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FEWO Réunion de comité

Les Avis de convocation contiennent des renseignements sur le sujet, la date, l’heure et l’endroit de la réunion, ainsi qu’une liste des témoins qui doivent comparaître devant le comité. Les Témoignages sont le compte rendu transcrit, révisé et corrigé de tout ce qui a été dit pendant la séance. Les Procès-verbaux sont le compte rendu officiel des séances.

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Emblème de la Chambre des communes

Comité permanent de la condition féminine


NUMÉRO 073 
l
1re SESSION 
l
41e LÉGISLATURE 

TÉMOIGNAGES

Le mercredi 1er mai 2013

[Enregistrement électronique]

(1530)

[Français]

    Nous accueillons des représentants de la Commission canadienne des droits de la personne: M. David Langtry, M. Michael Smith et Mme Valerie Phillips.

[Traduction]

     Nous vous remercions d’être là. Vous avez 10 minutes pour nous faire part de vos observations préliminaires et nous passerons ensuite aux questions des députés.

[Français]

    Par la suite, nous allons suspendre la séance, le temps de permettre aux autres témoins de s'installer, puis nous allons poursuivre la séance.
    Monsieur Langtry, vous avez la parole.
    Madame la présidente et honorables membres du comité, je vous remercie d'avoir invité la Commission canadienne des droits de la personne à s'adresser à vous sur le territoire traditionnel du peuple algonquin.
    J'aborderai trois points importants.
    Premièrement, il faut mettre en place un régime équitable, disponible et facile d'accès pour veiller au partage des biens immobiliers matrimoniaux dans les réserves, car il s'agit d'un enjeu de droits de la personne à régler de toute urgence.
    Deuxièmement, de nombreuses Premières Nations n'ont pas les ressources nécessaires pour mettre en place un régime efficace de partage des biens immobiliers matrimoniaux.
    Troisièmement, le fait que la compétence de la commission soit contestée par certains pourrait nuire à sa capacité à traiter les plaintes qui concerneraient le régime de partage des biens immobiliers matrimoniaux dans les collectivités des Premières Nations.

[Traduction]

     Les normes en matière de droits de la personne, tant internationales que nationales, exigent un traitement égal des femmes devant la loi. Ces mêmes normes préconisent aussi que les femmes et les enfants soient protégés contre la violence. Quand survient un divorce ou une séparation, les femmes qui vivent dans une réserve sont plus à risque d’être désavantagées. L’absence de régimes équitables de partage des biens immobiliers matrimoniaux les désavantage encore plus. J’en arrive à mon deuxième point.
     Il semble que le projet de loi vise à fournir un mécanisme de partage des biens immobiliers matrimoniaux dans les réserves en attendant que les Premières Nations créent leur propre régime. On prévoit que cette mesure sera temporaire, mais de nombreuses Premières Nations n’ont même pas les ressources financières et humaines nécessaires pour mettre en place un mécanisme efficace de règlement des différends. Cette question fait partie d’un enjeu plus vaste.
     Des Premières Nations sont aussi limitées quant aux ressources dont elles auraient besoin pour concrétiser, dans les réserves, d’autres mesures liées aux biens immobiliers matrimoniaux comme le logement, les centres d’hébergement d’urgence, le counselling et les services d’aide juridique. C’est en menant des activités nécessitant la collaboration d’organisations des Premières Nations que la commission a pris conscience de cette réalité.
     En collaboration avec plusieurs intervenants des Premières Nations, la commission a créé des outils pour accroître la capacité des Premières Nations à résoudre des différends liés aux droits de la personne dès qu’ils surviennent, chaque fois que c’est possible. Dans un grand nombre de collectivités, on nous a dit que la mise en oeuvre d’un tel régime ne serait pas possible avec les ressources qui sont actuellement à leur disposition. J’en arrive ainsi à mon troisième point.
     Le fait que la compétence de la commission soit contestée par certains pourrait nuire à sa capacité à traiter des plaintes qui concerneraient un régime de partage des biens immobiliers matrimoniaux dans les collectivités des Premières Nations. En vertu de son mandat d’application de la Loi canadienne sur les droits de la personne, la commission reçoit des plaintes de discrimination liées à des emplois et des services fournis par des organisations sous réglementation fédérale. Les gouvernements des Premières Nations en font partie.
     En 2008, le Parlement a modifié la Loi canadienne sur les droits de la personne de manière à y inclure la Loi sur les Indiens du Canada. Cette modification a eu pour effet de permettre aux personnes vivant dans une réserve de porter plainte contre le gouvernement fédéral et leur propre gouvernement lorsqu’elles estiment subir de la discrimination. Même si le mandat de la commission est clair, sa compétence est remise en question.
     En vertu de l’article 5 de la loi, la plupart des activités gouvernementales sont considérées comme étant un service. Cependant, la commission a reçu un grand nombre de plaintes contre le gouvernement fédéral sur des enjeux liés aux Autochtones qui ont été contestées par certaines personnes, dont le procureur général. La contestation porte notamment sur ce qui concerne un « service ». Si les contestataires obtiennent gain de cause, la Loi canadienne sur les droits de la personne pourrait ne plus s’appliquer à l’ensemble du financement alloué par le gouvernement du Canada pour les services.
     Le projet de loi ne précise pas clairement que le régime de partage des biens immobiliers matrimoniaux serait considéré comme un service en vertu de la Loi.
     Je terminerai en ajoutant que le comité a entendu ou entendra plusieurs témoins qui seront directement touchés par le projet de loi. À mon avis, les commentaires de ces personnes ont une importance capitale.
(1535)
     Je vous invite à répondre aux trois questions suivantes durant vos délibérations: premièrement, le projet de loi assure-t-il aux femmes un accès équitable à la justice? Deuxièmement, le projet de loi permet-il aux femmes de faire valoir leurs droits en toute sécurité? Troisièmement, les Premières Nations ont-elles la capacité nécessaire pour créer et mettre en place leur propre régime de partage des biens immobiliers matrimoniaux? Si elles ne l’ont pas, que peut-on faire pour régler ce problème?
     Je vous remercie de votre attention. Je serai heureux de répondre à vos questions.

[Français]

    Merci beaucoup, monsieur Langtry.
    Nous allons maintenant passer au premier tour de questions.
    Madame Truppe, vous disposez de sept minutes.

[Traduction]

