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FINA Réunion de comité

Les Avis de convocation contiennent des renseignements sur le sujet, la date, l’heure et l’endroit de la réunion, ainsi qu’une liste des témoins qui doivent comparaître devant le comité. Les Témoignages sont le compte rendu transcrit, révisé et corrigé de tout ce qui a été dit pendant la séance. Les Procès-verbaux sont le compte rendu officiel des séances.

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STANDING COMMITTEE ON FINANCE

COMITÉ PERMANENT DES FINANCES

TÉMOIGNAGES

[Enregistrement électronique]

Le jeudi 28 mai 1998

• 1117

[Traduction]

Le président M. Maurizio Bevilacqua (Vaughan—King—Aurora, Lib.): Je voudrais ouvrir la séance et souhaiter la bienvenue à tout le monde.

Comme vous le savez, notre ordre du jour, conformément à l'article 108(2) du Règlement est d'étudier le rapport sur la politique monétaire publié en mai 1998 par la Banque du Canada.

J'en profite donc pour souhaiter la bienvenue au gouverneur, M. Gordon Thiessen ainsi qu'aux sous-gouverneurs Charles Freedman et Paul Jenkins.

Comme vous le savez, après vos observations préliminaires, nous passerons à une période des questions.

Bienvenue, monsieur le gouverneur.

M. Gordon Thiessen (gouverneur, Banque du Canada): Merci beaucoup, monsieur le président.

Je dois dire que mes collègues et moi-même sommes heureux de l'occasion qui nous est offerte de nous présenter devant votre comité, à la suite de la publication de notre rapport semestriel sur la politique monétaire, pour aborder avec vous diverses questions d'ordre économique et monétaire. De façon plus générale, le rapport que nous publions tous les six mois et des séances comme celles-ci nous permettent de rendre compte des mesures que nous prenons et des résultats obtenus.

Avant de traiter du rapport sur la politique monétaire qui vient de paraître, j'aimerais dire quelques mots sur l'objectif de la politique monétaire. En février dernier, le gouvernement et la Banque du Canada ont réaffirmé conjointement que c'est en continuant à mettre l'accent sur la maîtrise de l'inflation que la politique monétaire peut le mieux contribuer à la bonne tenue de l'économie. Le maintien de l'inflation à un bas niveau favorise la prise de décisions économiques judicieuses par les entreprises et les particuliers et aide à atténuer les variations cycliques des revenus et de l'emploi. Dans l'annonce qui a été faite en février, il a donc été précisé que la période d'application de la fourchette cible de maîtrise de l'inflation, qui va de 1 à 3 p. 100, a été prolongée jusqu'à la fin de 2001.

[Français]

Permettez-moi de rappeler que les effets de la politique monétaire se font sentir sur l'économie seulement après de longs délais. C'est pourquoi les responsables de la politique monétaire doivent prendre des décisions prospectives, donc fondées sur des projections concernant un avenir forcément incertain pour atteindre nos cibles de maîtrise de l'inflation.

• 1120

[Traduction]

Depuis la publication de votre dernier rapport en novembre 1997, il s'est produit, sur la scène nationale et internationale, un nombre inhabituel d'événements imprévus qui ont eu d'importantes conséquences économiques et financières au pays. Il s'agit notamment de la crise en Asie, de la baisse des prix des produits de base et de la faiblesse persistante de l'économie japonaise. Au Canada, il convient de mentionner la grève des enseignants ontariens et la grève nationale des postes, ainsi que la tempête de verglas qui s'est abattue sur l'est du pays en janvier. Tout ceci a eu des répercussions sur notre économie.

Aux États-Unis, l'économie a été beaucoup plus robuste que prévue et on a annoncé ce matin des prévisions à la hausse concernant les estimations de croissance économique pour le premier trimestre.

Ces événements ont engendré une incertitude plus forte que d'habitude face aux perspectives économiques. Tout bien considéré, l'économie devrait continuer de suivre une trajectoire de forte croissance, mais à un rythme moins rapide qu'en 1997.

Malgré les répercussions de la crise asiatique, notre économie est aidée par la vigueur de l'économie américaine et par les conditions monétaires expansionnistes. Quant à l'inflation, on s'attend qu'elle se maintienne à l'intérieur de notre fourchette cible de 1 à 3 p. 100.

[Français]

Même si l'incertitude entourant les perspectives est plus grande que d'habitude, les risques à cet égard nous semblaient s'équilibrer au moment de la rédaction du rapport paru ce mois-ci. Depuis, il y a eu certains signes d'accélération de l'activité économique, mais pas assez importants pour que nous révisions notre évaluation globale de la situation économique.

[Traduction]

De telles perspectives signifient donc que l'économie devrait atteindre un niveau proche de la pleine capacité au cours de l'année 1999. Comme nous l'avons signalé dans le rapport, cette évolution nous a donné à penser que, si aucun nouveau choc ne se produit, les conditions monétaires devraient dans l'ensemble se maintenir, au cours des six prochains mois, à l'intérieur de la fourchette où elles se sont situées récemment.

Je tiens à souligner qu'il s'agit-là du jugement que nous portons à l'heure actuelle sur le niveau approprié des conditions monétaires. Il s'agit de donner aux Canadiens une idée de l'avenir mais s'il se produisait des chocs externes d'ordre économique ou financier ou si l'économie affichait plus ou moins de vigueur de ce que nous constatons actuellement, il est évident que nous réviserons cette évaluation.

J'aimerais aussi rappeler que nous entendons par conditions monétaires l'effet conjugué des taux d'intérêt à court terme et du taux de change. Étant donné qu'il pourrait y avoir encore assez d'incertitude cette année, les conditions monétaires pourraient continuer d'afficher des fluctuations relativement importantes, comme cela a été le cas récemment.

[Français]

Dans six mois, si l'économie demeure fondamentalement aussi forte qu'on le prévoit maintenant, des conditions monétaires moins expansionnistes pourraient s'imposer à mesure que l'économie se rapprochera des limites de sa capacité et réalisera son plein potentiel.

[Traduction]

Je tiens à souligner l'importance qu'il y a à veiller à ce que notre économie atteigne sa pleine capacité d'une façon graduelle et soutenable. Nous avons appris, au cours des 25 dernières années, que prendre des risques susceptibles de provoquer une surchauffe inflationniste signifie aussi courir le risque de plonger l'économie dans une grave récession, qui s'ensuivrait inévitablement. C'est en maintenant l'économie sur la voie d'une croissance non inflationniste et durable que nous réaliserons les meilleurs gains, au chapitre des revenus et de l'emploi, que notre économie est capable de produire.

Merci, monsieur le président. Nous sommes prêts à répondre à vos questions.

Le président: Merci beaucoup, monsieur le gouverneur.

Nous commencerons par M. Loubier.

• 1125

[Français]

M. Yvan Loubier (Saint-Hyacinthe—Bagot, BQ): Bonjour, monsieur Thiessen.

L'été dernier, lors d'une allocution que vous faisiez devant des gens d'affaires à Toronto, si ma mémoire est bonne, vous disiez que la seule chose qui préoccupait la Banque du Canada, c'était l'inflation. Ensuite, l'automne dernier, vous vous êtes ravisé en disant que c'étaient à la fois l'inflation et les fluctuations du dollar canadien qui vous préoccupaient. Vous aviez aussi dit à ce moment-là que vous interviendriez avec vigueur si le dollar canadien baissait. Or, au début de l'année, le dollar canadien a connu trois planchers, et vos interventions n'ont pas été d'une très grande vigueur. On a quelquefois de la difficulté à vous suivre au niveau de la politique monétaire et également au niveau de différentes déclarations contradictoires.

Pourriez-vous préciser l'objectif ou les objectifs de la Banque du Canada? Comment expliquez-vous qu'il y ait dans vos déclarations certaines contradictions qui ont parfois des impacts sur les marchés monétaires et sur les actions posées par les spéculateurs?

M. Gordon Thiessen: Nous avons un seul objectif: c'est le contrôle de l'inflation. C'est parce qu'un taux d'inflation très bas encourage une meilleure performance de notre économie. Cependant, le taux de change a des effets très importants sur l'économie. Il faut regarder de très près ce qui se passe au niveau du taux de change et de ses effets sur l'économie. On n'a pas de cible pour le taux de change, mais quand le taux de change a des effets sur l'économie, par exemple quand il influence le taux d'inflation ou la croissance de l'économie, il faut tenir compte de ces effets. Mais c'est seulement cela. Le taux de change a une influence importante, mais les cibles sont seulement le taux d'inflation et le comportement de l'économie.

M. Yvan Loubier: En parlant de cibles, monsieur Thiessen, cette année, à au moins une occasion, le taux d'inflation, mesuré selon vos différents indices, a été inférieur à 1 p. 100. Vous en arrivez à 1,2 p. 100 à l'heure actuelle, si ma mémoire est bonne, mais les estimations valent ce qu'elles valent, en ce sens qu'il y a toujours dans ces estimations des variations qui pourraient faire en sorte que le taux d'inflation soit même inférieur à 1 p. 100 à l'heure actuelle.

L'année dernière, je vous posais la question et je vous la pose à nouveau cette année, parce que mes craintes peuvent être un peu plus fondées cette année. La perspective d'une déflation ne vous effraie-t-elle pas un peu? Chaque fois qu'on est dans la portion inférieure de la fourchette—entre 1 et 3 p. 100—, on risque de sombrer dans une déflation très grave, peut-être plus grave que ne peut l'être une inflation de 4 ou 5 p. 100. Le fait de toujours être à 1 p. 100, comme c'est le cas depuis un an, ne vous effraie-t-il pas?

M. Gordon Thiessen: Quand le taux d'inflation était en bas de 1 p. 100, c'était parce qu'il y avait des effets temporaires sur le taux d'inflation. J'oublie quels étaient les facteurs, mais notre prévision quant au taux d'inflation est qu'il va rester à l'intérieur de notre fourchette cible. On ne voit pas un taux d'inflation en bas de 1 p. 100. Cependant, il faut toujours regarder la situation. Quand le taux d'inflation est trop élevé, il faut réagir et quand le taux d'inflation est trop bas, il faut également réagir. Pour le moment, on ne pense pas qu'il y ait une grande possibilité de déflation, particulièrement parce que notre grand partenaire, les États-Unis, est dans une situation où la demande globale dans son économie est très, très forte. Il y a là un risque d'augmentation de l'inflation et non de déflation. Si les Américains connaissent une augmentation de leur taux d'inflation, cela aura des effets au Canada. Je ne pense pas qu'il y ait un grand risque de déflation au Canada.

