Madame la présidente, honorables membres du comité, mesdames et messieurs, je vous remercie beaucoup de m'avoir invitée à venir vous parler de cet enjeu important.
Comme vous le savez sans doute, les mauvais traitements envers les femmes âgées dans les relations intimes est un problème qui se situe entre deux domaines principaux. Il existe deux réseaux de ressources: l'un est lié aux mauvais traitements envers les aînés, et l'autre, à la violence conjugale. Jusqu'à tout récemment, il existait deux corpus de recherche très distincts, deux ensembles de connaissances, et deux façons très différentes de conceptualiser le problème et, par conséquent, ses solutions.
J'ai commencé à m'intéresser à cette question lorsqu'une équipe d'intervention en matière de violence à l'égard des aînés, une équipe de travailleurs sociaux d'un CLSC de Québec, m'a demandé de l'aider à élaborer un modèle d'intervention en matière de violence conjugale. Ces experts ont admis qu'ils connaissaient des difficultés, malgré leurs compétences, relativement à ces situations, qui se distinguent des autres formes de mauvais traitements envers les aînés.
J'ai interrogé 30 travailleurs sociaux des CLSC de Québec qui travaillent dans le domaine des soins à domicile et je leur ai demandé de soumettre à notre équipe de recherche leurs cas les plus complexes pour que nous en discutions. Nous avons ensuite tenu des groupes de discussion.
Il en est ressorti de nouvelles idées très intéressantes, auxquelles je n'avais pas pensé. Les travailleurs sociaux nous ont tous soumis des cas qui s'étendaient sur quelques décennies. Je sais que la violence peut commencer à un âge avancé, mais les cas que nous ont soumis les travailleurs sociaux s'étendaient parfois sur une période de 60 ans. Ils nous ont dit que lorsque la violence envers le partenaire dure toute une vie, elle a sa dynamique et elle se transforme à différentes étapes de la vie du couple. Elle peut s'intensifier, être plus physique, moins physique, et elle peut sembler disparaître pour une courte période, mais elle est toujours latente.
La retraite semble notamment être un élément déclencheur. C'est une période où le conjoint est désormais toujours à la maison. Les travailleurs sociaux ont souligné qu'à partir de ce moment, il peut gérer dans le moindre détail la vie de la femme et exercer son emprise sur elle du lever au coucher.
L'évolution de l'état de santé de l'un ou l'autre des conjoints ou des deux semble être également un élément déclencheur important.
Les cas que nous ont soumis les travailleurs étaient très variés; ils portaient aussi bien sur des jeunes femmes ou des femmes âgées en santé que sur des femmes très âgées et très malades. Je voudrais simplement parler de quelques recommandations; vous verrez à quel point ces cas sont variés.
Par exemple, prenons le cas d'une femme dans la soixantaine avancée, dont la santé est relativement bonne. Elle vient voir le travailleur social pour parler de sa relation de violence et prendre des décisions à cet égard. Ce cas représente une minorité des cas que l'on trouve dans le système de services aux aînés.
Mais le problème, c'est que les travailleurs sociaux du réseau de soins aux aînés doivent mieux comprendre la dynamique de la violence conjugale, car dans certains cas, ils ont tenté, avec les meilleures intentions, d'encourager les femmes à faire preuve de plus d'assurance et à tenir tête à leur conjoint, mais cela s'est retourné contre elles. Dans une situation où il existe une dynamique de pouvoir et de domination, les hommes réagissent en utilisant davantage de stratégies de domination, ce qui peut mener à une escalade de la violence et créer de plus grands risques.
Le manque de connaissances peut parfois mettre les femmes en danger, et il est important, selon moi, que les travailleurs de ce réseau d'intervention possèdent ces connaissances.
Pour ce qui est des réseaux de lutte contre les mauvais traitements envers le partenaire, des refuges pour femmes battues et des services connexes, je crois qu'il leur faudrait une meilleure compréhension de la dynamique de la violence envers le partenaire après la retraite. Nous ne savons pas encore beaucoup de choses au sujet des éléments déclencheurs. Il nous faut en apprendre plus, et les travailleurs doivent comprendre comment la violence se manifeste au troisième âge, afin qu'ils puissent aider davantage les victimes. Ils doivent aussi comprendre comment adapter les services aux préoccupations et aux besoins des femmes âgées, qui diffèrent de ceux des jeunes femmes. Je pense que le cas dont j'ai parlé aurait pu être bien traité dans un réseau ou dans l'autre, grâce à ces mises en garde.
Le deuxième scénario se produit lorsque interviennent des problèmes de santé plus graves. Des problèmes physiques ou de mobilité, un AVC... On a tendance à voir ce type de cas dans le réseau des soins aux aînés, et en raison de problèmes de santé. Les personnes ne viennent pas pour des problèmes de violence conjugale, mais pour demander des services.
Si on vous soumet un tel cas où l'on demande des services de soins à domicile, vous vous retrouverez peut-être avec deux clients ayant des besoins concurrents et des priorités d'intervention concurrentes. Il s'agira peut-être d'un homme âgé qui a besoin de soins à domicile, mais qui inflige des mauvais traitements à sa conjointe âgée.
Dans ce cas, qui est votre client et quelle est la priorité? Faut-il aider l'homme à continuer à vivre dans la collectivité? Cela peut nécessiter que son épouse reste avec lui, car elle prend soin de lui au quotidien. Ou bien faut-il s'occuper du problème des mauvais traitements? Cela pourrait donner la priorité aux besoins de la femme, mais avoir pour effet que l'homme serait placé dans un établissement de soins de longue durée. Cela devient beaucoup plus difficile lorsqu'il est question de problèmes de santé complexes. Nous avons eu des cas qui se situaient complètement à l'extrémité du spectre des problèmes de santé complexes. Ils nous sont soumis par le réseau de soins aux aînés, et c'est une situation tout à fait différente de la première dont j'ai parlé.