    Merci, madame la présidente.
     Je vous remercie, monsieur Langtry, d’être venu aujourd’hui. Le projet de loi S-2 vise à réduire les inégalités quant aux mesures de protection et aux droits en lien avec les biens immobiliers matrimoniaux dans les réserves, en particulier pour ce qui est du foyer familial et de la défense des personnes qui sont les principales dispensatrices de soins, en majorité des femmes. Il vise aussi à protéger les personnes qui vivent des situations de violence familiale, de séparation, de divorce ou de décès.
     Croyez-vous que les hommes et les femmes autochtones des réserves devraient avoir accès aux mêmes protections que le reste des Canadiens en ce qui concerne les biens familiaux?
    Bien sûr. De la même manière que nous nous sommes fait l’avocat de l’abrogation de l’article 67, la Commission canadienne des droits de la personne a toujours adopté le point de vue selon lequel tous les Canadiens doivent avoir le même accès à la protection de leurs droits fondamentaux. Assurément, c’était l’argument avancé à cette époque, c’est-à-dire que pendant 35 ans, contrairement au reste de la population canadienne, les membres des Premières Nations, soit plus de 700 000 habitants du pays, n’ont pas eu les mêmes perspectives que tous les autres Canadiens. Donc, la réponse est oui.
    Merci.
     Êtes-vous d’accord avec moi que le projet de loi S-2 offrira aux femmes des Premières Nations des protections et des droits en lien avec les biens familiaux, qui s’apparenteront à ceux dont jouissent d’autres femmes hors réserve?
    C’est notre sentiment, et certainement mon opinion personnelle durant mes 15 années de pratique à titre d’avocat en droit de la famille, que le régime que propose S-2 serait analogue, puisqu’il prévoit les mêmes droits aux personnes hors réserve, soit l’accès aux tribunaux provinciaux ou territoriaux, après la période de transition d’une année, en l’absence d’un régime visant les biens immobiliers matrimoniaux élaboré par la communauté autochtone concernée, ce qui serait la même chose pour d’autres qui demanderaient assistance. La question demeure, soit les femmes membres des Premières Nations qui vivent dans une réserve ont-elles accès aux tribunaux provinciaux ou territoriaux?
(1540)
    À propos des femmes vivant dans une réserve, vous avez dit qu’en cas de séparation du couple, elles risquent fort de subir un préjudice. L’absence d’un juste régime de partage des biens immobiliers matrimoniaux les place dans une situation encore plus désavantageuse. Pourquoi cela et quels préjudices pourraient-elles subir?
    Je ne veux bien sûr pas parler à leur place ni me substituer aux femmes des Premières Nations, aux femmes autochtones, qui vivent dans les réserves. J’inviterais Valerie Phillips, qui est conseillère juridique au sein de nos services et qui s’occupe de... Nous organisons des tables de consultation réunissant des femmes autochtones dans le cadre de notre programme d’accès à la justice, et il est question de l’accès à la Commission canadienne des droits de la personne, de la procédure de traitement des plaintes et de la prestation de ces services. C’est dans le cadre de cette démarche que nous entendons parler des conditions et des défis auxquels font face les femmes membres des Premières Nations ou qui vivent dans les réserves; mentionnons le manque de sensibilisation, la peur de représailles en cas de dénonciation, la sécurité en général, les problèmes de confiance envers les leaders et, bien sûr, beaucoup de femmes, après une séparation, sont bien des fois obligées ou forcées, avec leurs enfants, de quitter la collectivité, que ce soit en raison de l’absence de logements adéquats ou pour d’autres raisons.
     Beaucoup de femmes autochtones ont des problèmes dus à leur manque d’instruction et à leurs faibles qualifications professionnelles et elles se retrouvent seules dans une communauté qui n’a aucune ressource ni services de soutien. De nouveau, je chercherais à résoudre le problème que constituent l’absence de centres d’hébergement locaux dans les communautés des Premières Nations et le manque de services de counselling et de soutien.
    Le projet de loi S-2 permet à un agent de la paix de demander une ordonnance de protection d’urgence à la place de quelqu’un. Ainsi, en cas de violence familiale, un tiers peut remplir la demande, au lieu d’obliger la victime à quitter la maison et à confronter l’époux ou le conjoint violent.
     Êtes-vous d’accord pour dire que le fait de permettre à un agent de la paix de demander une ordonnance de protection d’urgence aidera les membres des réserves qui sont victimes de violence conjugale, du fait qu’on leur offrira ainsi des options moins radicales?
    Du point de vue de la Commission canadienne des droits de la personne, et n’étant pas forcément en position de me pencher sur les enjeux auxquels peuvent faire face les résidants d’une réserve, et, encore une fois, sans vouloir parler à la place des femmes... Cela dit, permettez-moi d’ajouter que le fait d’avoir autant de moyens de protection et d’avoir plus facilement accès aux tribunaux sera quelque chose qui recevra toujours notre soutien, si une personne a vraiment le choix, la possibilité et l’accès et qu’elle est consciente de ses droits, car quelqu’un qui ne connaît pas ses droits n’est pas capable de les exercer.
    Une des options dont il a été question par rapport au centre d’excellence, a été d’envisager des moyens permettant de faire une demande d’ordonnance de protection d’urgence par Internet. Pensez-vous que cela rendra l’ordonnance de protection d’urgence plus facile d’accès pour les personnes vivant dans les réserves les plus reculées?
    Je suppose que la question sur laquelle on se penche — sans répondre directement à la question, mais certainement du point de vue de l’accès à notre système de traitement des plaintes — c’est qu’il est bien beau de vouloir aller en ligne et d’offrir les formulaires sur Internet, en particulier pour les communautés isolées, les collectivités des Premières Nations, mais il n’y a pas Internet partout et l’accès n’est pas toujours possible. Même s’il y a Internet, il n’y a pas nécessairement l’infrastructure ou le matériel ou quelque chose d’autre permettant d’y avoir accès. Nous avons adopté une procédure d’examen des plaintes en ligne, mais conscients qu’une vaste partie de la population, en particulier les personnes les plus vulnérables, ont grand besoin des services que nous offrons, nous permettons toujours une prise de contact en personne et une aide sur place et nous ne disons jamais que tout se trouve en ligne.
    Merci.
     Combien de temps me reste-t-il?
    Il vous reste cinq secondes.
    Cinq secondes? Je passe mon tour, alors.
     Merci beaucoup.
    Merci, madame Truppe.
     Je vais maintenant passer à Mme Crowder, qui a droit à sept minutes.
    Merci, madame la présidente.
     Merci, monsieur Langtry. Je crois que les trois questions énoncées à la fin de votre exposé sont de très bonnes questions, soit assurer un accès équitable à la justice, permettre de faire valoir ses droits en toute sécurité et bien sûr donner la capacité nécessaire pour créer et mettre en place un régime de partage des biens immobiliers matrimoniaux.
     Je veux juste aborder... Je siégeais au Comité des affaires autochtones quand il s’est penché sur la question de l’abrogation de l’article 67. Dans ce projet de loi, on accordait une période de transition de trois ans pour permettre aux collectivités de faire le nécessaire pour être en mesure de remplir leurs nouvelles obligations. Dans le projet de loi actuel, la période de transition n’est que d’une durée d’un an.
     Avez-vous quelque chose à dire sur l’importance de disposer d’une période de transition suffisante pour mettre au niveau les collectivités?
(1545)
    Oui, et merci d’avoir posé la question.
     Vous vous souvenez peut-être que nous avons discuté de la période de transition lors du projet d’abrogation de l’article 67, et que celle-ci avait été portée à trois ans d’un commun accord. Selon notre expérience... en trois ans, nous avions bâti un modèle après les amendements constitutionnels qui s’étaient produits aussi. À l’époque — et j’établirais une analogie avec ce projet de loi —, on savait bien qu’au moment de l’adoption de la Loi canadienne sur les droits de la personne en 1977, la réserve inscrite à l’article 67 se voulait une mesure temporaire, laquelle bien sûr a duré 31 ans avant d’être finalement abrogée. Nous faisions remarquer qu’une période de transition d’un an ne suffirait pas aux gouvernements des Premières Nations qui n’avaient jamais été assujettis à la Loi canadienne sur les droits de la personne, alors que le gouvernement fédéral et les employeurs sous réglementation fédérale avaient eu 30 ans pour apprendre à fonctionner en vertu de la loi.
     Nous avons accueilli favorablement et avons publiquement appuyé ce délai de trois ans sur lequel on s’est finalement entendu. Je peux dire que, selon notre expérience, même ces trois années ne sont pas nécessairement suffisantes, mais heureusement qu’on a accordé trois ans, parce que nous avons continué de travailler avec les gouvernements des Premières Nations à plus d’un chapitre, en particulier pour non seulement sensibiliser mais aussi outiller quant aux mécanismes extrajudiciaires de règlement des différends. Un certain nombre de collectivités en ont, beaucoup n’en ont pas, et un grand nombre nous demandent des conseils sur la façon d’en élaborer. Ce travail se poursuit, même si nous le faisons maintenant depuis juin 2008. Bien sûr, nous approchons du cinquième anniversaire de ce changement.
     Donc, bien qu’une période suffisante soit appréciée, même pour la mobilisation de la collectivité, pour que les Premières Nations voient si elles souhaitent élaborer leurs propres lois, leurs propres règles visant les biens immobiliers matrimoniaux, même sans parler d’un mécanisme extrajudiciaire, une année pourrait ne pas suffire pour faire participer la collectivité.
    Je veux parler un peu de votre trousse d’outils. Je n’ai pas eu le temps de lire tout le document, mais vous parlez d’accès équitable à la justice et du droit de jouir de ses droits en toute sécurité. Des témoignages entendus nous font croire que le simple fait qu’une personne ait accès aux tribunaux provinciaux et jouisse d’un partage des biens ne veut pas dire pour autant que sa communauté constitue un lieu sûr. C’est possible. Des représailles peuvent ne pas tarder; une forte animosité peut se manifester.
     Quand j’ai examiné de près votre méthode communautaire de règlement des différends, une des choses qui m’a frappée, c’est que toute la communauté participait à toutes les étapes d’élaboration de la procédure de règlement des différends. Je crois qu’ailleurs cette démarche se révèle un moyen d’éducation pour la communauté également, de sorte que l’ensemble des membres de la collectivité peut être amené à envisager une façon différente de faire les choses. Ainsi, les gens pourraient s’inspirer d’exemples concernant le partage des biens immobiliers matrimoniaux.
     À votre avis, vaut-il la peine de financer ce processus de règlement des différends pour que les collectivités en fassent un outil, pour permettre de faire face à quelques-unes des répercussions de la nouvelle loi de partage des biens immobiliers matrimoniaux?
    Absolument, je considérerais le mécanisme de règlement extrajudiciaire des différends, dépendant du mécanisme adopté par chaque collectivité... Il pourrait avoir une très large application englobant toutes les sortes de différends. Le modèle mis de l’avant n’est pas limitatif et peut ne pas s’appliquer uniquement aux litiges qui pourraient constituer une plainte au sens de la Loi canadienne sur les droits de la personne. Ce mécanisme pourrait opérer à l’échelle communautaire ou à l’échelle régionale ou à n’importe quelle échelle — encore une fois, peu importe la collectivité.
     La trousse donne des exemples de mécanismes de règlement des différends des Premières Nations, qui fonctionnent et qui sont à l’essai. Nous avons invité ces collectivités à nous aider à concevoir cette trousse et je crois que ce serait possible de se pencher sur certains des enjeux qui peuvent apparaître en lien avec les biens familiaux également.
     Je m’empresse d’ajouter — parce que vous avez parlé de sécurité — que la Loi canadienne sur les droits de la personne stipule qu’en présence d’une plainte, nous pouvons exiger que le plaignant ait recours au mécanisme de règlement extrajudiciaire des différends. L’application de cette modalité est cependant laissée à la discrétion du tribunal. Ce n’est pas obligatoire. Donc, la simple présence d’un bon système ne veut pas dire que nous n’accueillerions pas la plainte.
     Je signale cela, parce que les femmes autochtones nous ont dit, lors des consultations, qu’elles ne se sentiront pas nécessairement en sécurité du fait qu’elles ont accès au mécanisme communautaire, si un tel mécanisme devait exister. Nous les rassurons en leur disant qu’elles n’y sont pas tenues, si une plaignante nous informe des motifs qui l’amènent à refuser l’accès à ce mécanisme et dit préférer s’adresser à la Commission canadienne des droits de la personne. Dans ces circonstances, on peut bien sûr procéder de la sorte.
     Le grand principe qui guide notre action est le suivant: plus la source du conflit est proche et plus le conflit peut être résolu rapidement, mieux c’est pour toutes les parties.
(1550)
    Il vous reste 30 secondes.
    Juste une courte remarque sur la procédure en ligne; ce n’est pas seulement les communautés rurales ou éloignées. J’habite sur l’île de Vancouver, à Nanaimo—Cowichan, à une heure de route au nord de Victoria, et un kilomètre après la sortie de l’autoroute, Internet haute vitesse n’est pas disponible. Ce n’est donc pas la panacée face à ces problèmes.
     Merci beaucoup, monsieur Langtry.
    Merci, madame Crowder.
     Nous allons passer à Mme O'Neill-Gordon, qui a sept minutes à sa disposition.
    Merci, et merci à vous, monsieur Langtry. Ça fait plaisir de vous voir et de vous entendre.
     Je peux vous assurer que le message de notre gouvernement a toujours été clair: la violence faite aux femmes, peu importe où, ne saurait être tolérée. Pourtant les femmes vivant dans les réserves sont victimes d’abus et de brimades sans bénéficier des mesures de protection dont elles ont besoin, et plus précisément sans les droits et les mesures de protection dont disposent toutes les autres femmes au Canada.
     Assurément, nous avons tenu beaucoup de consultations sur le projet de loi S-2. Ainsi, 103 consultations ont été organisées dans 76 communautés, et notre gouvernement a consacré 8 millions de dollars à cette étude. Nous savons qu’il faut aller de l’avant et en faire une réalité.
     Ça fait 25 ans que ce vide juridique existe. Tout le monde, y compris les témoins du comité, convient que le projet de loi S-2 ne se veut pas une loi fourre-tout et qu’il n’a pas été rédigé dans l’intention de combler un vide juridique en particulier.
     Convenez-vous avec moi que les hommes et les femmes membres des Premières Nations qui vivent dans les réserves ne devraient pas devoir attendre 25 ans de plus que ce vide juridique soit comblé? Nous devons intervenir maintenant pour protéger la vie des femmes.
    Permettez-moi de dire que nous avons fait valoir une position analogue en ce qui concerne l’abrogation de l’article 67. Tous les Canadiens — et il ne faudrait pas se limiter à ceux qui ne sont ni Autochtones ni membres d’une Première nation — ont les mêmes droits. C’est l’argument que nous avons soutenu en faveur de l’abrogation de l’article 67. Nous avons accueilli avec plaisir l’abrogation de l’article 67 et le processus adopté pour y arriver.
     Lors de mes comparutions antérieures, on m’a interrogé pour savoir si l’abrogation de l’article 67 réglerait tous les problèmes des collectivités des Premières Nations. Je paraphrase la question. J’ai répondu alors de la même manière que je vous réponds maintenant.
     La loi ne règle pas à elle seule toutes les causes premières des enjeux des communautés des Premières Nations. Mais, pour reprendre ce que nous avons dit au départ, on a déterminé que le besoin d’un régime juste, disponible et facile d’accès pour le partage des biens immobiliers matrimoniaux constitue un besoin urgent en termes de droit de la personne.
     Donc, oui, c’est nécessaire, si on se fie à tout ce qu’on a entendu. Personne n’en conteste la nécessité. Certains ont proposé des moyens différents pour y arriver, mais je conviens personnellement de la nécessité de la démarche, en m’appuyant sur mon expérience et au nom de la commission. Par ailleurs, tout le monde doit être conscient du fait que ça n’éradiquera pas les causes premières, et ce dans bien des situations.
(1555)
    Nous pensons la même chose. Ce n’est pas parce qu’on ne s’attaque pas ainsi à toutes les causes qu’il vaudrait mieux ne rien faire. Nous voulons avancer sur cette question nous aussi.
     Avant de devenir députée, j’étais enseignante dans une réserve. J’ai souvent assisté aux épreuves et au chagrin présents chaque fois qu’une famille éclate. En m’occupant des enfants, j’ai constaté qu’ils subissent beaucoup de violence et ressentent beaucoup de chagrin.
     Diriez-vous avec moi qu’il faut tenir compte de la présence d’enfants dans la famille pour décider de qui aura le droit d’occuper le foyer familial en cas de séparation ou de divorce?
    Si je peux me permettre de coiffer mon ancien chapeau, celui de spécialiste du droit de la famille, je dirais oui, absolument.
     J’étais sous-ministre adjoint des services à l’enfance et à la famille au Manitoba, responsable de l’aide à l’enfance, des programmes de prévention de la violence familiale, de la garderie et ainsi de suite.
     En vertu de la loi, et devant les tribunaux, la chose la plus importante est toujours l’intérêt supérieur de l’enfant. De nombreux tribunaux, de nombreuses décisions et de nombreux auteurs attestent qu’il est bien mieux de maintenir l’enfant au domicile familial plutôt que de le contraindre à déménager. C’est la position que j’ai toujours défendue, la possession du domicile conjugal doit revenir au parent qui obtient la garde des enfants.
    Un refuge n’est rien d’autre qu’un refuge.
     Je suis d’accord avec vous, comme nous tous, pour affirmer que les enfants doivent rester dans leur domicile, là où ils se sentent à l’aise, c’est beaucoup moins déstabilisant pour ces pauvres petits que d’être obligés de changer de cadre de vie. Je suis heureuse de vous entendre dire que vous pensez vous aussi que les enfants sont mieux chez eux, mieux que dans un refuge.
     Le CCDP est-il d’accord pour dire que l’accès aux ordonnances de protection d’urgence nous aidera à garantir la sécurité d’une personne confrontée à la violence familiale?
    Encore une fois, si je peux me permettre de m’exprimer à titre personnel, sans représenter le CCDP, les ordonnances de protection d’urgence sont toujours demandées dans les situations d’urgence. Hélas, nous savons que ces ordonnances ne garantissent pas toujours la sécurité de la personne, que ce soit dans une réserve de Première Nation ou en dehors. Je ne dis pas du tout qu’il faut y renoncer, je ne fais qu’énoncer la simple réalité.
     Comme nous l’ont dit les femmes autochtones, ce qui les inquiète c’est que même si elles obtiennent toutes les ordonnances de protection d’urgence mais qu’elles restent dans leur communauté par obligation ou par choix, elles risquent de subir des représailles pour avoir initié ces actions, et leur santé, leur sécurité peuvent être menacées.
     Donc, oui, je suis en faveur des ordonnances de protection d’urgence, mais se pose alors le problème de leur application et de leur respect au sein des réserves.
    Merci, madame O’Neill Gordon.
     Madame Bennett, vous avez sept minutes.
    Merci beaucoup et merci aux témoins.
     Je crois que la dernière observation est très importante. Dans les villes et plus encore dans les communautés rurales, où tout le monde sait où vous habitez, à moins d’avoir une protection en permanence, un bout de papier ne sert pas à grand-chose. Les femmes doivent prendre leurs propres décisions en fonction de leur sécurité et de leur perception du risque de représailles.
     Comme vous le savez, notre camp pense que Wendy Grant-John a été très explicite en affirmant que la législation ne donnera rien à elle seule, et qu’il faut prendre des dispositions face aux enjeux non législatifs majeurs que vous avez soulignés.
     Je pense que notre camp doit dire, pour mémoire, que notre réponse à vos trois questions sera non, non et non. À moins qu’il n’y ait un vrai engagement, nous ne pouvons pas laisser croire au gouvernement qu’il pourra faire passer cette loi — qui prévoit les ordonnances de protection d’urgence, mais ne prend aucun engagement concret. Il y a peu de chance que cela aboutisse, que cela soit pour l’eau ou pour les biens immobiliers matrimoniaux.
     Je suppose que le gouvernement va tenter de faire adopter ce texte de toute façon. Nous devons savoir comment vous pouvez nous aider à l’améliorer. Il me semble que l’un des enjeux est la possibilité pour les Premières Nations d’accroître leur capacité. Comme vous l’avez dit, dans l’abrogation de l’article 67 se trouvait une période de transition de trois ans pour permettre aux gens d’accroître leur capacité. D’après ce que nous avons entendu, il est clair que 12 mois n’y suffiront pas.
     Il y aussi un centre d’excellence qui ne sera pas encore opérationnel quand ce projet de loi sera adopté. Pensez-vous que 12 mois suffisent pour créer des capacités dans suffisamment de communautés pour que tout ceci fonctionne au moins un peu, ou diriez-vous qu’il faudrait 36 mois, comme c’était le cas avant l’abrogation de l’article 67?
(1600)
    Encore une fois, forts de notre expérience, nous nous sommes réjouis de cette période de 36 mois. Nous avons trouvé que c’était une aide importante pour travailler avec les gens et les gouvernements des Premières Nations, pour fournir les informations, etc.
     Pour ce qui est de fournir de la capacité, la capacité c’est bien sûr un vaste fourre-tout, si vous me passez l’expression, pour beaucoup de choses, alors pour le problème des ressources humaines et financières, non. Mais pour ce qui est de développer la capacité, encore une fois je reviendrai sur les commentaires que j’ai faits à propos de la mise en place d’une solution de rechange au règlement des conflits. Grâce au travail que nous avons fait avec les réserves, et à ce qu’elles ont réalisé par elles-mêmes, nous leur avons fourni aide et conseils à la demande, nous avons développé une série d’outils en collaboration avec des Premières Nations, en prenant en compte leurs contributions. Grâce à tout cela, beaucoup d’entre elles sont sur la bonne voie.
     Il me semble que, si une Première Nation se trouve devant l’éventualité que le régime devienne provincial ou territorial au bout d’un an, et qu’elle choisisse de ne pas l’accepter — qu’elle préfère l’administrer elle-même — elle pourrait, soit se prévaloir des outils que l’APN a développés comme modèle de législation, soit opter pour un mécanisme alternatif de règlement des différends permettant de solutionner certains problèmes.
     Comme je l’ai déjà dit, comme nous travaillons avec les communautés de Premières Nations, nous savons d’expérience que beaucoup d’entre elles veulent prendre tout à leur charge. Un an n’y suffira pas avec les limites et les restrictions auxquelles font face les communautés de Premières Nations aujourd’hui au Canada. Une plus longue période serait-elle souhaitable? Oui, mais je pense que les Premières Nations ont fait preuve de leur résilience par le passé, et je crois qu’elles travailleront aussi dur que possible.
    Monsieur le président Langtry, quand nous avons fait l’étude sur les changements de la Loi sur le divorce et la garde, nous avons entendu des témoignages poignants de gens qui nous ont dit qu’en cas de violence ou de conditions trop inégalitaires, les programmes de règlement extrajudiciaire des conflits ne sont pas toujours appropriés. Les gens ont besoin d’une autre voie. À la lumière de votre expérience, qu’en pensez-vous?
    Absolument. C’est le cas dans les affaires en cours avec les programmes existants, lorsqu’un programme de gestion informelle des conflits, ou PGIC, est offert. Souvent, à cause d’une vulnérabilité particulière liée à un problème de santé mentale ou à une plainte pour harcèlement sexuel ou violence sexuelle, les plaignantes nous disent qu’elles ne veulent pas se prévaloir d’un PGIC. En réalité bien sûr, beaucoup de professionnels du PGIC s’attaquent au déséquilibre des pouvoirs, mais pour ce qui est des autres problèmes… Donc s’il s’agit de faire courir le moindre risque à une femme en l’obligeant à participer à ce processus, alors nous dirions que, dans ce cas précis, ce n’est pas un choix valable et nous enregistrerions la plainte.
(1605)
    Merci.