• 1130

M. Yvan Loubier: Je sais que vous êtes un homme extrêmement prudent. La prudence n'exigerait-elle pas que le taux d'inflation soit un petit peu plus élevé à l'intérieur de la fourchette, si on veut respecter la fourchette, pour éviter une déflation qui serait très grave? Étant donné l'évolution de l'indice des prix à la consommation, si les investisseurs se retrouvent devant une perspective de croissance négative des prix, ils n'investiront plus et l'emploi qu'on devrait normalement créer ne se créera pas. La spirale déflationniste, on ne l'a jamais vécue. Pour ma part, je ne me rappelle pas qu'on ait vécu une déflation importante dans l'histoire, même du monde, mais cela me préoccupe énormément. Cela fait un an que je vous pose la question, et vous dites que vous êtes prudent et que vous vérifiez périodiquement l'évolution des prix, mais la sagesse et la prudence commanderaient probablement que l'inflation soit plus élevée qu'elle l'est à l'heure actuelle, même étant donné la situation américaine. On a une situation bien particulière au Canada, où les taux d'intérêts réels sont inférieurs à ceux qu'on retrouve aux États-Unis. En tout cas, cela me préoccupe.

Pourquoi n'y aurait-il pas moyen au Canada, comme on le fait aux États-Unis, d'avoir une politique monétaire qui soit axée non seulement sur la lutte à l'inflation, mais aussi sur des préoccupations au niveau de l'emploi? Ne devrait-on pas rechercher un équilibre entre le taux d'inflation et le taux de chômage? Aux États-Unis, l'inflation est plus élevée qu'au Canada, c'est bien sûr, mais il y a une stabilité des prix, sans qu'il y ait de cible inflationniste comme telle, et le taux de chômage est beaucoup plus faible qu'il l'est ici. Pourquoi, à la Banque du Canada, est-on fermé à ce genre d'approche?

M. Gordon Thiessen: Pour ce qui est de votre première question, nous prévoyons que l'économie canadienne, comme je l'ai dit, va approcher sa pleine capacité l'année prochaine. Dans ce cas-là, le taux d'inflation risque de monter et non de descendre. La dépréciation récente du taux de change aura aussi un effet sur les prix au Canada. Pour ces deux raisons, je pense qu'il n'y a pas un très grand risque que le taux d'inflation tombe sous la borne inférieure de notre fourchette cible.

Pour ce qui de votre deuxième question, quand on regarde la situation aux États-Unis, on voit qu'il y a à la fois une baisse de l'inflation et une baisse du taux de chômage. Ils ont le meilleur taux de chômage depuis les années 1960. Pendant les années 1960, il y avait un taux d'inflation très bas aux États-Unis. Les deux vont ensemble. Il n'y a pas vraiment une sorte d'arbitrage entre le chômage et l'inflation.

Je crois qu'au Canada, on a maintenant la possibilité d'avoir un taux de chômage beaucoup plus bas qu'actuellement parce qu'on a un taux d'inflation aussi bas. Au Canada, pendant les années 1960, on avait un taux de chômage très bas, mais aussi un taux d'inflation très bas. Je crois que les deux vont ensemble.

[Traduction]

Le président: Merci, monsieur Loubier.

Monsieur Harris.

M. Dick Harris (Prince George—Bulkley Valley, Réf.): Merci, monsieur le président.

Bienvenue, monsieur Thiessen, et bienvenue à ceux qui vous accompagnent. Je suis très heureux que vous soyez ici car j'ai quelques questions à vous poser depuis un certain temps.

La première est la suivante. Nous avons dû plusieurs fois aller à la rescousse de notre dollar pour l'empêcher de sombrer davantage. À votre avis, à quel niveau tomberait actuellement le dollar si l'on ne le soutenait pas? Autrement dit, si nous ne soutenions pas le dollar, quelle serait actuellement sa valeur?

• 1135

M. Gordon Thiessen: Ma foi, on ne peut parler de dollar soutenu ou non soutenu. La réalité est qu'il existe toujours une politique monétaire et qu'au Canada celle-ci doit tenir compte de l'incidence du taux de change sur l'économie.

Le taux de change va toujours refléter cela. On ne peut donc vraiment pas penser—ce n'est pas une expérience que l'on peut imaginer—à ce qui arriverait si d'une façon ou d'une autre il n'y avait pas de politique monétaire; quel serait le taux de change? Je ne pense pas que ce soit une façon très utile de considérer les choses.

Pour ce qui est d'étayer le dollar, nous n'avons pas de cible particulière. Nous avons un système de taux de change flottant, mais, comme je l'expliquais, au Canada, la politique monétaire consiste à maintenir un faible taux d'inflation selon une fourchette établie.

Nous estimons que c'est dans l'ensemble le meilleur soutien à long terme que nous puissions apporter au taux de change. Il ne s'agit pas de consolider ou de ne pas consolider mais simplement de suivre une bonne politique de faible taux d'inflation à long terme sachant que cela finira par être bon pour notre devise.

M. Dick Harris: Merci.

J'aimerais m'arrêter un instant sur la question de l'inflation. Dans le passé, certains ont prétendu qu'en réduisant les impôts en période de forte croissance économique, on commettait une erreur étant donné que la banque centrale serait probablement obligée de relever les taux d'intérêt pour freiner les pressions inflationnistes et ainsi l'augmentation des dépenses à la consommation.

Toutefois, nous avons remarqué que l'on a effectué d'importantes réductions d'impôts en Ontario, par exemple, sans que cela n'entraîne une forte augmentation des taux d'intérêt ni du taux d'inflation. Sachant que cette province représente environ la moitié de notre population, pourriez-vous nous dire pourquoi, à votre avis, la réduction des impôts en Ontario n'a pas provoqué de fortes hausses des taux d'intérêt ni d'inflation?

M. Gordon Thiessen: Le fait est que la politique monétaire doit tenir compte de tout ce qui se passe dans l'économie. Il ne s'agit pas d'une chose en particulier. Il faut considérer ce que sera à l'avenir le niveau de la demande considérée dans son ensemble.

Il faut donc considérer ce qui se passe dans le secteur privé, dans le secteur public et à l'étranger. On regarde tout cela et si l'on se trouve à la banque centrale, on se pose la question suivante: «est-ce que toute cette demande risque de signifier que l'économie canadienne va fonctionner à pleine capacité ou à un niveau inférieur, ou peut-on envisager des pressions inflationnistes?

C'est ce à quoi réagit la banque centrale. Elle ne réagit à aucun autre indicateur pris isolément. Par exemple, il peut y avoir des cas où il y a une augmentation énorme de l'investissement dans le secteur privé. Cet investissement est si considérable que l'économie canadienne n'est pas en mesure d'absorber d'un seul coup cette augmentation de la demande. En pareille circonstance, nous resserrons la politique monétaire pour faire disparaître cette pointe afin d'éviter une bulle inflationniste.

Par ailleurs, s'il y a, pour une raison ou pour une autre, une expansion rapide au niveau budgétaire qui vienne s'ajouter à la vigueur du secteur privé, l'effet combiné des deux doit être pris en compte par la banque centrale.

On ne peut donc pas dire: «Si nous faisons ceci, vous ferez cela». Il faut prendre en compte tous les indicateurs économiques en même temps.

M. Dick Harris: Merci.

Je me demande si vous ne pourriez pas nous donner votre sentiment sur la différence de performances économiques entre l'Ontario et la Colombie-Britannique. L'économie de l'Ontario a cru à un rythme d'environ 5,2 p. 100 en 1997, et on prévoit que ce taux de croissance se maintiendra, tandis que l'on craint actuellement que la Colombie-Britannique n'entre en récession.

À votre avis, y a-t-il des facteurs autres que la crise financière en Asie qui puissent expliquer cette différence?

Ensuite, si la politique fédérale est responsable en grande partie du taux de croissance robuste de l'économie de l'Ontario, pourrait-elle aussi être responsable de l'anémie de l'économie de la Colombie-Britannique?

M. Gordon Thiessen: Eh bien, j'estime que le cours des matières premières a une très grande importance à l'heure actuelle en Colombie-Britannique. L'économie de cette province est encore largement dépendante du cours des matières premières, et cela a un effet important.

• 1140

Je vous avoue avoir du mal à répondre à la deuxième partie de votre question. Il m'est difficile de me prononcer. La plupart des questions concernant la fiscalité, l'ampleur des dépenses publiques, etc., tendent à faire sentir leurs effets sur de très longues périodes. Voilà pourquoi j'hésite à commenter.

Il ne faut pas oublier non plus que l'économie de la Colombie-Britannique a eu une période de très forte croissance tandis que celle de l'Ontario a connu un creux assez difficile au début des années 90, mais elle s'en sort assez bien.

Pour l'instant, je dirais que la grande différence est imputable surtout à la crise en Asie et au cours des matières premières.

Le président: Avez-vous d'autres questions, monsieur Harris?

M. Dick Harris: Merci, non.

Le président: Je vais donner la parole à M. Nystrom.

M. Norm Nystrom (Qu'Appelle, NPD): Merci.

J'aimerais souhaiter la bienvenue ce matin à M. Thiessen, qui comme moi est de la Saskatchewan, et à ses collègues.

J'aimerais vous poser des questions portant essentiellement sur le chômage. Le taux de chômage dans notre reste, malgré tous les efforts, à un niveau très élevé comparativement au taux enregistré aux États-Unis et dans d'autres pays.

J'aimerais savoir dans quelle mesure cet indicateur est pris en compte dans la formulation des décisions relatives à la politique monétaire. J'aimerais vous interroger sur tout ce qu'on appelle le «taux de chômage à inflation stationnaire», TCIS, et sur l'importance qu'il a. Pouvez-vous expliquer au comité ce que serait le TCIS cible?

En outre, je tiens aussi à dire que Nesbitt Burns a publié récemment un rapport selon lequel le taux de chômage naturel dans notre pays est de 7,5 p. 100, la fourchette allant de 5,5 en Ontario à 16,5 à Terre-Neuve.

On pourrait dire alors qu'il y a plein emploi en Saskatchewan, en Alberta et au Manitoba.

Quel est le taux de chômage naturel? Utilisez-vous ce genre de modèles pour formuler la politique de la Banque du Canada? Pouvez-vous nous dire ce qu'ils sont? Pouvez-vous nous parler un peu plus longuement du TCIS et de l'utilisation que vous faites de ces modèles pour formuler des politiques dont les conséquences sont ressenties par tous les Canadiens?

M. Gordon Thiessen: Eh bien, comme je viens de l'expliquer, nous devons tenir compte en même temps de tous les indicateurs économiques. Nous tentons de déterminer quand l'économie atteint son niveau de pleine capacité.

Cela est fonction de tous les facteurs qui contribuent à l'économie, pas uniquement la main-d'oeuvre mais aussi le capital, l'entreprenariat—tous les indicateurs. Nous pensons que c'est la seule façon sensée de procéder.

En ce qui a trait au taux de chômage à inflation stationnaire, il est très difficile de déterminer ce qu'il est. Ce modèle comporte une marge d'erreur très grande. Nous n'utilisons pas cet indicateur lorsque nous formulons la politique. Nous n'avons fixé aucune cible.

D'ailleurs, je crois que ce serait tout à fait inapproprié de fixer une cible parce que, si l'on se trompe, cela peut entraîner une surchauffe inflationniste ou une profonde récession. Étant donné qu'il est très difficile de déterminer cet indicateur, pourquoi en tiendrait-on compte lors de l'élaboration de la politique. Nous ne le faisons pas, nous ne l'avons jamais fait.

