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Bonjour, monsieur le président et chers membres du comité.
[Traduction]
Merci de m'avoir invitée ici aujourd'hui pour discuter des propositions de modification du Code canadien du travail qui prévoiraient un congé non payé pour les parents d'enfants assassinés ou portés disparus.
Comme vous le savez peut-être, le Bureau de l'ombudsman fédéral des victimes d'actes criminels a été créé pour donner une voix aux victimes au niveau fédéral. Nous accomplissons notre mandat en recevant et examinant les plaintes de victimes d’actes criminels, en leur fournissant des renseignements et des références en vue de promouvoir et de faciliter l'accès aux programmes et aux services fédéraux qui leur sont destinés, en promouvant les principes fondamentaux de la justice pour les victimes d'actes criminels, en sensibilisant le personnel de la justice et les décideurs politiques aux besoins et aux préoccupations des victimes, et en cernant les problèmes systémiques et nouveaux qui influencent négativement ces victimes d'actes criminels.
Le bureau aide les victimes de manière individuelle et de manière collective. Nous aidons les victimes individuellement, en leur parlant au quotidien, en répondant à leurs questions et en traitant leurs plaintes. Nous aidons les victimes collectivement en révisant des questions importantes et en présentant au gouvernement du Canada des recommandations sur la façon d'améliorer ses lois, ses orientations et ses programmes, de façon à mieux soutenir les victimes d'actes criminels.
Je vous remercie de m'avoir invitée aujourd'hui pour parler de la modification du Code canadien du travail qui prévoit un congé non payé. Je soulèverai également quelques points à considérer vis-à-vis le programme fédéral de soutien du revenu pour les parents d'enfants assassinés ou portés disparus.
J'aimerais tout d'abord commencer en soulignant la satisfaction de notre bureau envers le dépôt du projet de loi , lequel inclut une modification du Code canadien du travail de façon à prévoir un congé non payé pour les parents faisant face au décès ou à la disparition de leur enfant. L'annonce d'un nouveau programme fédéral de soutien du revenu visant à atténuer les difficultés financières des parents d'enfants portés disparus ou assassinés nous a également encouragés.
Ces deux mesures reçoivent certes notre soutien de principe, mais manifestement, les nouvelles dispositions relatives au congé non payé et au programme de soutien du revenu ne prennent pas en considération la situation de nombreuses victimes d'actes criminels. Les critères d'admissibilité à ces mesures et leur portée pourraient être plus vastes. C'est pourquoi notre bureau vous suggérera d'envisager de modifier et d'élargir la portée et l'admissibilité du congé non payé et du soutien du revenu de façon à ce qu'ils répondent davantage aux besoins des victimes d'actes criminels.
Il faut savoir que le traumatisme lié à la victimisation peut avoir des incidences psychologiques et socioéconomiques dévastatrices sur la famille. Dans une étude récente du ministère de la Justice, on estime qu’environ 83 p. 100 des dépenses liées à la criminalité sont assumées par les victimes. Les pertes de productivité et de salaire, le coût des soins médicaux et psychologiques, la prise de congé pour prendre part aux procédures criminelles font partie de ces dépenses.
Selon une étude de familles endeuillées par un homicide, menée en 2011 au Royaume-Uni, la santé physique et la capacité de travailler, de maintenir des relations, de s'occuper des enfants et de gérer de nouveaux fardeaux financiers sont autant de problèmes graves pour les familles ayant perdu un être cher par homicide.
Selon la même étude, 70 p. 100 des répondants ont arrêté de travailler pendant un certain temps à cause de leur deuil, la durée de cette période variant de moins d'un mois à plus d'un an. Plusieurs personnes ont signalé avoir perdu leur travail du fait des conséquences de la perte de l'être aimé. Ceci démontre bien que le congé non payé est nécessaire, de même que le soutien de revenu qui l'accompagne.
Il faut toutefois souligner que dans cette étude, les réponses ne sont pas toutes venues de parents. L'étude souligne aussi les conséquences pour les conjoints, les frères et soeurs et pour la famille élargie qui partage le domicile. Les conséquences financières peuvent être aussi graves pour un homicide du conjoint que pour la perte d'un enfant.
C'est pourquoi je tiens à souligner que les propositions de modification du Code canadien du travail ne sont pas exhaustives et ne reconnaissent pas les conséquences de la criminalité sur d'autres membres de la famille, par exemple les conjoints et les frères et sœurs. Elles ignorent également l'incidence de la victimisation quand la personne a plus de 18 ans. Les modifications devraient aussi tenir compte des situations autres que l'homicide ou la disparition. De cette façon, les dispositions relatives au congé non payé corrigeraient l'incidence de la victimisation dans la cellule familiale et reconnaîtraient les conséquences terribles d'autres formes de criminalité — les agressions physiques graves ou les agressions sexuelles, par exemple.
Compte tenu de ces éléments, je vous demande respectueusement de bien vouloir examiner les recommandations suivantes: il faudrait élargir la portée des modifications du Code canadien du travail, de sorte qu'elles s'appliquent à plus de victimes d'actes criminels, notamment en prévoyant un congé pour les conjoints, les frères et sœurs, et l'élimination de la limite d’âge de 18 ans. Il faudrait aussi créer une nouvelle catégorie d'assurance-emploi pour les victimes d'actes criminels afin de garantir que les Canadiens affectés par la criminalité puissent avoir accès à une structure existante de versement de prestations. Dans les cas où les membres de la famille ne satisfont pas aux exigences d'admissibilité de l'assurance-emploi pour cette catégorie, ou si les versements d'appui financier sont inférieurs à 350 $ par semaine, nous recommandons qu'ils soient admissibles à un programme semblable au programme fédéral de soutien du revenu, en fonction des mêmes critères d'admissibilité inclusifs. Ce programme pourrait faire en sorte que l'on réponde aux besoins financiers d'un plus grand nombre de victimes d'actes criminels.
Pour conclure, notre bureau appuie sans réserve les propositions de modification du Code canadien du travail et le mécanisme de soutien du revenu pour les parents d'enfants assassinés ou portés disparus. Nous recommandons toutefois que les dispositions relatives au congé non payé puissent être ouvertes à une gamme plus vaste de victimes et à leur famille, car elles ont aussi un lourd fardeau à porter au lendemain d'un acte criminel.
Tous les jours, des victimes de partout au pays nous disent qu'il n'y a pas suffisamment de services de soutien vers lesquels elles pourraient se tourner. Elles nous parlent de leur obligation de s’endetter lourdement, des problèmes de santé et de relations dont elles souffrent, et de leur difficulté à obtenir l’aide dont elles ont besoin. Elles nous parlent souvent de leur lutte pour avoir accès à l'appui dont elles ont besoin pour faire face à leur nouvelle réalité après un crime.
Les propositions de modification du Code canadien du travail que prévoit le projet de loi sont certes un progrès, mais des dispositions plus inclusives sur le congé des victimes d'actes criminels, accompagnées de prestations d'assurance-emploi, serviraient non seulement à reconnaître l'incidence durable de la victimisation, mais elles renforceraient aussi grandement les services de soutien dont disposent les victimes d'actes criminels au Canada.
[Français]
Merci. Je serai heureuse de répondre à vos questions.
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Bonjour. Je m'appelle Michel Surprenant. Je suis ici aujourd'hui à titre de président de l'Association des familles de personnes assassinées ou disparues, l'AFPAD.
Comme son nom l'indique, notre association regroupe 500 familles de personnes disparues ou assassinées au Québec. Ma fille a été enlevée en 1999 dans la rue Castille, à Terrebonne. Elle avait 16 ans. Sa disparition a bouleversé ma vie et celle de ma famille.
Comme vous pouvez l'imaginer, retourner au travail après qu'un tel drame s'est produit et se concentrer dans son travail quand on pense qu'il faut la chercher et qu'elle a peut-être besoin d'aide est très difficile. Lorsque Julie a disparu, forcément, beaucoup de choses se passaient dans nos têtes. On cherche, on se demande ce qui est arrivé.
