avec d'autres pays, vous devez tenir compte de cela. Le secteur privé peut être beaucoup plus grand et bien différent dans d'autres pays.

Nous mettons également l'accent sur les taux de croissance, et non sur les niveaux. Si nous faisons cela, c'est principalement parce que nous possédons une énorme infrastructure qui produit des données sur les prix, lesquelles peuvent être utilisées par qui veut évaluer les véritables changements de quantités et d'intrants. Notre programme n'est pas si détaillé qu'il nous permette d'apporter des corrections en fonction des données d'une autre industrie ou des prix d'un autre pays. Par conséquent, nous ne pouvons fournir de comparaison officielle des niveaux de productivité de notre pays avec ceux d'autres pays.

Enfin, comme je l'ai déjà mentionné, nous établissons généralement nos données à partir d'un niveau très désagrégé. Cela nous différencie souvent d'autres personnes qui fournissent des estimations à partir de données agrégées.

Combien de temps me reste-t-il, cinq minutes?

Le président: Continuez.

M. John Baldwin: Permettez-moi de vous dire quelques mots au sujet de récentes publications de Statistique Canada.

Le 23 mars, nous avons publié des révisions historiques de nos séries sur la productivité à la suite de celles que nous avions faites pour les comptes nationaux. Les révisions historiques des comptes nationaux ont lieu périodiquement, tous les cinq ans, et tiennent compte de la structure changeante de l'économie. Nous obtenons périodiquement des niveaux de production rajeunis du système des comptes nationaux, que nous devons ensuite intégrer à nos révisions nouvelles et révisées de la productivité. À ce moment-là, on rajeunit également les révisions du stock de capital, et les taux de croissance sont eux aussi changés. Cette révision historique se produit périodiquement, tous les cinq ans, et les changements apportés aux estimations de la productivité sont semblables pour la décennie actuelle à ceux qui ont eu lieu auparavant, dans la mesure où les estimations de la productivité qui ont suivi les révisions historiques ont été révisées légèrement à la hausse.

Les révisions que nous vous avons données au chapitre des estimations de la productivité multifactorielle couvrent maintenant la période qui va du milieu à la fin des années 90, jusqu'à 1997, et elles illustrent maintenant une tendance plus ou moins uniforme pour ce qui touche la productivité multifactorielle au cours des trois dernières décennies. Nous ne montrons pas que la croissance de la productivité a connu une augmentation spectaculaire au cours de ces trois décennies. En fait, ce que nous montrons, c'est un taux de croissance plutôt stable, au cours de ces trois décennies, d'environ 7 p. 100 de la productivité multifactorielle, ce qui est légèrement plus élevé que ce que nous appelons nos mesures de la productivité du travail.

• 1000

Ces mesures sont nettement inférieures aux estimations d'avant 1973. C'est pourquoi notre nouvelle version montre une croissance légèrement plus élevée au cours des années 90 que ce que nous avions prévu avant de faire nos révisions historiques, mais la croissance a été plus ou moins constante jusqu'en 1973, et elle n'est pas vraiment spectaculaire. Elle est relativement faible.

Plusieurs énigmes ont été soumises à Statistique Canada quand nous avons publié nos chiffres. La première, que bien des gens ont remarquée et dont Stew a parlé au début—est l'écart entre le niveau de vie qui semble avoir diminué et nos chiffres, qui montrent que la croissance de la productivité est relativement constante. Le graphique à barres que j'affiche à l'écran montre le taux de croissance du PIB par habitant dans les années 80 et 90. Le taux de croissance du PIB par habitant est indiqué par la barre bleue située à la gauche de chacun des deux panneaux. Vous pouvez voir que le taux de croissance du PIB par habitant a diminué entre les années 80 et les années 90, et cela est conforme à la perception de la plupart dans gens quant à ce qui s'est produit dans les années 90.

La barre rouge à l'extrême droite est le taux de croissance du PIB par heure travaillée. Ce n'est pas exactement notre mesure de la productivité du travail, mais c'est quelque chose qui est proche du PIB par habitant. Vous pouvez voir que le PIB par heure travaillée, qui est une mesure de la productivité du travail, a été plus ou moins constant au cours de ces deux décennies, ce qui confirme plus ou moins les données beaucoup plus détaillées dont je vous ai parlé plus tôt.

Pourquoi observe-t-on un taux de croissance relativement constant du PIB par heure travaillée ou une croissance relativement stable de la productivité et, en même temps, une diminution du simple niveau de vie? Évidemment, cela est attribuable aux deux autres aspects dont Stew parlait. Le taux de croissance du nombre d'emplois ou le nombre d'heures travaillées par personne dans l'économie a diminué de façon très spectaculaire entre les années 80 et les années 90. Le taux de croissance de la productivité est plus ou moins constant, mais en raison de la mesure dans laquelle nous employons des gens dans l'économie, le PIB par habitant a diminué au cours de ces deux décennies.

L'autre énigme qui a confondu les gens concerne la différence entre les estimations de Statistique Canada et celles d'un autre organisme gouvernemental semi-officiel (l'OCDE). Dans son aperçu économique de l'an dernier, l'OCDE a indiqué que la croissance de la productivité au Canada au cours des deux dernières décennies a été négative. Les barres de l'extrême gauche de ce tableau indiquent la croissance de la productivité multifactorielle que l'OCDE a incluse dans son rapport à compter de l'an dernier, ce dont il parlait récemment au Canada. Les deux barres de la droite indiquent la croissance de la productivité que nous estimons pour ces décennies. La barre jaune concerne les années 80, et la bleue, les années 90. Vous pouvez voir une différence considérable entre l'extrême gauche et l'extrême droite.

Toutefois, une deuxième estimation est produite par la Direction des statistiques de l'OCDE. On la voit au milieu, Vous pouvez voir qu'il y a très peu de différence entre les estimations de la Direction des statistiques de l'OCDE et les nôtres. Nous pouvons certes rapprocher les deux très facilement en examinant en quoi les intrants intégrés à ces formules diffèrent. En fait, l'OCDE utilise les données sur l'emploi plutôt que sur les heures travaillées. Le nombre d'emplois au Canada a augmenté plus rapidement que le nombre d'heures travaillées, parce que nous avons augmenté le nombre d'emplois à temps partiel. Si nous utilisons les mêmes données qu'eux, c'est-à-dire l'emploi plutôt que les heures travaillées, nos chiffres coïncident presque. Il n'y a pas de différence statistique entre les deux séries.

D'après une discussion que j'ai eue avec l'OCDE, je crois savoir que les chiffres de l'extrême gauche sont en voie d'être révisés et qu'ils seront publiés de nouveau au cours des prochains mois. Ils ne sont pas encore officiels, alors je n'en parlerai pas.

J'ai terminé mon exposé. Je vous remercie.

Le président: Merci beaucoup, monsieur Baldwin.

Nous allons maintenant accueillir M. Erwin Diewert, économiste de l'Université de la Colombie-Britannique. Bienvenue.

M. Erwin Diewert (économiste, Université de la Colombie-Britannique): Merci.

Je vais vous parler de la même chose que Stew et John. Je ne pense pas que cela nuira de répéter certaines des informations, parce que tout devient confus après un certain temps.

J'ai eu pour instruction d'aborder les trois sujets suivants: tout d'abord, une définition de la productivité; ensuite, l'historique de la productivité au Canada; et enfin, les questions qui ont trait à la mesure de la productivité.

• 1005

Parlons tout d'abord d'une définition de la productivité. La chose la plus simple à faire est de commencer par une économie très simple, un extrant et un intrant. Si vous cherchez à connaître la productivité annuelle, vous calculez l'extrant produit au cours de l'année en question, le divisez par le montant de la production de l'année précédente, ce qui lui donne un plus le taux de croissance des extrants. Vous faites ensuite la même chose pour les intrants. La quantité d'intrants utilisés pour l'année en question, divisée par la quantité d'intrants utilisée l'année précédente vous donne un plus le taux de croissance des intrants. Prenez la différence, et vous obtenez la croissance de la productivité des extrants moins la croissance de la productivité des intrants.

Alors tout va bien. Plus le chiffre est gros, plus vous obtenez d'extrants par intrant unitaire; et c'est pourquoi nous aimons la productivité lorsqu'elle est positive.

Il en va de même lorsqu'on a de nombreux extrants et de nombreux intrants. Nous procédons comme ça pour tous les extrants et tous les intrants de l'économie, mais il nous faut les pondérer avec quelque chose. Les produits n'ont pas tous la même importance dans l'économie. Alors, ce que nous faisons, c'est que nous prenons la part moyenne des extrants cette année et l'an dernier pour chaque produit, et nous nous en servons pour pondérer l'extrant particulier auquel nous nous attachons. Et nous faisons ensuite la même chose pour les intrants. Nous considérons la valeur d'un intrant pour le total des intrants pour cette année, la part que cela représentait l'an dernier, puis nous établissons une moyenne des deux et nous nous servons du résultat pour pondérer le taux de croissance de l'intrant en question.

Alors voilà ce qui se passe réellement pour la productivité totale des facteurs. Vous avez tous les taux de croissance des extrants, moins tous les taux de croissance des intrants, pondérés selon leur importance dans l'économie au cours des deux années à l'étude.

Qu'en est-il de la productivité du travail? Le concept d'extrants est le même dans ce cas, mais nous restreignons les intrants aux seules heures—c'est-à-dire que nous traitons chaque heure de travail comme étant égale—ou aux heures pondérées, en fonction des salaires et de la part du revenu de la main-d'oeuvre. Les deux ont leur utilité, mais les économistes ont tendance à utiliser la première mesure exhaustive, parce que c'est une mesure des avantages gratuits que nous procure la société. Plus la productivité multifactorielle est importante, ou plus la productivité totale des facteurs est élevée, plus nous obtenons de choses pour rien, et c'est cela qui est bon.

Alors c'était mon introduction sur la productivité. Je suppose que les questions viendront plus tard, alors je vais poursuivre.

Deuxième sujet: l'historique de la productivité canadienne. C'est un domaine fascinant. John Baldwin a parlé des nouveaux chiffres sur la productivité au Canada. Coïncidence, j'ai rédigé avec un de mes anciens étudiants, Dennis Lawrence, un document intitulé «Progress in Measuring the Price and Quantity of Capital»; nous y avons examiné divers concepts relatifs au capital—là encore, John et Stew y ont fait allusion—pour voir quel genre de différence cela pourrait faire pour la mesure de la productivité totale des facteurs au Canada. Alors nous avons ces chiffres de 1962 à 1996, que nous pouvons comparer avec ceux de Statistique Canada.

Les nouveaux chiffres de Statistique Canada ne sont pas publiés de façon détaillée. Il y a eu une publication le 23 mars dernier où les chiffres étaient présentés sous forme abrégée, mais René Durand, qui est ici présent aujourd'hui, a eu la gentillesse de m'envoyer des chiffres détaillés sur les intrants et les extrants qui ont servi à établir ces données. Alors j'ai traité ses chiffres et les ai comparés avec les nôtres, et j'ai découvert que, pour la période de 1963 à 1996, les nouvelles estimations de Statistique Canada en ce qui concerne la productivité totale des facteurs étaient de 1.2 p. 100 par année, plutôt que 0.7 p. 100, chiffre que vous avez mentionné, John; je vais peut-être vous demander de m'expliquer pourquoi.

• 1010

Dans les estimations de Diewert-Lawrence, nous avons trouvé, en utilisant une méthodologie comparable, une croissance de la productivité totale des facteurs pour toute la période d'environ 0.55 p. 100 par année, soit environ la moitié. Vous pouvez voir la répartition dans les différentes périodes, et elle est plus ou moins semblable. Les nouvelles estimations de Statistique Canada nous donnent des chiffres de productivité supérieurs d'environ 0.5 p. 100 par année à ce que nous avions.

Je vais vous parler de certaines différences dans le troisième volet de mon exposé, et elle concerne la mesure de la productivité. Pouvons-nous expliquer ces différences? Je vais répartir mes commentaires sur ce sujet en cinq parties.

La première concerne l'identité des secteurs de l'économie qui sont couverts. Stew et John en ont parlé. Vous pouvez faire des mesures de la productivité pour l'économie canadienne tout entière, mais un problème se pose, celui de l'administration publique, pour laquelle il est difficile de mesurer l'extrant. Nous savons que vous y travaillez dur, mais votre production dans les comptes nationaux est mesurée par vos intrants, plutôt que par la valeur réelle de ce que vous faites. C'est la raison pour laquelle nous excluons généralement l'administration publique.

Ainsi donc, c'est l'économie tout entière moins l'administration publique, les écoles et les hôpitaux. C'est donc dire que les chiffres de Statistique Canada excluaient eux aussi l'enseignement et les services médicaux. Je le répète, les extrants ne sont pas mesurés séparément, et si vous les incluez, vos estimations de productivité baisseront. Dans l'étude de Diewert-Lawrence, nous avons inclus les hôpitaux et l'éducation. C'est un des facteurs qui expliquent pourquoi nos chiffres sont plus bas.

Il ne faut donc pas oublier ce facteur lorsque vous procédez à des comparaisons internationales: il faut s'efforcer de comparer des pommes avec des pommes.

La deuxième question au sujet de la mesure de la productivité concerne la façon dont nous mesurons les extrants. On peut y arriver de l'une des deux façons suivantes: nous pouvons examiner les extrants pour chaque industrie, entreprise ou établissement et travailler à partir de là. Ou nous pouvons court-circuiter tout ce flux de détails concernant de multiples industries et examiner uniquement ce qui, dans la demande, finit par être livré aux consommateurs, aux investisseurs ou à l'étranger.

Alors, l'étude de Diewert-Lawrence adoptait l'approche de la demande finale, et l'approche préconisée par Statistique Canada était de construire les données à partir des statistiques de l'industrie. D'après les chiffres que René m'a donnés, il n'y avait pas beaucoup de différence entre les deux méthodes de calcul de la production, une différence d'environ 0.1 p. 100 par année. Alors cela n'explique pas en soi des grosses différences. Mais je tiens à vous signaler qu'il y a diverses façons de mesurer l'extrant agrégé.

La troisième question concernant la mesure a bien sûr trait aux intrants, et Stew Wells vous en a parlé un peu. Quels intrants devons-nous inclure? Toutes les études de la productivité incluent la main-d'oeuvre, alors si vous n'incluez que cela, vous obtenez la productivité de du travail. Si vous ajoutez ensuite le capital, la productivité multifactorielle... sauf que des gens comme moi disent: qu'en est-il des terrains, qu'en est-il des stocks? Cela devrait aussi être inclus. Il devrait y avoir des intrants de ressources naturelles et des variables environnementales. Stew Wells a mentionné que ça pouvait être fait, et Statistique Canada travaille effectivement sur un module de ressources naturelles pour sa suite de statistiques. Ainsi, il est possible que nous puissions tenir compte de cela d'ici quelques années.

Si vous me permettez une digression, dans les calculs de Diewert-Lawrence, les taux que je vous ai donnés ne comprenaient que la main-d'oeuvre et le capital. Mais certains de nos calculs comprennent également le terrain et les stocks. Lorsqu'on ajoute ces deux intrants, la croissance de la productivité qui est mesurée a tendance à augmenter pour passer d'environ 0.55 p. 100 par année à environ 0.7 p. 100 par année. Fin de l'aparté.

• 1015

Le quatrième secteur problématique a trait à la décomposition des flux de la valeur en deux composantes: le prix et la quantité. Il est relativement facile de mesurer les valeurs, alors lorsque vous allez dans une entreprise et que vous vous informez de ses revenus ou de ses dépenses, on peut généralement vous en donner une idée. Si vous allez plus loin et que vous dites: «Pouvez-vous décomposer vos revenus en prix et en quantité? Dites-moi combien d'unités de cette marchandise vous avez produit et ce qui est le prix moyen de ce produit, et ce qu'est le prix moyen—«Vous n'êtes pas sans savoir qu'une entreprise moyenne produit des milliers, peut-être des centaines de milliers de produits, de sorte que c'est un énorme travail de décomposer ces flux de valeur en composantes de prix et de quantité. C'est donc un problème qui se pose souvent.

Il y a certains problèmes précis associés à des secteurs précis des comptes nationaux. Examinons la main-d'oeuvre. Statistique Canada établit des estimations pour le revenu de la main-d'oeuvre, mais il n'est pas facile de les décomposer ensuite en prix et en quantité. La mesure de la main-d'oeuvre effectuée par Diewert-Lawrence sur cette période, de 1962 à 1996, indique une augmentation de 235 p. 100, alors que le chiffre obtenu par Statistique Canada n'est que de 184 p. 100. C'est une différence de 28 p. 100, de sorte que la plupart des différences de nos estimations peuvent être attribuables à ce problème de main-d'oeuvre.

Qu'en est-il de la croissance du taux salarial? Notre taux salarial a augmenté plus lentement, environ 15 p. 100 plus lentement; ainsi, le taux de croissance des salaires obtenu par Statistique Canada pour la période de 1962 à 1995 était de 885 p. 100, tandis que Diewert-Lawrence obtenait un chiffre de 771 p. 100. Cela ne correspond pas tellement. Si nous exagérons de 28 p. 100 notre croissance de la main-d'oeuvre, notre croissance du taux salarial devrait être de 28 p. 100 inférieur. Cependant, nous couvrons des parties différentes de l'économie; il y a les hôpitaux et le secteur de l'éducation qui sont différents. Toutefois, il y a encore cette énorme différence, et je ne pense pas qu'elle s'explique uniquement par ces facteurs.

Je dois dire que je ne crois pas tout à fait que nos estimations salariales soient si bonnes. Elles proviennent de l'OCDE. Il s'agit d'un indice de la rémunération totale, et la mesure de Statistique Canada devrait être bien meilleure. Ce document portait sur une autre forme de traitement du capital, et nous ne nous sommes pas tellement penchés sur le volet de la main-d'oeuvre. Cela vous donne une idée de la façon dont le choix d'une série peut influencer les chiffres.

Il y a un autre problème que j'aimerais mentionner: les intrants intermédiaires. Les entreprises produisent des extrants, mais elles utilisent aussi comme intrants des matériaux et d'autres intrants produits par d'autres entreprises. Nous avons une légère idée du flux de la valeur selon l'industrie, l'entreprise ou l'établissement, mais la décomposition de ces flux de valeurs en deux composantes, les prix et la quantité, débouchent vraiment sur une esquisse, de sorte que beaucoup d'erreurs peuvent se produire dans cette partie des comptes.

Le traitement du capital: il y a diverses façons de faire cela. Je n'entrerai pas dans les détails. Cela ne fait pas tellement de différence pour la productivité, parce que la part du capital est plutôt faible dans le total des intrants.

Le dernier problème de ce quatrième volet concerne la mesure des extrants, les problèmes de changement de la qualité, auxquels Stew a fait allusion. Lorsque j'ai commencé ma petite explication simple de la productivité, je vous ai dit d'envisager l'économie selon deux produits: un extrant et un intrant. Que faites-vous dans le cas d'une économie qui produit de nouveaux biens, parce que lorsqu'il y a ce nouvel extrant au cours de l'année, il n'y a rien dans l'année précédente avec lequel on puisse les comparer? Cela amène une certaine distorsion dans le système, et il faut des ressources pour trouver la façon de réagir à ce problème.

