:
Si vous le permettez, nous allons commencer. Bonjour, tout le monde. Bienvenue à la 54
e séance du Comité permanent de la condition féminine.
Conformément au paragraphe 108(2) du Règlement, nous poursuivons l'étude sur le harcèlement sexuel dans les milieux de travail fédéraux.
Comme premier témoin aujourd'hui, nous recevons Mme Vicky Smallman, directrice nationale du Service de la condition féminine et des droits de la personne, au Congrès du travail du Canada.
Bienvenue, madame. Merci d'avoir accepté notre invitation.
Nous recevons également le président de l'Association professionnelle des agents du service extérieur, M. Timothy Edwards, que je salue.
Voici la façon dont nous allons fonctionner aujourd'hui. Vous allez avoir 10 minutes chacun pour faire une présentation. Je vais vous avertir quand il va vous rester une minute. J'applique le même principe pendant la période de questions: j'avertis les gens quand il reste une minute. Parfois, cela déconcentre les témoins; c'est pourquoi je préfère le préciser avant.
On peut peut-être commencer par Mme Smallman, si ça vous convient.
Vous disposez de 10 minutes.
[Traduction]
Au nom des 3,3 millions de ses membres, je vous remercie de me donner l'occasion de présenter le point de vue du Congrès du travail du Canada.
Le CTC rassemble les syndicats nationaux et internationaux du Canada, les fédérations provinciales et territoriales du travail et 130 conseils du travail de district dont les membres travaillent dans presque tous les secteurs de l'économie canadienne, dans tous les métiers et toutes les professions, dans toutes les régions du pays.
Pendant la rédaction de cette déclaration préliminaire, je me suis rappelé les débuts de ma carrière d'activiste, quand j'étais représentante des étudiants dans un comité universitaire qui élaborait, pour la première fois, une politique concernant le harcèlement sexuel. C'était en 1987 ou dans les environs, et le harcèlement sexuel sur les campus et au travail faisait de plus en plus parler de lui. Tout le monde savait que c'était un problème, et nous luttions pour briser le silence qui l'entourait.
Malgré la clarification de nos droits par les tribunaux, l'élaboration de politiques dans tous les ordres de gouvernement et la négociation de conventions collectives partout au pays, il semble que ce silence continue de mettre en échec l'égalité et la justice véritables, particulièrement dans les milieux de travail dont la culture continue de refléter le déséquilibre du rapport des forces entre les femmes et les hommes.
Cela ne veut pas dire que les progrès ont été minimes. Les syndicats se sont efforcés de mobiliser puissamment et collectivement leurs membres contre le harcèlement au travail, y compris sexuel. Ils ont élaboré des cours de formation pour leurs représentants et des programmes de sensibilisation aux droits de la personne, à l'égalité des femmes, à l'hygiène et à la sécurité, à la négociation collective, qui, dans tous les cas, insistent sur la nécessité de prévenir le harcèlement et d'y réagir rapidement quand il se produit.
L'un des meilleurs moyens de prévention du harcèlement, quel qu'il soit, est un milieu de travail sain et inclusif, soucieux de respecter l'égalité des sexes. La sécurité d'emploi, une charge de travail raisonnable et de bonnes relations du travail, tout cela offre un sentiment de stabilité et de confort professionnels. Cela n'empêchera pas totalement certains comportements de harcèlement, mais cela pourrait créer un climat rassurant pour les femmes qui veulent porter plainte.
La culture du milieu de travail est importante. Au cours de votre étude, j'espère que vous songerez à examiner celle des milieux de travail fédéraux et tous les facteurs qui peuvent créer un climat favorable au harcèlement ou qui risquent d'empêcher la prévention du harcèlement — c'est-à-dire qui pourrait inciter les femmes à garder le silence.
Des politiques claires, y compris le libellé clair des conventions collectives, sont aussi indispensables, de même que la formation et le soutien aux employés et aux gestionnaires. La qualité de la représentation syndicale est également indispensable, car les représentants syndicaux peuvent entourer les femmes et les aider à s'y retrouver dans le processus. Dans un lieu de travail sain, on réagit rapidement au harcèlement, avant même qu'un grief ne soit nécessaire et, même dans ce cas, les échéanciers et les processus deviennent importants.
