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Merci beaucoup. Bonjour.
Mon objectif, aujourd'hui, ce n'est pas seulement de donner un autre visage au problème — je ne m'étais pas rendu compte que j'allais être le seul visage —, mais aussi de vous donner un aperçu de la culture de protection qui est enracinée très profondément au sein de la GRC et du gouvernement fédéral.
J'écris des lettres aux médias depuis 1999, et j'écris aussi à des fonctionnaires du gouvernement, car j'essaie d'attirer l'attention sur ce problème très grave, en sachant bien que partout au pays, on a parlé des femmes et des hommes qui ont été victimes de harcèlement et de harcèlement sexuel.
J'aimerais vous mettre un peu en contexte. Je suis entrée à la GRC en 1989; à l'époque, j'étais mère célibataire et je recevais des prestations d'aide sociale, et je voulais améliorer ma vie et celle de ma fille. Pendant l'entraînement, les instructeurs disaient toujours qu'il fallait dire la vérité, ne jamais mentir, que la GRC nous protégerait et que la loi était sacrée.
Nous n'avons rien appris sur le respect en milieu de travail, sur la résolution de conflits ou sur les techniques de lutte contre l'intimidation au sein du détachement. Nous avons appris comment communiquer avec les gens violents, les gens qui avaient des idées suicidaires et les victimes de violence familiale, mais nous n'avons pas appris comment résoudre les conflits au sein de nos propres détachements et entre nos membres.
Dès le début, la conseillère de troupes nous a dit qu'en tant que femme, nous pouvions espérer demeurer de trois à cinq ans dans la GRC. Je ne comprenais pas vraiment ce qu'elle voulait dire. Je croyais qu'elle faisait référence au fait que nous allions nous marier et avoir des enfants et que c'était de cette façon qu'on allait graduellement nous tenir à l'écart.
Avec le recul, je me souviens que son visage était très sérieux. Je pense qu'elle faisait référence au harcèlement que nous étions sur le point de subir. C'était un sujet tabou. Personne n'en parlait. Ce sujet n'avait jamais été au premier plan avant que Catherine Galliford en parle publiquement.
En ce qui me concerne, dans mon tout premier détachement, on me taquinait bien sûr légèrement au début, mais avec le temps, les surnoms qu'on me donnait sont devenus de plus en plus dégradants. Mon superviseur, celui qui était responsable de moi, et un autre officier pensaient que c'était amusant de m'appeler « la touffe » et « petites boules », non seulement au bureau, mais lors des communications radio et en public. Lorsque je signais des cartes de souhaits, ils ajoutaient ces surnoms sous ma signature.
J'ai fait ce qu'il fallait faire, c'est-à-dire que je les ai rencontrés un par un et je leur ai parlé. Je leur ai demandé poliment d'arrêter de me donner ces surnoms. Ils ont ri, et ils ont commencé à me donner encore plus de surnoms. J'ai été voir mon sergent, le commandant de détachement, et il a ri aussi et il m'a dit que j'aimais peut-être recevoir toute cette attention.
Les choses ont empiré lorsqu'un autre officier supérieur s'est présenté au travail complètement saoul. Il était tellement saoul qu'il est tombé dans son cabinet d'armes à feu, et j'ai dû le relever. Je lui ai demandé d'attendre là, car j'allais verrouiller la porte du détachement et le reconduire à la maison. Je ne savais pas quoi faire, car c'était ma première année en tant qu'agent de police.
Pendant que je verrouillais la porte d'entrée, il est parti dans sa propre voiture, il a obligé un autre véhicule à quitter la route et a ensuite embouti une voiture stationnée; il a fini par se rendre chez lui. Je l'ai suivi dans une voiture de police et je l'ai vu entrer dans son allée. Heureusement, sa femme était à la maison et elle s'est occupée de lui.
Plus tard, lorsque j'ai recueilli la déclaration du témoin, et que j'ai écrit ma propre déclaration, il m'a donné sa déclaration. Il s'attendait à ce que je mente. Il disait que l'accident avait été causé par son pied qui était pris dans le tapis. Lorsque je lui ai dit que je ne mentirais pas pour lui, il a dit: « Eh bien, tu remets ta déclaration et je remets la mienne. » Par conséquent, il a été accusé de conduite avec facultés affaiblies et il a été reconnu coupable.
La bonne nouvelle, pour lui, c'est qu'il m'a avoué qu'il essayait d'arrêter de boire depuis 15 ans, et que tout le monde l'avait protégé. Il pleurait au téléphone et il me remerciait de l'avoir aidé à arrêter de boire. À ma connaissance, il n'a jamais bu de nouveau.