De plus, Julie avait une soeur. Il y avait 13 mois de différence entre elles. Elles étaient presque des jumelles. Il fallait être présent pour mon autre fille, parce que beaucoup de choses se passaient dans sa tête. Il y avait le risque de tomber dans la drogue, de se suicider, etc. Comme parents, lorsqu'on est au travail, que l'on pense à tout cela et que, parfois, on est obligé de partir du travail spontanément, cette mesure devient importante.
L'AFPAD appuie complètement le projet de loi qui a été présenté par la ministre des Ressources humaines et du Développement des compétences, Mme Finley. La mesure d'aide financière aux parents d'enfants disparus ou assassinés va entrer en vigueur en 2013 et ainsi aider la vie de 1 000 familles par année. La nouvelle prestation de soutien du revenu de 350 $ par semaine qui sera offerte pendant 35 semaines est une demande que l'AFPAD a formulée il y a déjà plusieurs années.
Certains de nos membres ont perdu leur emploi, car ils ne trouvaient pas la force de retourner au travail après un meurtre ou une disparition. En aidant les parents à prendre quelques semaines de répit, nous permettrons à des travailleurs de refaire leurs forces et de revenir, un jour, mieux outillés sur le marché du travail.
J'encourage tous les députés à voter en faveur de ce projet de loi et ainsi envoyer un message clair aux victimes. Il faut aider celles-ci à tenir le coup pendant les très difficiles mois qui suivent la mort ou la disparition de leur enfant. Cette période est cruciale pour un père et une mère.
Au nom de l'AFPAD, je remercie la ministre et le sénateur Boisvenu, qui ont permis de faire de cette demande historique de l'AFPAD une réalité. Mettez-vous à la place des parents d'enfants disparus ou assassinés. Vous comprendrez alors que ce projet de loi est juste et qu'il est grand temps qu'il soit adopté.
Je vous remercie tous, et je vous remercie de voter en faveur de cet important projet de loi pour les victimes de crime au Canada.
Monsieur le président, mesdames et messieurs les membres du comité, bonjour. Je vous remercie de me donner l'occasion de me prononcer sur le projet de loi . Dans mon exposé, je vais surtout m'attarder aux avantages que ce projet de loi conférera aux personnes dont l'emploi est réglementé par le Code canadien du travail.
Je m'appelle Yvonne Harvey et je suis la présidente et cofondatrice de Canadian Parents of Murdered Children and Survivors of Homicide Victims, un organisme de bienfaisance de dimension nationale créé en 2009 pour apporter soutien et aide sur le plan affectif, et de manière continue, à tous les parents et à tous les survivants des victimes d'homicide, tout en favorisant la sensibilisation et l'éducation de tous les Canadiens en la matière.
Lorsqu'une femme perd son mari, on dit qu'elle est veuve; lorsqu'un mari perd sa femme, on dit qu'il est veuf; lorsqu'un enfant perd l'un de ses parents ou les deux, on dit qu'il est orphelin. Il n'y a par contre pas de terme pour désigner un parent qui perd un enfant, parce que la perte est trop douloureuse.
Mon objectif aujourd'hui est de vous signifier mon appui au projet de loi , la . Étant la mère d'un enfant assassiné, je peux témoigner des difficultés inattendues auxquelles les parents, même s'ils n'y sont pour rien, sont confrontés à la suite d'un meurtre. Il me serait impossible de vous expliquer, en cinq minutes, l'ampleur des répercussions affectives, psychologiques, physiques et financières qu'un parent doit affronter lorsque son enfant a été assassiné.
Peu de gens peuvent comprendre les effets réels d'un meurtre sur une famille, même si n'importe lequel d'entre nous pourrait se retrouver dans cette situation. Un jour, nous menons une vie normale et le lendemain, nous sommes plongés dans un monde étranger, sans l'avoir choisi, et nous devons face à des policiers, à des avocats et à des journalistes importuns, et nous rendre au tribunal alors qu'il nous faut, en même temps, prendre la mesure de la perte d'un enfant assassiné.
Il est rare que notre vie soit aussi bouleversée sans avertissement, mais un seul coup de téléphone peut tout faire basculer. Nous allons dorénavant être tiraillés entre les efforts pour aller de l'avant et l'évocation de nos souvenirs.
C'est une partie de notre être qui est amputée. Nous devons reconstruire notre vie. Il n'existe pas de manuel pour nous dire comment faire, parce que le destin de chacun est aussi unique que ses empreintes digitales. À la suite d'un meurtre, on se débat en permanence avec des questions qui relèvent de l'affectif et du spirituel.
Nous avons dès lors à affronter des difficultés complexes et imprévisibles, qui déstabilisent souvent la cellule familiale. La perte d'un enfant peut, par exemple, s'accompagner de difficultés financières imprévues si, dans les semaines qui ont suivi, notre état ne nous pas permis de reprendre notre travail, d'y être productif et de faire preuve de toute la compétence voulue. Les rapports avec le système de justice pénale et des journalistes importuns font très fréquemment réapparaître un sentiment de persécution. De tels facteurs de stress sont souvent la cause de problèmes de santé inattendus.
Dans mon cas, j'ai dû reprendre le travail cinq semaines après l'assassinat de ma fille pour faire face à mes obligations financières et professionnelles. Je n'ai pas disposé du temps indispensable pour demander de l'aide, ni pour composer avec mes propres traumatismes. Cela fait maintenant cinq ans, neuf mois et deux jours que Chrissy, ma fille, a été assassinée. Il me paraît impossible de réussir à faire son deuil, après un tel bouleversement, sans disposer du temps voulu pour faire face à ce traumatisme et à la douleur complexe qui découle d'un meurtre. Notre vie affective peut être paralysée pendant des années.
Le projet de loi va modifier le Code canadien du travail en instaurant un congé non payé pouvant atteindre 52 semaines pour les parents dont un enfant a été porté disparu à la suite de la perpétration probable d'un acte criminel. Cette période sera portée à 104 semaines pour les parents dont un enfant a été assassiné. Dans les deux cas, le parent aura la garantie de retrouver son emploi.
C'est là une mesure très progressive et tout à fait nécessaire. Tout parent d'un enfant assassiné aura droit à un congé. Il disposera ainsi du délai dont sa famille et lui ont bien besoin pour traverser cette épreuve difficile.
Pour terminer, je veux vous parler du programme fédéral de soutien du revenu qui vient d'être annoncé, et plus précisément de l'aide financière prévue dans le cadre de celui-ci. Elle sera essentielle pour soulager une partie des difficultés financières supplémentaires auxquelles se heurtent les parents d'enfants assassinés en leur permettant de recevoir, pendant une période pouvant atteindre 35 semaines, un montant de 350 $ lorsque leur emploi n'est pas régi par le Code canadien du travail. Ce sont là des initiatives sans précédent. Canadian Parents of Murdered Children and Survivors of Homicide Victims Inc. félicite le gouvernement conservateur de ces modifications qui relèvent du bon sens.
Je vous remercie.
C'est difficile. Je veux d'abord vous dire que tout le monde ici est favorable au projet de loi. Il est essentiel.
J'ai deux grands garçons et je ne peux même pas imaginer ce que ce serait de les perdre. Toutefois, j'en ai une petite idée, parce qu'en 1995, mon cousin a été battu à mort après avoir été torturé. Le fait qu'il soit adulte n'a pas rendu cela moins difficile pour sa famille. Il avait 44 ans, et sa soeur souhaite que personne n'ait à vivre ce qu'elle a traversé à ce moment-là. Ce que vous avez vécu est encore plus difficile, étant donné qu'il s'agissait de votre propre enfant.