Par exemple, il y avait une femme immigrante, octogénaire, qui ne parlait ni l'anglais ni le français. Elle montrait des signes évidents de démence, mais elle n'avait pas été déclaré inapte sur le plan juridique. Elle était également malade physiquement. Son conjoint la gardait isolée dans la maison. Une infirmière et une préposée aux soins à domicile venaient à l'occasion, mais le mari ne les laissaient jamais seules, pas même une seconde. La femme avait des ecchymoses et présentait d'autres signes évidents de mauvais traitements, mais il ne lui permettait pas de recevoir les soins médicaux appropriés. Puisqu'elle n'avait pas été déclarée juridiquement inapte, il était extrêmement difficile pour l'équipe de soins de santé d'adopter une approche plus protectrice s'appuyant sur le système juridique. Les lois varient d'une province à l'autre, et cela fait partie des questions éthiques et juridiques qui rendent encore plus complexes les problèmes de santé et de mauvais traitements.
Il n'est pas étonnant qu'une bonne partie des travailleurs sociaux interrogés aient exprimé un grand sentiment d'impuissance. L'un d'entre eux nous a demandé comment effacer 60 ans de mauvais traitements. Je me suis dit qu'il fallait faire quelque chose. Nous devons tenir compte de la structure de pratique et des façons dont ces travailleurs sont soutenus et outillés.
J'ai quelques recommandations à formuler. Elles sont interreliées. En tant que travailleurs sociaux, nous sommes les professionnels de la santé qui ont expressément pour mission de promouvoir l'autodétermination du client; il y a donc une réelle opposition ici entre une situation de risque et protection et une situation d'autonomisation.
Par exemple, dans le dernier cas dont j'ai parlé, il est évident que la personne a besoin de beaucoup de protection. Mais nous faut-il négliger la volonté d'une femme âgée ou son droit de prendre ses propres décisions?
Compte tenu de notre façon de procéder avec les jeunes femmes, nous avons tendance à penser que la seule solution possible à certains de ces problèmes, c'est que la femme quitte le foyer. On en a parlé dans des rapports et des études, mais je crois qu'il nous faut reconsidérer cela et être très à l'écoute des femmes âgées. Nous en savons très peu sur la façon dont elles considèrent ce problème, sur leurs expériences et sur les décisions qu'elles prendraient dans ces situations.
Nous devons en discuter davantage au sein des réseaux de ressources. Si j'étais restée à Québec, là où nous avons mené l'étude, j'aurais voulu passer à une autre étape, celle de déclencher une discussion entre les maisons d'hébergement pour femmes battues et les CLSC, et d'y faire participer les décideurs et les femmes âgées. Je pense que nous devons le faire. Cette discussion nous permettrait d'élaborer des questions de recherche qui nous aideraient à formuler un plan d'intervention. Je doute qu'il existe une solution unique à toute la gamme des situations.
Il est important que l'ensemble de ce programme de recherche et d'intervention repose sur la voix des femmes âgées et non de celle des professionnels et des décideurs.
Merci.
Madame la présidente, chers membres du comité, je vous remercie de me recevoir pour discuter de la question des mauvais traitements que subissent les personnes âgées, et plus particulièrement les femmes âgées.
Je considère que vous abordez un problème social de taille, considérant deux éléments fondamentaux. Il y a tout d'abord, bien évidemment, le vieillissement de la population au Canada, qui est fort important. Il y a ensuite la reconnaissance grandissante de la maltraitance envers les personnes aînées, et ce, dans la foulée de travaux qui, au départ, découlaient plus de la violence envers les enfants et de la violence conjugale.
J'aimerais illustrer en quoi la maltraitance envers les femmes aînées diffère quand même de ces deux grands secteurs.
Je vais me présenter très rapidement, ce qui permettra de comprendre d'où vient mon propos. Je suis criminologue de formation, professeure en gérontologie sociale et en travail social à l'Université de Sherbrooke, mais je suis aussi depuis un an titulaire d'une chaire de recherche sur la maltraitance envers les personnes aînées. Cette chaire de recherche est financée par le ministère de la Famille, des Aînés et de la Condition féminine du Québec.
Selon Gloria Gutman, présidente du Réseau international pour la prévention des mauvais traitements envers les aînés — ou INPEA en anglais —, c'est la seule chaire dans ce domaine au monde. Mon propos est donc teinté aujourd'hui par 25 ans de travaux de recherche au cours desquels j'ai été très près des milieux de pratique, et aussi d'une expérience très pertinente parce que j'ai travaillé avec le gouvernement du Québec comme experte scientifique dans l'élaboration du Plan d'action gouvernemental pour contrer la maltraitance envers les personnes aînées, plan de 2010 à 2015.
Au cours des quelques minutes qui suivront, j'aimerais revenir sur cinq points qui me paraissent fondamentaux pour la poursuite de vos travaux. Ce sont des choses sur lesquelles vous avez déjà commencé à travailler, j'en suis certaine, mais sur lesquelles je pourrai apporter un nouvel éclairage.
Mon premier point est la question du genre. Il y a quand même — et c'est bien reconnu sur le plan démographique — un nombre accru de femmes, si on compare aux hommes, parce que les femmes ont une espérance de vie plus longue que celle des hommes. Par conséquent, le fait que vous choisissiez de vous attarder plus spécifiquement aux femmes est de ce point de vue tout à fait justifié.