Et d'ailleurs, si vous voyez une estimation de la valeur de cet indicateur, je vous conseille d'y ajouter une large marge d'incertitude.

M. Lord Nystrom: Oui. Je voulais tout simplement savoir si vous utilisiez les modèles et les projections.

Pouvez-vous nous dire, dans un premier temps, ce que serait le taux de plein emploi? Faites-vous de tels calculs à la banque? Quel est le taux de plein emploi et pourquoi l'écart est-il si grand entre notre pays et les États-Unis? Si le taux de chômage baissait de trois ou quatre points l'an prochain ou d'ici deux ans, est-ce que cela relancerait l'inflation?

Pouvez-vous nous donner une meilleure idée de la philosophie de la banque en ce qui a trait à cette importante question? C'est un sujet qui préoccupe encore vivement un grand nombre de Canadiens...

M. Gordon Thiessen: Absolument,

M. Lorne Nystrom: ... à l'extérieur de quelques régions où l'économie se porte bien.

M. Gordon Thiessen: Je crains que nous ne soyons obligés d'être très agnostiques quant au plus faible taux de chômage que nous pourrons atteindre. Il y a eu un si grand nombre de changements dans notre économie au cours de ces dernières années.

Il y a eu énormément de restructuration dans l'économie canadienne. Il y a eu d'importants progrès technologiques. Les entreprises canadiennes se sont ouvertes à la concurrence et au commerce international.

Il y a eu d'énormes changements dans notre économie. Cela étant, j'estime qu'il est incroyablement difficile de dire aujourd'hui quel pourrait être le plus faible taux de chômage que nous pourrions atteindre.

• 1145

Or, l'attrait de cette politique que nous avons adoptée et qui a pour objet de maintenir un taux d'inflation faible, c'est qu'elle vous permet d'avoir cette position comme l'ont fait les Américains au cours de ces dernières années.

Quand les Américains ont relancé la croissance de leur économie, la plupart des gens croyaient que le meilleur taux de chômage envisageable serait de 6 p. 100. Mais ils ont continué à surveiller le taux d'inflation et tant qu'il était à la baisse, il a été possible de permettre de nouvelles expansions de la demande dans l'économie, et le taux de chômage atteint maintenant 4,3 p. 100.

Nous ne savons pas s'ils réussiront à maintenir ce taux sur une longue période, mais j'estime qu'en continuant de surveiller le taux d'inflation, ils ont réussi à obtenir les meilleurs résultats en 25 ans pour ce qui est du chômage.

Je me plais à croire que nous pouvons en faire autant. Quant à vous dire jusqu'où baissera le taux de chômage, je n'en sais rien. Si vous aviez demandé aux États-Unis il y a trois ans: «Pouvez-vous atteindre les 4 p. 100?», on vous aurait répondu: «Vous rêvez».

M. Lorne Nystrom: Vous avez dit plus tôt que dans les années 60, nous avions un très faible taux d'inflation et un faible taux de chômage.

M. Gordon Thiessen: C'est exact.

M. Lorne Nystrom: Je me trompe peut-être, vous pourrez me le dire, mais il me semble que l'objectif de la banque à l'époque c'était d'avoir un faible taux de chômage et un faible taux d'inflation.

La différence aujourd'hui, c'est que vous accordez toute l'importance à l'inflation, qui est devenue votre objectif premier. Vous avez même répété ce matin qu'il nous faut un faible taux d'inflation, et vous semblez oublier l'emploi.

Cela ne reflète-t-il pas un changement dans la philosophie de la banque centrale depuis 30 ans? N'est-ce pas pour cette raison que dans les années 60 le taux de chômage était plus faible, comme l'était d'ailleurs le taux d'inflation, tandis qu'aujourd'hui nous avons tout le contraire, un taux d'inflation faible mais un taux de chômage qui reste obstinément très élevé?

M. Gordon Thiessen: Non, je dirais que c'est même tout le contraire.

À la fin des années 60, et au début des années 70, nous avons commis une erreur en ne surveillant pas le taux d'inflation. À un certain moment, nous pensions qu'il y avait là un choix à faire. Ce faisant, nous avons commis une grave erreur et nous nous sommes retrouvés avec un taux d'inflation considérablement plus élevé et un taux de chômage qui n'avait pas diminué. D'ailleurs, pendant les années 70 et jusqu'au début des années 90, nous avions à la fois une inflation plus forte et un taux de chômage plus élevé, les indicateurs ayant connu une progression à la hausse jusqu'au début des années 80.

Ainsi, lorsque nous nous tournons vers les années 60 pour essayer d'en tirer des leçons, nous devons conclure qu'il est possible de faire durer plus longtemps une période d'expansion économique quand on maîtrise le taux d'inflation. Par ailleurs, il est plus probable que le taux de chômage baisse lui aussi.

Il est intéressant de noter que pendant toute la période de croissance de l'économie américaine, le taux de chômage a continué de reculer. Plus la période d'expansion est longue, mieux c'est pour tout le monde.

M. Lorne Nystrom: Ma dernière question porte sur l'établissement des cibles d'inflation. Comment vous y prenez-vous? En février 1991, vous visiez le milieu d'une fourchette comprise entre 1 et 3 p. 100. En décembre 1993, vous avez prolongé la fourchette cible jusqu'en 1998 et, en février dernier, vous l'avez de nouveau prolongée jusqu'à la fin de 2001. Comment vous y prenez-vous, et pourquoi avoir choisi ce taux?

J'aimerais ensuite savoir qui choisit le taux? Le faites-vous à titre de gouverneur de la banque, de concert avec vos collègues qui sont là pour vous conseiller, ou est-ce le ministre des Finances, ou encore vous deux ensemble?

M. Gordon Thiessen: Nous le faisons ensemble d'un commun accord. C'était le cas en 1991, et aussi en décembre 1993, et encore en février 1998.

Nous étudions les données, nous faisons les calculs, et nous nous demandons: Y a-t-il une erreur de mesure du taux d'inflation dont nous devons tenir compte; y a-t-il certaines rigidités?

Ce que nous avons dit ici, c'est que nous devons maintenir un faible taux d'inflation pour une certaine période et voir si c'est une politique fructueuse. Cela décidé, nous déterminons ensuite quels doivent être les objectifs à long terme.

Et c'est ce que nous avons décidé, que nous devrions...

M. Lorne Nystrom: Comment choisissez-vous le chiffre? Pourquoi une fourchette comprise entre 1 et 3 p. 100 plutôt qu'entre 0,5 et 2,5 p. 100, ou 4 et 6 p. 100?

M. Gordon Thiessen: C'est essentiellement parce que nous examinons les erreurs de mesure, et elles semblent être de l'ordre de 0,5 à 0,7 p. 100. Ensuite, on se dit qu'il y a longtemps que les taux d'inflation n'ont pas été très faibles et que nous ne savons pas au juste quelle sera l'évolution de l'économie.

On établit donc une fourchette. Quand on dépasse les 3 p. 100, compte tenu de l'effet des intérêts composés sur l'effet composé de taux d'inflation constamment élevés, cela érode très rapidement les revenus fixes.

C'est donc une sorte de compromis, mais pour l'instant, c'est relativement arbitraire.

• 1150

M. Lorne Nystrom: Est-ce que vous tenez compte des variations régionales? Par exemple, si l'Ontario continue dans la même voie, le taux de chômage va continuer à baisser peut-être pendant deux ans encore. L'économie va alors se comporter comme celle des États-Unis en ce qui concerne le taux d'inflation du chômage. Vous avez ensuite l'Atlantique, y compris Terre-Neuve, qui a besoin de beaucoup d'aide, de tous les stimulants qu'on peut lui donner.

Quelle est l'importance de ces variations régionales? L'Ontario occupe une telle place, avec 38 p. 100 de la population du pays et presque la moitié de l'économie. Pour les gens de Terre-Neuve, ces variations régionales ont une extrême importance, mais Terre-Neuve est une toute petite partie du pays. D'ailleurs, ce n'est pas seulement Terre-Neuve, il y a d'autres régions où le taux de chômage est très élevé.

Quelle est l'importance de ces facteurs régionaux? S'il vous plaît, rassurez-moi et dites-moi que vous ne voyez pas le monde à travers les prismes situés sur le toit de la Banque du Canada, des prismes orientés uniquement sur Toronto, ou que vous ne voyez pas le monde de la tour du CN. Le monde, ce n'est pas seulement cela. Quand on vient d'une petite ville de Saskatchewan, on sait cela.

M. Gordon Thiessen: Il ne peut y avoir qu'une seule politique monétaire au Canada.

M. Lorne Nystrom: Je le sais, mais quelle importance donne-t-on à ces facteurs lorsqu'on détermine cette politique?

M. Gordon Thiessen: Il n'y a pas deux façons de procéder; il faut baser cette politique sur la moyenne nationale. Cela dit, c'est très intéressant; à la fin des années 80, on avait l'impression, vous vous en souviendrez, que c'était le sud de l'Ontario qui exerçait toutes les pressions sur l'inflation. Partout ailleurs, les choses semblaient assez calmes. Il y avait remarquablement peu de différence entre les taux d'inflation dans le reste du pays, remarquablement peu de différence. La différence entre les taux de l'inflation dans la région de l'Atlantique et en Ontario était tellement minime qu'elle était difficile à déceler. En fait, la seule différence qu'on pouvait vraiment voir, c'était quand les gouvernements provinciaux relevaient ou abaissaient le taux de leurs taxes de vente.

M. Lorne Nystrom: À propos de votre conseil d'administration. Pouvez-vous me dire dans quelle mesure ces membres représentent la réalité du pays, pas seulement géographiquement, mais également les diverses couches de la population ou les différents secteurs d'entreprise, les réalités démographiques, les mouvements syndicaux, les mouvements agricoles, les entreprises, les petites entreprises, etc.?

L'orientation d'une entité ou d'une compagnie dépend dans une large mesure de son conseil d'administration. Moi qui suis d'une petite province de l'Ouest, je me pose des questions à ce sujet depuis des années.

M. Gordon Thiessen: Évidemment, c'est le gouvernement en place qui nomme les membres du conseil. Chacun des membres est nommé pour une période de trois ans, si bien que nous, à la Banque du Canada, ne nommons pas les gens qui sont chargés de surveiller nos activités.

M. Lorne Nystrom: Je sais cela.

M. Gordon Thiessen: Nous avons des administrateurs de toutes les provinces, deux de l'Ontario, deux du Québec. Je ne me souviens pas de ce qu'ils font tous; il faudrait que je m'informe.

Je sais que notre administrateur de la Colombie-Britannique est dans le secteur des produits forestiers, celui de l'Alberta appartient à une firme d'avocats, mais il s'occupe très activement du secteur des télécommunications au niveau local. En ce moment, nous n'avons pas d'administrateur de la Saskatchewan, car il est en train de décider de la structure future du système financier canadien.

M. Lorne Nystrom: Harold MacKay.

M. Gordon Thiessen: Oui. Celui du Manitoba est un comptable agréé à la retraite, qui a été incroyablement actif dans toutes sortes de milieux au Manitoba.