• 1020

Voilà mon cinquième point: que faudrait-il faire pour améliorer les statistiques relatives à la productivité? Je crois qu'il faut envisager de donner à Statistique Canada un plus gros budget pour le travail visant à résoudre les problèmes de mesure des prix dont il est question.

Cela vous étonnera peut-être, si vous pensiez que j'allais être très critique ici. Je suis tout de même un peu critique au sens où, voyez-vous, l'appareil statistique a évolué en suivant l'agriculture en tant qu'élément de production primaire de l'économie pour passer ensuite à la fabrication; et maintenant, l'économie est passée aux services, dans une très grande mesure. Par contre, l'appareil statistique demeure empêtré dans la structure qui a été mise sur pied ou qui fonctionnait durant les années 40 et 50, et tout cela n'a pas bougé de façon à mieux couvrir les services.

J'exagère, puisque nous avons le SCIAN, la classification des industries de l'Amérique du Nord, qui apporte de merveilleuses précisions sur les services. Par contre, il faudra des ressources pour mettre cette classification en place. Je crois qu'il est primordial que nous faisions cela, que c'est urgent. Si nous voulons suivre le pas de la nouvelle économie, nous devons posséder les outils statistiques nécessaires pour mesurer la nouvelle économie.

Je conclus là-dessus.

Le président: Merci beaucoup, monsieur Diewert.

Nous allons maintenant entendre M. Andrew Sharpe, du Centre d'étude des niveaux de vie. Bienvenue monsieur Sharpe.

M. Andrew Sharpe (Directeur exécutif, Centre d'étude des niveaux de vie): Je vous remercie d'abord sincèrement de l'occasion qui m'est offerte de m'adresser au comité.

[Français]

À long terme, ce sont les gains de productivité qui représentent le seul moyen d'améliorer le niveau de vie des Canadiens. Donc, la compréhension des mesures de productivité et des tendances dans la productivité est primordiale pour le développement des politiques.

Mon exposé se divise en trois parties: d'abord, la définition de la productivité; ensuite, l'histoire de la productivité au Canada; troisièmement, les mesures de productivité.

[Traduction]

Me tournant maintenant vers la première partie, la définition de la productivité, je ne répéterai pas ce que nos trois autres invités ont dit avec tant d'éloquence. Je vais simplement compléter les points qui ont déjà été articulés.

Premièrement, à propos de la définition de la productivité, je dirai que le public se fait une idée erronée de ce que représente un accroissement de la productivité du travail. Souvent, les gens croient que l'accroissement de la productivité du travail est attribuable à l'accélération du rythme du travailleur—le travailleur qui trime plus dur, qui travaille de plus longues heures, ou qui travaille plus intensément. Il est vrai que l'on peut obtenir, du moins à court terme, une meilleure productivité de ce point de vue, mais l'accroissement de la productivité du travail signifie en réalité le fait de mieux travailler, d'adopter de meilleurs modes d'organisation ou d'ajouter du capital humain, ou encore un meilleur équipement, bien plus que le fait de mettre plus d'ardeur au travail. En ce sens, il importe que le public comprenne que l'accroissement de la productivité du travail provient non pas de l'accélération du rythme du travail, mais plutôt du fait que les gens, fondamentalement, travaillent mieux.

L'autre argument que je souhaite faire valoir à propos de la définition, c'est la distinction fondamentale qui existe entre la productivité du travail et la productivité totale des facteurs, et la façon dont ces notions s'appliquent. Essentiellement, la productivité totale des facteurs nous montre avec quel degré d'efficience nous étudions nos ressources globales—ressources humaines, travail, capital et matières premières.

La productivité du travail concerne, en fait, nettement plus la production, ce qu'une heure de travail ou une personne travaillant durant une année complète peut produire. En dernière analyse, c'est la productivité du travail, et non pas la productivité totale des facteurs, qui détermine l'augmentation de notre niveau de vie, mesuré par, disons, le PIB par habitant.

Je vais vous donner un exemple. Avant la crise asiatique, durant les années 70 et 80, l'Asie de l'Est a connu une augmentation vertigineuse de son niveau de vie grâce à des augmentations de la productivité du travail. Les résultats de la production par travailleur en Corée, Singapour et dans les autres pays appelés les «tigres de l'Asie» s'élevaient à coup de 4, 5 et 6 p. 100 par année. Par ailleurs, le dossier de la productivité totale des facteurs n'y était pas particulièrement reluisant, car l'accumulation du capital se faisait à un rythme très rapide. Il y avait donc de très importantes augmentations de l'apport de capitaux, et si on en tient compte dans l'équation de la productivité totale des facteurs, le résultat n'est pas du tout extraordinaire. Tout de même, au bout du compte, ces gens ont très bien réussi à accroître le niveau de vie de la population.

• 1025

Dans mon optique, j'estime que la productivité du travail devrait vraiment être la principale préoccupation du comité. Bien sûr, en outre, il existe de très graves problèmes de mesure du capital total pour qui doit mesurer la productivité totale des facteurs ou la productivité multifactorielle, ce qui ne s'applique pas autant dans le cas de la productivité du travail.

Un autre aspect clé de la définition concerne la distinction entre les niveaux et les taux de croissance, et il en a déjà été question. Mais ce débat sur la productivité nous apprend aussi que la productivité du Canada n'est pas très bonne. Qu'est-ce que cela veut dire? Est-ce que cela veut dire que le taux de croissance de notre productivité s'est fait plus lent que celui de nos concurrents, ou encore est-ce que notre niveau de productivité est inférieur à celui de nos concurrents? Bien sûr, c'est notre niveau qui détermine notre niveau de vie. Souvent, les gens confondent les deux notions, et il est très important, pour qui parle de la productivité, de savoir s'il est question des taux de croissance ou des niveaux de productivité.

J'aborde maintenant la deuxième partie de mon exposé, qui touche l'histoire de la productivité au Canada. Il y a des points clés qu'il faut révéler ici. L'âge d'or de la productivité au Canada s'est déroulé entre 1945 et 1973. À ce moment-là, nous avons connu une croissance annuelle de la productivité de l'ordre de 3 p. 100. Si nous appliquons la règle de 72, à un taux de 3 p. 100 par année, cela veut dire que nous doublons notre productivité, et donc notre niveau de vie, en 22 ans.

Depuis 1973, début de la période du «grand ralentissement de la productivité», notre productivité du travail a oscillé autour de 1 p. 100 en moyenne par année. Encore une fois, en appliquant la règle de 72, on constate qu'il faudrait attendre 72 ans avant que ne double notre niveau de vie si le taux de croissance de la productivité s'élève à 1 p. 100. Le ralentissement global au chapitre du niveau de vie que nous connaissons depuis 25 ans est donc attribuable, pour une grande part, au ralentissement de la croissance de la productivité.

Bien sûr, les économistes ont encore du mal à comprendre les raisons de ce ralentissement de la productivité, et c'est un sujet qu'il conviendrait vraiment de débattre un autre jour. On pourrait consacrer une séance entière à la seule question des causes du ralentissement de la croissance de la productivité depuis 25 ans.

Il y a bien des gens qui croyaient que, durant les années 1990, nous serions les témoins d'une amélioration de la croissance de la productivité en raison des technologies de l'information. Cela ne s'est pas encore fait, et c'est ce qui s'appelle le paradoxe de la productivité, la question de savoir pourquoi les technologies de l'information ne semblent pas avoir abouti à une amélioration de la productivité. C'est peut-être arrivé aux États-Unis, la productivité y ayant connu depuis trois ans une augmentation vertigineuse. Certains croient qu'il s'agit simplement du reflet d'une économie vigoureuse; d'autres encore y voient l'évolution de la tendance à l'égard de la croissance de la productivité. Au Canada, nous n'avons pas été les témoins d'une amélioration aussi notable durant les trois dernières années.

Le point important qu'il faut faire ressortir, c'est qu'au cours des années 90, nous n'avons pas connu une détérioration de la croissance de notre productivité par rapport aux années 80, aussi bien que des années 70. Notre bilan n'est pas pire que celui des États-Unis, et j'imagine que les comparaisons internationales viendront alimenter le débat un autre jour.

Voilà pour nos niveaux. Essentiellement, nos taux de croissance sont les mêmes durant les années 90 qu'ils ont été durant les années 80, et le même argument vaut pour les États-Unis. Jusqu'en 1973, notre niveau s'améliorait par rapport à celui des États-Unis, car notre taux de croissance était plus rapide. Depuis 1973, nous sommes essentiellement sur le même pied que les États-Unis, c'est-à-dire que nous sommes pris dans une ornière à 80 p. 100 du PIB par travailleur employé pour les Américains. Il y a encore une grande amélioration possible de notre niveau de vie, dans la mesure où nous rattrapons le niveau américain. De ce point de vue-là, il y a beaucoup de potentiel au Canada pour ce qui est de l'amélioration de la croissance de la productivité.

Pour traiter brièvement des questions relatives à la mesure de la productivité, encore une fois, Erwin a très bien résumé la chose. Je souhaite réitérer le fait que, pour avoir des données sur la productivité, il faut des données sur les sommes investies, des données sur les prix, des données sur le stock de capital et des données sur les biens intermédiaires. Les exigences de la statistique dans les études sur la productivité sont grandes, et toutes les difficultés qu'éprouve l'appareil statistique à estimer diverses quantités se manifestent, pour ainsi dire, dans le dossier de la productivité. Il y a toutes les difficultés dont nous avons parlé pour ce qui est des indices de prix, les difficultés touchant l'ajustement des prix pour la qualité, les difficultés concernant les mesures dans des secteurs comme celui de l'État, où on ne dispose pas d'une mesure de la production autre que le facteur travail. Cela donne donc beaucoup de travail aux économistes qui s'attachent à la mesure de la productivité.

En dernière analyse, je dirais que les erreurs faites dans la mesure de la productivité auraient un impact important sur notre série sur la productivité. Souvent, les erreurs s'annulent entre elles, et elles ont toujours été là, ce n'est donc rien de nouveau. Je ne crois pas que les erreurs faites dans la mesure globale de la productivité vont produire un effet important sur la croissance de la productivité, particulièrement la croissance de la productivité du travail, mais il est tout à fait possible que les spécialistes du domaine aient d'honnêtes divergences d'opinion à ce sujet.

• 1030

Maintenant, pour conclure, je dirai que le comité, au cours de ses audiences et ses délibérations, devrait se concentrer sur ce que nous savons et ne pas s'empêtrer dans ce que nous ne savons pas, un terrain certes énorme.

Pour résumer, nous savons trois choses. Premièrement, durant les années 90, la détérioration de notre niveau de vie n'a pas reflété un déclin de la croissance de la productivité. La détérioration de notre niveau de vie reflète davantage le piètre rendement du marché du travail et la chute du ratio emploi-population. Toutefois, sur de plus longues périodes, et certainement depuis 1973 et en se projetant dans l'avenir, on peut dire que notre niveau de vie reflétera de plus en plus les tendances en matière de productivité.

Le deuxième argument important, c'est que, malgré ce qui arrive aux taux de croissance de la productivité, nous avons toujours un problème de productivité parce que notre niveau est nettement plus bas. Il ne se situe qu'à 80 p. 100 du niveau américain de productivité, et il y a la possibilité de rattrapage qui nous porterait, peut-être, à 90 ou 95 p. 100 du niveau américain. Cela veut dire que les Canadiens font toujours face à un défi de taille pour ce qui est d'améliorer la productivité par rapport aux États-Unis.

Merci beaucoup. Je m'arrêterai là-dessus.

Le président: Merci beaucoup, monsieur Sharpe.

La parole est maintenant à M. David Slater. Bienvenue, monsieur Slater.

M. David Slater (témoignage à titre personnel): Bonjour, monsieur le président.

Étant quelque peu plus âgé que mes collègues ici présents et étant aussi sorti pour ainsi dire de la boucle des statistiques sur la productivité, je vais proposer des perspectives historiques qui vous seront peut-être utiles. J'ai mis à votre disposition un exemplaire d'un court article que j'ai signé il y a quelques années, intitulé «Setting the Scene: The Post-WWII Canadian Economy». C'était en guise d'introduction à un ouvrage de mon cru intitulé «A History of Business Economics in Canada». Je vais aussi me reporter à ce petit ouvrage sur le financement de la guerre que j'ai écrit il y a quelques années.

Vous devriez avoir en main mes notes aussi bien qu'un exemplaire de ce texte sur le contexte économique du Canada après la Seconde Guerre mondiale, que vous pouvez emporter avec vous.

Dans ce document, je commence par énoncer quatre points sommaires tirés de la récente histoire économique du Canada préparée par Norrie et Owram. C'est le meilleur parmi les récents ouvrages sur l'histoire économique du Canada. C'est bien écrit, et c'est un ouvrage utile au comité.

Les quatre points sommaires se présentent comme suit.

Premièrement, compte tenu de l'ensemble de l'expérience, la croissance et l'évolution structurelle se sont faites importantes au Canada.

Deuxièmement, le Canada demeure une petite société qui est ouverte sur le plan du commerce, des idées et des idéologies.

Troisièmement, pour ce qui touche le rendement macro-économique global, nous avons connu deux périodes distinctes. La première va de la fin de la guerre au début des années 70, période de croissance et de prospérité, comme Andrew vient de le mentionner. La deuxième, celle qui commence en 1973, est marquée par une croissance économique qui connaît une diminution notable, l'intensification de l'inflation et l'augmentation des taux de chômage, et la montée en flèche des déficits gouvernementaux. Même si l'inflation et les déficits gouvernementaux ne sont plus les problèmes qu'ils étaient durant les années 80, le piètre bilan que continue à enregistrer le Canada sur le plan de la productivité et du chômage vient ajouter du poids à la question centrale de Norrie et Owram. L'âge d'or de l'économie canadienne, que l'on a connu durant les trois premières décennies après la guerre, était-il la norme, alors que les deux décennies suivantes constituent une aberration, ou encore est-ce l'inverse?

Quatrièmement, les auteurs soulignent que les difficultés économiques connues après 1973 ont sérieusement entamé la foi que les gens mettent dans la gestion des affaires économiques.

Maintenant, si nous étudions l'âge d'or de la croissance de l'économie canadienne dans l'après-guerre, je dirais d'abord qu'il faut situer cette période par rapport à celle de la grande dépression et au bilan extraordinaire de l'économie canadienne durant la guerre. On n'a pas la même vision des choses si on remonte à 1939, ou encore à 1945 ou 1960, pour commencer à comparer. J'avance quant à moi que, pour obtenir un véritable survol du rendement du Canada, il faut remonter jusqu'à 1939.

À partir d'une population active qui dépassait à peine les cinq millions de travailleurs, au point culminant de l'effort de guerre, 75000 personnes oeuvraient dans les forces armées, et 75000 autres se consacraient à la production pour la guerre. Tout de même, en quelques années, le produit national brut réel du Canada a augmenté de 60 p. 100, et sa production par personne employée dans la population active civile, d'environ 30 p. 100. La différence de production et de productivité entre une économie à plein rendement et une économie qui ne fonctionne pas à plein régime a bien été démontrée, je crois, pour toujours aux yeux des Canadiens. J'ai attaché au verso des notes un petit sommaire des indicateurs de croissance, y compris le PIB réel, le nombre de civils ayant un emploi et une sorte d'«indice de la productivité». C'est le premier point que je voulais faire valoir.

• 1035

Le deuxième que je souhaite énoncer, c'est que certains analystes ont attribué l'expérience de la productivité en temps de guerre aux conditions particulières à ce temps de guerre. Nous avons concentré la production sur un faible nombre de biens et d'activités en grandes séries, par rapport à ce que faisait l'industrie canadienne avant la guerre, ce qui donnait de faibles quantités d'à peu près tout derrière de grandes barrières tarifaires. Nous avons eu des occasions exceptionnelles d'exporter durant la guerre, en raison des arrangements financiers conclus durant le conflit et de l'élimination des sources concurrentes. L'engagement des Canadiens et des Canadiennes au travail était par ailleurs exceptionnel.

Bon, l'idée qu'il s'est agi de conditions spéciales n'est pas tout à fait fausse, mais la caractéristique la plus intéressante de la période, à mes yeux, c'est que la productivité élevée durant la guerre n'a pas disparu par la suite, au moment où, faut-il le présumer, les conditions spéciales ont disparues. Plutôt, presque immédiatement, la production et la productivité du Canada se sont remises à augmenter sensiblement durant le quart de siècle commençant après 1945.

Troisièmement, les théories des spécialistes de l'histoire conventionnelle de l'économie concernant la croissance économique se sont révélées, selon moi, inadéquates et incomplètes. C'était, en premier lieu, la théorie du développement des denrées de première nécessité pour exportation, de Mackintosh et Innis; en deuxième lieu, l'importance énorme accordée aux méga projets gouvernementaux ou assistés par le gouvernement; et en troisième lieu, l'apport des capitaux américains dans l'exploitation des richesses naturelles.

Ce sont tous là des éléments qui ont contribué au bon rendement du Canada après la guerre. Mais j'avance qu'on n'a pas accordé suffisamment de poids à d'importants facteurs qui, ici même, ont présidé à un développement étonnamment important et efficace de l'économie nationale du Canada, ancrée dans l'expérience de guerre ou dans les efforts tant privés que publics déployés pour assurer la reconstruction et le développement après la guerre.

Dans ce document, j'expose à grands traits certains des changements fondamentaux qui ont touché l'économie canadienne entre le début et la fin de la guerre. L'économie est devenue plus productive tout en se diversifiant. Notre population active a gagné en compétence et en confiance. De nouvelles industries à la fine pointe de la technologie sont nées. Des réseaux d'approvisionnement sont apparus là où il n'y en avait pas auparavant. Pour la première fois dans l'histoire du Canada, il y avait un réseau de migration interne pleinement fonctionnel, et le joug de la dette étrangère est disparu, problème qui était une véritable malédiction pour nous, particulièrement durant les années 30.

J'ajouterai, en songeant à la période de l'après-guerre, qu'il y avait ce potentiel latent de développement durant les premières années de l'après-guerre, par exemple l'accumulation de connaissances scientifiques et technologiques qui, de par le monde, avaient été laissées pour compte durant la grande dépression et dans le contexte d'un commerce mondial battu en brèche entre les deux guerres; les possibilités d'études qui pouvaient être appuyées vivement à la fin de la guerre; et les sources éventuelles d'immigrants spécialisés de premier ordre provenant d'Europe. Au terme de la guerre, plus de Canadiens que jamais possédaient des biens financiers importants grâce aux sommes accumulées durant le conflit. Les Canadiens aussi bien que leurs gouvernements étaient résolus à ne pas gaspiller l'occasion en une folie inflationniste. Ils voulaient construire quelque chose pour les importants efforts de guerre qu'ils avaient faits, quelque chose de durable, qui colorait les activités privées et publiques durant cette période.

Dans mon document, je fais ressortir quelques indicateurs du rendement présenté durant cet âge d'or. Je vous laisserai faire la lecture des observations touchant la révolution agricole de l'après-guerre au Canada, qui combinait une augmentation énorme de la productivité et une réduction massive des effectifs.