On sait aussi que certaines formes spécifiques de maltraitance sont liées au genre. Par conséquent, elles vont nécessairement appeler des interventions qui sont aussi spécifiques au genre. Je me fie, par exemple, à une conférence à laquelle j'ai assisté pas plus tard que samedi matin dernier alors que j'étais à Ottawa. Il s'agissait de l'Association canadienne de gérontologie. Quelqu'un du Mexique nous parlait de l'âge des personnes aînées maltraitées. Les femmes aînées les plus jeunes, c'est-à-dire celles qui avaient entre 60 ans et 70 ans, étaient plus souvent victimes de leurs conjoints que les femmes plus vieilles. La façon dont on expliquait ce fait était que le conjoint était toujours vivant, alors que plus tard le conjoint était mort.
Pour moi, il est fort important de s'intéresser à la maltraitance envers les femmes, pas seulement dans le contexte conjugal ou familial, mais bien dans une perspective plus globale.
Je vais revenir tout de suite à mon deuxième point, c'est-à-dire les relations de confiance. Il ne faut pas perdre de vue que les femmes âgées, comme toutes les personnes âgées, ne forment pas un groupe homogène, et que s'intéresser aux femmes âgées nécessite de prendre en compte des particularités qui dépassent l'âge chronologique, c'est-à-dire le parcours de vie, les conditions socioéconomiques et les possibilités d'avoir accès à des services.
Il ne faut pas non plus tomber dans le piège de s'intéresser uniquement aux personnes que l'on considère objectivement plus vulnérables, parce qu'il est bien démontré, dans l'étude de la maltraitance, qu'il y a, d'un côté, la vulnérabilité de la victime — ses propres caractéristiques — et, d'un autre côté, la question des facteurs de risque associés à son entourage. Souvent la personne maltraitante fait partie de cet entourage. Il faut donc avoir un regard équilibré sur la vulnérabilité de la victime et ses facteurs de risque pour se rendre compte que dans certains cas on peut avoir quelqu'un de très vulnérable qui ne sera jamais maltraité parce que son entourage ne présente pas de facteurs de risque. À l'inverse, quelqu'un qui, objectivement, serait peu ou pas vulnérable pourrait être maltraité parce que son entourage présente des facteurs de risque.
Mon deuxième point consiste à comprendre la maltraitance dans toutes ses variations. Très souvent, on retient la définition donnée par l'OMS, qui comprend à la fois la violence et la négligence dans une relation basée sur la confiance. On dit aussi que la maltraitance cause du tort et de la détresse à la personne aînée. En fait, vous l'aurez compris, la question de la maltraitance est un concept parapluie, ou global, qui comprend à la fois la violence conjugale, qui vieillit avec le couple, et des questions de relations familiales. Par exemple, il peut s'agir d'un enfant adulte qui a des problèmes sociaux et qui revient vivre chez son parent. Dans une certaine mesure, il peut être très aidant envers la mère âgée, mais il peut aussi devenir très maltraitant par moments. Il est très intéressant de voir que ce fils ou cette fille peut être dépendant de la mère âgée.
Par ailleurs, il ne faut pas perdre de vue, en plus de la maltraitance à domicile dont on parle beaucoup, la maltraitance envers les femmes âgées en milieu d'hébergement. Ce milieu est souvent moins étudié parce qu'il est plus compliqué d'y accéder. Les personnes âgées qui s'y retrouvent sont nécessairement celles dont la perte d'autonomie est la plus sérieuse. Il s'agit majoritairement de femmes âgées.
Mon troisième point est au coeur de mon intervention. Je parle ici de l'importance des mesures relativement à l'ampleur du phénomène de la maltraitance. Vendredi dernier, lors d'un séminaire à Ottawa auquel on nous avait invités, nous avons présenté les résultats d'une première étude pancanadienne, réalisée en français et en anglais, visant à mesurer l'ampleur de la maltraitance envers les personnes aînées, et ce, à domicile comme en milieu d'hébergement. Je crois que Mme Lynn McDonald a eu l'occasion de vous en parler la semaine dernière.
Pour ma part, je reviens sur le sujet à titre de responsable du volet francophone. Nous avons maintenant un questionnaire qui est prêt à être administré. Il serait important, dans un contexte où c'est souvent — et je dirais malheureusement — en présentant des chiffres qu'on réussit à attirer l'attention sur le fait que des gens sont maltraités, de connaître l'ampleur du phénomène. Les deux études de population qui nous permettent de disposer de données approximatives sur l'ampleur de ce phénomène sont assez anciennes. La première date de la fin des années 1980. On y indique qu'au moins 4 p. 100 des aînés vivant à domicile sont maltraités par leurs proches. La deuxième, qui a été réalisée dans le cadre de l'Enquête sociale générale, donc par Statistique Canada, à la fin des années 1990, révèle que cette proportion atteint 7 p. 100. Or ces deux études ne nous permettent de voir que la pointe de l'iceberg, étant donné que seules les personnes âgées capables de répondre au téléphone pouvaient répondre aux questions. C'est donc dire qu'une personne n'étant pas en mesure de répondre au téléphone, en perte d'autonomie ou se trouvant à proximité de la personne maltraitante ne pouvait y répondre.
Si ces 7 p. 100 ne représentent que la pointe de l'iceberg, il est temps qu'on recueille de nouvelles données. Dans le questionnaire qu'on a proposé à Ressources humaines et Développement des compétences Canada, on a bien démontré l'importance d'utiliser des mesures objectives, mais aussi subjectives, dans le cas de la maltraitance. Par exemple, si on demande à une personne si elle a l'impression d'avoir été négligée, il est possible qu'elle nous réponde non, mais que pour des questions particulières, par exemple si elle a reçu toute l'aide nécessaire pour prendre son bain ou aller à la toilette, elle nous dise ne pas avoir reçu cette aide. Autrement dit, il y a une dichotomie entre ce que les gens vivent et ce qu'ils ressentent. Il faut donc faire ressortir aussi bien l'objectivité que la subjectivité de l'expérience de victimisation.