Soyez assurée que tout le monde de ce côté-ci de la table — et ça s'applique aux deux côtés, j'en suis certaine — est favorable à ce projet de loi. Pour cette raison, nous avons voté pour qu'il soit étudié par le comité. Nous voulions aussi qu'il soit juste pour tous.
Vous avez mentionné certains éléments qui pourraient être modifiés. Nous pensons aussi que des modifications devraient être apportées, et c'est pourquoi nous avons fait en sorte que le comité se penche sur le projet de loi. Les questions que nous allons vous poser aujourd'hui iront en ce sens, soyez-en assurée. Personne ne doit être laissé pour compte. Or des familles qui auraient besoin de soutien ne seraient pas nécessairement incluses dans le projet de loi tel qu'il est maintenant.
Ma première question s'adresse à M. Surprenant, à Mme Harvey ou à Mme O'Sullivan.
On parle d'un congé sans solde de 52 semaines pour les parents d'enfants disparus. On prévoit jusqu'à 104 semaines pour les parents d'enfants assassinés et des prestations de 350 $ pendant 35 semaines. Vous avez mentionné qu'il y avait dans ces cas des dépenses importantes et inattendues.
J'aimerais que vous nous disiez si c'est suffisant, à votre avis, et quelle sorte de dépenses vous avez eu à faire, de façon à ce que nous ayons une idée plus claire des vrais besoins en cause.
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Eh bien, pourra-t-on jamais en faire assez? Je ne le crois pas. Cependant, si nous parlons de coûts concrets, la situation est différente pour chacun. Chacun se trouve dans une situation qui lui est propre, y compris celle entourant l'acte criminel, qu'il y ait ou non condamnation, et que des enfants soient ou non concernés.
Je ne peux que vous parler de mon cas. J'ai eu à faire face à des dépenses. Mon enfant avait plus de 18 ans et la première dépense que j'ai dû engager a été de 3 000 $, pour prendre possession de son corps parce qu'elle n'avait pas encore divorcé. Je n'étais pas alors sa plus proche parente; c'était son mari, qui a été accusé de son meurtre.
J'ai donc dû commencer par dépenser 3 000 $, et ensuite au-delà de 8 000 $ pour faire transporter son corps à la maison et couvrir deux cérémonies d'obsèques, une dans la province où elle a été assassinée et une en Ontario. Nous avons eu à faire des allers-retours entre l'Ontario et Terre-Neuve, où elle a été assassinée, afin de nous occuper de diverses questions. Nous nous sommes retrouvés avec un bébé âgé de 15 mois et nous avons dû nous adresser aux tribunaux pour assurer sa protection. Si je me souviens bien, la facture a dépassé les 60 000 $.
Je verse également 600 $ par mois à mon frère et à ma belle-sœur, qui ont la garde de ma petite-fille dans cette province. Ce montant est destiné à couvrir une partie des dépenses engagées pour son éducation et sa participation aux activités parascolaires auxquelles ils l'ont inscrite.
Il faut aussi que je prenne en compte toutes les autres dépenses que j'ai dû faire pour moi-même, parce qu'il n'y a pas d'entente de réciprocité entre les provinces dans le cas des services aux victimes. En soi, c'est d'ailleurs là un autre problème. Près de six ans après les faits, je consulte deux fois par mois un professionnel pour m'aider à faire face à mes traumatismes et cela me coûte à chaque fois 175 $ de l'heure.
Le montant des dépenses varie dans chaque cas. Je ne sais pas si un montant donné suffirait vraiment, mais il est certain qu'un versement de 350 $ contribuerait à couvrir une partie de ces dépenses, les dépenses que nous avons au quotidien, indépendamment des autres dépenses à assumer.
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Je vais traiter de cet aspect des choses en premier. Il est manifeste que si j'avais disposé d'un congé, sans courir le risque de perdre mon emploi, j'aurais pu, comme quiconque dans une telle situation, prendre ce congé pour me procurer l'aide dont j'avais besoin.
Pour vous permettre de bien comprendre cette problématique, il faut que vous sachiez que, de par sa nature, le meurtre d'un proche ajoute un traumatisme à celui du décès. Si vous ne soignez pas le premier, vous ne ferez jamais votre deuil. C'est la raison pour laquelle, presque six ans plus tard, j'ai décidé qu'il fallait que je fasse appel à un spécialiste pour m'aider à faire face au traumatisme. Je ne crois pas avoir fait mon deuil. Cela fait six ans que je suis assise entre deux chaises, attendant que justice soit faite. L'affaire est encore devant les tribunaux. Chaque fois que le téléphone sonne, cela fait ressurgir ce traumatisme.
Disposer d'une telle période, au cours de laquelle j'aurais pu me concentrer sur moi-même et me motiver à aider les enfants ou les autres membres de ma famille, aurait été important, même si dans mon cas c'était une enfant unique.
Quant à la comparaison entre les règles qui s'appliquent selon que votre milieu de travail est régi par la province ou par le gouvernement fédéral, il faut savoir que 90 p. 100 des employés canadiens relèvent du code du travail de la province ou du territoire où ils résident, et donc que seulement 10 p. 100 sont régis par le Code canadien du travail. J'espère que les provinces verront là un exemple qui les incitera à modifier leurs propres codes du travail pour garantir l'égalité des droits partout au pays. C'est ce que j'espère mais, malheureusement, nous avons vu ce qu'il en est des services offerts aux victimes et de leurs inégalités, selon la province ou le territoire dans lequel réside la personne concernée.
Je me contente d'espérer que cela va les amener à adopter un autre point de vue et agir, parce que nous le méritons tous. Comme je l'ai dit, chaque parent mérite cette aide, et celle-ci ne devrait pas varier selon la province ou le territoire de résidence lorsque nous ne sommes pas régis par le Code canadien du travail.
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Puis-je ajouter un commentaire?
Je reprends sans hésitation à mon compte les commentaires sur les écarts entre les services offerts aux victimes d'actes criminels selon leur lieu de résidence. Même si nous savons tous, comme certains me l'ont rappelé, que l'administration de la justice et le processus judiciaire relèvent des provinces et des territoires, l'une des solutions pour améliorer la situation pourrait être d'accorder à la personne une certaine marge de manœuvre dans le choix des congés qu'elle entend prendre.
Nous savons fort bien que, dans les cas de meurtre, le processus judiciaire peut prendre plusieurs années. On pourrait faire preuve d'une certaine souplesse en permettant à la personne concernée de choisir le moment qui lui convient, par exemple en l'autorisant à prendre une partie du congé total autorisé au moment du crime, puis une autre deux ans plus tard au moment du procès. Cette personne pourrait en effet en avoir également besoin à ce moment-là. Laisser une telle marge de manœuvre constituerait une amélioration.
Il arrive également qu'il faille du temps pour arrêter l'assassin. Je vous dis donc qu'accorder une telle marge de manœuvre permettrait aux parents d'enfants assassinés ou portés disparus de choisir le moment qui leur convient le mieux pour prendre leur congé.
Je vous remercie.
À vrai dire, peu importe la forme que prendra ce projet de loi, notre parti va l'appuyer. Néanmoins, si le comité se réunit pour l'étudier, c'est vraiment, dans l'optique des néo-démocrates, pour voir si on ne pourrait pas trouver certains éléments qui mériteraient d'être améliorés. Il est important d'être très précis.
Par exemple, la ministre nous a déjà rencontrés à ce sujet et elle est très ouverte à la notion de stacking. Par exemple, prenons le cas d'une personne qui aurait reçu des prestations pendant 50 semaines après la disparition de son enfant. Si on devait découvrir, après ces 50 semaines, que l'enfant est décédé, il me semble essentiel que cette personne ait droit à ses prestations et à son temps d'arrêt à la suite du décès d'un enfant. On devrait pouvoir faire un cumulatif de tout cela, ce que la ministre appelle un stacking. C'est le genre d'éléments qu'on va examiner ensemble, pour voir jusqu'où on pourrait aller pour s'assurer d'un minimum de cohérence entre ce qui est sur papier et la grande douleur vécue par ces gens. Soit dit en passant, j'ai trois enfants, alors je peux comprendre cette douleur qu'on peut ressentir.