Je vous laisserai aussi prendre acte du triomphe de la voiture et du camion et des transports de tous les jours, pour les Canadiens, dans l'après-guerre. Le triomphe de la voiture et du camion est un phénomène qui a marqué le Canada après la guerre, et non pas avant. Il y a le réseau de chemins de gravier et de terre qui a été pavé—et celui parmi vous qui a déjà conduit sur un chemin de terre en Saskatchewan au printemps ou encore sur un chemin de gravier au beau milieu de l'été saura que ce n'était pas tout à fait l'allégresse.

Je tiens tout de même à attirer votre attention sur deux choses que je souligne dans le document. Une des plus grandes pénuries au terme de la guerre concernait le logement. De fait, le parc résidentiel du pays était moins important en 1945 qu'en 1929. Durant les 15 premières années suivant la guerre, 1,6 milliard de dollars d'unités d'habitation ont été construites, ce qui représente une augmentation de quelque 50 p. 100 du parce immobilier dans l'ensemble. Qui plus est, la plupart des nouvelles unités respectaient les normes minimales du Code national du bâtiment, ce qui était d'une très grande importance.

• 1040

Pour l'économie nationale, c'était une réalisation extraordinaire, qui s'est produite malgré l'état désastreux du marché du prêt hypothécaire en habitation à la fin de la guerre, sauf pour les personnes qui avaient des actifs considérables. Je me souviens que, à la fin des années 30, l'Université Queen's a perdu l'essentiel de son avoir dans les prêts hypothécaires agricoles en Saskatchewan.

Clifford Clark, David Mansur et le président de la North American Life, détachés auprès de Clark, ont mis au point les institutions et les programmes publics et privés mixtes et à multiples facettes qui ont débouché sur des logements de meilleure qualité de même que sur l'urbanisme et l'infrastructure urbaine de meilleure qualité dont on avait besoin, sous l'égide de la Société centrale d'hypothèques et de logement. Dans les années 60, la société a été en mesure de se retirer du secteur du prêt hypothécaire, même si elle est demeurée présente dans les domaines de l'assurance hypothécaire et du financement du logement social.

L'investissement de capitaux provenant de sources nationales a également constitué un facteur important de la croissance économique de l'après-guerre. Je me réfère ici à un article publié par Malcolm Urquhart en 1988, qui fait figure de classique sur cette question. Si, du milieu à la fin des années 50 et à la fin des années 70, l'afflux net de capitaux étrangers a été considérable, la dépendance à l'égard de telles sommes dans le contexte de la grande activité au chapitre de l'investissement qui a marqué ces années au Canada a été nettement inférieure à celle qu'on a observée pendant d'autres périodes caractérisées par un fort taux d'investissement. En d'autres termes, le gros de l'investissement d'après-guerre a été financé au moyen de l'épargne canadienne nationale.

Dans l'article, j'expose toute une série de facteurs, de politiques et d'autres éléments qui ont contribué à la réussite de cette époque dorée. Je vais vous en laisser une copie.

C'est ainsi que j'ai abouti à trois généralisations qui se révéleront peut-être pertinentes dans le cadre de vos préoccupations actuelles concernant la productivité. Premièrement, la croissance canadienne observée entre 1939 et 1945 et au début des années 70 a été, selon des normes historiques, sui generis et a été en partie le reflet d'une conjoncture de forces transitoires. Inexploité, le potentiel de connaissance scientifique et technologique était d'une ampleur inhabituelle. On peut imaginer que de telles connaissances représentent une force moins marquante après 25 années d'exploitation qu'au départ.

Un beau jour, on allait pouvoir répondre aux besoins les plus pressants en matière de logement, d'égouts et de stations d'épuration des eaux d'égout. Un beau jour, les machines allaient engendrer certains emplois manuels bien rémunérés dans les mines, les forêts, la pêche et l'agriculture. Les ressources de la meilleure qualité et les plus faciles à exploiter étaient désormais partie prenante du développement économique. Dans le secteur agricole, la main-d'oeuvre excédentaire avait été déplacée. On notait encore des possibilités d'accroître la productivité, mais elles étaient moins riches, et les avantages qu'elles procuraient étaient répartis de façon moins égale dans la population.

Ensuite, au début des années 60—comme en témoignent les premiers rapports du Conseil économique du Canada—, la croissance soutenue de la productivité au rythme de l'après-guerre était en grande partie tenue pour acquise. Les décideurs ont tourné leur attention vers le parachèvement des programmes sociaux et fiscaux envisagés dans les documents de la Conférence du Dominion et des provinces sur la reconstruction à la fin de la guerre, mais auxquels on n'avait pas donné suite.

On a resserré les ententes fédérales-provinciales régissant les transferts financiers, introduit le régime public d'assurance-maladie, le Régime de pensions du Canada et la Régie des rentes du Québec et renforcé le Supplément de revenu garanti. Je ne me prononce contre aucun de ces programmes. Il s'agit d'éléments qui, plutôt que l'accroissement de la productivité, ont retenu l'attention.

Il était entendu que le pays pourrait assumer les coûts additionnels engendrés par ces programmes nouveaux ou importants à même la croissance soutenue de la production et de la productivité. Il est intéressant de revenir en arrière et de lire les deux ou trois premiers rapports produits par John Deutsch au Conseil économique du Canada. Dans ces rapports, jamais on n'évoque la possibilité que les perspectives relatives à la production et à la productivité puissent être moins favorables après le milieu des années 1960 qu'elles l'avaient été depuis la fin de la guerre.

Ma troisième observation est la suivante: à partir des années 1970, la mauvaise gestion de la politique budgétaire et monétaire a empêché l'économie de réaliser son plein potentiel au chapitre de la productivité, de l'emploi et du chômage. Après 1973, ce potentiel était probablement inférieur à celui de la période dorée, mais, selon des normes historiques, il était loin d'être catastrophique. La plupart du temps, cependant, nous avons été bien loin de réaliser notre plein potentiel.

• 1045

Merci, monsieur le président.

Le président: Je vous remercie beaucoup, monsieur Slater.

Nous allons maintenant entendre M. Dale Orr. Soyez le bienvenu.

M. Dale Orr (économiste, WEFA Canada Inc.): Merci, monsieur le président.

J'ai fait circuler une copie de l'article, et je me référerai à certains des graphiques que vous y trouverez. Il s'agit de la mise à jour d'un article que j'ai rédigé en décembre. J'aimerais faire deux ou trois commentaires à propos des conclusions de ce premier article.

Premièrement, le niveau de vie au Canada a crû à un rythme plus lent de 1990 à 1997 qu'au cours des années 80. Deuxièmement, le niveau de vie du Canada a, de 1990 à 1997, crû à un rythme plus lent que celui des États-Unis.

Un mot à propos des définitions. Aux fins de mon exposé d'aujourd'hui, il importe de garder bien présent à l'esprit le fait que le niveau de vie peut être décomposé en deux termes généraux—liés à la productivité et au marché du travail. Stew Wells en a parlé. Les termes liés à la productivité comportent d'eux-mêmes deux ou trois éléments, au même titre que ceux qui ont trait au marché du travail.

Histoire simplement d'arrimer mes propos à un point important soulevé par Andrew Sharpe, je dirai aussi un mot des taux de croissance de la productivité dans les années 90 par rapport aux années 80 ainsi que des taux de croissance de la productivité au Canada par rapport aux États-Unis. Je me concentrerai uniquement sur l'économie dans son ensemble. Et je n'ai pas de commentaires à faire à propos de secteurs particuliers.

Après avoir examiné les déterminants de notre niveau de vie de 1990 à 1997, j'en suis venu à la conclusion que le faible rendement du Canada au chapitre de la productivité n'était pas le plus important facteur expliquant la faiblesse de notre rendement au chapitre du niveau de vie. À cet égard, le facteur le plus important est la faiblesse de notre rendement au chapitre de l'emploi.

Lorsqu'on compare les années 90 aux années 80, on constate que le déclin du taux de participation à la population active compte pour 74 p. 100 du déclin de l'appréciation de notre niveau de vie. Quant à la faiblesse de la croissance de la productivité, elle ne compterait que pour 12 p. 100. Cette conclusion générale est tout à fait conforme à ce que vous ont dit John Baldwin et Andrew Sharpe.

Notre incapacité d'égaler le taux de croissance des Américains au chapitre du niveau de vie de 1990 à 1997 s'explique à parts à peu près égales par les phénomènes suivants: une productivité relativement plus faible, une réduction relativement plus faible du taux de chômage et le taux de participation relativement plus faible à la population active.

Pour dire les choses plus simplement, je pense que la faiblesse de notre rendement au chapitre du niveau de vie s'explique non pas tellement par la faible productivité des personnes qui travaillent, mais bien plutôt par le fait qu'une proportion moins grande de la population occupe un emploi. En contrepartie, le fait qu'une proportion moins grande de la population occupe un emploi s'explique non pas tellement par le fait que des personnes désireuses de travailler et aptes à le faire étaient incapables de trouver un emploi, mais bien par celui que, de 1990 à 1997, une proportion de plus en plus grande de la population ne cherchait pas activement du travail.

Quelques raisons expliquent la chute du taux de participation à la population active dans les années 90. Certaines d'entre elles ont trait aux politiques; d'autres, non. Bien entendu, le phénomène des travailleurs découragés existe bel et bien, mais il y a aussi le fait qu'un pourcentage plus élevé de la population a pris une retraite anticipée et qu'un pourcentage plus élevé fréquentait l'université.

Je m'arrête ici pour appuyer mes propos sur l'avertissement qu'a donné l'OCDE dans son rapport de décembre. Dans son rapport, on affirme en effet que le Canada verra probablement son niveau de vie accuser un recul important à moins que notre rendement au chapitre de la productivité et le taux de participation à la population active ne s'apprécient de façon considérable.

Je vous apporte aujourd'hui une mise à jour des perspectives économiques du Canada et des États-Unis au cours des cinq prochaines années.

• 1050

La société à laquelle j'appartiens, WEFA Incorporated, est, je crois, la plus importante société d'économistes-conseils du monde. À la dernière page, vous constaterez que nous avons 15 bureaux répartis dans 90 pays du monde.

Les prévisions pour le Canada et les États-Unis que j'analyserai pour vous ont été établies ce mois-ci.

Pouvons-nous compter sur une amélioration de notre rendement économique? Si vous vous reportez au tableau de la page 5, vous constaterez que nous nous attendons à ce que, au cours des cinq prochaines années, la croissance économique soit légèrement plus vigoureuse, à environ 2,5 p. 100 par année, par rapport à la moyenne de 2 p. 100 enregistrée au cours de la période de 1990 à 1998. On s'attend également à ce que la croissance de l'emploi soit nettement plus vigoureuse, soit un peu plus de 2 p. 100, ce qui est relativement plus élevé que la moyenne de 1 p. 100 observée au cours de la première partie des années 90.

La productivité, mesurée par exemple en fonction du PIB par employé, ne connaîtra, selon les prévisions, qu'une croissance négligeable. La bonne nouvelle est donc qu'on bénéficiera d'une croissance de la production plus vigoureuse. Vous vous direz sans doute qu'une croissance plus vigoureuse de l'emploi constitue également une bonne nouvelle, et, à maints égards, vous aurez raison. Si, en revanche, vous mesurez la productivité en fonction du PIB par employé dans le contexte d'une très forte croissance de l'emploi, vous constaterez que la productivité ne sera guère vigoureuse au cours des cinq prochaines années.

À l'avenir, la croissance de la productivité demeurera-t-elle au diapason de celle des Américains? Le tableau de la page 6 montre que, selon les prévisions actuelles pour l'économie américaine au cours de la période de 1999 à 2004, la croissance économique devrait s'établir à 2,4 p. 100 en moyenne. Compte tenu d'une croissance de l'emploi de 1 p. 100, on reste donc avec une croissance de la productivité de 1,4 p. 100. À l'avenir, par conséquent, WEFA s'attend donc à ce que l'économie américaine croisse à peu près au même rythme que l'économie canadienne. Au sein de l'économie canadienne, la croissance plus rapide de l'emploi se traduira par une croissance de la productivité nettement inférieure à celle de l'économie américaine. J'en profite pour mentionner que, lorsque j'utilise le PIB par employé comme mesure de la productivité, je tiens pour acquis que le nombre d'heures de travail des employés au cours des cinq prochaines années demeurera à peu près au même niveau qu'en 1998. Personne ne dispose de prévisions valables en ce qui concerne les modifications du nombre d'heures de travail par employé.

Au sujet maintenant des prévisions relatives à notre niveau de vie, allons-nous nous tirer mieux d'affaire que par le passé? À l'examen du tableau de la page 7, vous constaterez que, de 1990 à 1998, notre niveau de vie, mesuré en fonction du PIB par habitant, a crû à un rythme moyen tout juste inférieur à 1 p. 100 par année. La bonne nouvelle, c'est que, au cours des six prochaines années, notre niveau de vie devrait, selon les prévisions, croître à un rythme nettement supérieur, soit 1,4 p. 100 par année.

En ce qui concerne maintenant l'interprétation de ces prévisions, l'élément essentiel est qu'on anticipe une reprise de la croissance économique et une croissance de l'emploi encore plus marquée. Nous prévoyons une nette amélioration de notre niveau de vie, mesuré en fonction du PIB par habitant, même si on s'attend à ce que la croissance de notre productivité ralentisse. Au cours des prochaines années, l'appréciation de notre niveau de vie sera davantage fonction du rendement amélioré du marché du travail que de celui de la productivité.

Ces améliorations permettront-elles de combler le fossé au chapitre du niveau de vie? Allons-nous, au cours des cinq prochaines années, améliorer notre niveau de vie à l'égal des Américains? Le tableau de la page 9 montre que, à moyen terme, les Américains devraient connaître une croissance du PIB à peu près identique, tandis que la croissance démographique devrait être légèrement plus faible. La conjonction de ces facteurs se soldera par une augmentation moyenne du niveau de vie d'environ 1,5 p. 100, à peine un peu plus que celle de 1,4 p. 100 que nous connaîtrons.

On peut tirer deux ou trois conclusions de ces travaux. La plus importante, c'est que, à la lumière des prévisions économiques les plus récentes pour le Canada et les États-Unis, notre niveau de vie devrait, de 1999 à 2004, croître à un rythme nettement plus soutenu qu'au début des années 90. En fait, il s'agit d'une croissance de 1,4 p. 100 par rapport à 0.7 p. 100.

Selon les prévisions, nous devrions obtenir, au cours de la période de 1999 à 2004, une croissance presque égale à celle des Américains. Au cours de la période visée, l'amélioration du niveau de vie du Canada sera imputable à la chute du taux de chômage et à l'augmentation du taux de participation à la population active. On aura ainsi droit à une croissance plus vigoureuse du niveau de vie, malgré un ralentissement de la croissance de la productivité.

• 1055

À long terme, l'augmentation de la productivité est le seul moyen d'assurer l'appréciation de notre niveau de vie. Cependant, notre niveau de vie dépend de quelques facteurs liés au rendement du marché du travail aussi bien qu'à la productivité. Il se trouve que, dans les années 90, la faiblesse de notre rendement au chapitre du niveau de vie s'explique principalement par la faiblesse de notre rendement au chapitre du marché du travail plutôt que par une faible productivité. À moyen terme, on s'attend à ce que notre rendement au chapitre du niveau de vie se raffermisse en raison d'un meilleur rendement du marché du travail, malgré la détérioration de notre rendement au chapitre de la productivité. Les prévisions récentes laissent entendre, en ce qui concerne l'amélioration de notre niveau de vie, que les perspectives ne sont pas si mauvaises, mais que nous pourrions et que nous devrions faire mieux.

Le moment venu d'arrêter le thème du prochain budget, la principale question que le comité et le gouvernement doivent trancher consiste à déterminer s'ils souhaitent ou non mettre l'accent sur la productivité. Si vous choisissez de mettre l'accent sur la productivité au sens où nous l'avons définie, vous allez laisser de côté les importants facteurs liés au marché du travail qui ont joué un rôle si critique dans la détermination des changements de notre niveau de vie au cours de la dernière décennie et qui, selon les prévisions, joueront un rôle encore plus critique à moyen terme. Cependant, je crois que vous êtes confrontés à un dilemme. Si vous allez au-delà de la productivité pour vous intéresser à des politiques de nature à améliorer notre niveau de vie, serez-vous en mesure de définir un thème significatif pour le budget? Le gouvernement a-t-il jamais consacré des sommes à des projets qui ne peuvent être justifiés, par exemple l'accroissement de notre niveau de vie?

Je vous remercie.

Le président: Je vous remercie beaucoup, monsieur Orr.

Nous allons maintenant entendre M. Rick Harris, économiste à l'Université Simon Fraser. Soyez le bienvenu.

M. Rick Harris (économiste, Université Simon Fraser): Je vous remercie, monsieur le président. Je suis heureux d'être ici aujourd'hui, et je vous souhaite la meilleure des chances dans vos entreprises.

Après avoir enseigné la productivité pendant un certain nombre d'années, tout ce que je puis dire, c'est que j'espère que vous vous tirerez mieux d'affaire que mon étudiant moyen, que, apparemment, je suis parvenu à plonger dans la plus grande confusion sur ce point. À la lecture des médias, j'ai l'impression que nous avons tendance à faire la même chose ici au Canada.

Qu'est-ce donc que la productivité? Je pense que nous savons tous ce qu'elle représente dans notre vie. Il s'agit d'une mesure de l'efficience avec laquelle nous produisons ce que nous produisons; à l'échelle de l'économie, il s'agit de l'efficience avec laquelle l'économie utilise ses ressources pour produire des biens et des services.

Je pense qu'une bonne façon de mettre les choses en contexte consiste à réfléchir à ce que la productivité n'est pas. La productivité n'est pas assimilable à la consommation. La consommation et la production sont des notions tout à fait différentes, particulièrement au sein d'une très petite économie ouverte, d'une économie dans laquelle bon nombre de services sont produits au niveau des foyers. La productivité n'est assimilable ni aux revenus, ni aux salaires, ni aux profits, ni à l'emploi. Aujourd'hui, bon nombre de témoins nous ont dit qu'il s'agit là, bien entendu, de questions très importantes, et le Canada semble afficher un rendement assez différent dans certains de ces domaines par rapport à son rendement dans celui de la productivité. Ces questions sont de toute évidence liées à la productivité, mais il ne s'agit pas de la même chose.

La productivité n'a pas trait à la valeur des actifs. Elle n'a pas trait non plus à la valeur des indices NASDAQ, S&P 500, ni Dow Jones. Nombreux sont ceux qui soutiendraient que ces éléments sont étroitement reliés. Aux termes de ce qu'on appelle la perception de la nouvelle économie, on considère que des taux élevés de croissance de la productivité sont à l'origine de ces évaluations des actifs, mais ce n'est pas ce que veulent dire les économistes lorsqu'ils discutent de ces questions.

Néanmoins, je dirais, au niveau intuitif, que le lien le plus important est celui qui unit la productivité au niveau de vie ou au revenu à long terme. Au fil des ans, bon nombre d'économistes se sont prononcé sur cette question, à commencer par Adam Smith, et c'est probablement la question la plus importante qui se pose aux économistes: à quoi attribuer la richesse des nations? Je n'ai pas du tout l'intention de débattre de toutes ces questions aujourd'hui, si ce n'est pour mentionner qu'il s'agit d'un problème très vaste et que, franchement, la question de la productivité touche à presque tous les points de vue exprimés sur ce qui détermine la richesse des nations, y compris la question très importante du rôle des marchés, du gouvernement et des incitations individuelles.