Mon quatrième point touche l'importance des conséquences de la maltraitance sur la vie des aînés. Une étude américaine démontre que les gens maltraités meurent beaucoup plus jeunes et ont plus de maladies que les autres. Il serait important de savoir si la situation est la même au Canada, donc de bien mesurer les répercussions de cette maltraitance.
Mon dernier point traite du rôle du gouvernement fédéral. Le Canada comprend 13 juridictions, soit 10 provinces et 3 territoires. Ce qui peut nous rallier, c'est le droit criminel, mais aussi la réflexion sur les conditions pouvant être rattachées aux transferts financiers vers les provinces. Il m'apparaît important que chacune des provinces prenne en compte le phénomène de la maltraitance envers les femmes âgées et que ça se traduise non pas seulement par des énoncés politiques, mais aussi par des mises en oeuvre. Celles-ci vont nous permettre de faire un suivi dans ce domaine.
Je vous remercie.
Bonjour, mesdames et messieurs. Je vous remercie de l'invitation à venir témoigner dans le cadre de votre étude sur les mauvais traitements envers les femmes âgées et, plus particulièrement, de votre intérêt pour la situation des femmes autochtones âgées.
Je m'appelle Claudette Dumont-Smith, comme Mme Ashton vient de le dire. Je suis Algonquine, de la collectivité Kitigan Zibi, qui n'est qu'à 90 kilomètres d'ici, du côté du Québec.
Bienvenue en territoire algonquin.
Je suis infirmière de profession, mais je suis dans le domaine de la gestion depuis un bon moment déjà.
Pour commencer, j'aimerais revenir en arrière jusqu'en 1993, alors que j'étais membre du Cercle autochtone au Comité canadien sur la violence faite aux femmes. Grâce au travail réalisé par le comité, il y a eu des recherches exhaustives sur la violence faite aux femmes, y compris chez les femmes autochtones. Dans le dernier rapport du comité, en 1993, on avait souligné l'absence manifeste de recherche sur les femmes âgées autochtones qui sont victimes de violence et de mauvais traitements.
En 2002, pour le compte de la Fondation autochtone de guérison, j'ai mené une étude sur les mauvais traitements envers les personnes âgées au Canada. Encore une fois, ma recherche a permis de constater qu'il y avait un manque de données sur les mauvais traitements envers les personnes âgées au Canada — pour l'ensemble de la population — et encore moins de données sur la population autochtone. En 2007, à titre de directrice de la section santé de l'Association des femmes autochtones du Canada, j'ai proposé d'examiner la question des mauvais traitements envers les personnes âgées chez les femmes autochtones; encore une fois, j'ai constaté la rareté des données à cet égard.
Je dirais que les conclusions de l'étude de 2002 sont toujours d'actualité aujourd'hui, tout simplement parce qu'il n'y a pas de recherche dans ce domaine. L'étude était centrée sur la violence familiale, qu'on définit comme « toute forme de violence ou de mauvais traitements envers une personne âgée par une personne qui a une relation privilégiée avec l'aîné ». Les formes les plus courantes de mauvais traitements envers les personnes âgées, y compris la négligence, sont la violence physique, psychologique et financière.
Même s'il n'y a aucune preuve statistique démontrant que le taux de mauvais traitements et de négligence est plus élevé chez les femmes âgées autochtones que dans l'ensemble de la population, il est très improbable, voire peu plausible, de penser — compte tenu de leurs conditions de vie — que les taux pourraient être semblables ou moins élevés. Tous les indicateurs de la violence ou les facteurs connus augmentent le risque des femmes autochtones d'être victimes de violence, ce qui fait augmenter le taux.
À titre d'exemple, les Autochtones ont, dans l'ensemble, un plus haut taux de violence familiale. La dépendance aux drogues et à l'alcool sont des problèmes graves. Dans les familles élargies, c'est-à-dire celles où les aînés vivent avec les plus jeunes, le surpeuplement est chose courante. La perte d'un rôle dans la société autochtone — en raison des répercussions des pensionnats indiens —, conjuguée aux piètres conditions socio-économiques nous indiquent que les aînés vivent dans des conditions très précaires pour ce qui est de la violence et de la négligence.
Je tiens à vous informer que l'Association des femmes autochtones du Canada s'attaque à ce problème depuis 2007, mais j'aimerais d'abord vous parler de l'association. Elle est au service des femmes autochtones du Canada depuis 37 ans. Son objectif est d'améliorer, de promouvoir et de favoriser le bien-être des femmes autochtones de tous âges sur les plans social, économique, culturel et politique.
Comme je l'ai dit plus tôt, dans le cadre du programme Nouveaux Horizons pour les aînés, nous avons proposé d'étudier la question. Grâce au financement qu'elle a reçu, l'AFAC a pu mettre en oeuvre son projet Grandmother Spirit d'une durée de 22 mois, qui a connu un vif succès. J'aimerais maintenant vous en parler.
Le projet Grandmother Spirit a été mis en oeuvre pour sensibiliser la population sur les mauvais traitements envers les personnes âgées, la sécurité et le bien-être des femmes autochtones âgées au Canada. Le projet était fondé sur la croyance selon laquelle les grand-mères — les femmes autochtones âgées — ont une extraordinaire expérience de vie et une grande sagesse et qu'elles devraient jouer un rôle important par rapport au travail de lutter contre les mauvais traitements envers les personnes âgées. Elles pourraient aussi aider à cerner les besoins pour s'assurer que les femmes autochtones âgées sont en sécurité et heureuses dans leurs collectivités.
Il s'agit d'une reconnaissance de l'esprit de nos grand-mères, du rôle qu'elles jouaient avant la colonisation ainsi que de la nécessité, aujourd'hui, de faire de nouveau reconnaître et respecter leur rôle dans nos collectivités et dans la société canadienne.