[Français]

    Merci, madame Bennett.
    Il vous reste encore 30 secondes, si vous avez une dernière question à poser.
    Non.
    D'accord.
    Nous commençons donc notre deuxième tour de questions. La parole est à Mme James.

[Traduction]

     Vous avez cinq minutes.
     Merci madame la présidente. Bienvenue à notre comité. J’ai manqué la dernière séance, c’est donc un plaisir pour moi de vous voir aujourd’hui, ainsi que notre invité, monsieur Langtry.
     J’ai écouté vos remarques liminaires et certaines de vos réponses aux questions de mes collègues ainsi qu’à celles du camp d’en face. Vous avez dit quelque chose au sujet du manque de refuges pour les familles. J’essaie de bien comprendre. Qu’est-ce qui pousserait une femme vivant dans une réserve, ou une femme et ses enfants, à aller dans un refuge? Pourriez-vous nous expliquer cela, car je vous ai entendu le dire et je voudrais comprendre pourquoi une femme agirait ainsi.
    Mais certainement. Une victime de violence familiale qui a peur de rester dans son propre domicile aura besoin de trouver de toute urgence pour elle et souvent aussi pour ses enfants, un endroit sûr où aller, c’est le rôle d’un refuge.
     Bien entendu le problème se pose s’il n’y a pas de refuge dans la communauté, surtout si elle est isolée. Comment une femme et ses enfants peuvent-ils atteindre un autre refuge? En tant qu’ancien responsable, je dois dire qu’il n’y a pas assez de refuges au Manitoba en général, et pas uniquement dans les communautés de Premières Nations.
    Merci.
    J’habite dans la circonscription de Scarborough Centre qui fait partie du Grand Toronto. Je n’habite pas dans une réserve. Si je vivais en situation de violence familiale, je n’aurais pas à quitter mon domicile; je n’y vivrais pas dans la peur. La plupart du temps, la personne accusée, le conjoint abusif, est contrainte de quitter le domicile et la personne victime de violence peut y rester. C’est un droit. Moi-même, tous les membres de ce comité ainsi que tous les gens présents dans cette pièce aujourd’hui y avons le droit, le droit aux biens matrimoniaux ou le droit de conserver le lieu où ils vivent avec leur famille.
     C’est pourquoi, lorsque j’entends qu’une des raisons pouvant conduire une femme à aller dans un refuge, c’est qu’elle ne peut rester chez elle ou qu’elle a peur d’y rester, je ne peux que penser que cette loi, le projet de loi S-2, va améliorer les choses sur ce point. Aucune législation ne réglera toutes les situations et tous les problèmes, ni dans le reste du Canada ni hors des réserves.
    À votre avis, le projet de loi S-2 va-t-il réduire le besoin que ressentent beaucoup de femmes vivant dans les réserves de fuir leur domicile et de se rendre dans un refuge?
    Je n’en suis pas sûr, je dis ça à cause de ce que les femmes autochtones nous ont déclaré, ce n’est pas que mon opinion personnelle.
    Vous avez entièrement raison, une femme a parfaitement le droit d’aller au tribunal pour obtenir une ordonnance d’occupation unique dans une situation d’urgence ou la police peut venir et contraindre le conjoint de quitter le domicile, ou ce genre de choses. Parfois elles ne font pas valoir ces droits parce qu’elles craignent de très graves représailles si elles contactent la police. Les problèmes sont les mêmes, en plus graves, dans une communauté de Première Nation.
    Merci.
     C’est donc un vrai problème. Il me semble que dans certains cas, s’agissant de violences familiales, les conjoints abusifs perpétuent des violences parce qu’ils pensent pouvoir s’en tirer. Si quelqu’un pense qu’il va perdre complètement l’accès aux biens matrimoniaux ou au domicile dans lequel il vit et qu’il partage avec son épouse ou sa conjointe, si ce risque existe, pensez-vous que cela peut suffire à changer cette personne, à la faire réfléchir, cesser les abus, traiter l’autre d’une façon plus respectable?
     Il y a bien des générations, les femmes se battaient pour obtenir le droit de vote. Si l’on se tourne vers le passé — avant notre époque bien entendu — les femmes n’étaient pas toujours égales aux hommes dans les foyers. Mais les temps ont changé.
     Je dois vous dire cependant que j’ai récemment discuté avec mon mari de cette question, de la nécessité qu’il y a de mettre en place ce projet de loi S-2. Il n’arrivait pas à croire, qu’à notre époque, au Canada, dans un pays comme le nôtre, il y a des femmes qui n’ont pas l’égalité du droit d’accès aux biens matrimoniaux et sont forcées de quitter leur domicile. Il n’arrivait pas à le croire.
     Je vous retourne la question, car si le projet de loi S-2 ne résout pas tous les problèmes dans les réserves, il améliorera certainement les choses malgré tout. N’êtes-vous pas d’accord?
(1610)
    Permettez-moi de faire une autre comparaison. Lorsque j’ai dit aux gens qu’avant juin 2008, 700 000 Autochtones de ce pays n’avaient pas accès à la Loi canadienne sur les droits de la personne, n’avaient pas l’égalité d’accès à la protection des droits de la personne, ni la possibilité de demander réparation pour des violations, ils étaient abasourdis.
     Les choses ont changé bien sûr, et à l’époque, j’avais dit que la même loi n’allait pas forcément… Mais une législation est absolument nécessaire.
    Merci.
    Je dois vous interrompre.
     Madame Ashton, vous avez cinq minutes.
    Merci beaucoup.
     Merci pour votre exposé.
     D’un point de vue juridique, monsieur Langtry, il est évident que vous avez une certaine expérience de ces questions. Un des problèmes qui ont été soulevés concerne la capacité des tribunaux provinciaux à gérer la complexité des arrangements fonciers, des codes fonciers propres aux Premières Nations et qui varient d’un bout à l’autre du pays. Nous avons débattu de la période de transition très courte, mais pas de la capacité des tribunaux provinciaux à gérer ces codes.
     Pourriez-vous dire un mot à ce sujet et peut-être nous dire si vous partagez cette inquiétude?
    Je ne me sens pas en mesure de m’exprimer sur ce sujet, car en dehors d’une juridiction limitée à des transferts de certificats de possession et à ce genre de choses… si nous recevions une plainte à ce sujet. Mais au-delà de ça, du manque de fief simple et de propriété, des certificats d’occupation et des certificats de possession, cela ne fait pas partie de notre expérience.
     Je ne sais pas si vous avez des…
    Je vais passer à une autre question. Merci.
     Vous posez le problème de la capacité, et vous faites référence aux réelles inégalités qui existent de façon très générale au sein des Premières Nations concernant la capacité et les ressources.
     Pourriez-vous en dire un mot rapidement, parler des causes profondes, mais aussi des problèmes d’inégalités en matière de capacité et de ressources des Premières Nations?
    Bien sûr. Je vais essayer d’apporter quelques éléments de réponse.
     Il faudrait tout d’abord se référer, ce que je n’ai pas encore fait, à l’affaire d’aide à l’enfance qui passe en ce moment devant le tribunal et qui est passée devant la Cour fédérale et la Cour d’appel fédérale. Elle est maintenant entendue sur le fond. Nous avons reçu une plainte, nous l’avons renvoyée au tribunal et nous participons à une allégation ou une assertion de l’APN et de la Société de soutien à l'enfance et à la famille des Premières Nations disant que le financement des services de l’aide à l’enfance dans les réserves est discriminatoire, car il est inférieur au financement de l’aide à l’enfance hors réserves. Évidemment beaucoup de problèmes d’aide à l’enfance résultent des séparations de couples et ainsi de suite, voilà un premier élément.
     Alors que nous parlions de l’abrogation de l’article 67, les communautés de Premières Nations ainsi que les dirigeants nous demandaient: « Comment allons-nous aborder les ordonnances de réparations alors que nous n’avons pas de logements appropriés, comment pouvez-vous dire que nous avons des pratiques discriminatoires parce que nous ne fournissons pas de logements tandis qu’il n’y a pas de logements appropriés? »
     Nous sommes donc face à un certain nombre de problèmes très sérieux. Certains d’entre eux seront détaillés dans un rapport sur l’égalité des droits des Autochtones au Canada, que nous publierons dans les six prochaines semaines environ. Nous avons examiné sept indicateurs de bien-être. Nous faisons une série sur les quatre groupes désignés. Nous en avons déjà publié un sur les personnes handicapées, et maintenant nous travaillons sur les Autochtones, cela vient renforcer beaucoup de données connues.
     Mais la situation est telle qu’il y a une multitude de problèmes. S’il existait une solution simple, on l’aurait déjà trouvée depuis longtemps, je pense.
    On entend beaucoup parler des ordonnances de protection d’urgence et l’un des principaux problèmes, c’est qu’il n’y a pas assez de policiers pour les faire appliquer. Dans votre travail, quelles informations avez-vous sur l’accès à la protection policière pour les Premières Nations au Canada, et quelles sont les interactions avec les violations des droits de la personne?
    De la même façon que nous avons reçu des plaintes concernant des financements discriminatoires de l’aide à l’enfance, nous avons également reçu et renvoyé au tribunal des plaintes similaires, mais concernant les services de police. Nous recevions des plaintes, que je décrirais de systématiques, sur les services de police, sur l’éducation, sur les soins de santé et ainsi de suite, que je prenais en compte et auxquelles je faisais référence lorsque je disais que les défis concernant ces services…
     La jurisprudence est assez claire sur ce point, le pur financement ne constitue pas un service, mais lorsque le financement est accompagné d’autres prestations alors cela devient un service. Ces questions sont renvoyées au tribunal.
(1615)
     Merci, madame Ashton.

[Français]

    Madame Bateman, c'est votre tour. Vous disposez de cinq minutes.
    Merci, madame la présidente.