La différence entre le revenu et la production est un élément sur lequel je veux insister, particulièrement dans le contexte canadien. Permettez-moi de vous donner quelques exemples. Prenons l'industrie pétrolière. Selon toutes les normes internationales, la société Syncrude affiche des niveaux de productivité remarquables, mais, pour le moment, elle vend ses produits à des prix très bas. Heureusement, la situation des personnes qui, comme moi, détiennent des actions de sociétés pétrolières s'est quelque peu améliorée. Les prix ont une incidence très grande sur notre niveau de vie, mais les prix ne se mesurent pas par la productivité. En fait, la productivité mesure l'efficience avec laquelle nous produisons les biens qui sont ensuite vendus sur les marchés.

Prenons l'exemple de Microsoft. Comment devenir riche? Constituez-vous un monopole mondial. Constituez-vous-en plusieurs si vous le pouvez. Les détenteurs de monopole ont des revenus élevés. Ils n'ont pas besoin d'être productifs. Ce qu'il y a, c'est qu'ils disposent d'un marché très sûr et protégé.

• 1100

Le Canada pourrait devenir une nation de Céline Dion, d'artistes. Par définition, les artistes n'affichent pas de croissance de la productivité, mais leur valeur—ce qu'ils produisent est grandement prisé sur le marché international. Nous devons donc établir une distinction entre ce qui a de la valeur et la productivité dont nous faisons preuve dans l'établissement de cette valeur. En tant que nation, il est très important que nous fassions l'un et l'autre. Ainsi, il importe que nous allions au-delà du débat sur la productivité pour nous intéresser à la production de valeur ajoutée.

Aujourd'hui, on a déjà beaucoup parlé de la mesure. Je ne dirai rien à ce sujet, mais je veux m'intéresser à deux questions plus vastes. La première est la suivante: que savent les économistes professionnels qui étudient la preuve historique au sens plus large des déterminants de la productivité? À supposer qu'on puisse la mesurer, ce qui, bien entendu est très discutable, comme il en a été question ici, très nombreux sont ceux qui, au sein de notre profession, tentent de comprendre les forces à l'origine de la croissance de la productivité. Je suis convaincu que vous allez être confronté à cette question dans le cadre de vos délibérations.

J'ai lu des centaines d'études consacrées à cette question, et je puis vous assurer qu'il n'y a littéralement que trois grands déterminants à l'égard desquels on dispose d'une preuve convaincante.

Le premier est l'investissement. L'investissement est de loin le plus important déterminant unique de la croissance de la productivité depuis la fin de la guerre. Qu'importe la façon dont vous présentez les données, un ratio élevé d'investissement-PIB constitue toujours le chiffre unique le plus élevé.

Le deuxième est le capital humain et les compétences. Pas besoin d'avoir inventé le bouton à quatre trous pour constater que les personnes très compétentes sont bien rémunérées. Il y a une raison à cela: elles sont très productives. Le phénomène ressort dans presque toute la preuve, et la preuve est chaque jour plus convaincante. Cette situation pose de nombreux problèmes au chapitre de la répartition des revenus dans des pays comme le Canada, mais c'est la réalité.

Le troisième est le commerce, particulièrement dans les petits pays. Dans les pays ouverts au commerce international, on retrouve toujours des taux de croissance de la productivité plus élevés que dans les pays qui ne sont pas ouverts au commerce.

Sinon, il y a de très nombreux candidats au titre de déterminant de la productivité, mais la preuve est dans tous les cas nettement moins convaincante, on songe par exemple à la R-D, à la croissance démographique, aux impôts et au rendement au chapitre de l'inflation. La liste se poursuit; il y a littéralement des centaines d'études. Mais, franchement, lorsqu'on utilise un vaste échantillon de données comparatives internationales pour la période de l'après-guerre, il est difficile d'établir le bien-fondé de ces hypothèses, si séduisantes ou convaincantes qu'elles puissent paraître au niveau intuitif.

Cependant, je pense qu'il importe de souligner que, une fois établi ce qui, à notre avis, détermine la productivité, l'incertitude qui demeure est absolument phénoménale. À partir d'un cas typique de décroissance nationale, compte tenu de toutes les variables que nous croyons importantes, nous pourrions faire bouger un pays d'un facteur de deux, en regard du niveau, en moins de 15 ans, simplement en fonction de ce que nous ne savons pas. La question de notre ignorance se pose donc avec beaucoup d'acuité, et je pense que le problème fondamental que pose la mesure est qu'il serait bien que nous palliions cette ignorance, mais ce ne sera pas une mince affaire.

Le dernier point que je veux soulever a trait aux leviers politiques. Voilà le coeur du problème. En dernière analyse, on devra se distancier de la productivité pour énoncer une politique. À cet égard, la question de la mesure est importante, bien qu'on doive se rappeler que la mesure est rétrospective, et non prospective, ce qui pose un problème non négligeable.

La mesure peut-elle guider utilement l'élaboration d'une politique? Deux exemples importants me viennent à l'esprit.

Au Canada, le Pacte de l'Automobile constitue un exemple historique des plus significatifs. Avant sa conclusion, les économistes industriels avaient consacré des études exhaustives aux usines automobiles canadiennes et américaines, et les chiffres concernant la productivité étaient des plus convaincants. À l'époque, on notait un écart très considérable d'environ 40 p. 100 à 33 p. 100. C'est ce qui, en dernière analyse, a conduit à la conclusion du Pacte de l'automobile canado-américain, qui est l'ancêtre de la situation que nous connaissons aujourd'hui. Il s'agit probablement de notre industrie d'exportation la plus prospère et d'un exemple des conséquences spectaculaires que peut avoir le mélange d'une bonne politique avec de bonnes données.

Dans ce cas particulier, on peut donc conclure que de bons exercices de mesure ont abouti en dernière analyse à une bonne politique. Toutefois, ce n'est pas toujours vrai. Il suffit d'examiner les études pour comprendre que, parfois, les résultats ne sont pas aussi probants. Prenons par exemple le cas des industries primaires. Depuis longtemps, le Canada réalise, dans le domaine des ressources, des percées technologiques à fort coefficient de capitaux qui sont couronnées de succès, mais, à l'heure actuelle, les ressources ne font pas grand chose au chapitre de la génération de recettes. Il suffit d'examiner les prévisions à long terme concernant les prix des matières premières pour faire le constat suivant: on aura beau faire preuve de la plus grande productivité qui soit au chapitre de l'extraction des matières premières, jamais cette activité ne fera notre richesse. Il s'agit au moins d'une prévision. Il se peut qu'elle se révèle fausse. Ce qu'il y a, une fois de plus, c'est que, en elles-mêmes, les études consacrées à la productivité ne permettent pas nécessairement de prédire les secteurs qui, à l'avenir, afficheront un bon rendement et qui, en dernière analyse, généreront des emplois et des revenus.

• 1105

Dans vos délibérations, vous allez entendre une diversité de groupes d'intérêt. J'imagine bien la liste des questions qui seront soulevées—les impôts, la réforme fiscale, les subsides à l'innovation, la recrudescence d'activités au chapitre de la R-D, l'ouverture des marchés canadiens aux fournisseurs étrangers, les petites entreprises poussives à propos desquelles il faut faire quelque chose, les petites entreprises dynamiques à propos desquelles il faut faire quelque chose, l'exode des cerveaux, l'amélioration de la qualité de l'éducation, la formation de la main-d'oeuvre, la réduction des obstacles au commerce, et ainsi de suite.

Le problème auquel vous allez être confrontés, c'est que les chiffres évoqués ici par les spécialistes de la mesure entretiennent, dans la plupart des cas, un lien plutôt ténu avec ces politiques, même si nous avons tous notre opinion et que nous sommes disposés à effectuer un tri dans les données scientifiques relatives à leur impact. C'est ainsi que sont les choses.

Par définition, les fluctuations de la productivité sont des fluctuations à long terme. On a affaire à des politiques prospectives à très long terme qui, dans certains cas, supposent un mélange de chance et de bonne politique. C'est dans la nature du problème.

Songeons au perfectionnement des ressources humaines. Les pédopsychologues et d'autres ont produit des études convaincantes qui montrent que le développement du tout jeune enfant revêt une extrême importance du point de vue de l'acquisition ultérieure du capital humain. À propos du perfectionnement de ce genre de ressources, on a littéralement affaire à un horizon de 30 ou 40 ans.

Ensuite, il y a aussi ce qu'on appelle la vague technologique, ou l'idée que l'histoire se fait du développement technologique au sens large, à savoir que l'évolution technologique, qui est le principal facteur qui génère des revenus au sein de l'économie, c'est-à-dire la productivité que nous mesurons en dernière analyse, se caractérise par ces grandes vagues. La dernière a été le «fordisme», l'électricité, l'industrialisation. Elle a déferlé sur l'économie dans les années 20 pour porter fruit dans les années 50 et 60.

Aujourd'hui, naturellement, les partisans de cette nouvelle perception de l'économie soutiennent que la technologie de l'information constitue une nouvelle vague. Si nous prenons leurs propos au sérieux et que nous examinons ce que les historiens nous enseignent à ce sujet, il est fort possible que 20 ou 30 ans s'écoulent avant que les statistiques relatives à la productivité ne fassent état d'améliorations réelles de la qualité des biens et des services, du revenu servant à la consommation—ces questions qui nous tiennent à coeur.

Je pense donc qu'une tâche très difficile vous attend, et je vous souhaite la meilleure des chances dans vos délibérations.

Le président: Je vous remercie.

Nous allons maintenant passer à la période de questions et de réponses. Monsieur Epp, nous allons commencer par vous. Je vous alloue environ dix minutes pour vos questions.

M. Ken Epp (Elk Island, Réf.): Je vous remercie, monsieur le président, et je remercie tous ceux qui nous ont présenté ce qui m'apparaît comme des témoignages lucides, même si certaines nuances m'ont échappé.

J'ai énormément de questions à poser à propos de la mesure de la productivité. Il me semble que le grand public, moi y compris, confond productivité et niveau de vie. Nous avons tous l'impression de ne pas être aussi à l'aise qu'il y a 20 ans. C'est certainement le cas dans ma famille.

Je suis sorti de l'université avant que la technologie ne permette d'avoir des bébés sur demande, de sorte que les nôtres sont venus tout de suite. Nous payions notre loyer, nos payions les services publics, et nous utilisions le reste pour aller en vacances. Vingt-cinq ans plus tard, nous payons notre loyer, nous payons les services publics, et nous nous demandons si nous allons pouvoir effectuer les paiements mensuels sur nos emprunts, et il ne nous reste pas grand chose. Il semble donc que notre niveau de vie ait reculé.

J'ai mes propres théories à ce sujet, mais vous m'avez enjoint de n'en rien dire. En outre, la ponction fiscale n'aurait rien à voir avec la productivité. Il me semble cependant qu'elle a un effet considérable sur notre niveau de vie. Nous sommes donc confrontés à un problème dans la mesure où nous devrons, à mon avis, nous habituer à parler de productivité, sans confondre cette notion avec le niveau de vie. Ai-je raison? L'un d'entre vous souhaite-t-il ajouter à mes propos?

M. Andrew Sharpe: Vous soulevez un point très valable. Par exemple, nous avons évoqué ici aujourd'hui le PIB par habitant, qui, dans les années 90, est en hausse légère. Nous avons utilisé cette donnée comme mesure du niveau de vie. Il y a cependant d'autres mesures du niveau de vie qui s'y rapportent, par exemple le revenu personnel par habitant ou le revenu disponible par habitant.

Au chapitre du revenu personnel par habitant, aucun gain n'a été réalisé dans les années 90. Si on prend 1989 comme année de pointe et qu'on examine 1997, on constate que le revenu personnel par habitant n'a essentiellement pas bougé en termes réels.

Pour sa part, le revenu disponible par habitant était, en 1997, en baisse de 5 p. 100 par rapport à l'année de pointe de 1989 en raison de l'accroissement du fardeau fiscal. En ce sens, la situation des particuliers est donc moins favorable.

• 1110

Bien entendu, on doit comprendre que les sommes additionnelles ainsi prélevées ont rendu de nombreux services aux Canadiens, par exemple au titre du remboursement de la dette, de l'accroissement des paiements de transfert, etc. Cependant, il me semble que la perception du public soit davantage liée au revenu disponible par habitant réel, par opposition au PIB par habitant. À ce chapitre, la situation est certainement moins reluisante qu'au titre du PIB par habitant.

M. Ken Epp: Vous faites ici référence au niveau de vie.

M. Andrew Sharpe: Exactement.

M. Ken Epp: J'ai une question à poser à M. Baldwin. Il a dit quelque chose à propos de la mesure de la productivité qui constituerait la première différence. J'ai certaines lumières à ce propos parce que j'étais professeur de mathématiques dans un institut technique. Je sais donc une chose ou deux au sujet de la première dérivée. Cependant, on a utilisé ici l'expression «la première différence des premières différences». Je ne comprends pas.

Voulez-vous dire que, dans un pays où la productivité demeure stable, on doit conclure à une productivité zéro?

M. John Baldwin: Non. Laissez-moi établir une analogie simple. Je vais reprendre des propos tenus plus tôt par Erwin—le phénomène de la manne providentielle que bon nombre d'économistes associent à la productivité: si la croissance de la production est de 6 p. 100 et que tous nos intrants ont bénéficié d'une hausse de 5 p. 100, quelle que soit la façon dont on la mesure et la cumule, on a affaire dans les deux cas à des différences. En fait, nous avons affaire à des taux de variation de 6 p. 100 et de 5 p. 100. La croissance de la productivité correspond à la différence entre les deux. Si nous soustrayons 5 p. 100 de 6 p. 100, nous aboutissons à une croissance de 1 p. 100 que, en quelque sorte, nous n'avions pas escomptée. C'est ce que j'entends par la première différence des premières différences.

M. Ken Epp: D'accord. Il s'agit donc de la croissance de la productivité. Mais comment mesure-t-on la productivité elle-même?

M. John Baldwin: Cette question nous ramène à des propos tenus plus tôt par M. Wells, à savoir la question des niveaux. Quelle est la production par tête ou la production par unité de capital? Il s'agit simplement de la mesure de la production, quel que soit l'étalon qu'on utilise, les dollars de 1992 ou autre chose, divisée par la mesure des intrants ou du nombre de personnes, comme Erwin l'a fait, ou encore par le nombre d'heures travaillées, comme nous l'avons fait.

M. Ken Epp: Seriez-vous tous d'accord pour dire que la meilleure mesure demeure probablement le produit intérieur brut par habitant? Est-ce la meilleure mesure unique qui existe?

M. Stewart Wells: La meilleure mesure de quoi?

M. Ken Epp: De la productivité.

M. Stewart Wells: Non.

Une voix: Non.

M. Ken Epp: Bien, nous avons l'unanimité.

M. Stewart Wells: Il s'agit d'une mesure du niveau de vie brut, sans égard à certains facteurs non monétaires, ni à la répartition des revenus.

M. Ken Epp: D'accord. J'ai donc commis l'erreur dont je m'étais accusé—j'ai confondu ceci avec le niveau de vie.

M. Stewart Wells: Oui.

Au niveau mondial, la productivité du travail correspond au PIB divisé par une certaine mesure de l'emploi. Il y a une différence. On peut ensuite passer à la mesure du niveau de vie, compte tenu des variations du taux, de la population et du nombre d'heures travaillées. Cependant, le PIB par habitant est une question qui concerne le niveau de vie, et non une mesure.

Maintenant que j'ai la parole, j'aimerais introduire une notion qui, je suppose, a quelque chose de personnel. J'ai entendu toutes les remarques qui ont été faites à propos des impôts, et je suis d'accord avec les réponses fournies par Andrew. Cependant, il a contourné ou évité l'idée selon laquelle il est possible que les impôts servent à quelque chose. Personnellement, je pense qu'il s'agit d'un aspect que les Canadiens sous-estiment au plus haut point.

Nous vivons à une époque où on semble croire que les impôts sont aspirés par un trou noir et qu'ils ne réapparaissent jamais, qu'ils constituent simplement une ponction dans le système. Pourtant, lorsqu'on demande à des personnes de comparer le niveau de vie qu'elles ont ici à celui qu'elles auraient dans d'autres pays qu'elles ont visités, elles en viennent presque inévitablement à se réconcilier avec la situation que nous vivons au pays. Le phénomène s'explique en grande partie par le fait que les impôts sont consacrés à des choses que nous voulons. Dans le cadre de nos discussions à propos du niveau de vie, nous ne devrions pas l'oublier. Il s'agit simplement de ma vision personnelle du monde.

M. Ken Epp: Vous êtes donc d'accord avec le pasteur Phipps de l'Église unie, selon qui nous devrions simplement avoir beaucoup de plaisir et payer nos impôts avec joie.

M. Stewart Wells: Oui. Un jour, un membre de ma famille s'est mis en colère contre moi parce que j'avais dit que le fait de payer des impôts ne me dérangeait pas. Oui, je suis essentiellement d'accord.

M. Ken Epp: Soit dit en passant, j'ai grandi sur une ferme en Saskatchewan, et mon père avait coutume de dire: «Ne te plains jamais de payer des impôts parce que c'est la preuve que tu as un revenu.» Je suppose qu'il n'avait pas tout à fait tort.

• 1115

J'aimerais revenir sur la question de l'effet démographique. Il me semble qu'il y a ici quelques facteurs qui influent sur la productivité. Le premier a simplement trait au nombre brut d'habitants que compte le pays; deuxièmement, il y a aussi la mesure dans laquelle ils peuvent être employés de façon productive, et cela dépend de l'éducation. J'ai sur ce point des opinions très arrêtées parce que j'ai travaillé dans un institut technique pendant de très nombreuses années, et j'ai le sentiment d'avoir apporté une contribution positive à la productivité du pays parce que nous avions pour tâche de former des étudiants qui, sans la formation que nous leur assurions, n'auraient pas été en mesure de faire ce qu'ils étaient appelés à faire.

À mes yeux, l'éducation constitue donc un facteur d'intrant très important pour notre productivité, mais vous nous dites ne pas mesurer l'éducation du point de vue de la productivité, ce qui est compréhensible; il s'agit d'un coût des intrants indirect. Je n'ai toutefois pas l'impression que, par vos propos, vous vouliez laisser entendre que nous devrions réduire l'accent mis sur l'éducation des jeunes. Auriez-vous l'amabilité de faire les liens qui s'imposent?

Le président: Monsieur Harris.

M. Rick Harris: Vous avez parfaitement raison. L'apport du secteur de l'éducation se mesure par les résultats que nous produisons dans le bagage de compétences et de ressources humaines. Parmi les déterminants de la croissance de la productivité que nous pouvons définir de façon claire, comme je l'ai indiqué, l'éducation constitue le deuxième en importance. Vous avez donc parfaitement raison. Il ne faut pas oublier que les mesures que vous évoquez en rapport avec la productivité sont pour l'essentiel exactes en ce qui concerne le secteur privé. Essentiellement, nous parlons de la productivité des entreprises du secteur privé.