Dans une large mesure, cela se résume à une question de leadership. Il faut réagir rapidement aux plaintes et se montrer disposé à intervenir, au besoin. Lorsque les dirigeants montrent qu'ils veulent prévenir le harcèlement ou le réprimer, les femmes qui se sentent victimes peuvent être plus susceptibles de le signaler. L'employeur doit être sensible à toutes les formes de discrimination. Les dirigeants doivent considérer le harcèlement et la discrimination comme des problèmes d'organisation, et non comme des cas isolés de conflit entre individus. Inversement, si un dirigeant donne l'impression de vouloir éviter le conflit ou de faire peu de cas des problèmes, les femmes sont susceptibles de garder le silence.
Ce silence peut avoir d'autres causes. Quand on sait que, dans les affaires les plus médiatisées, la justice s'est fait attendre pendant des années, les femmes se sont fait montrer la porte, on les a qualifiées de fautrices de troubles, on leur a refusé des promotions ou on les a ostracisées, les avantages de la dénonciation ne sont pas évidents.
Sandy Welsh, professeure à l'Université de Toronto, a étudié les plaintes soumises à la Commission canadienne des droits de la personne entre 1978 et 1995. J'ignore si vous en avez entendu parler. Elle a constaté que la plupart des femmes qui avaient porté plainte avaient perdu leur emploi, étaient devenues malades ou avaient été rétrogradées. Seulement 28 p. 100 d'entre elles travaillaient toujours pour leur employeur. Il y a un coût à la dénonciation.
Mais il y en a un aussi au silence, qui frappe l'employeur et les employés. Nous savons que le harcèlement peut mener à l'absentéisme et à un manque de concentration au travail. Il s'ajoute aux autres facteurs de stress au travail. Il influe sur le rendement et la productivité. Les femmes peuvent avoir un comportement de retrait face à leurs collègues. Elles peuvent devenir déprimées ou angoissées, sombrer dans la toxicomanie ou l'alcoolisme ou finir par prendre un congé pour cause de stress ou de maladie. Nous savons que, dans certains cas, le harcèlement peut s'aggraver et devenir violent, parfois même mortel.
En brisant le silence, les femmes ont réalisé des gains. Dans le mouvement syndical, nous reconnaissons que le harcèlement est un problème grave qui sape les principes de solidarité et des droits de la personne qui sont fondamentaux pour les syndicats; que cet aspect de la violence exercée contre les femmes est aussi le symptôme d'un problème beaucoup plus grave: l'inégalité entre les hommes et les femmes dans notre société.
En 1993, l'Assemblée générale des Nations Unies a adopté la Déclaration sur l'élimination de la violence contre les femmes, qui dit notamment:
[Reconnaissant que] la violence faite aux femmes est une manifestation des inégalités traditionnelles dans les relations de pouvoir entre les hommes et les femmes, qui a entraîné l'assujettissement des femmes et la discrimination à leur endroit, sans compter qu'elle a aussi empêché les femmes de s'épanouir pleinement...
Votre étude porte sur le problème du harcèlement sexuel uniquement dans les milieux de travail fédéraux, mais je pense qu'il importe d'établir le lien qui existe entre lui et la nécessité plus générale, pour le gouvernement fédéral, d'agir pour mettre fin à la violence sexiste, particulièrement aujourd'hui, en cette journée de commémoration de la tuerie de 14 jeunes femmes à l'École Polytechnique de Montréal.
Nous nous souvenons et nous sommes déterminés à agir. Ce matin, le Congrès du travail du Canada s'unit aux groupes de femmes, aux fournisseurs de services et à d'autres pour réclamer trois mesures: un plan d'action national pour mettre fin à la violence faite aux femmes; une enquête nationale sur les morts et disparitions de femmes autochtones au Canada; l'exercice d'un leadership, aux réunions à venir de la Commission de la condition de la femme des Nations Unies, qui, cette année, se concentreront sur la question de la violence.
J'aimerais terminer par quelques mots sur la première de ces mesures, le plan d'action national.
Je pense que nous pouvons tous être d'accord pour dire que la violence faite aux femmes est un puissant obstacle à l'égalité des femmes et une atteinte aux droits de la personne des femmes. C'est un problème complexe, systémique, dont la solution exige une démarche globale. Les Nations Unies ont demandé à tous les pays de se doter de tels plans contre la violence faite aux femmes d'ici 2015. Le plan d'action national est une stratégie de changement, qui doit comprendre des mesures dans tous les ordres de gouvernement — dans les milieux de travail, les écoles, les communautés locales et culturelles et même dans les rapports et les comportements individuels.