[Traduction]

     Merci beaucoup d’être revenu nous voir, monsieur Langtry. C’est merveilleux de vous accueillir de nouveau pour discuter de cet autre problème.
     Je ne vais pas répéter ce que mon collègue Tilly O'Neill Gordon nous a dit au sujet de ce vaste processus de consultation qui nous coûte plus de 8 millions de dollars, parce que le temps passe trop rapidement.
     J’ai été très intéressée de vous entendre dire que, vous aussi, participez à un processus de consultation relativement étendu auprès de la communauté autochtone et que deux de vos principales conclusions… vous les avez présentées si rapidement que je n’ai pas réussi à toutes les saisir, mais la peur de subir des représailles en était une et les problèmes de confiance envers les dirigeants en était une autre. Ce sont d’énormes problèmes.
     Quand une femme est vulnérable et qu’elle peut être victime de violence physique, il lui est très difficile de s’opposer aux dirigeants, n’est-ce pas? Pourriez-vous nous parler brièvement de ce constat?
    Oui. Merci pour cette question.
     Ce n’est peut-être pas vraiment un constat, c’est plutôt ce que nous avons entendu quand les femmes autochtones nous présentaient plusieurs problèmes. Bien souvent, elles vivent dans des communautés isolées. Elles se heurtent à des problèmes de gouvernance ou au fait qu’elles ne peuvent pas y participer… et il y a aussi des problèmes liés au type de communauté où elles vivent. Comme nous le savons tous, bien sûr, toutes les Premières Nations ne se ressemblent pas; ce sont des nations.
     Les femmes autochtones font face à tous ces problèmes bien souvent aggravés par le fait qu’elles vivent dans la pauvreté.
    Cette crainte de subir des représailles quand on s’oppose aux dirigeants, est un problème énorme.
     Soulignons que l’opposition prétend que 8 millions de dollars ne suffisent pas pour mener une consultation et que, par le passé, quand un gouvernement conservateur a octroyé le droit de vote aux Autochtones, c’est la communauté autochtone de l’époque qui s’était plainte qu’on n’avait pas mené assez de consultations. Je pense que personne aujourd’hui ne demanderait qu’on retire ce droit de vote parce qu’on n’avait pas mené assez de consultations, et je pense que nous nous trouvons devant le même type de problème aujourd’hui.
     Monsieur, vous avez de l’expérience à titre de SMA des services aux familles au Manitoba, qui est ma province. Vous et moi avons beaucoup de choses en commun, parce que les femmes et les enfants qui se faisaient battre et ensuite expulser de chez eux sans rien d’autre que les vêtements qu’ils portaient sur le dos se retrouvaient souvent aux soins des services aux familles et frappaient aussi très souvent à la porte de ma division scolaire. Nous avons fait tout notre possible en partenariat avec votre organisme pour aider et soutenir ces familles.
     Nous faisons cela pour que les enfants puissent rester chez eux. Pouvez-vous nous parler un peu de votre expérience en la matière?
    Oui bien sûr, avec plaisir. Pour vous donner un exemple, un des problèmes des cas de bien-être de l’enfance est le fait que l’argent va aux services de protection et de prise en charge au lieu d’aller aux services de soutien qui permettraient aux enfants de rester chez eux.
     Je peux vous dire, à titre d’avocat et de SMA, qu’il est parfois juste de fournir un peu de soutien à la prise en charge, mais les enfants ont intérêt à rester dans leur propre famille s’ils y sont en sécurité. Il est préférable de prendre des mesures qui visent à assurer la sécurité des enfants chez eux au lieu de les retirer de leurs familles pour les placer en famille d’accueil, où parfois ils se font envoyer d’un foyer à un autre.
(1620)
    C’est tout à fait vrai; nous le savons bien au Manitoba.
     Le centre d’excellence que l’opposition a beaucoup dénigré offre une option aux dirigeants des 22 communautés des Premières Nations qui ont déjà commencé à élaborer ce type de loi. On compte plus de 600 communautés des Premières Nations dans notre beau grand pays, mais 22 d’entre elles ont entamé ce type de gouvernance. Ce centre d’excellence pour lequel nous allons injecter des millions de dollars permettra à ces Premières Nations d’orienter la gouvernance de celles qui accepteront de les suivre.
     Est-ce que cela aidera les communautés à trouver un moyen d’obtenir les droits dont elles ont besoin?
    Répondez très brièvement, je vous prie.
    Je dirais que nous appuierons toujours les dirigeants des Premières Nations et les Premières Nations voulant déterminer leur propre avenir et veiller à ce que les services soient offerts à leurs membres. Nous accomplissons cela également par l’intermédiaire de la Commission des droits de la personne. Nous serions vraiment heureux de voir se créer une commission des droits de la personne chez les Premières Nations.
    Merci, monsieur Langtry.
     Je vais maintenant passer la parole à Mme Ashton qui aura cinq minutes pour poser ses questions.
    Merci beaucoup.
     Notre question a trait aux discussions qui ont eu lieu avec certaines Premières Nations. Selon nous ces discussions n’ont pas été suffisantes, mais à part cela, il en est surtout ressorti qu’un grand nombre de Premières Nations ont exprimé des inquiétudes quant au projet de loi S-2 et que ce projet de loi ne répond pas à ces préoccupations. Comme nous le savons tous, ce projet de loi représente la toute dernière tentative déployée par le gouvernement actuel depuis quelques années pour régler le problème des droits de propriété matrimoniale.
     J’ai donc apporté une lettre du chef Shining Turtle, et je vais vous en lire un paragraphe.
Depuis octobre 2006 et jusqu’à présent, en mai 2013, le gouvernement fédéral et le ministère des Affaires autochtones et du Développement du Nord ne nous ont ni appuyés, ni conseillés, ni consultés, ni arrangés à aucune des étapes d’élaboration de notre loi sur les droits de propriété matrimoniale.
     Cela remonte au fait que la communauté du chef Shining Turtle, de la Première Nation Whitefish River, s’est efforcée d’élaborer une loi sur les droits de propriété matrimoniale pour ses citoyens. On constate par ce fait — et le gouvernement le sait certainement — que la Première Nation de Whitefish River y a travaillé, et malgré cela ils ont décidé de ne pas répondre à cette Première Nation et encore moins de l’aider à élaborer son propre code.
     Je me demande dans quelle mesure vous pensez qu’il est problématique que l’on n’ait pas écouté les préoccupations des Premières Nations et qu’en fait certaines d’entre elles qui se sont efforcées d’aborder cette situation n’aient pas reçu de réponse.
    Je dirais que, pendant les discussions et le débat sur l’article 67, on m’a posé une question similaire. J’ai répondu que la Commission canadienne des droits de la personne ne s’acquitte bien sûr pas des engagements de la Couronne en menant la consultation; nous travaillons au côté des communautés. J’ai laissé les Premières Nations ou le gouvernement répondre en indiquant dans quelle mesure la consultation s’est avérée adéquate ou complète ou significative. En ce qui nous concerne, l’élaboration de nos politiques, de nos programmes, de nos trousses — tout ce que nous accomplissons — tout cela vise l’accès à la justice.
     Nous sommes d’avis qu’il nous faut coopérer avec les Premières Nations qui désirent travailler avec nous, et nous les écoutons et entendons ce qu’elles nous disent. Il faut que nous connaissions la disposition interprétative, dont vous avez probablement tous entendu parler, qui prévoit l’égalité des sexes ainsi que les droits individuels et collectifs. Nous devons écouter les Premières Nations et apprendre ce qu’elles ont à nous enseigner.
     Nous coopérons donc beaucoup, non pas pour vous montrer que nous sommes ici afin de vous dire ce qui est dans votre intérêt, mais pour vous indiquer que nous désirons savoir ce dont vous avez besoin pour accéder à nos services.
    Ce sentiment semble extrêmement important. Nous aurions voulu le discerner lors des délibérations qui ont abouti à cette phase de l’élaboration du projet de loi S-2.
     Pour en revenir à ce que vous avez dit sur le respect des droits individuels et collectifs, une des préoccupations exprimées a trait à la façon dont cela empiète sur les droits issus de traités et sur les droits autochtones ainsi que sur le sentiment qu’ont les Premières Nations d’avoir des droits collectifs.
     Pourriez-vous nous parler de cela et des raisons pour lesquelles il est important que nous le comprenions?
    Dans la Loi canadienne sur les droits de la personne, même s’il s’agit d’une loi quasi constitutionnelle, on a inclus une disposition de non-dérogation et de non-abrogation à la suite de l’annulation de l’article 67; comme vous le savez, il y a aussi la disposition interprétative qui impose que nous tenions compte des traditions légales et des droits coutumiers des Premières Nations dans l’examen des plaintes déposées contre les Premières Nations.
     Lors de nos rencontres avec les Premières Nations sur l’abrogation de l’article 67, celles-ci ont remis en question nos pouvoirs en affirmant qu’à titre d’organisme — même si, je le répète, il existe cette disposition — nous empiétions sur leurs droits autochtones et sur leurs droits issus de traités. Je leur ai chaque fois répondu qu’il s’agit des lois du Canada et que, si les Premières Nations élaborent leur propre système de droits de la personne, nous serons certainement très heureux, mais nous demeurerons obligés de faire cela, même si rien de ce que nous faisons ne peut abroger les droits garantis dans la Charte et dans les traités autochtones ni y déroger.
(1625)
    Il vous reste vingt secondes.
    Merci.
     Donc rapidement, pour en revenir aux indicateurs socioéconomiques, nous savons que les femmes autochtones sont les femmes les plus marginalisées au Canada, qu’il s’agisse de qualité de vie, de longévité, etc.
     Pourriez-vous nous parler de ces indicateurs en ce qui concerne tout particulièrement les femmes autochtones.
    Nous n’aurons pas le temps d’entendre votre réponse. Je suis désolée.
     Certains d’entre vous ont deux minutes.
     Madame Young, c’est à vous; vous avez deux minutes.
    Merci beaucoup, madame la présidente.
     Merci d’être venus aujourd’hui.
     Mon intervention sera très rapide parce que je n’ai que deux minutes, comme vous le savez.
     Je veux déposer un document que nous avons ici et dans lequel nous avons demandé au gouvernement du Canada de nous fournir des informations sur le financement accordé.
     Je ne vais pas m’arrêter sur le logement et sur plusieurs enjeux relatifs à la santé ainsi que sur les milliards et milliards de dollars qu’on affecte et qu’on dépense chaque année sur ces questions. Je vais expliquer rapidement qu’en matière de justice, enjeu qu’on a soulevé ici je crois, en 2011-2012, le gouvernement a investi 12,5 millions de dollars, ce qui porte l’investissement fédéral à près de 100 millions de dollars depuis 2007.
     Je pourrais poursuivre en parlant du Programme d’assistance parajudiciaire aux Autochtones — soit plus de 200 conseillers parajudiciaires et 5,5 millions de dollars par année, etc. — mais je vais déposer ces documents qui présentent en détail les millions et les millions de dollars qu’on dépense en programmes et services. Nous pourrions encore discuter pendant un millénaire pour déterminer si c’est suffisant, comment offrir les services et par quelles voies.
     Bien entendu, nous sommes tout à fait d’accord que les Premières Nations devraient instaurer leurs propres systèmes dans les réserves. Mais comme je n’ai pas beaucoup de temps, je veux souligner ce que vous avez mentionné à la première page de votre allocution, c’est-à-dire le besoin urgent d’établir des systèmes équitables et accessibles pour régler la propriété matrimoniale des biens immobiliers dans les réserves; vous ajoutez que ce besoin urgent repose sur la question du droit de la personne.
     Comme vous le savez, on dénonce depuis 25 ans cette lacune dans la loi. Ce projet de loi est en cours d’élaboration et le gouvernement tourne autour du pot depuis plus de quatre ou cinq ans.
    Vous avez 15 secondes.
    Il tourne autour du pot.
     Je vous demande ce que vous voulez dire par urgent? Devrions-nous encore en discuter pendant 25 ans?
    Non. Je ne dirais pas que cette urgence doit se régler en 25 ans, tout comme je trouvais que 31 ans ne constituait pas une mesure temporaire pour inclure l’article 67 dans la Loi canadienne sur les droits de la personne.
    Je suis désolée de devoir vous interrompre, monsieur Langtry.

[Français]

    Cela met fin à la première partie de notre réunion.

[Traduction]

     Je tiens une fois de plus à remercier nos invités aujourd’hui.

[Français]

    Nous allons suspendre la séance pendant quelques minutes.

[Traduction]

     Je demande aux prochains témoins de s’approcher.
(1625)

(1630)

[Français]

    Nous reprenons maintenant la séance du comité. Nous voulons maximiser le temps dont nous disposons avec nos témoins.
    En cette deuxième partie de la séance, nous recevons Mme Joan Jack, de la Première Nation Berens River, et Mme Kim Baird,

[Traduction]

L’ancienne chef de la Première Nation de Tsawwassen.
     Merci beaucoup à toutes deux d’être venues aujourd’hui.

[Français]

    Nous allons vous laisser chacune un maximum de 10 minutes pour faire votre déclaration d'ouverture. Ensuite, nous allons passer aux questions des députés.
    Madame Jack, vous pouvez commencer votre déclaration d'ouverture.

[Traduction]