Le projet a été dirigé par un comité consultatif formé d'aînés, de membres de la collectivité, de fournisseurs de services et d'universitaires; il y avait même des jeunes. Le comité avait pour fonction du bon déroulement du projet, et il a participé à l'élaboration du plan de recherche et de consultation en matière d'éthique, d'échantillonnage et de diffusion des connaissances acquises.
Dans le cadre du projet Grandmother Spirit, on a eu recours à une approche autochtone de la recherche: on a réuni des grand-mères de partout au Canada pour former des groupes de recherche afin de recueillir leurs témoignages et de tirer des leçons de leur vécu et de leur sagesse. On a demandé à ces femmes de parler de ce qu'elles savaient ou de ce qu'on leur avait enseigné au sujet des soins des personnes âgées — des grand-mères —, de ce qu'elles considéraient comme des facteurs ayant une incidence sur la sécurité et le bien-être, y compris les questions liées aux mauvais traitements envers les personnes âgées. On leur a aussi demandé de nous parler des mesures qui avaient déjà été mises en oeuvre dans leurs collectivités pour aider à régler les problèmes liés à la sécurité et au bien-être, de ce qui, d'après elles, était nécessaire, mais — et c'est le plus important — de nous dire comment elles entrevoyaient l'avenir.
Les grand-mères ont mentionné qu'il y avait un manque de respect généralisé à l'égard des grand-mères et des grands-pères, ce qui fait des mauvais traitements envers les personnes âgées quelque chose de caché ou d'acceptable dans nos collectivités. S'employer activement à revaloriser le respect envers les personnes âgées et tous les membres de la collectivité est un facteur important si on veut éviter la normalisation des mauvais traitements envers les personnes âgées.
Les grand-mères ont pu identifier beaucoup de facteurs qui favorisent l'émergence ou le maintien des mauvais traitements envers les personnes âgées — ce qu'a aussi révélé l'étude de 2002 —, notamment la peur, le silence, l'isolement, la pauvreté, la nécessité pour le pouvoir politique de s'engager envers les personnes âgées et les difficultés associées à la lutte contre les mauvais traitements dans les petites collectivités. De plus, elles ont parlé d'une série de mauvais traitements dont elles avaient été témoin ou victimes dans leurs collectivités: la négligence, la violence morale, psychologique, sexuelle, financière et matérielle, ainsi que les mauvais traitements liés aux médicaments.
Ce genre de problème a souvent été soulevé. Cela comprend une série de mauvais traitements qui vont du vol des médicaments d'une grand-mère par un membre de la famille — à des fins de consommation ou de revente — jusqu'à l'usage préjudiciable de médicaments afin de maintenir les grand-mères sous sédation pour pouvoir avoir accès plus facilement à leur domicile, leurs biens ou leur argent.
Le projet Grandmother Spirit a permis la mise au jour d'une nouvelle catégorie de mauvais traitements: les mauvais traitements en établissement. Dans les études sur les mauvais traitements envers les personnes âgées, c'est un aspect qui devrait être étudié plus en profondeur. Quand on parle de mauvais traitements en établissement, cela renvoie à la notion de tort causé aux aînés ou de la violation de leurs droits qui découle des politiques ou des pratiques des établissements ou des gouvernements.
Un des meilleurs exemples serait celui des obstacles qui empêchent beaucoup d'aînés autochtones de vieillir dans leur collectivité en raison du manque de services, de ressources ou d'établissements. Souvent, les gens des collectivités situées dans les réserves se sont plaints de la difficulté d'obtenir du financement pour construire, entretenir et offrir à la population des centres de soins de longue durée ou des logements avec assistance.
Pour certaines personnes âgées, avoir accès aux soins dont ils ont besoin signifie qu'elles sont déplacées à des centaines de kilomètres — ou plus — de leur collectivité natale, de leur famille et de leur terre. Les grand-mères ont établi un lien direct entre l'isolement qui en résulte — et qui va souvent de pair avec des services fournis en anglais plutôt que dans leur langue et des soins qui ne sont pas adaptés à leur culture — et l'expérience vécue par ceux qui ont été retirés de leur collectivité et envoyés dans les pensionnats. La catégorie des mauvais traitements en établissement fait ressortir la nécessité de régler les problèmes systémiques qui peuvent mener à la répétition des traumatismes ou à l'aggravation de l'exclusion sociale que vivent les peuples autochtones au Canada.
En même temps, les grand-mères ont aussi parlé des choses qu'elles ont observées dans leurs collectivités et qui sont utiles pour augmenter la sensibilisation aux problèmes de mauvais traitements envers les personnes âgées, ou qui permettent d'y mettre un terme ou les prévenir. Par exemple, une grand-mère a mis sur pied une émission de radio pour faire de la sensibilisation et parler de ce problème. Nous avons appris qu'il y avait, dans une collectivité située dans une réserve, un programme novateur, où des agents de la GRC vont prendre le thé avec les aînés qu'on — la collectivité ou les agents de santé communautaire — considère comme vulnérables, ou qu'on pense victimes silencieuses de mauvais traitements.
Un autre exemple d'une approche positive visant à favoriser la sécurité et le bien-être des grand-mères est le travail réalisé par l'Aboriginal Senior Resource Centre of Winnipeg. Le centre offre un large éventail de programmes et de services qui évoluent constamment en fonction des besoins des aînés auxquels il fournit des services. Il y a des logements avec assistance, où les aînés autochtones ont l'occasion de socialiser, parler leur langue, transmettre leurs connaissances, acquérir de nouvelles compétences, faire du bénévolat et jouer un rôle actif dans la collectivité. On peut considérer cela comme une approche globale qui favorise la sécurité et le bien-être.