Donc, j'aimerais entendre vos commentaires sur la possibilité de cumuler les prestations quand, malheureusement, un drame mène à un autre drame.
Monsieur Surprenant, il y a une question que je n'ai absolument pas envie de vous poser, mais à laquelle j'ai besoin de connaître la réponse pour mener cette réflexion. Si ce qui est arrivé d'insoutenable et d'inacceptable à votre fille s'était produit alors qu'elle venait d'avoir 19 ans, votre expérience aurait-elle été moins douloureuse? Auriez-vous eu les mêmes besoins? Je crois connaître la réponse, mais le comité doit bien préciser cet aspect. Nous sommes d'avis qu'on ne peut pas établir de limite à 18 ans.
Nous aurions besoin de vos réactions à ce sujet.
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Merci beaucoup monsieur le président.
Merci à tous les témoins d'être venus.
J'aimerais en savoir un peu plus sur le rôle de l'ombudsman fédéral des victimes d'actes criminels. Certains d'entre nous savent très bien ce que font certains organismes dans nos collectivités. C'est ainsi qu'à Mississauga, en Ontario, je connais bien l'organisme Victim Services of Peel, et le rôle qu'il joue pour soutenir...
Il est évident que l'objectif du projet de loi est d'apporter une aide financière aux parents qui vont avoir besoin de prendre des congés pour faire face à des situations difficiles dans leur famille. Ce projet de loi vise aussi à s'assurer qu'ils sont admissibles à l'assurance-emploi et qu'ils peuvent obtenir ces prestations financières. Cela en fait partie.
L'autre volet est, bien sûr, celui des modifications apportées au Code canadien du travail qui permettraient à un travailleur sous régime fédéral de prendre un congé non payé tout en ayant la garantie de retrouver son emploi. Je crois que Mme Harvey l'a très bien dit: nous espérons que les provinces vont étudier la possibilité d'adopter des mesures comparables dans leurs domaines de compétence.
Voici ce que j'aimerais savoir. Dans le cas d'une famille dont un enfant a été assassiné ou porté disparu, si un membre de la famille ne travaille pas lorsque cela se produit, il n'aura pas droit aux prestations d'assurance-emploi, ce qui n'empêche qu'il aura probablement à assumer d'importantes dépenses pour la famille, etc. Y a-t-il d'autres mécanismes de soutien financier que vous connaissez, que ce soit aux niveaux fédéral, provincial ou local, autres que ceux dont nous parlons dans le cadre de l'étude de ce projet de loi?
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Tout d'abord, je vous remercie de me fournir l'occasion de vous préciser ce que notre bureau peut faire. Comme je l'ai indiqué, je suis l'ombudsman fédéral. Comme on le sait tous ici, la majorité des services offerts directement aux victimes d'actes criminels le sont au niveau des provinces et des territoires, d'où leur grande variabilité.
Pour renchérir sur ce qu'a dit Mme Harvey, je prendrai l'exemple du programme d'indemnisation des victimes d'actes criminels, qui n'est offert ni dans les territoires du Nord ni à Terre-Neuve.
Les dispositions dont peuvent se prévaloir les victimes d'actes criminels varient selon la province et selon le territoire, et les décisions sont prises en fonction des collectivités et de leurs besoins. L'un des effets de l'élargissement des dispositions du Code canadien du travail... Dans mes commentaires, j'ai aussi laissé entendre que le comité pourrait peut-être... mais je réalise que cette question n'est pas abordée dans la version actuelle du projet de loi alors qu'elle s'y rapporte, parce que nous nous efforçons d'offrir les meilleures prestations possibles aux victimes d'actes criminels. Si donc les provinces et les territoires devaient s'aligner sur ces mesures, il y aurait une certaine uniformité dans l'ensemble du pays.
Au sujet de ce qu'on peut offrir, j'ai toujours dit que si on ajoutait, par exemple, une catégorie semblable, mais de plus vaste portée, l'assurance-emploi — et je ne fais ici que reprendre les commentaires entendus… Je vais simplement prendre comme exemple le critère de l'âge, critère que nous devrions vraiment éliminer pour déterminer les besoins financiers des victimes d'actes criminels. Sur la question de savoir s'il est possible de modifier l'assurance-emploi — et je tiens compte de votre commentaire selon lequel les critères sont plus stricts que pour le programme fédéral de soutien du revenu — nous recommanderions d'ajouter une catégorie de plus vaste portée. Ainsi, ceux qui ne sont pas admissibles ou qui, en pratique, recevraient un montant supérieur aux 350 $ du fait de leurs revenus, pourraient alors être couverts par le régime fédéral de soutien du revenu. Je sais bien que, dans les faits, le plafond des prestations d'assurance-emploi est de 485 $ par semaine. Il serait donc possible d'accroître le montant des prestations versées aux victimes d'actes criminels.
Diverses ressources sont disponibles. Vous avez tout à fait raison de dire que, dans certaines collectivités, les services locaux aux victimes d'actes criminels ont parfois de plus de ressources et peuvent alors offrir davantage de services. Nous constatons que cette offre de services fluctue beaucoup à travers le pays. Nous voyons les moyens dont on dispose, les besoins, et nous mesurons l'écart entre les deux. Aucun des députés siégeant à ce comité ne sera surpris d'apprendre que les moyens posent un problème dans les collectivités du Nord, et il ne s'agit pas uniquement de savoir comment vous les procurer.
Je veux faire écho aux commentaires de M. Surprenant sur la disponibilité de l'aide appropriée. Je sais fort bien qu'il est possible de financer le counselling, mais dans certaines provinces — et je crois que Mme Harvey l'a souligné — on reconnaît la nécessité du counselling pour faire le deuil d'un être cher. Encore faut-il que ce service soit disponible et son offre varie selon les moyens dont on dispose.
Certes, des services sont disponibles au niveau provincial et au niveau territorial, mais ils varient beaucoup d'une province ou d'un territoire à l'autre.
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Merci beaucoup, monsieur le président.
Merci d'être venus nous rencontrer aujourd'hui. À titre de représentant du Parti libéral au comité, je peux vous dire que nous adhérons à l'esprit et à la lettre de ce projet de loi. Je me posais des questions sur la souplesse dont il faudrait faire preuve pour l'âge des bénéficiaires et le prolongement de la période de prestations aux conjoints, ainsi qu'aux frères et aux soeurs, mais ces questions ont déjà été posées et nous avons les réponses.
Les suggestions que vous avez faites me paraissent pleinement justifiées et très réalistes. Je partage l'avis de M. Butt. Nous avons ici des représentants de cinq ou six provinces différentes et il me paraît très important de soulever ces questions au niveau provincial et d'insister pour qu'elles soient réglées. Nous devrions retourner dans nos circonscriptions et faire tout ce que nous pouvons pour défendre de telles mesures dans nos provinces respectives.
Vous avez répondu aux questions. Vos témoignages ont été concis, percutants et convaincants, ce qui fait que je n'ai pas d'autres questions à vous poser. Je tiens à vous remercier, non seulement d'être venus nous rencontrer, mais du travail que vous continuez à faire dans l'intérêt des autres.
Je vous remercie.
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Bonjour. Je m'appelle Bruno Serre. Je suis vice-président de l'AFPAD et le père de Brigitte, qui a été assassinée en janvier 2006 à l'âge de 17 ans pendant son quart de travail dans une station Shell à Montréal.
À la mort de Brigitte, c'est non seulement ma vie de père qui s'est effondrée, mais également ma vie de travailleur. Le matin du 25 janvier 2006, j'étais à mon travail. Jamais je n'aurais pensé ou douté que ma vie aurait basculé et changé pour toujours.