En Ontario, nous avons un administrateur de Sudbury qui est avocat mais qui a travaillé pendant de nombreuses années pour Ontario Hydro. L'autre administrateur pour l'Ontario est Judith Maxwell, que vous devez tous connaître.

Du Québec, nous avons Raymond Garneau, qui est dans les assurances, et Paul Massicotte, un promoteur.

Au Nouveau-Brunswick, nous avons Aldéa Landry, qui est avocate. Elle est très active dans le secteur social au Nouveau-Brunswick. En Nouvelle-Écosse, Bernie Boudreault, qui, encore tout récemment, était au Parlement. À l'Île-du-Prince-Édouard, Barbara Stevenson, une avocate. À Terre-Neuve, nous avons Winston Baker, qui vient de quitter un poste au gouvernement de Terre-Neuve.

M. Lorne Nystrom: Oui, qui est le frère d'un de nos collègues.

À propos de la proportion de représentants des deux sexes, pensez-vous que le ministre des Finances a bien réussi à refléter la réalité démographique?

M. Gordon Thiessen: Probablement mieux que beaucoup d'autres entités. À l'heure actuelle, il y a trois femmes sur douze dans notre conseil d'administration.

M. Lorne Nystrom: D'accord.

Le président: Merci, monsieur le gouverneur.

Monsieur Brison.

• 1155

M. Scott Brison (Kings—Hants, PC): Merci, monsieur Thiessen. J'apprécie votre présence parmi nous aujourd'hui.

Ma première question porte sur l'euro et l'incidence qu'il pourrait avoir sur le dollar canadien. Depuis le Traité de Maastricht, l'Europe a déployé de grands efforts pour instaurer un semblant de similarité entre les diverses structures financières, pour aligner les éléments fondamentaux des diverses économies.

Par exemple, au Canada, nous continuons à déplorer un ratio dette/PIB extrêmement élevé. Le critère dette/PIB établi à Maastricht était, je crois, de 60 p. 100. Il y a des provinces canadiennes, comme la Nouvelle-Écosse, ma propre province, où le ratio dette/PIB est de 97 p. 100. On voit donc qu'il doit être moins difficile d'administrer l'euro que d'administrer une monnaie véritablement représentative de toutes les régions canadiennes. J'aimerais savoir ce que vous pensez de l'incidence de l'euro sur le dollar canadien.

Ma deuxième question porte sur la mondialisation. Les pays, pris individuellement, ont de plus en plus de difficulté à contrôler leur propre monnaie grâce à leur politique monétaire. La politique financière devient un levier de plus en plus puissant. Depuis quatre ans, notre dollar a perdu 5c, et en dépit de la chute des taux à long terme, les taux à court terme sont plus élevés aujourd'hui qu'ils ne l'étaient il y a quatre ans.

En fait, notre objectif est d'avoir un dollar fort, mais si nous renonçons vraiment à la prospérité par la dévaluation, quelles sont les politiques financières qui pourraient renforcer notre dollar? Par exemple, au cours de l'année qui vient de s'écouler, 20 p. 100 de notre dette étrangère est arrivée à échéance, et c'est un des facteurs qui a fait baisser le dollar. En fait, une politique financière avisée serait de rembourser notre propre dette, entre autres.

Une autre question m'est venue en lisant un article dans le Globe and Mail du 2 septembre 1993. Le chef libéral Jean Chrétien a déclaré: «Un gouvernement libéral dirait au gouverneur de la Banque du Canada, John Crow, de ne pas se laisser obnubiler par l'inflation et de s'occuper un peu plus de créer des emplois». Quand on lui a demandé ce qu'il ferait si M. Crow n'était pas d'accord, M. Chrétien a répondu: «Je vous dis que c'est un fonctionnaire du gouvernement».

Monsieur Thiessen, est-ce que le gouvernement a donné suite à cet engagement? Je ne dis pas que j'approuve cette politique ou que je suis contre, mais j'aimerais savoir si le gouvernement a insisté pour que vous respectiez la promesse faite par M. Chrétien en 1993?

Enfin, je sais qu'il existe un débat traditionnel entre l'inflation et l'emploi. Je sais également que pour vous, les deux éléments, faible chômage et faible inflation, peuvent coexister. Pourquoi les États-Unis et le Japon—bien que le Japon ait eu des difficultés récemment—ont-ils si bien réussi à diminuer les taux de chômage? Même au Royaume-Uni, on est parvenu à un taux de chômage qui est la moitié du nôtre, au Canada, et cela, sans déclencher vraiment d'inflation. Quelles sont les bonnes idées qu'ils appliquent et que nous pourrions appliquer?

Je vais vous demander d'axer vos observations sur les solutions de politique financière que vous pouvez envisager, car ce sont ces solutions financières que nous, parlementaires, serions en mesure de mettre en place.

Voilà toutes mes questions pour ce tour.

M. Gordon Thiessen: En ce qui concerne l'influence de l'euro sur le dollar canadien, je ne pense pas qu'elle soit considérable, en tout cas pas au début. Si ce projet réussit vraiment, un jour ou l'autre, l'euro deviendra probablement une monnaie internationale. Dans ce cas, il faudrait probablement que nous considérions nos réserves, qui sont actuellement surtout en dollars américains, et nous demander s'il convient d'avoir en réserve une certaine quantité de cette monnaie internationale concurrente, l'euro.

C'est seulement lorsque l'euro aura mérité une réputation de monnaie stable et forte qu'il faudra envisager cette possibilité, et seulement lorsque, chose probablement encore plus importante, un marché solide, représentant des actifs dont la valeur nominale est en euro, se sera établi.

• 1200

Un des grands avantages du dollar américain en ce moment, c'est que si on veut détenir des fonds en dollars américains, on peut acheter soit des billets du Trésor, soit des bons du Trésor. À New York, le marché pour ces instruments est tellement vaste, tellement important, qu'on peut les vendre sans préavis avec un écart minime. C'est extrêmement intéressant.

Tant que l'euro n'aura pas établi des marchés de ce genre, ce ne sera pas aussi intéressant que le dollar américain. Je ne pense pas que le simple fait que l'euro ait été créé ait une incidence considérable sur le dollar canadien.

J'ai fait hier un discours sur la mondialisation, et à cette occasion, j'ai essayé d'expliquer que la mondialisation n'est pas un obstacle aux politiques monétaires nationales indépendantes. Cela signifie seulement qu'il faut tenir compte du rôle du taux de change. Depuis une cinquantaine d'années, dans l'ensemble, l'économie et les marchés financiers du Canada et des États-Unis ont été très ouverts.

M. Scott Brison: À ce sujet, monsieur Thiessen, les pays qui ont une politique financière non conforme à leur politique monétaire m'inquiètent un peu. Le courant de mondialisation dont nous parlons comprend des gens qui spéculent sur les monnaies, par exemple, et qui, très rapidement, peuvent résoudre ou éliminer les contradictions, comme cela a été le cas en Asie. C'est de cela que je parlais.

En fait, traditionnellement, il y a toujours eu des pays qui ont réussi à conserver une politique monétaire indépendante, qui n'était pas forcément conforme à la réalité économique, mais cela passait. Ce sont les spéculateurs qui réussissent à redresser ces contradictions qui m'intéressent.

M. Gordon Thiessen: Vous avez raison quand vous dites que les marchés sont examinés par tout le monde à la loupe. Les investisseurs se détournent des pays dont les politiques ne semblent pas pouvoir durer, des pays qui ne leur offrent pas la protection qu'ils recherchent pour leurs investissements.

Cela dit, on aurait tort de dire que tout cela était possible jadis mais que ce n'est plus le cas actuellement. En fait, c'est une question de degré. Les pays qui ont de mauvaises politiques financières et monétaires vont forcément se heurter à des problèmes. Cela ne fait aucun doute.

Une chose est intéressante: il est facile de dire qu'il y a des spéculateurs qui sont prêts à profiter de la moindre erreur. En fait, quand on considère ce qui se passe dans le monde, les premiers à prendre la fuite lorsque de mauvaises politiques sont mises en place sont les investisseurs locaux. Ce sont eux qui comprennent la situation le plus vite, ceux qui très souvent récupèrent leur argent avant qu'il ne soit trop tard.

En général, je pense que la mondialisation vous donne accès à des marchés auxquels vous n'auriez pas accès autrement. Cela vous permet d'emprunter d'une façon qui ne serait pas possible autrement, et de financer de gros projets qui ne verraient pas le jour autrement. Mais en même temps, cela vous permet tout de même d'avoir une politique monétaire indépendante.

Je considère que la valeur du dollar représente plutôt un résultat qu'un objectif. Si le taux de change n'est pas fixe, le dollar n'est pas et ne devrait pas être un objectif, mais sur une longue période, il représente en fait un bon indicateur.

Dans une économie comme celle des États-Unis actuellement et celle du Japon dans les années 80, on constate qu'une économie en plein essor qui génère de nombreux emplois et de grands gains de productivité a également une devise forte, à condition évidemment que le taux d'inflation demeure faible. Tous ces éléments vont de pair—une inflation faible, une forte productivité, un chômage à la baisse. Les pays qui sont dans cette situation s'en tirent très bien et finiront par avoir une devise forte.

Pour revenir à cette partie-là de votre question, je vous dirai qu'essentiellement à l'heure actuelle, les États-Unis et avant eux le Japon, ont vraiment su tirer parti des changements technologiques. Ils se sont axés dans une grande mesure sur les marchés internationaux où il est possible de vraiment tirer parti des améliorations au niveau de la technologie et de la productivité.

• 1205

Les Américains s'en tirent à merveille actuellement et obtiennent aussi de bons résultats sur le plan du chômage. Ils ont commencé avant la plupart des autres pays à faire face à la poussée actuelle des changements technologiques et à l'ouverture de plus en plus marquée de la plupart des pays au monde entier.

Ainsi, tous ces marchés internationaux sont beaucoup plus compétitifs qu'ils ne l'étaient auparavant. Les Américains en profitent plus que quiconque alors que les autres pays accusent un retard. Nous accusons environ cinq ans de retard et les Européens sont derrière nous; pour les autres, je n'en suis pas certain. Mais si nous tirons tous parti de ces facteurs, si nous faisons de notre mieux pour tirer parti, pleinement, de la technologie et des nouveaux marchés qui s'ouvrent à nous, alors je ne vois pas pourquoi nous ne pourrions pas copier ce qui s'est fait aux États-Unis.

Il faut s'assurer d'éviter les erreurs commises par les Japonais. Essentiellement, ils ont permis aux pressions inflationnistes, surtout sous la forme du prix des propriétés, de s'emballer, et ils se sont retrouvés avec ce que l'on a appelé «la bulle spéculative japonaise», dont ils ne se remettent que maintenant. Toutefois, je pense qu'au cours des années 1980, les Japonais ont su de façon impressionnante tirer parti des marchés et de la technologie, et je pense que c'est ce que nous devons faire aussi.