En raison des problèmes que nous avons évoqués, la plupart des chercheurs ont renoncé à mesurer la production du secteur public—en particulier, disons, du secteur de l'éducation—, mais nous savons que la productivité du secteur privé est liée hors de tout doute aux compétences et à l'éducation de ses travailleurs. À leur tour, les compétences et le niveau de scolarité des travailleurs dépendent des activités du secteur de l'éducation, de sorte que vous avez parfaitement raison.

M. David Slater: Si je puis me permettre, j'ajouterais deux commentaires à ce sujet. Premièrement, l'afflux très important de migrants dotés d'une solide formation a été l'un des phénomènes marquants des années 50 et 60. Les migrants originaires d'Italie ont apporté avec eux, en ce qui a trait au travail de la pierre, de la brique, etc., des compétences tout à fait fantastiques. Au pays, nous dépendions pour l'essentiel, en ce qui a trait aux artisans hautement qualifiés, notamment les outilleurs-ajusteurs et les machinistes, etc., de l'importation, plutôt que de la formation de tels travailleurs au pays.

Malgré quelques essais sérieux, je pense que l'une des omissions vraiment importantes au pays a trait au perfectionnement d'artisans hautement qualifiés, aussi bien au chapitre de la formation que du respect de leur rôle et de leur contribution. Il ne suffit pas de multiplier les diplômés d'université à tout prix.

Le président: D'accord.

M. Stewart Wells: Je m'empresse d'ajouter, monsieur Epp, que, à Statistique Canada, ainsi que John l'a expliqué, nous ne tenons pas compte de l'éducation publique, mais ce n'est pas parce que nous ne sommes pas tout à fait d'accord avec Rick et Dave sur ce point. En fait, c'est parce que nous ne savons pas comment la mesurer directement. Nous pensons qu'il existe clairement un lien indirect, mais nous ne savons pas comment le mesurer, et, pour y parvenir, nous avons tendance à utiliser le nombre de personnes qui travaillent dans le système d'éducation, ou d'autres données du genre. Il s'ensuit qu'on n'arrête jamais de définir la croissance de la productivité, ce qui explique que nous nous limitions au secteur privé.

Cependant, vous avez tout à fait raison d'affirmer que l'éducation revêt une extrême importance... Je pense que Rick a indiqué qu'il s'agit du deuxième déterminant en importance de la croissance de la productivité.

M. Ken Epp: Ayant travaillé dans le domaine, je suis tout à fait conscient des dangers que revêt l'utilisation de statistiques pour mesurer ce genre de choses. Dans le monde de l'éducation, en effet, l'une des mesures utilisées était le pourcentage des étudiants qui obtenaient la note de passage. Il est facile de les faire tous passer; il suffit de leur donner à tous la note de passage, et ils vont tous passer. Si, en revanche, les deux tiers d'entre eux, pour une raison ou pour une autre, ne possèdent pas la matière, à cause de l'enseignant ou d'autres facteurs, et que les deux tiers d'entre eux échouent, je serai considéré comme un raté.

La mesure revêt donc une très grande importance, et je pense que les statisticiens et d'autres personnes appelées à mesurer la productivité doivent s'assurer de mesurer quelque chose de bien réel, et non du vent, ce qui représente une très grande responsabilité.

Le président: Je vous remercie.

Monsieur Baldwin.

• 1120

M. John Baldwin: Je veux revenir sur un point soulevé par Rick. Plus tôt, j'ai indiqué que les chiffres établis par Statistique Canada le sont au niveau industriel; ainsi, nous pouvons étudier les différences entre les industries de même que les corrélations, de sorte que les problèmes soulevés par Rick ont tôt fait de ressortir. Au niveau industriel, les taux de croissance sont nettement supérieurs dans les industries où la mesure du niveau de scolarité de la main-d'oeuvre est plus élevée. Dans ces secteurs, les taux de croissance de la productivité sont incontestablement plus élevés.

Ils le sont également dans les secteurs où, à l'heure actuelle, l'investissement de capitaux est plus grand. Même en tenant compte du capital-actions dans l'estimation de la productivité, nous constatons qu'il s'agit de liens très étroits. Ils existent, ils sont faciles à percevoir. Qu'on les qualifie de déterminants ou de corrélats afin de comprendre le système, il est évident que le système d'éducation a une incidence sur nos estimations. Si, par conséquent, nous ne rendons pas compte du rendement direct du système d'éducation au chapitre de la productivité, nous en tenons compte dans l'ensemble du système.

Le président: Je vous remercie. Monsieur Epp, vous n'avez plus de temps, comme vous le savez bien.

M. Ken Epp: Pas même pour une petite question rapide? D'accord. Peut-être me permettrez-vous d'intervenir de nouveau un peu plus tard.

Le président: Monsieur Harris, je veux faire suite à l'une des choses que vous nous avez dites. Vous avez précisé que l'investissement, le capital humain et les compétences ainsi que le commerce constituent les trois principaux déterminants de la croissance de la productivité. Puis, M. Wells a affirmé que les impôts n'ont pas vraiment d'incidence sur cette question. En revanche, les impôts ont un impact direct sur l'investissement. Puis-je obtenir une réaction de vous deux à ce propos?

M. Rick Harris: De toute évidence, les impôts ont un effet sur l'investissement, mais la réalité est la suivante: lorsque, en contexte des déterminants de la croissance de la productivité, on étudie l'impact additionnel éventuel des impôts, compte tenu du niveau d'investissement, on constate que l'effet est minime. Cependant, personne ne laisse entendre que les impôts ne constituent pas un déterminant important de l'investissement. Je pense donc qu'on doit parler des corrélats ou des déterminants approximatifs immédiats de la croissance de la productivité par rapport à d'autres... l'infrastructure, le système judiciaire, les impôts: autant d'éléments qui revêtent une importance incroyable, mais il n'y a pas—c'est ce dont je parle—de lien direct.

Le président: Monsieur Brison.

M. Scott Brison (Kings—Hants, PC): Je vous remercie, monsieur le président. Je vous remercie tous de vos interventions érudites, qui sont des plus utiles.

Je reviens sur le point soulevé par le président à propos du lien entre les impôts et les niveaux d'investissement. Comme vous l'avez laissé entendre, monsieur Harris, il est parfois difficile d'élaborer des politiques qui, pour reprendre vos propres mots, concernent le coeur du problème.

Le gouvernement n'est pas en mesure d'accroître directement l'investissement dans l'économie, mais, si l'investissement gouvernemental direct était possible, c'est par l'entremise de politiques comme la politique fiscale que le gouvernement interviendrait. Certains diront qu'il faut s'en réjouir, mais nous ne disposons pas de la marge de manoeuvre que nous avions peut-être autrefois pour agir dans ce domaine. Prenons par exemple le cas de l'Irlande, où la politique fiscale a eu un effet très direct sur l'investissement étranger direct au pays. À mon avis, ces capitaux—et j'aimerais vous entendre sur ce point—ont accru la productivité et la croissance de la productivité, particulièrement dans les industries de haute technologie, en raison de la nature même de l'allégement fiscal accordé.

Parmi d'autres obstacles structurels à la productivité qui existent peut-être et que, à mon avis, nous pourrions lever, je songe au fardeau réglementaire qui existe au Canada par rapport à celui qu'on retrouve dans d'autres pays. Une fois de plus, j'aimerais entendre l'un de vous sur ce point. Le fardeau réglementaire ne constitue-t-il pas un problème que nous devrions examiner avec beaucoup d'attention? Je songe en particulier aux barrières commerciales interprovinciales, et vous avez indiqué qu'il s'agit effectivement d'un problème.

C'était mon premier point. Je vais en soulever deux ou trois, ce qui nous permettra peut-être, en dernière analyse, d'être plus productifs.

Une autre question qui me préoccupe tient au fait que les informations ou les analyses de Statistique Canada ne tiennent pas compte des soins de santé ni de l'éducation. Dans une large mesure, ces services, au Canada, sont publics. Dans ces domaines, la croissance, particulièrement aux États-Unis, s'est concentrée du côté du secteur privé. Aux États-Unis, le déplacement de l'éducation vers le secteur privé constitue une tendance marquée, qui a son pendant dans les soins de santé. Certains iraient jusqu'à dire que la prestation privée de services liés à l'éducation et d'autres services publics pourrait, en réalité, mieux répondre aux besoins des particuliers.

• 1125

N'accusons-nous pas un certain retard en n'incluant pas la prestation de services d'éducation et de santé dans les statistiques? Si, chez nos partenaires commerciaux, ces services sont offerts par le secteur privé et que nous comparons notre productivité à celle de nos partenaires commerciaux... Peut-être accusons-nous un certain retard dans ces domaines, mais on devrait néanmoins en tenir compte, parce qu'il y a peut-être de meilleures façons de fonctionner.

En ce qui concerne la souplesse du marché du travail, en dernier lieu, dans quelle mesure devrions-nous nous pencher sur des politiques relatives au marché du travail—qu'elles aient trait au salaire minimum ou à l'assurance-emploi, etc.—qui risquent, au sein de l'économie, d'avoir un effet dissuasif sur les comportements individuels ou collectifs de nature à accroître la productivité, qu'on songe aux entreprises ou aux particuliers? La souplesse du marché du travail est l'un des aspects à propos desquels j'aimerais avoir votre opinion, dans le contexte des politiques que nous devrions envisager.

M. Stewart Wells: Je vais m'intéresser à la question de l'éducation.

Si nous ne tenons pas compte de ce secteur, c'est fondamentalement—je le répète—parce que nous ne sommes pas satisfaits de la façon dont nous mesurons la production dans le secteur. Si Erwin Diewert obtient gain de cause, nous obtiendrons plus d'argent à consacrer à ce genre de mesure. Je badine: nous pourrions toujours utiliser plus de ressources. Mais, à ce propos, nous étudions des moyens de mieux mesurer l'apport de l'éducation. Si nous y parvenons, nous serons davantage enclins à évoquer la productivité dans le contexte de l'économie totale que nous le sommes aujourd'hui.

Vous avez raison, je crois, de dire que les États-Unis, s'ils tiennent compte de l'éducation et, fait plus important encore, l'incluant dans le secteur privé... À ma connaissance, ils ne mesurent pas mieux que nous l'apport du secteur; par conséquent, il se peut qu'on sous-estime légèrement la croissance de la productivité aux États-Unis par rapport à la nôtre. C'est possible.

Selon nos données, cette situation n'aura pas de graves répercussions sur la comparaison des taux de croissance. Dans le secteur des entreprises, nous avons, au cours des dernières années, obtenu un rendement légèrement supérieur à celui des États-Unis. Je ne crois donc pas que ce facteur altère vraiment les comparaisons actuelles. Je suis cependant d'accord pour dire nous aimerions disposer de meilleures mesures de la production des hôpitaux, des écoles et de certains autres services liés à l'information. Dans bon nombre de services, nous nous tirons relativement bien d'affaire, mais, dans certains autres, c'est le contraire, et nous devrons chercher à apporter des améliorations. Sur ce point, vous avez raison.

M. David Slater: Puis-je ajouter quelque chose à propos des impôts?

Je veux soulever deux ou trois points. Vous avez fait allusion à l'Irlande. Eh bien, nous savons tous qu'il arrive que des pays proposent des concessions fiscales pour arracher certaines choses à d'autres pays. Si chacun s'adonne à ce petit jeu, personne ne gagne, et les données dont nous disposons sont relativement claires sur ce point. Aux États-Unis, les États ont longtemps joué à ce jeu. Il y a quelques années, j'ai eu l'occasion de me pencher sur cette question, et les avantages nets que retire une nation, en termes réels, sont très minimes.

Mon deuxième point, c'est que, naturellement, il importe de disposer d'un bon régime d'imposition des particuliers et des entreprises. En ce qui concerne l'impôt des entreprises, on a en main le splendide travail effectué par le comité Mintz, et l'épouse de Rick a rédigé un merveilleux chapitre portant sur l'imposition des ressources—on me permettra de chanter ses louanges.

Le troisième point, c'est que, à mon avis, il est relativement clair que, lorsqu'on tient compte des écarts dans le financement du coût des services de santé et d'éducation, des impôts, etc. le Canada et les États-Unis se comparent bien.

• 1130

Bob Brown, conseiller au ministère des Finances, a effectué un travail très minutieux, et n'est pas du genre à sonner l'alarme pour rien.

Pour le moment, il est tout à fait clair que, dans le système de transfert et d'imposition du Canada au niveau des particuliers, les personnes qui appartiennent à la classe moyenne sont imposées plus lourdement qu'elles le sont aux États-Unis, pour ce qui est de très nombreux groupes de personnes comparables. Le facteur unique le plus important tient probablement au fait, bien entendu, que, au Canada, les taux maximaux les plus élevés s'appliquent à un niveau très bas. Aux États-Unis, le niveau à partir duquel les taux maximaux les plus élevés s'appliquent est trois fois supérieur. Il s'agit là d'une différence très importante.

On peut faire des choses, mais, une fois de plus, je serais porté à donner raison à Rick. Je ne pense pas qu'une amélioration sensible du régime fiscal constituerait le meilleur moyen d'améliorer les niveaux de productivité ou les taux de croissance.

Le président: Qu'en pensez-vous, monsieur Harris.

M. Rick Harris: Nous entrons dans un domaine où certains pourront exprimer des désaccords raisonnables. Je suis beaucoup plus attaché à l'exemple de l'Irlande que ne l'est David. Le Canada est un petit pays, que cela nous plaise ou non. À ce titre, il n'est pas en mesure d'empêcher d'autres pays de faire ce qu'ils font. Nous ne disposons pas de l'activité économique nécessaire. Nous ne disposons pas de l'investissement nécessaire. Nous aurons beau avoir le niveau de productivité le plus élevé qui soit; cela n'a strictement rien à voir. Si vous lisez attentivement le rapport Mintz, vous constaterez que c'est essentiellement ce qu'affirment ses auteurs. Oui, les impôts comptent au nombre des déterminants importants des investissements et de l'effort, et ils ont peut-être, à l'heure actuelle, un effet sur l'exode de travailleurs qualifiés. Ce sont donc des éléments importants.

Pour en revenir à mon point essentiel, je dirai que nous avons ici foncièrement affaire à ce que les économistes conçoivent comme des problèmes traditionnels liés à l'allocation des ressources. Il est très difficile de soutenir fermement que vous allez produire une augmentation à long terme très significative du taux de croissance, mais il serait très utile de réduire l'écart entre le Canada et les États-Unis évoqué par Andrew. Il s'agit donc de deux questions distinctes, et il serait utile que vous les traitiez comme telles.

Le président: Monsieur Diewert.

M. Erwin Diewert: Oui, j'aimerais aussi répondre à certaines des questions que vous avez soulevées, et je suis d'accord avec Rick en ce qui concerne l'exemple irlandais. Si nous réduisons les impôts sur le capital, nous disposerons, à en croire les théories économiques, de capitaux plus considérables. La productivité ne va pas s'accroître, sauf en ce qui concerne la corrélation entre l'investissement et l'accroissement de la productivité totale des facteurs, la PTF, mais elle est ténue. Nous ne comprenons pas exactement pourquoi. Cependant, c'est tout à fait conforme à ce que Rick nous a dit en terminant et à ce qu'affirme Andrew. Une telle mesure devrait se traduire par une augmentation des capitaux par travailleur dont nous disposons et faire en sorte que notre niveau de vie se rapproche de celui des États-Unis. Elle n'aura pas d'autre effet, mais nous pourrions tout au moins franchir ce pas.

Les deux autres points—les barrières interprovinciales et la souplesse du marché du travail—sont importants, mais difficiles à inclure dans les statistiques relatives à la productivité, et je pense que vous avez raison de nous rappeler que nos techniques de mesure sont quelque peu limitées et que nous ne pouvons répondre à toutes ces questions.

Le président: Monsieur Sharpe.

M. Andrew Sharpe: Oui, je voulais simplement faire un commentaire à propos de la question du fardeau réglementaire. Il est vrai que nous pourrions probablement améliorer notre productivité en nous débarrassant de bon nombre de règlements. Cependant, la productivité n'est pas le fin du fin de la vie économique. Essentiellement, l'objectif consiste à améliorer la qualité de vie des Canadiens, et il s'agit d'une notion nettement plus large que, disons, le PIB par travailleur ou le PIB par habitant—il s'agit d'une notion nettement plus vaste.

Si nous adoptons des règlements, par exemple pour améliorer l'environnement ou réduire les émissions de CO2, ce n'est pas sans raison. Ces règlements se justifient par toutes sortes de bonnes raisons. Nous devons toujours établir un équilibre entre le fardeau réglementaire optimal du point de vue de l'amélioration de la qualité de vie des Canadiens et d'éventuels effets négatifs sur la croissance de la productivité.

À mes yeux, il n'est pas du tout certain que nous sommes allés trop loin dans l'alourdissement du fardeau réglementaire imposé aux entreprises du Canada du point de vue de la réduction de la croissance de la productivité, et je suis d'avis qu'on ne dispose pas de données très nombreuses montrant que le fardeau réglementaire a eu un effet négatif majeur sur la croissance de la productivité au pays. Je tiens donc à insister sur cette forme d'équilibre. Les règlements se justifient. Ils peuvent se traduire par une amélioration de la qualité de vie des Canadiens, même s'ils ont certains effets négatifs possibles sur la productivité.

Le président: Je vous remercie, monsieur Brison et monsieur Sharpe.

Nous allons maintenant entendre M. Szabo, puis la docteure Bennett.

• 1135

M. Paul Szabo (Mississauga-Sud, Lib.): Je vous remercie beaucoup, messieurs. Il s'agit d'une question des plus difficiles, et on va nous répéter de nombreuses choses. Certains propos ont toutefois retenu mon attention, et j'aimerais vous les communiquer pour avoir une idée de la réaction du public à ce débat sur la productivité.

Je pense que c'est John Baldwin qui a fait une remarque à propos de la mesure de la production de la main-d'oeuvre et de la prise en compte des salariés et des travailleurs autonomes. À ce propos, il a dit que, une fois les données colligées, nous les manipulions. Le mot «manipuler» m'est resté présent à l'esprit. Puis, M. Diewert a commencé à dresser la liste de toutes les raisons qui font que des données puissent être incertaines ou nous introduire en erreur, et vous en avez mentionné au moins cinq dans la dernière partie de votre exposé. Il y a aussi l'idée qu'on ne mesure que le secteur privé et qu'on laisse de côté tout ce dont s'occupe le gouvernement. On a aussi dit que, au total, nos erreurs s'équilibrent, de sorte que nous n'avons pas à nous en préoccuper.

M. Erwin Diewert: Je n'ai pas dit ça.

Une voix: Je pense que le mot était «annuler».

M. Paul Szabo: Elles s'annulent, de sorte que nous n'avons pas à nous en préoccuper.

Je pense que de tels propos nous donnent une bonne idée de la question de la productivité, de la compréhension qu'on en a et de la crédibilité qu'elle aura probablement dans le contexte de notre débat. Nous allons donc devoir travailler très fort pour revenir à certaines données fondamentales.

La question du secteur privé me préoccupe quelque peu. Si les gouvernements avaient pour tâche d'être inefficients, d'employer trop de personnes, de se retirer des secteurs très productifs et, essentiellement, de se vautrer dans le luxe, il me semble que la productivité s'en trouverait accrue dans la mesure où le taux de participation au secteur privé augmenterait. Essentiellement, tous les mauvais éléments du secteur privé iraient s'abriter sous le parapluie du gouvernement.