Vers 9 heures ce matin-là, deux détectives se sont présentés à mon travail et ont demandé à me rencontrer. Je me suis présenté devant eux. Après m'avoir posé plusieurs questions sur mes enfants, ils m'ont annoncé une mauvaise nouvelle au sujet de ma fille Brigitte. C'est à ce moment précis que ma vie de père a basculé. Je ne pouvais pas croire qu'une telle chose soit arrivée à ma fille sur les lieux de son travail.
Les jours qui ont suivi ce drame seront à jamais gravés dans mon esprit. Je me suis renfermé dans une bulle, question de me protéger et de m'évader des tristes événements que je venais d'apprendre et de vivre. Je n'étais plus l'homme solide et fort que j'étais auparavant. Je me questionnais sur mon rôle de père, d'homme de la maison, parce que pour moi, le rôle de père consiste à guider et à protéger ses enfants dans le cheminement de leur vie.
Or je n'étais pas là pour la protéger ce soir-là. Tel était mon état d'esprit à ce moment-là. Ai-je manqué à mon rôle de père? C'est la question que je me posais tous les jours. Qu'est-ce que j'aurais pu faire? Pourquoi elle? Ces interrogations me trottaient dans la tête sans arrêt.
Pendant plusieurs semaines, j'ai vécu des questionnements, de la colère, de l'incompréhension face à ces événements. Je ne vivais plus, j'existais. Je n'étais plus à l'écoute de mes autres enfants. Il y en avait encore trois avec nous, à la maison. J'ai eu la chance d'avoir une conjointe exceptionnelle, qui m'a appuyé et réconforté dans mes moments de colère, de rage et de grande tristesse.
Cinq semaines après le drame, j'ai pris la décision de retourner à mon travail. Ma conjointe avait déjà repris le sien depuis plus d'une semaine. Dans ma tête, je me suis donc dit que j'étais prêt, moi aussi, à y retourner. D'autres facteurs ont contribué à ma décision de retourner au travail: l'insécurité financière, les dettes supplémentaires qui s'accumulaient et la crainte de perdre mon emploi.
Je me suis donc présenté au travail, un matin de mars, dans le but de reprendre mon boulot. Inutile de vous dire que ce retour ne s'est pas fait selon le scénario que j'avais imaginé dans ma tête. Mes collègues de travail m'évitaient. Quand je circulais dans les couloirs, ils posaient leur regard ailleurs. Quand j'arrivais à la cafétéria, les gens arrêtaient de parler et évitaient tout contact visuel avec moi.
Ma conjointe, qui travaillait au même endroit que moi, était devenue ma seule amie. Elle me réconfortait et me disait qu'il était normal que les personnes m'évitent, qu'ils ne savaient pas quoi me dire. Mais moi, je ne comprenais pas pourquoi ils m'évitaient. Je lui disais: c'est moi le père. Je me demandais surtout comment j'allais réussir à être présent tous les jours au travail et vivre dans ce mutisme.
Au cours des semaines suivantes, ce n'était plus le mutisme que je devais affronter quotidiennement, mais les questionnements et les interrogations des gens au sujet du drame. Mes collègues voulaient savoir comment je vivais cette épreuve et ce qui était arrivé exactement ou me dire qu'ils comprenaient ma peine et ce que je vivais. C'étaient des questions et des commentaires auxquels je ne voulais pas nécessairement donner de réponse.
Ma plus grande inquiétude était comment j'allais réussir à traverser mes journées. À ce moment-là, le décès de Brigitte remontait à trois mois. Je me suis alors demandé ce que je devais faire. La réponse était simple pour moi: je n'avais pas le choix, je devais travailler, peu importe mon questionnement. Il y a les dépenses courantes quotidiennes, l'hypothèque de la maison, les comptes, l'épicerie, l'école des enfants et aussi la grande peur de perdre son emploi si on est trop longtemps arrêté. Il y a surtout l'orgueil et la fierté de l'homme de la maison qui veut rapporter un revenu au foyer. Je me souviens aussi des soirs, après mon travail: j'étais brûlé et je n'avais plus l'énergie de m'occuper de ma famille ni de moi. Je n'étais plus l'homme solide de la maison. Cette situation a duré plusieurs mois.
Au cours de l'année, j'ai dû m'absenter ou partir plus tôt de mon travail à plusieurs reprises. Je n'étais pas productif à 100 %. En tant que travailleur consciencieux, c'était une situation que j'acceptais difficilement. La mauvaise santé mentale et l'épuisement ont des conséquences très lourdes sur le quotidien. Durant cette période, j'ai dû consulter mon médecin de famille pour des douleurs à la poitrine, des maux de ventre et de tête fréquents et des étourdissements. Après plusieurs examens, il m'a simplement dit que mes malaises étaient normaux. En effet, ce que je vivais à la suite du décès tragique de ma fille était un stress énorme à vivre pour un parent. Seuls le temps et le repos pouvaient remédier à tous mes problèmes de santé physique et mentale. À ce moment-là, j'ai compris qu'aucun parent qui perd un enfant tragiquement n'est prêt à retourner au travail pendant les mois qui suivent l'événement.
Le projet de loi est une mesure indispensable pour tout parent qui doit se refaire une santé, prendre du temps pour sa famille et pour lui, pour mieux affronter la vie qui continue. Je tiens à remercier la ministre Diane Finley, le premier ministre, Stephen Harper, et le gouvernement conservateur d'avoir tenu une promesse qui redonne confiance aux victimes comme moi. Je salue la volonté d'un gouvernement de les aider.
Merci.
Je m'appelle Darlene Ryan et je suis l'épouse de Bruno Serre.
Brigitte Serre a été assassinée brutalement en janvier 2006 alors qu'elle travaillait à Montréal dans une station-service Shell. Elle avait 17 ans.
Elle était la troisième de nos cinq enfants. Au moment de son décès, l'aîné avait 20 ans et le benjamin, 13 ans. Le décès d'un enfant est toujours une tragédie. C'est une expérience qu'aucun parent ne veut vivre. Lorsqu'en plus, il s'agit d'un assassinat, la tragédie et les conséquences sont amplifiées à l'infini.
Bruno et moi étions au travail lorsque la police est venue nous annoncer son décès. Même maintenant, presque sept ans plus tard, tout ce que je peux dire à propos de cette journée, c'est que j'avais l'impression de vivre un cauchemar dont j'allais finir par me réveiller. Malheureusement, ce n'est pas arrivé.
Quand la vie vous impose quelque chose comme ce que nous avons vécu, vous avez l'impression pendant les premiers jours de vous retrouver dans une sorte de brouillard dans lequel vous faites des choses que vous n'auriez jamais pensé faire auparavant. Vous organisez les funérailles d'un de vos enfants, choisissez un cercueil et une urne pour cet enfant de 17 ans, alors que vous devriez être en train d'organiser son 18e anniversaire. Vous essayez d'aider vos autres enfants à faire face à une épreuve que vous ne savez pas très bien vous-même comment gérer. Vous essayez de comprendre comment travaille la police. Vous voulez qu'elle vous dise ce qui s'est passé exactement. Les policiers ont été absolument parfaits avec nous, mais ils étaient incapables de nous donner les réponses que nous avions désespérément besoin d'entendre.
Dans notre cas, comme pour nombre d'autres familles dans des situations comparables, le fait d'attirer l'attention des médias et de voir en continu votre cauchemar présenté aux nouvelles ne fait qu'intensifier la souffrance. Je crois que nous avons survécu à ces premiers jours en faisant simplement ce que nous avions à faire. Comme dans la plupart des décès, c'est après les obsèques que la réalité vous rattrape. C'est ce qui s'est passé pour nous, sauf qu'il ne s'agissait pas d'un simple décès. Nous n'étions pas uniquement confrontés à la mort soudaine d'un enfant, mais aussi au fait qu'un étranger avait décidé de lui faire du mal et de la tuer.