    J’espérais que vous donneriez la parole à l’ancienne chef avant moi, par respect pour le rang qu’elle occupe.
     Tout d’abord, permettez-moi de dire miigwetch au comité de m’avoir invitée ici et merci au Conseil tribal du Sud-Est de m’avoir amenée ici.
     Je m’appelle Joan Jack et j’ai le privilège de servir mon peuple dans le cadre de mon poste de chef et de membre du Conseil de la Première Nation de Berens River. Au Conseil, je m’occupe du portefeuille de la santé, du bien-être social et des services aux enfants et à leurs familles. J’ai quitté Berens River hier dans une légère tempête de neige et j’ai fait tout le reste du voyage dans un avion 206.
     En ce qui concerne ma vie personnelle, je suis mère de six enfants, ou peut-être sept ou même plus si l’on compte tous les enfants que mon mari et moi avons élevés ces 20 dernières années. J’ai subi de la violence familiale quand j’étais dans la vingtaine — d’un autre mari. Parfois on est obligé de s’en aller. Je suis aussi avocate et membre du barreau du Manitoba.
     Mais je suis principalement ici à titre de femme indigène pour affirmer nos droits de femmes indigènes dans un contexte indigène. Avant de poursuivre, je tiens à m’excuser du fond du coeur, je vais sûrement offenser quelqu’un sans vraiment le vouloir, et si tel est le cas je vous invite à venir vous réconcilier avec moi plus tard.
     Je ne sais pas combien d’entre vous savent qu’aujourd’hui nous fêtons la Journée du bien-être, et il est certain qu’à Berens River, plusieurs femmes vont se faire maltraiter ce soir. Mais ces femmes ne vont probablement pas s’en aller parce que les raisons pour lesquelles nous sommes violentées et nous tolérons cette violence ne sont pas simples, et que de s’en aller et diviser la propriété quand on vit dans une réserve isolée, ce n’est pas toujours la meilleure solution.
     Quand j’ai reçu votre invitation très récemment, je me suis mise à télécharger des documents pour les examiner. Puis je me suis aperçue que j’étais en train d’abattre toute une forêt en faisant ça, alors je me suis arrêtée. Au lieu de cela, comme nous faisons dans notre culture, je suis allée regarder ce que d’autres dirigeantes de Premières Nations disent. Le 9 mars 2007, Wendy Grant-John, que j’admire profondément, a déposé un rapport à l’Association des femmes autochtones du Canada et j’ai trouvé que Wendy a dit ce qui suit:
La principale option législative que la représentante ministérielle recommande est un modèle de compétence parallèle par lequel on reconnaîtrait immédiatement la compétence des Premières Nations sur les biens immobiliers matrimoniaux ainsi que sur la résolution des conflits qui aurait préséance sur tous les autres conflits à résoudre conformément à une loi fédérale ou provinciale.
     Wendy ajoute que:
La viabilité et l’efficacité de tout cadre législatif dépendront également de l’octroi des ressources financières nécessaires pour appliquer des mesures non législatives telles que […] des programmes de prévention de la violence familiale.
     En lisant cela, j’étais tout à fait d’accord. Pourquoi ces dispositions ne s’allient-elles pas à l’article 35 comme compétences parallèles? Est-ce impossible à mettre en vigueur? J’en doute.
     Mais je ne vais pas m’engager dans une gymnastique légale intellectuelle, même si je suis tentée de le faire, parce que, chez nous, c’est la Journée du bien-être et que nos gens souffrent. Mon peuple souffre et nos familles souffrent. Nous souffrons parce que nous résistons à la colonisation et à l’assimilation en continuant à vivre dans des conditions terribles, parce que nous aimons notre terre et nous aimons Berens River. La plus grande partie de notre peuple vit dans des réserves, et un plus grand nombre de nos gens reviendraient chez nous si on leur offrait de bonnes conditions de vie.
     Alors nous vivons dans des logements inadéquats, sans eau, sans égouts, sans routes, et la liste s’allonge. Évidemment, il faut que nous cessions de tolérer l’alcool et les drogues. Mais ce qui m’attriste le plus, c’est que la majorité des Canadiens ne comprennent pas pourquoi nous ne déménageons tout simplement pas dans une grande ville pour y prendre un emploi. Nous avons déménagé dans de grandes villes, et face au racisme ainsi qu’à notre manque de compétences et d’instruction, nous nous tournons vers le crime pour gagner notre pain et nous avons créé des gangs pour gérer nos activités économiques.
     Au lieu de coopérer avec nous en nous octroyant par voie légale une compétence parallèle à celle de l’article 35, le gouvernement fédéral a coupé le financement des programmes de lutte contre la violence familiale, coupé le financement des programmes langagiers, coupé le financement des programmes de santé, coupé le financement des programmes de guérison. Personne ne s’inquiète du nombre de décès que nous voyons chez nous.... et nous en avons, des décès. De toute ma vie, je n’ai pas assisté à autant de funérailles que depuis que je suis retournée vivre dans ma réserve. Tous les moyens qui nous permettraient de guérir et de nous remettre de la colonisation — la guérison et l’éducation — ont été remplacés par une série de mesures législatives. Je ne sais pas du tout qui pourra comprendre et appliquer ces solutions dans les réserves. Quel ministère fédéral administrera ces lois? Quel tribunal administrera ces lois? Le tribunal qui vient par avion à Berens River? Où la Première Nation de Berens River trouvera-t-elle l’argent nécessaire pour rédiger et appliquer ses propres lois? Si cette loi découle du paragraphe 91(24), et c’est le cas, alors elle relève du ministre des Affaires indiennes — désolée, personne chez nous ne connaît le nouveau nom du ministère.
(1635)
    Les chefs et conseillers que nous sommes formulons nos lois en vertu des dispositions de la Loi sur les Indiens et nous les administrons sous l'égide du ministre des Affaires autochtones, ce qui fait de nous des municipalités de Premières Nations. Tout comme le droit municipal relève des lois provinciales, nos lois sont assujetties à la compétence fédérale. Je ne crois pas que c'est ce que Wendy ait voulu dire par compétence concurrente.
    Cette loi est un autre pas délibéré vers la création de gouvernements municipaux assujettis aux pouvoirs fédéraux. Ce n'est pas la solution que préconisait Wendy.
    Aujourd'hui, je dirais que seuls 10 p. 100 — et même si vous n'entendez rien d'autre, je tiens à ce que entendiez ceci, car je sais que la chose vous importe. Si vous êtes assises là, c'est que vous n'y êtes pas indifférentes. Or, selon mes calculs — et ils sont généreux — il n'y a que 10 p. 100 des gouvernements des Premières Nations qui aient réussi à reprendre assez de force pour se remettre du génocide culturel qu'ont occasionné les internats et les externats, c'est-à-dire la politique d'assimilation conçue pour tuer l'Indien chez l'enfant.
    Je crois personnellement que les gouvernements des Premières Nations non soumis à des traités — et je répète que ce n'est que mon point de vue à moi — voient les solutions municipales comme des solutions intérimaires pour éviter de priver leurs peuples en empêchant le transfert de plus de fonds aux gouvernements provinciaux. Permettez-moi de vous dire en toute franchise que ces gouvernements sont tous situés à proximité de centres urbains où ils possèdent des biens de valeur. Le reste d'entre nous, les 90 p. 100 qui résidons loin d'un centre urbain, nous logeons dans de vieilles maisons surpeuplées et moisies, ce qui explique en grande partie la violence familiale et des résultats scolaires médiocres.
    Comprenez-moi bien: rien ne saurait justifier la violence familiale. Mais si les gouvernements fédéral et provinciaux voulaient venir en aide aux femmes et aux enfants des Premières Nations dans les réserves, ils travailleraient de concert avec nous pour nous fournir davantage de logements — un point c'est tout.
    Commençons simplement par des maisons faites de matériaux à l'épreuve des moisissures et voyons l'effet que cela peut avoir sur la violence familiale. Oui, c'est un fait que de nombreuses femmes des Premières Nations subissent des mauvais traitements simplement parce qu'elles ne veulent pas quitter la maison — c'est vrai. Elles n'ont pas où aller, et le mari ne veut pas quitter la maison non plus pour ne pas se retrouver dans la rue.
    Pourtant, je sais que les femmes des Premières Nations qui aiment leur mari ou leur compagnon et tiennent simplement à ce que la violence s'arrête sont beaucoup, beaucoup plus nombreuses. Elles ne veulent pas partir. Elles veulent guérir. Elles veulent guérir en compagnie de leur époux et de leurs enfants, comme une famille.
    Si l'on veut légiférer au titre du paragraphe 91(24) et non pas de l'article 35, c'est à mon avis pour des motifs d'argent et de politique d'assimilation, politique qui se poursuit. C'est l'équivalent d'un développement économique fondé sur un racisme sanctionné par la loi.
    Les gouvernements fédéral et provinciaux n'ont de cesse que de nous dire « Vous devez faire les choses comme moi. Vous devez créer une loi comme la mienne. Vous devez être comme moi ». Eh bien, tout comme une épinette ne peut être un pin, je ne suis pas vous.
    Pendant ce temps, le gouvernement fédéral affirme « nous ferons en sorte que nos provinces s'occupent de vos femmes et de vos enfants dans leurs maisons surpeuplées et moisies sans eau courante ni canalisations, et nous les aiderons s'ils veulent partir ».
    Après ma première élection de chef et de conseillère de la Première Nation Berens River, j'ai pris place au tribunal de Berens River pour observer nos gens, mes gens, se promener dans le système judiciaire, soit en moyenne un entretien de cinq minutes avec leur avocat de l'aide juridique, mois après mois, renvoi après renvoi. Tantôt ils contrevenaient à la loi, tantôt ils étaient envoyés en prison; une fois libérés, l'avion atterrissait à peine qu'ils faisaient l'objet d'un nouveau renvoi. Un mois, j'ai vu une jeune maman apporter son nouveau-né au tribunal pour montrer le bébé au papa qui portait des menottes, car le bébé était manifestement né dans l'intervalle entre deux séjours en prison. C'est triste. Les gens deviennent sobres et regrettent ce qu'ils ont fait. Ils ne veulent pas rompre.
    Si cette loi est adoptée et s'il y a des femmes dans les réserves qui veulent avoir accès à la justice, comment seront-elles censées l'obtenir? Pour le moment, les règles régissant le regroupement familial dans le cadre du bien-être social les oblige à demander de l'aide, mais elles doivent se déplacer à Winnipeg pour obtenir un avocat.
    Je suis consciente du temps qu'il me reste, madame la présidente.
(1640)
    Oui. Il vous reste un peu moins d'une minute. Veuillez conclure si vous pouvez.
    Eh bien, je me contenterai de lire les deux dernières pages et ce sera fini.
    À mon sens, il est absolument impossible de qualifier de justice, voire d'accès à la justice, ce qui est en train de se passer dans les tribunaux au Canada, qu'il s'agisse de tribunaux ruraux, isolés ou de cours de circuit qui visitent les collectivités par avion. Nos jeunes hommes, et même certains des moins jeunes, se déclarent coupables pour en finir au plus vite, vont en prison, apprennent à devenir de meilleurs criminels, et retournent ensuite chez eux avec un nouvel ensemble de compétences.
    Je tiens à rappeler que des gens sont punis parce qu'ils ont une maladie, et je crois que c'est une chose à laquelle vous devriez songer et prendre à coeur, du moins je le souhaite. Vous savez, nous ne punissons pas les personnes diabétiques parce qu'elles mangent des beignes. Je sais que je suis en train de banaliser la chose, mais c'est exactement cela. Mes gens souffrent d'alcoolisme et nous sommes criminalisés, nos familles sont brisées et nous sommes punis. Ce n'est pas la solution.
    Il semble que mes commentaires vont être distribués, alors si vous avez des questions à me poser sur la partie qui reste, vous pouvez me les poser.
    Merci madame la présidente.

[Français]

    Merci beaucoup, madame Jack.
    Je vous passe maintenant la parole, madame Baird. Nous attendions d'avoir votre témoignage écrit, pour aider les interprètes. C'est pourquoi nous vous avons fait passer après Mme Jack.
    Vous disposez d'un maximum de 10 minutes.
(1645)

[Traduction]