Nous avons demandé aux grand-mères qui ont participé au projet de nous dire ce qu’elles pensaient qui était nécessaire pour assurer leur sécurité et leur bien-être au sein de leur collectivité. Cela inclut le fait de souligner l’importance des valeurs culturelles et des relations familiales et communautaires. Il faut aussi régler les problèmes structurels d’ordre plus général qui découlent d’un manque chronique de ressources financières pour les services communautaires destinés aux Autochtones. Dans notre réflexion sur le travail que font les grand-mères pour régler les problèmes liés aux mauvais traitements envers les personnes âgées, à la sécurité et au bien-être, il faut adopter, à long terme, une approche globale adaptée sur le plan culturel qui s’adresse à tous les membres de nos collectivités, qu’il s’agisse des jeunes ou des personnes âgées.
L’AFAC désire soutenir les femmes autochtones, leurs familles et les collectivités dans leur lutte contre les problèmes liés aux mauvais traitements envers les personnes âgées, à la sécurité et au bien-être. Pour ce faire, l’AFAC poursuivra ses efforts en vue d'obtenir du financement pour la création — en fonction des recommandations des grand-mères qui ont participé au projet — de ressources et de programmes et pour faire l’analyse des politiques. Pour ce faire, il faut mettre l’accent sur la création de liens culturels, notamment entre les jeunes et les aînés. Il faut créer du matériel didactique pour la collectivité; aider les femmes autochtones. Il faut faire les modifications qui s’imposent aux politiques qui engendrent le sous-financement des soins à long terme dans les réserves, des soins destinés aux Autochtones, des soins à domicile, des soins de relève et des programmes de rénovation destinés à aider les grand-mères à adapter leur domicile pour leur permettre de vieillir dans leur collectivité.
Il faut noter que l’AFAC a siégé au comité consultatif de l’Initiative nationale pour le soin des personnes âgées, ou INSPA, un projet qui vise, à l’échelle nationale, l’adoption d’une définition des mauvais traitements envers les personnes âgées et la cueillette de données sur le problème. L’AFAC insiste pour qu’on tienne compte des facteurs culturels dans l’utilisation de la définition et des données.
Nous sommes impatients de poursuivre notre travail avec tous les intervenants du milieu. Nous voulons nous assurer qu’on s’occupe des besoins, des préoccupations et de la situation particulière des femmes autochtones âgées.
Merci.
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Merci. Je suis heureuse de témoigner devant le Comité permanent de la Chambre des communes sur la condition féminine.
Dans mon exposé d’aujourd’hui, je vais examiner quelques-uns des renseignements généraux sur une étude de la violence envers les femmes âgées. Je vais aussi donner la priorité aux voix des femmes âgées marginalisées en vous parlant de l’expérience de deux femmes, Mei et Darlene, qui ont toutes les deux été victimes de mauvais traitements. Leurs noms et autres renseignements essentiels ont été modifiés.
À la fin, j'aurai des recommandations utiles.
La violence envers les femmes et les filles est omniprésente. Les femmes sont exposées à la violence tout au long de leur vie; cela commence pendant l’enfance et se prolonge pendant l’âge adulte et, de toute évidence, pendant la vieillesse. Selon les meilleures données disponibles, au Canada, par rapport aux formes de mauvais traitements et de négligence envers les enfants, les jeunes filles sont plus à risque que les garçons. La différence entre les sexes est particulièrement évidente pour ce qui est de l’incidence de violence sexuelle envers les enfants: le taux est trois fois plus élevé chez les jeunes filles. On observe aussi cette différence entre les sexes à l’échelle mondiale.
L’Enquête sociale générale du Canada révèle des taux similaires de victimisation entre les hommes et les femmes à l’âge adulte. Toutefois, ces études ne prennent pas en compte le contexte ou le résultat de la violence. Dans leur étude, DeKeseredy et Dragiewicz soutiennent que caractériser la violence comme étant symétrique chez les deux sexes est injustifié, en raison de la force employée par les hommes contre leur partenaire et du fait que l’environnement culturel fondé sur le genre favorise la propagation de la violence envers les femmes.
Malgré les limites des preuves statistiques existantes, il y a beaucoup d’indicateurs qui permettent d’affirmer qu’au Canada, les femmes sont plus susceptibles que les hommes d’être victimes des formes les plus graves de violence conjugale, d’homicide entre conjoints, d’agression sexuelle et de harcèlement criminel. Les femmes sont cinq fois plus susceptibles d’être assassinées par des proches que les hommes, pour lesquels les inconnus ou les connaissances représentent le plus grand risque.
On observe aussi, sur la scène internationale, un taux disproportionné de la violence envers les femmes. Une étude de l’Organisation mondiale de la Santé a conclu que l’une des formes les plus courantes de violence contre les femmes est celle qui est le fait d’un mari ou d’un partenaire masculin.
La population du Canada vieillit rapidement. Par conséquent, les questions liées aux personnes âgées, telles que la violence envers les femmes âgées, doivent être une priorité. L’importance de la recherche sur les mauvais traitements envers les personnes âgées se justifie par les graves conséquences psychologiques, physiques et économiques de la violence envers les aînés, qu’on estime à plus de 500 millions de dollars par année.
De plus en plus de preuves portent à croire que différents types de violence, de l’enfance à la vieillesse, ont des causes, des risques et des facteurs de protection communs. Les victimes d’une forme de violence sont plus à risque d’être victime d’une autre forme. Différentes formes de violence peuvent se produire simultanément dans la même famille ou chez la même personne. Dans un tel contexte, la présence d’une forme de violence peut être un important indicateur de l’existence d’autres formes de violence.
Il existe beaucoup de définitions des mauvais traitements envers les personnes âgées; aucune d’entre elles n’a été acceptée universellement. Récemment, les définitions sur la violence envers les adultes plus âgés sont plus axées sur les droits de la personne. Selon une analyse récente des données de l’Enquête sociale générale, le taux de prévalence de la violence conjugale chez les personnes âgées, il n’y aurait pas de différence fondée sur le sexe. Cependant, encore une fois, ces études comportent des lacunes, comme cela a été dit plus tôt.