Nous pouvons nous compter chanceux en quelque sorte car les criminels ont été arrêtés rapidement. Cela nous a évité de regarder tous les gens que nous croisions en nous demandant si l'un d'eux était le coupable. C'est une épreuve que de nombreuses familles ont à subir.
Il nous restait toutefois à affronter la seconde partie du cauchemar. Au cours des mois qui ont suivi, nous avons dû faire face à toutes les procédures judiciaires. J'ai décidé de reprendre le travail rapidement, trois ou quatre semaines après le décès de Brigitte. Inconsciemment, je craignais de perdre la sécurité que m'offrait un emploi à long terme et de ne plus parvenir à joindre les deux bouts et à prendre soin de ma famille. Je savais également que je devrais probablement m'absenter à nouveau du travail lors du procès. Je ne voulais donc pas m'en absenter trop longtemps au début et risquer de ne plus avoir de congés pour assister au procès. Même si j'y avais réfléchi et que j'avais le sentiment de prendre une décision rationnelle, je dois convenir que, sur le plan affectif, j'étais loin d'être prête à reprendre le travail.
J'ai trouvé mon retour au travail extrêmement difficile dès le premier jour. Les gens faisaient pratiquement la queue à mon bureau pour me poser toutes sortes de questions. La majorité de celles-ci étaient sans intérêt pour moi et ma famille, alors que d'autres personnes faisaient preuve d'une curiosité morbide qui avait été alimentée par les bribes d'information qu'ils avaient entendues aux nouvelles. Dans un cas comme dans l'autre, j'avais du mal à gérer. J'essayais de me comporter de façon professionnelle, mais j'ai souvent dû m'échapper ailleurs pour laisser couler mes larmes et évacuer la tension et les émotions qui m'envahissaient.
Ma journée terminée au bureau, je rentrais à la maison, où je faisais mon possible. Je n'étais toutefois pas aussi présente que je l'aurais voulu pour le reste de ma famille. Dans mon rôle de mère et de femme, je voulais aider tous les membres de notre famille, mais quand vous avez à peine assez de force pour vous soutenir vous-même, il est difficile d'en insuffler aux autres. J'ai souvent eu le sentiment que ma famille s'effondrait et que je n'y pouvais rien. Mon mari a également repris le travail et j'ai pu voir ce qu'il lui en coûtait. Je me sentais coupable qu'il y soit retourné trop rapidement. Je crois qu'il se sentait un peu obligé de faire comme moi après m'avoir vue reprendre le chemin du bureau.
Lorsque j'ai réalisé que j'étais retournée travailler trop rapidement, il était trop tard pour que l'un ou l'autre d'entre nous s'absente à nouveau. Nous nous sommes donc tout simplement battus comme nous avons pu. Sous l'effet du stress énorme qu'il a subi, mon mari a connu de nombreux problèmes de santé, suffisamment graves pour que les enfants et moi nous nous demandions s'il serait encore en vie dans un an.
Lorsqu'un drame comme celui-ci vous frappe, on recommande souvent de désigner l'un des membres de la famille comme personne-ressource entre les autorités et la famille. Dans notre cas, ce fut moi. C'est à moi qu'on téléphonait au bureau au sujet du dossier. Cela m'obligeait à demander la permission de m'absenter pour aller au tribunal, par exemple. Si mon employeur a toujours acquiescé à mes demandes, il était évident que toutes mes absences causaient des problèmes et que j'étais moins fiable au travail que je ne l'étais auparavant.
L'un de mes supérieurs hiérarchiques m'a finalement proposé de prendre quelques jours dans le but de régler toutes mes questions familiales. Il n'y avait là aucune mauvaise intention de sa part. Il pensait bien faire. Il ne réalisait tout simplement pas qu'il n'était pas possible de régler tous nos problèmes en quelques jours.
J'ai commencé à avoir le sentiment d'être un poids au travail, d'être moins utile et en même temps d'être perdue comme parent.
Comme nous avons une grande famille, nous avons dû également prendre soin de nos autres enfants, dont la plupart étaient des adolescents à l'époque. Chacun d'eux a fait face à la situation à sa façon, mais tous ont connu des revers à l'école. L'un d'eux était touché plus sérieusement que les autres par ce qui se passait et nécessitait plus d'attention. Cela m'a obligée à m'absenter encore plus du travail parce que la direction de l'école m'appelait pour me demander de m'y rendre de toute urgence.
En cumulant les premières semaines de congé prises à la suite du décès de Brigitte, celles prises ensuite pour assister au procès, pour aider ma famille ou simplement parce que je n'étais pas capable d'aller travailler, j'ai réalisé que je m'étais absentée plus souvent du travail en 2006 que pendant la totalité des 14 années précédentes chez cet employeur. Je n'avais jamais fui mes responsabilités professionnelles. J'avais toujours été fière de ma carrière. Dans les faits, la situation était trop difficile à affronter. C'était une situation impossible et injuste, aussi bien pour moi que pour mon employeur.
Il est totalement déraisonnable de croire qu'un parent d'un enfant assassiné peut retourner au travail au bout de quelques semaines, reprendre ses habitudes, alors qu'il doit en même temps faire face à toutes les dimensions de cette dure réalité. Il faut des mois, et non pas des semaines, pour récupérer le minimum d'énergie nécessaire.
Si les mesures dont il est question aujourd'hui avaient été en vigueur en 2006, j'aurais pu aider mon mari, mes enfants, et m'aider moi-même, de façon plus efficace. Le cheminement a été très long pour tous les membres de ma famille et il aurait été plus facile et plus rapide si nous avions disposé du temps nécessaire pour cicatriser.
J'aimerais prendre un moment pour remercier le premier ministre , la ministre Diane Finley et leurs équipes respectives ainsi que vous tous qui êtes ici aujourd'hui et le gouvernement conservateur de nous avoir écoutés et d'apporter enfin aux familles l'aide dont elles ont vraiment besoin.
Je vous remercie.
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Bonjour. Je m'appelle Christiane Sirois et voici mon histoire.
Mon fils, Sébastien Métivier, a été enlevé le 1er novembre 1984 à l'âge de 8 ans. Ça va bientôt faire 28 ans. J'appuie aujourd'hui l'aide que fournira le projet de loi aux parents d'enfants disparus. Je tiens ce matin à vous exposer des exemples concrets tirés de mon expérience personnelle en vue de souligner l'urgence d'adopter ce projet de loi dans son intégralité le plus vite possible.
En tant que mère de famille monoparentale, j'étais à l'époque le seul soutien financier de ma famille, qui comptait deux enfants: Sébastien, qui était âgé de 8 ans, et Mélanie, qui avait 7 ans. J'occupais alors un poste de secrétaire administrative. Le drame qui est survenu dans notre vie a été d'une telle intensité émotive qu'il a pris toute mon énergie.
Après la disparition, j'ai été incapable de travailler et de vivre de manière équilibrée, compte tenu des événements que je viens de vous décrire. J'ai donc dû remettre ma démission à mon employeur et demeurer à la maison. Comme il s'agissait d'une disparition due à un enlèvement, je suis demeurée dans l'attente du retour de mon enfant, qui n'est malheureusement pas revenu. J'ai voyagé dans les couloirs de services multiples, ceux de psychologues et d'autres personnes. À l'époque, ce genre d'événements ne leur étaient pas familiers.
Personne n'a le droit de vivre un désarroi de cette ampleur sans ressources. J'ai dû faire face à ces événements sans ressources financières ni psychologiques. J'étais, avec ma fille, Mélanie, dans un couloir sans fin. Nous nous sommes tournées vers des services de dernier recours destinés à venir en aide aux citoyens. Nous avons fait une demande d'aide financière à l'IVAC, soit l'Indemnisation des victimes d'actes criminels du Québec.