    Merci tout le monde. Je remercie le comité de m'avoir accueillie et je vous remercie de vos travaux sur une question aussi grave et importante.
    Je vous demande d'être patiente avec moi. Je vais vous donner un peu de contexte sur les Tsawwassen, car je crois que c'est bon pour illustrer mon point de vue.
    J'ai été chef pendant 13 ans et j'ai siégé au conseil pendant six ans à la Première Nation Tsawwassen. J'ai négocié et mis en oeuvre notre traité, qui est entré en vigueur il y a quatre ans. Il s'agit d'un accord moderne de revendications territoriales et d'autonomie gouvernementale. Nous avons réussi à nous débarrasser de la Loi sur les Indiens dans notre collectivité. Nous l'avons remplacée par nos propres lois et institutions, tel que prévu dans notre constitution. Notre collectivité a rédigé sa constitution au niveau populaire, et s'il a fallu 16 ans pour négocier et appliquer ce texte, nous avons profité de ce temps pour décider d'un commun accord de la vision que nous voulions adopter pour notre avenir et la manière de la transformer en réalité.
    J'ai pris la consultation et la participation communautaire très au sérieux et j'en veux pour preuve le taux de participation à la ratification de notre traité. Environ 95 p. 100 de nos membres ont voté et parmi eux, 70 p. 100 ont approuvé le traité et les nouvelles structures de gouvernement, qui comprennent une législature, un conseil exécutif, un conseil judiciaire et un conseil consultatif. Nous avons également établi une société de développement économique et un poste de procureur provincial pour s'occuper de l'application des lois Tsawwassen dans le système judiciaire provincial.
    Mon optique est celle de quelqu'un qui a fait l'expérience directe de la Loi sur les Indiens, qui a essayé de l'améliorer par le biais de la Loi sur la gestion des terres des Premières nations ou d'autres initiatives sectorielles, et qui a cherché à faire adopter l'autonomie gouvernementale, qui se fonde sur la politique du droit inhérent. Tout cela me permet d'avoir un regard unique.
    Dans le traité Tsawwassen, notre modèle de gouvernance reflète notre convention à l'égard de l'intégration aux lois provinciales et fédérales. Cela veut dire que les Tsawwassen, la Colombie-Britannique et le Canada peuvent adopter des lois et le traité établit laquelle de ces lois a préséance en cas de divergence. Avec ce modèle concurrent, les lacunes sont désormais impossibles et si nous n'avons pas de loi sur tel ou tel aspect, c'est la loi fédérale ou provinciale pertinente qui est appliquée.
    En ce qui a trait aux biens matrimoniaux, notre traité prévoit que nous ayons une présence dans toute instance judiciaire qui s'occupe des terres des Tsawwassen à l'issue de la rupture d'un mariage. Le tribunal fera entrer en ligne de compte toutes les preuves et témoignages en fonction de notre loi, qui pourrait restreindre l'aliénation de nos terres aux membres Tsawwassen en plus d'autres questions que la loi nous oblige à envisager.
    En l'absence d'une loi matrimoniale précise, c'est la loi provinciale qui s'applique aux Tsawwassen. Je crois que l'élément vraiment important du modèle des lois concurrentes c'est que, contrairement à ce que l'on pourrait croire, il n'enfreint pas notre droit inhérent à l'autonomie gouvernementale. En revanche, il habilite une nation à choisir si elle veut s'en tenir à la loi provinciale existante ou exercer son pouvoir de légiférer. Ce choix n'est pas fait au moyen d'un instrument de délégation; il est fait en vertu d'un accord conclu entre deux gouvernements.
    Cette mise en contexte est importante, mais les principaux aspects que je désire soulever s'inscrivent dans une optique pragmatique et terre à terre. Bien entendu que nous voulons l'égalité pour nos femmes, mais nous ne la voulons pas simplement comme un principe légal ou théorique. Nous voulons une égalité réelle que nous puissions vraiment appliquer. La loi ne le fera pas d'elle-même. D'après mon expérience, il faut vraiment insister au niveau de la mise en oeuvre.
    Quant à la question de la consultation, il est manifeste que ce gouvernement a une approche différente à l'égard de la consultation qui ne correspond pas aux attentes des Premières Nations. Il appartient entièrement au gouvernement du Canada de gérer ses propres risques sur le plan juridique. Une approche de haut en bas pour régler une question aussi complexe est à déconseiller, à mon avis. C'est malheureux que l'on place tellement l'accent sur le processus que le produit qu'il s'agit d'obtenir finit par perdre de l'importance, voire sa légitimité. Le manque de collaboration, sans parler d'une consultation adéquate, telle que définie par les tribunaux, élimine de nombreuses occasions d'arriver vraiment à résoudre certaines des inquiétudes les plus fondamentales et légitimes qui sous-tendent la mise en oeuvre de ce projet de loi.
    Premièrement, nous nous occupons de questions de compétences précises en l'absence d'un contexte plus vaste. Les conseils des Premières Nations sont débordés par les séquelles de la colonisation et de la Loi sur les Indiens. S'en prendre à ce seul aspect sans considérer les défis systématiques plus vastes que les Premières Nations doivent relever est une chose frustrante pour beaucoup, il me semble.
(1650)
    J'estime qu'il faut concilier de nombreuses questions touchant la compétence à l'appui de l'élaboration d'une loi matrimoniale. Continuer d'imposer certaines choses aux Premières Nations, à l'encontre de leurs valeurs ancestrales, y compris le concept de terres communales et d'intérêts en commun, la réalité courante de la Loi sur les Indiens et les valeurs du régime judiciaire provincial, c'est vouloir enfoncer une cheville carrée dans un trou rond.
    Il y a non seulement un fossé sur le plan des compétences, mais une contradiction fondamentale entre la Loi sur les Indiens visant les Premières Nations ancestrales et les régimes fédéral et provinciaux. Dans le cas des Tsawwassen, nous mettons à l'essai l'intégration au régime provincial, mais c'est uniquement parce que c'est notre choix. Aussi, la formule a été facilitée par le truchement d'arrangements tripartites complexes qui ont été négociés pour tenter de veiller à ce que les droits et les intérêts qui nous sont propres en tant que Premières Nations soient respectés et adaptés dans ces systèmes provinciaux.
    Notre approche est extrêmement controversée parmi d'autres Premières Nations. Je ne saurais assez insister sur le fait qu'il nous fallait choisir ce modèle nous-mêmes. Il n'aurait jamais fonctionné si on nous l'avait imposé. Dans notre cas, notre autonomie gouvernementale nous a donné le régime juridique et politique nécessaire pour formuler la loi matrimoniale.
    Nous avons 23 lois pour remplacer la Loi sur les Indiens. Nous contrôlons qui peut être propriétaire de terres Tsawwassen. Nous contrôlons qui peut être membre des Tsawwassen et quels sont leurs droits par opposition aux non-membres. Pour cela, il faut une capacité considérable, tant sur le plan de notre régime juridique qu'au niveau de nos pratiques de consultation et de participation au sein de nos collectivités. Nous avons une présence dans les instances judiciaires en raison de notre compétence communautaire. Il nous faut participer à ces processus, et notre traité reconnaît ce fait.
    Je ne veux pas décourager le comité vis-à-vis de la raison d'être de ce projet de loi, mais je tiens à souligner l'importance, à mon avis, de toute la gamme de modèles de gouvernance des Premières Nations qui a besoin d'être résolue pour que tel ou tel projet de loi puisse fonctionner. Si nous voulons que ce soit plus qu'une simple aspiration, je crois que nous devons songer à la réforme de la Loi sur les Indiens ou à sa substitution stratégique en partenariat avec des Premières Nations qui ont peu de temps pour répondre aux priorités fédérales qui leur sont imposées.
    Il y a sans doute des Premières Nations qui refusent d'évoluer au-delà du système de la Loi sur les Indiens, et il faudra peut-être quelque chose de plus normatif pour celles qui font abstraction des demandes d'égalité et de responsabilité formulées par leurs citoyens — la Loi sur les Indiens est un bon bouclier pour elles et pour cette inertie — mais je ne crois pas que l'on ait vraiment essayé une approche coopérative, et c'est une formidable occasion que l'on a manquée.
    Je n'ai rien dit de ce qu'il faut aux collectivités pour relever le défi d'effectuer des réformes internes. Le travail que cela exige est considérable, mais il est transformationnel. C'est en fait sur cela que nous devrions nous concentrer, donner aux Premières Nations les outils pour résoudre leurs propres problèmes et reconnaître leur compétence inhérente, au lieu de définir l'étendue et en déléguer la responsabilité. De nombreuses Premières Nations sont prêtes à le faire et elles ont beaucoup d'idées sur la manière d'y arriver.
    L'approche de haut en bas suivie pour ce projet de loi et d'autres de ce genre est contraire à donner l'occasion d'une véritable transformation, que pratiquement tout le monde reconnaît et est prêt à admettre comme nécessaire pour les Premières Nations, surtout pour les progressistes qui désirent suivre cette voie. Le Canada devrait à tout le moins appuyer cette volonté et travailler en fonction de celle-ci.
    Faut-il l'égalité pour les femmes? Oui. Je suis persuadée que ce comité a entendu d'innombrables histoires d'horreur sur la mesure dans laquelle certaines femmes et enfants des Premières Nations sont vulnérables à cause de cette question. J'apprécie la volonté d'aider certains des membres les plus vulnérables de notre société. Je suis encouragée par le fait que le gouvernement du Canada souhaite agir pour régler certaines de ces questions. Je pense uniquement qu'il y a un meilleur moyen de s'attaquer à ces enjeux incroyablement complexes qui poursuivent les Premières Nations depuis tant de générations.
    Je vous remercie d'avoir écouté mon point de vue ainsi que de vos délibérations.
    Hay ch qa.
    Merci, madame Baird.
    Nous commencerons notre série de questions avec Mme Ambler. Vous avez sept minutes.
    Merci madame la présidente.
    Merci beaucoup à nos deux invitées de leur présence parmi nous cet après-midi.
    J'aimerais vous demander quelque chose, madame Baird, à propos du processus que vous avez suivi pour négocier le traité. Je pourrais commencer par une question toute simple. Les droits des biens matrimoniaux sont-ils compris dans le traité, ou suivez-vous une loi provinciale en ce moment?
(1655)
    Nous avons la compétence nécessaire en vertu du traité, mais nous ne l'avons pas encore mise en application, alors c'est la loi provinciale qui s'applique.
    La loi provinciale s'applique et il y a une loi provinciale sur les droits matrimoniaux en Colombie-Britannique qui couvrirait...
    Le droit commun s'appliquerait en l'absence d'une loi rédigée par nous.
    Et cet aspect est exclusif à votre Première Nation?
    Oui, car nous sommes l'une des seules à avoir un traité moderne en Colombie-Britannique conclu dans le cadre des traités provinciaux. Il y en a cinq ou six en ce moment sur un total de 200 Premières Nations.
    Je dois dire que j'ai été très impressionnée par votre c.v. et par votre détermination. Je veux dire, 16 ans, c'est beaucoup de temps.
    En effet.
    Alors en parlant de toute cette question d'améliorer la Loi sur les Indiens et de passer à l'autonomie gouvernementale, estimez-vous que...? Comme membre du Comité des affaires autochtones, je suis d'accord. Je crois que c'est formidable, et je sais que certaines Premières Nations suivent dans la même voie.
    Voilà pourquoi le refoulement auquel nous assistons à l'égard de certaines parties de cette loi me laisse un peu perplexe. Trouvez-vous que le projet de loi S-2 soit paternaliste d'une manière ou d'une autre? Y voyez-vous un gouvernement fédéral qui vous dit que vous devez donner des droits égaux aux femmes sur les terres dans les réserves? Ou diriez-vous que c'est la bonne chose à faire?
    Eh bien, c'est tellement compliqué, car vous avez un système fédéral qui se sent responsable à l'égard de ces citoyens, qui se frotte contre un système de gouvernement qui ne fonctionne pas. Je n'ai pas une réponse toute simple à vous donner. La manière de mener les consultations sur ce projet de loi a été toute une question aussi. La nature même des relations entre les Premières Nations au Canada et le gouvernement fédéral est un obstacle à la viabilité de projets de loi comme celui-ci, à mon avis.
    D'accord. Vous avez parlé de la crédibilité en termes du processus de consultation. Je ne suis pas sûre si vous étiez ici pendant la première heure, quand Mme Tilly O'Neill Gordon a parlé du processus de consultation. Je suppose que certaines personnes estiment que ce n'est pas assez, mais ce processus a été suivi — suivant la façon de voir les choses — depuis quelque part entre 10 et 25 ans. D'aucuns estiment que nous aurions dû consulter toutes les 631 Premières Nations du Canada. Je ne pense pas que ce soit réaliste.
    Comment aurions-nous dû nous y prendre d'après vous? Estimez-vous que les 631 Premières Nations auraient dû être consultées?
    À certains égards, il me semble que s'il va y avoir des répercussions sur les droits et la capacité des Premières Nations — s'il s'agit d'enfreindre leurs droits de telle ou telle manière — il faut les informer, n'est-ce pas?
    Croyez-vous que parmi ces 631 Premières Nations il y en aurait eu beaucoup qui se seraient prononcées contre le principe de reconnaître aux femmes des droits égaux à l'égard des biens matrimoniaux dans les réserves?
    Je crois qu'elles ne sont pas d'accord avec les priorités imposées par le gouvernement fédéral pour le règlement des divers problèmes.
    Vraiment? Nous accordons énormément de priorité à cette question. Elles ne seraient donc pas d'accord?
    Eh bien, je ne peux pas parler au nom d'autres Premières Nations. Je puis vous dire que...
    Vous n'êtes pas d'accord avec la haute priorité que nous sommes en train d'accorder à la question?
    Tout a une haute priorité, bien évidemment. Mais est-ce que cela va fonctionner à la lumière d'autres aspects systémiques qui doivent se produire pour que les gouvernements des Premières Nations soient mieux équipés pour en faire une réalité? C'est un peu la question de la poule et de l'oeuf. Comme je l'ai déjà dit, je ne pense pas nécessairement que l'égalité pour les femmes soit un mauvais principe, mais si vous l'appliquez d'une manière qui ne va pas obtenir les résultats attendus, ce sera peine perdue.
    Combien de temps me reste-t-il?
    Vous avez une minute et demie.
    Je vous prie de parler un peu plus fort, madame Baird, si vous le pouvez.
    Pardonnez-moi, j’ai la voix faible.
    Madame Jack, j’ai noté que vous avez beaucoup parlé de la question du logement, qui est à l’évidence importante.
    Vous avez également évoqué la guérison, ou le rétablissement, et la façon dont des couples souhaitent normaliser leurs relations. Je vous demande donc si, dans l’optique de cette guérison, il n’est pas préférable que les femmes puissent rester dans leur propre maison au lieu de panser leurs plaies dans un foyer d’accueil, ou de fuir leur domicile, ou encore de devoir chercher un hébergement pour elles-mêmes et pour leurs enfants? N’est-il pas préférable qu’on leur donne le droit de rester chez elles, et ne pensez-vous pas que cela facilitera le processus de guérison?
(1700)
    Pas dans une petite localité.
    La violence familiale est un phénomène véritablement complexe. Lorsque j’étais moi-même une femme battue, je devais décider si je voulais vivre ou, au contraire, rester et mourir, parce que les femmes ou les hommes victimes de violence en sont là. C’est pourquoi rester à la maison…
    Je veux parler du moment où elles décident qu’elles veulent se rétablir, et la façon…
    Non, cela ne marchera pas, et comment voulez-vous qu’elles obtiennent l’accès à leur domicile?
    Il n’y a pas de tribunal à Berens River, et sur les 631 communautés concernées, près de 600 d’entre elles n’ont pas de tribunal, sauf une fois par mois…
    Mais si on leur attribue le droit de rester chez elles, alors…
    Et qui va imposer la décision?
    Qui est chargé d’imposer les décisions aujourd’hui? Qui impose le fait…
    Écoutez, nous avons tout juste eu la GRC à Berens River l’autre jour…
    Pardonnez-moi, je ne devrais pas vous interrompre.
    Je dois vous interrompre de toute façon.
    Vos sept minutes sont expirées.

[Français]

    Je passe maintenant la parole à Mme Ashton.
    Vous disposez de sept minutes.

[Traduction]