L’Organisation mondiale de la Santé a déterminé que les personnes âgées sont plus à risque d’être victimes de mauvais traitements. Il s’agit notamment des femmes, de ceux qui vivent dans la pauvreté, des personnes très âgées et des personnes dont la capacité fonctionnelle est limitée. La race et l’origine ethnique sont également des facteurs.
Je vais maintenant vous donner quelques informations sur deux de ces groupes, avec un exemple caractéristique pour chacun.
Le premier est celui des immigrantes. Comme la population canadienne vieillit, elle est aussi de plus en plus diversifiée sur le plan ethnoculturel. Actuellement, les immigrants forment un groupe plutôt important chez les personnes âgées au Canada; les femmes représentent la majorité des immigrants âgés.
En dépit de cette tendance démographique, on sait peu de choses sur les grands enjeux des immigrantes âgées. Dans la vie d’une femme, une des plus grandes préoccupations est la violence envers les femmes. Malgré l’augmentation de la recherche sur la violence envers les femmes et sur les mauvais traitements envers les personnes âgées, il y a un manque flagrant d’études canadiennes sur la violence chez les immigrants âgés.
Je vais maintenant vous parler de Mei. Devenue veuve à 68 ans, Mei a émigré de Hong Kong à Calgary en tant qu’immigrante de la catégorie du regroupement familial. Parrainée par son fils, elle a d’abord été heureuse de les retrouver, lui, sa femme et leurs deux jeunes enfants.
Elle s’est vite rendue compte que dans ce nouvel environnement elle n’était plus perçue comme l'aînée estimée ni la cheffe de famille. Son rôle était plutôt de cuisiner, nettoyer et prendre soin de ses petits-enfants. Elle avait aussi mis des biens assez importants à la disposition de sa famille pour les aider. On la réprimandait souvent lui reprochant d'être incapable de s’occuper de ses petits-enfants. Ils ne lui obéissaient pas et elle ne pouvait pas communiquer avec eux. Elle ne parlait que le mandarin et eux que l’anglais.
Les relations avec sa belle-fille se détérioraient. On aurait dit que tout ce que Mei faisait n’était jamais suffisant ni bien fait. Son fils ne voulait pas prendre parti et elle ne voulait pas lui faire part de ces problèmes. Le fils décida d’investir l’argent de Mei dans un condominium situé dans le quartier chinois. Au départ, Mei était d’accord pensant que c’était un bon investissement. Mais parce que les relations tendues avec sa belle-fille s’aggravaient, le fils la fit emménager dans le condominium. Le condominium n’était pas meublé, elle n’avait qu’un matelas pour dormir.
Mei découvrit que son nom ne figurait pas dans le bail qui était au seul nom de son fils et que ce dernier avait dépensé tout son argent. Elle songea à retourner à Hong Kong mais n’en avait pas les moyens. Elle n’avait personne pour l’aider. En dépit de la honte et du désespoir qui l’accablaient, elle chercha de l’aide auprès d’un centre de services aux immigrants, mais ce centre ne pouvait faire grand-chose, car n’ayant pas le statut de résident permanent elle passait à travers les mailles du filet.
L’agent d’établissement lui offrit des chèques-cadeaux pour acheter de la nourriture. L’agent lui ayant offert de parler à son fils, Mei refusa parce qu’elle ne voulait pas déshonorer sa famille. Son fils ne devait pas savoir qu’elle avait fait part de sa situation à quelqu’un d’autre.
Les femmes autochtones constituent le deuxième segment de la population. En 2009, 13 p. 100 des femmes autochtones âgées de 15 ans et plus ont été victimes de crimes avec violence, c’est-à-dire qu’elles sont près de trois fois plus victimisées que les femmes non autochtones. Il y a moins d'information concernant la violence exercée à l’encontre des femmes autochtones plus âgées.
Les taux élevés de violence des femmes autochtones doivent s’inscrire dans le contexte des antécédents de marginalisation et d’oppression issus du colonialisme, du patriarcat et des effets de la gouvernance des Euros-Canadiens sur la vie de ces femmes. Les pensionnats ont marqué à jamais les survivants. Les Autochtones qui ont séjourné dans les pensionnats étaient incapables d’acquérir des connaissances, de prendre pour modèle le rôle assigné à chacun des sexes et étaient souvent victimes de toutes sortes de mauvais traitements.
Aujourd’hui, les femmes autochtones au Canada sont en position désavantageuse à cause de facteurs sociaux et d’injustices structurelles qui les empêchent d’atteindre un état complet de bien-être. Les logements surpeuplés et inadéquats, le sous-emploi et le chômage, la pauvreté, la toxicomanie, la violence sous toutes ses formes et le peu d’aide accordée font partie du quotidien des femmes autochtones.
Je vais vous raconter maintenant l’histoire de Darlene. Darlene est une Crie âgée de 65 ans qui vit dans une petite réserve au nord de l’Ontario. Elle se décrit comme étant une femme traditionnelle qui a mis beaucoup de temps à trouver sa voie, celle que les pensionnats lui avaient fait oublier. Elle vit seule dans une petite maison qui, selon elle, ne tient que grâce à quelques clous. Mais c’est sa maison et elle en est fière. Elle vit de sa pension. Elle n’a pas beaucoup d’argent mais elle s’en tire tant bien que mal.
Elle se préoccupe beaucoup pour les membres de sa communauté, surtout pour ses petits-enfants. Lorsqu’elle reçoit son chèque de pension chaque mois, elle sait que ses petits-enfants et leurs amis lui rendront visite. Des fois, c’est une visite agréable, elle leur sert à manger, leur parle et tout se passe bien.