Cela dit, je n'ai pas de belles options de politique financière à vous présenter. Toutefois, si vous regardez autour de vous, vous constaterez que, dans la plupart des cas, les pays n'ont pas permis que s'accumule l'endettement de leur secteur public, car dès que vous le faites, vous vous engagez dans la voie non durable dont nous avons parlé. En effet, il viendra un moment où vous constaterez que les investisseurs, et locaux et étrangers, vont devenir inquiets et vont vouloir se retirer.

M. Scott Brison: Pour avoir une devise forte, vous dites qu'il faut une bonne productivité. Ainsi, les politiques gouvernementales, qu'elles soient financières ou sociales, qui créent un climat propice à la croissance ou à l'augmentation du taux de productivité auront, à long terme, une incidence marquée sur le dollar.

M. Gordon Thiessen: Parfaitement.

M. Scott Brison: Jusqu'à quel point le gouvernement a-t-il pu éliminer le déficit à cause des changements structurels apportés dans l'économie canadienne, disons à la fin des années 1980 ou au début des années 1990? Je songe au libre-échange, à la TPS et la réglementation des services financiers dans l'industrie du transport.

M. Gordon Thiessen: Je pense que tous ces facteurs ont contribué à l'augmentation de la productivité. Il est incroyablement difficile de déterminer que l'on peut attribuer telle amélioration à tel changement structurel. C'est impossible. On essaye, mais ça ne vaut pas la peine.

Nous savons par contre qu'il y a eu plusieurs changements ces dernières années qui devraient contribuer à une augmentation future de la productivité. Si cela se produit, nous nous retrouverons avec une devise forte. Non seulement nous aurons une devise forte, mais nous aurons aussi une croissance des revenus et de l'emploi. La productivité est vraiment au coeur de tout ceci.

Le président: Merci, monsieur Brison. Merci, monsieur le gouverneur.

Nous allons passer à M. Valeri.

M. Tony Valeri (Stoney Creek, Lib.): Merci, monsieur le président. J'ai en gros trois questions. Je vais essayer d'être concis, car je sais qu'il y a d'autres personnes qui veulent aussi poser des questions.

Pour l'essentiel, vous avez déjà plus ou moins abordé toutes ces questions au cours de la séance, mais j'aimerais entrer un petit peu plus dans les détails, et vous demander peut-être d'aider le comité à mieux comprendre quel est le principe directeur de votre politique monétaire.

À un certain moment, la mesure de M1 et M2 était ce principe directeur, et ensuite nous sommes passés à cet indice de la condition monétaire. J'ai aussi lu récemment que l'on était passé au principe du taux au jour le jour. Si l'on est donc passé au taux au jour le jour, qu'elles en sont les conséquences pour le rôle du taux de change comme facteur déterminant de la politique monétaire? Ce sera ma première question.

La deuxième question est celle-ci. Je ne suis pas souvent d'accord avec M. Loubier, mais il a parlé de la déflation. Avec la chute des prix des produits de base, il y a effectivement une menace de déflation. Il est donc en même temps ironique, étant donné cette menace qui plane, que l'on continue à discuter de la nécessité de relever les taux d'intérêt.

J'aimerais donc que vous nous en parliez par rapport au potentiel déflationniste. Si nous mesurons l'inflation correctement, on peut dire qu'elle est inexistante. Il n'y a donc plus d'inflation, et l'on craint un mouvement déflationniste.

Enfin, pour revenir à ce que M. Brison disait, à propos de la productivité, M. Greenspan, aux États-Unis, a déclaré—je paraphrase—qu'à son avis on était entré dans une nouvelle ère aux États-Unis, et qu'en dépit d'une productivité accrue, il n'y a toujours pas de pression inflationniste perceptible. D'après lui, cette augmentation de la productivité est une question d'amélioration des techniques et des technologies.

• 1210

Êtes-vous d'accord, et pourriez-vous nous dire en quoi cela touche le Canada?

M. Gordon Thiessen: Sur le plan technique, vous avez tout à fait raison, il nous est arrivé d'avoir fixé un objectif pour M1. Mais malgré cela, l'outil que nous utilisons, ce que nous pouvons effectivement maîtriser dans le court terme, c'est ce qu'on appelle le taux au jour le jour. C'est-à-dire le taux quotidien de la banque.

C'est le seul outil dont dispose vraiment la banque centrale, et nous y avons toujours eu recours. Nous l'avons utilisé de différente façon, mais cela a toujours été notre outil de prédilection, et il l'est encore.

Lorsque nous utilisions M1, nous nous servions du taux au jour le jour pour provoquer la croissance de M1, car cela nous semblait être la meilleure façon de combattre l'inflation et de remettre l'économie sur la bonne voie. Finalement, il y a eu tant de bouleversements dans le paysage financier que M1 n'est plus un outil fiable, et nous l'avons laissé tomber.

Tout récemment, nous avons eu recours à l'analyse des conditions monétaires, c'est-à-dire l'impact combiné des taux d'intérêt et du taux de change sur l'économie, mais nous utilisons encore le taux au jour le jour.

Si, par exemple, nous pensons que les conditions monétaires sont trop faciles, et qu'elles pourraient éventuellement conduire à une expansion de l'économie et finalement à des pressions sur l'appareil de production au-delà de sa capacité, nous relevons le taux au jour le jour et le taux bancaire—les deux—, ce qui ensuite encourage le reste du pays à relever les taux d'intérêt, en même temps que le taux de change. Nous incluons dans les conditions monétaires, les taux du marché, et le taux de change, mais dans tout cela le rôle du taux au jour le jour reste ce qu'il était.

Je sais à quel article vous faites référence; il ne l'a pas bien cité.

Excusez-moi, Chuck. Vouliez-vous ajouter quelque chose?

M. Charles Freedman (sous-gouverneur, Banque du Canada): Je pourrais peut-être ajouter quelque chose sur l'agrégat monétaire, que l'on appelait à l'époque l'objectif intermédiaire. Finalement, comme le gouverneur l'a dit, c'est toujours l'inflation que nous surveillions, mais d'une certaine manière il s'agissait toujours d'un moyen en vue d'obtenir certaines fins. Ce n'était pas l'objectif ultime.

La différence avec aujourd'hui, c'est que nous avons maintenant un objectif arrêté en matière d'inflation, alors que par le passé nous avions un objectif d'agrégats monétaires, explicite, et un objectif implicite d'inflation.

M. Gordon Thiessen: La deuxième question portait sur la déflation. Il est vrai que les prix sont faibles, et chutent, mais vous devez vous demander vous-même quel peut être un objectif justifié en matière de politique monétaire.

La politique monétaire cherche à encourager l'économie canadienne dans le sens de la production de niveaux optimums de revenu et d'emploi, dans les limites du possible. Après tout, il faut que cela profite à tous les Canadiens. Si vous vous penchez sur le rôle de l'inflation, ce que vous regardez, ce sont les prix que payent les Canadiens pour consommer.

Nous nous référons à l'indice des prix à la consommation, puisque nous disons que la fourniture de biens et de services aux consommateurs est le résultat final de l'activité économique. Voilà l'essentiel de notre souci. Nous nous reportons toujours à l'indice des prix à la consommation.

Par ailleurs, oui, si le prix des denrées de base devait évoluer pendant suffisamment longtemps, cela aurait des répercussions sur l'indice des prix à la consommation. On peut dire que celui-ci évolue de façon relativement prévisible et stable, pendant que des tas d'autres valeurs évoluent un peu dans tous les sens, qu'il s'agisse du prix de la terre et de l'immobilier, du prix des produits de base, ou des valeurs mobilières.

Mais ce n'est pas là-dessus que la politique de la banque est axée. Elle est axée sur le prix des biens et des services que les Canadiens achètent, c'est-à-dire sur l'indice des prix à la consommation.

À notre avis—c'est ce que j'ai répondu à M. Loubier—l'indice ne semble pas pour le moment menacé de déflation. Étant donné par ailleurs la force de l'économie américaine, près de chez nous, et notre économie s'approchant de la pleine capacité de production, nous ne pensons qu'il y aura d'importantes pressions à la baisse, qui se traduisent par une déflation.

Enfin, il y a la productivité. M. Greenspan a tout à fait raison—c'est d'ailleurs ce que je disais à M. Brison—, le progrès technologique est très important. Les économies qui peuvent vraiment en profiter connaissent des gains de productivité qui leur permettent une performance à la mesure de celle des Américains. C'est ce que les Japonais ont réussi dans les années 80. Si nous profitons de ce progrès technologique, et transformons ça en biens et produits, que nous pouvons vendre à l'intérieur et à l'exportation et de façon compétitive, nous aurons également une bonne performance.

• 1215

M. Tony Valeri: Merci.

Le président: Merci, monsieur le gouverneur.

Monsieur Szabo, je vous en prie.

M. Paul Szabo (Mississauga-Sud, Lib.): Merci, monsieur le président, et merci, monsieur le gouverneur.

Votre explication selon laquelle une inflation jugulée offre les conditions optimales de performance économique saine... et j'ai vu hier aux informations que votre performance était tout à fait conforme au principe selon lequel nous n'avons pas en soi d'objectif en matière d'inflation, mais que nous suivons un éventail de facteurs qui nous permettent de guider la politique monétaire.

En 1993, lorsque le gouvernement actuel est arrivé au pouvoir, les déficits étaient à l'ordre du jour, et donc le ratio déficit-PIB, pour ce qui est des résultats que se fixait le gouvernement. Bien sûr, maintenant, nous entrons dans une phase complètement différente de l'économie canadienne. Les déficits ne sont plus le problème, c'est la dette. Vous savez que le vérificateur général—il y a je crois deux ou trois rapports annuels de cela—a émis l'idée d'un niveau d'endettement raisonnable. Je crois que l'on en discutera encore beaucoup, lorsque l'on parlera du besoin d'intervenir dans le cas de la politique monétaire.

Pour abaisser le ratio dette-PIB, on peut profiter de la croissance économique et rembourser cette dette. J'aimerais savoir ce que vous pensez de notre situation à ce sujet, compte tenu du fait que, dans le secteur privé, ce que l'on appelle le ratio d'endettement est une mesure fiable de la santé financière.

Étant donné les différences entre les secteurs public et privé, vous devez par ailleurs dans votre calcul prendre en considération certains éléments importants telle que la valeur des actifs détenus au Canada, qui ne figurent sur aucun bilan. Je pense que l'Institut Simon Fraser a estimé à un certain moment que, sans tenir compte de la valeur de la terre, le Canada valait en gros quelque trois billions. Si vous soustrayez de cela les 580 milliards de dettes nationales, l'avoir propre du Canada n'est pas négligeable. Je crois que les spécialistes de la finance internationale doivent en tenir compte lorsqu'ils mesurent la santé financière du Canada, et la force de notre dollar par rapport aux devises de nos partenaires commerciaux et financiers internationaux.

Je voudrais vous demander ce qu'il en est de la position et de la vigueur du dollar canadien, si l'on tient compte tout d'abord des probabilités en ce qui concerne notre ratio endettement-PIB, comment nous abordons le problème, et comment nous assurons la sécurité du dollar canadien.