En ce qui concerne la comparabilité du secteur privé de différents pays, il me semble que les gouvernements, le moment venu de se définir, pourraient en réalité compenser leur incapacité d'améliorer la productivité dans le secteur privé. C'est comme si, à long terme, les gouvernements avaient beaucoup à faire dans les dossiers relatifs à la productivité qui les intéressent.

J'aimerais poser une question. Pour moi, cette question n'a rien de rudimentaire. De toute évidence, nous aurons tendance à nous comparer aux États-Unis. J'ai lu dans la documentation que leur taux de productivité est trois fois supérieur à celui du Canada, mais je ne le vois pas de façon tangible. En ce qui a trait aux indicateurs, quelque chose me manque.

La question que je me pose a trait aux répercussions sur les économies d'échelle. Au moment de l'introduction de la TPS, j'ai eu le sentiment que trois beignes constituaient une collation, tandis que plus de trois beignes constituaient de la nourriture. Nous sommes donc confrontés à des conventions qui font que les choses sont légèrement différentes. À l'unité, il coûtait plus cher d'acheter trois beignes que d'en acheter une douzaine. Pour moi, les pays plus grands ont probablement la possibilité d'être plus productifs du simple fait des économies d'échelle qu'ils sont en mesure de réaliser, dans la mesure où ils peuvent obtenir une moyenne à la baisse relativement à un certain nombre d'échelles.

J'ignore si j'ai fait état de la frustration qui m'habite maintenant, mais je m'applique très fort à comprendre s'il est réaliste de simplement comparer le taux de productivité du Canada à celui des États-Unis sans comprendre ce qui nous différencie et sans savoir s'il s'agit de différences permanentes, de différences à si long terme qu'elles sont dans les faits permanentes ou encore de différences provisoires ou variables sur lesquelles nous sommes en mesure d'agir.

Le président: Je vous remercie, monsieur Szabo.

Je vais maintenant passer la parole à M. Wells. Je pense que vous vouliez apporter une clarification à l'avant-dernier point.

M. Stewart Wells: Je vous remercie. Vous m'avez vu réagir à l'assertion selon laquelle le taux de productivité des États-Unis est trois fois supérieur à celui du Canada. J'ignore sur quoi repose cette affirmation. À ma connaissance, aucun d'entre nous n'a dit pareille chose.

• 1140

En ce qui concerne les niveaux de productivité, je dirais, à partir d'autres calculs que j'ai vus, que le taux de productivité s'est établi—je pense qu'Andrew y a fait allusion—à 80 p. 100 de celui des États-Unis pendant 20 ans, et peut-être même pendant 40 ou 50 ans. Je pense qu'il vaut la peine que nous nous attardions au point que vous soulevez, à savoir que nous éprouvons de la difficulté à faire quoi que ce soit à ce sujet. La situation perdure, et nous n'allons pas nous en débarrasser sans mal. Vous devrez en tenir compte dans vos délibérations. Mais je ne sais pas si le taux est trois fois...

M. Paul Szabo: Toutes mes excuses. Je peux clarifier la situation. Il s'agit non pas du taux de productivité des États-Unis, mais bien plutôt du taux de croissance.

M. Stewart Wells: Vous voulez parler du taux de croissance de la production réelle?

M. Paul Szabo: Nous allons mettre la main sur la référence précise.

Le président: Monsieur Diewert.

M. Erwin Diewert: J'aimerais dire un mot ou deux à propos de la question des économies d'échelle. En théorie, l'accord de libre-échange que nous avons conclu devrait nous permettre de réaliser des économies d'échelle à l'égal de celles des Américains, mais mon collègue Helliwell m'informe que les frontières ont leur importance et que, par conséquent, l'importance du commerce intégré entre le Canada et les États-Unis n'est pas aussi grande que l'accord de libre-échange pourrait nous le laisser croire.

Oui, je pense que les États-Unis bénéficieront de certains avantages en raison de la grande taille de leur économie et de la volonté des travailleurs de migrer. Ce qui m'apparaît comme stupéfiant, c'est que, au cours de la dernière expansion qu'ont connue les États-Unis, les taux de chômage dans l'ensemble du pays se sont plus ou moins égalisés, les travailleurs se déplaçant d'un endroit à l'autre. De toute évidence, on ne retrouve pas une telle situation au Canada. Les résidents des Maritimes se montrent réticents à l'idée de partir, les Québécois sont réticents à l'idée de migrer, etc.

Le président: D'autres commentaires?

Monsieur Harris.

M. Rick Harris: Je ne suis pas d'accord sur la question des échelles. À ma connaissance, à peu près aucune donnée ne montre que les taux de croissance sont fonction des échelles. En fait, ce sont les petits pays qui ont connu certains des taux de croissance les plus spectaculaires, y compris des petits pays où les revenus sont élevés. Au nombre des exemples récents, citons les Pays-Bas, l'Irlande et la Finlande, autant de pays extrêmement petits qui connaissent des taux de croissance incroyables. Je ne vois pas dans la question des échelles une grave entrave à la croissance du Canada. Je ne dis pas que l'accord commercial ou les problèmes structurels que connaît le marché canadien ne posent pas de problèmes, mais je ne pense pas qu'on puisse pointer du doigt des études montrant que la question des échelles ralentira à long terme la croissance économique du Canada. Je n'y crois pas.

M. Paul Szabo: J'aimerais faire suite à vos propos. Je ne suis pas certain de ne pas être d'accord avec vous pour dire que les taux de croissance pourraient varier en fonction des économies d'échelle. On retrouve de tels exemples partout. Tout dépend du point de départ. Voilà pourquoi on veut parfois connaître la croissance absolue par rapport à la croissance procentuelle. C'est là que réside la différence.

Si, en ce qui concerne les économies d'échelle, je dispose d'une base grande à partir de laquelle établir une moyenne à la baisse, et, disons, négocier des accords commerciaux plus favorables, des prix unitaires moins élevés, etc. il faudra en tenir compte dans le coût des intrants, mais la valeur des intrants sera la même pour moi que pour ceux qui doivent composer avec un prix unitaire plus élevé.

Par exemple, je pourrais réaliser des économies d'échelle sur la main-d'oeuvre. Imaginons que je sois McDonald, que j'achète en grosses quantités, que j'obtienne des règlements salariaux moins onéreux en raison de l'absence de syndicats, que j'exerce un contrôle sur ces questions, etc. Le pouvoir que confère la taille tend à être à l'avantage du producteur. Par conséquent, mes produits, qui sont en mesure de soutenir la concurrence de tous les autres produits, même si je bénéficie d'un...

On en revient effectivement à la question des profits, et vous nous dites que les profits n'ont rien à voir avec la productivité. Les économies d'échelle auxquelles je fais allusion sont, dans la mesure de la productivité, directement liées aux coûts des intrants.

M. David Slater: J'aimerais ajouter mon grain de sel dans le débat sur les économies d'échelle. Je pense qu'il faut étudier cette question avec plus de soin dans la mesure où bon nombre de modifications qui ont été apportées font en sorte que les économies d'échelle traditionnelles revêtent une importance moins grande que par le passé.

Si, par exemple, vous vous intéressez à la florissante industrie canadienne du tricot de Winnipeg, qui produit de magnifiques chandails multicolores et des articles de cette nature, vous constaterez que cette industrie repose sur des programmes informatiques. Si vous examinez une usine automobile d'aujourd'hui, vous constaterez qu'elle produit non plus 100 exemplaires de ceci et 1 500 exemplaires de cela. Non, elle en produit un avec ceci en rose et encore autre chose de différent, et ainsi de suite. La capacité que nous avons désormais de produire de façon efficiente à petite échelle et de modifier la gamme de produits et la production elle-même représente véritablement un énorme avantage. Je pense qu'on devra examiner avec beaucoup de soin la question des échelles.

• 1145

Pour reprendre un exemple traditionnel d'économie d'échelle, il suffit d'examiner la situation des grandes aciéries américaines par rapport aux petites. Aujourd'hui, ce sont les nouvelles aciéries plus petites et alimentées par des fours électriques qui font la barbe aux grandes aciéries des États-Unis.

Le président: Je vous remercie, monsieur Szabo.

Monsieur Orr, puis docteure Bennett.

M. Dale Orr: Oui, j'ai affirmé dans mon mémoire que notre rendement au chapitre du niveau de vie avait été très faible tout au long des années 90. Il a été faible par rapport à nos propres normes historiques dans les années 80, et il a été faible par rapport à celui des États-Unis dans les années 90. Maintenant que nous avons abordé la question de savoir quelles peuvent être les causes de ce phénomène et quels sont les mécanismes dont nous disposons pour remédier à la situation, j'aimerais faire deux observations.

À mon avis, la cause de la faiblesse de notre rendement au chapitre du niveau de vie dans les années 90 est double. Le premier élément a trait à la demande globale au sein de l'économie. Dans les années 90, nous n'avons pas stimulé l'économie de manière à lui permettre de récupérer vraiment après la récession de 1990-1991. Au chapitre de la production, l'économie accuse toujours un retard de 1 à 2 p. 100, de sorte que la demande globale était très faible. En remédiant à cette situation, nous aurions amélioré notre rendement au chapitre du niveau de vie.

Le deuxième aspect, c'est que, en termes relatifs, les citoyens sont très peu incités, par rapport à nos propres normes historiques et par rapport aux Américains, à participer à la population active. À mes yeux, ce phénomène mérite qu'on s'y intéresse de très près parce que, ainsi que je l'ai indiqué, la faiblesse de notre rendement au chapitre du niveau de vie ne s'explique pas par une faible productivité au sens où nous l'entendons; elle s'explique plutôt par la faiblesse de notre rendement au chapitre de la population active. Un moins grand nombre de personnes participent à la population active. Oui, nous avons réduit le taux de chômage, mais il demeure à près de 8 p. 100, et celui des Américains est à 4,2 p. 100. Ce sont là de graves problèmes, et ce sont eux qui entraînent une érosion de notre niveau de vie.

Pourquoi, dans ce cas, n'avons-nous pas réduit les impôts dans les années 90 pour stimuler la demande globale? Pourquoi n'avons-nous pas réduit les impôts dans les années 90 de manière à inciter les citoyens à joindre les rangs de la population active, à demeurer au sein de la population active et à travailler d'arrache-pied? Nous n'en avions pas les moyens. Pourquoi? Parce que, contrairement à ce qu'on a affirmé ici plus tôt, 30 p. 100 de nos impôts sont précipités d'emblée dans ce que presque tout le monde considère comme un vaste trou noir. Je veux parler ici du service de la dette. Si nous n'avons pas été en mesure de stimuler l'économie ni de réduire les impôts pour fournir les incitations dont nous avions besoin, c'est que, pour chaque dollar que nous envoyons à Ottawa, 30 cents sont directement affectés au service de la dette. Le ratio de la dette au PIB est simplement trop élevé pour que nous ayons les moyens de consentir les baisses d'impôt dont nous avons besoin. Heureusement, nous sommes aujourd'hui engagés dans une voie légèrement différente.

Merci.

M. David Slater: Monsieur le président, je fais moi-même partie de ce vaste trou noir.

Le président: J'aimerais poser une question à propos des taux de chômage. Les Américains mesurent-ils le taux de chômage comme nous le faisons?

M. Dale Orr: Presque, mais pas tout à fait. Notre taux de chômage est de 7,8 p. 100; le leur est de 4,2 p. 100. La semaine dernière, j'ai discuté avec une personne que je tiens pour un spécialiste du domaine. J'en retiens qu'on peut imputer un demi-point de pourcentage ou un pourcentage de cette nature à une erreur de mesure. Nous nous retrouvons donc aux prises avec un écart de trois bons points de pourcentage, même si on tient compte de cette erreur de mesure. Bien sûr, nous commettrions une erreur colossale en nous déclarant satisfaits et en affirmant que l'écart entre notre taux de chômage de 7,8 p. 100 et leur taux de chômage de 4,2 p. 100 s'explique par une erreur de mesure. Un tel phénomène ne peut qu'expliquer une toute petite partie de la différence.

Mais nous avons Stew Wells parmi nous. Stew, peut-être aimeriez-vous intervenir sur cette question.

M. Stewart Wells: À propos de l'erreur de mesure dans l'emploi?

M. Dale Orr: À propos de l'écart entre le taux de chômage du Canada et celui des États-Unis.

M. Stewart Wells: Je ne crois pas qu'il soit plus prononcé que vous l'avez laissé entendre.

• 1150

Le président: D'accord.

Docteure Bennett.

Mme Carolyn Bennett (St. Paul's, Lib.): J'ai trois questions.

La première porte sur les nombreuses spéculations entourant le fait que c'est à la faiblesse du dollar canadien qu'on peut imputer notre productivité à peu près potable. Si certaines compagnies se tirent mieux d'affaire simplement en raison de la faiblesse de notre devise, la situation est peut-être moins favorable qu'il n'y paraît à première vue.

Ma deuxième question est celle que tous attendent que je pose. Elle tient au fait que rien n'est gratuit. Le Canada consacre son argent aux systèmes d'éducation et de santé, et ces investissements n'ont aucun effet sur la productivité, ne sont comptabilisés nulle part...

J'ai deux questions. Premièrement, sommes-nous en mesure de comparer adéquatement? Je sais que nous ne pouvons pas comparer les impôts parce que je sais pertinemment que mes patients qui ont dû payer 10 000 $ par année pour leur assurance-maladie lorsqu'ils se sont établis au sud de la frontière comprennent maintenant d'où venait cet argent quand ils étaient encore ici. Que faire de la productivité dans le contexte d'un domaine comme les soins de santé? Si vous ne les suivez pas à la trace... À mon arrivée au conseil d'administration de l'OMA, seulement 40 p. 100 des médecins avaient un télécopieur. Dans quelle mesure augmentons-nous la productivité dans ces domaines que vous ne mesurez pas? Comment nous assurer qu'il s'agit d'une priorité?

La troisième question en découle. Si certaines des réalisations dont nous sommes le plus fiers ne sont pas mesurées, peut-on, dans un débat sur la productivité, laisser de côté ce qui s'apparente à des indicateurs des progrès réalisés? De toute évidence, je suis fermement convaincue que les recettes colossales des compagnies de tabac et l'énorme industrie qui gravite autour du cancer du poumon ne devraient pas figurer du côté positif de la productivité et que les grands déversements pétroliers ne devraient pas figurer dans la colonne de l'actif des bilans. Lorsque nous étudions le PIB ou l'un ou l'autre de ces indicateurs, ne devrions-nous pas toujours tenir compte de l'indicateur du progrès?

Le président: Monsieur Harris, vous pouvez intervenir.

M. Rick Harris: En ce qui a trait à l'éducation et aux services de santé, premièrement, je crois savoir qu'Andrew a organisé une conférence ici il y a deux ou trois ans, ou peut-être même l'année dernière. Les gens travaillent dans ce domaine, et d'autres consacrent l'essentiel de leur carrière à l'examen de la productivité du secteur de l'éducation ou encore à celle de la productivité du secteur des services de santé. On dispose aussi d'analyses comparatives détaillées pays par pays. On ne les retrouve cependant pas dans ces statistiques globales.

Ce serait donc utile au débat si les renseignements là-dessus étaient mis au jour. Et c'est tout à fait distinct, bien sûr, de la question d'y mettre une valeur.

M. Brison a posé des questions sur la privatisation. Nous pouvons avoir divers mécanismes pour fournir les soins de santé dans les pays membres de l'OCDE, mais nous pouvons toujours, du moins en principe, faire des analyses comparatives pour déterminer les meilleures pratiques d'un pays à l'autre, pour voir où se situe le Canada.

Je crois qu'il est nettement plus difficile d'évaluer le rendement, car c'est une chose qui en soi reflète des jugements sociaux, des jugements politiques faits à propos des mérites relatifs des activités en question, particulièrement lorsque le système utilisé n'est pas fondé sur le marché. Il me semble donc que si nous nous mettons à comparer l'évaluation personnelle que nous faisons de notre niveau de vie, je ne vois pas comment les Canadiens et les Américains pourraient s'entendre sur un chiffre donné.

Mme Carolyn Bennett: Même pour ce qui est des meilleures pratiques, c'est là une productivité qui donne peut-être lieu à des opérations beaucoup trop nombreuses, à des antibiotiques prescrits pour les patients qui ont le rhume; il peut y avoir toutes sortes de choses qui se font ainsi et, en vérité, pour garantir la viabilité du système, nous voulons que ces choses cessent, pour que nous puissions économiser les 7 milliards de dollars par année que savons pouvoir économiser, dans la mesure où nous adoptons les meilleures pratiques. Encore une fois, c'est la gratuité qui coûte cher; le fait d'opter pour les meilleures pratiques est donc bon pour l'économie si l'argent utilisé provient du Trésor public.

M. Rick Harris: Nous pourrions être en désaccord sur des aspects particuliers de la question mais, en principe, le point de vue que vous articulez est juste.

M. Dale Orr: J'ai une observation à faire à propos des soins de santé. Il me semble qu'il existe au moins deux problèmes fondamentaux qui touchent la façon dont nous dirigeons notre réseau de la santé au Canada.

Le premier, c'est que le service est considéré comme ne coûtant rien par le consommateur. Lorsque la personne qui va à l'hôpital ou va consulter un médecin n'y voit pas d'augmentation des coûts pour elle-même, il est sûr que la demande va excéder l'offre, il est sûr que nous aurons des listes d'attente. C'est une donnée économique fondamentale. Si le coût marginal est considéré comme nul ou négligeable, la demande excédera toujours l'offre, pour tout.

• 1155

Deuxièmement...

Mme Carolyn Bennett: Mais l'éducation peut servir en ce sens. Qui voudrait subir une intervention chirurgicale dont il n'a pas vraiment besoin? L'aspect financier peut signifier un réel pétrin: qui a les moyens de se payer un congé de six semaines pour subir une intervention chirurgicale dont il n'a pas vraiment besoin, dans la mesure où il fait un choix en toute connaissance de cause? Considérer l'argent pour aller à l'hôpital, c'est très différent de considérer les six semaines de congé.

M. Dale Orr: Oui, bien sûr, mais il y a toutes sortes de gens qui recourent au réseau de la santé pour autre chose que la chirurgie, pour toutes sortes d'interventions qui, dans la mesure où un prix a été fixé, seraient moins nombreuses.

Permettez-moi de formuler ma deuxième observation.

Mme Carolyn Bennett: C'est quelque chose qu'on leur dit de faire.

M. Dale Orr: Oui. En deuxième lieu, je voulais dire que les fournisseurs du système sont dans une position assez inusitée: ils peuvent créer la demande à l'égard des services qu'ils fournissent. Je parle des médecins, en particulier, qui représentent la principale source d'informations pour la plupart des gens qui cherchent à savoir s'ils devraient exiger des services de santé ou non. C'est un problème qu'il est un peu difficile de contourner, mais c'est en même temps une donnée économique fondamentale.

Je crois que les efforts actuellement déployés pour mieux mesurer les choses dans le réseau de la santé représentent un premier pas très important fait dans la bonne direction. Je tiens seulement à dire que, en marge de cela, il existe deux difficultés économiques fondamentales qu'il nous faudra régler, à mon avis, pour ce qui est de l'organisation des soins de santé, et ce serait une façon, à mon avis, de contribuer dans chaque cas à un accroissement de la productivité dans le réseau de la santé.