La mauvaise nouvelle, pour moi, c'est que les autres officiers considéraient que je ne faisais plus partie de leur groupe. Je suis devenue une cible. Lorsqu'il est revenu au travail, on m'a punie en me forçant à être sa partenaire. Cela signifiait que d'autres personnes devaient répondre aux appels, car il ne pouvait pas conduire.
Avec le temps, la situation est devenue très polarisée au détachement, c'est-à-dire que c'était eux contre moi. Un soir, je suis arrivée au travail, et lorsque j'ai voulu utiliser les toilettes des femmes, les vis des portes de chaque cabine de toilette avaient été en partie dévissées. Lorsque j'ai ouvert la porte, elle s'est détachée, m'a frappée au visage et m'a ouvert le crâne, ce qui a causé une commotion.
Lorsque je suis revenue au travail trois jours plus tard, j'ai trouvé un tétras des prairies mort dans mon cabinet d'armes à feu; son sang coulait sur mes effets personnels. J'ai conclu qu'il s'agissait d'une menace, d'un message me disant de la fermer. Cela a pris du temps, mais lorsque j'ai déposé une plainte auprès du commandant de mon détachement, après l'incident du tétras des prairies mort, il s'est rendu compte qu'il y avait un problème, mais rien n'a jamais été résolu.
On m'a mise à l'écart. Qu'arrive-t-il lorsque vous êtes une cible? On vous évite. Les gens ne vous parlent pas.
Imaginez que chaque jour, vous vous rendez au travail, vous saluez vos amis, madame la présidente, et personne ne vous répond. Lorsque le téléphone sonnait, ils se contentaient de me tendre le combiné. On ne disait pas « Il y a un appel pour toi. »
Je trouvais des notes méchantes dans mes dossiers. Lorsque je suis intervenue dans un cas de violence familiale — ces cas sont très graves — qui présentait un danger potentiel, un officier a refusé de me couvrir.
Lorsque les gens subissent un stress grave de ce genre, ils commencent à perdre confiance en eux. J'ai commencé à remettre en question tout ce que je faisais. Bien sûr, j'ai également commencé à faire des erreurs.
Toutes mes demandes de transfert ont été refusées. Enfin, à bout de ressources, j'ai déposé une plainte à la Commission canadienne des droits de la personne, en 1992.
J'ai été transférée à Selkirk, où je suis restée pendant plusieurs mois. J'ai aimé cela. Toutefois, un certain soir, j'ai décidé de rester et de prendre quelques verres avec des officiers — je ne voulais pas conduire; je ne suis pas une très grande personne — et un autre officier m'a offert de passer la nuit chez lui. Je suis donc restée chez lui tout en disant clairement que j'allais dormir dans une chambre et qu'il allait dormir dans l'autre. J'ai dit clairement que je n'étais pas intéressée. Toutefois, il est venu dans la chambre où j'étais et il m'a violée.
Vous pourriez penser qu'étant donné que j'étais policière, je connaissais des techniques d'autodéfense, je savais où frapper et j'avais une arme, mais j'ai réagi comme toutes les victimes. Vous ne savez jamais comment vous allez réagir jusqu'à ce que cela vous arrive vraiment. J'étais figée, non seulement en raison de ce qui m'arrivait, mais parce qu'il était un officier et il avait aussi une arme. J'ai gardé le silence au sujet de cet événement honteux pendant des années. Ce qui m'a fait le plus de bien, c'est lorsque j'ai écrit cette expérience et que j'ai été en mesure d'aider d'autres personnes qui avaient le même type de problème.
En 1994, je me suis blessée à l'épaule lors d'un accident pendant un entraînement avec un fusil de chasse. Ensuite, on a tenté de me renvoyer pour des raisons médicales. Pendant ma convalescence, qui a duré neuf mois, j'ai remarqué que la GRC avait pris des mesures pour aider des hommes qui s'étaient blessés en jouant au hockey ou qui étaient tombés de leur toit. On leur a permis de poursuivre une carrière fructueuse, et pourtant, on ne m'a pas traitée avec les mêmes égards. Je ne pouvais pas accepter cela. On m'a fait parvenir mes documents de renvoi pour raisons médicales, et pendant les six années suivantes, j'ai déboursé 14 000 $ et je me suis battue pour garder mon emploi. Enfin, en 2002, le Comité externe d'examen de la GRC a conclu que tous mes griefs étaient fondés et qu'on allait m'envoyer dans un autre détachement.