Le gouvernement fédéral devrait lancer le processus d'élaboration du plan avec la participation des provinces et des territoires ainsi que des dirigeants autochtones, de la société civile, des fournisseurs de services et des survivantes de la violence sexiste. Le plan canadien doit être assorti de lois et prévoir des ressources et des stratégies précises pour les personnes les plus vulnérables à la violence. Ce sont les femmes autochtones, les immigrantes, les lesbiennes, les bisexuelles et les transsexuelles, les femmes handicapées et les jeunes femmes. Le plan doit également prévoir des ressources suffisantes pour la mise en oeuvre de ces stratégies, y compris le soutien à la recherche pour mesurer les progrès réalisés.
C'est cette recherche qui concerne cette étude. La dernière source de données fiables dont nous disposons sur le harcèlement sexuel en milieu de travail est l'enquête de 1993 intitulée Enquête sur la violence envers les femmes. Son 20e anniversaire s'en vient. Peut-être serait-il temps d'en recommander une nouvelle, qui pourrait servir à l'élaboration d'un véritable plan d'action national contre la violence envers les femmes.
Merci.
:
Merci, madame la présidente.
Je m'appelle Tim Edwards. Je suis président de l'Association professionnelle des agents du service extérieur.
[Traduction]
L'Association professionnelle des agents du service extérieur, l'APASE, est l'agent négociateur des diplomates non cadres du Canada, qui représente près de 1 400 employés principalement affectés aux Affaires étrangères et au Commerce international, à Citoyenneté et Immigration Canada et à l'Agence des services frontaliers du Canada. 53 p. 100 de nos membres sont des hommes; 47 p. 100, des femmes.
Je ferai observer, dès le départ, que l'APASE n'a pas de recommandation précise à formuler sur la politique du Conseil du Trésor sur la prévention et la résolution du harcèlement, d'octobre 2012, ni sur les mécanismes de plainte et de signalement, en cas de harcèlement, dans la fonction publique. J'ai cependant des choses à dire sur le harcèlement sexuel dans les milieux de travail fédéraux et sur des sujets connexes qui relèvent du mandat du comité.
À l'automne de 2012, l'APASE a effectué une enquête exhaustive pour évaluer les paramètres démographiques de ses membres, leurs conditions de travail et les répercussions sur la vie personnelle de la vie dans le service extérieur. Plus de la moitié de nos membres ont répondu au questionnaire, ce qui a permis d'établir une base statistique très fiable.
Près du tiers, 32 p. 100, de tous les répondants ont dit qu'ils avaient été victimes de harcèlement verbal, physique ou sexuel ou d'une autre forme de comportement abusif en milieu de travail, soit à l'administration centrale d'Ottawa, soit en affectation à l'étranger. Le pourcentage de ceux qui ont été témoins de tels comportements était de 45 p. 100.
La structure de l'enquête ne permet pas une ventilation des réponses selon le sexe, mais les tendances statistiques établies dans les lieux de travail de la fonction publique portent à croire qu'il est juste de supposer que les femmes ont répondu par l'affirmative à un taux plus élevé que les hommes.
En dépit de la protection légale des dénonciateurs, il est souvent difficile pour les femmes de signaler de tels incidents, vu leurs craintes pour leur avancement professionnel ou pour une éventuelle affectation. Contrairement aux autres fonctionnaires, les agents du service extérieur n'occupent pas leur poste; ils sont plutôt nommés à un niveau dans le groupe FS, puis sont affectés à des postes temporaires, selon les besoins du ministère. Tous les deux à quatre ans, ils doivent participer à un concours pour une nouvelle affectation.
Comme il s'agit d'affectations et non de nominations, dans le sens traditionnel du terme, les règles habituelles de transparence et d'équité, auxquelles la dotation ordinaire est assujettie, ne jouent pas. Un critère très important de sélection devient donc la réputation qu'on s'est faite auprès de ses collègues, celle dite des corridors. On peut tout de suite voir les importants facteurs intrinsèques qui dissuadent de dénoncer le harcèlement subi.
Même si on veut exercer des recours, il peut y avoir des difficultés pour les agents du service extérieur affectés à l'étranger, isolés de leurs réseaux traditionnels de soutien que sont la famille et les amis et des agents qui s'occupent de la plainte, sans compter le nombre réduit de témoins pour corroborer sa version des faits. La victime se trouve dans une position d'autant plus délicate que la mission est petite ou de taille moyenne, que l'effectif est peu nombreux, à peine deux ou trois personnes jusqu'à une quinzaine, les rapports de travail très étroits, rendant difficile le passage d'une unité ou d'un lieu de travail à un autre. Et c'est sans parler du harceleur, quand il est l'un des supérieurs la victime.