Malgré l'aide financière qu'on nous a dispensée, nous avons dû utiliser des services de dernier recours. J'ai travaillé très fort afin de combler les lacunes auxquelles nous faisions face. Je suis retournée sur le marché du travail et j'ai dû, par le fait même, délaisser l'important dossier des recherches portant sur la disparition de mon fils, et ce, durant quelques années.
Voici donc pourquoi l'aide proposée dans le cadre du projet de loi aurait amélioré mes conditions de vie, à l'époque. Si une aide financière, même modeste, avait été accessible à ce moment-là, il est évident que nos souffrances auraient pu être allégées.
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Bonjour. Je m'appelle Céline Hotte et je suis heureuse d'être ici aujourd'hui pour appuyer le projet de loi .
À l'époque du crime, j'avais deux filles et je vivais avec mon conjoint, qui est ambulancier dans la région de Gatineau, secteur Buckingham. Annick, l'aînée de la famille, qui avait 15 ans à ce moment-là, avait décidé d'aller vivre avec son père. Tout s'est bien passé jusqu'au jour où nos vies ont basculé. Un meurtre gratuit avait été commis. Il me restait quatre semaines de travail à faire dans le cadre d'un contrat, mais il m'était impossible de retourner au travail, car le temps s'était arrêté pour moi.
Les factures, elles, continuaient à entrer régulièrement. Avec un seul salaire, ça a été très difficile. Je vais vous donner des exemples. Mon conjoint payait le minimum à tous les créanciers, et souvent moins. On nous a coupé le téléphone. La compagnie d'électricité nous appelait sans arrêt. Nous vivions un autre stress: l'argent. Ça s'ajoutait à toute la peine que nous avions à cause du meurtre. Cela a été très pénible pour nous. Il y avait aussi l'inquiétude pour ma fille Pascale, pour qu'elle continue ses études et ses activités sportives, mais surtout, pour qu'elle mange bien, ce qui n'était pas toujours possible.
Nous devions aussi payer la moitié des frais funéraires et toutes les autres dépenses que cette situation entraînait. Nous aurions eu grandement besoin d'une aide psychologique spécialisée. C'est pourquoi le projet de loi est indispensable pour les proches des victimes. Les 350 $ hebdomadaires pendant 35 semaines sont très importants pour alléger le fardeau financier des victimes et les aider à continuer à vivre avec un peu d'inquiétude en moins, car, il faut le souligner, il est très difficile de faire face aux réalités de la vie après qu'un tel drame s'est produit.
À la suite de ce traumatisme, en 1999, on a diagnostiqué que je souffrais de fibromyalgie et que c'était une conséquence du meurtre. J'avais vécu trop de stress à ce moment-là. C'est une maladie incurable. Il y a eu aussi le stress lié à la libération conditionnelle. Ça nous replongeait là-dedans après 10 ans, après 12 ans; il s'essaie chaque année. Après 17 ans, il est retourné en prison parce que la même chose avait failli arriver à une autre fille. On assiste à ça. On s'y replonge. On est pratiquement tout le temps là-dedans.
Je tiens à vous remercier de m'avoir écoutée. C'est important parce que d'autres familles vont malheureusement vivre des situations semblables. Par contre, elles auront la chance de recevoir de l'argent pour combler leurs besoins.
Merci beaucoup.
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Je vous remercie, monsieur le président.
Je souhaite partager mon temps de parole avec Mike, monsieur le président.
Je tiens, moi aussi, à remercier les témoins de leur présence. Vos témoignages sont très importants pour les familles des victimes à venir car, malheureusement, il y en aura d'autres.
J'ai été journaliste pendant 12 ans dans un quotidien. J'ai mis fin à ma carrière de journaliste peu de temps après avoir traité du meurtre d'une fillette de 15 ans dans une région rurale de Terre-Neuve-et-Labrador. Elle s'appelait Samantha Walsh. Un dimanche soir, après être allée souper chez sa grand-mère, elle a disparu alors qu'elle rentrait chez elle. On l'a retrouvée quelques semaines plus tard sous un amas de neige. Elle avait été assassinée par un jeune homme qui vivait le long de la route. Ses parents ont vécu dans l'inquiétude et dans la peur pendant les deux semaines où elle était portée disparue, avant qu'ils n'apprennent la pire issue possible.
Le journaliste que j'étais à l'époque estimait que, pour couvrir cette histoire, la meilleure façon de la raconter à mes lecteurs était d'être aussi près que possible de ce qui se passait. J'ai été beaucoup trop proche, au point de ne plus être capable de faire ce travail par la suite.
Je mesure très bien ce que vous avez vécu et ce que vous vivez encore.
J'ai parfaitement entendu ce que vous avez dit, Darlene et Bruno, et ce que tout le monde a dit sur votre retour au travail au bout de quelques petites semaines dans votre cas. Ce projet de loi vous accorderait un congé de 35 semaines.
J'ai deux questions à vous poser. Trente-cinq semaines suffisent-elles? Quelle autre forme d'aide vous paraîtrait utile pour aider les familles aux prises avec des drames comparables au vôtre?
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Je vous remercie de vos commentaires.
Une période de 35 semaines est un bon début. Cela dépend de la personne et de la situation, mais 35 semaines, ça constitue tout de même une bonne durée.
Par contre, s'il faut que ces 35 semaines soient consécutives, ce n'est pas assez. En effet, des gens devront assister à des procès un an et demi ou deux ans plus tard. Quand le procès ou l'enquête préliminaire commence, on doit avoir d'autre temps. Lors du procès, on ne peut pas aller à la cour et ensuite aller travailler. Je le sais, car l'année suivante, pendant l'enquête préliminaire, nous assistions aux audiences et nous nous présentions au travail le surlendemain. C'est très difficile et ça prend du temps.
Par conséquent, une période de 35 semaines serait bien. Il y aurait peut-être lieu d'avoir un complément. Si la cause est remise à plus tard, il faudrait un supplément de quelques semaines. Quand il y a un procès ou une enquête préliminaire, il faut absolument du temps.
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Comme mon mari, je trouve que les congés devraient pouvoir être étalés dans le temps. Le système judiciaire, qui vise à ne pas nuire à la poursuite, ne nous a pas permis de savoir comment notre enfant était morte. Nous avons juste su qu'elle était décédée. Nous avons appris la vérité 18 mois plus tard, en prenant connaissance du rapport du coroner, en cour, en même temps que toutes les autres personnes présentes. Comme nous gardions autant de congés que possible et que le tribunal a suspendu ses travaux pendant deux jours, nous avons appris comment notre enfant était décédée et sommes retournés au travail le jour suivant, et nous avons dû à nouveau prendre un jour de congé parce que le procès reprenait. Bien évidemment, nous n'avons pas tenu toute la journée. Nous avons essayé, mais nous n'y sommes pas parvenus.
Il est difficile d'évaluer le temps qu'il faudrait dans un cas précis. Pour certaines personnes, ce sera toujours insuffisant. C'est une décision à prendre au cas par cas, mais je sais bien qu'il faut fixer une période donnée.
J'aimerais, avec votre permission, donner suite à une observation qui a été faite au sujet de la même question. Je ne saurais trop vous féliciter de vouloir ajouter les conjoints ou les frères et soeurs à l'admissibilité à ces mesures. J'étais la belle-mère de Brigitte. Selon le libellé actuel du projet de loi , je ne serais pas admissible à cette aide, mais c'est d'accord. Ce qui compte le plus, c'est qu'il y a des parents qui vont en avoir besoin maintenant. C'est une mesure qu'il faut adopter rapidement et, dans mon cas, si mon mari était resté à la maison pour prendre soin des enfants, entre autres choses, cela m'aurait beaucoup soulagée. La situation n'aurait pas été parfaite pour autant, loin de là, mais cela m'aurait ôté un grand poids des épaules. J'aurais été mieux en mesure de me concentrer sur certaines choses au lieu d'essayer de colmater les brèches partout. En résumé, c'est une bonne chose.
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Je vous remercie, monsieur le président.
Je remercie également nos témoins de leur présence parmi nous.