Le président: Merci.

M. Sharpe.

M. Andrew Sharpe: J'ai quelques remarques à faire en réponse à cela. Il y a notamment la relation qui existe entre la faible valeur de notre dollar et la productivité.

Premièrement, cela n'a pas d'incidence sur la comparaison des niveaux, car lorsque nous procédons à ces comparaisons, nous n'utilisons pas la valeur réelle du dollar; nous utilisons la parité de pouvoir d'achat du dollar. En principe, cela ne devrait donc avoir aucune incidence sur les comparaisons de niveaux.

Quant à savoir si cela explique notre piètre productivité, le raisonnement est le suivant: si le dollar est faible, notre compétitivité au chapitre des coûts est très forte à l'étranger, nos fabricants deviennent paresseux, et il y a détérioration de notre rendement au bout du compte. Selon moi, il n'y a pas grand-chose qui vienne confirmer cela. Certaines des personnes ici présentes ne seraient peut-être pas d'accord avec moi là-dessus.

Il y a l'argument tout à fait inverse: si notre dollar est très fort, la croissance de notre productivité sera nettement plus élevée, car il y aura cet incitatif énorme pour que les entreprises deviennent plus productives. Si on revient au début des années 1990, au moment où le dollar était très fort, autour de .88 $, aucune amélioration de la productivité n'a été constatée. De fait, notre rendement à ce chapitre était relativement médiocre à l'époque.

De même, si vous portez ce raisonnement jusqu'à sa conclusion naturelle, tout coût supplémentaire imposé aux entreprises ferait augmenter la productivité, car celles-ci seraient forcées d'être plus productives. Si nous faisions augmenter les salaires, la productivité serait donc plus grande; si nous appliquions des impôts, la productivité serait plus grande. Il y a peut-être un fond de vérité là-dedans, mais je crois que nous ne souhaitons pas en tirer une conclusion générale ni commencer à imposer des taxes pour améliorer la productivité des entreprises canadiennes.

Pour ce qui est de ce que vous avez dit à propos des indicateurs, je suis tout à fait d'accord. En fait, l'automne dernier, le centre d'études des niveaux de vie a publié un indice de bien-être économique des Canadiens. Nous constatons que notre indice du bien-être économique augmente à un rythme beaucoup plus lent que le PIB par habitant. Le bien-être économique global des Canadiens n'augmente donc pas aussi rapidement que le PIB par habitant, disons, depuis 25 ans.

Cela s'explique par le fait qu'il y a eu une augmentation importante de l'insécurité économique chez les Canadiens en raison d'un taux de chômage plus élevé et des compressions visant notre filet de sécurité sociale, particulièrement le régime d'assurance-emploi. Cela ressort des sondages faits sur la sécurité économique. Il importe donc de prendre conscience du fait que productivité et bien-être économique ne sont pas la même chose.

Le président: Monsieur Wells.

M. Steward Wells: Je ne veux pas m'engager dans une discussion sur les malades imaginaires ou les maniaques à la scie chirurgicale, mais enfin, je tiens à appuyer une chose que M. Bennett a dite.

Les indices et les mesures de productivité dont nous parlons aujourd'hui sont de bons indicateurs au sens général et global. Ce dont vous parlez, c'est-à-dire les estimations touchant la micro-productivité, ou les précisions sur la productivité dans une industrie ou une profession en particulier, c'est le chemin à prendre, à mon avis, pour qui souhaite influer sur la productivité. Or, notre travail touche justement cela.

J'appuie vivement vos idées là-dessus. Si vous voulez en apprendre sur le domaine médical ou le domaine hospitalier, vous vous concentrez là-dessus et procédez à une étude détaillée, un examen méticuleux de la nature de l'industrie. Mais ce n'est pas de cela que nous parlons, et nous ne prétendons pas que nos indices vous en apprendront beaucoup là-dessus.

• 1200

M. David Slater: Puis-je ajouter quelque chose pour M. Bennett, quelque chose qui va un peu à l'encontre de ce que Dale a dit? Il parlait des courbes théoriques de l'offre et de la demande et ainsi de suite.

Un des résultats du système médical américain, c'est que 20 p. 100 des coûts concernent les comptables et les avocats. Je ne suis pas convaincu que ce soit une façon très intelligente d'organiser un système médical.

Le président: Merci, docteure Bennett.

Nous donnerons la parole à M. Diewert, puis à Mme Redman.

M. Edwin Diewert: C'est toujours au sujet de la médecine.

Il y a aux États-Unis un groupe, le National Bureau of Economic Research, qui se consacre à la mesure des résultats et à l'instauration d'une approche nouvelle pour la mesure des avantages dans le domaine de la santé. C'est un exercice très coûteux, qui exige beaucoup de temps et qui est lié à ce que disait Stew, c'est-à-dire que c'est un peu le chemin à prendre. Mais cela est aussi lié à ce que je disais moi-même. Une analyse circonstanciée donnera donc des indices circonstanciés des prix.

Si nous posons la question à Stew: parmi tous les indices de prix que Statistique Canada utilise, quels pourcentages servent à mesurer la production de services. La réponse, ce serait autour de 10 p. 100. Nous analysons donc l'agriculture et les denrées de façon tout à fait merveilleuse, mais, autant que je sache, il n'y a que deux personnes qui travaillent du côté des indices du prix des services. C'est pourquoi je dis qu'il faut procéder à ce genre de recherche détaillée.

Le président: Madame Redman.

Mme Karen Redman (Kitchener-Centre, Lib.): Merci, monsieur le président.

Je représente la circonscription de Kitchener-Centre. Nous avons nos villes jumelles, avec l'Université de Waterloo, j'ai donc bien prêté attention. Je me demande pourquoi la technologie de pointe ne se pointe pas au Canada, car nous en avons certainement ressenti les effets dans mon coin.

Par ailleurs, est-ce que nous accusons un retard sur les États-Unis et sur d'autres économies pour ce qui est de brancher notre pays? Je me demande si quelqu'un a quelque chose à dire à propos du cadre juridique et réglementaire qu'il faut créer pour faciliter cela.

M. Dale Orr: Ayant travaillé environ dix ans dans le domaine des télécommunications, je peux vous dire une chose: nous n'accusons pas de retard sur les Américains du point de vue du branchement. Pendant des années, une proportion nettement plus élevée de familles canadiennes avaient le téléphone à la maison. Je crois qu'il y a, en ce moment, presque 99 p. 100 des Canadiens et 95 p. 100 des Américains qui ont le téléphone à la maison.

De même, le Canada est depuis longtemps mieux branché sur le câble—et nettement plus. De même, les efforts que nous avons déployés depuis quelques années en vue d'aménager l'accès à l'autoroute de l'information dans les écoles et les bibliothèques, sans oublier les collectivités éloignées, ont été phénoménaux. Je ne sais pas très bien s'il est possible de faire une comparaison directe digne de ce nom avec les États-Unis, mais je crois que nous faisons un très bon travail qui, je le soupçonne, est probablement meilleur que ce qui se fait aux États-Unis.

Ce n'est donc pas là que résident les difficultés. Les difficultés résident dans le fait que la croissance globale de la production dans le secteur américain de la technologie de l'information, la taille du secteur, la croissance dans ce secteur, les revenus générés dans ce secteur et la façon dont les Américains exportent la technologie de l'information, les logiciels et le matériel informatique partout dans le monde—sont nettement plus importants que c'est le cas pour nous. Voilà où nous accusons un retard sur les Américains. Ce n'est pas pour ce qui touche le branchement de nos maisons et de nos écoles.

Le président: Monsieur Wells.

M. Stewart Wells: Pour ce qui est de savoir pourquoi les effets de la technologie ne sont pas aussi apparents qu'ils devraient être dans l'économie, je vais citer un économiste américain très renommé, Robert Solow, qui étudie la productivité depuis de très nombreuses années. Il a déjà dit que les ordinateurs défectueux se trouvent partout sauf dans les statistiques sur la productivité. C'est une énigme que personne n'a vraiment réussi à résoudre et qui donne lieu à un débat très animé.

Si vous me le permettez, je vais lire un paragraphe d'un article signé par Robert Solow, une critique touchant un livre nouvellement paru sur le débat concernant la productivité, dans un de mes magazines préférés. C'est le magazine The Challenge, édition janvier-février 1998. M. Solow s'y penche sur une étude de Daniel Sichel, je crois.

• 1205

Il dit:

    Pourquoi la «révolution de l'informatique» n'a-t-elle donc eu aucun effet vraiment appréciable sur la productivité? [...] Oui, l'investissement fait dans les ordinateurs et le matériel périphérique représente une bonne part de l'investissement en capital fixe des entreprises à l'heure actuelle—17,8 p. 100 en 1991, et c'est sans doute plus élevé aujourd'hui. Par contre, les services productifs attribuables au stock des ordinateurs (dans l'industrie) sont plutôt négligeables, pour deux raisons: premièrement, les autres éléments d'actif de longue durée sont énormes par comparaison; deuxièmement, le taux de dépréciation-désuétude des ordinateurs est très élevé, étant habituellement considéré comme tournant autour de 25 p. 100 par année. Selon Sichel, les ordinateurs et périphériques représentaient moins de 5 p. 100 de la valeur nette du capital fixe en 1993.

Cela ne répond pas à toutes les questions qui ont été posées, et Solow lui-même n'appuie pas cela, bien que tout se trouve dans le livre. Je crois que c'est probablement un facteur.

Le président: Oui. Monsieur Baldwin.

M. John Baldwin: Il faudrait ajouter à cela cette remarque: la plupart des statisticiens qui se sont penchés sur la question reconnaissent le fait que les secteurs qui font un usage important des ordinateurs sont les secteurs où les organismes de statistique ont le plus de difficultés à mesurer avec exactitude les prix selon les calculs d'Erwin.

M. Stewart Wells: [Note de la rédaction: Inaudible]

M. John Baldwin: Nous n'avons rien laissé caché à propos de nos lacunes. Si vous regardez les services aux entreprises, l'assurance ou le secteur bancaire aux États-Unis, vous voyez que ce sont là les secteurs pour lesquels le système statistique américain révèle des taux de décroissance de la productivité au fil du temps, principalement, à mon avis, en raison de problèmes liés aux mesures elles-mêmes.

Erwin a aussi raison de souligner que l'on fait certains progrès à cet égard. Dans l'appareil statistique canadien, l'adoption du système onusien de comptabilité nationale de 1993 signifie que la fonction financière corrective dans le secteur bancaire donne une croissance positive de la productivité là où il n'y en avait pas auparavant. C'est donc qu'il y a peut-être bien des problèmes de mesure associés à ce problème particulier.

Mais pour répondre, madame Redman, à la question concernant la croissance dans le secteur de la technologie de pointe avec plus de précisions... J'aillais éviter cela, car c'est une question qui met en jeu des comparaisons entre le Canada et les États-Unis, et je croyais que cela était prévu pour un autre jour.

Dans le numéro publié le 23 mars, nous comparons justement pour 17 pays la croissance de la productivité dans le secteur de la fabrication, et notamment pour le Canada et les États-Unis. Nous avons démontré que le rendement incroyable du secteur manufacturier américain tient essentiellement à deux industries de technologie de pointe à forte croissance, c'est-à-dire la fabrication d'ordinateurs ou la fabrication de pièces d'ordinateurs. Et il s'agit bien d'un rendement incroyable—qui est bien supérieur aux moyennes à long terme de ces secteurs. Par rapport à ce qui a été fait auparavant, ils se font surhumains depuis dix ans.

Ce sont là deux industries qui dominent le secteur manufacturier. C'est pourquoi leur rendement est si bon dans leur secteur manufacturier. Dans ces deux secteurs, nos résultats moyens sont supérieurs à ce qu'ils sont dans d'autres secteurs, mais nous demeurons très loin derrière les Américains. Pour une grande part, il s'agit donc d'un problème sectoriel, comme on le voit en mesurant les différences dans le monde manufacturier.

Merci.

Le président: Merci, madame Redman.

Nous cédons la parole à M. Pillitteri.

M. Gary Pillitteri (Niagara Falls, Lib.): Merci beaucoup, monsieur le président. Je ne sais pas très bien si ma question est admissible, mais je vais la poser quand même.

On a discuté quelque peu des économies d'échelle, mais, étant un homme d'affaires, si je songeais aux économies d'échelle dans le domaine où j'évolue, je dirais qu'il aurait mieux valu pour moi de rester couché, chez moi, plutôt que de me lancer en affaires. Tout de même, j'aime bien votre analogie, monsieur Harris, à propos de Microsoft et la comparaison que vous faites du point de vue de la rentabilité et de la productivité.

Je tiens seulement à parler d'un secteur en particulier—et vous en avez glissé un mot, je crois—le secteur automobile, plus particulièrement le secteur automobile au Canada avant les années 1960 et le premier Pacte de l'automobile qui a été conclu au Canada. Nous étions très vulnérables, si bien que nous croyions avoir besoin de protection

Je me rappelle le fait que notre déficit à l'égard des États-Unis se chiffrait à quelque 10 milliards de dollars—c'était avant les années 60. Néanmoins, avec la protection du secteur de l'automobile que venait procurer le Pacte de l'automobile conclu par le Canada et les États-Unis, nous avions toujours un déficit, même si le pacte nous donnait une certaine protection. Les salaires là-bas étaient plus élevés qu'ici. Le Canada a rattrapé considérablement le retard par la suite—durant les années 1970—pour essayer de faire en sorte que les gens touchent un bon salaire, ce qui s'est concrétisé. Néanmoins, nous avions toujours un déficit. Tout cela, et nous essayions de rattraper notre retard sur les États-Unis.

• 1210

Néanmoins, aujourd'hui, c'est là un des avantages de l'Accord du libre-échange entré en vigueur au Canada dans le secteur de l'automobile—avec les excédents que nous avons au pays: plus de 20 milliards de dollars en excédent. Dites-moi, le revirement de situation est-il attribuable à la productivité elle-même du secteur manufacturier traditionnel ou encore à l'exploitation du créneau dans le secteur des pièces? Et, soit dit en passant, nos salaires sont plus élevés que ceux des États-Unis aujourd'hui.

M. Rick Harris: Je déduirais deux choses des observations que vous avez formulées.

D'abord, l'évolution de la productivité au sens large est un phénomène de très longue durée où il peut y avoir de nombreux retards ponctuels. Après la conclusion de l'accord de 1965, il y a eu certains changements, mais il a fallu attendre longtemps avant que ne se réoriente le milieu patronal et le monde syndical, sans oublier toute la panoplie de pratiques industrielles, pour que nous en arrivions à nous intégrer à ce système manufacturier nord-américain. Cela s'est tout de même fait et cela connu un incroyable succès.

Bon, votre deuxième question touche à l'essentiel de ce que nous entendons par mesure de la productivité. L'homme qui est assis à côté de vous a étudié ce problème à fond.

Si nous songeons à la productivité à l'échelle de l'usine, il nous vient le plus souvent à l'idée toutes les choses dont vous venez de parler. C'est-à-dire qu'il y aurait une réorganisation de l'usine, le passage de nombreuses gammes de produits à une seule et unique gamme, la modification de la nature des machines utilisées et ainsi de suite.

Mais la question au sens large, j'imagine, consiste à savoir quel genre d'intervention officielle il faut pour aboutir à des réorganisations qui améliorent ainsi la productivité. Bien sûr, il y a eu, durant les années 70 et 80, tout un débat qui visait à savoir s'il nous fallait un libre-échange sectoriel ou un libre-échange global avec les États-Unis. En fin de compte, le libre-échange sectoriel n'était pas une option, comme vous le savez. Le libre-échange global a fonctionné.

Néanmoins, il y a bien des gens qui préconisent une politique industrielle sélective pour réaliser le genre de gains dont vous parlez. Je suis sûr que certains d'entre eux, ici présents, vous en feront part. Mon avis général, quant à moi, c'est qu'en général cela n'a pas fonctionné et, compte tenu de notre régime commercial, ce n'est pas une véritable option pour le Canada. C'est simplement une note personnelle de ma part sur ce thème particulier.

Le président: Monsieur Pillitteri.

M. Gary Pillitteri: Là où je veux en venir, tout de même, c'est de demander: le fait qu'il y ait eu l'industrie des pièces, plutôt que le secteur manufacturier traditionnel n'est-il pas un facteur? Ce que je dis, c'est que la Magna... Vous ne comprenez pas parfaitement le sens de ma question.

M. Rick Harris: Voulez-vous réagir à cela?

M. David Slater: Je ne peux traiter de cela.

Il y a visiblement une industrie des pièces très fructueuse qui s'est développée, c'est vrai. Mais on me dit que, parmi les choses qui expliquent pourquoi nous avons obtenu une plus grande part de la production, il y a le fait que nos ouvriers ne se présentaient pas «gelés» à la chaîne de montage le lundi matin et qu'ils n'abandonnaient pas, pour la moitié d'entre eux, le jeudi soir; et que les vices attribuables à un piètre assemblage des voitures étaient nettement moins nombreux au Canada qu'aux États-Unis à l'usine typique. Et avec des exceptions, mais le récit qui revenait le plus souvent, c'était vraiment qu'il y avait toutes ces habitudes de travail, l'attitude des syndicats et tout cela qui entraient en jeu. Je crois que cela y a été pour quelque chose dans le succès de l'industrie canadienne de l'automobile.

Le président: Merci, monsieur Pillitteri.

Monsieur Valeri.

M. Tony Valeri (Stone Creek, Lib.): Merci, monsieur le président. Je sais qu'il est tard. J'essaierai d'être le plus bref possible.

Je crois que c'est M. Slater qui, en réponse à une question, a parlé des petites aciéries qui ont battu les grandes usines américaines à plate couture. Ce que je veux faire, c'est insister davantage sur le côté micro-économique du débat. Nous apprécions certes le débat général sur les mesures, et M. Bennett a traité de la question des soins de santé. Je veux simplement me tourner vers la petite entreprise dans le contexte.

Je crois savoir que M. Baldwin a poussé assez loin des recherches sur la petite entreprise dans le secteur manufacturier et sur son impact à l'égard de la productivité. Donald Daly, de l'Université York, a aussi travaillé là-dessus.

• 1215

En citant l'étude de M. Daly, je dirais que la valeur ajoutée d'un travailleur à la production dans une usine comptant moins de 50 ouvriers n'équivaut qu'à la moitié de celle des ouvriers dans une usine qui en compte plus de 400. Au Canada, nous avons visiblement enregistré une croissance nettement plus grande du secteur de la petite entreprise que les États-Unis. La production de notre secteur manufacturier, pour ce qui est des petites entreprises est nettement plus élevée que celle des États-Unis; néanmoins, on a dit que, selon les études, la productivité de la petite entreprise accuse un net retard sur celle des entreprises comptant plus de 400 personnes.

J'aimerais donc savoir ce que les gens d'ici en pensent: comme notre croissance de l'emploi s'est concentrée essentiellement dans le secteur de la petite entreprise, nous nous retrouvons désormais avec un taux d'emploi plus élevé dans un certain secteur, qui est considéré comme étant moins productif que celui des grandes entreprises manufacturières. Je me demandais ce que vous en pensiez. M. Baldwin pourrait peut-être partir le bal.