    Merci, madame Jack et madame Baird.
    Nous vous sommes très reconnaissants de comparaître aujourd’hui, d’autant que le préavis a été court en raison du peu de temps attribué au comité pour l’étude de ce grave problème. Encore une fois, merci.
    Madame Jack, je voudrais prolonger les questions posées par ma collègue.
    Comment se passent véritablement les choses dans une communauté comme celle de Berens River? Nous envisageons l’adoption de ce projet de loi car il y a, à l’évidence, un déficit à combler si l’on veut que les droits des femmes autochtones soient respectés et consacrés dans la loi.
    J’aimerais savoir ce qui se passe vraiment, que vous nous expliquiez la situation du point de vue du logement — par exemple, le nombre de personnes sur la liste d’attente —, mais aussi de l’ordre public et des foyers d’accueil pour les femmes. Je m’en tiens là pour l’instant.
    S’agissant de la violence telle qu’elle existe vraiment, la situation est déplorable. Nous avons du mal à nous défaire de nos dépendances à l’égard des substances toxiques, c’est l’héritage de la colonisation. Étant donné que je fais partie du conseil, j’ai reçu l’autre jour un appel d’une femme en détresse; je lui ai demandé où elle était et elle m’a répondu qu’elle s’était enfermée dans sa chambre à coucher. Je vous abrège l’histoire, mais toujours est-il que je lui ai demandé si elle voulait que je me rende chez elle, car c’est la pratique de la part des leaders communautaires. Les agents de la GRC ne se rendent pas nécessairement sur place — c’est une question de gestion du risque. Je leur ai donc ouvert ma propre maison, parce que la violence sévit durement.
    En ce qui concerne la liste d’attente, étant donné que nous avons quelque 2 500 à 3 000 personnes vivant dans la réserve et que l’accès se fait par avion, mais aussi que l’on dénombre environ 10 personnes en moyenne par foyer, avec trois ou quatre générations sous le même toit, je crains que la liste d’attente ne concerne plutôt les arrière-petits-enfants….
    J’ai oublié votre troisième question.
    Il s’agit du foyer d’accueil pour les femmes.
    J’imagine que ce serait une bonne chose. Pour ma part, je préférerais que cela ressemble davantage à un centre de rétablissement et de formation pour les femmes, afin qu’elles puissent apprendre non seulement qu’elles ont le droit de se faire entendre, mais aussi comment s’y prendre pour exprimer leur désaccord à leur compagnon délinquant, afin que l’un et l’autre puissent guérir.
    Il ne faut pas oublier qu’il y a beaucoup de femmes qui battent les hommes — dans la plupart des cas, ce sont elles les victimes, mais il y a également des hommes battus.
    J’aimerais que l’on organise davantage de programmes de renforcement des capacités pour ma communauté, afin que nos membres comprennent que leur attitude ne mène nulle part. Dans la plupart des cas, les gens ne veulent pas se séparer, ils veulent élever leurs enfants et leurs petits-enfants, mais ils répètent machinalement des schémas de comportement. Les méfaits de l’alcoolisme sont partout les mêmes.
    Dans votre exposé, vous parlez des programmes qui ont été supprimés. Je sais que la Fondation autochtone de guérison est également intervenue à Berens River comme dans d’autres communautés du Manitoba et du Canada.
    Pourriez-vous nous décrire la situation dans une communauté comme Berens River et nous parler du traitement qu’il faut prévoir pour les victimes et leurs partenaires maltraitants, pour que ces personnes se rétablissent?
    Il y a bien le financement habituel du PNLAADA provenant de la DGSPNI, mais cela ne marche pas vraiment non plus, sauf pour les personnes qui reçoivent une formation dans le cadre du PNLAADA, car elles prennent conscience des réalités et apprennent à prendre les choses en main, et leurs familles aussi. Nous essayons d’appliquer ces programmes dans notre communauté, avec le peu de ressources dont nous disposons. Mais nos membres ne veulent pas se rendre au dispensaire, ils ne veulent pas débarquer en disant: « Me voici, j’ai besoin d’aide », ça les gêne.
    Je pense qu’il faut adopter une approche beaucoup plus large en vue de la restauration de notre identité. Il y a encore des enfants, à Berens River, qui ne savent pas qu’ils sont Indiens, qu’ils sont Anishnabes. Même s’ils parlent la langue, ils ne savent pas quelle est leur identité, elle a été laminée par la colonisation.
    La haine de sa propre culture est telle, dans nos rangs, que nous n’enseignons même pas que la Division scolaire Frontier ne contribue guère à former un grand nombre d’Indiens bien au fait des traités dans le quartier est. Je vous assure que si vous vous promenez dans Berens River et demandez aux gens…
    Par exemple, lorsque j’ai parlé, l’autre jour, de « biens immobiliers matrimoniaux », ils m’ont demandé « Tu vas où? », à quoi j’ai répondu: « À Ottawa pour rencontrer des gens », mais lorsque je leur parle de « biens immobiliers matrimoniaux », les gens sont perdus.
(1705)
    Nous entendons beaucoup parler du processus de consultation et des problèmes réels qui existent, et nous attendons avec intérêt le témoignage de l’APN, de l’Association des femmes autochtones, de l’Assemblée des chefs du Manitoba et d’autres formes de représentation.
    Vous-même, madame Baird, qui êtes conseillère, avez déjà évoqué cette situation. J’aimerais donc savoir si les gens de Berens River ont été consultés?
    En tant que conseillère, avez-vous connaissance d’un processus consultatif, ou encore de préoccupations soulevées par d’autres Premières Nations dans le contexte du projet de loi S-2?
    Étant donné que j’ai une formation d’avocate, je suis censée être plus avertie et capable de mieux m’exprimer, mais je peux vous dire que ça n’est pas facile lorsqu’on est chez soi et qu’on vit au sein de la communauté. On a tendance à penser que je suis au courant, mais en fait, personne ne m’appelle, sauf les femmes battues que j’héberge dans mon grenier.
    J’avais à coeur de répondre, mais je crains de n’avoir pas répondu comme il se doit à votre question.
    Ce que nous devons faire, pour guérir, c’est nous ancrer dans notre terre, réapprendre qui nous sommes et nous prendre en main, retrouver notre fierté et apprendre notre propre langue. Mon mari dit qu’au lieu de traduire en justice les hommes violents, il vaut mieux les envoyer passer du temps dans la forêt avec les Anciens et leur interdire de revenir tant qu’ils n’ont pas bien appris notre langue. Qu’en dites-vous, est-ce que cela vous paraît un jugement valable? Pensez-vous que pendant son séjour, l’homme en question va comprendre qu’il ne doit pas battre la femme qu’il aime? Moi, je n’en crois rien.
    Cela ne sert à rien de fuir la réalité. Ce projet de loi ne fait qu’aggraver la décomposition de nos familles. On fait semblant d’essayer de remédier à la violence familiale à Berens River, mais je ne crois pas que cela marchera.
    Pensez-vous que les tribunaux provinciaux soient en mesure de traiter la question des codes fonciers des Premières Nations?
    Non, c’est à nous de la faire, nous sommes assez intelligents pour cela. J’ai réussi l’examen du Barreau et j’en suis capable. Mais encore faut-il avoir de l’argent, parce que tout cela c’est bien beau sur le papier, mais je dois en plus prendre l’avion pour Ottawa, je vous le rappelle.

[Français]

    Merci, madame Jack.

[Traduction]

    Désolée de vous interrompre.

[Français]

    Je passe maintenant la parole à Mme Crockatt.

[Traduction]

    Vous disposez de sept minutes.
    Merci beaucoup.
    Avant toutes choses, je voudrais dire à Joan Jack que je perçois bien dans ses propos toute sa souffrance et toute sa douleur. Je me rends bien compte qu’en dépit de votre formation et du fait que vous avez probablement témoigné dans beaucoup d’autres circonstances, cela demande un gros effort sur le plan émotif. C’est pourquoi je vous exprime notre gratitude.
    Je suis à l’écoute de la profonde frustration que vous exprimez, et de l’effort que vous faites pour nous décrire les choses telles que vous les avez vécues. Quant à moi, j’essaie de vous donner la meilleure écoute possible et je vous sais gré du récit que vous nous faites de la situation.
    Cela vaut également pour vous, madame Baird.
    J’aimerais parler de la décomposition des familles.
    Même si ce projet de loi n’est pas une panacée et s’il ne va pas résoudre les problèmes qui remontent à bien des années, nous pensons honnêtement qu’il contribuera à atténuer certains aspects de la violence familiale. Je ne dis pas que cela va tout régler pour tout le monde, et le problème de la décomposition des familles existe vraiment… on voit des femmes forcées par les conseils de bande de quitter la réserve parce qu’il y a violence au sein de la famille. Ce sont donc les femmes que l’on chasse, et qui doivent partir à la ville pour chercher quelqu’un chez qui loger, ou encore trouver refuge dans un foyer, et leurs vies sont complètement bouleversées. Cependant nous avons entendu maintes et maintes fois les témoins nous dire, tout au long du processus de consultation qui nous a amenés dans 103 localités avec un budget de 8 millions de dollars consacrés à la consultation, que c’était la meilleure solution au problème de logement dont vous parlez. On nous dit: donnez-nous un logement, car il est vrai que cela permettrait au moins d’héberger les femmes et les enfants concernés. Certes, cela ne remédie pas à l’éclatement de la famille, parce que si c’est l’homme qui est responsable des mauvais traitements, il devra quitter le foyer familial.
    Pensez-vous donc qu’il serait préférable que ce soit les femmes et les enfants qui quittent la maison et qui quittent la réserve?
(1710)
    Je ne sais pas, il faut juger au cas par cas.
    Je vous remercie de vos aimables propos et j’imagine qu’ils sont sincères, donc encore une fois merci.
    Oui, ils sont sincères.
    Je l’ai bien senti.
    Bien sûr, qui ne conviendrait pas qu’il faut laisser la maison à la femme et aux enfants? Là n’est pas le problème. Le problème, en tout cas selon moi, c’est que les femmes et les enfants qui souffrent d’alcoolisme et de toxicomanie — à savoir les causes principales de la violence familiale —, veulent se rétablir et voir leur famille se renforcer. Si quelqu’un devait me demander ce que je souhaite, je répondrais que je veux préserver le droit des grands-parents d’élever leurs petits-enfants et de vivre dans la maison, car n’oublions pas qu’il y a souvent trois ou quatre générations sous le même toit. En fait, ce sont les parents qui devraient s’en aller, se désintoxiquer pendant que les grands-parents restent dans la maison avec les enfants, et, une fois remis, retourner au foyer et élever leurs enfants.
    Je ne sais pas si vous avez eu le temps d’étudier ce projet de loi dans le détail — et vous n’y êtes d’ailleurs nullement obligée — mais l’une des dispositions prévoit que s’il y a dans la maison des gens comme les grands-parents et qu’ils s’en occupent, la loi leur garantit le maintien dans le logement.
    Peut-être que cela répond en partie à ce que vous préconisez vous-même.
    Sans aucun doute. Je l’ai parcouru en diagonale, mais je maintiens ma position à propos de l’article 35.
    Lorsqu’ils ont accompli tout ce travail, Wendy a parlé de « compétence commune », et je ne crois pas qu’elle ait eu l’intention de mettre cela en oeuvre aux termes de l’article 91(24). Je pense que ce qu’elle avait à l’esprit, c’est ce qu’a réussi à accomplir Mme Baird en Colombie-Britannique, où il existe un modèle de compétence commune qui satisfait sa communauté, au lieu de toutes ces belles dispositions de la Loi sur les Indiens.
    Je vois.
    Permettez-moi de m’adresser à présent à vous, madame Baird. Il semble en effet que vous ayez accompli des choses très novatrices à Tsawwassen, et je vous suis reconnaissante d’avoir pris la peine de venir nous en parler.
    Vous avez également précisé que votre approche est assez controversée, et je me demande si vous pensez pouvoir recueillir le consensus des 631 bandes du pays sur cette approche.
    Pour moi, le mot consensus doit s’écrire avec un petit « c »; et j’ajoute qu’il est très difficile à obtenir, même au niveau d’une communauté, alors imaginez à l’échelle du pays.
    Pour répondre à votre question, il se peut qu’un certain nombre de femmes appartenant aux Premières Nations disposent aujourd’hui de droits légalement reconnus, et qu’elles puissent s’en prévaloir dans certaines circonstances. Je pense que le projet de loi représentera pour ces personnes une amélioration, mais je ne crois pas qu’il ait une portée suffisante pour résoudre les problèmes qui prévalent dans des endroits plus éloignés, ou des situations analogues.
    Une fois de plus, tout en appréciant l’esprit et l’intention qui animent le projet de loi, je pense qu’il s’agit d’une sorte de quadrature du cercle. J’ajoute que les embûches ne manquent pas, notamment à cause de l’enchevêtrement des compétences. Nous avons réussi à avancer à travers ce fouillis et à mettre sur pied un système qui fonctionne véritablement, non pas en ce qui a trait au patrimoine conjugal, mais pour d’autres aspects, par exemple l’imposition des lois découlant des traités dans le cadre du système judiciaire provincial.
    J’aimerais que vous nous disiez quelques mots du centre d’excellence, étant donné que l’on a affecté 4,8 millions de dollars pour la création d’un centre d’excellence afin que les bandes puissent prendre le relais et décident par elles-mêmes la façon dont elles veulent qu’on gère les problèmes. Pensez-vous que ce centre d’excellence a de bonnes chances d’être véritablement utilisé par les bandes? Est-ce une démarche qui leur permettra de prendre en main la conduite des affaires dans ce domaine?
(1715)
    Cela dépend, mais toutes les ressources que l’on pourra mettre à la disposition des Premières Nations iront dans le bon sens.
    J’ai administré une Première Nation de dimension modeste, mais si l’on pense à la multitude de priorités contradictoires en matière d’élaboration des lois, toute mesure qui ne paraît pas claire aux membres de ma communauté serait très difficile à impulser de façon prioritaire, et même à sortir des oubliettes. Telle est la réalité des choses.
    Un grand nombre de Premières Nations auront beaucoup de difficulté à créer la capacité nécessaire, à mobiliser la communauté et à faire de ce genre d’actions une priorité.
    D’accord.
    Peut-être pourrais-je…
    Je dois vous interrompre.
    Bien.
    Je vous remercie l’une et l’autre.

[Français]

    Nous passons maintenant à Mme Bennett.
    Vous disposez de sept minutes.