J'aimerais répéter ce que M. Lapointe a dit plus tôt aux témoins précédents, soit qu'il faut faire preuve de beaucoup de force et de courage pour venir ici. Vous ne faites pas que nous raconter vos histoires, vous représentez également ceux qui ont vécu des situations comparables à la vôtre. C'est pourquoi je vous remercie d'être ici.
Je tiens simplement à rappeler, aux fins du compte rendu, que notre gouvernement a mis l'accent sur le soutien aux victimes d'actes criminels. Nous avons proposé plusieurs textes de loi en ce sens. Nous voulons dire aux Canadiens que les victimes d'actes criminels sont innocentes. Ce sont les délinquants qui sont fautifs. Je trouve que cela caractérise bien l'action de notre gouvernement et ses priorités. Il ne s'agit là que d'un des textes de loi que nous avons proposés pour nous attaquer à la criminalité et protéger également les victimes.
L'un des autres sujets que nous avons abordés précédemment, c'est le soutien des gouvernements provinciaux, et peut-être même des groupes communautaires ou des administrations locales qui apportent également leur soutien aux victimes d'actes criminels. Je tiens aussi à dire publiquement qu'il faut que ces entités sachent que la possibilité que les provinces saisissent les produits de la criminalité, quand elles arrêtent des délinquants qui possèdent parfois des biens qu'elles peuvent vendre...
Quand elles vendent ainsi les produits de la criminalité, elles encaissent de l'argent et cela leur permet de financer des programmes. Je trouverais très bien que les provinces saisissent ces montants et les affectent aux services de soutien aux victimes. Ce serait là une excellente initiative des provinces et je tenais à le dire publiquement.
L'expérience que vous avez eue de notre système judiciaire et des responsables de l'application de la loi a-t-elle été bonne? Vous ont-ils apporté leur aide? Disposaient-ils des ressources nécessaires pour vous aider à faire face aux défis que vous avez affrontés pendant qu'ils procédaient à leur enquête, ou pendant les diverses étapes du processus judiciaire?
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Pas vraiment. Je dois même ajouter que les parents de victimes, ainsi que leurs frères et soeurs, perdent une partie de leur dignité. Mon fils n'a toujours pas été retrouvé, et c'est une question qui se pose à la grandeur du Québec. On se permet même de dire que c'est bizarre et de se demander si un parent est coupable. Je n'ai pas vraiment été soutenue.
Comme je l'ai dit un peu plus tôt lors de mon témoignage, on a demandé de l'aide de dernier recours. On m'a même dit, à un moment donné, qu'il faudrait que je me retrousse les manches et que je vive ma vie de tous les jours. C'est facile à dire quand on ne vit pas un drame pareil. Je le comprends, mais des enfants restent en arrière. Ces enfants vivent cela très profondément. Je dois dire que ça nous détruit de façon collatérale.
Un peu plus tôt, il a été question de la maladie dont madame est atteinte, la fibromyalgie. Ma fille en est atteinte. Elle a 35 ans, elle commence sa vie. Lorsqu'elle avait 7 ans, sa vie a basculé. Ma fille s'est retrouvée dans un fossé d'émotions et le système ne comprend pas ce qu'elle vit.
Je tire donc mon chapeau au gouvernement fédéral qui offre une telle aide aux futures victimes. Le plus triste dans cette histoire, ce sont ceux qui restent derrière.
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Je pense que ce serait une très bonne chose.
Par exemple, si cela arrive à quelqu'un et qu'après 10 semaines il se sent prêt, il peut reprendre le travail. Dans mon cas, je suis retourné après cinq semaines, mais je n'étais vraiment pas capable.
Il s'agirait donc d'heures ou de semaines en banque. On en aurait probablement utilisé cinq et il nous en serait resté 30, que l'on aurait pu prendre au cours des ans. Cependant, il ne faut pas qu'il y ait une date d'expiration. Par exemple, on pourrait décider que le prestataire aurait un an pour avoir recours à ces 35 semaines, comme c'est le cas parfois au gouvernement. Il faudrait plutôt étendre cela à deux ou trois ans. Certains procès peuvent avoir lieu trois ans plus tard.
Si une personne a utilisé toutes ses semaines et qu'arrive le procès, elle va revivre le drame. Quand vient le procès, on revit la journée où on a appris le décès d'un proche. Il y aura donc d'autres étapes à franchir. Si la personne n'a plus de semaines à sa disposition, elle va revivre la même situation qu'elle a vécue au tout début. Elle sera perdue et incapable de travailler.
Pouvoir garder ses semaines en banque pour plus tard serait une très bonne solution.
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Nous étions un couple reconstitué, comme beaucoup de gens le sont aujourd'hui. Elle avait trois enfants et j'en avais deux. Brigitte, au moment de son décès, habitait à Montréal avec sa soeur de 20 ans. C'est elle qui avait permis à Brigitte d'obtenir cet emploi à cet endroit, car elle y travaillait elle-même. Le jour du drame, si les policières n'avaient pas été là, c'est elle qui aurait trouvé sa soeur par terre. Ce matin-là, elle est entrée une demi-heure plus tôt, justement pour pouvoir parler avec sa soeur. Quand elle est arrivée, des policiers l'ont empêchée d'entrer.
Moi, j'ai vécu ça difficilement. De son côté, elle s'est renfermée. Rien ne sortait. Elle ne parlait pas et évitait tout le monde. Elle s'est enfermée chez elle, dans sa bulle, dans un mutisme. On avait de la difficulté à l'approcher. Elle ne voulait pas parler de cela.
Il faudrait que les mesures d'aide ne soient pas destinées qu'aux parents. Sa soeur la plus proche et les autres enfants ont tous vécu ce drame. La plus jeune est allée vers toutes sortes de choses mauvaises. Elle est tombée dans le monde de la drogue. C'était sa porte de sortie. Elle a abandonné l'école. Elle s'en est sortie, mais c'est le genre de choses qu'on avait de la difficulté à suivre parce qu'on vivait un gros drame. Il reste que les enfants n'avaient pas de soutien. Ils étaient donc laissés à eux-mêmes, malheureusement. Je prends une partie du blâme. J'aurais dû être présent, mais je ne l'étais pas. Vous savez, après une journée de travail, on revient brûlé.
Cette loi va beaucoup aider les parents. Ça va probablement sauver des familles. Il faut dire que beaucoup de familles se séparent. Dans bien des familles, des enfants se suicident à la suite du décès d'un frère ou d'une soeur. Il est certain qu'une loi de ce genre va aider tout le monde. Si ça pouvait s'appliquer aux gens près de la victime, par exemple les enfants, la belle-mère et le beau-père, ce serait bien.
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Je reprends à mon compte tout ce qui a été dit auparavant.
Je veux aussi ajouter quelque chose aux témoignages que nous avons entendus aujourd'hui parce que nous nous trouvons dans une situation très émotive et très difficile. Mme O'Sullivan a dit quelque chose tout à l'heure, et je crois que vous étiez présent pendant son exposé. Je conviens que toutes les situations sont différentes et qu'il n'y a pas de solution unique qui convient à tous. Elle nous a rappelé que pour défendre les droits des victimes, il faut promouvoir les principes fondamentaux de justice relatifs aux victimes d'actes criminels.
Je vous serais reconnaissant, si vous le pouvez, de nous indiquer, peut-être par écrit, parce que le temps dont nous disposions est maintenant épuisé, quels sont, à votre avis, et de votre point de vue de parent, ces principes fondamentaux. La principale question que se posent les parents que nous sommes est pourquoi moi? Pourquoi nous? Il n'y a pas de réponse à cette question et rien de ce qu'une autre personne va dire ne peut s'avérer satisfaisant dans vos vies. Votre courage est époustouflant. Si vous me le permettez, je dirais que la force dont vous faites preuve aujourd'hui fait honneur à vos enfants.
Je vous remercie.