Au-delà du harcèlement, le service extérieur comporte des difficultés particulières. Les exigences de l'emploi rendent souvent les femmes vulnérables. Parmi les répondants qui avaient travaillé à l'étranger, près de 50 p. 100 étaient basés dans une ville ou une région au moment d'une attaque terroriste; 48 p. 100 avaient vécu une catastrophe naturelle; 64 p. 100 avaient été exposés à la désobéissance civile; 41 p. 100 à un conflit armé; 35 p. 100 à une épidémie ou à une pandémie.
Quant à l'évaluation des conséquences des compressions fédérales récentes, 36 p. 100 des répondants ont signalé une diminution de la qualité de vie de leur famille à l'étranger, et 52 p. 100 une augmentation du stress familial en affectation. Comme les femmes continuent d'être les principales pourvoyeuses de soins, dans la famille, y compris dans le corps diplomatique canadien, on peut affirmer, à coup sûr, que c'est surtout elles qui ressentent et qui absorbent les coups. Bien sûr, les observations anecdotiques qui accompagnaient les réponses à l'enquête mentionnaient spécifiquement la qualité et le coût du logement à l'étranger, des établissements d'éducation, des soins médicaux et de la garde des enfants.
Pendant leur affectation, les femmes sont souvent aux prises avec des problèmes différents de ceux de leurs homologues masculins. C'est particulièrement le cas dans les sociétés dont les valeurs religieuses ou culturelles sont incompatibles avec les normes canadiennes d'égalité des sexes, par exemple dans les pays de stricte obédience bouddhique ou islamique. Une diplomate s'exprime ainsi:
Le fait d'être diplomate au Moyen-Orient m'expose souvent à des situations où je suis la seule femme dans l'assemblée. Il peut être difficilement supportable d'être constamment un objet de curiosité ou la cible de regards scrutateurs, parfois la victime de harcèlement manifeste, particulièrement quand il n'y a pas moyen d'y échapper. J'ai demandé d'être accompagnée par un homme dans de nombreuses situations qui étaient trop inconfortables et probablement dangereuses s'il n'avait pas été là. Dans les faits, mon lieu de travail est radicalement différent de ce qu'il serait [pour tout autre fonctionnaire fédéral], et j'ai accepté ces risques et ces inconvénients. Cependant, avec les années, ces regards scrutateurs ou le spectre du harcèlement peuvent contribuer à l'épuisement professionnel et personnel.
Une autre:
À Sri-Lanka, les moines bouddhistes participent à la vie politique et nationale. Pendant le processus de paix, il a fallu rencontrer les chefs religieux pour promouvoir les valeurs et les priorités du Canada. Mais comme les règles leur interdisent tout contact avec les femmes — les poignées de main sont défendues et même l'acceptation d'une carte d'affaires, s'il y a risque de contact —, j'étais désavantagée, parce qu'on me faisait souvent asseoir à l'écart de mes homologues masculins. Par exemple, un diplomate australien était assis à côté de l'hôte, lors d'une rencontre importante, pendant que j'étais assise avec le personnel subalterne, malgré mon rang diplomatique. Ç'a m'a limitée dans mes interactions avec les principaux participants.
Les femmes sont aussi l'objet d'une attention physique indésirable et de harcèlement dans certains pays où le machisme est plus prisé que la sensibilité. C'est particulièrement exaspérant quand les harceleurs sont des personnes avec qui on collabore au niveau local, à l'extérieur de la mission, par exemple, des homologues dans les ministères locaux des pays d'affectation ou des confrères de pays partenaires. Or, à moins d'un rappel à grands frais, au milieu d'une affectation, le poste exige de poursuivre le travail avec eux, semaine après semaine, sans possibilité de recours, de réparation ni de résolution. L'alcool qu'on sert habituellement dans les réunions où les diplomates canadiens font du réseautage ou de la promotion au nom de l'État canadien n'aide pas les choses.
Mesdames et messieurs, j'ai essayé de vous présenter un instantané des difficultés particulières qu'affrontent les membres du service extérieur et qui se distinguent de celles des fonctionnaires fédéraux, puisqu'elles concernent le harcèlement sexuel et, de façon plus générale, nos conditions de travail à l'étranger, au service du Canada et des Canadiens.
Je serai heureux de répondre à vos questions ou d'aider le comité à obtenir les renseignements supplémentaires dont il pourra avoir besoin.
[Français]
Merci.