[Traduction]

    Merci.
    Merci à toutes les deux de comparaître aujourd’hui, car il s’agit d’une question épineuse. Ce que nous disent les gens qui défendent l’autre point de vue, c’est: « Nous pensons que le projet de loi améliorera la situation. »
    Je pense que, de votre côté, vous n’êtes pas sûres que cette loi améliorera la situation; c’est un peu ce que dit Wendy Grant-John lorsqu’elle déclare qu’un outil législatif ne peut pas, à lui seul, faire bouger les choses à moins qu’il ne soit entouré de mesures d’appui à caractère non législatif.
    Notre gouvernement nous dit qu’il a organisé de vastes consultations. J’aimerais que vous nous disiez quelle est, selon vous, la différence entre un mécanisme de consultation et des séances d’information du point de vue de l’impact.
    Notre mécanisme de consultation aux termes du traité est un processus extrêmement structuré, qui ne se borne pas à une fonction d’écoute unilatérale, mais qui prend véritablement en compte les préoccupations exprimées par les gens consultés et infléchit l’approche initiale en démontrant concrètement que ces préoccupations ont été intégrées au processus. Il explique aussi pourquoi certaines suggestions n’ont pas été retenues, il est assorti d’un calendrier et il est doté des moyens et des informations nécessaires à l’analyse de l’information.
    Je veux dire par là que, dans notre traité, le mot consultation est un terme doté d’une acception juridique et méritant un « C ».
    Justement, s’agissant du contenu du projet de loi S-2… on nous dit qu’il ne reflète pas les consultations tenues ni les suggestions reçues, étant donné qu’un grand nombre de personnes ont exprimé leurs préoccupations, tout comme vous. Pour revenir au problème que signalait Mme Jack concernant la réalité de la vie dans une localité éloignée et dépourvue de tribunal, il est vrai que même lorsqu’une ordonnance de protection a été émise, les femmes sont souvent obligées de prendre tout de même la fuite parce qu’elles ne se sentent pas en sécurité et qu’il n’y a personne pour les conseiller et les orienter… Donc, on nous dit que telle n’est pas la bonne réponse. Qu’en pensez-vous?
    En effet. Comme je l’ai dit, j’ai été présente dans la salle de tribunal de Berens pendant quatre mois et j’ai vu comment nos jeunes gens étaient arrachés à la communauté à cause du mode de fonctionnement — ou de dysfonctionnement — de notre système judiciaire.
    Voilà encore un facteur qui va contribuer à l’exode des hommes de Berens River, alors que, comme je l’ai dit, les familles ont besoin d’un soutien. Il faut adopter une approche collective et non pas se focaliser exclusivement sur l’intérêt de l’enfant et toute cette manière de voir… car je pense que ce n’est ni la bonne solution, ni la bonne approche.
    Pourriez-vous nous expliquer ce que l’on entend par « compétence commune », et nous dire si le projet de loi S-2 s’appliquera à la Première Nation Tsawwassen?
    Non, pour vous répondre d’un mot. Il ne s’appliquera pas.
    Vous avez donc déjà…
    Parce que notre traité a défini toutes les compétences de notre ressort, et qu’il définit notre droit inhérent, nos pouvoirs législatifs et que le traité détermine quelles sont les lois qui s’appliquent en cas de conflit de compétences…
    Certes, tout cela est établi, mais dans beaucoup…
    Et c’est garanti par la Constitution.
    La vôtre…?
    Par la Constitution canadienne
    Par le biais de l’article 35.
    Par le biais de l’article 35?
    Oui, parce qu’ils sont régis par un traité et que l’article stipule que le Canada reconnaît et affirme « les droits existants — ancestraux ou issus des traités — des peuples autochtones du Canada ». Vous ne pouvez pas lui dire que ses droits, établis en vertu des traités, n’existent pas car elle a consacré 19 ans de sa vie à les négocier.
    Des voix: Oh, oh!
    Mme Joan Jack: Pour ce qui est de mes ancêtres, la délégation responsable de la signature du traité a débarqué à Berens River le 20 septembre 1876 et leur a mis sous le nez un exemplaire du traité en les priant de « remplir les espaces vides », sans plus. Ils n’étaient venus que pour la forme, semble-t-il, et moins de neuf heures plus tard, ils étaient déjà repartis de Berens River.
(1720)
    Pourriez-vous nous dire quelle forme prendrait cette « compétence commune » si elle était consacrée dans le projet de loi?
    Eh bien je dirais que dans le sillage de l’initiative de justice autochtone, nous avons essayé de négocier l’autonomie gouvernementale en utilisant le cadre existant, afin que nos lois découlent de l’article 35, et les négociations ont été serrées. Il y a encore et il y aura toujours quelques Autochtones qui rejettent cet état de fait, mais le Canada a su nous faire comprendre que son armée était puissante, alors c’était ou se soumettre, ou rejoindre nos ancêtres: aussi simple que ça.
    J’espère que nos négociations seront basées sur l’article 35 et non pas sur le 91(24), ce qui nous permettra, en cas de conflit, de plaider notre cause devant les tribunaux.
    Pour répondre à la question de Mme Ambler sur l’origine de la réaction, je dirais qu’elle tient au fait que les gens ont le sentiment de n’avoir pas été écoutés.
    Oui, ça me rappelle l’époque où mon mari me battait: je le suppliais de s’arrêter mais il continuait de cogner comme un sourd. Alors, finalement, je suis partie.
    Vous pouvez toujours dire que vous avez consulté un million d’Indiens, mais si vous ne tenez pas compte de ce que nous vous disons, pourquoi venir nous consulter?
    Il est évident que Wendy Grant-John a rencontré beaucoup de monde…
    Oui, et je l’ai d’ailleurs citée.
    … et elle a soumis un rapport qui…
    Un rapport qui disait: « Ne faites pas ça. »
    Or, c’est exactement ce que fait le gouvernement.
    Cela y ressemble fort.
    Lorsqu’elle l’a déposé, elle a prévenu le gouvernement de le considérer comme un tout, et de ne pas aller y chercher seulement les parties qui apportent de l’eau à son moulin.
    Je crois qu’au cours des prochains jours, vous aurez l’occasion d’entendre des gens beaucoup plus aguerris et beaucoup plus persuasifs que moi vous présenter des arguments analogues.
    Parlez-moi des conséquences concrètes d’une ordonnance de protection pour votre Première Nation.
    En cas d’émission d’une ordonnance de protection… Eh bien, il faudra commencer par déterminer qui est propriétaire de la maison, et là, vous n’êtes pas sortis du bois parce que certaines de ces maisons sont tellement vieilles qu’elles sont passées de main à main un nombre incalculable de fois… sans compter que certaines sont hypothéquées, d’autres pas.
    Admettons que l’on ait établi le statut juridique de la maison, y compris qui en est le propriétaire. J’imagine que la GRC se saisira alors de l’ordonnance de protection, à condition de trouver le juge, qui ne passe qu’une fois par mois, et à condition de pouvoir inscrire la question au rôle du tribunal.
    J’imagine donc que l’ordonnance sera en fin de compte appliquée: mais entre-temps, le couple se sera réconcilié et séparé à nouveau une bonne douzaine de fois.
    Tout cela ne correspond en rien au cycle de la violence familiale, qui est faite d’alternance entre les tempêtes et les accalmies.
    En d’autres termes, si l’on n’a pas accès à la justice, tout cela…
    En apparence c’est très bien, mais en apparence seulement.
    Dans certaines communautés métisses, ils tournent la chose en dérision en posant la question: « Alors, comment ça va en ce moment? » et ils répondent: « Ah, pour changer, c’est le moment de l’engagement de ne pas troubler l’ordre public ».
    Merci. Je dois à présent vous interrompre.
    Merci, madame Bennett.

[Français]

    Nous commençons maintenant notre deuxième tour de questions.
     Madame Young, vous disposez de cinq minutes.

[Traduction]

    Merci beaucoup.
    Je voudrais m’associer à ce que mes collègues ont dit précédemment. Nous sommes vraiment émus de votre témoignage et nous espérons très fort que vous aboutirez, et je m’adresse à vous en particulier, madame Baird, car vous avez réussi à négocier un traité après plus de 16 ans d’efforts acharnés.
    Nous avons entendu le témoignage d’un grand nombre de personnes, et il y a parfois de quoi être atterré. Ainsi, un groupe de femmes nous a raconté hier avoir lutté pendant 12 ans — et dépensé beaucoup d’argent — pour se faire entendre par la justice, et en fin de compte on leur a dit que du fait qu’elles habitaient dans une réserve, elles étaient dans un vide juridique.
    Vous avez déclaré aujourd’hui que tout le monde aimerait bien pouvoir rester dans sa maison, avec ses enfants et au sein de sa communauté. Alors j’imagine que l’on peut toujours passer en revue les consultations que nous avons menées de façon intensive, le fait que nous avons dépensé 8 millions de dollars pour tenir 103 réunions, mettre en exergue les milliards de dollars dépensés au titre de la santé, de la justice et de toutes sortes de programmes et de services, en ajoutant que cela ne suffira jamais. Cela, nous ne le savons que trop.
    Mais au-delà de tout cela, je crois que ce projet de loi vise avant tout à combler par voie législative le déficit juridictionnel qui existe depuis 25 ans… Tout au long de ces années, lorsqu’une femme habitant dans une réserve subissait des sévices chez elle, elle ne pouvait même pas y rester avec ses propres enfants et elle était forcée de quitter sa communauté, avec comme conséquence la kyrielle de problèmes que vous avez évoqués. Nombre d’entre nous ont travaillé du côté est de la ville, dans des agglomérations, dans des foyers, etc.
    Nous savons bien qu’aucun texte de loi n’est parfait — cela a été illustré par des témoignages — et nous savons aussi que les ordonnances de protection sauvent la vie à des femmes et à des enfants. Nous savons également que cette loi n’impose pas un régime, mais qu’elle se contente d’indiquer un objectif en encourageant les Premières Nations à élaborer leur propre législation dans un certain délai; et si elles ne le font pas, cette loi restera en vigueur jusqu’à son remplacement par une loi autochtone.
    Je m’adresse à présent à madame le chef Baird. Pendant 16 ans, vous avez négocié un traité en vertu duquel vous disposez à présent de la compétence commune. Cette compétence commune comprend les droits de propriété matrimoniale, étant donné que vous avez sans doute accepté la loi provinciale sur la famille.
    J’aimerais savoir pourquoi c’était là quelque chose d’important pour vous.
(1725)
    Je commencerai par préciser que je ne suis plus chef, même si beaucoup de gens continuent de m’attribuer ce titre.
    En deuxième lieu, tout ne tourne pas autour d’une adhésion active à la loi provinciale sur les questions matrimoniales. En fait, nous nous sommes employés à adopter 23 autres lois plus importantes, car elles traitaient du droit de propriété, des critères d’appartenance à la Première Nation Tsawwassen et du droit d’être propriétaire de biens fonciers sur notre territoire. Tant que l’on n’a pas réglé ces questions et défini un régime, il est bien difficile de régler les questions de propriété matrimoniale.
    Il faudra attendre encore 25 ans, et pendant ce temps des femmes et des enfants mourront pendant que ces autres choses se négocient — or, nous savons que cela prendra du temps, tout comme il nous a fallu 16 ans pour aboutir.
    Il y a bien d’autres questions de vie ou de mort qui se posent pour les communautés des Premières Nations. Il est bien difficile d’établir une priorité entre elles et j’avoue que je n’ai pas la réponse, même si d’une certaine façon je suis soulagée que la communauté Tsawwassen ait franchi cette étape et que nous ayons remplacé la Loi sur les Indiens.
    Aujourd’hui, vous bénéficiez de la protection que nous offrons à toutes ces différentes communautés à travers le Canada.
    Ça, c’est une conséquence du traité, mais nous ne devons pas ce dernier aux biens matrimoniaux, mais plutôt à la nécessité de remplacer la Loi sur les Indiens. Nous nous intégrons au régime provincial, mais ça n’est pas beaucoup plus compliqué que ces autres types de mécanismes.
    C’est précisément la raison pour laquelle je pose ma question: nous savons tous qu’il sera extrêmement compliqué d’élaborer une alternative à la Loi sur les Indiens, et que cela prendra du temps, nous ne savons pas combien mais peut-être même un siècle.
    Pendant ce temps, nous avons à l’esprit le témoignage des agents de police et des femmes elles-mêmes qui nous disent, après avoir subi tout cela comme vous-même, madame Jack: « Il nous faut cette loi, et il nous la faut tout de suite »…
    Merci, madame Wai.
    … et « nous voulons être protégées ».
    Merci.
    Merci.
    Il nous reste encore deux minutes et je me tourne vers Mme Crowder.
    Merci, je m’efforcerai d’être brève. Je pense que la commissaire aux droits de la personne a rappelé que si la loi ne garantit pas un accès équitable à la justice et si les femmes ne peuvent pas jouir de leurs droits dans la sécurité, cela met en question la viabilité de la loi.
    Madame Jack, je tiens à vous remercier d’avoir souligné que la question déborde le cadre de la condition féminine et qu’elle touche la famille tout entière.
    J’ai reçu un courriel d’un homme qui appartient à une Première Nation, dans lequel il dit qu’il en a assez de voir, lorsqu’un mariage se défait, que c’est toujours à l’homme que l’on attribue la responsabilité des violences. J’ai à l’esprit les commentaires que vous faisiez à propos du processus de guérison pour l’ensemble de la famille, avec tous les moyens mis en oeuvre pour l’entourer et la soutenir. Je crains que cette loi ne soit présentée aux femmes comme une aubaine, quelque chose qui garantira leur sécurité, mais nous savons que c’est un leurre si elle n’est pas assortie de mesures de soutien.
    Madame Jack, j’aimerais que vous preniez le temps de répondre à cette observation.
    Madame Baird, je vous ai entendue dire que nous ne faisions pas le nécessaire pour mettre en place les mécanismes d’appui à cette loi.
    Pourriez-vous répondre sur ces deux aspects?
    Je commencerai par préciser que nous n’avons que deux agents de la GRC à Berens River et que le service présente des carences. L’adoption de cette loi n’empêchera pas les femmes et les enfants de mourir à Berens River. Je peux vous le dire, moi qui assiste à leurs funérailles.
    Cette loi n’empêchera la mort de personne à Berens River. Si un homme qui s’est saoulé jusqu’à l’hébétude décide d’aller poignarder quelqu’un qu’il aime, personne ne l’en empêchera, parce qu’encore une fois, nous n’avons que deux agents de la GRC à Berens River et ce n’est pas la loi qui va l’arrêter. Le problème qui se pose est beaucoup plus vaste, et toute personne qui a travaillé du côté est le sait bien.
    Ne comptez donc pas sur cette loi pour jouer le rôle de rempart. Malheureusement, ce sont des gens comme moi qui iront frapper à la porte de la maison où le mari bat sa femme pour lui dire: « Arrête, cela ne se fait pas chez nous, les Indiens. » C’est comme ça que l’on peut changer les choses, et il nous faut aider notre propre communauté à se prendre en main, au lieu de s’illusionner et de croire que c’est une quelconque loi provenant d’ailleurs qui va garantir la sécurité au sein de la communauté.
(1730)
    Merci, conseillère Jack.
    Le moment est venu d’interrompre les délibérations et de clore la séance.
    Une fois de plus, madame Baird et madame Jack, tous nos remerciements pour avoir comparu devant notre comité aujourd’hui.

[Français]

    Avant de conclure la rencontre, j'aimerais rappeler que la séance de demain aura lieu au 1, rue Wellington. J'aimerais également rappeler aux membres qu'ils ont reçu un calendrier à jour, avec les réponses des témoins qui ont été convoqués pour les prochains jours devant ce comité.
    Sur ce, la séance est levée.
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