M. Gordon Thiessen: Le niveau d'endettement qu'il faudrait viser est, j'en ai peur, une question très complexe.

Certaines études ont été réalisées. Elles ne sont pas encore vraiment satisfaisantes et il reste du travail à faire.

Ce que nous savons, c'est que le niveau d'endettement actuel est très élevé, et je dois dire que je considère toujours le total et pas seulement la dette fédérale; la dette fédérale-provinciale frise les 100 p. 100 du PIB.

Cela nous rend vulnérables. Si de mauvaises nouvelles parviennent sur la scène internationale, quelle qu'en soit la raison, les investisseurs canadiens et étrangers examinent notre ratio d'endettement et se demandent comment le gouvernement va assurer le service de la dette.

• 1220

Je dois dire que je suis tout à fait pour une réduction du ratio endettement-PIB. Quant à la rapidité avec laquelle nous y parviendrons, c'est à vous les parlementaires et au gouvernement d'en décider. Je pense que ce sont là des décisions politiques.

Pour le moment, nous nous plaçons dans une situation vulnérable. Jusqu'où faut-il descendre? Il est très difficile de le dire.

Vous avez parfaitement raison de dire, que lorsqu'on examine un bilan, il faut regarder à la fois l'actif et le passif. Là encore, c'est un jugement très difficile à porter, même pour une société. Vous examinez la dette d'une société et vous examinez son actif. Ce qui compte pour l'investisseur qui détient la dette de cette société, c'est la valeur de son actif. Quels revenus va-t-il générer pour la société afin de permettre à cette dernière de vous payer les intérêts qu'elle vous doit? Vous devez tenir compte de la nature de l'actif.

Dans le cas d'un gouvernement, vous devez vous demander quel est le genre d'actif qu'il possède. Va-t-il produire des revenus qui permettront aux gouvernements de payer de lourds intérêts sur la dette?

Je crois qu'il faut être assez prudent.

Je reconnais certainement que si la dette impose un fardeau aux générations futures, il faut également voir si le gouvernement a aussi acquis un actif qui va produire des avantages pour les générations futures. Il me paraît assez légitime de le faire. Ce n'est pas un calcul facile, je dois l'avouer.

En attendant, je dirais qu'il faut viser surtout à réduire le ratio endettement-PIB. Une fois que ce sera fait, il s'agira de se demander comment choisir de nouveaux objectifs. Il faudrait tenir compte de ces autres considérations. Pour le moment, je dormirais mieux si le ratio endettement-PIB diminuait.

Le président: Merci.

Madame Redman.

Mme Karen Redman (Kitchener-Centre, Lib.): Merci, monsieur le président.

J'ai trois questions concernant l'inflation, monsieur le gouverneur.

Récemment, on pouvait lire dans The Economist que les pays occidentaux n'étaient pas vraiment parvenus aux faibles taux d'inflation qu'ils prétendaient avoir atteints, parce qu'ils ne tenaient pas compte du prix des éléments d'actif. Si l'on en tient compte, l'inflation est beaucoup plus élevée.

Pourriez-vous nous dire ce que vous en pensez et s'il est préférable ou non de tenir compte du prix des éléments d'actif, si c'est une façon plus fidèle de calculer le taux d'inflation.

M. Gordon Thiessen: Non, je ne le crois pas. Comme je l'ai déjà dit, le but de l'activité économique est de fournir aux gens les biens et services qu'ils peuvent consommer. C'est ce qui vous permet d'avoir la nourriture, l'énergie, les services de transport, l'éducation et tout ce dont vous avez besoin. La consommation de ces biens et services représente le but de l'activité économique.

Par conséquent, il me paraît tout à fait normal que la politique monétaire mette l'accent sur les prix à la consommation. Cela ne veut pas dire que ces autres prix ne pourront pas avoir un effet avec le temps, mais c'est ainsi qu'il faut les considérer. Tout comme nous parlions du prix des produits de base tout à l'heure, il faut en tenir compte dans la mesure où ils finiront par se répercuter sur les prix à la consommation. C'est la même chose pour le prix des éléments d'actif.

Si vous pensez qu'une hausse brutale du prix des éléments d'actif peut se répercuter sur l'inflation et les prix à la consommation des biens et services, il faut certainement en tenir compte. Voilà comment il faudrait voir les choses.

Je ne crois pas souhaitable d'établir l'indice des prix en y incluant le prix des éléments d'actif.

Mme Karen Redman: Merci.

Mon autre question concerne l'inflation. Elle se situe entre 1 et 3 p. 100 par an. La valeur médiane de cette fourchette signifie-t-il quelque chose? Est-ce important? Un taux d'inflation stable de 1 p. 100 est-il aussi satisfaisant qu'un taux stable de 3 p. 100?

M. Gordon Thiessen: La valeur médiane signifie quelque chose. Sur une longue période, c'est certainement l'objectif que nous visons. Sur une courte période, nous n'essayons pas de fixer le taux d'inflation à une valeur précise. Ce n'est pas possible de toute façon. Vous ne pouvez pas régler l'économie ou le taux d'inflation avec précision.

Nous visons le milieu en essayant d'éviter les deux extrêmes. Cela peut paraître assez approximatif, mais c'est sans doute le mieux qu'on puisse faire.

• 1225

Pour le moment, nous avons une fourchette de 1 à 3 p. 100. Nous visons le taux médian. Nous ne voulons pas vraiment le minimum ou le maximum. Nous essayons de l'éviter si possible.

Ce n'est pas toujours possible, car comme je l'ai dit en réponse à M. Loubier, je crois, certains effets temporaires peuvent entraîner une hausse ou une baisse. Il faut examiner les tendances, mais je ne crois pas possible de régler le taux d'inflation avec une précision d'horloge.

Mme Karen Redman: On a souvent comparé les taux de chômage et d'inflation canadiens et américains, et je constate que les États-Unis n'ont pas d'objectifs. Je me demande si les pays qui se sont fixé des objectifs ont de meilleurs résultats sur le plan de l'inflation que ceux qui nÂen ont pas.

M. Gordon Thiessen: Vous constaterez que les pays qui se sont fixé des objectifs sont ceux qui n'ont pas enregistré de très bons résultats sur le plan de l'inflation. Ceux qui n'ont pas d'objectifs s'en sont généralement bien tirés. Le Canada, la Grande-Bretagne, la Suède, l'Australie et la Nouvelle-Zélande ont eu généralement un taux d'inflation supérieur à la moyenne dans les années 70 et 80, si bien que ces objectifs constituent une excellente façon de viser un faible taux d'inflation.

Si vous réussissez à bien vous en sortir comme l'on fait les Allemands et un peu moins les Américains, vous n'avez pas ce problème et vous pouvez donc facilement vous en passer. Cela dépend davantage de votre expérience passée que de vos résultats actuels.

Cela dit, je crois toujours que les objectifs sont une bonne idée. Un objectif trace la voie que doit suivre la banque centrale. Si nous n'arrivons pas au but, les parlementaires doivent nous poser des questions. Pourquoi n'y êtes-vous pas parvenus? Nous n'y arrivons pas toujours, mais j'espère que, si nous n'y parvenons pas, c'est pour de bonnes raisons et pas seulement parce que nous avons suivi une mauvaise politique.

Je crois que cela oblige la banque centrale à rendre des comptes, ce qui est une bonne chose.

M. Karen Redman: Je vous remercie.

Le président: Merci, madame Redman.

Monsieur Assad, je vous prie.

M. Mark Assad (Gatineau, Lib.): Monsieur Thiessen, j'ai lu que l'économiste en chef de la Banque royale, M. McCallum, avait fait valoir que, selon lui, l'inflation s'approchait de 0 p. 100, voire avait disparu, bien que, malheureusement, le taux de chômage restait très élevé, plus de 8 p. 100. Il aurait également affirmé que les consommateurs étaient encore économiquement fragiles et il vous félicitait d'avoir résisté à la tentation de relever le taux de référence, et cela, malgré la faiblesse du dollar canadien.

Je pense que des félicitations s'imposent, monsieur Thiessen, parce que comme vous l'avez mentionné il y a quelques instants à M. Loubier, votre seul objectif était d'enrayer l'inflation.

Je sais que lorsque la Banque du Canada a été créée, on l'avait fait reposer sur quatre piliers, quatre grandes notions. Nous étions alors au milieu des années de dépression, et l'une des notions en question était qu'il fallait réduire le chômage... mais également assurer la bonne tenue générale de l'économie.

En vous concentrant exclusivement sur l'inflation, vous créez selon moi une foule de problèmes. Depuis une vingtaine d'années, c'est par les taux d'intérêt que nous essayons de freiner l'inflation. Cela nous a apporté des récessions, certaines d'entre elles tellement graves que beaucoup de gens ne s'en sont jamais sortis.

Étant donné ce qui se passe depuis 20 ans et la dette monumentale que notre pays a constituée en raison du fait que nos taux d'intérêt étaient notablement plus élevés que ce qu'ils sont aux États-Unis, ne pourrions-nous pas envisager à nouveau, comme l'ont fait tous les autres pays du monde à l'exception de la Grande-Bretagne et de la Suisse, de libérer les réserves secondaires? L'obligation d'avoir ces réserves secondaires risque en effet de limiter considérablement le champ d'action des banques et de les empêcher de consentir de nouveaux prêts.

Vous dites que lorsque vous fixez une politique monétaire, vous devez prendre en compte de nombreux facteurs. Vous avez parlé de la situation monétaire, du taux au jour le jour, de M1 et de M2, qui ne sont plus vraiment fiables, et tout ce qui s'ensuit.

• 1230

Étant donné que l'économie a énormément évolué, ne pourrions-nous pas reconsidérer toute cette notion des réserves secondaires?

M. Gordon Thiessen: Je puis vous assurer que nous avons examiné cela avec beaucoup d'attention pendant très longtemps et, lorsque nous avons décidé qu'il fallait abandonner les réserves secondaires et primaires, c'est après y avoir longuement réfléchi. Les avantages n'étaient pas évidents. En fait, cela revenait pour l'essentiel à imposer une taxe à une série d'institutions financières, et cela à un moment où, de plus en plus, les activités financières n'étaient plus l'exclusive des banques.

Plus les marchés financiers internationaux se mondialisent, plus facile il est pour les Canadiens de contourner les institutions canadiennes pour passer plutôt par les marchés internationaux. Je pense que c'est un peu comme une de ces taxes qu'on ne parviendrait jamais vraiment à percevoir, étant donné que tout le monde arriverait à l'éviter.

Pour être franc avec vous, ce n'est pas une façon très utile de procéder. Jadis, lorsque nous y avions eu recours, il s'agissait simplement d'un genre d'interrupteur à deux positions. Lorsque nous tentions de ralentir les choses, nous fermions l'interrupteur. Et lorsque nous imposions les réserves secondaires, tout d'un coup les banques arrêtaient de prêter de l'argent pour investir plutôt tout ce qu'elles avaient dans des obligations d'État. Ce n'était donc pas une façon très utile de procéder.