M. John Baldwin: Si on en reste aux faits, le secteur de la petite entreprise a augmenté sa part de l'ensemble des emplois dans le secteur manufacturier, si bien que les mesures de la productivité moyenne, qu'il s'agisse de la productivité du travail ou de la productivité multifactorielle—et nous ne calculons pas vraiment cette dernière, mais présumons que c'est le cas—feraient voir un déclin ou un ralentissement du taux de croissance attribuable à tout cela, au fait que nous avons simplement fait passer une partie de notre population industrielle du côté des petites entreprises.

Bien que nous ayons fait cela, il ne serait pas juste d'affirmer qu'il y a là une croissance relativement plus rapide au sens général, si on prend d'autres mesures d'importance. Si on utilise effectivement des mesures d'importance comme les marchandises expédiées, les petites entreprises n'ont pas vraiment accru leur part des marchandises expédiées de façon sensible au cours de la période en question. En fait, cette part a chuté.

Ce qui est donc arrivé, essentiellement, c'est que les grandes entreprises sont devenues nettement plus productives du point de vue d'une mesure simple, soit la production par travailleur, que les petites entreprises, et comme nous avons réduit la taille de notre secteur manufacturier—n'oubliez pas, globalement, nous avons perdu des emplois durant la plupart des quinze dernières années dans le secteur manufacturier—, la plupart des emplois que nous avons perdus étaient ceux des grandes usines. La croissance de la productivité dans les grandes usines s'est donc révélée, de façon simple, c'est-à-dire du point de vue de la production par travailleur, beaucoup plus rapide que celle des petites entreprises.

Je m'arrêterai là, d'abord parce que je n'ai pas de bons arguments pour expliquer la raison de cela. Don Daly en a, et si vous lisez son article, vous les verrez, et vous verrez qu'ils ont trait aux capacités de gestion. Ensuite, je ne pas sûr moi-même de ce que cela suppose sur le plan des politiques gouvernementales. C'est tout de même pour nous une énigme, nous qui nous inquiétons de la croissance de la productivité du Canada par rapport à d'autres pays.

Il faut se garder de présumer que ce processus a nécessairement ralenti la croissance de notre productivité par rapport à d'autres pays, car je viens de décrire un phénomène qui est peut-être bien présent ailleurs, et nous sommes en train de réaliser une étude de long cours qui essaie d'examiner la mesure dans laquelle ce phénomène se produit en même temps aux États-Unis.

Et nous n'avons pas les chiffres définitifs de cette étude. Il semble y avoir lieu de croire qu'un phénomène semblable se produit aussi bien aux États-Unis. Si c'est le cas, cela a une incidence assez importante sur ce que nous pourrions considérer comme les leviers politiques dans le cas qui nous occupe. Si c'est un phénomène endémique propre à l'économie de l'Amérique du Nord, il est invraisemblable de croire que nous allons changer ça à nous seuls. Si c'est un phénomène particulier qui est propre au Canada, alors on peut commencer à envisager des solutions toutes canadiennes.

Mais nous n'avons de réponses à cette dernière question que je viens de vous poser.

M. Tony Valeri: M. Daly souligne que 64,2 p. 100 des marchandises expédiées dans le secteur manufacturier au Canada sont fabriquées par des entreprises comptant moins de 500 employés, alors que seulement 17.7 p. 100 des marchandises expédiées par le secteur manufacturier américain proviennent de sociétés de la même taille.

À lire cela, je constate donc... nous, au Canada, semblons essayer de promouvoir la petite entreprise, le raisonnement étant que, dans un environnement marqué par le changement, la petite entreprise est nettement mieux placée pour s'adapter et prendre en charge les technologies nouvelles, et qu'elle peut être concurrentielle en raison, dans la plupart des cas, de salaires moins élevés, de syndicats moins présents et de toutes sortes d'autres facteurs. En même temps, nous entendons parler d'études qui disent que la petite entreprise n'est pas aussi productive que la grande entreprise; néanmoins, au Canada, la plupart des marchandises expédiées dans le secteur manufacturier reviennent à des petites entreprises, par comparaison avec le cas des États-Unis.

• 1220

Cela m'inquiète donc un peu de savoir que nous nous trouvons dans cette situation, et j'aimerais bien savoir s'il nous faudrait nous préoccuper de cela ou s'il faut simplement pousser les recherches pour savoir s'il y a réellement là un problème, ou encore serait-ce un autre de ces problèmes de mesure qu'il nous faut régler?

M. John Baldwin: Vous avez soulevé deux questions. D'abord, le fait que nous ayons ou non, de façon générale, un plus grand nombre de petites entreprises. Je parle de ce que vous disiez il y a une minute, à savoir s'il y avait une tendance à la création d'un nombre relativement plus grand de petites entreprises. Nous avons toujours eu une structure industrielle où les grandes usines étaient moins nombreuses qu'elles le sont aux États-Unis.

Les recherches auxquelles vous avez fait allusion, mes recherches, montrent que notre tendance consiste justement à avoir un plus grand nombre d'emplois dans ces petites entreprises depuis 20 ans, et ce que je viens de dire moi-même, c'est que la même tendance semble se manifester aux États-Unis. Si tel est donc le cas, il y aurait une évolution générale qui marque la structure industrielle.

L'autre question que vous avez soulevée vise à savoir s'il nous faut nous inquiéter du fait que nos petites entreprises ne seraient pas efficientes, ou encore s'il nous faut être heureux d'avoir des petites entreprises, car ce sont elles, les Microsoft de demain. Visiblement, les gens qui ont des divergences d'opinions là-dessus peuvent s'asseoir ensemble à la même table, ici même, par exemple, car les deux phénomènes se manifestent. Il y a des petites entreprises qui meurent à un moment donné, parce qu'elles sont trop petites, qu'elles ne sont pas assez efficientes, qu'elles n'arrivent simplement pas à s'en sortir. Il y en a d'autres qui croissent et qui deviendront des Microsoft de demain.

C'est un processus très dynamique; à n'importe quel moment donné, le tableau que l'on brosse n'est qu'un instantané photographique. Il y a de petites entreprises et il y a de grandes entreprises. En moyenne, les petites entreprises ne sont pas aussi productives que les grandes entreprises, mais il y en a un groupe dynamique qui croît et qui devient tout aussi productif, et il y en a un autre qui se meurt. La difficulté des mesures consiste essentiellement à déterminer l'importance relative de ces deux groupes, et ce que nous avons vraiment essayé de faire, c'est essayer de comprendre comment la productivité évolue au fil du temps.

M. Tony Valeri: Si nous comparons la productivité réelle de nos petites entreprises en comparaison avec celle des États-Unis, quel est le résultat?

M. John Baldwin: Je n'ai pas encore vraiment les chiffres de l'étude, ce qui me permettrait de tirer des conclusions définitives.

M. Tony Valeri: Merci.

Le président: Merci. Y a-t-il d'autres questions?

M. Sharpe, vous avez dit que la productivité du travail, et non pas la productivité totale des facteurs, représente le facteur déterminant de notre niveau de vie. Est-ce bien cela?

M. Andrew Sharpe: Oui. Je dis que, pour ce qui touche le PIB par habitant, qui sert à mesurer notre niveau de vie, c'est la productivité du travail qui compte. Bon, cela ne veut pas dire que la productivité totale des facteurs n'a pas d'importance. La clé, tout de même, c'est que l'investissement fait sous forme de capital accumulé, comme Rick en a déjà fait mention, est une variable cruciale de notre productivité du travail, mais lorsque nous avons un stock de capital plus grand, cela ne donne pas une productivité totale des facteurs plus grande, car le capital est un intrant.

Il existe donc une corrélation nettement plus forte entre notre niveau de vie et les tendances de la productivité du travail. La productivité du travail est également associée à un taux de croissance plus élevé que la productivité totale des facteurs, étant donné l'accroissement de la taille du stock de capital.

Pour ce qui est de ce dont vous discutez, il est donc très important d'insister sur la productivité du travail. Les économistes prisent la productivité totale des facteurs. C'est certainement plus élaboré, c'est une meilleure façon de mesurer l'efficience et l'utilisation des ressources, mais, du point de vue du grand public, je crois que la productivité du travail constitue vraiment la variable la plus importante qui soit.

Le président: Y a-t-il des observations là-dessus? Sommes-nous tous d'accord, ou encore est-ce que cela veut dire ce que cela veut dire?

M. Rick Harris: Non. Je tiens à le dire clairement: quand je parle de productivité, je parle de ce qui détermine la productivité totale des facteurs L'investissement est le principal déterminant de la productivité totale des facteurs. Un des meilleurs jeunes économistes du Canada, Jeremy Greenwood, qui a quitté le pays il y a trois ans et qui travaille maintenant à Rochester, a fait beaucoup de travaux là-dessus. À l'étude des données américaines de l'après-guerre, il attribue 60 p. 100 de la productivité totale des facteurs aux améliorations touchant la qualité des biens d'équipement. Et cela passe par l'investissement. L'investissement est donc important pour... Si vous gardez la qualité au même niveau et que vous faites augmenter la quantité de capital sans corriger du point de vue de la qualité, les travailleurs disposent de plus de capital pour travailler, et la productivité moyenne augmente.

Mais pour les gains dynamiques, la croissance de la productivité totale des facteurs, l'investissement constitue un important mécanisme d'intermédiation. Et, pour une bonne part, cela tient à des améliorations de la qualité des biens d'équipement, qui, encore une fois, donnent lieu à un horrible problème de mesure de la qualité avec lequel nous ne pouvons composer.

M. Steward Wells: Pour ce que cela vaut, je serais enclin à dire comme Rick que la productivité du travail est importante, mais on ne devrait pas se concentrer uniquement là-dessus.

• 1225

Le président: Monsieur Diewert.

M. Erwin Diewert: Je crois que Andrew a raison de dire que la productivité du travail concerne davantage le mandat de votre comité, c'est-à-dire de veiller sur le bien-être des Canadiens. Je crois que certains d'entre nous pensent qu'il est utile de diviser en deux la productivité du travail, l'élément productivité totale des facteurs et puis ce qui arrive au capital. S'il y a une bonne croissance, la productivité du travail va s'améliorer. Mais si on cherche un peu à décomposer le problème en deux parties, il y a des politiques divergentes pour les deux parties. On peut influer sur l'accumulation du capital en faisant jouer les leviers politiques par l'entremise de la fiscalité, mais il est très difficile d'influer sur la productivité totale des facteurs.

Le président: Nous passons beaucoup de temps à comparer les choses. Nous nous comparons aux Américains, nous comparons l'année 1970 à l'année 1990, nous comparons 1960 à 1974, etc. et ainsi de suite, mais voici tout de même l'essentiel: le fait que les taux augmentent ou baissent et que la productivité augmente ou baisse importe du point de vue historique, mais notre travail, au comité, c'est vraiment d'essayer d'améliorer notre productivité. Nous étudions certains des leviers à notre disposition à titre de législateur et de députés aux Communes. En dernière analyse, le secteur privé doit trouver les façons éventuellement plus efficientes de fournir les services, de fabriquer les produits, etc.

Si vous vous penchez sur les questions en jeu comme le commerce, la fiscalité, l'investissement dans la R-D et l'éducation, et le développement des ressources humaines, sans oublier ce que M. Harris a dit à propos de l'investissement dans le commerce et le développement des ressources humaines, si vous étiez membre du comité des finances, à quoi accorderiez-vous la priorité? Quelle serait la toute première chose que vous recommanderiez?

M. Erwin Diewert: Réduire les impôts.

M. Stewart Wells: À mon avis, à long terme, vous et les autres gens devriez vous concentrer sur la croissance du capital humain, sur les compétences, sur l'éducation. À cet égard, je suis d'accord avec Andrew. Il nous faut une population en santé. Il me semble que c'est le meilleur rôle que l'État puisse jouer dans tout cela.

Comme je l'ai dit au départ, je crois que d'autres l'ont dit aussi ce matin, j'ai beaucoup de difficulté à trouver les leviers que vous allez faire jouer. Certains diront qu'il faut réduire les impôts.

Le président: Ne croyez-vous pas que cela aiderait les choses?

M. Stewart Wells: Je ne crois pas que cela aidera beaucoup les choses, mais c'est certainement une question qu'on peut débattre.

Le président: N'êtes-vous pas d'avis que les impôts élevés dissuadent le travail ou l'investissement?

M. Stewart Wells: Il y a le débat qui vise à savoir si les impôts sur les sociétés au Canada sont vraiment plus élevés. Parlez-vous de l'impôt sur les sociétés ou de l'impôt sur le revenu des particuliers?

Le président: Je parle des deux.

M. Stewart Wells: L'impôt sur les sociétés en tant que portion de ce que prélève le gouvernement a augmenté ces quelques dernières années. Mais il y a eu un long déclin en ce sens, et nous ne sommes pas revenus au point de départ. J'ai de la difficulté à croire que les impôts représentent un problème particulier en ce moment.

M. David Slater: J'aimerais ajouter une chose. Durant la période où on lutte contre les déficits, l'idée de l'investissement public est un peu l'anathème. Je crois que le résultat, c'est que nous avons vraiment dilapidé notre capital public. À un moment donné, mon ancienne université a dû mettre des seaux pour capter les fuites d'eau du toit parce qu'il n'y avait pas assez d'argent pour faire les réparations. Lorsque l'argent manque, on lésine sur l'entretien. Le réseau routier de l'Ontario commence à peine à être revigoré, mais on a vraiment permis qu'il se dégrade considérablement. Si vous jetez un coup d'oeil sur nombre de nos installations, vous constatez que c'est vrai: il y en a trop d'une part, et pas assez, de l'autre. Mais je crois qu'il faut vraiment étudier avec soin l'état du capital public au pays et déterminer ce qu'il faut faire pour le remettre en état afin que les contributions soient efficaces.

• 1230

Le président: Monsieur Sharpe.

M. Andrew Sharpe: L'existence d'un environnement macro-économique propice est un des facteurs dont on n'a pas fait mention, et qui me paraît être très important pour une solide croissance de la productivité. Il est vrai que, durant les années 1990, la croissance de notre productivité a été inférieure à celle de la productivité américaine, et que nous avons un très piètre environnement macro-économique. Mais en raison des possibilités de rattraper les États-Unis, si nous avions eu durant les années 1990 un environnement macro-économique meilleur, je suis sûr que la croissance de notre productivité aurait été nettement supérieure à celle des États-Unis.

Encore une fois, nous devons penser à la demande. Or, une demande robuste est une condition préalable d'une bonne croissance de la productivité—ce qui veut dire l'apprentissage par la pratique, les économies d'échelle et, de plus en plus, les rendements d'échelle. Il me semble que ce n'est là que l'un des nombreux facteurs en jeu, mais il importe de ne pas perdre de vue l'importance de l'environnement macro-économique.

Le président: Monsieur Sharpe, êtes-vous d'avis que les conditions macro-économiques sont très bonnes en ce moment?

M. Andrew Sharpe: C'est certainement mieux qu'auparavant, car les taux d'intérêt ont baissé. On pourrait probablement encore voir une diminution des taux d'intérêt nominal. Comme le taux d'inflation est très bas en ce moment, nos taux réels ne sont pas encore si bas d'un point de vue historique.

Il y a aussi la question du déficit, de la part qui sert aux réductions d'impôt, qui ont un effet stimulant, puis les dépenses sur les biens et services, qui ont aussi un effet stimulant, par opposition, disons, au seul remboursement de la dette.

Sans doute, c'est nettement plus favorable qu'au début des années 90, moment auquel nous avions une politique monétaire très restrictive, et au milieu des années 90, moment où nous avions une politique financière très restrictive. Mais l'environnement pourrait probablement être plus stimulant.

Le président: Monsieur Epp.

M. Ken Epp: Au Canada, nous avons adopté l'habitude de redistribuer les gains. Nous prenons l'argent des individus qui le gagnent et nous le donnons à ceux qui ne le gagnent pas. C'est la même chose dans le cas des entreprises. Il y a de nombreuses entreprises au Canada qui sont simplement les bénéficiaires de la largesse gouvernementale, ce qui équivaut, encore une fois, à transférer l'argent de ceux qui le gagnent à ceux qui ne le gagnent pas. Est-ce là un facteur significatif qui joue sur la productivité?

M. Erwin Diewert: Ce serait le cas si le transfert en question était vraiment gros, mais d'après ce que j'en sais, les subventions aux entreprises ne représentent pas une grande part de notre PIB.

M. Ken Epp: Cela représente cinq milliards de dollars par année.

M. Erwin Diewert: Cela pourrait financer une belle réduction d'impôt, mais ce ne sera pas la solution à tous nos maux.

Le président: Quelqu'un a d'autres observations? Monsieur Orr.

M. Dale Orr: Si on regarde tout cela et que l'on demande ce que peut faire le gouvernement, on doit constater, je crois, que les réductions d'impôt figurent parmi les premiers éléments de la liste. En même temps, je ne souhaite pas exagérer les effets qu'auraient les réductions d'impôt, mais je crois qu'une réduction d'impôt nous mettrait sur le bon chemin. Les pouvoirs publics peuvent faire jouer tous les leviers. Ils peuvent s'efforcer de stimuler l'investissement, il y a des impôts qui peuvent inciter les gens à mieux s'éduquer et se former, et il y a des impôts qui peuvent faire augmenter le volume des échanges commerciaux en nous rendant plus concurrentiels. Il y a donc là une marge de manoeuvre.

Autre élément dont il n'a pas été question et qui mérite d'être mentionné, à mon avis, c'est qu'on ne prête pas suffisamment d'attention, au Canada, à ce qui peut être fait pour que l'ensemble des inventions nouvelles, des brevets, de tout ce qui se passe dans le monde soit adopté dès que possible dans les usines du Canada, pour que nous adoptions les meilleures pratiques techniques, et pour que nous nous organisions pour que cela se fasse avec efficience. On ne prête vraiment pas assez d'attention au mouvement technologique et on n'essaie pas vraiment de tirer le meilleur parti de ce qui existe.

Au gouvernement, les gens s'appliquent relativement plus à essayer de stimuler la R-D et à créer des emplois dans leur circonscription en faisant en sorte que les gens de l'endroit s'occupent de cette R-D. Nous pourrions doubler ou tripler la quantité de R-D qui se fait au Canada, et cela ne représenterait encore qu'une infime fraction de l'ensemble des éléments technologiques à la disposition des usines et des travailleurs du Canada. Je crois que nous devons prêter une attention nettement plus grande au processus de transfert technologique.

Le président: Merci, monsieur Orr.

Au nom du comité, je vous remercie au plus haut point. C'était le premier débat. Vous nous avez certainement aidés à mieux envisager le défi que nous pose la définition de la productivité. Vous nous avez situé la question dans son contexte historique en ce qui concerne le Canada et avez porté à notre attention les questions clés qui se rapportent au défi particulier que nous devons relever.

Demain, nous étudierons la nature changeante du travail; l'impact sur la productivité; la nature de la productivité, par exemple, dans le secteur des services; et l'impact de la technologie, c'est-à-dire certaines des questions dont nous avons déjà discuté.

• 1235

Voilà un excellent départ à notre exercice. Nous sommes tout à fait conscients du fait que cette question est très difficile, mais c'est une question qui, à mon avis, mérite l'attention du comité et celle du grand public au Canada.

Merci.

La séance est levée.