Pendant ces six années, étant donné que la GRC avait refusé de me donner de la formation, j'ai dû suivre une formation dans le domaine des ressources humaines. Le commissaire Zaccardelli a ordonné mon transfert dans une section dans laquelle il savait que je n'étais pas en mesure de réussir. Il est devenu évident qu'il s'agissait d'un transfert de punition.
Étant donné que j'ai des normes élevées en matière d'éthique au travail, je pensais que je pourrais réussir à m'adapter, mais je gagnais essentiellement 79 000 $ pour déchiqueter du papier et classer des dossiers. Je ne veux pas dire que c'est mauvais, mais je n'ai pas passé six ans à contester mon renvoi pour raisons médicales pour devenir une secrétaire. Encore une fois, toutes mes demandes de transfert ont été refusées.
Cette fois-là, le harcèlement et l'abus de pouvoir sont venus des officiers supérieurs, des employés du service de dotation en personnel, du surintendant de police en chef et des inspecteurs. Les gens avec qui j'ai travaillé dans le domaine des crimes commerciaux m'appuyaient et étaient compréhensifs. Ils étaient aussi surpris que moi de constater qu'on m'avait donné un poste pour lequel je n'avais manifestement aucune formation, aucune connaissance ou même aucun intérêt. La courbe d'apprentissage dans cette section était assez longue. De plus, en raison de ma blessure, je ne pouvais pas effectuer des tâches liées aux mandats de perquisition, ce qui fait partie du processus d'apprentissage de cette section hautement qualifiée.
Selon mon expérience, les représentants de la division étaient impuissants et n'étaient pas prêts à aller contre la chaîne de commandement. Ils me disaient essentiellement que je devais me débrouiller seule. Je suivais les procédures et les politiques chaque jour, partout où j'allais, et pourtant, la GRC faisait obstacle à tout ce que j'entreprenais.
Il faut se rendre compte que dans les cas de harcèlement, ce ne sont pas seulement les victimes qui souffrent, mais aussi les conjoints et les enfants. Je parle par expérience personnelle.
En 2006, j'ai embauché un autre avocat et j'ai déposé une autre plainte à la Commission canadienne des droits de la personne. J'ai aussi intenté une poursuite fédérale. Je savais que je devais faire quelque chose pour m'aider à survivre, et j'ai donc écrit un livre sur mes expériences. Cela m'a aidée à me rappeler en détail tout ce que j'avais vécu. Cela m'a aussi permis d'aider d'autres femmes et d'autres hommes qui avaient été victimes de harcèlement et d'abus en milieu de travail, non seulement au sein de la GRC, mais dans d'autres organismes du gouvernement fédéral.
Un officier m'a dit: « Tu sais, Sherry, la GRC te déteste. Elle veut te ruiner. On veut que tu te suicides ou que tu perdes tous tes moyens financiers. » Si vous avez écouté un peu ce que je viens de dire, vous pouvez comprendre que j'ai considéré qu'il s'agissait d'une menace réelle.
Mon objectif après avoir survécu pendant 20 ans, c'était d'encourager les gens à dénoncer la situation, à les sensibiliser aux répercussions du harcèlement en milieu de travail, à leur parler de l'intimidateur, du témoin et de la victime, et aussi des coûts que cela entraîne, mais plus important encore, je veux qu'on rende les personnes responsables de leur comportement.
J'ai écrit quelques points qui, à mon avis, sont importants. Je suis très heureuse d'avoir participé à cette audience. Il est essentiel que les gens puissent s'exprimer. Je crois que le meilleur processus de guérison pour les victimes d'aujourd'hui et de demain consiste à produire des archives vidéo ou audio comme celles-ci pour qu'elles puissent avoir au moins deux minutes pour raconter ce qui leur est arrivé, et que cela soit documenté. Cela fait partie du processus de guérison.
Pour moi, c'était mon livre, et je vais continuer de parler au nom des gens. Je rencontre toujours des personnes qui tentent de vivre avec ce qui leur est arrivé et qui n'y parviennent pas. Je crois qu'il est important de porter des accusations criminelles contre les délinquants de la GRC, et de mener des enquêtes impartiales sur les agressions sexuelles commises par des officiers de la GRC, par exemple, et d'améliorer les pratiques d'embauche.
Par exemple, dans les années 1990 — il existe probablement des documents à ce sujet —, on a demandé aux représentants des Forces canadiennes et d'autres organismes du gouvernement fédéral, y compris la GRC, s'ils souhaitaient qu'on offre de la formation sur le harcèlement et si c'était nécessaire. Le commissaire de l'époque a refusé en disant que ce n'était pas nécessaire. Cela en dit long sur le type de gens qu'on embauche et qui obtiennent des promotions.