J'ai travaillé pendant quelques années pour la Banque centrale de l'Australie qui a beaucoup eu recours à cet instrument des réserves secondaires, avec pour résultat l'apparition d'un système incroyablement complexe. Je dois vous dire d'ailleurs que l'Australie a, depuis lors, complètement délaissé cette idée car les Australiens se sont rendu compte que c'est un système qui ne pouvait pas fonctionner. Je crains d'ailleurs qu'à l'heure actuelle, avec les marchés libéralisés, c'est une option qui, malheureusement, est devenue caduque.

M. Mark Assad: Il n'empêche, monsieur Thiessen, que les 20 dernières années nous ont prouvé que les augmentations du taux de référence—et certaines d'entre elles ont été extrêmement fortes—handicapaient lourdement l'économie. Nous n'avons pas encore trouvé de palliatif et nous n'avons aucune solution acceptable.

Étant donné, comme le mentionnait M. Loubier et comme je vous le faisais moi-même remarquer il y a quelques mois, le danger de la déflation, un danger omniprésent et très grave, et aussi le fait que nous soyons pratiquement devenus les champions du monde industrialisé, vu que dès lors qu'apparaît la moindre indication d'une montée de l'inflation, le taux de référence de la Banque centrale augmente—sauf ces derniers temps, et je dois vous en féliciter. Je suis heureux que nous ayons gardé le cap.

L'économie américaine fonctionne de façon remarquable, beaucoup mieux d'ailleurs que nous ne l'avions escompté. De toute évidence, M. Greenspan ne se soucie pas d'un taux d'inflation qui serait plus proche des 3 p. 100 que des 2 p. 100. Quant à nous, notre taux d'inflation est plus proche de 0 p. 100 que de 1 p. 100.

Monsieur Thiessen, je ne pense pas qu'il y ait au Canada une demande refoulée. J'irais personnellement jusqu'à dire que nous serions bien en peine de trouver dans l'économie un secteur pour lequel la demande serait à ce point élevée que nous risquions l'inflation. Si je me trompe, dites-le moi.

M. Gordon Thiessen: Nous ne voulons en aucun cas laisser entendre que le risque d'inflation est imminent, mais ce qui est fondamental ici, comme je le disais dans ma déclaration, c'est qu'il faut mettre l'économie sur des rails qui pourront nous conduire au plein potentiel, et le faire tout en douceur afin précisément de ne pas créer de situation inflationniste dès lors que le plein potentiel sera atteint.

Vous voyez, c'est précisément ce qu'ont fait les Américains. Les Américains, je vous le rappelle, ont relevé de façon très substantielle leur taux d'intérêt pendant toute l'année 1994 parce qu'ils voyaient précisément que leur économie approchait de son plein potentiel. Ils fonctionnaient avec des taux d'intérêt à court terme de 3 p. 100 puis ils les ont fait passer à 6 p. 100 afin d'avoir la certitude que leur économie tienne la distance. Ensuite, ils ont légèrement fait baisser les taux pour les faire passer à 5,5 p. 100 environ, mais tout cela encore pour que l'économie ne s'essouffle pas.

Aux États-Unis, le taux d'inflation est de l'ordre de 2 p. 100 et, compte tenu d'une marge d'erreur d'environ 1 p. 100, on peut donc dire que le taux d'inflation est très bas.

• 1235

Je puis également vous dire, puisque je m'entretiens très souvent avec Alan Greenspan, que l'inflation est toujours pour lui un sujet d'inquiétude parce qu'il pense comme moi qu'en maintenant le taux d'inflation à un niveau très bas aux États-Unis, il favorise la bonne tenue de l'économie américaine.

M. Mark Assad: Admettons que nous acceptions un taux d'inflation voisin de 3 p. 100. J'ai lu plusieurs articles publiés par l'Association des économistes du Canada pour qui, dans le passé, les taux d'intérêt ont toujours alourdi inutilement l'endettement public et qu'ils étaient dès lors les responsables des récessions. Les économistes disent que même si le taux d'inflation était de 3 p. 100 au Canada, comme il n'y a pas de demande latente, comme il n'y a aucun risque d'inflation, notre économie en profiterait. Cela créerait davantage d'emplois, c'est certain, et c'est là l'un des principaux obstacles.

En écoutant les différentes interventions qui ont été faites ce matin... Nous avons connu au Canada une période pendant laquelle, comme aux États-Unis, le taux d'inflation était très élevé. Le taux de chômage l'était également, de sorte que nous sommes entrés en récession, et pourtant notre dollar valait près de 88 cents américains. Depuis lors, nous nous sommes imposé énormément de contraintes, nous avons raisonnablement jugulé le déficit, et je suis persuadé que notre productivité s'est améliorée, et pourtant notre dollar s'est effondré—en fait, il ne s'est pas effondré, mais il a quand même considérablement baissé.

Qui donc fait les règles? Comment cela est-il possible alors que nous avons mis de l'ordre chez nous, mais malgré cela nous sommes pénalisés, dirions-nous, puisque le dollar est en déclin—non pas que cela soit une mauvaise chose, étant donné que ce sont nos exportations qui en profitent.

M. Gordon Thiessen: Pour ce qui est d'un taux d'inflation de 3 p. 100, ce qui est implicite dans ce que vous venez de dire—ou plutôt explicite dans ce que vous proposez—c'est que cela nous permettrait de faire baisser le taux de chômage et cela, je n'y crois pas. Je ne pense pas que ce soit le cas. Cela voudrait dire que d'une façon ou d'une autre nous pourrions ainsi leurrer tous ces gens.

Ce qui se passe plutôt dans la réalité, c'est que si l'inflation atteint 3 p. 100, la rémunération du travailleur diminue progressivement. Il ne s'en soucie pas parce qu'il ne le voit pas. Il accepte simplement de travailler pour moins d'argent. Ainsi, les employeurs peuvent engager davantage et, au bout du compte, le taux de chômage diminue.

Cela, je n'y crois pas. Je pense qu'il est extrêmement fantaisiste de croire que les gens vont rester les bras croisés alors que l'inflation érode leur rémunération, qu'ils vont fermer les yeux et que nous pourrons ainsi réduire le taux de chômage. À mon avis, toute politique dont la prémisse est de tromper la population active est une politique qui repose sur des principes malsains, de sorte que pour moi c'est absolument impensable.

S'agissant du dollar, il est important je crois de ne pas oublier tout ce qui se passe actuellement dans le monde—cette période extrêmement tumultueuse que connaît en particulier l'Asie. Cette situation influe énormément sur le prix des marchandises et nous demeurons après tout un producteur important de ces marchandises. Le dollar canadien a été touché, c'est certain, mais je persiste à croire que les circonstances sous-jacentes demeurent extrêmement bonnes.

Je vous rappelle à ce propos que nous connaissons actuellement les taux d'intérêt les plus faibles depuis les années 60. Cela est vrai pour des raisons tout à fait évidentes, parce que notre taux d'inflation est faible. Ces taux d'intérêt peu élevés permettent aux entreprises d'investir dans de nouvelles technologies, d'investir dans des moyens de production, et tout cela leur permettra d'être concurrentielles au plan international. Je pense qu'en bout de ligne, nous allons toucher de gros dividendes.

Si les taux d'intérêt ont été élevés dans les années 70 et les années 80, ce n'était pas fortuit. C'était la résultante de l'inflation et non point sa cause.

M. Mark Assad: Me dernière question sera très courte, monsieur le président.

En conclusion donc, monsieur Thiessen, je constate qu'il faut continuer à freiner l'inflation. Quant à ce que je disais à propos du taux de 3 p. 100, je voulais simplement dire qu'on a compris que la Banque du Canada n'avait pas l'intention d'intervenir, même si l'inflation commence à dépasser le 1 p. 100, et nous ne sommes pas encore rendus là, pour continuer à augmenter. Je vous dis simplement que rien ne prouve qu'il y ait un risque d'inflation soudaine, pour la simple raison qu'il n'y a pas de demande latente. L'indice des prix à la consommation révèle encore une certaine fragilité. Je suis persuadé que nous pourrions avoir encore deux ou trois ans de croissance maximum, à en croire l'Association des économistes, sans le moindrement risquer une flambée inflationniste.

• 1240

M. Gordon Thiessen: Je dois vous dire que nous voyons quant à nous beaucoup plus de dynamisme encore dans l'économie. Nous n'envisageons pas une reprise de l'inflation, tout ce que nous voyons, ce sont d'excellents résultats. Lorsque nous analysons la vigueur de l'économie, cette économie nous apparaît extrêmement saine et cela vaut aussi pour la consommation. Nous avons constaté une excellente reprise de la consommation depuis un an. Nous avons également vu des investissements vraiment impressionnants. Nous constatons donc en fait que le volet domestique de l'économie canadienne va fort bien.

Ce que nous voulons faire, c'est précisément continuer sur cette voie de façon durable parce que, si nous investissons, nous allons je pense assister chez nous aux mêmes gains de productivité et d'emploi que ce que connaissent les Américains.

Le président: Merci, monsieur Assad.

J'aurais personnellement une série de questions concernant un sujet dont le comité va se saisir pendant l'automne, en l'occurrence l'avenir du secteur des services financiers au Canada. Cela vient à point nommé étant donné que vous avez publié un rapport—en fait, monsieur Freedman, vous en êtes l'un des auteurs—à ce sujet sous le titre «Le secteur des services financiers: évolution et perspectives», rapport technique de la Banque du Canada numéro 82, par MM. Freedman et Clyde Goodlet.

Ce rapport parle de toute une série de choses qui intéressent tout particulièrement le comité et, l'une des questions les plus intéressantes qu'il posait était celle-ci: quelle envergure doit avoir un fournisseur de services financiers pour pouvoir réussir sur le marché et comment détermine-t-il la gamme des produits et services qu'il doit offrir? Vous dites dans le rapport qu'il y a effectivement des économies d'échelle dans certains volets des activités d'un fournisseur de services financiers, mais jusqu'à présent, les recherches empiriques n'ont pas permis de prouver qu'une banque devait être une méga-institution—par opposition à une simple grosse banque—pour pouvoir tirer profit de la majorité des économies d'échelle. Bien entendu, certaines de celles-ci peuvent être exploitées par externalisation ou en achetant certaines catégories de services à des institutions spécialisées, ou comme cela s'est produit dans d'autres industries et dans les tractations conduites par les banques à huis clos.

Les auteurs concluent je crois qu'au bout du compte, ce qui est important est la rentabilité plutôt que la taille. Il est loin d'être évident que la méga-institution bancaire à caractère planétaire serait le meilleur vecteur offrant une palette de services efficace, innovatrice et souple à la fois, celle-là même qui est indispensable pour conserver une rentabilité maximum.

Même si nous savons que la Banque du Canada n'a pas directement pour mandat la réglementation du secteur bancaire, elle n'en reste pas moins un joueur important dans la supervision du secteur des services financiers et, par conséquent, nous aimerions vous poser quelques questions concernant tout cela.