Mais ce n’est pas le cas la plupart du temps. Parfois, ils lui demandent de l’argent, surtout s’ils sont en état d’ébriété. Si elle refuse, il arrive qu’ils la bousculent et qu’ils lui prennent de force sa bourse. Darlene se soucie beaucoup de ses finances. Lui restera-t-il suffisamment d’argent jusqu’à la fin du mois? Pourra-t-elle acheter ses médicaments? Elle ne blâme pas vraiment ses petits-enfants. Elle dit ne pas avoir toujours été une bonne maman. Comment aurait-elle pu l’être? Dès l’âge de six ans, elle a cessé de voir ses parents.
Darlene pense parfois que si elle essayait d’aider ses petits-enfants et les autres jeunes de la communauté, la situation s’améliorerait. Elle a parlé de sa situation à un représentant en santé communautaire. Quand ce représentant a offert de téléphoner à la police, Darlene a pris peur et, aujourd’hui, elle ne veut plus parler à qui que ce soit. Elle ne veut pas que ses petits-enfants subissent ce qu’elle a elle-même subi.
La documentation sur la violence familiale regorge d’exemples d’échecs de détection de cas de mauvais traitements et de l'absence d’interventions pour y mettre fin. Les problèmes de reconnaissance et de signalement de mauvais traitements envers les personnes âgées ont été documentés, de même que la crainte de représailles, la perte des relations familiales, la honte, l’embarras et le fait de ne pas savoir que des services sont offerts et comment y avoir accès. Ces problèmes peuvent être plus graves dans certaines communautés ethnoculturelles.
Les principales recommandations présentées au gouvernement canadien, pour orienter la recherche en appui de l’élaboration de la politique en matière de prévention des mauvais traitements à l’égard des personnes âgées, soulignaient la nécessité de recueillir des informations sur la prévalence et l’incidence des mauvais traitements infligés aux personnes âgées au moyen d’enquêtes à petite et grande échelles menées auprès des adultes plus âgés qui vivent dans la communauté et dans un milieu institutionnel. Ces informations sont nécessaires car comme le soutient Johnson: « Pour pouvoir mettre sur pied des interventions efficaces, les décideurs doivent bien comprendre la nature et la gravité des problèmes sociaux. »
Je voudrais lancer quatre messages.
Les adultes plus âgés ont le droit de vivre dans un environnement sûr et sécurisé qui leur permet de développer au maximum leur capacité de prendre des décisions éclairées à propos de leur vie. Il y a, au Canada, un besoin urgent de données sur la prévalence de la violence contre les adultes plus âgés. Ces informations sont nécessaires pour contribuer à la formulation des politiques et des programmes visant à réduire la violence et à remédier aux dangers qui y sont associés. L’Initiative nationale pour le soin des personnes âgées fait des recherches pour clarifier les définitions et les questions de mesure relatives aux mauvais traitements et à la négligence à l’égard des personnes âgées. Cette recherche est fondamentale pour effectuer des études sur la prévalence et l’incidence rigoureuses au plan méthodologique.
L’évaluation précise de la violence envers les adultes plus âgés doit être aussi faite pour les populations qui courent un « risque accru », notamment les aînés, les femmes très âgées, les handicapés, les Autochtones et les immigrants. Des chercheurs, de partout au Canada, ont fait des travaux préliminaires auprès des immigrantes plus âgées. Ces travaux pourraient servir au développement de mesures et d’outils qui seraient culturellement adaptés.
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Merci, monsieur le président.
J'aimerais remercier nos invitées de leur présence ici aujourd'hui. Vos observations sont très utiles pour notre étude.
Vous allez constater que dans le présent comité, certains d'entre nous — et peut-être la totalité des membres — poseront des questions ciblées pour essayer de définir nos programmes. J'aimerais ratisser un peu plus large, si vous le permettez, parce que je pense que ce que nous essayons de faire, c'est d'avoir une idée objective de la question.
Je suis toujours préoccupé par les personnes qui sont d'avis que peu importe la situation, on peut toujours régler un problème en y injectant de l'argent. Si c'était aussi simple… À vrai dire, je pense que c'est beaucoup plus profond que cela et je pense que s'il y a quelque chose que je retiens de votre témoignage aujourd'hui, c'est exactement cela. Il y a d'autres problèmes profondément enracinés.
Avec respect, madame Dumont-Smith, ce que je trouve de très intéressant dans votre témoignage et dans celui de Mme Walsh, comme d'autres témoins nous l'ont dit auparavant, c'est que cela peut avoir une importance, ou être différent, en fonction du degré. Mais lorsque vous parlez de certaines des questions très graves liées aux mauvais traitements envers les personnes âgées… en passant, je suis conscient, lorsque j'utilise l'expression anglaise elder dans le contexte de nos collectivités autochtones, que je veux dire les mauvais traitements envers les personnes âgées, si vous me pardonnez d'utiliser cela comme référence.
Un grand nombre de ces questions — en fait, si je peux oser, toutes ces questions — sont les mêmes, peut-être pas en termes de degré, mais en termes de mauvais traitements physiques, psychologiques, financiers et les divers autres mauvais traitements que nous connaissons tous. Il peut y avoir des endroits où le degré est différent pour certaines des choses que vous nous avez dites aujourd'hui. Cela pourrait très bien être vrai. Je suis tout simplement frappé par les ressemblances. Je pense que c'est très intéressant.
Il y a quelque chose qui a fonctionné dans votre collectivité et dont vous avez parlé, madame Dumont-Smith. J'aimerais en savoir davantage à ce sujet, parce que lorsque les choses fonctionnent, je suis vraiment intéressé. Vous avez parlé du projet Grandmother Spirit. Pardonnez-moi, mais s'agissait-il d'un programme Nouveaux Horizons?