L'une d'entre elles concerne le Comité de surveillance des institutions financières. Nous aimerions savoir comment il fonctionne en temps normal, mais aussi lorsqu'il y a un problème dans le secteur des services financiers. Quel est son mandat? Existe-t-il un organisme pilote? Qui détermine l'agenda et à qui rend-il compte?

En second lieu, j'aimerais savoir si le loyer de l'argent, au Canada, est affecté par la présence, d'une part, de grosses banques et, d'autre part, d'une seconde catégorie de fournisseurs de services financiers. Peut-être vais-je me limiter à cela pour commencer, après quoi nous pourrons passer à autre chose.

M. Gordon Thiessen: Pour commencer par le Comité de surveillance des institutions financières, il est effectivement piloté par un organisme qui est le Bureau du surintendant des institutions financières. Le surintendant est le président du comité et le Bureau du surintendant établit l'ordre du jour du comité même si je dois admettre que n'importe quel membre du comité—le sous-ministre des Finances, le président de la SADC et moi-même—a tout loisir d'inscrire d'autres points à l'ordre du jour si nous le souhaitons. Comme c'est un petit comité, il fonctionne sans grand cérémonial. Enfin, il fait bien entendu rapport au ministre des Finances.

Le président: L'autre question portait sur le loyer de l'argent: est-il affecté par la présence de grosses banques que côtoie une seconde catégorie de fournisseurs de services financiers?

• 1245

M. Gordon Thiessen: Je ne sais pas vraiment si j'ai la réponse à cette question. C'est somme toute une des questions fondamentales: comment faire en sorte que le secteur financier soit vraiment compétitif? La question est fondamentale parce que c'est ainsi qu'on obtient le meilleur loyer de l'argent. C'est de cette façon qu'on parvient à faire en sorte que les marges entre emprunteurs et déposants soient les plus faibles possible afin que l'emprunteur bénéficie du taux le plus intéressant et que le déposant obtienne le taux le plus élevé.

Dans tout cela, le véritable problème tient au fait que nous savons que la meilleure façon d'arriver à cela est de favoriser autant que possible la concurrence entre institutions hyper-efficaces, mais comment y arriver? C'est cela la grosse question.

Dans une certaine mesure, la Banque du Canada en tant que telle n'a pas vraiment d'idée arrêtée sur la question. Nous attendons d'ailleurs ce que Harold MacKay et son groupe de travail vont produire à ce sujet, et nous allons devoir examiner cela nous-mêmes.

Je fais partie d'un autre comité qui s'appelle le comité consultatif principal dont l'agenda est fixé par le ministère des Finances et qui est présidé par le sous-ministre. Ce comité examine les questions structurelles et fait rapport au ministre. Mes collègues et moi qui en sommes membres allons devoir offrir des pistes pour répondre à ces questions, et nous allons devoir faire le maximum pour y arriver.

Mais j'ajouterais, monsieur le président, que dans l'entrefaite, je me sens un peu gêné aux entournures parce que si nous devons effectivement conseiller le ministre à ce sujet, je ne pense pas que celui-ci apprécie beaucoup que j'en parle publiquement avant le fait.

Le président: Cela ne nous empêche pas d'essayer.

Pensez-vous que notre seconde catégorie de fournisseurs de services financiers est en bonne posture au Canada, monsieur le gouverneur?

M. Gordon Thiessen: J'aimerais qu'il soit plus vigoureux encore, je l'admets.

Nous avons toujours plusieurs institutions, comme les coopératives de crédit, une compagnie de fiducie extrêmement puissante et très concurrentielle, et plusieurs institutions non bancaires—des compagnies comme Newcourt, GE Capital etc.—qui viennent l'enrichir. Et bien entendu, il y aussi le secteur de l'assurance. Tous ces éléments mis ensemble, j'ignore si cela nous donne un secteur financier aussi concurrentiel que nous le voudrions.

Il n'empêche que la question est bonne. Le dossier des institutions financières de deuxième rang, comme nous les appelons, mérite plus d'attention de notre part. Nous devons nous demander si nous offrons effectivement à ces institutions les incitatifs nécessaires. Pour l'heure, je ne saurais répondre à cette question.

Le président: Monsieur le gouverneur, quels seraient les facteurs qui pourraient encourager l'épanouissement d'une seconde catégorie d'institutions financières?

M. Gordon Thiessen: Une fois encore, je dois reconnaître que nous n'avons pas suffisamment étudié la question et que c'est un de ces domaines dans lesquels nous devons nous demander si les conditions d'accès pour les petites institutions sont raisonnables ou trop rigoureuses. Parallèlement, nous devons nous demander s'il existe quelque chose dans tout ce processus qui empêcherait ces institutions de se développer?

Voilà donc les questions que nous devons nous poser mais, pour l'instant, je dois l'admettre monsieur le président, nous n'avons pas de réponse.

Le président: La dernière série de questions portera sur les transactions électroniques, et c'est d'ailleurs un dossier que vous avez vous-même traité.

Vous signalez dans votre rapport que l'apparition de nouveaux produits et mécanismes de transaction a également des répercussions pour la législation et la réglementation qui régit les activités des fournisseurs de services financiers, et vous ajoutez que les transactions électroniques prennent de plus en plus d'importance. Est-il possible de réglementer cette évolution?

M. Charles Freedman: Chaque pays a abordé la question d'une façon différente. Dans certains cas, surtout en Europe, ils sont arrivés à la conclusion que seuls ce que nous appelons les institutions financières de dépôt, ce que les Européens appellent les institutions de crédit sous réglementation, vont pouvoir émettre des cartes de paiement à mémoire magnétique, par exemple—cette forme d'argent électronique.

Dans d'autres pays, les États-Unis en sont le meilleur exemple, on est parti du principe qu'on ne voulait pas intervenir trop rapidement au niveau de la réglementation de ces nouveaux services pour ne pas freiner l'innovation, ce qui nous priverait du genre de changements technologiques auxquels nous aspirons.

• 1250

De sorte que tous les pays que je connais suivent de très près l'évolution de la situation et sont en quelque sorte déchirés entre deux tentations, d'une part, celle de ne pas réglementer trop rapidement, ce qui risquerait de freiner la concurrence, et, d'autre part, celle de vouloir faire en sorte que tout se passe bien.

En ce qui nous concerne nous, il y a à Ottawa des comités qui surveillent le dossier de très près et qui réfléchissent à la chose, mais aucune décision finale n'a encore été prise.

Bien entendu, dans de nombreux cas, on en est encore au stade des essais. Il y a déjà eu une ou deux tentatives avec des cartes à mémoire magnétique—la carte Mondex à Guelph et la carte Visa à Kingston—mais l'implantation à l'échelle nationale d'un système de cartes à mémoire magnétique en est encore à ses premiers balbutiements. C'est précisément l'un des domaines dans lesquels on se dit qu'il faut être extrêmement attentif mais sans vouloir pour autant intervenir trop rapidement au niveau de la réglementation.

Le président: Si vous me permettez une question très directe, ne dites-vous pas essentiellement que si je vous demandais: «cela doit-il être réglementé?», vous répondriez: «Il est préférable d'attendre»?

M. Charles Freedman: Cela dépend de l'acception que vous donnez au terme réglementé. Dans certaines circonstances, il faudrait peut-être intervenir très vite.

Par exemple, si la nature même des institutions qui émettraient des cartes de ce genre vous pose problème, en ce sens qu'il s'agirait d'instruments à risque qui feraient prendre des risques à certaines banques, vous voudriez peut-être une intervention réglementaire plus immédiate.

Mais en réalité, tout ce qui a été fait jusqu'à présent porte à croire que la carte à mémoire magnétique comporte déjà suffisamment de caractéristiques d'inviolabilité, de sorte qu'il sera difficile de les contrefaire. Cela ne pose pas de problème.

Je vous dirais par contre, que c'est un peu l'idée que je me fais de la situation, mais que ce qui est intéressant, c'est que dans la réalité, ce qui différencie les Américains des Européens dans ce dossier est peut-être plus une question de principe qu'une question de pratique.

Autant que nous puissions en juger pour l'instant, la carte à mémoire, c'est-à-dire le mode paiement électronique qui est le plus avancé, devrait vraisemblablement n'être émise que par les plus grosses institutions financières. Un peu comme les regroupements Visa, Mastercard ou Mondex.

D'ailleurs, la crainte de multiplier les risques en raison de la présence d'émetteurs de cartes peu scrupuleux est beaucoup moins fondée sur le plan pratique que sur le plan théorique.

Le président: Étant donné le caractère planétaire de cet instrument, qui serait chargé de la surveillance?

M. Charles Freedman: Le contrôle serait surtout effectué au plan international et le dispositif actuel qui s'en rapproche le plus est la Banque des règlements internationaux qui réunit à intervalles très réguliers les banques centrales des pays du G-10.

Nous avons déjà publié deux rapports à ce sujet. Le premier concerne les effets de l'argent électronique sur les banques centrales, et il en examine plusieurs aspects. Le second est un rapport très intéressant sur la sécurité des cartes de paiement à mémoire électronique.

En outre, les banques centrales et les ministères des Finances des pays du G-10 ont également présenté un rapport où ils parlent notamment de choses comme le blanchissement de l'argent et certaines implications au niveau fiscal.

Tout cela a énormément de répercussions qui sont d'ailleurs examinées sous toute une série de perspectives différentes. Nous pouvons dire que les banques centrales et les gouvernements font déjà beaucoup au plan international et en concertation pour arriver à mieux comprendre certaines des répercussions de cette technologie.

Le président: Parlons précisément de répercussions. Quelles sont celles qui intéresseraient l'efficacité de la politique monétaire?

M. Charles Freedman: Elles sont très mineures. C'était d'ailleurs l'une des questions qui avait été analysée par la BRI dont un des rapports comporte trois ou quatre pages à ce sujet.

Il pourrait y avoir des répercussions au niveau de certains aspects extrêmement techniques de la mise en oeuvre de la politique monétaire, mais pour ce qui est des craintes dont fait parfois état la presse populaire, où on lit parfois que l'avènement de l'argent électronique rendra impossible toute politique monétaire, etc., je ne pense pas qu'il y ait de véritable fondement.

Il y a toutefois certains petits aspects assez intéressants, et peut-être le mot «petit» est-il mal choisi. Admettons qu'un pays travaille surtout au niveau des agrégats monétaires. L'avènement de l'argent électronique pourrait effectivement avoir une incidence sur la nature de ces agrégats pour la simple raison que les gens utiliseraient davantage l'argent électronique que les chèques, ce qui pourrait avoir un effet sur les comptes de dépôt.

Mais pour des pays comme le nôtre qui ont surtout des objectifs directs en matière d'inflation, les effets seraient négligeables.

Le président: Merci beaucoup, monsieur Freedman, monsieur le gouverneur et monsieur Jenkins.

Au nom du comité, je tiens à vous remercier de nous avoir aidés dans cette étude du rapport de mai 1998 sur la politique monétaire de la Banque du Canada.

Comme toujours, cela a été un plaisir de vous recevoir. Vous nous avez été très précieux en nous signalant les problématiques variées qui influent sur notre économie. Je vous remercie.

La séance est levée.